Sommaire
Présidence de M. Jean-Léonce Dupont
Secrétaires :
M. Jean Boyer, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
2. Conventions fiscales avec l'île Maurice, l’Arabie Saoudite et l’Autriche. – Adoption définitive de trois projets de loi dans le texte de la commission
Discussion générale commune : M. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes ; Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances.
Mme Leila Aïchi, MM. Éric Bocquet, Yvon Collin.
Clôture de la discussion générale commune.
Adoption définitive des articles uniques des trois projets de loi.
3. Mécanisme de stabilité pour les États de la zone euro. - Mécanisme européen de stabilité. – Discussion en procédure accélérée de deux projets de loi
Discussion générale commune : M. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes ; Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances ; MM. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères ; Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes ; Philippe Marini, président de la commission des finances.
MM. Jean-Vincent Placé, Éric Bocquet, Jean-Michel Baylet, Richard Yung, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
4. Décision du Conseil constitutionnel
5. Mécanisme de stabilité pour les États de la zone euro. - Mécanisme européen de stabilité. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption définitive de deux projets de loi
Discussion générale commune (suite) : MM. Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Chevènement, Jean Bizet, Aymeri de Montesquiou.
M. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes.
Clôture de la discussion générale commune.
mécanisme de stabilité pour les états de la zone euro
Motion n° 1 de Mme Éliane Assassi. – Mmes Éliane Assassi, Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances ; M. le ministre. – Rejet par scrutin public.
M. Pierre-Yves Collombat, Mme Catherine Morin-Desailly.
Adoption définitive, par scrutin public, de l’article unique du projet de loi.
mÉcanisme europÉen de stabilitÉ
Motion n° 1 de Mme Éliane Assassi. – Mmes Éliane Assassi, la rapporteure générale, M. le ministre. – Rejet par scrutin public.
M. Éric Bocquet, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx
Adoption définitive, par scrutin public, de l’article unique du projet de loi.
6. Conventions internationales. – Adoption définitive de six projets de loi en procédure d'examen simplifié dans le texte de la commission
Accord avec les Comores instituant un partenariat de défense. – Adoption définitive du projet de loi
7. Conseil national des communes « Compagnon de la Libération ». – Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : MM. Marc Laffineur, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants ; Jacques Gautier, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Suspension et reprise de la séance
8. Débat préalable au Conseil européen des 1er et 2 mars 2012
MM. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes ; Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes ; Daniel Raoul, président de la commission de l'économie.
M. Jean Arthuis, Mme Michelle Demessine, MM. Jean-Pierre Chevènement, Jean Bizet, André Gattolin, Alain Richard, Richard Yung, Jacques Mézard, Yvon Collin.
M. le ministre.
Mme Marie-Noëlle Lienemann, M. le ministre.
MM. Yves Pozzo di Borgo, le ministre.
MM. Jean-Yves Leconte, le ministre.
9. Conseil national des communes « Compagnon de la Libération ». – Suite de la discussion et adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale (suite) : MM. Jean Boyer, Alain Néri, Mme Michelle Demessine, MM. Robert Tropeano, André Gattolin, René Beaumont, Jacques Chiron.
Clôture de la discussion générale.
Adoption définitive de l’ensemble de la proposition de loi.
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Boyer,
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Conventions fiscales avec l'île Maurice, l’Arabie saoudite et l’Autriche
Adoption définitive de trois projets de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de trois conventions fiscales tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, adoptées par l’Assemblée nationale :
- entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’île Maurice (projet n° 181, texte de la commission n° 296, rapport n° 294) ;
- entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume d’Arabie saoudite (projet n° 182, texte de la commission n° 295, rapport n° 294) ;
- et entre la République française et la République d’Autriche (projet n° 183, texte de la commission n° 293, rapport n° 292).
La conférence des présidents a décidé que ces trois projets de loi feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. Jean Leonetti, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, nous soumettons aujourd’hui à votre approbation trois avenants à des conventions bilatérales tendant à éviter les doubles impositions. Ils visent à permettre l’échange de renseignements en matière fiscale entre la France et, respectivement, l’Arabie saoudite, l’Autriche et l’île Maurice.
Ces accords mettent en place un cadre juridique général qui permettra un échange de renseignements effectif et sans restriction, notamment par la levée d’un éventuel secret bancaire. Ils sont tous conformes aux standards internationaux en matière de transparence et d’échange d’informations fiscales, en particulier au modèle élaboré par l’OCDE en 2008.
Je tiens également à vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, que, lors des négociations, la France a pris toutes les précautions nécessaires pour garantir la mise en application effective et rapide de ces accords. Pour l’avenant franco-autrichien, par exemple, nous avons attendu que l’Autriche ait adopté les mesures nécessaires de droit interne permettant aux autorités fiscales d’accéder aux informations bancaires des établissements de crédit.
En outre, l’Autriche et l’île Maurice ont déjà été évaluées lors de la « revue » par les pairs du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales et ont reçu des avis positifs.
Je souhaiterais insister aussi sur le fait que ces accords sont une étape nécessaire à la mise en place d’un véritable dispositif de lutte contre les pratiques fiscales dommageables. Ils viennent en effet compléter le réseau conventionnel de la France en la matière, qui est l’un des plus denses au monde.
Sur le plan bilatéral, la France est l’un des pays les plus proactifs, avec plus d’une quarantaine d’accords relatifs à l’échange de renseignements fiscaux signés à ce jour.
La France s’est par ailleurs dotée de sa propre « liste noire » d’États et territoires non coopératifs. Ces derniers sont soumis à des sanctions fiscales lourdes, telles que le refus d’accorder aux sociétés françaises le bénéfice du régime mère-fille pour leurs filiales situées dans ces territoires.
Sur le plan multilatéral, la France a opté pour une politique dynamique et ambitieuse. La revue par les pairs du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales est présidée par M. François d’Aubert, délégué général à la lutte contre les paradis fiscaux. Ce mécanisme d’évaluation permet d’apprécier la réalité des engagements pris par les États, qu’ils soient membres de cette instance ou pas. Les résultats de ces évaluations ont d’ailleurs été repris par le Président de la République lors de son discours de clôture du G 20 à Cannes, à l’occasion duquel il a exhorté les onze États n’ayant pas réussi la première phase de l’examen par les pairs à se mettre au plus vite en conformité avec les standards internationaux.
Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’approbation et l’entrée en vigueur de ces accords constituent une étape importante qui permettra au Gouvernement et aux instances multilatérales chargées de ces questions d’évaluer concrètement les progrès accomplis par les pays concernés. La conclusion de ces trois accords représente une avancée non négligeable dans la lutte contre les pratiques fiscales dommageables.
Telles sont, monsieur le président, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appellent les accords faisant l’objet des projets de loi aujourd’hui proposés à votre approbation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale de la commission des finances.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des finances a adopté, le 25 janvier dernier, trois projets de loi visant à approuver des avenants à des conventions fiscales de suppression des doubles impositions conclus entre la France et, respectivement, l’Arabie saoudite, l’Autriche et l’île Maurice.
Je comprends les interrogations de nos collègues communistes au sujet des quarante-neuf accords fiscaux relatifs à l’échange de renseignements examinés par notre assemblée ces trois dernières années, interrogations qui les ont conduits à demander l’inscription à l’ordre du jour de notre débat d’aujourd’hui.
L’évaluation de l’efficacité du réseau conventionnel doit être l’une de nos préoccupations majeures et permanentes. Au-delà du présent débat, l’initiative du groupe CRC de demander la constitution d’une commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, présidée par Philippe Dominati et dont Éric Bocquet est le rapporteur, était bienvenue.
Je présenterai brièvement l’économie de ces accords et leurs enjeux avant de revenir plus largement sur l’efficacité de la politique conventionnelle française, qu’il est important de mesurer au terme du mandat présidentiel et de la législature.
Les trois accords, qui ont été conclus avec des États qui semblent n’avoir pas grand-chose en commun, ont pour objet d’imposer à l’île Maurice, à l’Arabie saoudite et à l’Autriche une obligation de transmission des renseignements conforme aux derniers standards de l’OCDE.
En effet, la rédaction actuelle des conventions franco-mauricienne et franco-autrichienne, conclues respectivement en 1980 et en 1993, n’exige pas de ces pays qu’ils communiquent des informations détenues par une banque. Ces États peuvent également s’opposer à une demande de renseignements qui ne présenterait pas d’intérêt national propre pour l’application de leur fiscalité. Une fois ratifiées les conventions ainsi amendées, ces refus seront interdits.
Quant à la convention franco-saoudienne, elle ne contient pas à ce jour de clause d’échange de renseignements ; le présent accord a vocation à y remédier.
Si les clauses d’échange de renseignements sont similaires et conformes au modèle de l’OCDE, notre commission s’est interrogée sur les enjeux de leur ratification.
Tout en constituant un certain progrès, la mise en conformité de l’avenant autrichien n’a qu’une portée mineure en termes de lutte contre l’opacité fiscale. Je rappelle que le vecteur principal de la diffusion de la transparence fiscale est l’échange automatique, et non l’échange sur demande.
Quant aux avenants signés avec l’Arabie saoudite et l’île Maurice, ils marquent une étape formelle de définition des conditions de la coopération fiscale.
Nous avions eu l’occasion, lors de l’examen du projet de loi visant à ratifier la convention signée avec le Panama, de contrôler la réalité du lien conventionnel qui se nouait. En effet, la ratification demandée intervenait avant l’évaluation du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales de l’OCDE, qui permet généralement de confirmer la capacité normative du pays concerné à échanger des renseignements. En toute logique, nous avions donc en l’occurrence conclu négativement, puisque l’examen concernant Panama n’était pas achevé.
La situation est différente s’agissant de l’île Maurice, puisque le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales a confirmé, certes au terme de deux examens, que ce pays disposait bien d’un cadre juridique suffisant pour coopérer.
Quant à l’Arabie saoudite, il est vrai que le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales ne s’est pas encore prononcé. Cependant, force est de constater que la convention actuelle qui nous lie à cet État ne l’oblige nullement à échanger des renseignements. De surcroît, la ratification de l’avenant n’entraînera pas la radiation de l’Arabie saoudite de la liste des États et territoires non coopératifs puisqu’elle n’y figure pas.
C’est bien là toute la différence entre le refus de ratifier la convention avec le Panama qu’avait exprimé le Sénat et l’autorisation des avenants conclus avec l’île Maurice et l’Arabie saoudite.
La ratification de l’accord avec le Panama devrait emporter prochainement la radiation de ce pays de la liste française et donc la levée des sanctions fiscales, tandis que, en l’espèce, aucune radiation de la liste française n’est en jeu. Au contraire, les présentes ratifications permettent de renforcer les obligations d’assistance fiscale. En revanche, en l’absence de coopération, nous veillerons à ce que ces pays soient inscrits sur notre liste.
Mais, au-delà de ces trois avenants, il faut apprécier l’efficacité de la « politique de négociation sans frontières » menée depuis plus de trois ans.
Tout d’abord, monsieur le ministre, l’opacité des informations disponibles ne permet pas au Parlement d’être suffisamment informé sur le phénomène contre lequel nous luttons.
Nous attendons toujours le « jaune » budgétaire dressant un bilan du contrôle des filiales détenues à l’étranger par les entreprises françaises qui devait accompagner le projet de loi de finances pour 2012. Le Gouvernement devait nous transmettre des éléments tangibles d’évaluation, tels que le nombre de réponses à nos demandes d’assistance.
Monsieur le ministre, je ne me lasse pas de poser cette question : quand disposerons-nous de cette annexe ? Je rappelle que la loi de finances pour 2011, qui l’a créée, précise que le bilan ainsi dressé doit permettre « d’actualiser la liste nationale des territoires non coopératifs ».
Cela m’amène à vous interroger également sur la date de publication de la liste nationale, qui doit être mise à jour annuellement à compter du 1er janvier, ainsi que sur les États qui en seront radiés ou y seront inscrits.
En ces domaines, l’information du Parlement est soit rare, soit tardive, quelquefois les deux à la fois ! Le bilan relatif au réseau conventionnel de la France en matière d’échange de renseignements, dressé dans une autre annexe au projet de loi de finances, ne nous est parvenu que récemment, avec près de quatre mois de retard.
Sur le fond, ce bilan est inquiétant : le taux de réponse aux demandes françaises de renseignements est de 30 %, et la plupart des éléments fournis étaient déjà connus de nos services. Il ne marque aucun progrès et révèle les limites de cette politique conventionnelle.
Pour aller plus loin, il faudrait notamment envisager que les obligations déclaratives des entreprises soient renforcées et que les manquements soient plus fermement condamnés. Je le dis tout particulièrement à l’intention du rapporteur de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, ici présent.
Par ailleurs, il n’est nul besoin de s’évader dans un paradis lointain pour constater que certains de nos voisins continuent d’avoir des pratiques fiscales dommageables. Je l’ai déjà évoqué : la voie la plus efficace vers la suppression de telles stratégies nationales est l’échange automatique d’informations, a fortiori, monsieur le ministre, au sein de l’Union européenne !
La directive « Épargne » de 2003 prévoit un tel mécanisme entre les États membres. Cependant, son champ est trop restreint quant aux personnes et aux produits visés. L’opposition à sa révision du Luxembourg et de l’Autriche, bénéficiaires d’un mécanisme transitoire de retenue à la source en lieu et place de l’échange automatique d’informations, doit être surmontée ; nous attendons que la France rouvre ce chantier.
Le blocage s’appuie sur la conclusion, avec l’Allemagne et le Royaume-Uni, des accords dits « Rubik ». Ces derniers permettent à la Suisse de maintenir le secret bancaire, en contrepartie d’un impôt libératoire prélevé sur les avoirs allemands et anglais détenus dans les banques suisses.
Là encore, le Parlement n’a reçu que très récemment le rapport sur les avantages et inconvénients de ces accords, alors qu’il devait nous être remis avant le 1er décembre dernier.
Ce rapport conclut que la mise en œuvre d’un tel accord « procurerait une rentrée budgétaire aléatoire », estimée à 1 milliard d’euros pour la seule régularisation des avoirs, mais qu’elle « amputerait la capacité de contrôle de [notre] administration ». Un tel accord serait enfin « peu compatible avec nos principes républicains » – en particulier celui du consentement à l’impôt – « et avec nos engagements, tant européens qu’internationaux ».
Il faut donc faire prévaloir le point de vue selon lequel la possibilité de retenue à la source qui est aujourd’hui prévue par la directive « Épargne » a vocation à disparaître. Cette possibilité n’est que transitoire et ne saurait être considérée comme durablement équivalente à l’échange automatique, contrairement à ce qu’affirme le Luxembourg.
L’occasion de réviser la directive se représentera certainement. À court terme, certains facteurs bloquants pourraient être surmontés : d’une part, des interrogations demeurent sur la conformité au droit européen des accords « Rubik », que la Commission européenne examine actuellement de manière approfondie ; d’autre part, la ratification de l’accord « Rubik » concernant l’Allemagne rencontre dans ce pays même des oppositions qui ne manqueront pas de grandir ; enfin, la réglementation américaine dite « FATCA » – Foreign Account tax compliance act –, laquelle prévoit un échange automatique d’informations sur tous les comptes détenus par des contribuables américains dans le monde, sera appliquée dès le 1er janvier 2013.
À ce jour, nous ne connaissons pas l’impact de cette réglementation, dont la mise en œuvre est en marche puisque, eu égard au coût qu’elle engendrera éventuellement pour les groupes bancaires, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne et les États-Unis ont publié, le 8 février dernier, une déclaration commune sur ce sujet. Ces États sont convenus d’explorer une approche commune pour la mise en œuvre de la réglementation FATCA, ainsi qu’une réciprocité fondée sur les conventions bilatérales existantes.
À cet égard, monsieur le ministre, où en sont les démarches pour permettre la transmission des informations au fisc américain par les autorités administratives plutôt que directement par les établissements ? En quoi consisteraient les adaptations de cette réglementation pour les établissements financiers, les clients ou les produits ? Quels éléments vous permettent de penser que les Américains accepteraient de se soumettre aux règles qu’ils imposent aux établissements financiers non américains, conformément au principe de réciprocité ?
En tout état de cause, la réglementation FATCA peut constituer un vecteur mondial de la diffusion de l’échange automatique d’informations et s’oppose directement à la logique de conservation du secret bancaire des accords « Rubik ». Des mesures favorables à la transparence fiscale peuvent donc nous arriver d’outre-Atlantique : saisissons-nous-en !
J’observe d’ailleurs que si la Suisse envisage de présenter d’ici à septembre des mesures destinées à atténuer son image en matière d’évasion fiscale, elle n’accepte toujours pas le principe de l’échange automatique et continue de promouvoir la conclusion d’accords de type Rubik.
Dans ces rapports de force où des intérêts puissants s’affrontent, il importe que la France joue tout son rôle pour faire prévaloir la cause de la transparence et de l’échange automatique d’informations. « Les paradis fiscaux, c’est fini », avait déclaré le Président de la République. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
M. Éric Bocquet. Eh oui !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je sais bien que la lutte contre les paradis fiscaux n’est plus à ses yeux une priorité, mais je tenais à rappeler cette annonce !
L’approbation des trois projets de loi que nous examinons aujourd'hui doit nous conduire à demeurer vigilants. Je le répète : l’efficacité des accords que nous signons est conditionnée par la capacité normative des États à coopérer et leur volonté politique de le faire.
Or, force est de constater que, à côté des portes que nous offre la convention de l’OCDE, demeurent de trop nombreuses fenêtres ouvertes, qu’il nous faudra fermer une à une avant que l’on puisse affirmer qu’il n’existe plus de paradis fiscaux. Autrement dit, nous avons du travail devant nous…
M. Yvon Collin. Oh oui !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. En conclusion, sous réserve des observations précédentes, la commission des finances vous propose d’adopter les présents projets de loi visant à approuver les avenants aux conventions fiscales avec, respectivement, l’île Maurice, le Royaume d’Arabie saoudite et la République d’Autriche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. François Marc. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure générale, mes chers collègues, « les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est terminé », affirmait Nicolas Sarkozy le 23 septembre 2009.
M. François Marc. Eh oui !
Mme Leila Aïchi. Pourtant, la dernière étude du réseau Tax justice network, publiée le 4 novembre 2011, estime à soixante-treize le nombre d’États répondant aux critères de définition des paradis fiscaux. La lutte contre l’évasion fiscale est donc toujours d’actualité.
Mais, de la part de l’actuel Président de la République,…
M. Jean-Louis Carrère. Du « candidat sortant », voulez-vous dire !
M. Charles Revet. Il est toujours Président de la République !
Mme Leila Aïchi. … ce type de déclaration hâtive et sans réel fondement n’a rien de surprenant ; nous y sommes désormais habitués…
La définition des paradis fiscaux du Tax justice network s’appuie sur de nombreux paramètres, tels que l’existence de politiques anti-trusts ou la sincérité dont font preuve les États en matière de coopération contre le secret bancaire.
Ainsi, la lutte contre les paradis fiscaux doit faire l’objet d’une politique globale et ne s’arrête pas à la ratification d’une liste de conventions, contrairement à ce qu’a voulu nous faire croire l’actuel Président de la République en faisant adopter des mesures de façade dans le cadre du sommet du G20 de Londres, en 2009.
Ce sommet avait donné lieu à l’établissement par l’OCDE de trois listes, permettant de classer les pays selon leur degré de coopération en matière de lutte contre la fraude fiscale : une liste noire recensait les États qui refusaient de respecter les règles ; une liste grise regroupait les pays qui, sans appliquer les nouvelles règles, promettaient de s’y conformer à l’avenir ; une liste blanche distinguait les États les plus vertueux.
La condition à remplir pour passer de la liste grise à la liste blanche était simple : il suffisait, pour un État, de renégocier les conventions le liant à certains de ses voisins, au moyen d’accords l’engageant à transmettre des renseignements bancaires aux autorités qui le demandent en cas de soupçon d’évasion fiscale.
Quelle audace il a dû falloir à M. Sarkozy et au G20 pour mettre en place un dispositif aussi contraignant ! Il est tellement contraignant qu’il suffit qu’un État signe douze accords de ce type pour sortir de la liste grise… C’est ainsi qu’en septembre 2009 le Gouvernement monégasque avait pu être blanchi par la signature d’accords de transparence fiscale avec douze États, dont l’Andorre, l’Autriche ou les Bahamas –eux-mêmes inscrits sur la liste grise –, mais aussi la France.
Pour ne pas cautionner ce qui s’apparente à un véritable blanchiment des paradis fiscaux, la majorité sénatoriale avait refusé, à la fin de l’année dernière, d’approuver la signature d’un tel accord avec le Panama, par exemple.
La situation est différente pour les avenants qui nous sont soumis aujourd’hui, puisque l’Autriche, l’Arabie saoudite et l’île Maurice ne figurent pas sur la liste française des États non coopératifs et ne peuvent donc pas, en l’état actuel des choses, être soumis à des sanctions spécifiques. Ainsi, nous suivrons les recommandations de la rapporteure générale, en partant du principe que, la signature de ces avenants n’entraînant la radiation d’aucune liste, nous n’avons rien à perdre à approuver l’adoption de ces trois textes.
Concernant le Royaume d’Arabie saoudite, l’adoption d’un tel avenant est d’autant plus utile et légitime que la convention actuelle ne comprend pour l’heure aucune clause d’échange de renseignements.
S’agissant de la convention qui nous lie à la République d’Autriche, l’avenant vise à permettre un échange automatique de renseignements. Un tel mécanisme est censé être garanti par la directive « Épargne » de 2003, mais il ne s’applique pas aux sociétés, ce qui limite considérablement son effet. Cette disposition bilatérale nous apparaît donc comme un pis-aller, dans l’attente de la révision – qui semble de plus en plus compromise – de la directive européenne.
Si nous voterons en faveur de la signature de ces trois avenants, nous ne sommes toutefois pas dupes. Nous savons en effet que, sans garantie quant à l’efficacité des administrations fiscales, de telles dispositions resteront lettre morte.
Ainsi, l’évaluation du cadre juridique mauricien par le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales est globalement satisfaisante, mais de nombreuses améliorations restent à apporter, notamment concernant les renseignements relatifs aux trusts non résidants.
Par ailleurs, l’évaluation du système fiscal saoudien est en cours. C’est seulement quand les résultats seront publiés que nous pourrons porter un jugement mieux fondé sur l’opportunité de la coopération fiscale avec l’Arabie saoudite.
Mes chers collègues, je ne cache pas ma frustration de voter aujourd’hui des demi-mesures de lutte contre l’évasion fiscale, alors que tout reste à faire dans ce domaine.
Il est regrettable de faire reposer la politique de lutte contre le secret bancaire sur un réseau conventionnel d’échange de renseignements dont l’efficacité n’est pas garantie. En effet, Mme la rapporteure générale nous a alertés, à la fin du mois de janvier, sur la médiocrité du bilan de notre réseau conventionnel, le taux de réponse à nos demandes d’informations n’excédant pas 30 %. Nous ne pouvons pas nous contenter de cette politique conventionnelle pour lutter contre l’évasion fiscale.
Outre-Atlantique, le Congrès américain a adopté, en mars 2010, une loi sanctionnant les institutions financières étrangères qui ne faisaient pas preuve de coopération, communément appelée « FATCA ». Dès 2013, cette législation permettra au fisc des États-Unis d’obtenir des informations sur les résidents américains ayant des comptes à l’étranger. Les établissements bancaires qui refuseront de communiquer ces informations se verront taxés à hauteur de 30 % sur l’ensemble de leurs revenus locaux : voilà un véritable acte volontariste contre l’évasion fiscale !
Au sein même de notre administration, nous pouvons également actionner de nombreux leviers. Ainsi, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, la majorité sénatoriale avait adopté un amendement visant à ce que l’État prenne en compte, dans le choix des banques avec lesquelles il contracte, la situation de leurs avoirs issus de pays « non coopératifs », ainsi que leur politique de lutte contre le secret bancaire. Par ailleurs, l’amendement tendait à contraindre les banques contractant avec l’État à rendre compte annuellement du détail de leurs avoirs, pays par pays. Mais ce mécanisme de transparence, déjà mis en place par la région d’Île-de-France, a été rejeté par la majorité présidentielle, qui juge sans doute plus opportun de s’attaquer à la fraude sociale et au montant de l’indemnisation des chômeurs, par exemple, qu’aux pratiques d’évasion fiscale des plus riches… (MM. Yann Gaillard et Alain Gournac s’esclaffent.)
M. David Assouline. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. Elle a raison !
Mme Leila Aïchi. Il est vrai que lutter contre l’évasion fiscale, au risque de déplaire aux entreprises du CAC 40 et à nos grandes fortunes, demande un certain courage. Il est plus facile de s’attaquer à la fraude sociale et de dresser les Français les uns contre les autres !
Mes chers collègues, la lutte contre l’évasion fiscale n’en est qu’à ses débuts ; ne nous trompons pas de combat et donnons-nous les moyens de la mener. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis pour examiner trois avenants à des conventions fiscales liant la France à trois pays de nature en apparence fort différente.
Le premier d’entre eux est l’un de nos partenaires européens : l’Autriche, cette étrange nation où l’on compte six fois plus de comptes en banque que de résidents et qui, à l’instar du Luxembourg, semble bel et bien constituer, sous les dehors d’une prospérité de bon aloi, une forme de paradis fiscal en plein cœur de la zone euro.
Le deuxième est l’île Maurice, paradis des vacanciers relativement fortunés, pays qui, malgré la grande misère d’une bonne partie de sa population, tend de plus en plus à devenir non seulement une espèce d’arrière-cour des hommes d’affaires, singulièrement britanniques, mais aussi une plateforme offshore des services financiers dans l’océan Indien.
Le troisième est le féodal et arriéré royaume d’Arabie saoudite (Mme Nathalie Goulet proteste.),…
Mme Éliane Assassi. Il a raison !
M. Éric Bocquet. … avec ses millions d’immigrés affectés aux activités économiques assurant la fortune des clans familiaux qui mènent le pays depuis sa création, son absence totale de vie démocratique, la persistance de conditions d’exploitation de la main-d’œuvre relevant d’un autre temps.
Bref, si ces trois pays sont différents, ils présentent des caractéristiques communes, dont la moindre n’est pas d’apparaître comme de bons élèves d’une classe financière internationale où l’on affiche une volonté de transparence sans toujours lui donner le plus petit début de traduction concrète.
Ce n’est pas la première fois, mes chers collègues, que nous débattons de conventions fiscales internationales, en général fondées sur un avenant permettant d’assurer l’échange de renseignements. En ce qui nous concerne, nous tenons à exprimer les plus grandes réserves quant à l’adoption de telles conventions.
Nous sentons d’ailleurs, à la lecture du rapport de Mme la rapporteure générale, que l’examen des textes qui nous sont soumis aurait gagné à être encore plus approfondi. Les précautions de langage auxquelles elle recourt semblent montrer que nous restons éloignés de l’absolue et nécessaire transparence.
M. Francis Delattre. À quand les Soviets ?
M. Éric Bocquet. Mme Bricq nous a apporté les précisions suivantes en commission des finances :
« Deux annexes au projet de loi de finances pour 2012 devaient être transmises au Parlement, au moment de la discussion du budget : un bilan sur le contrôle des filiales détenues à l’étranger par les entreprises françaises ; ensuite, un bilan du réseau conventionnel français en matière d’échange de renseignements.
« Nous attendons toujours le premier. Il devrait nous livrer des éléments tangibles d’évaluation tels que le nombre de réponses à nos demandes d’assistance. La loi de finances pour 2011, qui a créé cette annexe, précise même que ce bilan doit permettre “ d’actualiser la liste nationale des territoires non coopératifs ”. Le second nous est parvenu avant-hier soir. Or il fournit des informations qui avaient été en partie communiquées dès le 24 novembre 2011 par Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement, lors de sa conférence de presse sur la fraude fiscale.
« Ce bilan est inquiétant : le taux de réponse aux demandes françaises de renseignements est de 30 %, dont la plupart des éléments fournis étaient déjà connus de nos services. Il ne marque aucun progrès et révèle les limites de cette politique conventionnelle. La ministre a, par ailleurs, renouvelé son constat lundi dernier sur une antenne privée et envisage de durcir les sanctions.
« La méthode est curieuse. Je rappelle que les sanctions s’appliquent automatiquement aux États qui figurent sur la liste. Pourquoi, d’un côté, durcir les sanctions si, de l’autre, la politique du Gouvernement consiste à vider la liste de nos États non coopératifs pour les sortir du champ même d’application de ces sanctions ?
« Ne serait-il pas plus judicieux d’attendre la mise en place des capacités administratives et juridiques à coopérer des territoires avant de signer, afin de ne pas être amené à radier un pays de la liste puis devoir l’inscrire à nouveau, une fois constaté l’échec de la coopération ? Pourquoi tant de hâte à signer ces accords fiscaux ? Quels sont les critères qui conduisent le Gouvernement à sélectionner un pays plutôt qu’un autre ? »
J’ai tendance à penser, mes chers collègues, que poser les questions soulevées par Mme la rapporteure générale revient à y répondre !
Quand on constate que les accords d’échange de renseignements débouchent sur un taux de réponse de seulement 30 % – et ce ne sont pas forcément des pays émergents ou en voie de développement à administration défaillante qui négligent de répondre, puisque les cas de la Belgique, de la Suisse et du Luxembourg sont directement évoqués –, on peut s’interroger sur l’intérêt de tels avenants et conventions fiscales !
Alléger quelque peu la liste des territoires et pays non coopératifs pose toute une série de problèmes. Non seulement nous donnons quitus à des pays aux administrations fiscales défaillantes et aux règles fiscales fondées en général sur un dumping déloyal du point de vue de la concurrence économique, mais surtout nous conférons l’onction de la légalité et de la régularité à toutes les méthodes et procédures utilisées par nos entreprises implantées dans ces pays et territoires pour y dissimuler des avoirs, des biens, y localiser des services, y optimiser des bénéfices…
C’est bien de cela qu’il s’agit, outre le fait qu’éviter la double imposition de revenus saoudiens profitera davantage au fils cadet d’un prince de la famille régnante qu’à un Philippin employé dans l’un de ses palais (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)…
Mme Éliane Assassi. C’est sûr !
M. Éric Bocquet. J’observerai d’ailleurs que si la rente pétrolière et gazière est très lourdement taxée en Arabie saoudite, il n’en va manifestement pas de même des revenus tirés de tout placement financier ou immobilier financé grâce aux profits engendrés par cette activité !
Pour l’ensemble de ces raisons, nous ne pouvons évidemment que voter contre les trois projets de loi qui nous sont soumis aujourd’hui. Leur objet est connu : faire entrer « au chausse-pied » les territoires et pays concernés dans la liste « blanche » de la finance globale et transparente. Cette évolution est d’ailleurs moins dans leur intérêt – même si, dans le cas de l’Arabie saoudite, le lien organique entre État et famille régnante est pour le moins solide ! – que dans celui de tous ceux qui, dans des pays comme le nôtre, cherchent à bénéficier d’un label de virginité pour couvrir leurs petites affaires menées sur place. Nous ne pensons pas que notre législation fiscale gagne beaucoup à se borner à assurer de petits arrangements entre amis, aux dépens de l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise financière a changé, semble-t-il, le regard de la communauté internationale sur les paradis fiscaux.
Alors que l’Organisation de coopération et de développement économiques tente d’attirer l’attention des dirigeants politiques sur la « concurrence fiscale dommageable » depuis la fin des années quatre-vingt-dix, ce n’est qu’après l’éclatement de la crise financière mondiale de 2008-2009 qu’une véritable prise de conscience de ce problème est intervenue.
À la suite du sommet du G20 de Londres, en avril 2009, l’OCDE a établi les fameuses listes « noire » et « grise » des États qui soit n’ont pas pris l’engagement de se conformer aux standards d’échange d’informations du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, soit ont pris un tel engagement mais ne l’ont pas encore concrètement mis en application. En conséquence de cette « stigmatisation » à vocation dissuasive, de vingt-trois accords d’échange de renseignements conclus en 2007, nous sommes passés à plus de sept cents depuis 2008.
Pourtant, force est de constater que, même si d’importants progrès ont été accomplis, la transparence fiscale s’avère, à l’évidence, toujours difficile à mettre en œuvre.
Alors que les conventions permettant l’échange de renseignements se multiplient et que les listes d’États non coopératifs, qu’il s’agisse de celles de l’OCDE ou de celles du Gouvernement français, se vident, l’engagement pris par certains États en matière de coopération fiscale n’est pas toujours suivi d’effet.
En effet, malgré la signature de conventions fiscales, il apparaît qu’un certain nombre de pays ne transmettent pas les renseignements demandés. Ainsi, comme l’a très bien souligné Mme Bricq, l’opacité, qui résulte le plus souvent de l’indisponibilité des informations, n’a pas encore été pleinement levée.
Certains États ne disposent pas de la capacité normative et administrative nécessaire au respect de leurs engagements. C’est d’ailleurs ce qui avait conduit la Haute Assemblée à rejeter, le 15 décembre dernier, la ratification de la convention fiscale avec la République de Panama. En effet, à quoi bon signer une convention d’assistance administrative avec un État dont on sait que son cadre normatif ne lui permettra pas de garantir l’effectivité de la coopération fiscale ? La signature d’un tel accord est d’autant plus discutable qu’elle a pour conséquence la radiation du pays concerné de la liste française des États et territoires non coopératifs.
Mme Pécresse a d’ailleurs reconnu les faiblesses de la coopération fiscale lors de sa conférence de presse du 24 novembre 2011 sur la fraude fiscale, en déclarant, à propos des conventions récemment entrées en vigueur, que « leur effectivité n’est pas encore suffisamment garantie, notamment parce que les éléments à réunir pour pouvoir interroger les administrations fiscales de ces pays sont nombreux, et la réactivité de ces administrations encore insuffisante ». Au cours de cette conférence de presse, Mme Pécresse a également admis que le taux de réponse aux deux cent trente requêtes formulées par la France en 2011 auprès de dix-huit États n’avait été que de 30 %.
Au travers du projet de loi de finances rectificative pour 2012, le Gouvernement a affiché sa volonté de lutter plus efficacement contre la fraude fiscale : les sanctions maximales ont été renforcées et une incrimination spécifique pour délit de fraude fiscale commis par l’intermédiaire d’un État ou territoire non coopératif a été créée.
