M. Vincent Capo-Canellas. Nous sommes convaincus que ce texte va dans le bon sens. Il participe à l’amélioration de l’image de la France et à la compétitivité de la place aéroportuaire de Paris dans une économie mondialisée. Les milliers de passagers désemparés, errant ou dormant à même le sol dans les aéroports,…
M. Jean-Pierre Michel. Ils n’ont qu’à ne pas partir en vacances !
M. Vincent Capo-Canellas. … alors que ces lieux ne sont pas adaptés à un tel hébergement du public, donnent une image déplorable de nos aéroports, de nos compagnies aériennes et de notre pays.
Pour terminer, je souhaite souligner combien ce domaine de notre économie est stratégique.
Une étude récente nous donne quelques éléments chiffrés de l’importance économique du secteur du transport aérien et du secteur aéroportuaire.
Le système aéroportuaire parisien produit une valeur ajoutée directe de 13,5 milliards d’euros et profite ainsi largement à l’économie locale, régionale et nationale.
L’aéroport de Roissy - Charles-de-Gaulle crée 248 000 emplois et le système aéroportuaire francilien engendre, quant à lui, plus de 340 000 emplois directs et indirects. En outre, la croissance des emplois sur Paris - Charles-de-Gaulle est sept fois plus dynamique que dans l’ensemble de la région d’Île-de-France.
Au moment où nos compagnies aériennes, notamment la première d’entre elles, sont dans une situation fragile et confrontées à une très forte concurrence tant européenne qu’internationale, cette proposition de loi est un moyen parmi d’autres pour leur apporter davantage de sécurité, pour favoriser le développement de leur activité et pour concourir au maintien de l’emploi.
C’est un enjeu majeur aujourd’hui, qui passe par un dialogue social rénové. Nous regrettons donc qu’une nouvelle fois vous persistiez dans le refus de discuter de ce texte.
Pour leur part, les sénateurs du groupe de l’Union centriste et républicaine renouvelleront leur soutien à cette proposition de loi équilibrée et raisonnable en refusant de voter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.
M. Jean-Jacques Mirassou. Un orateur de qualité !
M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi et non un projet de loi, ce qui n’est pas un hasard.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
M. Jacky Le Menn. Ce choix stratégique permet au Gouvernement de contourner le dispositif obligatoire de consultation des partenaires sociaux créé par la loi Larcher et d’éviter un examen préalable du texte par le Conseil d’État. Cela a déjà été souligné en première lecture.
Pour mémoire, je rappelle que le Sénat, comme l’Assemblée nationale, a adopté des protocoles de consultation des partenaires sociaux sur toute proposition de loi entrant dans le champ de la négociation collective. En résumé, avant son inscription à l’ordre du jour, le texte doit être transmis aux organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives afin de recueillir leurs observations et de connaître leur intention d’engager ou non une négociation sur le sujet. Ce point est important. Les organisations consultées disposent alors de quinze jours pour faire connaître leurs intentions.
En l’espèce, il est clair que ces protocoles n’ont pas été respectés. Comment, d’ailleurs, auraient-ils pu l’être, dans la mesure où nous avons affaire à un texte de pure opportunité et de pure réactivité ? Encore une fois, c’est dans la précipitation et la volatilité – sans jeu de mot – du temps médiatique que l’on somme le Parlement de légiférer.
Nous refusons de nous prêter à cet exercice, qui manque aux procédures que nous avons nous-mêmes adoptées pour favoriser le dialogue social et ne nous laisse pas le temps nécessaire à la réflexion. Nous sommes, ici, devant un contre-exemple flagrant de ce que doit être le travail parlementaire.
Dans les faits, cette hyperréactivité a inutilement crispé les esprits et exacerbé les tensions. Tenter de faire adopter au pas de charge ce texte, en plein conflit social, pourrait être considéré comme une regrettable erreur. À moins que l’on ne veuille satisfaire la frange la plus conservatrice de l’opinion publique au détriment du dialogue social, des droits des salariés et d’une bonne législation, auquel cas, ce serait une faute.
Pour notre part, nous entendons favoriser et surtout respecter les partenaires sociaux dans leurs efforts pour revaloriser le statut et améliorer les conditions de travail de tous ceux qui concourent, directement ou non, au transport aérien.
Le champ d’application de ce texte est considérable : le transport aérien, au sens strict, compte près de 100 000 salariés et fait travailler 600 entreprises, dont Air France est la plus importante et la plus significative. J’y reviendrai.
Les activités de sûreté emploient 10 000 personnes environ. Les missions d’assistance les plus diverses visées par le texte donnent du travail à environ 4 000 ou 5 000 salariés.
Au total, nous parlons donc d’un bon millier d’entreprises, pour la plupart des sous-traitants, et de 120 000 salariés, dont beaucoup ont des contrats précaires et travaillent trop souvent dans des conditions déplorables.
M. Jean-Jacques Mirassou. Voilà !
M. Jacky Le Menn. Cette situation rend le texte que nous examinons aujourd’hui à bien des égards inacceptable.
Tout d’abord, la plupart des salariés ne travaillent pas dans des entreprises gestionnaires d’un service public. Ils n’ont donc pas à déposer de préavis s’ils souhaitent se mettre en grève comme cela est imposé par l’article L. 2512-2 du code du travail dans les entreprises de service public.
Nous relevons aussi une différence par rapport à la loi de 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs. L’obligation de continuité du service public, reconnue par le Conseil constitutionnel dans une jurisprudence constante, fait ici défaut. Or seule cette obligation est de nature à limiter l’exercice du droit de grève lorsque celui-ci lui porte atteinte.
Seule demeure l’obligation de desserte dans le cadre de la continuité territoriale des îles, au champ par définition limité.
La sauvegarde de l’ordre public ainsi que la protection de la santé et de la sécurité des personnes en cas d’afflux massif de passagers dans un aéroport ont été invoquées. Elles relèvent, en fait, de l’obligation d’information, qui est à la charge des compagnies aériennes ; n’ayant donc pas de rapport direct avec l’exercice du droit de grève par les salariés, elles ne sauraient être utilisées pour y porter atteinte, vous le savez très bien, monsieur le ministre.
Chacun peut d’ailleurs constater que cette obligation d’information n’est pas toujours mise en œuvre dans les cas fréquents de pannes en tous genres, retards et autres désagréments, dans le transport aérien comme dans le transport terrestre. C’est un sujet d’irritation très fort pour de nombreux passagers. Mais, dans ce cas, ni le Gouvernement ni les députés de la majorité n’envisagent de sanction envers les entreprises en cas de carence. On laisse aux passagers le soin de mettre en cause la responsabilité de l’entreprise concernée devant les tribunaux.
L’objet réel de cette proposition de loi est donc de créer, pour des salariés du secteur privé, un préavis ex nihilo de quarante-huit heures !
Cette disposition a pour effet de limiter l’exercice du droit de grève dans les entreprises privées que sont les entreprises de transport aérien de passagers et leurs innombrables partenaires et sous-traitants. Elle constitue une pression à l’encontre des salariés en vue, nous ne sommes pas dupes, de les faire renoncer à la grève.
Cela traduit, d’ailleurs, une méconnaissance de la situation réelle des salariés. Décider la grève est un choix grave, lourd de conséquences, puisque cela aboutit à une perte de salaire souvent significative. Selon la formule consacrée, on ne se met pas en grève par plaisir !
La grève est le symptôme, vous le savez, monsieur le ministre, de relations dégradées dans l’entreprise.
M. Jean-Jacques Mirassou. Tout à fait ! Elle est le symptôme d’un dysfonctionnement !
M. Jacky Le Menn. Elle est le signe que la négociation n’a pas permis d’améliorer les salaires et les conditions de travail. Or il y a dans ces domaines beaucoup à faire pour tous ces salariés « invisibles », « travaillant dans l’ombre », qui sont indispensables au transport aérien.
La vraie responsabilité du législateur est de mettre en place toutes les obligations et tous les instruments de la négociation collective pour que le sort de ces personnels soit amélioré et qu’ils n’aient plus besoin de recourir à la grève.
Vous avez cru bon d’ajouter à votre texte un article selon lequel tout salarié qui décide de reprendre le travail doit en informer l’employeur vingt-quatre heures à l’avance, sous peine de sanctions disciplinaires. C’est évidemment un obstacle à la libre détermination des salariés reconnue par la loi. Nous avons déjà eu l’occasion de démontrer l’absurdité d’une disposition qui contraindrait des employés à rester en grève vingt-quatre heures de plus pour ne pas être sanctionnés, ce qui est totalement contre-productif.
Les députés de la majorité gouvernementale ont fini par mesurer l’erreur. Le texte a donc été complété par une petite phrase : « Cette information n’est pas requise lorsque la grève n’a pas lieu ou lorsque la prise du service est consécutive à la fin de la grève ».