Cette intention est tout à fait louable, cependant, pour lutter efficacement contre la fraude fiscale, il faut, monsieur le ministre, d’importants moyens. Or la lutte contre la fraude fiscale est actuellement affaiblie par la diminution des effectifs de l’administration fiscale et par l’inadaptation de notre système de contrôle fiscal aux évolutions rapides et complexes des formes de la fraude.
Par ailleurs, nous ne disposons d’aucun élément pour évaluer l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale par l’intermédiaire des paradis fiscaux. M’appuyant sur les travaux de Mme la rapporteure générale, je m’interroge avec elle sur la capacité de nos services fiscaux à contrôler les mouvements de fonds à l’échelon international.
En outre, dans son rapport annuel de 2012, la Cour des comptes a souligné, dans son analyse concernant notre cellule de renseignement financier chargée de la lutte contre le blanchiment, TRACFIN, que « l’articulation entre lutte contre la fraude fiscale et lutte anti-blanchiment » devait être renforcée.
J’en viens aux avenants aux conventions passées avec l’île Maurice, l’Arabie saoudite et l’Autriche que nous examinons aujourd’hui. Ils tendent à satisfaire aux standards récemment définis par l’OCDE en matière d’échange d’informations pour renforcer la transparence et à la volonté de la France de développer son réseau conventionnel destiné à lutter contre l’évasion fiscale.
La convention signée en 1982 avec l’Arabie saoudite ne comprend aucune clause d’échange d’informations. Celles qui nous lient à l’île Maurice et à l’Autriche en contiennent une, mais elle n’est pas conforme aux derniers standards internationaux. Il convenait donc de revoir ces conventions conformément au modèle de l’OCDE : tel est l’objet de ces trois avenants.
L’Autriche pouvait encore faire valoir son sacro-saint « secret bancaire » pour ne pas coopérer, mais elle a fait évoluer sa législation pour permettre la levée de ce dernier. L’avenant à la convention franco-autrichienne tend donc à actualiser les dispositions concernant l’échange d’informations pour tenir compte de l’interdiction d’invoquer le secret bancaire ou le manque d’intérêt fiscal national afin de ne pas coopérer. C’est là un progrès non négligeable.
Ces trois avenants vont donc dans le bon sens ; c’est pourquoi les membres de mon groupe voteront les trois projets de loi autorisant leur approbation. Cela étant dit, je m’associe à Mme Bricq pour insister sur la nécessité d’une évaluation claire et transparente de la politique conventionnelle française et de l’efficacité de la coopération fiscale, qui doit constituer une priorité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?…
La discussion générale commune est close.
convention fiscale avec l'île maurice
M. le président. Nous passons à la discussion de l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de l’île Maurice tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune.
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’île Maurice tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signé à Port-Louis, le 23 juin 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
Je rappelle que ce vote sur l’article unique a valeur de vote sur l’ensemble du projet de loi.
Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?...
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
convention fiscale avec l'arabie saoudite
M. le président. Nous passons à la discussion de l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume d’Arabie saoudite en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu, sur les successions et sur la fortune.
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume d’Arabie saoudite en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu, sur les successions et sur la fortune, signé à Paris le 18 février 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
Je rappelle que ce vote sur l’article unique a valeur de vote sur l’ensemble du projet de loi.
Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?...
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
convention fiscale avec l'autriche
M. le président. Nous passons à la discussion de l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification de l’avenant à la convention entre la République française et la République d’Autriche en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune.
Article unique
Est autorisée la ratification de l’avenant à la convention entre la République française et la République d’Autriche en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole), signé à Paris, le 23 mai 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
Je rappelle que ce vote sur l’article unique a valeur de vote sur l’ensemble du projet de loi.
Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?...
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
3
Mécanisme de stabilité pour les États de la zone euro. - Mécanisme européen de stabilité
Discussion en procédure accélérée de deux projets de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de la décision du Conseil européen modifiant l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en ce qui concerne un mécanisme de stabilité pour les États membres dont la monnaie est l’euro (projet n° 393, texte de la commission n° 396, rapport n° 395) et du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité instituant le mécanisme européen de stabilité (projet n° 394, texte de la commission n° 397, rapport n° 395).
La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. Jean Leonetti, ministre auprès du ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les textes qui vous sont soumis ont un objet simple : sauver la Grèce aujourd’hui, sauver l’Europe demain.
Mme Nathalie Goulet. Timeo Danaos…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … et dona ferentes !
M. Jean Leonetti, ministre. Depuis 2008, une crise sans précédent frappe le monde industrialisé. L’Union européenne a été particulièrement touchée, notamment les plus fragiles de ses membres : la Grèce, le Portugal, l’Irlande. Nous avons la responsabilité d’arrêter cet incendie qui peut atteindre l’édifice européen tout entier.
Il nous faut rétablir la confiance, la confiance mutuelle entre les États, la confiance en nous-mêmes, en faisant preuve de discipline et de solidarité.
C’est le choix du courage et de la responsabilité, face au monde de la finance dérégulée et à la fragilité d’un certain nombre d’États surendettés. La discipline, c’est la garantie que tous les États européens feront les efforts nécessaires pour résoudre la crise. La solidarité, c’est l’assurance que personne ne sera abandonné. Nous, États européens, partageons le même destin, appartenons à la même famille et défendons les mêmes valeurs de démocratie et de liberté. Cette union est profonde ; nous ne pouvons pas la laisser se défaire.
Avec la discipline et la solidarité, nous avons trouvé le juste équilibre, et plus encore l’équilibre juste.
Les deux textes sur lesquels vous êtes appelés à vous prononcer aujourd’hui concernent le Mécanisme européen de stabilité, le MES, qui constitue le volet « solidarité » de cet accord global, le « pare-feu » de la zone euro face aux attaques des marchés financiers. Plus encore que l’aide qu’il permettra de verser, c’est le message de confiance et d’unité qu’il porte qui est essentiel. « Ce n’est pas tant l’aide de nos amis qui nous aide que la confiance en cette aide », disait Épicure.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Il n’avait pas de problème d’austérité, lui !
M. Jean Leonetti, ministre. L’épicurisme a souvent été dévoyé de sa signification originelle : je vous rappelle qu’Épicure, face à la Méditerranée, se contentait d’un morceau de pain avec un peu d’huile d’olive et considérait que c’était là un plaisir droit. Revenons donc aux choses simples, mais aussi à l’Europe concrète.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je suis plutôt favorable aux stoïciens ! (Sourires.)
M. Jean Leonetti, ministre. Le premier projet de loi vise à la ratification de la décision du 25 mars 2011 par laquelle le Conseil européen est convenu de modifier l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Cette modification de l’article 136 contribuera à améliorer la sécurité juridique du Mécanisme européen de stabilité. Elle garantit la compatibilité de celui-ci avec la clause de non-renflouement figurant à l’article 125 du même traité.
Le second projet de loi permet d’autoriser la ratification du traité instituant le Mécanisme européen de stabilité, qui constituera en quelque sorte un fonds monétaire européen.
Le Mécanisme européen de stabilité est appelé à remplacer le Fonds européen de stabilité financière, le FESF, et le Mécanisme européen de stabilisation financière, le MESF. Il présente cependant des garanties supplémentaires : il s’agira d’une structure pérenne, d’une organisation financière internationale qui disposera d’une capacité de prêt maximale de 500 milliards d’euros reposant sur la garantie des États, ainsi que de 80 milliards d’euros de capital libéré. Notons qu’il a été convenu que la question du plafond global FESF-MES sera réexaminée lors du prochain Conseil européen.
La part de la France au capital du MES est d’environ 20 % : sa souscription s’élève à 142,7 milliards d’euros pour le capital autorisé et à 16,3 milliards d’euros pour le capital libéré. L’engagement de la France atteindra 6,5 milliards d'euros cette année. Voilà la preuve, s’il en était besoin, que la France, une fois de plus, s’engage clairement sur le chemin de la solidarité !
Les instruments d’intervention du Mécanisme européen de stabilité seront puissants et diversifiés.
Ils seront plus forts, puisque le MES pourra agir par des prêts directs, des lignes de crédit, l’intervention sur le marché primaire comme sur le marché secondaire, la recapitalisation d’institutions financières via des prêts aux États.
Ils seront aussi plus simples, puisqu’une procédure de décision en urgence a introduit la possibilité d’un recours à une majorité qualifiée de 85 %.
Ils seront enfin plus rapides, puisque le MES entrera en vigueur dès juillet 2012, et non pas en 2013, comme envisagé initialement.
Je voudrais maintenant répondre par avance, de manière argumentée et, si possible, sereine, à certaines critiques.
La première d’entre elles, c’est que le MES ignorerait la croissance. En fait, la croissance fait l’objet d’un autre dispositif, qui sera examiné lors du prochain Conseil européen : la discipline et la solidarité ont vocation à permettre de créer de la croissance et de l’emploi. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Les Grecs l’ont bien compris !
M. Jean Leonetti, ministre. Je rappelle au passage que 82 milliards d'euros ont été débloqués au bénéfice de l’emploi des jeunes et des petites et moyennes entreprises.
J’entends aussi dire que la discipline exigée serait insupportable. Il nous paraît logique que la mise en jeu du MES s’accompagne de l’instauration, par le pays concerné, de mécanismes correcteurs susceptibles de permettre un redressement de sa situation. Il doit y avoir un équilibre entre droits et devoirs : il ne doit plus y avoir de solidarité sans discipline, comme cela a pu être le cas dans le passé, quand la Grèce recevait 50 milliards d’euros en dix ans pour aboutir au résultat que l’on sait.
Mme Éliane Assassi. Où en est le peuple grec aujourd'hui ?
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Il se sent un peu floué !
M. Jean Leonetti, ministre. Il nous est par ailleurs reproché de mettre en place un mécanisme technocratique. Or il est contrôlé par les ministres des finances des États membres de la zone euro, qui ont la légitimité démocratique pour prendre des décisions.
J’entends également dire que la France aurait abandonné la Grèce. Je puis pourtant témoigner que, à Bruxelles, le ministre grec a salué l’action de la France, qui a réussi – tardivement, certes, au prix de beaucoup d’efforts – à convaincre l’ensemble de ses partenaires européens d’aider la Grèce, à hauteur de plus de 200 milliards d'euros, en effaçant une partie de la dette détenue par les créanciers privés.
On prétend enfin que le Mécanisme européen de stabilité ne serait qu’un pare-feu insuffisant. Je rappelle que le MES servira à défendre les pays endettés, en difficulté, contre la finance !
Mme Éliane Assassi. C’est la finance qui décide, aujourd'hui !
M. Jean Leonetti, ministre. Il ne suffit pas de désigner la finance comme l’ennemie qui s’attaque aux pays fragiles ou d’appeler à la solidarité sans contrepartie ni discipline : il s’agit d’assumer nos responsabilités et de dire si, oui ou non, nous sommes capables d’apporter une aide concrète à la Grèce en contrepartie d’un effort de discipline et de franchir une étape supplémentaire vers le fédéralisme européen ; il s’agit de créer un mécanisme propre à protéger les États des attaques des spéculateurs financiers ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Pierre-Yves Collombat. Ben voyons ! Certainement pas !
M. Jean Leonetti, ministre. Voilà quelques heures, le Bundestag a approuvé le nouveau plan d’aide à la Grèce, avec l’appui de l’opposition. En effet, les socialistes allemands savent qu’il faut défendre la Grèce pour défendre l’Europe, que le MES a pour objet de défendre les peuples contre la finance. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Robert del Picchia. Eh oui !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est ça, la responsabilité !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Ce n’est pas la meilleure des façons de le faire, hélas !
M. Jean Leonetti, ministre. Certes, la fébrilité due à l’approche des échéances électorales peut amener à choisir de suivre les consignes de son parti plutôt que ses convictions…
Mme Éliane Assassi. Pourquoi n’organisez-vous pas un référendum ?
M. Jean Leonetti, ministre. Où sont les héritiers de Delors, de Mitterrand, qui eux étaient capables d’avoir une vision d’une Europe solidaire et intégrée, de conjuguer la discipline et la solidarité en vue de franchir une étape supplémentaire dans la construction européenne ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est le seul parti socialiste en Europe à choisir de s’abstenir !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Ce sera le seul qui gagnera !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Perrette et le pot au lait… Attendez avant de vous répartir les places !
M. le président. Mes chers collègues, la parole est à M. le ministre et à lui seul !
M. Jean Leonetti, ministre. Je sais qu’un grand nombre d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, sur toutes les travées, pensent que nous devons instaurer une gouvernance économique de la zone euro pour faire face à la crise financière, pour défendre l’Europe et l’euro. Sur toutes les travées, des hommes et des femmes sincères pensent que nous devons passer à un stade supérieur d’intégration, afin de pouvoir lutter contre les marchés financiers et les spéculateurs, et que défendre la Grèce, au nom d’une certaine idée de l’Europe, est une obligation morale, économique et politique.
Je sais aussi que, sur toutes les travées, des hommes et des femmes pensent que la création du Mécanisme européen de stabilité est la démarche logique pour aller vers une Europe intégrée, une Europe plus forte.
Mme Éliane Assassi. Pas sur toutes les travées !
M. Jean Leonetti, ministre. J’espère que, tout à l’heure, personne ne se réfugiera dans une abstention coupable. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Caffet. Coupable de quoi ?
M. Jean Leonetti, ministre. Un jour, on demandera : qui a sauvé la Grèce de la faillite ? Qui a soutenu la création du Mécanisme européen de stabilité et permis le franchissement d’une étape supplémentaire vers une Europe intégrée, plus forte ? Serez-vous de ceux-là ou de ceux qui se seront réfugiés dans une abstention coupable ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UCR. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il faut renégocier !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Ce sont des éléments de langage !
M. David Assouline. C’est de la langue de bois !
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale de la commission des finances.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Monsieur le ministre, il s’agit ici non pas de la Grèce, mais du Mécanisme européen de stabilité. Je vous rappelle qu’au Sénat, chaque fois qu’il a été question d’apporter un soutien à la Grèce, le groupe socialiste a voté pour ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. On ne va pas se laisser donner des leçons par M. Leonetti !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Vous avez évoqué la position adoptée par nos camarades du parti social-démocrate d’Allemagne, le SPD. Or il existe une différence majeure entre l’Allemagne et la France : la Chancelière allemande négocie sur la base d’un mandat de son Parlement, auquel elle rend ensuite compte ; en France, le Parlement n’est pas consulté avant les négociations, ni informé après ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
À en croire certains propos que l’on vous prête, monsieur le ministre, les socialistes seraient désinformés et ignorants s’agissant du MES. J’espère que, à la fin de mon intervention, vous regretterez ces paroles.
Je voudrais dire d’emblée que je suis favorable au Mécanisme européen de stabilité.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est dans le programme de Hollande !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je suis favorable à ce que les États de la zone euro se dotent d’un instrument propre à apporter un soutien financier à un pays dont la situation menacerait celle-ci dans son ensemble, et je trouve normal que la discipline budgétaire soit la contrepartie de ce soutien. D’ailleurs, depuis le début de la crise, toutes les aides apportées par les Européens aux États en difficulté ont été assorties d’une conditionnalité.
Nous avons besoin d’un instrument susceptible d’aider les États en difficulté en raison de la nature même de la crise que traverse la zone euro.
Certes, les États fragilisés connaissent des déséquilibres macroéconomiques ou des crises de leur modèle de croissance, mais, en dehors de la Grèce, ceux qui ont perdu l’accès au marché des capitaux – le Portugal et l’Irlande – se trouvent dans cette situation parce qu’un mécanisme d’anticipation autoréalisatrice de hausse des taux s’est enclenché.
En d’autres termes, en dehors de toute rationalité, les conditions auxquelles ces États se finançaient sont devenues insupportables. Le FESF, avec tous ses défauts de taille, de structure financière, n’a pas réussi à endiguer ces réactions exagérées, pour ne pas dire plus, des marchés, les atermoiements des États ne l’y ayant pas aidé…
La Banque centrale européenne, intervenant à la limite de son mandat, a pris ses responsabilités pour contenir les évolutions des marchés. En un mot, elle a fait ce que n’ont pas fait les chefs d’État.
Le MES a vocation à clarifier les choses : les investisseurs sauront que la zone euro dispose d’un outil permettant d’honorer la dette de tous les États membres. Le risque disparaissant, il n’y aura plus de raison que s’enclenchent des spirales de hausses des taux. C’est pourquoi je suis favorable à l’instauration d’un tel instrument.
Quant à soumettre l’attribution des concours du MES à conditionnalité, cela n’a de sens que si l’on entend réussir à construire une véritable politique budgétaire européenne. Or tel n’est pas le cas aujourd'hui, on en conviendra.
Les déséquilibres macroéconomiques manifestés par certains États ont été rendus possibles par les faibles taux dont ils bénéficiaient depuis la création de l’euro, ce qui a conduit à la création de bulles. En effet, pour simplifier, depuis l’instauration de l’euro, les marchés ont consenti à tous les États les taux faibles accordés à la France et à l’Allemagne. C’est conforme à la logique d’une union monétaire, mais celle-ci était bancale. Lorsqu’il est apparu que toutes les conséquences d’une union monétaire n’avaient pas été tirées par tout le monde, la crise a éclaté. Pour leur part, les socialistes ont toujours réclamé la mise en place d’un gouvernement économique, au moins pour la zone euro.
Or la conséquence ultime de l’instauration d’une véritable union économique et monétaire, c’est un taux d’intérêt unique, la mutualisation des dettes publiques, avec les euro-bonds. Si nous voulons que les pays qui se financent dans de bonnes conditions acceptent de partager cet avantage avec ceux pour lesquels s’endetter coûte plus cher, il faut qu’ils aient l’assurance que la mutualisation des dettes ne se fera pas à leur détriment. Il faut donc que les États qui bénéficieraient de la mutualisation donnent des gages de sérieux économique.
Le sérieux économique est une exigence pour les États aidés, mais également pour ceux qui entendent éviter de devoir l’être un jour. À cet égard, l’engagement de François Hollande de respecter en 2013 l’objectif de solde arrêté par le Conseil européen, soit 3 % du PIB, prend tout son sens, de même que l’objectif qu’il a fixé d’atteindre l’équilibre en 2017.
La question qui se pose maintenant, mes chers collègues, est de savoir si cet instrument est bien conçu et si les conditions posées sont adaptées.
Sur l’instrument lui-même, le débat a été ouvert la semaine dernière, au Sénat, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2012, qui inclut les deux premières tranches de capital que la France versera au MES. Je rappelle que doter le fonds de capital est un choix judicieux, même s’il pèse, comme je l’ai démontré, sur notre déficit budgétaire.
Quant au mécanisme, je lui trouve deux limites.
La première tient à sa taille : 500 milliards d’euros. Je sais qu’elle sera rediscutée en mars, et j’ai bien noté que le ministre allemand des finances, M. Schäuble, a été obligé d’en convenir après le sommet des ministres de l’économie et des finances du G20 à Mexico, où une forte pression s’est exercée sur l’Allemagne. Quoi qu’il en soit, 500 milliards d’euros, c’est trop peu pour prévenir la contagion et le risque systémique qui ébranlerait la zone euro si demain l’Espagne, par exemple, était défaillante.
La solution la plus efficace serait de donner au MES une force de frappe accrue, à la mesure de la crise systémique que pourrait provoquer le défaut d’un État aussi important que l’Espagne, voire l’Italie. Cela étant, il est possible et souhaitable que l’Allemagne accepte d’additionner la force de frappe du MES et la capacité résiduelle du FESF ; la discussion se poursuivra sur ce point durant le mois de mars.
En tout état de cause, quel que soit le schéma retenu – je n’adresse pas de reproche au Gouvernement, parce que je sais qu’il partage cette analyse –, je pense qu’il faut que l’addition des capacités existantes – MES, FESF, effet de levier du FESF et FMI, avec ou sans augmentation des contributions des États extérieurs à la zone euro – atteigne un niveau permettant véritablement d’écarter les augmentations de taux liées à des anticipations autoréalisatrices.
La seconde limite, qui m’apparaît essentielle, c’est l’absence d’adossement du MES à la Banque centrale européenne.
Le Sénat avait été le premier, au début de septembre 2011, à formuler dans le débat politique français une proposition à ce sujet, sur l’initiative de M. Marini.
En cas de crise majeure sur les marchés obligataires souverains, le MES ne pourra pas trouver sur ces mêmes marchés les ressources qui lui seraient nécessaires. Ce débat est connu.
J’en viens maintenant à la conditionnalité.
Lorsque l’on se penche sur le plan de soutien à la Grèce, on est amené à s’interroger, monsieur le ministre, sur la logique économique qui peut le fonder. La Grèce va consentir des sacrifices économiques, sociaux, démocratiques pour mettre en œuvre un plan dont l’effet récessif sera tel que, à son issue, en 2020, la dette représentera encore, dans le meilleur des cas, 120 % du PIB, soit un niveau quasiment insupportable. Hier, au Bundestag, nos collègues du SPD ont d’ailleurs déclaré qu’il fallait se préparer à un troisième plan de soutien à la Grèce…
Surtout, je porte un jugement très sévère sur le choix qui a été fait de prévoir, dans un considérant du traité, que l’un des éléments de cette conditionnalité serait la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union économique et monétaire, le TSCG.
Ce choix est aberrant pour trois raisons.
Tout d’abord, ce considérant est à mes yeux une provocation – une déclaration d’intention des parties, en langage diplomatique –, puisqu’il n’a pas de valeur juridique.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. On nous dit que, pour l’Allemagne, ce point n’est pas négociable. Je demande à voir !
Mes chers collègues, si la stabilité de la zone euro dans son ensemble était menacée par la situation d’un État de grande taille tel que l’Italie ou l’Espagne – celle-ci a annoncé, la semaine dernière, qu’elle ne pourrait respecter sa trajectoire budgétaire compte tenu de la récession qui l’affectera en 2012 –, qui peut croire que l’Allemagne s’opposerait à l’intervention du MES, au seul motif que cet État n’aurait pas ratifié le TSCG ? Personne ! Votre argumentation ne tient pas debout : si la stabilité de la zone euro est réellement menacée, le MES interviendra, que le TSCG ait été ratifié par le pays concerné ou pas, et l’Allemagne l’acceptera.
Au demeurant, s’il s’agissait d’aider l’Espagne par le biais du MES, il faudrait que ce pays revoie sa « règle d’or », car elle n’est pas compatible avec le TSCG, dans la mesure où elle prévoit que le remboursement de la dette a la priorité sur les autres dépenses.
Une autre provocation tient au fait que les règles de discipline budgétaire qui figurent dans le TSCG sont déjà en vigueur, y compris leur volet répressif, depuis le 16 novembre, depuis que la réforme du pacte de stabilité et de croissance contenue dans le « paquet gouvernance » – le fameux « six pack » – a vu le jour, malgré, je le rappelle, l’opposition des socialistes au Parlement européen.
Mais le TSCG en rajoute en prévoyant l’obligation d’inscrire ces règles dans le droit national, « de préférence » dans la Constitution. La Chancelière allemande l’a fait et le Président de la République sortant prévoit de le faire s’il est réélu, comme l’indique son programme de campagne. Il s’agit là de considérations purement politiques ; il n’y en a pas d’autres !
Conditionner la mise en jeu du MES à la ratification et à l’application du TSCG montre bien que ce qui est recherché, c’est non pas la discipline budgétaire, puisque, qu’on le veuille ou non, elle est déjà inscrite dans le pacte de stabilité et de croissance, mais l’adhésion à une conception de la politique économique privilégiant l’austérité, au détriment de la croissance.
Si François Hollande est élu Président de la République, il pourra s’appuyer sur la légitimité que lui aura conférée le peuple français pour obtenir une modification de la teneur du lien entre les deux traités, en proposant de compléter le TSCG par des dispositions relatives à la croissance. Contrairement à ce que l’on a pu affirmer ici ou là, François Hollande sera en position de force. (M. le ministre rit.) Cela vous fait rire, monsieur le ministre, pourtant le sujet est grave…
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Que vaudrait, monsieur le ministre, un traité européen qui ne serait pas ratifié par la France ? Rien ! Mme Merkel le sait. Elle devra donc négocier avec la France, qui ne sera pas isolée,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il n’y a pas que la France et l’Allemagne !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. … car elle pourra être suivie par d’autres États et sera soutenue par la majorité du Parlement européen.
M. Francis Delattre. C’est incantatoire !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je le réaffirme, le TSCG sera renégocié après les élections, à la demande non pas de M. Hollande, mais de la Chancelière allemande.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est un vœu pieux !
M. Francis Delattre. La Chancelière à genoux !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. En outre, le lien de conditionnalité qui a été introduit entre le MES et le TSCG nuit à la crédibilité même du MES. J’irai même jusqu’à dire que l’attitude du Président de la République et de la Chancelière allemande est quelque peu irresponsable. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Je l’ai dit, la principale nouveauté apportée par le TSCG est l’inscription des règles existantes dans la Constitution. Or, dès que l’on touche à la Constitution, on ouvre des débats passionnés dans de nombreux États. On fragilise ainsi le message selon lequel, avec le MES, la zone euro pourrait honorer ses engagements en toutes circonstances. On nuit à la crédibilité de l’instrument, on écarte un peu moins sûrement le risque d’augmentation des taux par anticipation autoréalisatrice, sans rien gagner du point de vue de la discipline budgétaire : on perd sur les deux tableaux.
C’est au regard de ce risque de mise en péril d’un instrument essentiel que j’ai proposé à la commission des finances, qui m’a suivie, de recommander au Sénat de s’abstenir sur ces deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est tiré par les cheveux !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis quelques mois, la crise de la dette souveraine européenne s’accélère vertigineusement et les sommets de la dernière chance, mis en scène avec la dramaturgie qui s’impose, se succèdent.
C’est dans ce contexte agité que nous sommes appelés à nous prononcer aujourd'hui sur deux textes ayant de très lourdes implications non seulement pour nos finances publiques, mais aussi pour le devenir du projet européen.
J’évoquerai tout d’abord le recours à la procédure accélérée. Depuis le mois d’octobre, mes chers collègues, le Gouvernement l’a engagée pour pas moins de dix-neuf textes ! Et dire que la révision constitutionnelle de 2008 était censée revaloriser les droits du Parlement et améliorer les conditions du travail législatif…
En fait, il ne s’agit que de la dernière étape d’un processus qui a conduit à un évitement presque systématique du Parlement sur un sujet central et fondamental, celui de la gouvernance de la zone euro.
Nous sommes aujourd’hui devant un véritable « millefeuille » législatif, avec le pacte de stabilité et de croissance, les textes relatifs à la gouvernance économique et les traités signés en février, qui tous portent sur les mêmes sujets, sans que leurs dispositions ni leurs calendriers soient identiques.
La situation institutionnelle n’est pas non plus très claire : les parlements ont un droit de regard sur le droit communautaire dérivé, mais aucun sur la négociation des traités. Ainsi, le Parlement français n’a été ni informé ni consulté au cours du processus de négociation.
Dans la gouvernance future de la zone euro, qui peut dire aujourd’hui précisément quelle sera la place des parlements nationaux ?
Or quel est l’enjeu ? Il n’est pas technique, il est éminemment politique. Il s’agit de rien de moins que d’engager, à l’échelle européenne, une autre politique économique, non plus essentiellement fiscale et budgétaire, comme aujourd’hui, mais une politique d’investissement, de croissance et d’emploi, pour permettre à l’Europe de sortir de la crise. Mes chers collègues, cette question engage l’avenir et sa réponse devrait découler d’un grand choix de société, publiquement débattu et démocratiquement assumé.
Mais venons-en plus précisément aux deux textes qui nous occupent aujourd’hui. Mme la rapporteure générale a fort bien décrit leur objet : ils portent sur l’établissement d’une structure pérenne de réponse aux crises, une sorte de fonds monétaire européen destiné à remplacer le mécanisme provisoire du Fonds européen de stabilité financière. Ces deux textes ne sont en réalité que les deux premiers actes d’une séquence en trois temps, dont le dernier, encore à venir, soulève bien des questions.
Le premier acte, ce fut la révision de l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, décidée par le Conseil européen de mars 2011. Cette révision « simplifiée », dictée par l’urgence, n’en a pas moins conduit, de fait, à l’absence de convocation d’une convention où auraient siégé des parlementaires, ce qui est la procédure de révision « normale ».
Le deuxième acte, c’est la signature par les pays de la zone euro du traité établissant le Mécanisme européen de stabilité.
Le MES sera une instance de coopération intergouvernementale autonome de l’Union européenne, qui viendra en aide aux États de la zone euro en difficulté. Cette nouvelle institution financière internationale siégera à Luxembourg et disposera d’une capacité initiale de prêt de 500 milliards d’euros. La contribution de la France sera de 16,3 milliards d’euros, étalés sur cinq ans. Notre pays sera le deuxième contributeur après l’Allemagne, dont la participation sera supérieure à 20 milliards d’euros.
Bien sûr, nous ne demandons qu’à croire le Gouvernement – je le dis en souriant, monsieur le ministre ! –lorsqu’il nous affirme que c’est le bon remède à la crise.
Je m’interroge tout de même, je l’avoue, sur la capacité de résistance du MES si un « gros » pays de la zone euro venait, un jour que je souhaite ne jamais voir arriver, à faire défaut. Le fait que la BCE ait injecté en quelques jours 489 milliards d’euros de prêts aux banques – soit la capacité d’intervention prévue du MES ! – n’est-il pas la véritable explication de la détente récemment constatée sur les marchés ? (Mme Éliane Assassi acquiesce.)
Mais c’est naturellement, mes chers collègues, sur le dernier volet du triptyque que nous devons porter nos regards, même si nous n’en sommes pas formellement saisis aujourd’hui : je veux parler du traité à vingt-cinq sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, le TSCG.
Ce traité, monsieur le ministre, validé en marge du Conseil européen du 30 janvier dernier et qui doit être signé incessamment, nous est présenté comme la réponse juridique et politique à la crise de la dette souveraine au sein de la zone euro. En réalité, convenez-en, il s’agit d’un texte négocié en quelques semaines, en dehors de la méthode communautaire et sous la pression des partisans de la stricte orthodoxie budgétaire, qui ont obtenu, en échange de la solidarité financière avec les États en difficulté de la zone euro, le renforcement des mécanismes nationaux et supranationaux de contrôle des États signataires.
Ce traité consacre une doctrine « budgétariste » si stricte qu’elle étoufferait à coup sûr tout début de reprise économique. Son article 3 prévoit que « les budgets des administrations publiques seront à l’équilibre ou en excédent ». En cas de dérapage, « le mécanisme de correction sera déclenché automatiquement ». Je ne reviens pas sur le contrôle juridictionnel prévu pour vérifier le respect des engagements des États ; il a déjà fait couler beaucoup d’encre…
Ce traité pose aussi problème sur le plan du contrôle démocratique. Le Parlement européen n’est pas compétent s’agissant des politiques budgétaires, qui relèvent du domaine national. Certes, l’article 13 du projet de TSCG prévoit bien une conférence des représentants des commissions compétentes des parlements nationaux, afin de discuter des politiques budgétaires et des autres questions couvertes par ce traité. Mais en dehors de la possibilité de débattre, quels seront les pouvoirs de cette conférence sur les décisions intergouvernementales ou nationales ? Très concrètement, comment pourra-t-on justifier demain, aux yeux de nos concitoyens, des sacrifices dont ils n’auront pas débattu démocratiquement et qu’ils n’auront pas volontairement consentis ? C’est là un point très important.
Mes chers collègues, le projet européen ne saurait se définir en dehors des peuples, non plus qu’à l’aune du seul impératif de rigueur budgétaire ! La solution à la crise de l’Europe se trouve ailleurs, notamment dans des mesures en faveur de la croissance et de l’emploi. Au lieu de cela, le futur traité préempte les grands choix démocratiques que vont bientôt être amenés à faire les Français et entraîne l’Europe dans l’austérité généralisée.
Permettez-moi, pour conclure, de tenter de replacer nos débats dans une perspective plus géostratégique, en considérant les effets de la crise des dettes souveraines sur l’Europe et sa place dans le monde.
Aujourd’hui, nous avons besoin de plus d’Europe, ainsi que d’un projet économique et politique partagé qui, seul, nous permettra de peser sur les évolutions du monde. Il ne faudrait pas que l’Europe se délite et qu’elle éclate finalement par cercles concentriques successifs. Nous savons bien qu’il peut exister des rythmes différents, mais nous devons être attentifs à notre cohésion. Quelle articulation trouver entre les différents niveaux : l’Europe à vingt-sept, la zone euro à dix-sept, les signataires du nouveau traité, qui sont aujourd'hui vingt-cinq mais seront sans doute moins nombreux à l’arrivée ?
Plus globalement, le fait majeur de ce début du XXIe siècle est la fin du monopole occidental de la richesse et de la puissance. Le centre de gravité de la planète se déplace, lentement mais inéluctablement, vers l’Asie. Si nous n’arrivons pas à la résoudre, la crise européenne ne fera qu’accélérer le grand mouvement de rééquilibrage avec les pays émergents. La vraie question qui se pose est la suivante : quelle politique l’Europe entend-elle mener pour faire en sorte que ce rééquilibrage ne signe pas notre déclin ?
L’Union européenne reste encore aujourd’hui le deuxième moteur de l’économie mondiale, elle dispose d’atouts immenses. Mais, à l’heure de la mondialisation et de la montée en puissance des pays émergents, que sera demain la France sans une Europe forte, rassemblée, unie autour d’un projet économique et politique, pleinement consciente de son rôle dans le monde ?
En ce qui concerne l’euro, nous sommes passés tout près du naufrage et nous avons apporté un début de réponse.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est vrai !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. La crise actuelle doit nous offrir l’occasion d’aller plus loin, mais sans renier les fondements de notre modèle social européen, car ce n’est qu’en restant nous-mêmes que nous pourrons peser dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis, comme Mme la rapporteure générale, favorable au Mécanisme européen de stabilité.
M. Yann Gaillard. Bravo !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On peut s’arrêter là !
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. En effet, le Mécanisme européen de stabilité va constituer le filet de sécurité de l’Union européenne en cas de difficultés financières majeures pour un État membre de la zone euro.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Il va se substituer au Fonds européen de stabilisation financière, après avoir coexisté provisoirement avec lui.
Ce nouvel instrument apparaît après bien des tâtonnements. Au cours de deux années de gestation, le MES a vu son mode de fonctionnement et ses compétences largement modifiés. En même temps, le FESF passait du format d’une ambulance à celui d’un hôpital de campagne… (Sourires.)