Pour faire bonne mesure, vous introduisez aussi cette disposition dans la loi de 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs. Fort bien ! Mais quand la grève se poursuit, que se passe-t-il ? Encore une fois, cette disposition traduit une méconnaissance grave des relations du travail et du déroulement des conflits collectifs.
Vous avez introduit cette disposition pour empêcher que ne se reproduisent des comportements minoritaires, et regrettables, auxquels les grandes organisations représentatives n’ont aucune part. Ces comportements nuisent à la crédibilité des mouvements sociaux et exaspèrent les passagers auxquels ils portent parfois gravement préjudice.
Mais votre ajout au texte que nous examinons ce jour ne résout rien.
J’en vois l’aveu dans cette phrase significative de notre collègue député François Rochebloine, énoncée en désespoir de cause, après que l’inutilité de cet ajout lui eut été démontrée : « Eh bien, ils seront en grève, point barre ! » C’est un peu court, mais c’est le constat bien senti que le problème n’est pas résolu.
Mais ce n’est pas tout. Nous avons appris hier, notamment par la presse, que la direction d’Air France venait de signer un accord avec les organisations de pilotes de ligne.
Cet accord stipule que le planning du personnel navigant technique est stable et que toute modification doit faire l’objet d’un accord entre la compagnie et le navigant concerné. En clair, il n’y aura pas de réaffectation improvisée en cas de grève, et votre proposition de loi devient de facto sans aucun effet.
M. Jean-Pierre Michel. Tout à fait !
M. Jacky Le Menn. Sans effet quand vous prétendez imposer un service minimum dans le transport aérien, ce qui est, de toute façon, parfaitement impossible dans la pratique, sauf à réquisitionner des dizaines de milliers de salariés. Bonjour la difficulté !
Sans effet quand vous prétendez infliger des sanctions disciplinaires à des salariés par trop indociles. Bonjour l’approche sociale !
Et c’est notre première compagnie aérienne qui vous le signifie avec la simplicité de l’évidence, avec aussi un vrai souci de ne pas hypothéquer le dialogue social en son sein par des mesures inutilement agressives.
J’en terminerai par une dernière préoccupation, et non la moindre.
Nous observons que ce texte est apparu dans l’ordre du jour du Parlement à la suite de la grève des personnels de sûreté des aéroports en décembre 2011.
Il faut dire que ces salariés travaillent dans des conditions particulièrement difficiles, avec de longues stations debout, des horaires décalés, qui changent en fonction des retards, et des relations parfois difficiles avec les voyageurs qu’ils doivent contrôler.
Or ces personnels, en raison de la mission de service public qu’ils exercent, relèvent de l’article L.2512-2 du code du travail et doivent donc déposer un préavis de cinq jours avant toute grève. Dès le départ, ils ne sont donc pas concernés par votre texte.
En revanche, la plupart des autres personnels des compagnies aériennes, de leurs partenaires et sous-traitants le sont.
Ce qui, au final, est le plus clair, c’est que la majorité à l’Assemblée nationale et le Gouvernement ont saisi l’occasion des perturbations entraînées par cette grève pour inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour du Parlement.
Ce faisant, nul ne peut ignorer que cette proposition de loi n’est pas seulement une extension au transport aérien de la législation de 2007 sur les transports terrestres. Nous l’avons dit : les entreprises de transport aérien sont privées et ne sont pas chargées d’une mission de service public.
Ce texte est en fait une ouverture très inquiétante vers des restrictions à l’exercice du droit de grève dans le secteur privé, ce que nous ne pouvons admettre. C’est une brèche dans un droit constitutionnel reconnu aux salariés.
Le groupe socialiste est pleinement conscient des enjeux, qui dépassent très largement les circonstances présentes.
Ce texte participe du projet global de limiter les moyens de revendication des salariés, ceux du secteur public comme ceux du secteur privé, dans un contexte imposé d’austérité en matière salariale et de restrictions de notre protection sociale.
Nous observons les effets néfastes de cette politique dans bien des pays, y compris le nôtre, et nous sommes déterminés à y mettre un terme.
Nous constatons parallèlement les effets positifs du dialogue social et de la négociation collective, qui permettent de maintenir un climat favorable à l’implication des salariés dans leur entreprise, et donc au développement de notre économie.