Alors qu’il ne devait entrer en fonction qu’en juillet 2013, le Mécanisme européen de stabilité sera finalement opérationnel un an plus tôt. Cette accélération du calendrier vient souligner une nouvelle fois que la crise de la dette est loin d’être terminée. La situation de la Grèce, voire celles du Portugal et de l’Espagne, nous rappellent que les remèdes administrés depuis deux ans n’ont pas guéri les malades.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Tout à fait !
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Le risque de contagion est toujours là, avec, en toile de fond, la question de savoir jusqu’où on peut aller en matière de rigueur budgétaire sans que le remède ne devienne pire que le mal.
Les termes de l’équation sont connus : l’Union européenne n’accorde de financements que si les États concernés pratiquent des coupes claires dans les dépenses publiques, en augmentant parallèlement la pression fiscale ; or cette austérité paralyse la croissance et empêche l’enclenchement d’un cercle vertueux. C’est la quadrature du cercle ! Le FESF, aujourd’hui, et le MES, demain, sont là pour limiter les dégâts, mais ne constituent pas une solution au problème.
En effet, la relative modestie des moyens accordés à ces instruments limite par avance leur ambition. Le FESF et le MES répondent à une logique simple : celle du sauvetage, sans autre considération que d’éviter la banqueroute aux pays concernés. Il ne s’agit pas de permettre à ces États de renouer durablement avec la croissance, ni le FESF ni le MES n’en ont les moyens. Ont-ils même la crédibilité suffisante pour juguler une extension de la crise ? Que se passerait-il, par exemple, si la situation de l’Espagne s’aggravait ? Rappelons que la dette espagnole atteint aujourd’hui, à elle seule, 800 milliards d’euros. Le MES, avec 500 milliards d’euros seulement, peut-il constituer un pare-feu suffisant ?
Cette faiblesse des moyens contraste d’ailleurs avec l’allongement continu de la liste des fonctions dévolues au FESF et au MES : assistance financière à titre de précaution, contribution à la recapitalisation des banques, soutien sur le marché primaire, soutien sur le marché secondaire et, enfin, attribution de prêts classiques, à l’image de ceux qui ont été accordés à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal.
Monsieur le ministre, l’adoption formelle de la création du MES n’aura de sens, en réalité, que si elle s’accompagne, d’une manière ou d’une autre, d’une révision du plafond de 500 milliards d’euros.
À cet égard, on peut se demander s’il est bien souhaitable que le FESF cesse son activité dès la mi-2013, même s’il a été fragilisé par la dégradation de sa signature par Standard & Poor’s, le 16 janvier dernier.
Le texte qui nous est soumis ne nous offre pas les moyens de mettre en place une véritable politique de sauvetage et de relance. Prenons le cas de la Grèce, le plus dramatique : où sont les moyens qui permettraient d’aider ce pays sinistré à rebondir ? Le nouvel accord, comme le précédent, n’a vocation qu’à empêcher une faillite, sa contrepartie étant une austérité implacable.
Renforcer la force de frappe du MES, ce serait aussi se donner les moyens de mener une action plus positive, afin de permettre aux pays en grande difficulté de redresser leur économie en même temps qu’ils assainissent leur budget.
L’écueil est le suivant : comment demander aux États d’alimenter un peu plus cet instrument, alors que chacun de nos pays est engagé dans un effort de réduction de son déficit ? Cette difficulté devrait nous conduire à réfléchir à une évolution du rôle de la Banque centrale européenne. (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Absolument !
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. La BCE est la clé pour conférer au Mécanisme européen de stabilité une véritable crédibilité. Puisque le MES va disposer d’un capital fixe de 80 milliards d’euros, accordons-lui le statut d’institution spéciale de crédit. Il pourra ainsi accéder au guichet de la Banque centrale européenne et démultiplier sa capacité d’action.
La Banque centrale européenne est aujourd’hui notre meilleur vaccin pour éviter la contagion, et c’est même sans doute le seul dont nous disposions. Jusqu’à présent, malheureusement, nous ne l’avons pas utilisé, ou à dose trop faible.
En clair, il faut que la BCE joue pleinement le rôle de prêteur en dernier ressort qu’assume aujourd’hui la FED aux États-Unis.
Sur cette base, nous pourrions rendre efficace un mécanisme qui ne constitue pas, sous sa forme actuelle, une réponse suffisante.
Les autres solutions avancées pour accroître la taille du MES me paraissent manquer quelque peu de crédibilité. Le véhicule ad hoc, qui doit apporter une garantie aux investisseurs privés, peut-il être totalement convaincant dès lors qu’il ne couvrira que 30 % des pertes éventuelles ?
On peut également avoir des doutes sur l’ouverture du Mécanisme européen de stabilité aux pays tiers. Les pays émergents ne se sont pas montrés très enthousiastes, à l’automne dernier, à l’idée de participer au sauvetage de la Grèce.
La visite de Mme Merkel à Pékin, le 3 février dernier, a donné lieu à une déclaration du Premier ministre chinois selon laquelle son pays envisage de participer indirectement au Mécanisme européen de stabilité, par l’intermédiaire du Fonds monétaire international, mais il n’y a pas eu davantage de précisions à ce jour sur ce point.
Pour l’instant, le succès de cette ouverture aux pays tiers reste donc incertain. On ne sait rien non plus des contreparties qui pourraient être demandées par les pays prêteurs. En tout cas, ne croyons pas qu’il n’y aura pas de contreparties !
J’ajoute que le format trop réduit du Mécanisme européen de stabilité n’est pas le seul problème. La crédibilité de la zone euro sur les marchés dépend aussi et surtout, nous le savons tous, de sa capacité à créer les conditions d’un retour à la croissance.
Or, si les résultats sont plutôt encourageants en Irlande, ils le sont beaucoup moins au Portugal et, bien évidemment, en Grèce. Depuis deux ans, chaque Conseil européen ou presque est présenté comme celui de la dernière chance, mais la réalité est différente : si l’apocalypse ne se produit pas, les problèmes ne sont pas non plus réglés.
La création du Mécanisme européen de stabilité ne peut avoir de sens que si elle s’inscrit dans un ensemble plus vaste, celui d’une coordination dynamique de nos politiques économiques, fiscales et budgétaires. En l’absence d’un accord sur ce point, les marchés auront toujours un temps d’avance sur nous, et le MES s’apparentera à une ligne Maginot.
M. François Marc. Il faut un fédéralisme européen !
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Reste à savoir comment nous concevons cette coordination. À cet égard, il me paraît inquiétant que l’accès aux prêts octroyés par le Mécanisme européen de stabilité soit subordonné à la ratification par le pays concerné du TGCS. Cela revient à forcer la main aux pays en difficulté et à consacrer une conception de la coordination des politiques restant à peu près uniquement axée sur la rigueur budgétaire.
Mes chers collègues, nous devons être très vigilants : au sein des opinions publiques se développe l’idée que le destin économique et financier des États est désormais dans les mains d’un pouvoir abstrait et non identifié, dictant ses ordres depuis Bruxelles.
Mme Éliane Assassi. Eh oui ! C’est bien pour cela qu’il faut rejeter le MES !
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. La convergence budgétaire ne vaudra que si elle est expliquée à nos concitoyens et si ces derniers ont le sentiment que leurs représentants élus ont leur mot à dire, notamment les parlements nationaux.
C’est en ce sens que j’ai déposé voilà quelques semaines une proposition de résolution pour un renforcement du contrôle démocratique de la gouvernance économique et budgétaire de l’Union européenne. Les parlements ne doivent pas être de simples chambres d’enregistrement des réponses intergouvernementales à la crise.
En conclusion, il me semble que la création du mécanisme de stabilité financière ne doit pas nous inciter à déborder d’optimisme,…
Mme Éliane Assassi. C’est pour cela qu’il faut dire non !
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. … tant sa mise en place pose encore de nombreuses questions et tant cet outil pourrait se révéler incomplet. C’est peut-être mieux que rien,…
Mme Éliane Assassi. Ben voyons !
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. … mais si nous voulons sortir la zone euro de l’ornière, il nous faudra aller bien plus loin.
Mme Cécile Cukierman. Non ! Il faudra faire autre chose !
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. On ne peut pas s’empêcher de relever le contraste entre l’inertie européenne et ce que le président Obama vient de proposer pour les États-Unis : 350 milliards de dollars pour stimuler l’emploi et 476 milliards de dollars pour moderniser les infrastructures.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Et comment financeriez-vous cela ? Par l’emprunt, j’imagine…
Mme Éliane Assassi. En supprimant les cadeaux fiscaux aux plus riches !
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Permettez-moi de citer le président Obama :
« Nous avons le choix. Nous pouvons nous contenter d’un pays où quelques personnes s’en sortent très bien, et toutes les autres sont à la peine. Ou nous pouvons rétablir une économie où tout le monde a une chance, où tout le monde fait son dû, et tout le monde joue suivant les mêmes règles : Washington, Wall Street, et la classe moyenne. »
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Nous ne sommes pas le cinquante et unième État des États-Unis !
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Je regrette que les institutions européennes ne soient pas en mesure de faire passer un message aussi clair et d’en tirer les conséquences pour la politique économique de l’Union européenne et de ses États membres. Ma conviction est qu’il n’y aura pas de sortie de crise sans une Europe plus ambitieuse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Éliane Assassi. Alors votez contre le MES !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pardonnez-moi de le dire d’entrée de jeu : l’Europe institutionnelle peut et doit faire son mea culpa.
Si les difficultés sont grandes, c’est d’abord parce que la gouvernance de la zone euro n’a jamais atteint jusqu’à présent son point d’équilibre. La responsabilité de cette situation nous incombe à tous !
M. Pierre-Yves Collombat. C'est-à-dire à personne…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mieux vaut le reconnaître pour tâcher d’avancer.
À mon avis, parmi les erreurs qui ont été faites, il en est une dont on ne parle pas assez souvent. C’est notamment l’économiste Patrick Artus qui nous a suggéré cette analyse lors d’une récente table ronde organisée par la commission des finances.
Mes chers collègues, il faut bien distinguer les pays qui subissent une crise de liquidité de ceux qui traversent une crise de solvabilité.
M. Jean Bizet. Exact !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Les réponses à apporter sont très différentes.
À la fin des années quatre-vingt-dix, la Corée du Sud, le Brésil ou la Russie ont connu de lourdes crises de liquidité. La solution est alors de mobiliser des prêts pour empêcher les États concernés de tomber dans l’insolvabilité.
En revanche, quand un pays est insolvable – c’est un constat de fait, que l’on doit établir sans complaisance –, il ne sert à rien de lui prêter de l’argent, car il ne pourra pas rembourser.
M. Jean-Pierre Caffet. Selon vous, il faut le mettre à genoux ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mon cher collègue, ayez la bonté d’attendre la fin de mon intervention. Certains de mes propos vous seront agréables, d’autres moins, ce qui est assez normal dans un débat !
Il faut certainement adopter une stratégie qui identifie les causes de l’insolvabilité, annuler une partie de la dette du pays concerné pour l’aider à redevenir solvable et vérifier que les politiques mises en place lui permettent d’emprunter un chemin vertueux, un chemin soutenable.
Il faut le marteler : aujourd'hui, seule la Grèce est insolvable. Tous les autres pays, y compris le Portugal, quoi qu’en pensent certains analystes, sont solvables et ne font face qu’à une crise de liquidité. Ces pays sont victimes – vous connaissez l’expression – d’une « crise auto-réalisatrice » : les craintes des investisseurs quant à un possible défaut de certains États suscitent une augmentation des taux d’intérêt pour ces derniers, ce qui renforce encore davantage les craintes des investisseurs, un tel effet « boule de neige » permettant à la hausse des taux de s’auto-entretenir.
Il aurait été préférable d’admettre dès le départ – nos chers ministres de la zone euro n’ont certainement pas eu la lucidité nécessaire au bon moment – la distinction entre crise de solvabilité et crise de liquidité. Nous aurions réduit les risques et les coûts pour la zone euro.
J’ai évoqué les ministres de la zone euro, mais je pourrais aussi mentionner le gouverneur de la Banque centrale européenne de l’époque,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … dont la vision rigide est, à mon sens, à l’origine d’un retard non négligeable dans la prise de conscience du sujet.
M. François Marc. Il était pourtant soutenu, à l’époque !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. La situation de la Grèce est évidemment très inquiétante. La totalité de l’argent prêté à ce pays devrait aider à relancer l’économie, or il sert très prioritairement à rembourser les différents prêteurs. Il eût été préférable d’admettre son insolvabilité et d’accepter de réduire sa dette dès le début, en 2010. Cela aurait permis de réaliser une opération de sauvetage très sensiblement moins coûteuse.
L’accord du 21 février prévoit à ce stade un retour de la dette publique grecque à 120,5 % du PIB en 2020, mais le détail de sa mise en œuvre n’est pas encore précisé, monsieur le ministre. À cet égard, je comprendrais que l’on soit un peu comme saint Thomas, si vous me permettez une telle analogie ! (Sourires.)
À cela s’ajoute un grave problème de rupture du lien démocratique : rupture entre le peuple grec et ses élites – les députés grecs, me dit-on, doivent se déplacer sous la protection de gardes de sécurité – et rupture de la Grèce avec l’Europe, c'est-à-dire rupture psychologique de l’un des États fondateurs avec l’ensemble de l’Union européenne.
Mes chers collègues, il n’y a pas, me semble-t-il, d’autre scénario de sortie de crise que celui d’une réduction drastique de la dette publique. L’accord du 21 février oriente vers cette solution ; nous verrons bien s’il s’agit du dernier épisode de l’histoire.
Mais il est un élément qu’il faut bien noter : que ce soit ou non le dernier épisode, le cas de la Grèce est différent de celui des autres pays. Il faut absolument combattre l’idée fausse du « château de cartes » et de la « contagion ».
L’Irlande est dans une situation très particulière, dont elle est totalement responsable, du fait de la gestion aventureuse de ses propres banques, dont le capital était entièrement contrôlé par les milieux économiques dirigeants du pays.
Il n’y a aucune raison qu’un défaut de la Grèce entraîne celui des autres États, y compris du plus fragile d’entre eux en apparence, à savoir le Portugal. Ce pays devrait afficher un déficit de 4,5 % du PIB pour 2011 : c’est mieux que l’objectif initial, qui était de 5,9 %. Sa dette publique est, selon l’OCDE, légèrement supérieure à 100 % du PIB, celle de l’Italie étant au-dessus de ce seuil. Le seul véritable point noir est le commerce extérieur, mais c’est malheureusement également le cas pour un certain nombre d’autres États de la zone euro.
Nous sommes là confrontés à l’une des conséquences potentiellement dramatiques de l’instauration de la monnaie unique. L’impossibilité de dévaluer les monnaies nationales a conduit des pays comme le Portugal et l’Espagne, dont les finances publiques étaient saines – elles n’étaient ni plus ni moins dégradées que celles de la France –, à subir des déficits extérieurs courants de l’ordre de dix points de PIB. Et c’est cette panne de modèle économique qui explique le désastre, en tout cas les difficultés et les problèmes de liquidité rencontrés par ces pays, qui peuvent sans doute retrouver un chemin de compétitivité.
On nous propose un système comportant trois piliers.
Étonnamment, le premier pilier est la Banque centrale européenne. La BCE est parvenue, grâce à une solution innovante, à savoir le programme de refinancement bancaire à trois ans, à ramener le calme sur les marchés. Elle l’a fait en toute indépendance. Cette intervention a été cruciale ; elle a permis de rassurer les marchés sur le fait que le système bancaire n’allait pas exploser par manque de liquidités en 2012. Je rappelle qu’il y avait 600 milliards d’euros de dette bancaire arrivant à maturité en 2012. La Banque centrale européenne a offert la possibilité aux banques de revenir sur le marché des dettes souveraines.
Ainsi, quoi qu’il y paraisse et quoi que l’on dise, le premier pilier, c’est la Banque centrale européenne, dans le respect de son indépendance.
Le deuxième pilier, mes chers collègues, ce sont les États eux-mêmes. Il ne faut pas les oublier et nous ne devons pas éluder nos responsabilités. Même si la facilité de refinancement de la Banque centrale européenne a constitué un choc, qui a rassuré les investisseurs sur la viabilité et la pérennité de l’union monétaire, il n’en reste pas moins que les États doivent réduire leurs déficits publics. « Six pack » ou non, traité ou non, il y va de l’indépendance nationale à l’égard de nos créanciers ; c’est une simple question de bon sens.
Dans ce pays, l’on agit difficilement à froid, et il faut être poussé par les événements pour prendre certaines décisions. Pourtant, monsieur le ministre, vox clamans in deserto, la commission des finances du Sénat demande depuis de longues années que l’on procède aux changements qui s’imposent avant qu’un système européen et une législation européenne ne nous contraignent à le faire.
M. François Marc. Qui gouverne ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il faut dire ça à Sarkozy : 500 milliards d’euros de dette supplémentaire en cinq ans !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il n’y a pas de miracle : il faut réduire le déficit public, reconstituer des marges de manœuvre contracycliques et maintenir la dette à un niveau soutenable.
Hier et aujourd’hui, j’étais à Bruxelles avec notre excellente rapporteure générale pour participer à une réunion des commissions des finances et du Parlement européen sur ces questions. Que d’illusions demeurent dans les esprits : le salut viendrait d’emprunts européens, d’euro-bonds, d’un nouvel endettement !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il n’est pas nouveau !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Qui garantirait ces emprunts ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. L’Europe n’est pas endettée !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Avec quelles recettes, quels impôts, payés par qui ? Nécessairement par des citoyens européens, c'est-à-dire par des citoyens nationaux, chaque État assurant sa quote-part de garantie.
M. Michel Delebarre. Et alors ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je ne critique pas cette méthode par principe, j’affirme simplement que lorsque l’on a trop de dettes, proposer de contracter davantage d’emprunts représente une fuite en avant !
M. François Marc. Sarkozy : 500 milliards d’euros de dette !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. L’Europe n’est pas endettée !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Le troisième pilier, c’est le pare-feu.
Le texte qui nous est soumis prévoit un MES anticipé et renforcé, avec un ratio de 15 % entre le capital versé et l’encours des émissions. Ce mécanisme peut bénéficier de la note « triple A », même si la plupart des États participants sont notés « double A ».
Mme Michelle Demessine. Le « triple A » est important, maintenant ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. La capacité d’émission, cela a été souligné, est légèrement supérieure à 500 milliards d’euros.
À mon sens, mes chers collègues, compte tenu de tout ce que vous avez dit, les uns et les autres, du progrès que représente cet accord, du fait que l’Europe, dans son fonctionnement institutionnel, s’est toujours construite à petits pas et que le « grand soir » européen relève d’une vision idyllique, ne pas voter ce texte serait difficilement compréhensible, même si l’on formule des réserves techniques, ce qui est mon cas.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. On l’a compris !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il constitue un progrès et un facteur de confiance.
J’avoue avoir été admiratif, comme très souvent, devant la dialectique de notre excellente rapporteure générale : tous ses arguments étaient en faveur du texte, mais elle a conclu qu’il fallait s’abstenir ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Elle a souligné de manière très juste que, notamment à la suite des observations de la commission des finances du Sénat, la disposition relative à la constitutionnalisation de la règle d’or a été inscrite non pas dans le corps du projet de traité, mais dans le préambule. Or un préambule s’interprète, mes chers collègues, nous le faisons depuis des siècles !
Mme Michelle Demessine. Ça s’interprète toujours dans le même sens !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très sincèrement, il ne s’agit donc pas d’une disposition contraignante.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Pourquoi l’avoir inscrite, alors ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Le texte lui-même va, me semble-t-il, dans le sens de votre argumentation, ce qui me conduit à être à la fois admiratif et incrédule quand je vous entends préconiser l’abstention !
En conclusion, nous avons besoin d’un instrument qui empêche les États de la zone euro de diverger sur le plan budgétaire et qui dissuade les investisseurs d’utiliser le risque de défaut comme facteur de différenciation entre les économies. Nous avons besoin d’un instrument qui redonne confiance aux investisseurs.
Selon moi, le premier obstacle à éviter est de mettre en place une sorte de fédération budgétaire…
M. Jean-Pierre Caffet. Ah, voilà !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … qui serait peu respectueuse du droit des parlements nationaux et de nos assemblées.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il ne faut pas appeler à l’harmonisation fiscale, alors !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Par ailleurs, il faut éviter que les contribuables des pays du « cœur » de la zone euro aient le sentiment de payer pour renflouer les États les moins vertueux.
Je terminerai sur une réflexion formulée ce matin par Jean Arthuis lors de notre visite au Parlement européen.
Dans le collectif, que vous n’avez pas voté mais qui sera néanmoins adopté, 6,5 milliards d’euros sont prévus pour contribuer au MES, plus les engagements hors bilan correspondant à ce qu’il faudra payer par la suite.
Cela signifie que la surveillance des programmes d’ajustement des pays bénéficiaires ne doit pas être assurée seulement par la Banque centrale européenne, par la Commission européenne ou par le Fonds monétaire international, dont ce n’est d’ailleurs pas le rôle.
M. Jean-Pierre Caffet. Vous allez voter contre ?
M. Michel Delebarre. Oui, soyez logique !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Votez contre !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Elle doit être assurée par les parlements nationaux, en particulier par ceux des pays contributeurs.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est à notre tour d’être admiratifs ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. J’ai déjà dit que ce texte constituait une étape favorable, c’est la raison pour laquelle je le voterai. Je préconise naturellement un vote unanime, mais pour autant ce n’est pas la fin de l’histoire !
S’agissant du rôle des parlements nationaux, il conviendra certainement de le revaloriser,…
M. David Assouline. Pour ça, votez François Hollande !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … car nous devons éviter, mes chers collègues, de devenir un théâtre d’ombres, un lieu où l’on se contenterait de voir passer les balles.
Face à des financements d’une telle ampleur, nous devons véritablement exercer nos responsabilités. C’est une question qui intéresse l’ensemble des Françaises et des Français, et c’est une simple affaire de démocratie ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l’UCR.)
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Voilà pourquoi un référendum s’imposait sur la question !
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure générale, mes chers collègues, à l’heure où les Grecs souffrent, sous la pression des gouvernements de leurs voisins, sans doute n’est-il pas superflu de rappeler que ce sont eux qui ont inventé l’Europe. Le terme « Europe » a initialement désigné le territoire de la Grèce continentale, et c’est dans ce berceau que sont nés notre civilisation et les fondements de la démocratie que nous chérissons aujourd’hui.
Dans la crise globale que nous vivons, l’Europe apparaît comme le seul horizon politique pertinent. Les réponses exclusivement nationales ne sont plus à la hauteur de l’enjeu. C’est si évident, pour les écologistes, que nous avons choisi de faire figurer le mot « Europe » dans le nom de notre mouvement.
Les difficultés financières que connaît le monde aujourd’hui ne doivent pas nous abuser. Les racines de cette crise ne sont pas seulement financières : nous vivons le déclin irrémédiable d’un modèle de développement qui avait simplement omis de tenir compte des limites physiques du monde, de la finitude de notre environnement et de ses ressources.
Ce constat ne relève pas d’un quelconque attachement émotionnel ou contemplatif à la nature. Au-delà des dommages infligés à la santé des hommes et à leur bien-être, il s’agit d’une réalité économique : la croissance est désormais intrinsèquement limitée, par exemple, par le coût de l’énergie, celui du pétrole en particulier, qui explose à la moindre reprise d’activité.
À cette crise de la rareté s’en ajoute une seconde, tout aussi déterminante, que l’on pourrait qualifier de crise de répartition ; c’est la crise sociale.
Pendant plusieurs décennies, les libéraux ont justifié le renforcement des inégalités par une hypothèse d’abondance, que l’on entend encore parfois défendre : « puisque le gâteau augmente, chacun verra sa part croître, même si d’aucuns s’octroient des morceaux léonins ».
Cette accumulation inéquitable de capital, réalisée au détriment de l’investissement et des salaires du plus grand nombre, a dû être compensée par un recours incontrôlé à l’endettement, qui est à l’origine, notamment, de la crise des subprimes.
Cette course à la démesure, avant même de se muer en une crise financière, aura donc trouvé sa limite structurelle précisément là où elle avait prospéré : dans la pression immodérée exercée sur les ressources naturelles et la trop inégale répartition des richesses. Tel est l’héritage terrible que nous abandonne aujourd’hui le libéral-productivisme moribond.
Ce diagnostic est capital, car s’il peut ponctuellement y avoir urgence à desserrer l’étau financier qui étrangle tel ou tel pays, aucune réponse exclusivement financière ne pourra amorcer une rémission durable de la crise. C’est un leurre que de croire qu’en réglant la question financière sans s’attaquer aux racines écologiques et sociales de la crise, on réglera le problème économique.
À l’heure de la mondialisation, seules une intégration européenne et une harmonisation de nos politiques environnementales, fiscales et économiques peuvent aujourd’hui apporter une réponse à la triple crise que nous traversons.
Pour commencer à résoudre la crise écologique, rien ne sera possible sans la mise en place d’un véritable budget européen alimenté par des ressources propres, telles qu’une véritable taxe sur les transactions financières et une contribution climat-énergie.
Le Trésor européen, ainsi doté, pourrait financer d’indispensables investissements pour la mise aux normes environnementales des industries européennes, le développement des énergies renouvelables et des transports collectifs, la rénovation thermique des bâtiments, bref pour la transition écologique de la société européenne.
Sur le plan social, il faudra admettre et faire admettre à nos partenaires, notamment à l’Allemagne, que nous ne pouvons plus nous autoriser une politique économique de compétition intra-européenne, qui creuse les écarts de richesse au lieu de les réduire. Comme l’a très récemment démontré l’Organisation internationale du travail, l’OIT, l’Allemagne joue, à cet égard, un rôle dévastateur, en paupérisant sa propre population pour concurrencer les pays les plus pauvres. Or le Président de la République ne nous propose pas autre chose, avec sa « TVA sociale », que de nous aligner sur les moins-disants.
En matière financière, mes chers collègues, nous appelons de nos vœux la création d’un véritable outil de mutualisation des dettes par l’émission d’euro-obligations et la création d’une vraie réserve fédérale européenne pour les gérer. L’objectif principal serait de financer les investissements européens, plutôt que de garantir les risques des créanciers privés.
En début d’année, la Banque centrale européenne a en effet injecté beaucoup de liquidités dans le système bancaire, contribuant d’ailleurs ainsi à apaiser la conjoncture financière. Il est dès lors difficilement compréhensible que le MES ne puisse pas bénéficier de la même facilité, et que l’on envisage plutôt de lui ouvrir la faculté de se financer sur les marchés en recourant à un effet de levier.
Cette politique européenne globale, indispensable à l’ébauche d’une sortie de crise, devra nécessairement aller de pair avec davantage d’intégration politique, c’est-à-dire avec l’abandon de certaines prérogatives nationales et la construction d’une co-souveraineté, démocratique et fédérale, partagée entre les peuples et les États.
Cette gouvernance rénovée, reposant principalement sur le Parlement élu, permettra de gérer démocratiquement les convergences fiscales et macroéconomiques nécessaires à l’harmonisation européenne. Plutôt que de se voir imposer par la Commission européenne une absurde politique de contraction de son économie, la Grèce devrait, par exemple, avoir à engager une réforme de son administration fiscale…
M. Jean-Pierre Caffet. Elle n’en a pas !
M. Jean-Vincent Placé. … pour pouvoir bénéficier de la solidarité fédérale. Mais l’Allemagne devrait également être contrainte de cesser d’assécher les échanges commerciaux intra-européens en jouant d’une compétitivité assise sur de fortes inégalités intérieures.
Malheureusement, le MES, tel qu’il nous est proposé ici, est imprégné de la vision ultralibérale qui prédomine aujourd’hui au sein du couple franco-allemand. Sans même parler du lien avec le traité portant sur la règle d’or, la subordination du MES au FMI éloigne la perspective de la mise en place tant attendue d’un Trésor européen.
Et il n’y a toujours pas de financement direct de la Banque centrale européenne !
Quant au couple franco-allemand, qui dispose de fait d’un droit de veto discrétionnaire, qui pourra lui enjoindre d’arrêter de vendre des armes à la Grèce, laquelle ne peut même plus les payer ? On est là bien davantage dans la juxtaposition intergouvernementale d’égoïsmes nationaux que dans une véritable solidarité fédérale. (M. le ministre soupire.)
Eh oui, monsieur le ministre, vous pouvez soupirer, mais c’est la réalité !
Plaidant pour davantage d’intégration européenne, les écologistes, à une très large majorité, voteront contre le traité instituant le MES.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Au Parlement européen, les Verts ont voté pour !
M. Jean-Vincent Placé. Concernant l’amendement à l’article 136, qui pose simplement le principe d’un mécanisme de stabilité soumis à d’hypothétiques conditions, les écologistes, également à une large majorité, refuseront le piège tendu et ne prendront pas part au vote,…
M. Jean Bizet. Quel courage !
M. Francis Delattre. C’est nul !
M. Jean-Vincent Placé. … indiquant ainsi que, entre l’austérité libérale et le repli national, il existe une voie, que vous combattez depuis bien longtemps, messieurs du Gouvernement et de l’opposition sénatoriale, pour construire une Europe démocratique, écologique et sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Alain Gournac. Courage, fuyons !
M. Jean-Claude Lenoir. C’est incohérent !
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un débat essentiel que celui que nous menons cet après-midi.
En préambule, je me permettrai un petit rappel historique, selon moi de nature à éclairer utilement notre discussion, en citant trois étapes essentielles dans la construction européenne.
La première a été franchie en 1990 lorsque la libre circulation des capitaux est devenue le socle économique de l’Union. Ainsi, aux termes de l’article 26 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ou TFUE, « le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation […] des capitaux est assurée ».
La deuxième étape a été marquée par les débats sur le référendum de 2005, que tout le monde a en mémoire. Ces débats de fond, chacun en conviendra, ont passionné comme jamais nos concitoyens ; jamais l’Europe n’avait à ce point suscité l’intérêt des Français. L’un des arguments majeurs cités par les tenants du « non », dont nous fûmes, avait trait à la notion de concurrence libre et non faussée, inscrite et répétée en lettres d’or au cœur du traité. Je n’aurai pas la cruauté de vous rappeler ici le verdict cinglant rendu à l’époque par le peuple de France.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Éric Bocquet. La troisième étape a été constituée par le traité de Lisbonne, « frère jumeau » du traité instituant la Communauté européenne de 2005, pour reprendre les mots de M. Valéry Giscard d’Estaing. L’article 49 de ce traité dispose en effet que les restrictions à la liberté d’établissements financiers sont interdites. Quant à l’article 58 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, édicté pour faciliter la libre circulation des capitaux, il institue « la libération des services des banques et des assurances ».
Comment, dès lors, s’étonner aujourd’hui des excès de la finance qui ont conduit l’Europe là où elle est ? Ce sont donc les textes européens qu’il faut réécrire en totalité.
Ainsi donc sommes-nous aujourd’hui invités à intégrer dans notre corpus constitutionnel la modification de l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et, par ailleurs, à valider la participation de la France à l’instrument financier dont les instances européennes entendent se doter pour faire face à la crise des dettes souveraines, à savoir le Mécanisme européen de stabilité. Le MES n’est d’ailleurs en soi que le prolongement, pérennisé, du FESF et du MESF, créés dans l’urgence au printemps 2010, quand les économies de plusieurs pays de la zone euro ont commencé à donner d’alarmants signes de fatigue.
Pour en rester aux mots, le premier problème est que le « S » de MES ne veut pas dire « solidarité », ce qui pourrait aisément se concevoir, mais « stabilité », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. De même, en vertu des dispositions de l’article 12 du traité créant le MES, les politiques menées en correspondance avec l’intervention de l’outil devront se définir à raison des convergences et de la coordination budgétaire entre les États. L’article 13 du traité instituant le MES précise en effet : « Le protocole d’accord doit être pleinement compatible avec les mesures de coordination des politiques économiques prévues par le TFUE ».
L’outil politique est actuellement en cours de fabrication, et il s’agit, pour que nul n’en ignore, du fameux TSCG, qui ne veut pas dire « traité pour la solidarité, la croissance et la générosité » mais « traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ».
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Éric Bocquet. Sur le strict plan de la linguistique, ce n’est donc pas un outil de solidarité, la « machine à émettre les eurobonds », que tout le monde attend depuis si longtemps que l’on mette en place. Non, c’est beaucoup plus prosaïquement un instrument de vassalisation et de surveillance des économies les plus en difficulté.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
M. Éric Bocquet. Derrière la stabilité du MES, nous voyons poindre, non pas l’outil de la solidarité entre Européens, mais bel et bien l’instrument de l’austérité permanente pour l’ensemble des peuples. Quitte à ce que les remèdes associés à la mobilisation du MES demain, comme du FESF aujourd’hui, soient à peu près aussi efficaces que le furent à l’époque les saignées des docteurs Diafoirus de Molière !
Les exemples des pays que l’on a ainsi « aidés » sont particulièrement significatifs.
La Grèce, citée à plusieurs reprises, objet de tant de controverses, a connu en 2011 – singulièrement parce que les plans d’austérité qui ont été imposés en contrepartie de l’action européenne tendaient à contracter la demande intérieure – une récession de 5 % du PIB, de nouvelles hausses du volume de la dette publique, une explosion du chômage au-delà des 20 %, un salaire minimum diminué de 22 %, des retraites amputées de 15 %. Sur onze millions d’habitants, la Grèce dénombre environ trois millions de pauvres sans compter, de surcroît, l’humiliation attachée à cette purge.
La République d’Irlande, autre cas, qui fut également prise dans les filets de la crise financière après avoir été érigée en modèle de la réussite, a connu une croissance quasi nulle en 2011, et le taux de chômage s’y est fortement détérioré, atteignant en effet plus de 14 % de la population active, dans un pays où l’émigration a toujours joué un rôle dans la stabilisation des choses.
L’Italie, pour sa part, confiée au gouvernement de « techniciens » de Mario Monti, connaît elle aussi une quasi-stagnation de son activité économique et ne doit qu’au vieillissement relatif de sa population d’éviter qu’un taux de chômage plus élevé ne vienne corroborer la réalité de cette situation.
Enfin, en Espagne, où les plans de rigueur n’ont pas attendu l’alternance politique, en grande partie par défaut, qu’a connue le pays, la récente annonce de la réforme du marché du travail a jeté dans les rues des plus grandes villes des centaines de milliers de manifestants. Il faut dire qu’avec un marché du travail ultra-flexible, mais rempli de 22 % de chômage et de près de 40 % en ce qui concerne les jeunes, l’Espagne bat de ce point de vue tous les records !
Aucun des pays de l’Union et de la zone euro confronté aux politiques d’ajustement induites par les plans européens, tels qu’ils ont été conçus et tels qu’ils seront encore menés demain, n’a donc véritablement réussi à sortir des difficultés dans lesquelles il était plongé. Bien au contraire, la saignée d’emplois publics, les privatisations, les baisses de salaires et de pensions ont abouti, le plus souvent, à l’aggravation des difficultés, conduisant, comme nous l’avons vu de manière spectaculaire en Grèce, à de véritables impasses budgétaires.
La stabilité de la zone euro, invoquée par les fédéralistes à l’œuvre au sein de la Commission européenne et de la zone euro, à la demande expresse des milieux d’affaires et des marchés financiers, toujours eux, qui ont pourtant tant fait contre elle, ne peut être le prétexte de telles politiques et d’une telle orientation.
La zone euro a été constituée à partir de pays et d’économies dont les atouts et les caractéristiques étaient fort différents et, pour certains aspects, antinomiques. Qu’on le veuille ou non, la construction de l’Euroland – le fait d’avoir choisi cette terminologie est assez symptomatique d’ailleurs – s’est faite à partir de l’intérêt bien compris des économies dominantes dans l’Union européenne et donc, singulièrement, de l’Allemagne fédérale, qui, avec la mise en place de la monnaie unique et de l’élargissement, pouvait à loisir tirer parti des capacités de sa propre zone d’influence, orientée vers l’Est européen, au gré des nécessités de sa propre économie.
L’élargissement de l’Europe à la Tchéquie, à la Pologne ou encore à la Slovaquie et à la Hongrie a donné à l’Allemagne de forts précieux points d’appui pour une partie de ses processus de production, le niveau de qualification des salariés de ces pays étant suffisant pour permettre aux groupes allemands de disposer d’une main-d’œuvre efficace et bon marché.
M. Francis Delattre. C’est le rideau de fer !
M. Éric Bocquet. Le passage à l’euro aura été, dans un autre ordre d’idées, le moyen de dompter l’éventuelle concurrence d’autres pays, notamment le nôtre, puisque tout devenait libellé dans la même monnaie. Je constate d’ailleurs que notre commerce extérieur s’est sensiblement et continûment dégradé depuis l’introduction de la monnaie unique.
Comment, de fait, parler de solidarité, comme certains feignent de le penser, quand l’Euroland continue de fonctionner comme une zone de confrontation et d’antagonismes, où les politiques d’ajustement sont destinées à faire payer le prix fort à ceux qui ont perdu la bataille dans un espace de concurrence libre et non faussée du tous contre tous ?
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Éric Bocquet. S’il fallait d’ailleurs une bonne raison de ne pas accepter le « paquet cadeau » du MES et du TSCG – que les deux textes soient séparés et que l’adoption du second soit en apparence plus délicate que le premier ne change rien à l’affaire puisque ce sont les mêmes politiques qui inspireront la mise en œuvre de l’un et devraient imprégner la rédaction de l’autre –, ce serait aussi par référence à cette évidence : celle qui veut que, par nature, les dirigeants européens actuels semblent se méfier si singulièrement des peuples ; en effet, aucun Gouvernement signataire, parmi les dix-sept pays de la zone euro, n’entend pour l’heure consulter sa population sur la ratification.
On ne peut, de notre point de vue, donner à penser que l’idée européenne est porteuse d’avenir si l’on continue à priver les peuples de la moindre expression sur le sujet.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Éric Bocquet. De quoi a-t-on peur dès qu’il s’agit du MES et du TSCG ? Que les citoyens, déjà victimes de la confiscation de leur vote négatif du 29 mai 2005 en France, aient la mauvaise idée de voter contre l’adoption du MES et de ses contreparties, dont l’austérité semble la plus prégnante ?
Mme Éliane Assassi. Bien sûr !
M. Éric Bocquet. En tout état de cause, ce n’est pas ainsi que l’on pourra redonner aux habitants de notre pays, comme à ceux de bien d’autres pays, la moindre confiance et la moindre espérance dans une construction européenne qui se fait de plus en plus sans eux et a fortiori contre eux. C’est du moins un sentiment qui semble aujourd’hui largement partagé.
Ne pas voter sur cette question cruciale serait une erreur. Adopter le MES en l’état n’est pas acceptable, et nous ne pourrons donc que nous prononcer contre les textes qui nous sont soumis. Notre groupe a fait ce choix en pleine conscience et nous en appelons solennellement à nos collègues de la nouvelle majorité sénatoriale. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) Si le changement est annoncé pour maintenant, le rejet de ce texte, c’est aujourd’hui !
Mes chers collègues, la responsabilité nouvelle du Sénat à gauche est immense. Ne pas refuser ces textes revient à hypothéquer sérieusement les chances de mettre en œuvre, demain, la nouvelle politique tant attendue par une majorité de nos concitoyens à qui il faudrait, sur le sujet, proposer un référendum. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. Jean-Claude Lenoir. Ça promet !
M. Francis Delattre. Le rideau de fer !
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, contrairement à ce qu’affirmait voilà quelques jours le Premier ministre, il n’y a rien d’électoraliste dans la démarche entreprise par la majeure partie des parlementaires de gauche. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame.)
Certes, les sénateurs radicaux de gauche et la majorité des membres du RDSE s’abstiendront sur les textes présentés, et ce pas seulement pour marquer notre opposition à la politique menée par Nicolas Sarkozy à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle,…
M. Jean-Michel Baylet. … mais bien parce que ces projets de loi sont loin d’être exempts de toute critique et, plus encore, ils sont loin d’être suffisants.
Européens convaincus et ardents défenseurs du fédéralisme, les radicaux de gauche avaient a priori de bonnes raisons d’approuver le Mécanisme européen de stabilité, qui introduit enfin – comme nous l’avions souhaité – un début de gouvernance économique à l’échelon communautaire et constitue peut-être la première étape vers une Europe fédérale que, je le répète, nous appelons de nos vœux et qui est seule capable de maîtriser les dérives de la mondialisation et de redonner à l’Europe une chance de peser de nouveau à l’échelle du monde.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Jusque-là, nous sommes d’accord !
M. Jean-Michel Baylet. Malheureusement, force est de constater que ce mécanisme découle plus de la volonté de garantir nos intérêts financiers et bancaires que d’une réelle solidarité entre pays membres de la zone euro.
Mme Éliane Assassi. Et voilà !
M. Jean-Michel Baylet. En effet, le considérant 5 du traité instituant le MES subordonne l’accès des États à ce mécanisme à l’adoption d’un autre traité intergouvernemental, le fameux traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, qui pourrait être signé cette semaine et qui imposera aux États l’inscription de la « règle d’or » sur l’équilibre budgétaire au sein de leur Constitution.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais c’est normal !
M. Jean-Michel Baylet. Peut-être, mais vous auriez pu y penser avant !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. La solidarité appelle la responsabilité !
M. Jean-Michel Baylet. Or la gouvernance économique qui nous est proposée rime avec rigueur et n’est que punitive. De plus, elle ne nous paraît pas à même de désendetter la Grèce.
Adossé au TSCG, le MES sera vecteur d’austérité dans une telle mesure que toute reprise de la croissance apparaît impossible. Pis, l’Europe, en imposant le respect de règles budgétaires trop strictes, pousse irrémédiablement la Grèce dans la spirale de la récession. C’est pour cette raison que les radicaux de gauche se félicitent de l’engagement pris par François Hollande de renégocier, si les Français lui accordent leur confiance, ce traité dès le lendemain de l’élection présidentielle. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il ne sera pas tout seul à négocier !
M. Jean-Michel Baylet. En tout cas, l’espoir est permis au regard des nombreuses solutions qui peuvent être mises en œuvre pour soutenir la croissance, croissance sans laquelle, bien sûr, les dettes ne se réduiront pas.
De longue date, les radicaux de gauche souhaitent doter l’Europe de moyens économiques renforcés, lesquels sont complètement absents des différents traités qui nous sont soumis aujourd’hui. Je pense notamment à une augmentation du budget communautaire permettant des politiques de relance sur le plan européen ou à la création d’eurobonds et d’un fonds de développement d’investissement émettant des obligations convertibles afin de soutenir des entreprises dans des secteurs d’avenir tels que les nouvelles technologies de l’information et de la communication, l’énergie ou encore l’aérospatiale.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. Mes chers collègues, nous nous opposons à une rigueur aussi violente pour des populations déjà profondément marquées par quatre longues années de crise, car elle vient nécessairement nourrir une méfiance, si ce n’est un véritable rejet, à l’encontre de l’Europe.
Le MES, indissociablement lié au TSCG, représente un instrument d’austérité que nous ne pouvons soutenir. Il parviendra difficilement à remplir ses objectifs, faute d’une force de frappe financière suffisante, due notamment à l’absence de licence bancaire et au fait qu’il ne sera pas adossé à la garantie de la Banque centrale européenne. Or la sortie de crise passera nécessairement par une gouvernance économique commune. En cela, le projet de loi de ratification du traité instituant le Mécanisme européen de stabilité va dans la bonne direction, mais, malheureusement, j’y reviens, il ne fait qu’une partie du chemin.
Nous ne partageons pas cette vision de la politique économique européenne qui rend illusoire tout espoir de relance dans les pays bénéficiant de l’aide des États membres de la zone euro. Monsieur le ministre, je vous le répète donc, les sénateurs radicaux de gauche s’abstiendront sur ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Très bien !
M. Jean-Claude Lenoir. C’est courageux pour un Européen convaincu…
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Vous devez mal dormir la nuit, à l’UMP : vous êtes bien nerveux !
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que l’horizon est un peu sombre, il y a au moins une bonne nouvelle : depuis quelques semaines, nous constatons une accalmie sur les marchés obligataires. Ce résultat, nous le devons à une politique originale de la Banque centrale européenne, certes, contestée à l’intérieur même du conseil des gouverneurs, mais qui démontre que la politique suivie auparavant n’était pas la meilleure. Prenons-en acte ! Reste que cette amélioration du marché ne signifie pas que la crise de la dette souveraine des pays de la zone euro est terminée : les problèmes ne sont pas entièrement réglés.
La réforme de la gouvernance économique et budgétaire européenne est marquée par un déséquilibre entre discipline budgétaire et solidarité financière. Elle tend à enfermer les États membres dans un véritable carcan budgétaire qui empêche le retour à la croissance et, donc, le renflouement des comptes publics. C’est le règne de la pensée unique !
Pour paraphraser un grand Français, il ne sert à rien de sauter sur sa chaise comme un cabri en criant « austérité, austérité ! ». Le dispositif de soutien aux États en difficulté est insuffisant. Sa mise en œuvre est laborieuse, lente, soumise à des atermoiements permanents, les derniers étant le fait de l’Allemagne. Je ne veux pas jeter la pierre à la Chancelière, qui, on le sait, est confrontée à des problèmes politiques internes, mais on a bien constaté hier que, lors de la discussion au Bundestag, l’Allemagne envoyait un message exactement contraire à la politique que nous sommes en train de poursuivre, laquelle vise à rassurer sur la mise en place du dispositif en faveur de la Grèce. C’est tout de même curieux !
Pour autant, le Mécanisme européen de stabilité est indispensable.
Si l’on veut enrayer la crise des dettes souveraines, il est essentiel de mettre en place un dispositif permanent de solidarité entre les États membres de la zone euro. Trop de temps a déjà été perdu. Je rappelle en effet que, en 1989, Jacques Delors avait proposé un mécanisme de ce genre. Je me réjouis de voir qu’il n’aura fallu que vingt-trois ans pour aboutir…
Je me réjouis aussi de l’anticipation de la création du MES, qui devra être mis en place en juillet 2012, ainsi que de l’accélération des versements de capital. Ces décisions devraient contribuer à renforcer la confiance des marchés financiers.
Le MES présente à mon sens plusieurs avantages.
Premièrement, grâce à ses fonds propres, il sera moins sensible à la notation que son prédécesseur, le Fonds européen de stabilité financière. Le MES empruntant sur capitaux propres et non pas en s’appuyant sur la garantie des États membres, ses émissions bénéficieront de meilleurs taux d’intérêt.
Deuxièmement, il disposera de nombreux instruments d’intervention, déjà excellemment exposés par Mme la rapporteure générale.
Troisièmement, l’introduction d’une procédure de décision en urgence, décidée en décembre, devrait faciliter la prise des décisions nécessaires. Le temps de l’Europe n’est pas le temps des marchés financiers : nous courons en permanence derrière la réalité économique et financière. Je ne prétends pas que ce mécanisme de décision résoudra tout, mais il va dans la bonne direction.
Quatrièmement enfin, le fait que les créanciers privés soient appelés à contribuer rapproche le fonctionnement du MES de celui du FMI. L’intervention du secteur financier permettra de mieux protéger l’argent des contribuables, notamment celui de nos contribuables nationaux.
M. Aymeri de Montesquiou. Il y a beaucoup d’avantages !
M. Richard Yung. On s’engage cependant dans cette voie avec beaucoup de délicatesse et, à en croire certaines de leurs déclarations, les ministres des finances considèrent que l’intervention des créanciers privés en faveur de la Grèce est exceptionnelle et ne sera donc pas réitérée. J’attends donc de voir s’il sera ou non de nouveau fait appel à ces créanciers privés.
Cependant, le MES est un dispositif sous-dimensionné financièrement. Il présente en effet un défaut majeur : sa capacité d’intervention est largement insuffisante.
Avec 500 milliards d’euros – excusez du peu ! – de capacité de prêt, le MES ne pourrait couvrir environ que 6 % de la dette publique totale de l’Union économique et monétaire – on me dira que tel n’est pas son objectif, mais ce pourcentage donne un ordre de grandeur – et il ne pourrait donc pas faire face aux besoins éventuels de pays de plus grande taille économique.
J’estime que l’une des erreurs importantes qui est commise est la décision de ne pas combiner le FESF et le MES.
M. Jean Bizet. Ça viendra !
M. Richard Yung. La fusion des deux dispositifs, qui était réclamée par le FMI et par certains États membres de l’Union européenne – dont la France, d’ailleurs –, aurait permis au MES de disposer d’une capacité totale de prêt de l’ordre de 940 milliards d’euros, soit un montant proche des 1 000 milliards d’euros, somme, en général, considérée comme nécessaire pour assurer la crédibilité de ce dispositif.
Certes, les chefs d’État et les ministres vont discuter lors du prochain Conseil européen, mais j’ai appris cet après-midi que la réunion au cours de laquelle devait être précisément abordée l’augmentation des ressources du MES avait été reportée. La question ne sera donc même pas évoquée à la fin de cette semaine, cela sans doute à cause des fortes pressions exercées par la délégation allemande. On le voit bien, le gouvernement allemand considère que donner « trop », c’est encourager tous les « pays du Club Méditerranée », puisque c’est ainsi que certaines les appellent, à ne pas prendre les mesures structurelles nécessaires. C’est la raison pour laquelle on n’augmente pas les ressources du MES, mais, dans le même temps, je l’ai dit, on envoie le message inverse…
À défaut de voir sa capacité d’intervention renforcée, le MES devra se tourner vers le FMI en cas de nécessité, d’où le relèvement du plafond des prêts bilatéraux accordés par la France à celui-ci, solution tout de même assez étonnante. Que nous soyons amenés à apporter nos fonds au FMI et non au dispositif européen est un paradoxe que je ne parviens toujours pas à m’expliquer ! Le Conseil européen, qui plaidait pour apporter ces fonds au MES, s’est d’ailleurs longuement opposé à cette solution.
De mon point de vue, la création d’un véritable fonds monétaire européen passe nécessairement par l’adossement du MES à la Banque centrale européenne. On a évoqué une licence bancaire, mais, si celle-ci fait fuir les Allemands, on peut trouver une autre solution pour accéder aux liquidités de la BCE.
Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous commentiez ce point, en particulier que vous expliquiez pourquoi la France a abandonné cette proposition lors de la négociation du traité.
Autre observation : le MES est insuffisant pour résoudre la question de la dette et remettre l’économie européenne sur la voie de la croissance. Comme l’ont dit plusieurs de mes collègues du groupe socialiste, et d’autres groupes aussi d’ailleurs, il ne suffira pas à stabiliser durablement la zone euro, car il ne constituera pas un outil de dernier ressort.
D’autres mécanismes permanents de solidarité seront nécessaires.
Première proposition : la mise en place du MES devrait, me semble-t-il, ouvrir la voie – et, je l’espère, précède une décision en ce sens – à une mutualisation partielle des dettes souveraines.
Parmi différentes solutions qui me paraissent envisageables, des économistes ont formulé une proposition qui me paraît intéressante. Elle consisterait à distinguer la partie de la dette inférieure à 60 % du produit intérieur brut, conformément à la règle que nous nous sommes donnée à nous-mêmes, c'est-à-dire à la règle de Maastricht, partie qui serait mutualisée et bénéficierait de taux intéressants, de la partie allant au-delà de ce taux, qui correspond à ce qu’on appelle les « dettes rouges » et que chaque État devrait gérer à ses propres conditions de marché.
Deuxième proposition : je l’ai dit, à défaut d’attribuer une licence bancaire au MES, il conviendrait au moins de faire de la Banque centrale européenne un prêteur en dernier ressort. L’obstacle juridique n’est pas insurmontable. Michel Rocard a ainsi récemment suggéré que la BCE prête à des établissements publics de crédit aux mêmes taux que ceux qui sont pratiqués pour les banques commerciales.
Troisième proposition : les efforts pour stabiliser les marchés obligataires de la zone euro doivent être accompagnés de mesures pour relancer la croissance économique. Là est l’essentiel : nous devons créer des emplois, faire baisser le chômage, relancer les investissements, accroître les exportations, ce dernier point concernant singulièrement la France, dont on connaît le déficit commercial.
M. François Marc. Eh oui !
M. Richard Yung. On nous dit que c’est une malédiction qui nous tombe du ciel et contre laquelle on ne peut rien.
J’observe que, selon les prévisions économiques mondiales faites par la Commission elle-même, les taux de croissance en 2012 devraient être les suivants : plus 8 % pour la Chine ; plus 7 % pour pays émergents ; plus 2 % pour les États-Unis, dont je signale au passage qu’ils ont créé 250 000 emplois en janvier de cette année, ce qui n’est pas mal, même s’ils ont 8 millions de chômeurs ; plus 3,5% pour l’Amérique latine ; quant à l’Europe, son taux devrait être de moins 0,3 % !
Quelle est la malédiction qui fait que ce pauvre et vieux continent soit le seul sous la pluie de la récession ? Je vous le dis, mes chers collègues, ce sont les politiques, malheureusement majoritaires, qui sont menées à l’échelle de l’Europe et qui enfoncent celle-ci, doucement ou fortement, comme la Grèce, avec moins 4 %, dans la récession.
Nous sommes de ceux qui pensent qu’il faut agir et pas simplement en utilisant les fonds structurels non distribués. Il convient d’être plus ambitieux et de relancer l’investissement, notamment à travers la création d’une capacité d’emprunt pour l’Union européenne et en donnant un rôle accru à la Banque européenne d’investissement.
M. François Marc. Oui !
M. Richard Yung. Notre collègue Pierre Bernard-Reymond défend, lui aussi, cette thèse depuis longtemps.
Il faut également développer et renforcer les ressources budgétaires de l’Union européenne, notamment par une taxe européenne sur les transactions financières ou une écotaxe européenne. Celle-ci a fait l’objet d’un long débat avant d’être jetée aux orties, comme beaucoup d’autres mesures.
Enfin, la mise en œuvre du MES est trop subordonnée à l’austérité, en particulier en raison du fait que l’accès à ce dispositif est conditionné à la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire. Or celui-ci ne comprend aucune des dispositions complémentaires que nous proposons de mettre en place. Dans ces conditions, il nous est difficile d’autoriser la ratification du traité instituant le MES. Cela nous est d’autant plus difficile que le TSCG fait de la transposition de la « règle d’or » budgétaire dans l’ordre juridique interne des États la condition sine qua non de l’accès au MES. Or nous avons toujours dit notre opposition à cette règle inefficace et inutile,...
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Absolument !
M. Richard Yung. ... puisqu’elle existe déjà : c’est le traité de Maastricht !
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Richard Yung. Notre proposition de renégocier le traité sur ces points – non pas pour le modifier entièrement, mais pour le compléter par un volet « croissance » – est raisonnable et tout à fait jouable. En effet, nous disposons d’une force considérable : si la France ne ratifie pas le traité, celui-ci devient caduc. Un certain nombre d’États membres – certes, sans doute pas l’Allemagne – pourraient être intéressés par les solutions que pourra formuler François Hollande lorsque les Français voudront bien le porter aux affaires. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Gournac. Attendez un peu !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ne vendez pas la peau de l’ours !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Nous n’avons rien à « vendre », en ce qui nous concerne !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Nous non plus, nous travaillons !
M. Richard Yung. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste s’abstiendra sur les deux projets de loi qui sont aujourd’hui soumis à notre examen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Haute Assemblée est appelée à débattre de la ratification de deux traités. Le premier modifie l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, afin d’autoriser la création du Mécanisme européen de stabilité ; le second crée ce Mécanisme européen de stabilité. La ratification du premier traité se faisant à vingt-sept pays et celle du second se faisant à dix-sept pays, ceux de la zone euro.
Ces traités, soumis à notre approbation, répondent à l’urgence de la crise, aux fortes tensions financières et à la nécessité de garantir la stabilité de la zone euro. C’est dans ces conditions qu’un Mécanisme européen de stabilité destiné à préserver la stabilité financière en Europe a été élaboré et a fait l’objet d’une signature à Bruxelles le 2 février dernier.
Le MES est une réponse européenne à la crise : c’est un outil anticrise, un fonds de soutien aux pays de la zone euro. Il a pour but de sauvegarder la stabilité de la zone euro de manière permanente, ce qui est une nécessité absolue. C’est la seule manière de lutter contre les attaques spéculatives dirigées contre la monnaie européenne en raison de la place prise par cette devise dans l’économie mondiale.
Ce traité vise à aider les États signataires en difficulté financière en leur fournissant les instruments financiers, par exemple des prêts ou des achats d’obligations. Il leur permet donc d’avoir recours aux banques privées pour se financer. La fin de l’obligation pour les États de se financer auprès des marchés est en effet une condition nécessaire pour mettre un terme à la trop grande emprise de la finance sur l’économie. Dans son principe, le MES va dans le bon sens, certains l’ont déjà souligné.
Avec ce dispositif, nous réaffirmons notre attachement fondamental à l’euro, en construisant un dispositif s’appuyant sur deux piliers : la solidarité et la responsabilité.
Reconnaissons-le, lorsque l’euro a été créé, nous nous sommes arrêtés au milieu du gué. Au reste, la non-existence du MES est une aberration dénoncée au moment du traité de Maastricht, en 1992. Depuis trois ans, pardonnez-moi de le dire ainsi, on a « bricolé » pour venir au secours de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. La faute à qui ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Le MES n’existant pas, il a fallu trouver des solutions, ce qui fut compliqué.
Après trois ans de négociations, nous avons mis au point ce mécanisme pour traiter les chocs, prévenir les crises. Il s’agit d’une force de frappe rapidement mobilisable pour stabiliser les marchés. C’est un embryon de fonds monétaire européen.
La solidarité prônée est indispensable, car la faillite d’un État européen entraînerait la faillite de nos banques qui détiennent nos économies.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est l’inverse qui se passe !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et si les déposants étaient remboursés, comme il est bon de le rappeler, ce serait avec nos impôts !
Bien évidemment, la solidarité ne peut exister sans être assortie de discipline. Elle ne peut s’apparenter à un chèque en blanc. Il est normal que des contreparties soient prévues. Sans elles, cette aide relèverait de l’assistance, voire d’une dépendance, et ce ne serait pas sain.
Le pacte budgétaire sur lequel ce dispositif s’appuie permettra aux économies européennes de converger vers la stabilité financière. Oui, il faudra respecter la règle d’or pour profiter de toute aide financière de la part du MES ! Et c’est non pas l’austérité qui est proposée, comme j’ai pu l’entendre, mais seulement l’obligation de ne plus laisser déraper les déficits publics, ce qui est totalement différent !
Toutes les critiques que j’entends ne reposent sur aucun fondement. Il y aurait, paraît-il, abandon de souveraineté.
Mme Éliane Assassi. Oui !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il y aurait un renforcement des règles automatiques imposant la rigueur aux peuples.
Mme Éliane Assassi. Oui !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il y aurait une absence de transparence.
Mme Éliane Assassi. Oui !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Tout cela est faux. C’est le contraire qui se passe.
Mme Éliane Assassi. Non !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Les grandes lignes sont connues depuis le Conseil européen des 24 et 25 mars 2011. La signature a eu lieu au mois de juillet dernier. Voilà pour la transparence ! C’est une organisation internationale composée d’un conseil d’administration, présidée par un directeur général et un conseil dit des gouverneurs, les gouverneurs étant les ministres des finances des États.
Mme Éliane Assassi. Et ça, c’est démocratique...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Le directeur général a un mandat révocable ad nutum. C’est le conseil des gouverneurs qui aura seul la possibilité d’appeler le capital non libéré. Les enveloppes initiales de crédits ne pourront être modifiées que par le conseil à l’unanimité. C’est donc bien l’autorité politique qui décidera, et elle seule, via les ministres des finances. Aucun abandon de souveraineté nationale n’est à craindre, donc.
Il reste un autre point soulevé par la gauche française, certains d’entre vous l’ont évoqué : le traité établissant le MES fait explicitement mention du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire signé par vingt-cinq États le 30 janvier 2012 et qui a pour but de renforcer la discipline budgétaire des États signataires. L’une des conditions d’accès à l’assistance du MES sera en effet d’avoir au préalable ratifié le TSCG et créé un mécanisme de correction budgétaire, la règle d’or. C’est surtout sur le fondement de cette mention que certains appellent à l’abstention, comme vous le faites, madame le rapporteur général.
Je rappelle que ces conditions font partie d’un accord, d’un compromis. Prétendre aujourd’hui vouloir renégocier des accords conclus entre plusieurs pays est un vœu pieux.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le Parlement a le droit de ne pas ratifier, tout de même !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ces traités ont été arrachés de haute lutte…
M. Jean-Pierre Chevènement. Par Mme Merkel !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … par le gouvernement français et le Président de la République, Nicolas Sarkozy, lui-même, qui – personne ne peut le nier – a accompli un travail remarquable. Je trouve dommage pour la France de montrer ce visage d’une gauche,…
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Occupez-vous de la droite !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … peu en prise avec les réalités, notamment internationales, ou alors sectaire, ne voulant pas voter avec la majorité. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Claude Lenoir. C’est la vérité !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est encore plus regrettable ici, au Sénat.
Mes chers collègues, qu’apporte de plus le MES par rapport au FESF ? La question mérite d’être posée.
D’abord, ce mécanisme s’inscrit dans la durée et sera pérenne. C’est extrêmement important.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. On n’a pas dit le contraire !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ensuite, il s’agit d’une organisation internationale, et non d’une structure de droit privé, comme le FESF, dont il prend la suite et qui s’arrêtera au mois de juillet 2013. Le MES disposera d’une possibilité d’intervention bien supérieure. C’est l’autorité politique, et elle seule, qui décidera. C’est aussi une réponse aux agences de notation qui, en dégradant la note de plusieurs pays européens, ont voulu signifier nos insuffisances en matière de gouvernance économique européenne, notre manque de coordination des politiques fiscales et économiques au sein de la zone euro.
Malgré tout cela, les socialistes français, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, ont décidé de privilégier l’intérêt électoral à l’intérêt général européen.
M. Jean-Claude Lenoir. Eh oui !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Oui, les amis de M. Hollande sont prisonniers d’un accord électoraliste avec le Front de gauche et dans l’obligation de donner des gages à M. Mélenchon !
M. Jean Bizet. C’est exact !
M. Alain Gournac. Voilà la vérité !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Comment peut-on oser fragiliser la zone euro ? Mes chers collègues, en vérité, quel est le problème ? Est-ce de voter avec la majorité et de renoncer à faire preuve d’un anti-sarkozysme primaire ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Il n’est pas primaire !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. À agir ainsi, le risque est grand de rendre l’Europe impopulaire et de la livrer au populisme. C’est ce que vous êtes en train de faire. Ce n’est pas digne d’un parti de gouvernement.
M. Jean-Pierre Caffet. Vous dérapez !
M. Richard Yung. Démago !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. L’Europe n’est pas le problème, contrairement à ce que vous affirmez : elle est la solution aux enjeux de la mondialisation. C’est pour cela que vous avez tort ! Voter contre ou s’abstenir sur le MES, c’est rejeter une nouvelle étape majeure de l’Union européenne. C’est une faute politique absolue, a dit avec justesse le Premier ministre.
Ai-je besoin de rappeler les propos de Daniel Cohn-Bendit, qui considère que le MES est « l’une des rares choses positives » que le Conseil européen ait pu consentir ?
M. Alain Gournac. Voilà !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Dois-je rappeler que ce mécanisme figure dans les propositions de François Hollande, à la page 69 de son projet ? (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.) Oui, je l’ai lu ! L’UMP travaille ses dossiers, figurez-vous !
Il y est écrit : « Nous créerons un fonds européen permanent de stabilité financière pour empêcher toute spéculation sur la dette des États et concilier assainissement des finances et redressement économique. » Par conséquent, expliquez-moi pourquoi vous ne votez pas le MES ?
À ma connaissance, les Verts et les socialistes se sont battus au Parlement européen pour l’existence d’un tel mécanisme. En outre, cette solidarité financière entre les États membres de la zone euro est de nature à permettre par la suite la mise en place des eurobonds qui mutualiseraient les dettes souveraines de tous les pays de la zone euro. Certains d’entre vous, spécialistes de ces questions, sont tout à fait convaincus par ce dispositif. Comment à la fois être favorable aux eurobonds et refuser cette marche ? C’est absurde !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela n’a rien à voir !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. En tout cas, le MES est une inflexion dans l’histoire de la construction européenne, et la crise de la zone euro aura eu cette vertu de faire accepter l’idée que l’Europe puisse progresser à des vitesses différentes. Le MES est un système intergouvernemental compatible avec le droit communautaire.
Soutenir le MES, c’est soutenir la solidarité européenne, c’est être solidaire avec le Portugal, l’Espagne, l’Italie et la Grèce. C’est soutenir l’ambition résolue de l’Europe de prendre en main son destin.
Voter contre ou s’abstenir reviendrait à rejeter une étape majeure de la construction de l’Union européenne et à aller contre tous les partis socialistes en Europe, qui, eux, le votent.
MM. Alain Gournac et Yves Pozzo di Borgo. Eh oui !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Quelle sollicitude soudaine pour les socialistes !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est l’avenir de l’Union qui se joue devant nos yeux. On ne peut pas rester dans une simple logique de sauvetage : il faut passer à une stabilité économique et budgétaire durable ; il faut mettre fin à une incohérence originelle. En effet, ainsi que l’a dit Philippe Marini, l’Union européenne s’est dotée d’une monnaie unique sans prendre le temps d’une véritable coordination des politiques économiques.
Au-delà des clivages politiques et des échéances électorales à venir, il est de notre devoir d’afficher une volonté commune dans l’intérêt de la France et de l’Europe, pour appuyer une démarche légitime, dans un esprit de responsabilité vis-à-vis des générations futures.
Pour ma part, je suis très attachée à la souveraineté nationale et aux droits du Parlement. Or le MES est non pas une union de transfert, mais un rééquilibrage institutionnel en faveur des procédures intergouvernementales, c’est-à-dire la coopération entre démocraties nationales.
L’abstention prônée par Mme le rapporteur général traduit une absence de courage et de responsabilité.
M. Jean-Claude Lenoir. Oui !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ne voter ni pour ni contre, c’est un acte foncièrement ambigu, dont le caractère équivoque est encore plus accentué en cette matière. Que signifie cette abstention lorsque l’euro est menacé, lorsque la construction européenne est fragilisée ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Caffet. C’est bon, on a compris !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Soit on soutient la construction européenne, soit on vote contre, mais on ne s’abstient pas. Cette abstention d’ailleurs ne trompera personne.
Le groupe de l’UMP, avec Nicolas Sarkozy, qui s’est totalement impliqué dans ce dossier, choisit clairement de dire la vérité aux Français et aux Européens.
Mme Éliane Assassi. Demandez l’avis des Français directement !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Nous voterons donc en faveur de ces deux projets de loi, en saluant l’action déterminante de Nicolas Sarkozy et en soulignant l’importance d’une France forte dans une Europe forte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
4
Décision du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué à M. le président du Sénat, par courrier en date de ce jour, le texte de la décision du Conseil constitutionnel déclarant contraire à la Constitution la loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi. (Applaudissements sur diverses travées.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. Acte est donné de cette communication.
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Mécanisme de stabilité pour les États de la zone euro. - Mécanisme européen de stabilité
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption définitive de deux projets de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de la décision du Conseil européen modifiant l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en ce qui concerne un mécanisme de stabilité pour les États membres dont la monnaie est l’euro et du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité instituant le mécanisme européen de stabilité.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons nous prononcer cet après-midi sur deux projets de loi comprenant chacun un article : le premier vise à ratifier la modification du traité de Lisbonne afin d’instaurer un mécanisme de solidarité entre les États membres de la zone euro ; le second tend à ratifier le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité, adopté par les États membres de la zone euro le 2 février dernier.
Ainsi, après plus de trois ans de crise, il était temps que lesdits États prennent la mesure de la gravité de la situation en pérennisant un mécanisme de soutien de nature à intervenir rapidement et disposant d’un caractère dissuasif face à la spéculation. Toutefois, au regard du temps mis pour proposer ce texte, sa conception reste imparfaite. De plus, l’expérience du Fonds européen de stabilité financière, et de la politique que celui-ci impose à la Grèce, oblige aujourd’hui à beaucoup de prudence sur l’usage des nouvelles contributions demandées in fine aux citoyens européens, au travers des levées de fonds pour le MES.
La mise en place d’un mécanisme de solidarité impose nécessairement des outils de convergence budgétaire et de surveillance de la discipline budgétaire, car il n’y a pas de solidarité sans responsabilité. Cependant, nous n’avons pas, à cette heure, tous les éléments nous permettant de donner un avis circonstancié sur les conditions dans lesquelles le MES pourrait être amené à intervenir. En effet, il est indiqué, dans le considérant 5 : « Il est reconnu et convenu que l’octroi d’une assistance financière dans le cadre des nouveaux programmes en vertu du MES sera conditionné, à partir du 1er mars 2013, à la ratification du TSCG ».