Évidemment, pour toutes ces raisons, et notamment pour nous opposer à la tentative du Gouvernement – ne soyons pas naïfs ! – visant à restreindre l’exercice du droit constitutionnel de grève, le groupe socialiste adoptera la motion tendant à opposer la question préalable déposée par notre rapporteur et adoptée par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons une nouvelle et ultime fois la proposition de loi imposant un service garanti dans le transport aérien.
Il ne nous aura fallu que quelques heures de débat pour porter une atteinte déterminante à un droit constitutionnel, le droit de grève. Nous continuons pourtant de penser que ce texte n’est qu’un projet gouvernemental, ni plus ni moins, et que la procédure accélérée dont il fait l’objet ne se justifie en rien. À l’inverse, la réforme de la biologie médicale, par exemple, justifiait, elle, d’être examinée en urgence, d’autant qu’elle était demandée par les professionnels concernés.
Rien donc ne justifie l’urgence de la démarche, si ce n’est la volonté du Gouvernement et de sa majorité de passer en force, ce qui traduit au fond votre mépris total des salariés et de leurs organisations syndicales.
Nous déplorons ainsi l’état du dialogue social, de la relation de confiance qui doit exister entre les organisations syndicales, patronales et le Gouvernement. Cela fait de ce dernier non le garant de l’intérêt général, mais plutôt le plus fidèle serviteur du MEDEF en déséquilibrant les rapports de force au sein des entreprises. Le PDG d’Air France, fort de ce soutien, n’a pas hésité, dans cette période, à dénoncer les accords d’entreprise à seule fin d’améliorer la rentabilité pour les actionnaires en demandant aux salariés des sacrifices supplémentaires.
La politique de rigueur et d’austérité se fait donc une nouvelle fois uniquement au détriment des salariés, sans que soit abordée la question, cruciale, d’un rééquilibrage entre revenus du capital et revenus du travail. Vous profitez de la crise pour atomiser les droits des salariés et des organisations syndicales.
Vous nous dites pourtant que le droit de grève n’est pas remis en cause par cette proposition loi. Qu’on en juge : le salarié devra se déclarer quarante-huit heures en amont du mouvement, et surtout ne pas renoncer moins de vingt-quatre heures avant, sous peine de sanction disciplinaire dont le niveau n’est pas précisé, même si l’Assemblée nationale a adouci le principe de la sanction en mentionnant que celle-ci ne peut intervenir qu’en cas de manquement répété.
Le salarié qui souhaite mettre fin à son action de grève, devra également attendre vingt-quatre heures avant de pouvoir reprendre effectivement le travail, ce qui l’oblige ainsi à une journée supplémentaire de perte de salaire, sauf en cas de fin de mouvement. Et je n’entrerai pas dans le détail du cas où une organisation syndicale propose la reprise du travail et que l’assemblée générale décide, elle, la poursuite de la grève, car cela devient alors très compliqué !
Il s’agit d’un procédé bien plus subtil que l’interdiction pure et simple de la grève : en rendant son exercice plus difficile et en l’individualisant, vous permettez que s’exercent sur les salariés des pressions inacceptables.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que le droit de grève s’exerce de façon collective, que c’est un droit utile qui a permis de nombreuses avancées sociales pour l’ensemble de nos concitoyens. Il n’y a donc aucun fondement à votre volonté d’opposer entre eux les vacanciers et les salariés.
Vous arguez également, pour justifier de cette atteinte à ce droit fondamental, que le Conseil constitutionnel a rendu un avis de conformité sur la loi de 2007. Cependant, comment ignorer que cette décision est de nature politique, en contradiction totale avec les jurisprudences des autres cours de justice ?
Ainsi, dans l’arrêt Air France de 2003, la Cour de cassation a reconnu de manière très claire « qu’il ne pouvait être imposé à un salarié d’indiquer à son employeur son intention de participer à la grève avant le déclenchement de celle-ci ».
Dans l’affaire de la société Rhodia Chimie, la cour d’appel de Grenoble a également jugé, le 29 avril 2002, que « la société ne pouvait interroger chaque salarié sur ses motivations sans exercer une pression inacceptable sur chaque salarié pris individuellement. »
Nous continuons donc légitiment d’affirmer que la déclaration préalable de grève quarante-huit heures à l’avance et, pire encore, celle de vingt-quatre heures sont inconstitutionnels.