Pourtant, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire ne fait pas partie des textes qui nous sont aujourd’hui présentés pour être ratifiés. Il doit en effet être signé au Conseil européen des 1er et 2 mars prochains. Ce TSCG, dont les termes sont déjà connus, est inadapté à la situation, car s’il parle légitimement de rigueur budgétaire, il n’évoque en rien la nécessaire politique de soutien de l’économie réelle, d’aide à l’emploi, à la préservation de l’appareil productif et des services publics.
Bref, le TSCG, tel qu’il est négocié, promet à tout pays en difficulté que l’application éventuelle du MES se fera à des conditions identiques à celles que subit actuellement la Grèce. Or nous ne le voulons pas, car cette politique est un échec pour tous. Rappelons que, malgré des plans d’austérité consécutifs, l’endettement de la Grèce est passé de 120 % à 170 % de son PIB en moins de trois ans, par la conjugaison d’engagements à des taux d’intérêt surévalués et de la contraction du PIB du pays.
L’aide accordée ne va pas au soutien de l’économie réelle, aux PME-PMI, au remboursement par l’État grec des entreprises lui ayant fait crédit, mais d’abord au remboursement d’obligations souscrites à des taux parfois usuraires.
Force est de constater que s’il n’existe pas de lien juridique entre la ratification du TSCG et le fonctionnement du MES, le rapport de force actuel entre les États membres de la zone euro est tel que, d’un point de vue pratique, la réalité est tout autre.
Voter aujourd’hui le MES, c’est accepter qu’il ne fonctionne qu’adossé à un traité visant à constitutionnaliser la « règle d’or » de la rigueur budgétaire et à renforcer les modalités de contrôle - la tutelle, diront certains - sur les États en difficulté. À nul moment n’est prévue une discussion sur les conditions à remplir pour ramener la croissance et donc la capacité de remboursement de ces États.
Le traité instituant le MES entre les États membres de la zone euro, signé à Bruxelles le 2 février dernier, aurait pu être une avancée décisive dans la construction européenne. Pourtant, ce n’est qu’un leurre. Il sera dirigé par un conseil des gouverneurs, composé des ministres des finances des États de la zone euro. Comment croire, dans ces conditions, que l’intérêt général primera sur l’intérêt national ?
On nous répondra que les situations d’urgence n’auront pas besoin de l’unanimité, que 85 % des droits de vote suffiront pour engager un financement sans tarder. Il s’agit encore d’un leurre, car les seuls États possédant un veto permettant d’empêcher d’atteindre ces 85 % des droits de vote sont l’Italie, avec un peu moins de 18 %, la France, avec un peu plus de 20 %, et l’Allemagne, avec un peu plus de 27 %. Or, parmi ces trois États, quels sont ceux qui peuvent très rapidement être amenés à recourir au MES ? Parmi ces trois États, qui peut avoir intérêt à bloquer l’utilisation du MES ?
On voit bien que, sous prétexte d’une solidarité entre les États membres de la zone euro, on cherche à nous faire accepter des principes de gestion correspondant non pas à la diversité des situations nationales, mais bien à des principes de gestion d’un seul État, l’Allemagne, dont le modèle économique n’est pas exempt de tout reproche et dont le gouvernement fédéral ne parvient même pas, d’ailleurs, à imposer à ses propres Länder ce qu’il veut aujourd’hui imposer à l’ensemble de l’Europe.
Une solution pour éviter une situation potentielle de chantage aurait été d’adopter un conseil de gouverneurs avec un mode de gouvernance et de fonctionnement comparable à celui de la BCE. Une discussion, en amont de ce traité, avec le Parlement européen aurait très certainement ouvert le champ à l’adoption d’une telle variante. Mais était-ce souhaité par les gouvernements ?
Mes chers collègues, notre discussion d’aujourd’hui touche à deux aspects de l’Union monétaire, qui sont, depuis le début, très discutés et très critiqués.
Le premier est l’absence de gouvernement politique dans la zone euro. Or ce n’est pas le TSCG qui répond à ces enjeux. Il fait juste semblant d’y répondre en aggravant l’absence de pilotage politique de la zone euro : d’une part, il n’aborde pas la question centrale d’un contrôle démocratique des processus de décisions au sein de la zone ; d’autre part, il pose comme postulat que l’austérité est la seule bonne politique possible.
Le second aspect concerne l’indépendance de la BCE. À nos yeux, il ne peut y avoir d’indépendance dans l’irresponsabilité. Est-il logique, aujourd’hui, que la BCE ne soit pas totalement et pleinement responsable de la supervision bancaire dans toute la zone euro et qu’elle ne puisse pas elle-même juger de la valeur des engagements de chacune des banques de la zone euro ?
Pourquoi cette irresponsabilité conduit-elle aujourd’hui les gouvernements européens à proposer un mécanisme de solidarité spécifique, dont les moyens seront limités face aux besoins potentiels ? En effet, nous discutons aujourd’hui d’une somme de 500 milliards d’euros, alors que pour être vraiment dissuasif face aux besoins d’un pays de taille importante devant faire face à des difficultés, il faudrait plutôt pouvoir lever aux environs de 1 000 milliards d’euros.
Par ailleurs, pour faire face à cette impasse financière, le MES, d’une part, acceptera des cofinancements d’États tiers - on pense à la Chine - et, d’autre part, recherchera des partenariats avec la FMI. Est-ce cohérent ? Est-ce légitime ? Est-ce en accord avec les valeurs intrinsèques de la construction européenne ?
Voilà pourquoi il convient d’exprimer des réserves face au MES, tel qu’il nous est proposé aujourd’hui. En effet, il est révélateur d’un projet européen en panne, avec des gouvernements qui agissent « à la petite semaine », dans la précipitation et sans vision globale.
Toutefois, le MES, même imparfait, constitue un outil pour répondre aux spéculations sur les dettes souveraines, lesquelles sont, dans le cas de la France, le symbole de l’échec de la politique économique et sociale menée depuis 2007 et menacent notre pays à très court terme.
La construction européenne est une démarche de patience et de compromis. Tel qu’il est présenté, le MES n’est pas la panacée, mais il constitue un compromis acceptable, compte tenu des positions traditionnelles des pays de la zone euro et de la crédibilité actuelle du gouvernement français. Alors que le tsunami menace, nous nous résolvons aujourd’hui à la mise en place d’un outil loin d’être idéal mais qui a l’avantage de répondre à un besoin urgent de la zone euro. Cependant, à nos yeux, il ne peut être lié à un TSCG inacceptable. Par notre abstention, nous nous engageons auprès des Français à demander à nos partenaires, dès le mois de mai, de négocier un nouveau traité non pas de seule convergence budgétaire, mais de convergence budgétaire et de croissance.
L’exemple grec ne suffit-il pas à démontrer à tous qu’il convient de mener une autre politique de soutien à un pays en grande difficulté financière ? À quoi cela sert-il de parler de convergence budgétaire sans convergence fiscale ? Pourquoi les citoyens et les entreprises seraient-ils mis à contribution différemment dans l’effort commun, selon leur pays de résidence ?
À l’occasion de ce futur traité, il conviendra d’évaluer les effets pervers des politiques de cohésion menées envers certains pays, qui ont conduit à de trop gros endettements des États nationaux et des collectivités territoriales pour pouvoir cofinancer des projets éligibles aux fonds de cohésion.
Nous parlons de marchés financiers, de déséquilibres budgétaires, mais l’idée européenne se réduit-elle à ces seules considérations financières ? L’Union européenne a toujours eu un moteur – construire la paix sur notre continent - et une valeur essentielle, la démocratie.
Les orientations que l’on doit prendre pour sortir de la crise actuelle sont essentielles pour l’avenir de l’Union. Si elles devaient renier cette valeur démocratique, cette capacité des peuples à choisir leur avenir, leur destin ensemble, elles seraient dangereuses pour l’avenir de l’Union européenne et pour notre démocratie. Comment aujourd’hui justifier que 99 % du temps consacré à l’Europe est passé sur les affaires budgétaires, lorsque la liberté de la presse est menacée en Hongrie ?
Europe, as-tu perdu tes valeurs ? Qu’en as-tu fait ? Pensez-vous que nous pourrons encore aller bien loin sans faire le constat que la seule voie possible pour les mutualisations de politiques qui s’imposent passe par un contrôle démocratique renforcé sur les politiques et les orientations communautaires ? Une dose de fédéralisme - osons le mot ! - pour définir des orientations budgétaires et fiscales est indispensable.
Comment voulez-vous continuer à défendre l’idée européenne lorsque, dans un peu moins de la moitié des pays européens, entre un quart et la moitié de la jeunesse est sans emploi ? Ne convient-il pas de faire de l’Europe d’abord un espace où l’on répond aux préoccupations des citoyens, plutôt que d’imposer des politiques qui aggravent leur situation ?
Ayons le courage de voir que la crise actuelle oblige à se poser la question d’outils de contrôle démocratique nouveaux, qui ne sont en rien évoqués par les Conseils européens. C’est normal, me direz-vous : les droites actuelles se sont arc-boutées sur leurs frontières nationales pour éviter de réelles avancées dans la construction européenne. Il est bien loin le temps des conférences intergouvernementales où étaient placés sur un pied d’égalité les États, le Parlement européen et l’opinion publique européenne. Mais que peut-on attendre d’une famille politique où se côtoient Mme Merkel et MM. Berlusconi, Orbán et Sarkozy ?
Constatons que les sujets au cœur la crise européenne actuelle sont non pas le fruit des derniers élargissements, mais plutôt celui de l’impérative nécessité d’accepter un contrôle démocratique à l’échelon européen sur l’ensemble des politiques communes auquel les gouvernements nationaux ne veulent se résoudre. Cela imposerait un rôle accru du Parlement européen. Or rien de tout cela n’est prévu !
Constatons également que ce n’est pas grâce à un axe exclusivement franco-allemand, lequel représente un peu moins de 30 % des citoyens et un peu plus de 30 % du PIB européen, que nous résoudrons la crise. « L’Europe de papa » est morte ! Aujourd’hui, l’Union se construit à vingt-sept et même à vingt-huit, et c’est tous ensemble qu’il convient de se mobiliser pour trouver des solutions.
Ne cédons pas non plus à la facilité en voulant tout traiter dans la zone euro, alors que nos règles sont communes et sont valables dans l’ensemble de l’Union européenne. C’est une question de lisibilité vis-à-vis des citoyens européens et, plus largement, du monde.
J’exhorte ceux qui doutent de la pertinence de ces orientations, car ils constatent que l’Europe ne permet pas aujourd’hui de mener la politique qu’ils souhaitent, à se mobiliser pour une Europe démocratique et sociale, à accepter le combat politique dans l’espace aujourd’hui pertinent pour changer notre cadre économique et social. Ce combat, il nous faudra le mener tous ensemble pour un nouveau traité de convergence budgétaire, fiscale et de croissance, en lieu et place du TSCG.
Mais ne dispersons pas nos forces, ne nous trompons pas d’ennemis. La renégociation du TSCG pour en faire un outil de croissance économique doit être notre priorité. Elle est indispensable et doit être au cœur de notre projet européen. Néanmoins, combattre le MES seulement en nous appuyant sur les imperfections que j’ai soulignées serait improductif. Soyons-en conscients : sans capacité d’intervention, l’Europe sera plus que jamais livrée aux forces de l’argent, aux oligarchies, et cela ne fera qu’aggraver la détresse de ses citoyens.
Monsieur le ministre, nous aurions pu voter ces deux projets de loi si nous avions eu des réponses aux trois questions suivantes : quels outils la gouvernance de la zone euro se donne-t-elle pour relancer la croissance et, de la sorte, rendre supportables les politiques de rigueur qu’implique le recours au MES ? Quelles réformes faut-il préparer pour faire du MES un outil à la disposition de la BCE et au service des Européens ? Enfin, comment assurer un contrôle démocratique sur les orientations budgétaires qui seront imposées par le TSCG ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons pas parler du MES sans évoquer aussi le TSCG, car l’un ne va évidemment pas sans l’autre.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. Cette conclusion résulte de la lecture croisée des considérants des deux traités. Le considérant 5 du traité instituant le Mécanisme européen de stabilité précise notamment : « Il est reconnu et convenu que l’octroi d’une assistance financière dans le cadre des nouveaux programmes en vertu du MES sera conditionné, […], à la ratification du TSCG par l’État membre concerné ».
M. Jean Bizet. Eh oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. On ne saurait être plus clair !
Dans le dernier alinéa du préambule de projet de TSCG, la clarté est non moins évidente puisqu’il y est écrit que l’octroi « d’une assistance financière dans le cadre des nouveaux programmes en vertu du mécanisme européen de stabilité sera conditionné, à partir du 1er mars 2013, à la ratification du présent traité par la partie contractante ».
Ces clauses croisées l’établissent clairement : un État qui n’aura pas accepté les conditions extrêmement rudes du TSCG, lequel programme une austérité à perpétuité, ne pourra pas bénéficier des dispositions du MES.
Il ne sert à rien d’ergoter sur le fait qu’il ne s’agit que de considérants et non d’articles. L’Allemagne a été très claire : disposant d’une minorité de blocage, d’un droit de veto, au même titre, d’ailleurs, que la France, l’Italie et l’Espagne, elle fait de la signature du TSCG la condition sine qua non de la mise en œuvre du MES. Rappelons qu’il s’agit du principal souscripteur au MES, à hauteur de 190 milliards d’euros, du seul grand pays à avoir conservé son triple A. Qui paie commande !
Réfléchissez-y, mes chers collègues. Nombre d’entre vous ont parlé de fédération, refusant de voir la réalité en face : pour mettre en place une fédération, c’est comme pour un mariage, il faut être deux ! Or, aujourd’hui, les Allemands ne sont pas dans cette disposition d’esprit. Il serait temps de vous en aviser.
M. Jean-Claude Lenoir. Ils ont voté !
M. Jean-Pierre Chevènement. Ce sont eux qui, les premiers, en 2010, ont voté une clause dite de « schuldenbremse », de « frein à l’endettement ». M. Sarkozy l’a reprise sous la forme de la « règle d’or », mais mieux vaudrait parler de « règle d’airain ». Il prétend maintenant vouloir l’européaniser. Tout cela est un piège grossier à des fins électorales, chacun peut le comprendre.
Le TSCG prévoit non pas seulement la suppression du déficit, ce qui représente tout de même 4 points de PIB, mais aussi une clause de désendettement à hauteur de 60 %. Cela nous obligerait à faire pendant vingt ans un effort supplémentaire de 1,5 point, l’équivalent de 110 milliards d’euros d’abattements chaque année. Où va-t-on ?
M. Pierre-Yves Collombat. Dans le mur !
M. Jean-Pierre Chevènement. Y avez-vous bien réfléchi, mes chers collègues ?
Le TSCG est plus qu’un traité de rigueur, c’est un exercice disciplinaire, surréaliste, qui évoque à s’y méprendre le port du cilice par le pénitent en cours lors de siècles maintenant révolus ! (Sourires.) Voilà un traité de mortification, un piège dont le MES n’est que l’appât.
Le Mécanisme européen de stabilité est un pare-feu illusoire. Il n’est en aucune manière le moyen de restaurer la compétitivité dégradée des pays en difficulté, car il ne s’attaque pas à la racine du mal, c'est-à-dire l’hétérogénéité de la zone euro.
Je ferai observer à M. Marini que ce n’est pas simplement une prophétie autoréalisatrice qui frappe le mécanisme de l’euro. Ce sont des déséquilibres de balance commerciale, car eux-mêmes traduisent des écarts de compétitivité croissants. Voilà l’origine du mal ! Or il n’y est pas porté remède.
Le directeur général du Trésor a évoqué la possibilité de rendre, un jour, le MES « bancarisable ». Je souhaite que nous y parvenions, mais il s’agit à mon sens d’un vœu pieux, l’Allemagne ne l’entendant pas ainsi. L’auriez-vous oublié, mes chers collègues ? Il semble que, chez certains d’entre vous, cette information soit entrée par une oreille et ressortie par l’autre !
Le MES est, nous dit-on, une organisation intergouvernementale, bien que les institutions communautaires interviennent dans son fonctionnement. Mais aucun contrôle parlementaire national ne s’exerce sur les fonds mis à sa disposition, soit 6,5 milliards d’euros de crédits de paiement et 16 milliards d’euros d’autorisations d’engagement.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Bien sûr que si !
M. Jean-Pierre Chevènement. Ne sont pas plus contrôlés les 126 milliards d’euros supplémentaires. Or, comme vous-même l’avez observé à juste titre, madame la rapporteure générale, ceux-ci valent garantie de l’État ; ils devraient donc faire l’objet d’un vote du Parlement.
Nous sommes très loin de la situation qui prévaut en Allemagne. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe exerce un contrôle vétilleux, au nom du « principe de démocratie ». Selon elle, le Bundestag doit autoriser préalablement les décisions susceptibles d’affecter significativement le budget national.
Puisque l’amitié franco-allemande est marquée, depuis Jean Monnet et Konrad Adenauer, par l’unité, par l’égalité, François Hollande l’a encore rappelé, je vous demande d’étendre à la France les dispositions prévalant en Allemagne. Ce serait une bonne façon de montrer l’égalité dans l’unité.
Je n’évoquerai pas la résolution de la commission des affaires européennes du Sénat, sauf pour dire que l’idée de mettre en place une conférence interparlementaire associant des représentants des différentes commissions est tout à fait insuffisante.
J’en viens, pour finir, à la décision du Conseil européen modifiant l’article 136 du TFUE. C’est un détournement de procédure parfaitement illégal !
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Jean-Pierre Chevènement. La révision simplifiée n’est envisageable que dans la mesure où il n’y a pas accroissement des pouvoirs des institutions européennes. Tel n’est pas le cas en l’espèce. À l’évidence, lesdites institutions participent au mécanisme, siègent en tant que telles et sont mandatées pour imposer à l’État concerné les conditions d’une intervention du MES.
Mes chers collègues, ne nous leurrons pas, ne nous payons pas de mots : la révision simplifiée prônée par le TFUE n’est pas possible juridiquement en la circonstance. Pareil transfert est la négation de la souveraineté des peuples et s’apparente à un véritable coup d’État du point de vue du droit.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. Le Conseil constitutionnel aura vraisemblablement à se prononcer, lui qui vient de montrer, je tiens à le saluer, toute sa vigilance concernant l’exercice des libertés républicaines. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et sur les travées du groupe CRC.)
Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Europe croit se sauver en violant sa propre légalité. En réalité, elle persévère dans l’erreur. Il serait plus sage de reprendre un peu de distance pour ne pas nous enfermer toujours davantage dans l’exercice consistant à vouloir remplir un puits sans fond ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Europe connaît depuis plus de deux ans d’importantes turbulences, qui l’ont conduite à devoir surmonter une crise sans précédent. Les dirigeants européens, au premier rang desquels le Président de la République et la Chancelière allemande, se sont particulièrement mobilisés pour préserver l’euro et résister aux tentatives de déstabilisation de la part des spéculateurs.
Une première réponse a consisté en la mise en place, au printemps 2010, du Fonds européen de stabilité financière. Créé dans des circonstances exceptionnelles et avec un statut de société privée, ce dispositif a cependant été établi pour une durée limitée de trois ans et s’achèvera donc en juillet 2013.
Or le problème de l’endettement de la zone euro réclamera des années d’efforts à tous les États membres. Il sera d’autant plus difficile à régler qu’il touche aussi la plupart des autres grandes zones développées : l’Europe hors zone euro, les États-Unis et le Japon. Bien sûr, il faut faire face à l’urgence, mais rien ne nous dispensera des efforts de longue haleine nécessaires pour réduire l’endettement.
Il convient donc de nous inscrire dans la durée et d’apporter des réponses pérennes. Pour atteindre cet objectif, il est désormais nécessaire d’aller au-delà du mécanisme du FESF et de remédier ainsi aux faiblesses originelles de l’Union économique et monétaire. Nous devons véritablement franchir un seuil qualitatif, au travers de l’instauration d’un mécanisme permanent de gestion des crises.
Pourquoi le traité de Maastricht n’avait-il pas prévu un mécanisme de coordination des politiques financières et économiques, qui paraît aujourd’hui si évident ? La raison est simple : à l’époque, on craignait que la prise en compte du degré d’intégration nécessaire ne conduise à une Europe à plusieurs vitesses et ne trouble les opinions publiques concernées.
Force est de constater que les esprits ont considérablement évolué : personne ne s’offusque du fait que les vingt-sept États membres ne peuvent avancer à la même vitesse ; personne ne s’émeut de cette notion de souveraineté partagée, laquelle, dans le cadre du semestre européen, est désormais considérée par les Françaises et les Français prêts à regarder la vérité en face comme une force et non comme une faiblesse. Notre pays ne subit aucune perte d’influence.
S’il nous a fallu dix-sept sommets européens pour parvenir à élaborer une nouvelle architecture fondamentale pour le fonctionnement de l’Union européenne, nous le devons à l’indéfectible volonté française. Souvenons-nous, l’Allemagne était, il y a encore deux ans, totalement fermée à l’idée d’une gouvernance économique. Au fil du temps, la construction européenne apparaît, une fois de plus, comme la résultante d’une succession d’alliances entre États membres.
Comment avoir voulu, en effet, se doter d’une monnaie unique sans, parallèlement, mettre en place une coordination des politiques économiques ? Ce fut une erreur grossière, collective, comme l’a rappelé Philippe Marini. Remédier à cette incohérence est donc crucial pour l’avenir tant de l’Europe que de la France.
Initié dès le Conseil européen des 16 et 17 décembre 2010, le Mécanisme européen de stabilité, véritable fonds monétaire européen disposant d’un statut d’organisation internationale, permettra de nous doter de moyens d’action rapide, adaptés à la stabilisation des marchés. Même si la Commission européenne, assistée de la Banque centrale et, en cas de nécessité, du FMI, aura un rôle à jouer dans le mécanisme de régulation, ce seront bien les ministres des finances de la zone euro, composant le conseil des gouverneurs, qui prendront directement les décisions.
Un tel fonctionnement présente un double avantage : premièrement, et je m’adresse tout particulièrement aux esprits chagrins qui voudraient laisser penser le contraire, le processus décisionnel émanera toujours d’une autorité politique ; deuxièmement, on gagnera très nettement en réactivité, atout essentiel, vous le savez bien, face aux marchés financiers.
La gravité de la situation actuelle nous impose d’être guidés par le pragmatisme et le souci de l’efficacité. Je sais que certains sont critiques à l’égard de la méthode choisie, l’intergouvernemental, au lieu de la méthode originelle, à savoir le communautaire. L’urgence, imposée par la fébrilité, voire l’irrationalité des réactions des marchés financiers, nous a conduits à préférer l’intergouvernemental en la circonstance. Il importe de rappeler, malgré tout, que la ratification du traité ne peut d’ailleurs être assimilée à un quelconque abandon de souveraineté de la part des États cosignataires : aucun transfert de compétences ni aucune limitation de la souveraineté ne sont envisagés ; rien n’est fait sans le consentement des États.
Je l’ai déjà dit, le principe même de la construction européenne repose sur la souveraineté partagée, et il s’applique au budget comme aux autres domaines. Nous ne pouvons pas continuer à élaborer nos lois budgétaires et fiscales de manière isolée, alors que nous avons une monnaie unique à gérer ensemble. C’est bien le sens de l’accord intergouvernemental conclu par vingt-cinq pays européens le 30 janvier dernier et qui doit être entériné lors du prochain Conseil européen des 1er et 2 mars prochains. Le mécanisme imaginé est parfaitement équilibré puisque solidarité et responsabilité sont indissociables dès lors que l’on entend répondre aux sensibilités propres des différents États membres.
Pour conserver tout son sens à ce mécanisme, il est en effet essentiel que les États membres s’engagent conjointement en faveur d’un pacte budgétaire de nature à conduire les économies européennes vers la stabilité budgétaire, condition indispensable pour renouer avec la compétitivité, la croissance et l’emploi. En d’autres termes, si l’État membre concerné ne donne pas son accord au pacte budgétaire, il ne peut bénéficier du soutien du MES.
Cet accord portant sur le pacte budgétaire est fondamental pour la crédibilité de l’Europe. À l’heure où certains spéculateurs parient sur l’incapacité des gouvernements européens à prendre des décisions, voire espèrent purement et simplement l’éclatement de l’Europe, l’accord du 30 janvier démontre que, en dépit de quelques atermoiements – qui n’ont rien d’étonnant dans l’actuel contexte de crise –, les Européens ont été à nouveau capables de se réunir, de trouver un terrain d’entente et de formaliser un engagement clair.
L’engagement obtenu est donc capital, non seulement pour notre avenir commun en Europe, mais aussi, tout simplement, eu égard aux autres pays du monde, qui nous jugent sur notre capacité à décider. Toute velléité de remise en cause de cet engagement compromettrait sérieusement cette crédibilité. C’est dire si le vote de chacune et de chacun d’entre nous revêt, en cet instant, une importance majeure.
Les deux traités qui nous sont soumis symbolisent aussi le renforcement du lien franco-allemand, car rien n’aurait été possible avec nos autres partenaires européens sans une véritable relation de confiance entre ces deux membres fondateurs. Ce travail en commun est, et restera, essentiel.
Même si le couple franco-allemand ne dispose pas d’un privilège, l’expérience montre que le rapprochement des points de vue entre la France et l’Allemagne prépare toujours un accord plus large.
Ayons également présent à l’esprit les dispositions de l’article 13 du projet de traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, qui renforce la coopération ainsi que les échanges entre le Parlement européen et les parlements nationaux en matière de politiques budgétaires. Le Mécanisme européen de stabilité y aurait toute sa place.
À nous de saisir l’opportunité de ces échanges ! C’est d’ailleurs ce que nous avons fait, dans un parfait consensus, lors du vote de la dernière résolution au sein de la commission.
Je tiens également à couper court à toute critique concernant la problématique de la croissance. Il est vrai, comme l’a dit Richard Yung, qu’une légère récession guette la zone euro, au travers d’une diminution de la croissance de huit États membres. Cela ne doit pas nous faire oublier pour autant que, dans cette conjoncture, la prévision de croissance de la France en 2012 est de 0,4 %. Pour reprendre les propos du président de la BCE, M. Mario Draghi, « la base sur laquelle nous pourrons réformer nos économies pour les rendre plus compétitives est la lutte contre les déficits publics ».
Je précise que la dette s’alourdit chaque jour de 120 millions d’euros. C’est en approfondissant le marché unique que nous devons, et pouvons, trouver un potentiel de croissance aujourd’hui insuffisamment exploité.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Jean Bizet. Ne nous perdons pas dans d’autres conjectures, sauf à y voir un moyen de nous détourner de l’essentiel !
Avant de conclure mon propos, je tiens à déplorer qu’il ne soit pas possible, sur un tel sujet, de dépasser les clivages partisans et d’oublier, au moins le temps d’un vote, les prochaines échéances électorales. Je vous renvoie, à ce propos, à la tribune publiée dans Le Monde du 25 février dernier par plusieurs parlementaires européens, notamment M. Cohn-Bendit (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.),…
M. Jean-Pierre Chevènement. Bizet et Cohn-Bendit, quel rapprochement !
M. Jean-Pierre Caffet. Soixante-huitard ! (Sourires.)
M. Jean Bizet. ... et plusieurs économistes, qui ont qualifié de « bourde historique » le vote des députés de gauche et des écologistes à l’Assemblée nationale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Attendez le vote du Sénat !
M. Jean Bizet. L’Europe, qui a divisé les socialistes français d’hier, ne réunit pas davantage ceux d’aujourd’hui, enfermés qu’ils sont dans leurs débats internes. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Je vous le dis en toute amitié, mes chers collègues : à l’heure où le monde change, vous ne changez pas !
M. Christian Bourquin. Vous nous provoquez !
M. Jean Bizet. Au moment où nous devons adresser au marché un signal fort, nous faisons le choix d’un modèle économique basé sur l’économie de marché et d’un modèle social qui ne pourra plus jamais être financé à crédit, comme cela fut trop longtemps le cas par le passé, au risque de pénaliser les générations qui nous suivront.
M. Alain Néri. Tout a commencé sous Giscard !
M. Jean Bizet. Regardez les socio-démocrates allemands : ce choix, ils l’ont fait, mais à Bad Godesberg, en décembre 1959, il y a cinquante ans !
M. Jean-Michel Baylet. Vous êtes dans l’actualité...
M. Jean Bizet. Pour ma part, je suis convaincu que les dispositifs introduits par ces deux traités représentent une avancée. Je voterai donc, avec conviction et détermination, en leur faveur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le MES, exposé et analysé par M. le ministre et Mme le rapporteur général, confère à l’Union européenne la stabilité économique qui lui faisait défaut depuis l’entrée en vigueur de l’euro. Cette structure pérenne vient remplacer le FESF, structure temporaire qui fut indispensable pour répondre en urgence à la crise, et qui restera en place jusqu’en 2013, le temps que le nouveau mécanisme soit ratifié par les États membres.
Le MES, organisation internationale délibérant à la majorité de ses membres, s’inscrit dans l’évolution des traités de Maastricht, d’Amsterdam et de Lisbonne.
Ce texte, qui suscite les interrogations de l’opinion publique, répond aux questions existentielles portant sur l’avenir de l’Union.
La stabilité, principale vertu du traité, est consacrée par le MES, qui vise, par un capital élevé et les garanties solides dont disposent les États bien notés, à donner confiance aux investisseurs. Il fonctionnera comme un système d’assurance.
La France et l’Allemagne ont eu un rôle moteur pour maintenir la Grèce au sein de la zone euro, alors que la stabilité de l’ensemble de la zone était menacée. Il y a quelques mois à peine, le risque de propagation à l’Italie, au Portugal ou à l’Irlande était prégnant. La stabilité financière de l’Union, qui traduit sa solidarité, constitue un bien commun bénéficiant à tous.
Le MES, après le sauvetage de la Grèce, pose la question de l’étendue de la solidarité entre les membres de l’Union.
Ce terme de solidarité, « propriété des Européens continentaux », est presque inconnu des Anglo-Saxons, souligne un éditorialiste du Financial Times. On réalise l’abîme d’incompréhension qui nous sépare de nos voisins britanniques ! La solidarité répond en effet, pragmatiquement, au respect des intérêts de chacun et soude l’Union.
La faiblesse congénitale de l’euro résidait dans l’absence de gouvernance économique et financière, très critiquée par Jacques Delors et Valéry Giscard d’Estaing. Ces éminents Européens ont enfin été entendus. Ce traité répond à l’impératif d’union économique et financière par des mesures nouvelles de coordination des politiques économiques et de gouvernance. Cela constitue peut-être même une étape sur le chemin du fédéralisme budgétaire.
Pendant de la solidarité européenne, la discipline budgétaire doit être mise en application non seulement dans les États aidés, mais aussi dans tous les États membres, par le biais de l’exigence de l’équilibre budgétaire, dite aussi « règle d’or », contenue dans le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, qui sera soumis à ratification lorsque nous aurons transposé cette règle en droit interne. Monsieur le ministre, quel en sera le calendrier ? Quelle sera l’articulation entre les deux traités ?
Je ne suis pas convaincu qu’il faille lier le MES à la BCE, car cela affaiblirait la banque centrale en élargissant, et donc en diluant, son rôle. Quelle est la position du Gouvernement sur cette proposition de la commission des finances ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il est pour !
M. Aymeri de Montesquiou. La rigueur ne doit pas étouffer la croissance et la compétitivité. Il faut trouver le bon équilibre ; nous avons eu le même débat lors de l’examen du collectif budgétaire.
L’Europe doit bien sûr favoriser la croissance et l’emploi. La lettre aux présidents Van Rompuy et Barroso, envoyée par David Cameron et onze autres chefs de gouvernement, contient un certain nombre de propositions intéressantes en matière de relance de la croissance.
Ne laissons plus nos incertitudes et nos égoïsmes nationaux entraver l’essor de l’Europe ! Premier marché mondial, elle ne parvient pas à devenir la puissance économique et politique mondiale qu’elle devrait être en se rassemblant et en se coordonnant.
Aussi ne puis-je comprendre la décision des socialistes, pourtant héritiers du Président Mitterrand, Européen convaincu, de s’abstenir sur ce texte.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Ne vous posez pas trop de questions !
M. Aymeri de Montesquiou. Soit nous avançons avec nos partenaires dans une Union à Vingt-sept, soit nous restons en marge, ce qui est inconcevable. Pourquoi prendre le risque d’entraver la construction européenne ?
Permettez-moi, après Jean Bizet, de citer Daniel Cohn-Bendit, Européen incontesté, qui stigmatise « l’hypocrisie de la gauche française, Verts compris ».
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
M. Jean Bizet. C’est vrai !
M. François Marc. Soixante-huitard !
M. Aymeri de Montesquiou. Selon lui, « le Mécanisme européen de stabilité est l’une des rares choses positives que l’on a pu arracher au Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, et surtout à l’Allemagne : il instaure une solidarité financière entre les pays de la zone euro... Le MES est la porte d’entrée vers les obligations européennes. Si, demain, la gauche parvient au pouvoir, elle sera très contente d’avoir un MES à sa disposition pour organiser la solidarité financière ».
M. Alain Néri. Merci !
M. Aymeri de Montesquiou. Et il ajoute : « Le refuser, c’est injurier l’avenir ». C’est clair et réaliste !
Les pays en difficulté ayant reçu des aides de l’Union ont engagé de véritables réformes structurelles. S’agissant de la Grèce, pour illustrer l’absence de coordination passée de l’Europe, je pourrais citer Thucydide, qui déplorait déjà que les cités grecques jouent indépendamment les unes par rapport aux autres, et donc les unes contre les autres.
La situation que vit la Grèce est terriblement difficile. Pendant des années, loin de mettre à profit les fonds structurels pour moderniser et assainir son économie, elle a été gangrenée par le clientélisme, dénoncé par les ministres grecs eux-mêmes, et n’a pas su réformer sa fiscalité, notamment le statut fiscal de l’église orthodoxe. Le plus difficile sera d’encaisser l’impôt, tant il semble normal, dans ce pays, de frauder.
Pourtant, l’espoir est permis, et les choses commencent à changer. Ainsi Panos Beglitis, ancien ministre de la défense, député de Corinthe, qui fustige le système politique grec, se félicite-t-il du Mémorandum II, qui permettra à son pays de changer radicalement et d’aller de l’avant.
Je tiens à revenir brièvement sur le rôle scandaleux joué par Goldman Sachs, qui, dans le même temps qu’il conseillait le gouvernement grec, incitait à la spéculation sur sa dette, dans le mutisme des agences de notation.
Une mission commune d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation, présidée par Mme Espagnac du groupe socialiste, et dont je suis le rapporteur, a été créée sur l’initiative du groupe de l’UCR. Je suis certain que nous parviendrons à tirer des conclusions très intéressantes sur le fonctionnement de ces agences.
L’Espagne de Marino Rajoy mène des réformes courageuses, malgré un taux de chômage des jeunes catastrophique de 46 %, ou plutôt, justement, pour inverser cette tendance.
M. Michel Le Scouarnec. Quelle Europe !
M. Aymeri de Montesquiou. L’Italie de Mario Monti, avec modestie et efficacité, mène les réformes à « un train d’enfer » – selon les propres termes du président du Conseil italien –, allant jusqu’à supprimer des strates administratives pour faire des économies. Nous aurions dû en faire autant, monsieur le ministre, au lieu de choisir un moyen terme trop complexe.
L’OCDE a salué les réformes entreprises dans notre pays depuis cinq ans. Cependant, en cette période électorale, l’économiste allemand Klaus Zimmermann, professeur à l’université de Bonn, fait un constat alarmant sur le programme économique de la gauche, qui nous ferait revenir au moins dix ans en arrière. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Claude Lenoir. Au moins !
M. Aymeri de Montesquiou. Comme il le souligne, « plus la France tardera à adopter une vision globale pour l’Europe, plus cela risque de lui nuire, tout comme au reste de l’Europe. Les gouvernements réformistes italien et espagnol ne manqueront pas de souligner, à la première occasion, qu’ils sont largement en train de devancer la France ».
Soyons tous responsables, soyons tous Européens ! Nous avons oublié l’enthousiasme des pères fondateurs, capables de placer l’idéal européen au-dessus des égoïsmes nationaux, car ils étaient convaincus que ce qui était bon pour l’Europe était bénéfique à tous ses membres.
Sur ces travées, nous nous affirmons tous Européens. Comme les pères fondateurs, plaçons les intérêts de l’Europe, notamment ceux de la France, au-dessus des intérêts partisans en votant ce Mécanisme européen de stabilité ! (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Leonetti, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. J’interviens par courtoisie vis-à-vis des orateurs qui se sont exprimés, mais je serai bref. D’ailleurs, je me suis même demandé si je devais répondre puisque, finalement, la décision est acquise. En effet, la droite va voter les projets de loi, une partie de la gauche va s’abstenir et une autre partie de la gauche va voter contre.
En fait, mesdames, messieurs les sénateurs, peu d’entre vous contestent la solidarité qui existe à l’intérieur du Mécanisme européen de stabilité. En effet, de quoi s’agit-il ? De défendre des États fragiles, quel que soit leur passé, dans le contexte d’une pression financière et d’une spéculation qui risquent de déstabiliser, d’abord, des États et donc des peuples et, ensuite, la construction de la zone euro et celle de l’Europe.
Il fut un temps où j’aurais été contraint dans cette enceinte – sans, d’ailleurs, en être gêné – de m’adresser au centre, c’est-à-dire à la partie pro-européenne des socialistes, de la droite et du centre, puis de me tourner vers la droite de l’hémicycle pour parler aux souverainistes, qui auraient voté contre, et vers la gauche pour convaincre les communistes – n’en déplaise à certains, il en existe encore –,…
Mme Éliane Assassi. Merci !
M. Jean Leonetti, ministre. … qui se seraient également opposés aux projets de loi. En outre, certaines personnalités, comme Jean-Pierre Chevènement, auraient fait entendre leur voix forte.
Tel n’est plus le cas, car la droite et le centre sont européens. Sans doute, existe-t-il un certain nombre de débats en leur sein, mais, pour ce qui est de ce mécanisme, l’opposition sénatoriale et la majorité de l’Assemblée nationale sont fortement déterminées à ne pas laisser des États fragiles en perdition face à la spéculation. Cela est vrai même si l’endettement de ces États résulte en grande partie de l’irresponsabilité d’un certain nombre de dirigeants, dans un contexte où l’euro a masqué les différences et les divergences qui pouvaient exister entre les économies.
Je m’attendais à entendre un certain nombre d’entre vous dire que ce mécanisme est bon. Je n’ai pas été déçu. En effet, Mme la rapporteure générale s’est déclarée convaincue de l’intérêt du Mécanisme européen de stabilité. De la même façon, à l’Assemblée nationale, j’ai entendu Élisabeth Guigou dire que, dans un autre contexte, elle aurait voté les projets de loi. Il y a quelques instants, j’ai même entendu M. Baylet dire avec beaucoup de difficultés que, en d’autres temps, dans d’autres situations, avec d’autres majorités, lui aussi aurait voté avec enthousiasme en faveur du MES.
J’ai bien compris qu’il est vain de combattre, puisque d’abord le combat est gagné et qu’ensuite, mesdames, messieurs les sénateurs socialistes, vous avez décidé de ne pas choisir. Il ne s’agit pas pour moi de vous invectiver ; le temps n’est pas à la polémique.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Ça va être pire !
M. Jean Leonetti, ministre. Je veux simplement vous dire qu’il aurait peut-être fallu que nous dépassions le moment un peu particulier dans lequel nous sommes.
Personne ne peut prétendre que la décision de créer le Mécanisme européen de stabilité a été prise à la va-vite, dans un but essentiellement électoraliste. Ce mécanisme existe, parce que l’ensemble des pays européens, à un moment donné, ont voulu opposer des pare-feu à un incendie qui les touchait anormalement.
Nous avons bien compris que la position du parti socialiste n’émane pas de ses parlementaires, mais qu’elle lui a été soufflée par son candidat à l’élection présidentielle. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Qu’en savez-vous ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Nous sommes grands !
M. Jean Leonetti, ministre. Je trouve dommage que, sur un sujet aussi important, s’agissant d’une étape majeure de la construction européenne, nous ne soyons pas réunis. De temps en temps, en effet, nous avons vocation à nous retrouver. C’est ainsi que j’ai voté, sur l’initiative des socialistes, en faveur de certaines étapes décisives de la construction européenne.
Je le dis avec tranquillité, mais en même temps avec fermeté : il est dommage de penser à la prochaine élection alors qu’il faudrait penser à la prochaine génération !
M. Jean-Marc Todeschini. La prochaine élection ? Vous ne pensez qu’à ça !
M. Jean Leonetti, ministre. Les enfants européens, lorsqu’ils feuilletteront la petite histoire de la construction européenne, apprendront que des hommes et des femmes avaient la conviction qu’il ne fallait pas construire l’Europe ainsi. Certains siègent d’ailleurs sur ces travées. Mais ces enfants découvriront aussi que d’autres, bien qu’ils aient su que cette construction était bonne, ont choisi de s’abstenir ou d’être absents.
Choisir de ne pas choisir, c’est une faute en politique, même si vous pensez que, tactiquement, vous avez raison. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Marc Todeschini. Pas de leçons de morale ?
M. Jean Leonetti, ministre. Cyniquement, vous avez peut-être raison, mais, politiquement et moralement, vous avez tort ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.
mécanisme de stabilité pour les états de la zone euro
M. le président. Nous passons à la discussion du projet de loi autorisant la ratification de la décision du Conseil européen modifiant l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en ce qui concerne un mécanisme de stabilité pour les États membres dont la monnaie est l’euro.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité de la décision du Conseil européen modifiant l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en ce qui concerne un mécanisme de stabilité pour les États membres dont la monnaie est l’euro (n° 393, 2011-2012)
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée, pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, auteur de la motion.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la dernière séance de questions d’actualité au Gouvernement devant le Sénat, Mme Valérie Pécresse, porte-parole du Gouvernement, ministre du budget, s’est exclamée : « Nous ne voulons pas laisser tomber la Grèce. » C’est là, finalement, le seul argument invoqué pour défendre le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité, qui constitue de fait une terrible machine à imposer l’austérité aux peuples européens.
Comment affirmer que les chefs d’État européens ne laissent pas tomber les Grecs, lorsqu’on examine la situation dramatique de ce peuple ? En Grèce, en effet, le chômage touche maintenant 20 % des actifs et 40 % des jeunes.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas la faute de l’Europe !
Mme Éliane Assassi. Le salaire minimum a été baissé de 22 %, et même de 32 % pour les jeunes. Les services publics sont mis en pièce : le budget du secteur hospitalier, par exemple, est réduit de 40 %.
Les besoins de base du peuple ne sont plus satisfaits. La malnutrition fait massivement son apparition et, sur onze millions d’habitants, trois millions sont officiellement considérés comme pauvres.
Le matériel pédagogique n’est plus fourni dans les écoles, et le chauffage y est souvent coupé.
J’ai même lu récemment dans la presse qu’une jeune femme avait dû renoncer à accoucher en milieu hospitalier, parce qu’elle ne disposait pas des 900 euros qu’on lui demandait.
M. Éric Bocquet. Scandaleux !
Mme Éliane Assassi. Les capitalistes européens n’ont pas plongé la Grèce dans l’austérité, mais dans une crise de civilisation, dans une nouvelle barbarie – libérale, cette fois-ci.
« Nous ne voulons pas laisser tomber la Grèce »… Mais qui est responsable de la crise qui sévit partout en Europe ? Non pas seulement en Grèce, mais dans l’ensemble des pays d’Europe, y compris en Allemagne, n’en déplaise à ceux, comme M. Sarkozy, qui l’idolâtrent aujourd’hui. Ce sont ceux qui ont instauré une Europe dont l’objectif de domination était l’optimisation des capitaux.
L’Europe libérale n’est pas un mythe. Le désastre grec et celui qui menace au Portugal, en Espagne et en Italie démontrent qu’en laissant la voie libre aux spéculateurs – dois-je vous rappeler les dogmes maastrichtiens de la libre circulation des capitaux et de la concurrence libre et non faussée ? –, on a fait le malheur des peuples et, bien entendu, celui des plus défavorisés.
Cela fait bien longtemps que les partisans de cette Europe ont laissé tomber les peuples, les Grecs comme les autres. Aujourd’hui, ils entendent utiliser ces malheurs pour justifier un nouveau recul démocratique, qui, n’en déplaise à M. Fillon, constitue la suite logique du traité de Maastricht qui a érigé la finance en vertu cardinale de la construction européenne.
La mondialisation financière porte des coups terribles aux principes démocratiques. Qui décide ? Qui détient vraiment le pouvoir ? Tout porte à croire que l’oligarchie financière qui est à la tête des 147 multinationales dirigeant l’économie mondiale tombe les masques. Jusqu’à présent, elle se contentait de tirer les ficelles par l’intermédiaire de grandes institutions internationales comme le FMI ; maintenant, elle place ses hommes aux commandes politiques.
Comment ne pas souligner le rôle des fossoyeurs de la Grèce, ces banques sans frontières comme Goldman Sachs, qui, avec la complicité des forces politiques au pouvoir, ont manipulé le pays et l’ont conseillé officiellement pour falsifier ses comptes publics ? On sait, par exemple, que Goldman Sachs a inscrit dans le bilan comptable de la Grèce des recettes à venir, afin de faire baisser le poids de la dette dans le PIB. On sait aussi que Goldman Sachs, conseil du gouvernement, a encouragé la spéculation en conseillant à ses clients des crédits de défaut sur la dette grecque, favorisant ainsi la hausse des taux d’intérêt.
Là où le bât blesse, c’est que M. Papademos, Premier ministre grec, M. Draghi, président de la BCE, et même M. Monti, chef du gouvernement italien, sont d’anciens responsables de Goldman Sachs. M. Draghi a même présidé la branche européenne de Goldman Sachs entre 2002 et 2005, au moment où la politique sournoise de cette banque à l’égard de la Grèce était mise en place. L’adage a rarement été si bien fondé : ce sont les pyromanes qui crient au feu !
Ce rappel n’est pas anecdotique : il doit susciter une grande vigilance à l’égard de décisions prises par des personnes qui ont mené une politique dévastatrice en Europe. Cette vigilance doit être d’autant plus grande que Mme Merkel et M. Sarkozy tentent aujourd’hui de donner les pleins pouvoirs à ces financiers sans scrupule qui n’ont que faire de l’intérêt général.
En Grèce, 350 milliards d’euros ont déjà été investis, dont 237 milliards d’euros aux termes du dernier accord. Posons-nous donc quelques questions : pourquoi cela ne marche-t-il pas ? Le peuple grec serait-il inférieur ? La réponse est simple : ces sommes ne sont pas investies dans le développement social, mais réinjectées directement ou indirectement dans le circuit spéculatif. C’est ainsi qu’une partie des 130 milliards d’euros versés directement par le MES sera versée aux banques fraîchement nationalisées, mais dont le destin est d’être rapidement rendues aux intérêts privés, une fois renflouées.
Les puissances d’argent, face à la colère légitime des peuples, ont décidé une fuite en avant : face à la crise qu’elles ont elles-mêmes provoquée, elles ont décidé d’enfoncer le clou.
Le ministre des affaires étrangères allemand l’a dit lui-même : les pays qui doivent être placés sous la protection des fonds de secours de la zone euro « doivent aussi être prêts à renoncer à certains pans de leur souveraineté, notamment pour que l'on puisse intervenir dans leurs budgets ».
Mes chers collègues, ces propos font écho à ceux du président du Conseil européen, qui, le 30 novembre 2011, a évoqué des « sacrifices de souveraineté » ; ils font aussi écho à ceux de M. Sarkozy lui-même, qui a exigé une « marche forcée » pour adopter et ratifier le traité instituant le MES.
J’observe d’ailleurs que nous examinons ces deux traités lourds de conséquences en procédure accélérée et que la France serait le premier pays à les ratifier. Cette précipitation n’est pas acceptable, alors que la souveraineté budgétaire de notre pays est en cause ! En effet, il faudra avoir accepté le traité européen qui sera signé le 1er mars pour pouvoir éventuellement bénéficier de fonds versés par le MES. Or je rappelle que ce traité fait fi du pouvoir budgétaire des gouvernements et des parlements nationaux en instaurant une règle d’or européenne.
Cette méthode a déjà fait la preuve de son inefficacité. C’est la croissance qui sauvera les économies européennes, certainement pas les montages financiers issus de cet ensemble de traités, liés étroitement les uns aux autres de manière machiavélique, qui s’attaquent frontalement à la souveraineté nationale et populaire en réduisant à néant la souveraineté budgétaire. Pour ces raisons, les traités dont nous débattons cet après-midi, en particulier le traité instituant le MES, sont manifestement contraires à notre Constitution.
À ce propos, dois-je vous rappeler que, le 14 juin 2011, nous avons débattu d’un projet de loi constitutionnelle tendant à introduire dans notre Constitution une règle d’or nationale ? Les choses étaient claires : pour entériner la soumission de nos politiques budgétaires aux choix européens, il fallait modifier la Constitution.
Le débat était identique, et mon amie Nicole Borvo Cohen-Seat, présidente de mon groupe, avait dénoncé la mise en place d’une « camisole financière européenne ».
Nous savons que ce projet de loi constitutionnelle n’a pas pu aboutir, au grand dam de Nicolas Sarkozy. Ce n’est pas étonnant, puisque des critiques venaient de son propre camp. Ainsi, M. Hyest, rapporteur du projet de loi constitutionnelle, avait reconnu dans son rapport que le Gouvernement et le Parlement abandonnaient « une part de leur liberté », soulignant que cela entraînerait « de graves inconvénients pour la cohérence des travaux parlementaires et le droit d’initiative des députés et sénateurs ».
Pourquoi ces critiques, provenant de l’UMP elle-même, ne seraient-elles plus valables aujourd’hui, alors que la Constitution est tout autant bafouée par le traité modifiant l’article 136 du TFUE et par celui qui tend à instituer le MES ? Pourquoi d’ailleurs les parlementaires socialistes qui avaient alors voté contre accepteraient-ils un abandon de souveraineté décidé directement par les autorités de Bruxelles ?
Faut-il le rappeler, l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 fonde la souveraineté budgétaire ? En voici les termes : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »
Je suis surprise, voire atterrée, d’entendre parfois des remarques cyniques sur l’ancienneté d’une telle disposition, fondatrice de notre République.
Pour justifier l’injustifiable, certains sont prêts à fouler aux pieds les éléments clés de la démocratie. Ils ignorent sans doute que le Conseil constitutionnel établit de manière constante sa jurisprudence en la matière sur l’article XIV précité. Il a par exemple précisé dans sa décision du 25 juillet 2001 que « l’examen des lois de finances constitue un cadre privilégié pour la mise en œuvre du droit garanti par […] la Déclaration » de 1789. Il a réaffirmé à cette occasion les principes d’annualité, d’irréversibilité et d’unité du budget.
Les articles 5 et 13 du traité relatif au MES ne sont donc pas conformes à la Constitution de notre pays.
M. Jean Bizet. Pourquoi ?
Mme Éliane Assassi. Parce que le conseil des gouverneurs adopte, aux termes du paragraphe g de l’article 5 « l’octroi du mandat à la Commission européenne de négocier, en liaison avec la BCE, la conditionnalité de politique économique dont est assortie chaque assistance financière, conformément à l’article 13, paragraphe 3 ». Cet article 13, quant à lui, dispose : « […], le conseil des gouverneurs charge la Commission européenne […] de négocier avec le membre du MES concerné un protocole d’accord définissant précisément la conditionnalité dont est assortie cette facilité d’assistance financière. » Il poursuit, et ce point est important : « Le protocole d’accord doit être pleinement compatible avec les mesures de coordination des politiques économiques prévues par le TFUE ». Et la Commission, en lien avec le FMI, veille au respect de la conditionnalité dont est assortie l’assistance financière !
Le traité fondateur, issu du traité de Rome, sera modifié le 1er mars ; il intégrera la règle d’or européenne et donnera tout pouvoir aux autorités européennes pour décider des politiques économiques et budgétaires des États membres.
Mes chers collègues, je souhaitais faire cette démonstration pour rendre évidente l’inconstitutionnalité du traité relatif au MES et du traité modifiant l’article 136 du TFUE.
Vous l’aurez remarqué, les deux traités dont nous débattons aujourd’hui sont étroitement liés. Selon nous, chacun d’entre eux est irrecevable au regard de notre Constitution, car ils participent tous deux à la mise en cause de la souveraineté budgétaire.
Pour une plus grande clarté de nos débats, j’ai choisi de présenter, dès l’ouverture de la discussion sur le traité modifiant l’article 136 du TFUE, l’ensemble des points d’inconstitutionnalité marquant les deux traités, même si celui qui crée le MES focalise l’attention.
Je souhaite en cet instant appeler l’attention du Sénat sur la profonde illégalité dont est entaché le traité relatif à l’article 136. Cet article ne pouvait être modifié par procédure simplifiée qu’en respectant l’article 48 du traité sur l’Union européenne, qui exige l’absence d’accroissement des compétences de l’Union européenne dans ce cadre. Les partisans du MES jurent, la main sur le cœur, que la création de ce mécanisme n’entraîne pas d’augmentation des compétences puisque ce n’est pas une institution de l’Union européenne. Ils font preuve, selon moi, de mauvaise foi,…
Mme Éliane Assassi. … car, sans entrer dans les détails, chacun peut s’apercevoir du rôle nouveau et puissant de la Commission européenne, qui pourra, dès la mise en œuvre du MES, dicter ses choix économiques et sociaux aux États membres.
Le traité modifiant l’article 136 du TFUE relève donc de la manipulation pure et simple. De ce fait, il est parfaitement illégal et irrecevable.
La règle d’or du mois de juin 2011 n’était pas conforme à notre Constitution ; celle de ce mois de février ne l’est pas plus, fût-elle européenne.
Je souhaite maintenant…
M. Patrice Gélard. Encore !
Mme Éliane Assassi. Même si cela vous déplaît, j’utiliserai intégralement mon temps de parole !
… invoquer un motif d’irrecevabilité plus formel, mais significatif de la volonté de dissimuler les contours de ce grave forfait que constitue le fait de priver un peuple de sa souveraineté.
L’article 54 de la Constitution offre la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel en amont de la ratification d’un engagement international pour permettre d’exiger une révision de la Constitution. Pourquoi MM. Sarkozy et Fillon n’ont-ils pas usé de ce droit, comme cela a été fait en 1997, en 2004 ou en 2007 avant la ratification des traités importants que sont le traité d’Amsterdam, le TCE, le traité de Lisbonne ?
L’interrogation constitutionnelle est là. Faut-il la laisser en suspens au risque de trahir la conception républicaine de nos institutions ? Cette omission volontaire d’un contrôle de constitutionnalité est grave et relève d’une manipulation de nos institutions.
L’article 54 de la Constitution prévoit que soixante députés ou soixante sénateurs peuvent exercer le droit de saisine. Soixante sénateurs l’ont fait par le passé à propos du traité de Maastricht. Mes chers collègues, pourquoi ne pas le faire aujourd’hui ? Je vous laisse méditer sur cette question.
Le temps m’est compté (M. Yann Gaillard s’esclaffe.), mais comment ne pas évoquer cet autre motif flagrant d’inconstitutionnalité, à savoir le refus de tout droit de regard sur les sommes versées au MES, à la société de droit privé basée au Luxembourg qui gérera ces fonds, alors que, rappelons-le, notre pays pourra contribuer jusqu’à 142 milliards d’euros ?
Ni le Gouvernement, ni le Parlement, ni les citoyens, bien entendu, n’auront plus la moindre prise sur cet argent public mis entre les mains des financiers européens. Les dirigeants de la société en question n’auront de compte à rendre à personne. L’article 35 du traité leur confère une immunité absolue.
Mes chers collègues, nous assistons à un nouveau coup de force des partisans d’une Europe libérale bien éloignée de l’idéal de développement, de droits nivelés par le haut, de cette Europe sociale, cette Europe des peuples à laquelle nous aspirons.
Ce qui choque plus encore que par le passé, c’est la dissimulation, la manœuvre et l’utilisation du malheur des uns pour renforcer le pouvoir des oligarchies financières au mépris de la démocratie.
À ceux qui voudraient persister dans cette voie dangereuse de la tromperie et de l’asservissement des peuples, nous rappelons le référendum de 2005. Avec le Front de gauche, les sénateurs communistes mèneront la bataille avec opiniâtreté pour que les traités en cause soient soumis à référendum.
M. Sarkozy veut stigmatiser les chômeurs et les immigrés en ayant recours à la voie référendaire. Qu’il commence par soumettre au peuple français son projet d’abandon de souveraineté !
Au regard de l’importance du projet de loi relatif au MES, les membres du groupe CRC, dans un souci de clarté, demandent qu’il soit procédé à un scrutin public sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. La commission des finances s’est prononcée pour le rejet de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, mais je veux répondre sur le fond.
La Commission européenne a donné un avis sur la procédure choisie. Selon elle, les conditions requises pour pouvoir recourir à la procédure de révision simplifiée prévue par le traité de Lisbonne – c’est ce point qu’incrimine l’auteur de la présente motion – sont remplies. Je vous cite, mes chers collègues, des extraits de l’avis qu’elle a émis : « D’une part, la modification proposée porte sur une disposition […] relative aux politiques et actions internes de l’Union. La Commission relève au surplus qu’elle n’affecte ni directement ni indirectement les autres parties du TFUE.
« D’autre part, cette modification n’affecte pas les compétences attribuées à l’Union dans les traités. En effet, il ne s’agit pas de créer une nouvelle base juridique en vue de permettre à l’Union d’engager une action qui n’était pas possible avant la modification du traité. Selon le projet de décision, le mécanisme permanent de stabilité sera institué directement par les États membres dont la monnaie est l’euro. »
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, juge de la constitutionnalité des lois, ne se prononce pas sur l’élaboration des traités européens.
Mme Éliane Assassi. C’est faux, il s’est déjà prononcé !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Leonetti, ministre. Le Gouvernement est évidemment contre la présente motion.
Même si Mme Assassi s’est longuement exprimée – tout le monde a pu le constater –, elle n’a en aucune façon démontré l’inconstitutionnalité du projet de loi en cause.
Si l’on modifie l’article 136 du TFUE afin d’ajouter le Mécanisme européen de stabilité, c’est bien pour apporter une sécurité juridique eu égard à l’article 125 du traité sur l’Union européenne selon lequel on ne doit pas subventionner les États. Comme nous voulons instaurer une solidarité entre les États, il faut bien instituer une telle sécurité juridique.
Quant au Mécanisme européen de stabilité, il n’est en aucun cas de nature privée. C’est un mécanisme international. À ce titre, il est piloté par les ministres des finances de l’Union européenne. En la matière, aucun transfert de souveraineté n’est opéré à une pseudo-banque privée qui utiliserait l’argent en toute impunité et selon son bon vouloir.
Mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, permettez-moi de le rappeler une fois de plus : à gauche, deux visions de l’Europe totalement opposées s’affrontent. Vous devriez vous pencher sur cette question entre le premier et le deuxième tour de l’élection présidentielle. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J'ai été saisi de trois demandes de scrutin public émanant, la première, du groupe UMP, la deuxième, du groupe de l'UCR et, la troisième, du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 108 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 191 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 96 |
Pour l’adoption | 24 |
Contre | 167 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi.
Article unique
Est autorisée la ratification de la décision du Conseil européen modifiant l'article 136 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en ce qui concerne un mécanisme de stabilité pour les États membres dont la monnaie est l'euro, adoptée à Bruxelles, le 25 mars 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Mes chers collègues, rappelez-vous que l’Europe devait réunir les peuples. Et pourtant elle est en train de les dresser les uns contre les autres !
Désigner les seuls pays du Club Med, les PIGS en anglais, comme seuls responsables des malheurs de l’Europe a des relents d’avant-guerre peu ragoûtants.
L’Europe devait exorciser les fantômes bruns qui la hantaient. Jamais depuis la Libération, l’extrême droite n’avait été aussi puissante en Europe. Et hélas ! ce n’est pas terminé !
L’Europe devait rendre le vieux continent indépendant du capitalisme anglo-saxon, le protéger de ses crises récurrentes. La dépendance de l’Europe au FMI est désormais celle d’un pays sous-développé. Depuis la crise des subprimes, il n’est plus possible de cacher qu’elle est aussi le champ de manœuvre privilégié de la spéculation mondiale.
Depuis deux ans, l’Europe s’offre même le luxe d’une crise rien qu’à elle, celle de l’euro. Rappelez-vous, l’euro qui devait mettre un terme à la spéculation sur les monnaies l’a simplement remplacée par la spéculation sur les taux d’intérêt, livrant la Grèce aux usuriers !
L’euro devait permettre aux économies de la zone de converger, les plus forts tirant les plus faibles. Le pays le plus fort, l’Allemagne, réalise aujourd’hui l’essentiel de ses excédents commerciaux sur le dos de ses partenaires, à commencer par la France.
L’euro devait stimuler la croissance, créer des emplois, de la richesse pour tous. Le chômage, le sous-emploi, la précarité dans la zone euro n’ont jamais été aussi élevés. La Commission vient même d’annoncer que, seule au monde dans ce cas, l’Europe entrera en récession en 2012.
Et l’on nous invite à ratifier des traités qui installeront le purgatoire éternel en Europe ! Belle solidarité qui étrangle ses bénéficiaires ! Prétendre faire respirer la zone euro en la plaçant sous poumon d’acier est un non-sens absolu.
Qui peut croire que le MES, nouvelle et tardive béquille d’une construction qui tient debout seulement par la tapisserie, après les interventions en quasi-contrebande de la BCE, après le Fonds européen de stabilité financière, fera cesser la spéculation et sortira le char européen de l’ornière ?
La monétisation de la dette souveraine par une BCE remplissant toutes les fonctions d’une banque centrale est la seule réponse appropriée. Monétisation de la dette souveraine, cela signifie une force de frappe réactive, potentiellement illimitée et gratuite pour la collectivité, à la différence du MES, lourd à mettre en œuvre, insuffisant en cas d’extension de la crise, comme l’ont notamment rappelé Nicole Bricq, Jean-Louis Carrère, Simon Sutour et Philippe Marini. Jean-Pierre Chevènement l’a indiqué, le MES est à la charge des contribuables, qu’ils soient prêteurs ou receveurs.
Pas plus qu’un bricolage financier ne saurait tenir lieu de banque centrale, le copinage des partis conservateurs allemand et français ne saurait tenir lieu de gouvernance de l’Europe et de la zone euro.
Les faits ont montré que créer une monnaie commune sans référence à l’étalon-or, sans pouvoir souverain pour l’administrer, sans banque centrale jouant tous les rôles d’une banque centrale était un leurre. Plus vite on l’admettra, plus on aura de chances de sauver ce qui reste du rêve européen.
Mes chers collègues, adopter ce projet de loi ou le laisser adopter en s’abstenant retardera peut-être l’heure de vérité, mais la rendra d’autant plus pénible le moment venu. Si le MES représente pour vous un progrès, dites-vous que c’est un progrès dans une voie sans issue ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’a très justement rappelé notre collègue Aymeri de Montesquiou, la stabilité financière de l’Europe est notre bien commun. Il ne s’agit pas d’une lubie de financiers ou d’une utopie de technocrates, bien au contraire ! La stabilité financière est l’un des gages de bonne santé des économies des pays européens, un bouclier contre les revendications creuses des populistes et donc un jalon de sauvegarde des démocraties.
Les traités dont nous discutons aujourd'hui sont demandés de longue date par les sénateurs centristes, qui ont plaidé avant tout le monde – reconnaissez-le ! – pour un véritable fédéralisme européen qui aille au-delà de l’adoption d’une simple monnaie unique. J’avais eu l’occasion en octobre dernier, lors d’un débat préalable au Conseil européen, d’appeler, au nom de mes collègues du groupe Union centriste et républicaine, à l’institution d’un Trésor européen.
La route sera encore longue avant la matérialisation d’un véritable fédéralisme budgétaire, avant la constitution d’un véritable gouvernement économique de la zone euro. Et pourtant force est de constater que nous sommes d’ores et déjà engagés dans cette voie. La France a besoin de l’Europe, le monde a besoin de l’Europe, et ce au même titre que la Grèce, l’Irlande, l’Italie, l’Espagne et le Portugal. Le projet européen n’est plus seulement un idéal, il est devenu une nécessité à laquelle nous ne pouvons pas nous dérober.
On a fait tous les reproches possibles à ce traité. Et trop souvent on a superposé les enjeux. Le Mécanisme européen de stabilité n’est pas le traité de stabilité budgétaire : il n’est pas acceptable de voir certains prendre appui sur le second pour se dédouaner du premier.
Alors qu’ils ont été favorables au principe de l’Acte unique, du traité de Maastricht et du traité de Nice, je suis peinée, pour ne pas dire consternée, de voir nos collègues socialistes s’abstenir sur un tel texte et ne pas en profiter pour marquer fermement leur attachement au projet européen.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est vrai !
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame Assassi, il y a quelques instants à la tribune, vous vous êtes dite surprise et atterrée. Nous sommes, pour notre part, consternés que vous ayez déposé avec vos collègues communistes des motions tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur les deux traités, au motif que l’instauration du MES contreviendrait au retour de la croissance en Europe. Vous êtes même allé jusqu’à parler de manipulation !
Mme Éliane Assassi. Rappelez-vous 2005 !
Mme Catherine Morin-Desailly. Nous ne pouvons plus nous tromper. La dépense budgétaire seule n’a jamais été suffisante pour relancer la croissance ; elle le sera encore moins dans un monde de plus en plus ouvert. L’austérité ambiante n’est pas tant le fait du MES que celui de l’absence de réformes structurelles dans tous les pays d’Europe depuis une trentaine d’années.
Le monde change vite, plus vite que nous le pensons ; le MES est une étape utile et nécessaire à l’Europe pour que nous puissions aussi nous adapter.
Mme Éliane Assassi. Demandez l’avis du peuple alors !
Mme Catherine Morin-Desailly. C’est pourquoi les sénateurs du groupe UCR voteront avec conviction et détermination pour la ratification de ces deux traités. (Applaudissements sur les travées de l'UCR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que la commission préconise l’abstention et que le Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 109 :
Nombre de votants | 333 |
Nombre de suffrages exprimés | 195 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 98 |
Pour l’adoption | 168 |
Contre | 27 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le projet de loi est adopté définitivement.
mécanisme européen de stabilité
M. le président. Nous passons maintenant à la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité instituant le mécanisme européen de stabilité, dont la discussion générale a été close.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité instituant le mécanisme européen de stabilité (n° 394, 2011-2012)
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, auteur de la motion.
Mme Éliane Assassi. Quoi qu’en aient dit Mme la rapporteure générale et M. le ministre, nous persistons à affirmer que le mécanisme européen de stabilité, que les dirigeants européens tentent de mettre en place, est contraire à certaines des valeurs constitutionnelles qui fondent notre République.
La souveraineté budgétaire, actée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, est l’un des piliers du concept de la souveraineté populaire.
En effet, permettez-moi ce petit rappel, c’est pour marquer la rupture avec l’Ancien Régime, où noblesse et clergé accaparaient les richesses que les révolutionnaires ont gravé dans le marbre de la Déclaration le contrôle des deniers publics, autrement dit du budget du pays, par le peuple et ses représentants.
Ceux qui refusent ici d’admettre que transférer la souveraineté budgétaire aux autorités européennes constitue une attaque frontale contre ce principe démocratique sont, au mieux, dans le déni et, au pire, je l’ai dit tout à l'heure, dans la dissimulation, voire dans la manipulation.
Or, je pense l’avoir démontré, le MES organise concrètement ce transfert de souveraineté puisque, pour pouvoir en bénéficier en cas de difficultés financières aiguës, il faudra se soumettre aux conditions de la Commission européenne en matière de politique économique et sociale.
À cet égard, et cela a déjà été expliqué, ces deux traités constituent un coup de force contre la souveraineté nationale et populaire pour imposer l’austérité aux peuples, à leurs représentants et à leurs gouvernements.
Mes chers collègues, je pense que vous êtes tous conscients de l’importance de votre vote d’aujourd'hui. En votant cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, vous refusez la soumission de notre peuple aux partisans d’un libéralisme sans frein pour l’Europe. En ne la votant pas, vous acceptez un grave abandon de démocratie, aux dépens du peuple, de ce peuple, dont les candidats à l’élection présidentielle parlent à l’envi, mais qui devrait être consulté par référendum sur cette question qui engage l’avenir de notre pays.
Pour toutes ces raisons et parce que nous voulons que soient affirmés avec solennité les décisions prises et les choix opérés par les uns et les autres, nous demandons un scrutin public sur cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. La commission des finances est défavorable à la motion tendant à opposer à ce second projet de loi l’exception d’irrecevabilité présentée par nos collègues du groupe CRC, comme elle fut défavorable à la motion portant sur le projet de loi que nous venons d’adopter définitivement.