Par ailleurs, la constitutionnalité s’apprécie de façon fondamentalement différente entre le transport terrestre et le transport aérien. Il s’agit, dans le premier cas, d’un service public et, dans l’autre, d’un service pleinement ouvert à la concurrence et à la déréglementation. Les obligations des compagnies, même si nous pouvons le regretter, ne se posent pas dans les mêmes termes ; il n’existe en l’espèce aucune obligation de continuité du service public.
En outre, la différence majeure entre ce texte et la loi du 21 août 2007 réside dans ce constat : il n’y a pas ici deux entreprises publiques aux procédures connues, au dialogue social sans doute imparfait mais qui préexistait à la loi. Le secteur aérien est très diversifié, avec des personnels aux statuts différents auxquels la loi applique une même logique, sans avoir pris le temps de discussions avec les partenaires sociaux. À ce titre, il est particulièrement choquant qu’il n’y ait eu aucune saisine du Conseil supérieur de l’aviation civile.
D'ailleurs, tout ce que nous dénonçons en termes d’inconstitutionnalité a été confirmé par une étude demandée par les organisations syndicales des pilotes. Nous trouvons là une nouvelle démonstration que le renforcement du dialogue social n’est pas l’objectif de cette proposition de loi, puisque, loin de le renforcer, ce texte risque au contraire de cristalliser la conflictualité existante.
Force est de constater que l’instauration d’une sorte de « préavis du préavis » par le dispositif d’alarme sociale dans le secteur terrestre n’a pas permis d’enrayer la conflictualité puisque, si les demandes de consultation immédiate ont significativement augmenté, les dirigeants des entreprises continuent d’attendre de constater l’état réel des rapports de force avant d’engager toute négociation. En même temps, « on ne négocie pas pendant la grève », disent-ils. Cela peut durer…
Or, si l’article L. 521-3 du code du travail précise d’ores et déjà que « pendant la durée du préavis, les parties intéressées sont tenues de négocier », cette obligation est souvent méconnue par les dirigeants d’entreprise. Allonger la durée du temps de négociation, dans les transports terrestres comme dans les transports aériens, apparaît donc inutile si rien ne contraint ces mêmes chefs d’entreprises à se présenter à la table de négociation avec des propositions.
De manière circonstanciée, il n’est pas anodin que le Gouvernement cherche à limiter les grèves de salariés dans le secteur aérien, qui a connu, depuis plusieurs années, des luttes nombreuses et retentissantes : la sûreté, les navigants, les mécaniciens, le cargo et l’escale d’Air France, mais aussi de nombreuses autres compagnies aériennes et entreprises d’assistance aéroportuaire.
Cette proposition de loi, comme le titrait Le Figaro, vise donc bien non à favoriser le dialogue social mais à mettre fin aux grèves.
Je voudrais pour finir revenir sur un abus de langage de la part du ministère. En effet, vous n’avez eu de cesse d’affirmer que la loi de 2007 était un succès.
Mme Isabelle Pasquet. Moi, non ! (Sourires.)
Ce « succès » justifierait selon vous l’élargissement de son périmètre, ouvrant même la voie à une remise en cause du droit de grève pour l’ensemble des salariés.
Mais d’après vous, monsieur le ministre, la galère quotidienne des usagers a-t-elle cessé pour autant ? Bien sûr que non, parce que, ce qui mine les transports terrestres comme les transports aériens, ce ne sont pas les grèves, comme vous l’affirmez, c’est bien le désengagement de l’État de ses missions de service public et d’intérêt général.
Et justement, parce que les salariés dans les conflits sociaux sont porteurs de revendications d’intérêt général, parce que ce que réclament les usagers, ce sont des transports de qualité, nous demandons une nouvelle fois le retrait de cette proposition de loi inefficace et rétrograde, en contradiction totale avec nos principes républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Thierry Mariani, ministre. Madame Bruguière, comme vous l’avez affirmé, cette proposition de loi est effectivement un texte indispensable qui répond aux demandes et aux préoccupations de nos concitoyens.
Comme vous en avez souligné la nécessité, monsieur Fortassin, il est essentiel de reconnaître le droit à une information fiable et précise des passagers du transport aérien. Ce texte organise bien un service garanti aux passagers et non un service minimum imposé aux salariés. C’est bien pourquoi la proposition de loi vise l’ensemble des entreprises qui concourent directement au transport aérien de passagers.
Monsieur Labbé, ce texte n’est pas un simple affichage politique pour contourner le droit, notamment le droit de grève, auquel je suis, comme l’ensemble des membres de cette assemblée, attaché.
Il n’ouvre en rien le droit à un encadrement généralisé du droit de grève pour tous les salariés.