Pour ce dernier, vous aviez, mes chers collègues, fondé votre position sur deux arguments : l’atteinte à la souveraineté budgétaire et le recours à la procédure simplifiée. Sur ce dernier point, je répète que le Conseil constitutionnel n’est pas compétent pour juger du recours à la procédure simplifiée pour un traité européen.
Mme Éliane Assassi. C’est faux ! Il l’a déjà fait !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. S’agissant du projet de loi qui nous occupe présentement, vous n’invoquez que l’un de ces deux arguments : la mise en cause de la souveraineté budgétaire.
À cet égard, je rappelle que, lors de l’octroi de la garantie de l’État pour la création du Fonds européen de stabilité financière, le FESF, aucune question d’inconstitutionnalité n’a été soulevée, ni au Sénat, ni à l’Assemblée nationale.
Je veux aussi rappeler que la souscription au capital libéré ou appelable est une pratique courante. Ainsi, par le vote du collectif budgétaire à la fin du mois de décembre dernier, la France a accordé une augmentation du capital à la Banque de développement du Conseil de l’Europe par cette procédure. Or aucune motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité n’a alors été déposée.
S’agissant du MES, je procéderai à quatre rappels.
Premièrement, le Parlement devra approuver préalablement chacun des versements de l’État au MES.
Deuxièmement, la gouvernance du MES est politique : le conseil des gouverneurs est composé des ministres des finances de la zone euro. J’attire à cet égard votre attention sur un point important : la France, comme l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, dispose d’un droit de veto pour l’entrée en vigueur du MES puisqu’il faut que les États ayant ratifié le traité représentent au moins 90 % des votes.
Troisièmement, la France, comme l’Italie et l’Allemagne, bénéficie d’un droit de veto concernant la décision d’appeler du capital.
Quatrièmement, si la Banque centrale européenne et la Commission européenne estiment qu’il y a urgence à aider un État, les décisions peuvent être prises à la majorité qualifiée de 85 % des voix exprimées. La France, comme l’Italie et l’Allemagne, conserve donc son droit de veto. Cette décision est la plus importante car elle conditionne les futurs appels de capital.
Dans ces conditions, il me semble qu’invoquer l’inconstitutionnalité au nom de la souveraineté budgétaire n’est pas de mise.
Pour conclure, après avoir rappelé que, lors de la réunion de la commission des finances, le groupe socialiste s’est prononcé, à ma demande, en faveur de l’abstention, je ferai remarquer que c’est la première fois que la question de la solidarité financière est posée dans le débat public, au-delà des frontières du Parlement, et je remercie le groupe CRC d’avoir permis, en déposant deux motions, de dépasser ces frontières : les questions qu’il a posées sont importantes, c’est pourquoi j’ai souhaité y répondre point par point.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Leonetti, ministre. Mme la rapporteure générale, une fois de plus, a prononcé un plaidoyer étincelant en faveur du Mécanisme européen de stabilité ! On est donc en droit de se demander pourquoi elle ne vote pas en faveur du traité qui l’institue !
Il est évident que cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité doit être rejetée.
Pour ma part, au-delà de l’argumentaire technique approfondi que vient de développer Mme Bricq, je poserai une question essentielle : qu’est-ce que la souveraineté ?
Mme Éliane Assassi. Bonne question !
M. Jean Leonetti, ministre. J’en ai assez d’entendre dire que l’Europe porte atteinte à la souveraineté de la Grèce ! Mesdames, messieurs les sénateurs, sans l’Union européenne, la Grèce serait incapable de payer ses fonctionnaires le mois prochain ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) Pour aider la Grèce, l’Union européenne apporte 237 milliards d’euros, qui représentent la contribution des autres États membres solidaires.
La question de la souveraineté se poserait si les créanciers frappant à la porte ne pouvaient pas être remboursés : à ce moment-là, un État isolé qui ne serait pas membre de l’Union européenne ni de la zone euro, se retrouverait en faillite, comme ce fut le cas de l’Argentine… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Pierre-Yves Collombat. Les Argentins se portent très bien !
M. Jean Leonetti, ministre. Que se passe-t-il dans un tel cas de figure ? Il faut procéder à une dévaluation massive, les fonctionnaires ne sont plus payés, l’État ne peut plus emprunter. Dans une telle hypothèse, la situation du peuple grec serait effectivement très dégradée. Mais dire que la souveraineté du peuple grec est altérée aujourd’hui par l’existence d’un mécanisme de solidarité qui l’empêche de tomber sous le joug des spéculateurs et de la finance relève de la mystification ! (Protestations sur les mêmes travées.)
Mme Éliane Assassi. Pourquoi avez-vous peur de demander l’avis du peuple de France ? Pourquoi le craignez-vous ?
M. Jean Leonetti, ministre. Peut-être les dirigeants qui se sont succédé à la tête de ce pays, avec un euro qui leur permettait d’emprunter à 2 %, ont-ils alourdi sa dette au-delà du nécessaire ou du possible ? Lorsque ces gouvernements ont enfin constaté l’ampleur de leur dette souveraine, était-il opportun de doubler le nombre de fonctionnaires, d’augmenter le douzième mois, d’en verser un treizième ou un quatorzième ? (Protestations véhémentes sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Pierre-Yves Collombat. Voilà tous les clichés ! Le « club Med » ! Les « PIGS » !
M. Jean Leonetti, ministre. Effectivement, le peuple grec souffre, mais il souffre parce que ses dirigeants se sont montrés irresponsables…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et vous ? Avez-vous été plus responsables ?
M. Jean Leonetti, ministre. Aujourd’hui, l’Union européenne vient au secours du peuple grec, non seulement en accordant une aide à la Grèce, mais en empêchant que cette situation ne se reproduise, grâce au Mécanisme européen de stabilité. Je préfère donc la solidarité européenne qui permet de préserver la souveraineté des peuples, plutôt que l’absence de solidarité européenne qui laisse les peuples devenir la proie de la finance et des spéculateurs ! La souveraineté, c’est pouvoir payer ses fonctionnaires à la fin du mois ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi de trois demandes de scrutin public émanant, la première, du groupe de l’UCR, la deuxième, du groupe UMP et, la troisième, du groupe CRC.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement sont défavorables à l’adoption de cette motion.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 110 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 191 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 96 |
Pour l’adoption | 24 |
Contre | 167 |
Le Sénat n’a pas adopté.
En conséquence, nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi.
Article unique
Est autorisée la ratification du traité instituant le mécanisme européen de stabilité entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, l’Irlande, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, la République italienne, la République de Chypre, le Grand-Duché de Luxembourg, Malte, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la République portugaise, la République de Slovénie, la République slovaque et la République de Finlande, signé à Bruxelles, le 2 février 2012, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ce débat fort intéressant, fort riche, un point nous laisse perplexes : il s’agit de la conditionnalité de l’intervention du MES.
Tout d’abord, aux dernières nouvelles, l’immanence de l’État – sa nature même, en fait – ne peut qu’être invoquée face aux dettes souveraines qui lui sont opposées. La Grèce peut-elle faire défaut et, par là même, disparaître du paysage politique de l’Europe au seul motif qu’elle ne disposerait pas des moyens de payer ses dettes ? Évidemment, non !
Pour autant, la question qui nous est posée est claire : pourquoi serions-nous à l’avenir chiches et sourcilleux sur la mobilisation des fonds dédiés au Mécanisme européen de stabilité, alors que nous ne serions pas aussi attentifs à l’usage que nous pouvons faire des fonds avancés aux établissements de crédit ? En effet, madame la rapporteure générale, voilà bel et bien l’un des problèmes cruciaux que posent ces textes européens.
La Banque centrale européenne, dans sa grande sagesse – si l’on peut dire ! –, est prête, depuis plusieurs années, et encore ces prochains jours, à engager plusieurs centaines de milliards d’euros en faveur des établissements de crédit, en vue d’éviter ce que l’on appelle un credit crunch, c’est-à-dire le blocage systémique du secteur bancaire.
La BCE a d’ores et déjà avancé 489 milliards d’euros aux établissements de crédit et une enveloppe de 300 milliards à 600 milliards d’euros, avec une valeur moyenne estimée à 470 milliards d’euros, va être sollicitée par la BCE, pour être prêtée demain aux établissements de crédit au taux de 1 % ! C’est-à-dire que, moyennant un minimum de garanties – en l’espèce, le respect des critères prudentiels édictés par le comité de Bâle –, l’Europe est prête à engager, par le biais de la Banque centrale européenne, des sommes plus importantes encore que celles que l’on nous recommande de mobiliser dans le cadre du MES.
Pour parler clair, nous devrions donc être plus exigeants du point de vue de l’aide – l’appeler ainsi, avec les politiques de rigueur et d’austérité associées, est déjà un contresens ! – accordée aux États souverains, légitimés par les peuples, que nous ne le sommes vis-à-vis des banques, dont l’action a tout de même conduit quelques-uns de ces mêmes États dans la situation que nous connaissons aujourd’hui.
M. Alain Néri. Ce n’est pas faux !
M. Éric Bocquet. Alors même que la raréfaction du crédit aux PME, la chute libre des ouvertures de prêts accordées aux collectivités locales – situation aggravée en France avec la disparition probable de Dexia –, semblent montrer que l’argent accordé en abondance aux établissements de crédit n’a pas servi à modifier la donne économique. Et pourtant, sans un crédit bancaire efficace et mobilisé, quelle activité économique est encore possible ?
Nous ne pouvons tolérer, sur le fond, de telles distorsions dans l’affectation des moyens européens et nous ne pouvons accepter que l’Union européenne soit plus intrusive dans les politiques budgétaires et économiques de chaque État qu’elle n’est regardante dans la gestion des banques.
Mes chers collègues, nous pensons que « le MES n’est pas dit », si je puis me permettre, que le débat se poursuivra dans le pays et en Europe, bien au-delà de cette enceinte. Nous émettrons bien sûr un vote négatif sur cet article unique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour explication de vote.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Alors que l’Europe est menacée,…
Mme Michelle Demessine. Elle est menacée par son propre fonctionnement !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … nous devrions faire preuve d’un courage unanime, oubliant les clivages politiques et les échéances électorales. Je constate qu’il n’en est rien et que la gauche française n’a pas pris la mesure de la gravité de la situation…
Mme Éliane Assassi. Elle n’est pas plus bête que vous !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Elle a fait le choix d’adopter une posture politicienne, électoraliste, au détriment d’intérêts bien supérieurs, comme la sauvegarde des économies des nations européennes. Il est dommage, mes chers collègues, que l’intérêt de l’Europe ne soit pas un idéal partagé par tous, dans l’intérêt des peuples européens, et au-delà même de l’intérêt supérieur de la France. Cette situation est vraiment regrettable.
Bien évidemment, le groupe UMP votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Vous n’aviez vraiment pas grand-chose à dire !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que la commission recommande l’abstention et que le Gouvernement est favorable à l’adoption de ce projet de loi.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 111 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 204 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 103 |
Pour l’adoption | 169 |
Contre | 35 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le projet de loi est adopté définitivement.
6
Conventions internationales
Adoption définitive de six projets de loi en procédure d'examen simplifié dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de six projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces six projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
accord avec les comores instituant un partenariat de défense
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Union des Comores instituant un partenariat de défense, signé à Paris le 27 septembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’Union des Comores instituant un partenariat de défense (projet n° 131, texte de la commission n° 360, rapport n° 359).
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
accord avec la bosnie-herzégovine relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le conseil des ministres de Bosnie-Herzégovine relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure, signé à Paris, le 29 mars 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le conseil des ministres de Bosnie Herzégovine relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure (projet n° 184, texte de la commission n° 410, rapport n° 409).
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
convention d'entraide judiciaire en matière pénale avec le liban
Article unique
Est autorisée l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise, signée à Paris, le 21 janvier 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise (projet n° 185, texte de la commission n° 412, rapport n° 411).
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
accord avec l'allemagne relatif à la brigade franco-allemande
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à la Brigade franco-allemande (ensemble cinq annexes), signé à Illkirch-Graffenstaden le 10 décembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif à la Brigade franco allemande (projet n° 135, texte de la commission n° 405, rapport n° 404).
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
traité portant création de la force de gendarmerie européenne eurogendfor
Article unique
Est autorisée la ratification du traité entre le Royaume d'Espagne, la République française, la République italienne, le Royaume des Pays-Bas et la République portugaise, portant création de la force de gendarmerie européenne EUROGENDFOR, signé à Velsen le 18 octobre 2007, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité entre le Royaume d’Espagne, la République française, la République italienne, le Royaume des Pays-Bas et la République portugaise, portant création de la force de gendarmerie européenne EUROGENDFOR (projet n° 669 (2009-2010), texte de la commission n° 99, rapport n° 98).
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
amendements à l'accord portant création de la banque européenne pour la reconstruction et le développement
Article 1er
Est autorisée l'approbation de l'amendement à l'article 1er de l'accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, signé le 29 mai 1990, visant à permettre à la Banque d'opérer dans les pays de la partie méridionale et orientale du bassin méditerranéen, adopté à Londres, le 30 septembre 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi. – (Adopté.)
Article 2
Est autorisée l'approbation de l'amendement à l'article 18 de l'accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, signé le 29 mai 1990, visant à étendre l'utilisation des fonds spéciaux aux pays bénéficiaires potentiels de la Banque, adopté à Londres, le 30 septembre 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi. – (Adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation des amendements à l’article 1er et à l’article 18 de l’accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (projet n° 353, texte de la commission n° 408, rapport n° 407).
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
7
Conseil national des communes « Compagnon de la Libération »
Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, modifiant la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » (proposition n° 523 (2009-2010), texte de la commission n° 362, rapport n° 361).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Marc Laffineur, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’ordre national des Compagnons de la Libération, le deuxième après celui de la Légion d’honneur, a été créé par le général de Gaulle dès 1940. Le général souhaitait en effet récompenser « ceux des nôtres qui se seront signalés dans cette haute et âpre campagne, pour la libération de la France ».
Il est vrai que, au lendemain de l’armistice et de l’appel du 18 juin, nul, si ce n’est le général de Gaulle, ne pouvait prédire la victoire sur la barbarie nazie. Ceux qui choisirent de s’engager pour la France libre ou la résistance intérieure prirent tous les risques, avec leur patriotisme comme seule certitude. L’ordre des Compagnons de la Libération devait récompenser cet engagement passionné qui changea le cours de l’Histoire.
Hélas, le temps fait son œuvre : parmi les 1 038 Compagnons de la Libération, seuls vingt-huit sont encore vivants aujourd’hui. Il y a quelques jours disparaissait ainsi René Gatissou, et avant lui le colonel Bernard Demolins. Notre responsabilité de faire vivre la mémoire de leur combat en est encore accrue.
La représentation nationale s’était employée en 1999 à assurer la pérennité de l’ordre national des Compagnons de la Libération, confiant cette responsabilité aux cinq communes « Compagnon de la Libération », c'est-à-dire Paris, Nantes, Grenoble, Vassieux-en-Vercors et l’île de Sein. C’était une décision pertinente et légitime car, à n’en pas douter, les communes « Compagnon de la Libération » survivront aux vingt-huit Compagnons de la Libération qu’il reste à ce jour.
Je soulignerai deux points qui comptent selon moi parmi les principales avancées de ce texte. D’une part, il est assez souple pour donner au pouvoir exécutif une certaine marge de manœuvre afin de déterminer, avec le conseil de l’ordre et les villes « Compagnon de la Libération », l’entrée en vigueur du nouveau dispositif. D’autre part, il assure la pérennité du musée de l’ordre, dont la gestion sera confiée à l’établissement public administratif.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi, que nous devons au président de l’Assemblée nationale Bernard Accoyer et au député Michel Destot, procède d’une belle initiative : nous y sommes très favorables ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Gautier, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour satisfaire au souhait de la présidence compte tenu de la lourdeur de notre ordre du jour, mon intervention sera brève.
La présente proposition de loi, relative aux communes « Compagnon de la Libération », adoptée par l’Assemblée nationale, a été rédigée par Michel Destot, maire de Grenoble, et par le président Bernard Accoyer. Elle dépasse les clivages politiques et prévoit des évolutions en apparence mineures mais essentielles pour l’ordre de la Libération.
Je ne reviendrai pas sur la création de l’ordre de la Libération par le général de Gaulle en 1940 ni sur les communes et organismes qui ont été admis dans cet ordre à la fin de la guerre. Comme le rappelait M. le secrétaire d’État à l’instant, 1 061 croix ont été attribuées, dont 1 038 à des personnes, 5 à des communes et 18 à des unités combattantes, avec un seul critère d’attribution : la qualité exceptionnelle des services rendus, qui pouvaient ne pas être d’ordre militaire.
Au décès du général de Gaulle en 1970, le conseil de l’ordre a décidé de ne pas lui donner de successeur en tant que grand maître de l’ordre. La direction est, depuis, assurée par un grand chancelier.
S’est posée depuis plusieurs années la question de la gouvernance de l’ordre lorsque ses membres, personnes physiques, auront disparu.
La loi de 1999 formalise le pacte d’amitié conclu entre les cinq communes titulaires – Nantes, Grenoble, Paris, Vassieux-en-Vercors et l’île de Sein – en créant un établissement public national à caractère administratif, destiné à succéder au conseil de l’ordre de la Libération, dont la mission essentielle sera d’assurer la pérennité des traditions.
Il est apparu avec le temps que la loi opportune de 1999, qui avait apporté des solutions équilibrées à la nécessaire évolution de l’ordre, devait être précisée sur quelques points pour remplir pleinement ses objectifs. L’objet de la présente proposition de loi est donc d’apporter ces correctifs à travers quatre articles.
L’article 1er organise la gestion directe du musée de la Libération par le futur conseil national. Ce musée, situé actuellement à l’hôtel des Invalides, est en train de migrer vers le Mont-Valérien, ainsi que l’ordre lui-même. Ses collections regroupent plus de 4 000 pièces, 20 000 photographies et 4 800 ouvrages importants. Il est donc proposé de substituer le terme « gérer » à celui de « veiller » dans la définition des missions conférées au futur conseil national des communes « Compagnon de la Libération ».
L’article 2 instaure la possibilité, pour le futur conseil national, de recruter des agents contractuels, ce que la loi de 1999 ne prévoyait pas. Vous comprendrez naturellement l’intérêt de pouvoir disposer de personnels.
L’article 3 précise les ressources dont disposera le conseil national, en instaurant trois sources de financement nouvelles : le produit des droits d’entrée du musée et des visites-conférences payantes, la rémunération des services rendus, comme le prêt de salles ou la location d’espaces, ainsi que les produits financiers résultant du placement des fonds du conseil national, composés des dons et legs, des subventions de fonctionnement et des revenus du musée, pour un total de près de 1,7 million d’euros par an.
L’article 4 mentionne que la future loi entre en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État et, au plus tard, le 16 novembre 2012, date du soixante-douzième anniversaire de la création de l’ordre. Il était donc naturel de légiférer rapidement.
En conclusion, je considère que les précisions apportées par la présente proposition de loi à la loi de 1999 sont très utiles pour assurer, sous une forme renouvelée, la pérennité de l’ordre de la Libération, et ne nécessitent pas de modification. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées l’a adoptée conforme, et j’engage le Sénat à faire de même, afin de permettre une mise en application le 12 novembre prochain. (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Débat préalable au Conseil européen des 1er et 2 mars 2012
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 1er et 2 mars 2012.
Ce débat, organisé à la demande de la commission des affaires européennes, permettra également de traiter du fédéralisme budgétaire européen, débat organisé à la demande du groupe de l'UCR et initialement programmé le 7 février dernier.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean Leonetti, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de remercier M. Zocchetto, qui, au nom du groupe Union centriste et républicaine, est à l’initiative de ce débat.
Le Sénat a adopté voilà quelques instants le projet de loi autorisant la ratification du traité instituant le Mécanisme européen de stabilité. Je regrette que ce texte aussi fondamental pour l’intégration européenne n’ait pas recueilli l’unanimité, mais j’ai bien compris que la réticence de certains était justifiée, entre autres, par le fait que la croissance n’était pas assez présente dans les préoccupations européennes.
Ce sujet sera justement au cœur du Conseil européen des 1er et 2 mars. Ce Conseil marque en effet un tournant pour l’économie européenne. L’Europe a su éteindre l’incendie. Elle a su démontrer qu’elle disposait de la volonté politique et des instruments économiques pour parer à une crise d’une intensité sans précédent.
Désormais, nous devons nous servir de cette architecture préservée, solide et cohérente pour relever les défis de la croissance et de l’emploi.
Ce sommet sera l’occasion d’affirmer le rôle de l’Europe dans le monde. Malgré la tempête que notre économie a traversée, nous devons être conscients du leadership qui est toujours le nôtre. Le volontarisme européen lors des printemps arabes et aujourd’hui encore en Syrie nous rappelle deux choses : l’Europe est une puissance politique ; cette force nous impose un devoir, celui de nous battre pour nos valeurs partout où elles sont menacées.
L’économie sera bien entendu un sujet majeur du Conseil européen.
La stratégie de l’Union pour répondre à la crise repose sur trois piliers indissociables : l’effort d’assainissement budgétaire – la discipline –, la coordination et la convergence de nos politiques, la mise en place d’actions déterminées en faveur de la croissance et de l’emploi.
La signature du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union économique et monétaire, qui aura lieu en marge du Conseil européen, s’inscrit dans cette logique.
En matière de stabilité, le traité met en place la règle d’or. Il instaure une discipline budgétaire accrue et des sanctions quasi automatiques en cas de dérives budgétaires.
En matière de gouvernance, le traité institutionnalise les sommets de la zone euro et prévoit la création d’une conférence parlementaire. Il traduit également, en son article 9, l’engagement résolu des États membres de coordonner leurs politiques économiques en faveur de la croissance
Ce Conseil européen permettra d’accroître la coordination. Il sera en effet l’occasion de tirer un bilan du premier exercice du « semestre européen » conduit en 2011, mais surtout de fixer les orientations pour relancer la croissance en 2012. Comme vous le savez, le « semestre européen » permet de coordonner les politiques de l’Union européenne et celles des États membres, conformément à la stratégie Europe 2020.
Cette année, il s’agit de la première mise en œuvre des nouveaux instruments de gouvernance et de surveillance des déséquilibres macro-économiques. Le Conseil s’appuiera sur le rapport annuel sur la croissance présenté par la Commission en novembre et sur le premier rapport sur le mécanisme d’alerte, publié le 14 février dans le cadre de cette nouvelle surveillance.
Les États membres tiendront compte et s’inspireront des recommandations pour élaborer leurs programmes nationaux de réformes, ainsi que leurs programmes de stabilité.
Cette coordination se fait bien évidemment au profit de la croissance et de l’emploi.
Notre objectif, c’est la croissance et l’emploi. Le Conseil européen développera donc de nouvelles mesures complémentaires propres à dynamiser la croissance sur notre continent.
Il est ainsi prévu de redynamiser le marché intérieur en mettant en œuvre rapidement les douze mesures prioritaires de l’acte pour le marché unique présentées par Michel Barnier, en particulier l’accès au financement des PME, le brevet européen, la modernisation des marchés publics et la simplification réglementaire pour les entreprises, notamment les PME.
Il s’agit ensuite de favoriser l’innovation : nous appuierons tout particulièrement les orientations qui permettront aux PME d’accéder au financement, avec le Fonds européen de capital-risque et les project bonds.
Il nous faudra également favoriser une véritable politique industrielle en Europe. Nous soutiendrons des actions en faveur de secteurs porteurs et stratégiques et de technologies clés telles que l’e-commerce, les microtechnologies et les nanotechnologies, l’économie verte.
La convergence fiscale devrait progresser pour la compétitivité de nos entreprises. Nous souhaitons que des progrès significatifs soient rapidement enregistrés dans l’examen des propositions de la Commission sur la fiscalité de l’énergie, sur l’assiette consolidée de l’impôt sur les sociétés, qui fait déjà l’objet de travaux importants, sur la taxation des transactions financières et sur la révision de la directive sur la taxation des produits de l’épargne.
Enfin, l’accent sera mis sur l’approfondissement des politiques sociales et sur la promotion d’un modèle social européen. Des actions seront financées par le Fonds de solidarité européen, en particulier pour l’apprentissage des jeunes, la formation continue, etc. Il s’agit aussi bien sûr d’un moyen de lutter contre le dumping social.
L’Europe est aussi une communauté de destin.
Notre politique économique est essentielle pour accroître nos capacités d’action et renforcer notre cohésion, mais elle ne doit pas nous faire oublier que l’Europe est aussi une puissance politique qui doit définir ses frontières et son rapport au monde.
L’élargissement et la politique extérieure de l’Union seront donc également au cœur du Conseil européen des 1er et 2 mars.
L’octroi du statut de candidat à la Serbie a été aujourd'hui au cœur des discussions du conseil Affaires générales, qui a longuement débattu de cette question. La position française est claire : nous considérons que les conditions fixées par le Conseil européen du 5 décembre dernier sont désormais remplies et qu’il convient de donner sans tarder ce statut à la Serbie. Il s’agirait d’une bonne nouvelle pour la Serbie, pour les Balkans et pour l’Europe tout entière.
L’Europe démontre une fois de plus qu’elle est « faiseuse de paix ». Sans le soutien exigeant de l’Europe, les progrès du dialogue entre la Serbie et le Kosovo n’auraient pas été aussi rapides.
Ce statut de candidat récompenserait les efforts de la Serbie. Nous espérons fortement que les dernières réticences de la Roumanie seront levées le plus rapidement possible d’ici au Conseil européen de la fin de la semaine.
Les moyens d’approfondir les liens économiques et commerciaux de l’Union européenne avec le Kosovo feront aussi évidemment l’objet de discussions.
La politique extérieure de l’Union est une prérogative nouvelle aux yeux du monde.
Alors que tous les yeux sont tournés vers la Syrie, le Conseil européen évoquera les grands sujets de politique internationale.
Nous dresserons tout d’abord le bilan des actions conduites à la suite des printemps arabes. Une réflexion sur notre politique de voisinage est nécessaire, en particulier sur notre partenariat avec le sud, qui doit être renforcé.
Surtout, l’Union européenne s’exprimera clairement sur la situation en Syrie. L’Europe est, avec la Ligue arabe, l’acteur international qui s’est mobilisé le plus fermement pour condamner la répression du régime syrien. L’Europe a également été particulièrement active dans la mise en place de sanctions contre le régime syrien, sanctions qu’elle vient de renforcer substantiellement : gel des avoirs de la Banque centrale syrienne ; restriction au commerce de l’or ; embargo sur le fret aérien.
L’Union n’est pas seulement une association économique, une entité qui traverse une crise financière et économique. Les Européens partagent une histoire et des valeurs. Nous portons un message au monde ; la liberté des peuples et le respect des droits de l’homme font partie de nos premières préoccupations. L’Europe ne baissera jamais les bras face à la tyrannie, quel que soit l’endroit où elle se développe dans le monde.
J’ajoute enfin que les chefs d’État et de Gouvernement auront à se déterminer sur le renouvellement du mandat de M. Van Rompuy, perspective que la France soutient pleinement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen qui doit se réunir en ce début de mois de mars sera prioritairement consacré à la croissance. Il va approuver les orientations retenues par la Commission européenne dans l’examen annuel de la croissance et adopter des objectifs ambitieux même si, une fois de plus, on discernera mal les moyens nouveaux qui donneraient plus de crédibilité à sa démarche.
Parallèlement sera signé le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union économique et monétaire, dont l’objectif est de durcir encore l’encadrement des politiques budgétaires en vue de l’assainissement des finances publiques.
Autrement dit, d’un côté, on veut encourager des anticipations de croissance et, de l’autre, on les décourage en annonçant une cure d’austérité d’une durée sans précédent.
L’Europe se trouve ainsi soumise à un double impératif contradictoire. Les psychologues nous enseignent que ce genre de situation conduit la plupart du temps à la névrose. On en voit d’ailleurs les premiers symptômes dans l’« euro-pessimisme », lequel n’a jamais été aussi répandu.
Pour lever cette contradiction, une solution pourrait être de prévoir pour l’Europe un budget à la hauteur de ses ambitions, financé par de véritables ressources propres afin qu’il ne pèse pas sur les budgets nationaux. Malheureusement, un certain nombre de gouvernements européens, dont le nôtre, ont cru bon de prendre parti, au contraire, pour un gel du budget européen pendant toute la durée du prochain cadre financier pluriannuel, c’est-à-dire jusqu’en 2020.
Où que l’on regarde, la perspective pour les prochaines années paraît bouchée : l’Union européenne n’aura pas les moyens de ses ambitions, tandis que les États auront pour seul horizon le désendettement. Le carcan qui se met en place ne pourra même pas nous protéger contre de nouveaux rebondissements de la crise de la dette publique puisque la BCE persiste à ne pas vouloir jouer le rôle d’ultime garant, contrairement à la banque centrale américaine et à la banque centrale anglaise.
M. Jean Bizet. Ce n’est pas tout à fait cela !
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Je confirme mes propos, monsieur Bizet !
Permettez-moi de reprendre la formule d’Edgar Faure : « Il n’y a pas de politique sans risques, mais il y a des politiques sans chances ». Aujourd'hui, on ne voit pas quelles chances nous mettons de notre côté pour sortir l’Europe de la stagnation.
Dans ce paysage inquiétant, le nouveau traité est une touche supplémentaire de gris. En avons-nous besoin ?
Nous avons désormais le six pack, qui a durci le Pacte de stabilité et de croissance. Nous allons connaître le two pack, qui renforce la surveillance budgétaire. Faut-il, en plus, adopter la fameuse règle d’or sous sa forme la plus stricte ?
On nous dit qu’il s’agit de rassurer les marchés sur le sérieux de nos engagements. Mais il y a trois ans, lorsque ces mêmes marchés ne fonctionnaient plus, c’est en acceptant des déficits importants que les États ont empêché une nouvelle grande dépression.
Hier, on était bien content de trouver les pompiers ; aujourd’hui, il faut à toute force leur rationner l’eau. Avouez que la situation recèle certains paradoxes !
Il me semble que ce nouveau traité ne s’imposait pas. Nous tenons désormais des réunions régulières avec nos collègues français du Parlement européen et nos homologues de l’Assemblée nationale. Lors de notre dernière réunion, la semaine passée, nous avons abordé la réforme de la gouvernance économique de l’Union. Parmi les députés européens, je n’ai entendu personne affirmer que ce nouveau traité était vraiment nécessaire. Tous étaient sensibles, en revanche, aux problèmes qu’allait poser l’insertion de ce nouveau texte dans l’ordre juridique européen.
Nous avions déjà l’Europe à vingt-sept et la zone euro à dix-sept ; nous allons connaître, pour ainsi dire entre les deux, une zone à vingt-cinq, voire moins ! Trois régimes différents coexisteront donc.
De plus, le nouveau traité n’est pas un traité européen au sens strict, puisqu’il n’est pas conclu par tous les États membres. Cependant, il fait intervenir les institutions de l’Union à vingt-sept, notamment la Commission et la Cour de justice de l’Union européenne. Nous sommes dans une zone intermédiaire, qui n’est ni vraiment communautaire ni vraiment intergouvernementale, et nous mesurons mal quelles seront les conséquences de cette novation. L’objectif était d’envoyer un signal, mais je suis au regret de dire qu’il s’agira d’un signal de confusion.
Les conséquences sur l’ordre juridique national sont tout aussi difficiles à cerner. Je sais que mon propos fera plaisir à un certain nombre de nos collègues ici présents. D’après le nouveau traité, les pays membres devront assurer le respect de la règle d’or par des dispositions permanentes de valeur contraignante, « de préférence constitutionnelle ». Tout laisse donc à penser qu’une révision constitutionnelle sera indispensable en France.
Je n’ai pas le temps d’entrer dans le détail de cette question de constitutionnalité, mais je voudrais souligner une conséquence étonnante du nouveau traité.
Il appartiendra à la Cour de justice de l’Union européenne de vérifier que nous nous sommes bien dotés d’une règle d’or réellement contraignante. Si elle statue négativement, elle fixera un délai pour la mise en conformité du droit français, nous plaçant sous la menace d’une pénalité financière. La Cour de justice sera ainsi juge de notre Constitution ou de nos lois organiques ! Je vois mal comment un tel dispositif s’ordonnera avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En la matière, nous allons donc également entrer dans une phase d’incertitude et d’insécurité juridique.
Les choses auraient peut-être été différentes si le nouveau traité avait été élaboré dans d’autres conditions. L’Europe a renoué avec les anciennes méthodes de négociation. Le Parlement européen a obtenu un strapontin, quand les parlements nationaux, pourtant directement intéressés, n’ont pas été associés à la discussion. Ce n’est pas ainsi que l’on réconciliera les citoyens avec la construction européenne.
Les perspectives du prochain Conseil européen, vous l’aurez compris, ne m’incitent pas à l’optimisme. Confrontés à une crise qui dure, nos concitoyens auraient besoin que l’Europe leur apporte un message d’espoir. J’ai l’impression que nous en sommes très loin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l'économie.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la veille de ce Conseil européen, je souhaiterais revenir sur un certain nombre de points qui y seront abordés. J’insisterai notamment sur les mesures qui auraient dû être prises en compte dans le cadre d’un volet dédié à la croissance, qui, en l’occurrence, a été largement sous-dimensionné.
En effet, mes chers collègues, en la matière, le compte n’y est pas ! Promouvoir la croissance et la compétitivité ne peut se résumer à une dérégulation mortifère, qui fait que nos marchés sont largement préemptés par nos concurrents hors d’Europe.
La croissance et la compétitivité ne peuvent pas plus se concevoir au travers d’une multiplication de plans d’austérité. Plusieurs rapports et plusieurs avis d’experts vont dans ce sens. Juger les États membres de l’Union européenne au trébuchet de la seule austérité sape la croissance et accroît les inégalités. La traduction politique en sera la montée des populismes et des extrêmes, auxquels succéderont les replis nationaux.
La réponse ne peut pas non plus passer seulement par des plans de relance nationaux. On le sait, dans un monde parcouru de problématiques globales et d’acteurs économiques d’envergure continentale, sinon planétaire, cet échelon manque aujourd’hui de pertinence. Sans qu’il soit nécessaire d’évoquer le cas d’Arcelor-Mittal, les acteurs auxquels je fais allusion sont évidents pour chacun d’entre vous.