Il ne s’agit pas davantage, monsieur Le Menn, de soumettre à l’obligation de déclaration individuelle d’intention l’ensemble des salariés du transport aérien : sont concernés simplement ceux dont l’absence est de nature à empêcher directement la réalisation des vols.
Monsieur Labbé, s’agissant d’Air Méditerranée, le Gouvernement a diligenté deux enquêtes visant à s’assurer de la légalité du plan de sauvegarde de l’emploi.
Pourquoi cette compagnie aérienne est-elle en difficulté ? C’est très simple. Avant les événements du « printemps arabe », il y avait, durant l’été, une cinquantaine de vols par semaine à destination de la Tunisie et de l’Égypte ; il n’y en a eu que deux cette année ! Si vous connaissez un moyen pour faire partir massivement les vacanciers Français en Tunisie et en Égypte et pour sauver la compagnie, dites-le nous !
Malheureusement, mesdames, messieurs les sénateurs, il arrive que les compagnies aériennes soient confrontées à des situations exceptionnelles en raison d’événements fortuits.
Je l’ai dit, avec ce texte, nous ne cherchons pas à jeter le discrédit sur les organisations syndicales. Comme M. Capo-Canellas l’a fait remarquer avec raison, notre objectif est non pas de diviser, mais d’apaiser.
Madame David, monsieur Le Menn, les rapporteurs du projet ont mené de nombreuses consultations avec l’ensemble des partenaires sociaux. Pour avoir été parlementaire pendant dix-sept ans, j’ai beaucoup de mal à comprendre votre argumentation sur l’initiative parlementaire et les propositions de loi. Franchement, si demain il est interdit d’avoir recours à des textes d’origine parlementaire, ce sera la paralysie et vous en serez vous aussi victimes !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Tout est dit !
M. Thierry Mariani, ministre. Avec ce texte, les entreprises pourront connaître à l’avance l’état de leur effectif disponible. À une époque où nos compagnies aériennes sont dans une situation fragile et doivent évoluer dans un environnement très fortement concurrentiel, nous avons peut-être trouvé là un moyen parmi d’autres de favoriser le développement.
Madame Pasquet, vous et les vôtres avez condamné en 2007, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, le service minimum dans les transports ferroviaires. Je constate qu’une partie de la gauche est prête à conserver ce dispositif si elle était, par un hasard malheureux, élue. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Claude Dilain. Pas par hasard !
M. Thierry Mariani, ministre. Ce qui prouve que vous êtes aujourd’hui désavoués par vos propres amis !
Cette proposition de loi va être adoptée et je suis convaincu que la gauche s’empressera de ne pas y toucher le jour lointain où elle sera de retour aux affaires ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Le Cam. Vous n’aurez pas longtemps à attendre !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme David et M. Jeannerot, au nom de la commission, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, de son règlement, le Sénat,
Considérant que, au nom du droit à l’information des passagers, la présente proposition de loi a pour conséquence de limiter l’exercice du droit de grève dans les entreprises de transport aérien de passagers ;
Considérant qu’en imposant à un très grand nombre de salariés du secteur du transport aérien de déclarer quarante-huit heures à l’avance leur intention de faire grève, elle n’organise pas une conciliation équilibrée entre ce droit constitutionnellement protégé et des impératifs concurrents à la portée mal définie ;
Considérant que l’obligation pour tout salarié d’informer, vingt-quatre heures à l’avance, son employeur de son souhait de poursuivre ou reprendre le travail sera inopérante dans le secteur aérien, la multiplicité des acteurs concernés ne permettant pas de rétablir le service au niveau initialement prévu ;
Considérant que le texte ne règle en rien les véritables problèmes qui sont sources de tension sur les plates-formes aéroportuaires, et notamment les conditions de travail déplorables de certaines catégories de personnels et le manque de considération dont ils font l’objet ;
Considérant que cette proposition de loi a été examinée dans la précipitation, à moins de trois semaines de la fin de la session parlementaire, afin de paraître répondre à une prétendue urgence médiatique ;
Considérant que l’Assemblée nationale n’a pas fait jouer son protocole de consultation des partenaires sociaux alors que ce texte porte avant tout sur les droits sociaux des salariés ;
Considérant qu’après l’échec de la commission mixte paritaire, l’Assemblée nationale a confirmé, en nouvelle lecture, les orientations du texte d’origine sans tenir compte des observations du Sénat ;
Décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 428, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme la présidente de la commission.