Les réponses visant à compléter le volet dédié à la croissance sont connues. Il faut avoir le courage de les mettre en œuvre si nous souhaitons sortir par le haut de cette situation et ne pas assécher les finances des États membres de l’Union européenne par d’incessantes politiques d’austérité.
Je m’attarderai sur quatre de ces réponses possibles.
Tout d’abord, il semble nécessaire d’inscrire des objectifs économiques et sociaux au cœur du processus de décision politique, et donc dans le traité, au même titre que les objectifs de stabilité budgétaire et monétaire.
Ensuite, la Banque centrale européenne doit pouvoir avoir le droit d’acheter des obligations d’État quand la monnaie est attaquée.
En outre, le budget européen doit être revu à la hausse pour financer l’innovation, la recherche, le développement durable et les mesures visant à lutter contre le changement climatique. Cela signifie que l’Union européenne doit trouver de nouvelles ressources propres, qui peuvent reposer, éventuellement, sur des taxes sur l’énergie ou sur les transactions financières.
Enfin, on pourrait imaginer que les investissements européens soient financés par des project bonds. Des emprunts obligataires seraient ainsi émis par l’Union européenne et garantis par la BCE.
Accomplir cela, c’est permettre à l’Union européenne de renouer avec une croissance durable. Accomplir cela, c’est s’autoriser à relever les cinq défis posés par la stratégie Europe 2020, dont celui du changement climatique et de l’économie décarbonée.
Le conseil Energie, dans une première session formelle, traitera de la question des infrastructures et de l’efficacité énergétique. Il sera question de l’élaboration d’une réglementation visant à encourager l’investissement dans les infrastructures énergétiques transeuropéennes. Les interconnexions dans le domaine de l’énergie, des transports et des télécommunications, couvertes par le mécanisme pour l’interconnexion en Europe, ou MIE, sont nécessaires mais notoirement insuffisantes.
Pardonnez-moi de jouer les Cassandre, mais si nous nous obstinons à ne pas nous doter d’une véritable politique européenne dans le domaine énergétique, nous n’atteindrons jamais ces objectifs.
Pourtant, contrairement à une idée préconçue, il est possible et souhaitable d’articuler les solutions visant à juguler les crises économiques et financières et celles répondant au défi posé à l’humanité par le réchauffement climatique. En effet, l’économie verte recèle un gisement de croissance encore largement inexploité. Cela exige, entre autres, que nous armions l’Europe d’une véritable politique énergétique.
Les actions pouvant participer à cette politique au niveau européen sont nombreuses, aussi vais-je me cantonner à l’énumération de quelques propositions.
Le seul fait que l’Union européenne importe plus de 50 % du gaz qu’elle consomme justifierait, pour le moins, une politique d’achat commune, ou à défaut une coopération structurée. Dans l’idéal, seule une agence européenne d’achat du gaz pourrait régler de façon efficiente et concertée les problèmes d’approvisionnement de gaz naturel. Il existe déjà, me direz-vous, la Caspian Development Corporation, une agence pilotée par la Commission, dédiée à l’achat du gaz. Il faut cependant élargir son périmètre. La sécurité des approvisionnements est une question géopolitique à laquelle nous sommes d’ores et déjà confrontés. Face à Gazprom, il est impératif d’avoir un acheteur unique.
Vous noterez que cette proposition n’est pas totalement déconnectée de la question de l’efficacité énergétique. Moins l’Europe consommera d’énergie, plus l’objectif de sécurité des approvisionnements sera facile à atteindre.
Dans le secteur de l’électricité, l’existence d’un opérateur unique européen disposant d’une vision centralisée du parc de centrales et du réseau de distribution peut également être envisagée. La constitution d’un noyau dur des réseaux interconnectés partageant cette approche constituerait un premier pas. Cela ne requiert pas de nationaliser les producteurs d’électricité. Parallèlement, les tarifs pourraient être fixés par une agence spécialisée, elle aussi européenne, ce qui permettrait de prendre en compte non seulement les spécificités des clients, selon qu’il s’agit d’entreprises ou de foyers, mais également le revenu de ceux-ci.
Pour rester dans le domaine de la régulation, je ferai remarquer que les attributions de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie, ou ACER, sont notoirement insuffisantes. Plutôt que d’élaborer des systèmes de régulation fondés sur le seul objectif d’assurer la protection du consommateur et la libre concurrence, nous devrions être en mesure de stimuler les investissements en infrastructures. De fait, il faudra sans doute réformer l’ACER afin de promouvoir le développement d’infrastructures énergétiques à l’échelle de notre continent et de développer nos capacités d’investissement.
Les objectifs de la stratégie pour 2020 étaient un bon ballon d’essai. Cependant, force est de constater qu’ils ne vont ni ne voient assez loin. Il faut accorder le temps économique du secteur de l’énergie, qui va au-delà de 2020, avec le temps politique, qui ne va pas aussi loin, et les impératifs environnementaux qui s’imposent désormais à nous.
Dans le domaine nucléaire, la question de la sureté des centrales est revenue sur le devant de la scène, et avec quelle acuité ! Là encore, les risques, qui sont de nature transfrontalière, devraient nous inviter à une gestion commune.
Enfin, la création d’un marché européen de quotas d’émission, un « marché vert », avec des prix minimaux pour les émissions de CO2, peut être imaginée.
Selon moi, la priorité des priorités reste bien la lutte contre le changement climatique, et donc la réduction active et rapide de l’émission des gaz à effet de serre, afin de ralentir l’augmentation de la température terrestre. En l’état actuel de l’urgence planétaire, la responsabilité des pays développés est première. Cela suppose une action à l’échelle de l’Union européenne via l’imposition d’un cadre réglementaire draconien, qui aille bien au-delà des directives relatives à l’efficacité énergétique. Il faut mettre fin à l’hypocrisie qui prévaut à ce sujet au sein des pays de l’Union européenne. Il ne suffit pas de fermer quelques centrales nucléaires et de fabriquer de l’électricité à l’aide d’énergie carbonée. Vous voyez à quel État je fais allusion…
L’enjeu réside donc dans la liaison entre l’évolution de nos sociétés vers une économie « décarbonée » et la croissance économique. L’énergie est essentielle à la qualité de la vie de nos concitoyens. Elle est au centre du questionnement fondamental qu’est la recherche d’un autre modèle de société. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Europe dessine notre avenir collectif, elle porte nos espérances de prospérité et de paix. Nous sommes, je le crois, bien conscients qu’elle seule peut nous permettre de prendre part à la gouvernance du monde, à la régulation des échanges commerciaux comme des transactions financières. Elle seule nous donne le crédit nécessaire pour faire partager et respecter notre vision des droits de l’homme et notre attachement aux libertés fondamentales. Et l’Union européenne est bien, en la matière, le chantier le plus audacieux et le plus prometteur.
Pourtant, la crise fait planer des menaces sur l’Europe. La défiance pèse sur les esprits et les comportements. Les résultats contredisent les promesses. Depuis une décennie, la croissance est atone, le chômage ne cesse de progresser, les déficits et les dettes publiques atteignent des niveaux insoutenables, les déséquilibres internes au sein même de l’Union européenne et de la zone euro se creusent entre les pays, du fait des écarts de compétitivité. Face aux accidents de parcours – je pense en particulier au drame qu’affronte la Grèce –, l’Europe se montre désemparée, incapable de concrétiser ses décisions, semant le doute chez les investisseurs appelés à la rescousse.
Pour venir en aide à une Commission pusillanime, elle appelle au secours le FMI et embarque la Banque centrale européenne, en contradiction avec sa vocation d’indépendance, dans une troïka de circonstance. C’est bien un signe de la faiblesse de la Commission !
À ce stade, une étape cruciale doit être franchie. Et pourtant, depuis plus de soixante ans, la construction semblait progresser avec une belle assurance.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, faute d’avoir pu emprunter d’emblée la voie politique, les pays fondateurs ont choisi le chemin de l’économie, après avoir posé des jalons dans les domaines de l’industrie lourde et de l’énergie.
Cela commence par la constitution d’un « marché commun ». Élargi, approfondi, ce marché assure la liberté de circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes ; il devient alors le « marché unique ».
Malheureusement, la pluralité des monnaies nationales donne lieu à une instabilité monétaire incompatible avec les objectifs de croissance et de plein-emploi. Les néfastes dévaluations compétitives, qui ont marqué la fin des années quatre-vingt et le début des années quatre-vingt-dix, brisent le dynamisme des entreprises et multiplient les cohortes de chômeurs. Pour enrayer ces mécanismes désastreux, la monnaie unique devient l’arme absolue contre l’instabilité à l’intérieur du marché unique, au moins pour ceux des États membres qualifiés pour détenir l’euro. Immense défi que de faire naître une monnaie orpheline d’État, car il n’y a pas d’État européen !
La Banque centrale européenne se met en place et, pour compenser l’absence de gouvernance de la zone euro, nous sommes dans l’obligation de forger un règlement de copropriété de notre nouvelle monnaie. En fait, il s’agit d’un ensemble de disciplines budgétaires constitutives d’un « pacte de stabilité et de croissance » ; à la vérité, c’est beaucoup plus un pacte de « stabilité » qu’un pacte de « croissance ».
M. Roland Courteau. Ça, c’est vrai !
M. Jean Arthuis. Promis, juré, chaque État respectera ce pacte ! La Commission sera vigilante, intraitable, dans l’intérêt bien compris de tous les membres de la zone euro. Les contrevenants seront sanctionnés.
Cet attelage institutionnel se met en place à la veille de l’an 2000, libérant les États membres des risques de subir l’humiliation de la dévaluation en cas de déficits excessifs. Ceux d’entre eux qui devaient jusque-là supporter des taux d’intérêt de 10 % ou 15 % ont bénéficié dès leur entrée dans la zone euro de taux voisins de 4 %.
Le miracle opère si bien que les engagements de rigueur sont allégrement et durablement transgressés, notamment par la France et l’Allemagne. Peu enclins à prononcer des sanctions, les partenaires se montrent complaisants les uns envers les autres, sous le contrôle d’une Commission européenne résignée devant les dérives, anesthésiée sans doute par l’aveuglement des marchés.
La réaction des agences de notation est étonnamment tardive. En effet, ce n’est qu’en 2009, dans le sillage de la crise de confiance apparue aux États-Unis pendant l’été 2007, crise mondiale, qu’éclate la crise des dettes souveraines. Dans l’urgence, les dirigeants de l’Union européenne et des États réagissent promptement, manifestent leur volontarisme par des annonces impressionnantes, mais font vite le constat de leur incapacité à régler les problèmes, laissant en particulier la Grèce s’enfoncer dans l’insolvabilité.
Mais les Européens se sont heureusement ressaisis, l’espoir demeure et les progrès deviennent perceptibles.
Après ce qu’on pourrait appeler « les années folles de l’euro », la sagesse commence à faire son œuvre. Les chefs d’État ou de gouvernement, le président du Conseil, la Commission multiplient les sommets et les initiatives. De nouvelles procédures de rigueur et de surveillance sont mises au point – après avoir en 2005 tordu le cou du Pacte de stabilité et de croissance, on va revenir à une rigueur renforcée –, donnant enfin à la Commission les moyens d’action dont elle a besoin pour exercer son autorité. C’est l’objet du six pack, paquet de règlements adopté à la fin de l’année 2010, mis en œuvre au mois de décembre 2011.
Vient aussi la prise de conscience de la nécessité d’un nouveau traité entre ceux des États qui entendent résoudre la crise de la zone euro parce qu’ils en sont membres ou parce qu’ils aspirent à le devenir. Ceux qui n’entendent pas rejoindre l’euro ne sont naturellement pas obligés d’adhérer aux termes de ce traité.
Le projet de traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire arrêté le 30 janvier dernier doit être mis en œuvre dès que possible. C’est dire si les gouvernements doivent le signer ce jeudi 1er mars ! Ce texte, j’en suis convaincu, renforce les mesures contraignantes, rend compatibles les règles de majorité avec des décisions effectives et fixe le cap à tenir pour assurer à la zone euro une stabilité et une croissance durables.
En cette circonstance, mes chers collègues, je voudrais vous faire partager quatre convictions.
Premièrement, nous ne pouvons pas abandonner la Grèce. S’il est vrai que nous avons eu tort de l’admettre si tôt dans la zone euro, l’ayant admise, nous avions le devoir de lui demander compte de sa gestion.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Jean Arthuis. Nous sommes coupables de complicité pour l’avoir laissée maquiller ses comptes publics.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mais tout le monde le savait, monsieur Arthuis !
M. Jean Arthuis. S’il y avait des juridictions internationales, l’euro-groupe serait exposé à des poursuites en recherche de responsabilité et sans doute condamné à combler le passif. Le devoir de solidarité doit ici s’accomplir.
En tout état de cause, la sortie de l’euro aurait des conséquences durablement désastreuses pour la Grèce. Le choc ne laisserait pas la zone euro indemne, l’exposant à un engrenage de déstabilisations progressives et, je le crois, fatales. Autrement dit, l’abandon de la monnaie unique déclencherait le chaos.
M. Roland Courteau. C’est sûr !
M. Jean Arthuis. Deuxièmement, la zone euro, sans s’extraire de la méthode communautaire, institue un partage de souveraineté et de responsabilité aux conséquences infiniment plus lourdes que celles qui sont établies entre les membres de l’Union européenne. Au sein de la zone euro, il n’y a plus d’ajustement monétaire possible. Lorsque se déclenche une crise, les secours doivent être portés aux États menacés. S’il faut consentir des prêts bilatéraux, doter un fonds de stabilité ou liquider le capital du mécanisme européen de stabilité, l’effet est immédiat et lourd, non pas sur le budget européen, mais sur les budgets nationaux des autres partenaires. La zone euro a donc besoin d’une gouvernance spécifique.
Troisièmement, la zone euro doit mettre en synergie assainissement des finances publiques et croissance. C’est en cela que nous devons réviser nos méthodes et faire vivre une authentique coopération entre les États membres, sous la surveillance des parlements européen et nationaux. Veillons à ne pas nous accommoder d’un alibi démocratique !
L’article 13 du traité prévoit une conférence, une association des parlements nationaux. Je pense qu’il faut avoir l’audace d’aller plus loin et d’occuper cet espace de contrôle et de surveillance. Ne laissons pas les ministres des finances de la zone euro régler leurs affaires entre eux !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. Jean Arthuis. Voyons ce qui s’est passé dans les années 2000 ! Exerçons cette vigilance et cette surveillance ; il y a nécessité de constituer une commission de contrôle composée de parlementaires issus des différents parlements nationaux avec une représentation du Parlement européen.
M. Jean Bizet. Très bien !
M. Jean Arthuis. Quatrièmement, efforçons-nous de réconcilier les consommateurs et les producteurs, de même que le marché intérieur et la zone euro, qui présentent quelquefois de vraies contradictions.
Nombre de règlements et de directives sont des activateurs de dépenses publiques ou des freins à la compétitivité des entreprises, donc à l’emploi. À l’inverse, la zone euro mène le combat pour réduire les dépenses publiques et améliorer la compétitivité. En d’autres termes, alors que le marché unique multiplie les directives, facteurs de dépenses publiques ou freins à la compétitivité, à l’intérieur de ce marché, la zone euro s’efforce de réduire les dépenses publiques et de retrouver de la compétitivité pour favoriser la croissance et l’emploi. Nous devons surmonter cette contradiction au plus vite.
À l’heure de la mondialisation, les contradictions de cette ampleur sont immédiatement sanctionnées, au détriment des citoyens.
Il est temps de nous avouer qu’en nous dotant d’une monnaie unique, nous avons pris un billet sans retour pour une Europe en voie d’intégration politique. Osons assumer notre démarche vers le fédéralisme. Tirons-en toutes les conséquences, sans attendre, pour atteindre nos objectifs de croissance, d’emploi, de stabilité financière et de paix !
Il y a urgence à agir pour rétablir la confiance en Europe. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat de ce soir, préalablement au Conseil européen d’après-demain à Bruxelles, a quelque chose de surréaliste.
En effet, monsieur le ministre, à la suite de votre déclaration liminaire, vous solliciterez l’analyse des différents groupes de notre Haute Assemblée, puis nous vous interrogerons sur quelques points particuliers. Mais cette sympathique discussion à cette heure tardive est vraiment un théâtre d’ombres.
Les décisions ont déjà été prises avant et ailleurs, et ce que nous vous disons n’aura qu’un effet limité, voire n’aura aucun effet…
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Michelle Demessine. … sur la décision du Président de la République de signer le traité dit « de stabilité, de coordination et de gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire ».
Car c’est bien de la signature de ce traité qu’il s’agira le 1er mars prochain. Vingt-cinq des vingt-sept chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne l’adopteront solennellement, en marge de la réunion du Conseil. C’est cet événement qui fera date et qui sera le seul élément que l’Histoire retiendra de ce sommet.
À nos yeux, le grand danger de ce traité, que le chef de l’État signera au nom de la France, est d’être un nouvel instrument antidémocratique pour imposer, sous couvert de discipline budgétaire, la loi des marchés financiers aux États et aux peuples d’Europe.
Ce traité, concocté entre la Chancelière et le Président de la République, aggrave encore les quelques dispositions sur la gouvernance économique et le semblant de solidarité européenne contenus dans son « prédécesseur » de 2005. Le peuple français avait rejeté le précédent traité par référendum, et le chef de l’État le lui avait alors imposé par la voie parlementaire.
Aujourd’hui, nous refuserons le nouveau scénario qui s’annonce.
Dès maintenant nous dénonçons le danger d’une signature du chef de l’État. Nous refusons ce traité, car il est profondément antidémocratique et contraire à l’intérêt national, puisqu’il s’agit de limiter la souveraineté budgétaire des États et de leur dicter leur politique économique et sociale.
De surcroît, c’est de lui que procèdent tous les plans d’austérité qui sont imposés aux pays en difficulté en échange de financements pour tenter de payer leurs dettes.
Cette filiation montre également le lien incontestable et indéfectible qui existe entre les deux projets de loi autorisant la création du Mécanisme européen de stabilité, contre lesquels notre groupe a voté cet après-midi, et le traité que va signer le Président de la République.
En effet, la possibilité pour un État membre de l’Union européenne de participer à ce mécanisme, à ce fonds de soutien, est conditionnée à l’approbation du traité.
Ce n’est qu’à cette condition, en effet, que pourra être activé, à partir du 1er juillet, ce fonds monétaire européen qui a pour mission d’imposer l’austérité aux peuples dont les États n’arrivent pas à financer leurs dettes sur les marchés. C’est la carotte pour accepter les coups de bâtons !
L’intérêt du débat de ce soir pourrait être d’éclairer les enjeux et de montrer toutes les conséquences négatives pour notre pays, pour notre peuple, mais aussi pour l’Europe, d’une signature du chef de l’État.
Fruit de deux mois de laborieux compromis avec l’Allemagne, ce traité vise à instaurer une forme autoritaire de gouvernement économique de la zone euro en prétendant protéger cette dernière contre les attaques spéculatives des marchés financiers et faciliter les prises de décisions rapides qui ont tant fait défaut ces derniers mois.
De nouvelles règles communes, des budgets favorisant le développement économique et social des États membres, des solidarités concrètes entre les pays pour faire face à la puissance déstabilisatrice des marchés, voilà ce dont aurait besoin l’Europe !
Or ce qui sera avalisé par Nicolas Sarkozy à Bruxelles n’est qu’une fausse solidarité, qui enfoncera un peu plus encore les pays dans leurs difficultés.
Ce traité, bien que l’objectif affiché soit de lutter contre les marchés financiers pour protéger la zone euro de leurs attaques ne se donne, en réalité, pas les moyens de cette politique, et ce tout simplement parce que les gouvernements des pays membres n’en ont pas la volonté.
Tout au contraire, les dispositions prévues, que ce soit l’instauration de la règle d’or, ou plutôt comme l’a souligné tout à l’heure notre collègue Jean-Pierre Chevènement, de la « règle d’airain » interdisant tout déficit budgétaire, ou les sanctions automatiques contre les États contrevenants vont précisément dans le sens de la logique de l’austérité économique et sociale réclamée par les marchés.
Pourtant, l’expérience des derniers mois a démontré combien la mise en œuvre des politiques d’austérité était totalement inefficace pour résoudre la crise qui secoue l’euro.
Prenons garde : si cette crise n’était pas jugulée, elle détruirait les économies européennes les unes après les autres. C’est pour cela qu’il faut changer de méthode.
Si notre groupe est si vivement hostile à cette signature, c’est qu’il considère que la méthode et les politiques publiques qu’il inspire sont mauvaises et dangereuses pour les économies et les peuples. Elles vont même à l’encontre des objectifs affichés.
Ce sont justement ces politiques qui alimentent la crise. Ce sont ces politiques d’austérité qui, en comprimant la demande, font reculer l’activité, ce qui à son tour réduit les rentrées fiscales et creuse encore plus les déficits. Partout où elles ont été mises en œuvre, les résultats parlent d’eux-mêmes. Les pays se sont enfoncés dans la récession, ils ont subi un appauvrissement sans précédent, ils sont accablés par le chômage et atteints dans leur dignité même.
Tout cela s’accompagne d’un démantèlement systématique des services publics, des systèmes sociaux, du droit du travail, ce qui provoque la colère des peuples et prépare dans certains pays un véritable séisme social.
Peut-on parler de solidarité pour aider les pays menacés par les attaques des marchés financiers quand, par exemple, le produit intérieur brut de la Grèce a diminué de près de 20 % depuis le début de la crise, et que les salaires et les retraites, en baisse, seront bientôt au même niveau qu’en Roumanie ? Est-ce là le résultat d’une vraie solidarité européenne envers les victimes des marchés financiers ?
Les prévisions de la Commission européenne présentées jeudi dernier sont l’éclatante illustration de ce que ce mécanisme dit de « soutien » ne préconise qu’une austérité asphyxiant l’économie réelle et empêchant la croissance.
La Commission européenne a tout simplement annoncé la récession dans la zone euro, avec un recul du PIB de 0,3 %, et une quasi-absence de croissance dans l’Union. Huit des dix-sept États de la zone euro, la Grèce en tête, mais aussi le Portugal, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas et la Belgique seront en récession.
La France et l’Allemagne, quant à elles, comme l’ensemble des vingt-sept, ne connaîtront qu’une croissance infime de 0,4 % à 0,6 %.
Le Mécanisme européen de stabilité dont le Sénat, à l’exception de notre groupe, a accepté la mise en place, aggravera ces politiques, car il se fonde sur la même logique que son prédécesseur, le Fonds européen de stabilité. La seule différence, maintenant, est qu’il est pérenne et que les décisions seront plus rapides à prendre. Elles seront donc mieux imposées aux États.
On peut d’ores et déjà douter de l’avenir du MES, car Standard & Poor’s vient de le placer sous perspective négative. Par ailleurs, l’Allemagne a annoncé qu’elle ne céderait pas face à ceux qui demandent déjà le renforcement de ce prétendu pare-feu européen. Le sommet des membres de la zone euro consacré à cette question, prévu vendredi, vient d’ailleurs d’être ajourné.
Le dispositif lié à l’adoption du traité va au-delà de tout ce que l’on a connu jusqu’à présent au niveau européen en matière d’abandon de souveraineté, d’opacité et de recul démocratique.
Il implique une perte évidente de souveraineté budgétaire puisque c’est le regroupement des gouverneurs de ce fonds qui décidera du dépassement de son plafond, sans l’avis des Parlements nationaux.
Sous la direction du condominium franco-allemand, une mécanique implacable de contrôle et de corsetage des finances publiques nationales se met en place.
Mesurez bien, monsieur le ministre, mes chers collègues, que, pour la fameuse troïka que sont la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le FMI invité à participer à l’affaiblissement des économies européennes, ce qui se passe en Grèce est une expérience grandeur nature pour démanteler les droits démocratiques et sociaux partout en Europe. La Grèce est leur laboratoire. Et ce sont ces politiques, formalisées dans un traité, que le chef de l’État et votre gouvernement acceptent de faire inscrire dans le marbre des législations nationales !
Cette discipline budgétaire aveugle, contraint les États, sous prétexte de mieux maîtriser leurs finances publiques, à voter des budgets équilibrés en limitant leur déficit structurel à 0,5 % de leur PIB. Réclamée par l’Allemagne, cette règle est impitoyable avec ceux qui l’enfreindraient puisque des amendes sont prévues, allant jusqu’à 0,1 % du PIB, sans parler des sanctions quasi automatiques pour les pays affichant un déficit supérieur à 3 % du PIB.
Cette règle d’airain, plutôt que d’or, pourrait apparaître aux naïfs comme un élément d’une saine gestion des affaires publiques, comme cela a été dit à de nombreuses reprises à cette tribune. Il n’en est rien, car ses conséquences sont contraires à nos principes démocratiques.
Son principal danger est de limiter la souveraineté parlementaire sur le budget en nous obligeant, notamment, à soumettre à Bruxelles, préalablement à leur adoption, les projets de lois de finances. Il place ainsi les budgets nationaux sous la tutelle des institutions européennes, mais aussi indirectement du Fonds monétaire international.
Accepter cela, ce sera pour un gouvernement accepter d’avance de renoncer à la liberté de décider de la politique qu’il veut appliquer, à la liberté de mener une politique de transformation sociale. Tout se fera en vertu de dispositions contraignantes et permanentes venues d’ailleurs, et qui s’imposeront à nos lois de finances.
Dans ces conditions, que devient l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’un des fondements de la Constitution, aux termes duquel « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée » ?
Qu’en est-il aussi de l’article 39 de la Constitution, qui dispose que « les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale sont soumis en premier lieu à l’Assemblée nationale » ?
Soumettre ainsi nos budgets à une institution supranationale composée de technocrates non élus est clairement incompatible avec nos principes constitutionnels. Je le répète avec force : les fondements même de ce traité heurtent fondamentalement les principes démocratiques énoncés dans la Constitution.
De ce point de vue, à la veille d’échéances électorales qui peuvent changer l’avenir de notre pays, il n’est pas souhaitable que le Président de la République sortant décide, seul, aujourd’hui, de mettre des principes constitutionnels en cause lors du prochain Conseil européen.
Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Cécile Cukierman. Très bien !
Mme Michelle Demessine. Lorsqu’il faudra, dans quelque temps, ratifier ce traité qui comprend tant de mesures néfastes pour l’intérêt national et pour les peuples d’Europe, il faudra consulter notre peuple pour qu’il s’exprime en toute connaissance de cause. Nos institutions le permettent, et le futur Président de la République, quel qu’il soit, devra choisir la voie du référendum !
Telles sont, monsieur le ministre, les appréciations dont le groupe communiste, républicain et citoyen souhaitait vous faire part à la veille de ce Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le Conseil européen qui se réunira les 1er et 2 mars prochain va inévitablement se pencher sur la récession qui, selon la Commission européenne, frappera la zone euro en 2012.
La zone euro est la seule zone du monde qui verra diminuer son PIB. La Chine, elle, voit son PIB augmenter de 8,2 %, l’Amérique latine de 3,8 %, même les États-Unis connaîtront une hausse de 1,8 %, alors que leur dette, leur déficit public et leur balance extérieure sont beaucoup plus dégradés que ceux de la zone euro.
Il n’est pas nécessaire de chercher bien loin l’origine d’un tel état de fait. C’est la logique de l’euro elle-même qui est en cause. La monnaie unique comporte un vice congénital : elle juxtapose, en effet, dix-sept économies hétérogènes à l’ombre d’une Banque centrale européenne copiée sur le modèle de la Bundesbank allemande.
La priorité donnée à la lutte contre l’inflation enferme la zone euro dans un chômage structurel équivalent à 10 % de la population active. La surévaluation de l’euro nous a fait perdre 30 % de compétitivité par rapport aux États-Unis depuis 1999. Au sein même de la zone euro, la déflation salariale organisée en Allemagne a accru l’écart de quinze points entre ce pays et le reste de la zone euro.
L’endettement d’États de moins en moins solvables devait aboutir à la crise des dettes souveraines. Le cas de la Grèce n’est que l’arbre qui cache la forêt, car la fragilité de la zone euro s’enracine dans les déséquilibres commerciaux et les écarts de compétitivité, qui ne touchent pas que la Grèce.
On l’a dit cet après-midi, le MES n’est pas un pare-feu suffisant. À supposer qu’il soit capable de lever 500 milliards d’euros, comment ferait-il face à un possible défaut de l’Italie, dont la croissance, en 2012, sera négative, en baisse de 1,8 %, alors qu’elle devra lever encore 250 milliards d’euros de dette ?
M. Cohn-Bendit, dont l’influence s’est fait sentir cet après-midi sur plusieurs orateurs de la majorité présidentielle – cela nous permet de mesurer le temps passé depuis la mort du général de Gaulle ! – veut faire croire que ces 500 milliards d’euros pourraient servir d’amorce à la solidarité des peuples européens. Au mieux, soyons sérieux, ils ne serviront qu’à renflouer les banques !
M. Draghi met le malade sous morphine, mais cela n’ira pas sans effets pervers. Il ne suffit pas de donner de l’argent aux banques, on pourrait faire des avances aux États qui en ont besoin : ce serait mieux utiliser l’argent public.
Mal pensée dès le départ, la monnaie unique se révèle être un tonneau des Danaïdes où s’engloutira toujours davantage l’argent des contribuables.
Tout cela parce qu’on a voulu faire l’Europe en dehors des nations. Leur souveraineté monétaire a été aliénée à un aréopage de banquiers centraux qui n’ont de comptes à rendre à aucune instance procédant du suffrage universel. Tout cela me rappelle la formule lancée par Philippe Séguin en 1992, lors de la ratification du traité de Maastricht : « 1992 c’est l’anti 1789 ! » Eh bien, nous y sommes !
Certains nous parlent de « grand saut fédéral » ; je pense à M. Arthuis, que j’aime beaucoup par ailleurs – mais je constate qu’il n’est plus là pour entendre ma déclaration d’amour… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Trêve d’irréalisme ! Le système dans lequel on nous propose d’entrer est purement coercitif. Il ne comporte aucun élément de redistribution.
Le processus de dessaisissement des parlements nationaux s’est mis marche aussitôt la crise de l’euro déclarée. Je n’y reviens pas, c’était le « semestre européen » : stratégies budgétaires à moyen terme, vote de loi de finances triennales, Commission européenne saisie dès le mois d’avril d’un projet de budget que le Parlement vote autour du 20 décembre, etc. Est-ce cela la démocratie ?
Le Parlement européen a inclus, le 28 septembre 2011, le « semestre européen » dans un paquet « gouvernance économique », encore nommé « six pack » car comprenant cinq règlements et une directive, à quoi se sont ajoutés deux textes dits « two pack ».
S’est ainsi mis en place un appareil de surveillance précoce, de normes, bref, de contrôle et de supervision, visant à mettre sous tutelle les budgets des pays membres. On a même assisté à cette chose étonnante : M. Olli Rehn, commissaire européen aux affaires économiques, a envoyé au gouvernement de M. Berlusconi une lettre comportant trente-cinq conditions. Trente-cinq conditions, madame Demessine, c’est plus que vingt et une ! (Rires sur les travées du groupe CRC.) Trois jours après, M. Berlusconi était remplacé par M. Monti…
Les États se trouvent, de la sorte, dépouillés de leur souveraineté budgétaire : six pack, two pack, Pacte européen pour l’euro plus… Derrière le cliquetis des mots, on perçoit comme un bruit de chaînes ! (Sourires.)
Mais ce n’est pas encore assez puisque l’Allemagne entend généraliser le système de « frein à l’endettement » qu’elle a adopté en 2010. M. Sarkozy a accepté de le faire pour la France puisqu’il a proposé la fameuse « règle d’or » : une loi organique devrait désormais préciser le contenu de « lois-cadres d’équilibre des finances publiques », s’imposant aussi bien aux lois de finances qu’aux lois de financement de la sécurité sociale. C’est très compliqué ! Que deviennent, alors, le droit d’initiative parlementaire, le droit d’amendement, le rôle des commissions ? On ne sait plus !
M. le président. Mon cher collègue, je vous prie de conclure.
M. Jean-Pierre Chevènement. Le TSCG européanise la règle d’or ; c’est un traité essentiellement disciplinaire, qui va au-delà de cette règle d’or. C’est un traité suicidaire, qui permet l’intrusion des institutions européennes dans le fonctionnement de la démocratie et qui comporte des sanctions automatiques. Je demande au Président de la République, si friand de référendums, de soumettre ce traité au référendum,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Voilà !
M. Jean-Pierre Chevènement. … comme M. Fillon le lui a d’ailleurs suggéré, à juste titre.
Que devient le contrôle démocratique des parlements nationaux ? On entend parler d’une vague « conférence interparlementaire », qui n’aurait en fait qu’un droit d’information.
Au principe de souveraineté se substitue un principe d’inégalité, de hiérarchie entre les États, selon les moyens dont ils vont disposer.
En conclusion, je dirai que le projet de traité doit être révisé dans son objectif, fixé à l’article 3, et quant aux prérogatives des parlements nationaux, qu’il faudra restaurer. Il devra l’être également au regard des moteurs de croissance, qu’il faudra pouvoir mettre en marche : cela est possible en élargissant les missions de la Banque centrale, en remédiant à la surévaluation de l’euro, en lançant un grand plan européen d’investissements, financé par un emprunt européen sous forme d’eurobonds, et, enfin, en menant une politique de relance salariale dans les pays dont la compétitivité le permet.
La logique de Mme Merkel ne peut pas être de transformer l’Europe du sud en un vaste Mezzogiorno !
Qu’aurait dû faire M. Sarkozy ?
M. le président. Mon cher collègue, concluez !
M. Jean-Pierre Chevènement. Je termine, monsieur le président.
Il eût fallu organiser une grande conférence de presse, à la manière du général de Gaulle, et dire clairement que l’Europe a été, depuis le début, l’œuvre commune de la France et de l’Allemagne, à égalité. On ne peut pas accepter que cette égalité soit rompue.
L’Allemagne a le choix entre deux politiques : celle du cavalier seul, pour prétendument jouer dans la « cour des grands », qui ne débouche que sur l’éclatement de la zone euro et se retournera contre l’Allemagne elle-même ; ou bien la politique de l’« Allemagne européenne », dont rêvait Thomas Mann, dans une « Europe européenne », selon l’expression du général de Gaulle.
Seule cette seconde voie permettrait aux peuples européens de respirer et de défendre ensemble leurs intérêts vitaux sur la base d’un compromis qui les autoriserait à aller de l’avant. C’est cela qu’aurait dû faire M. Sarkozy et c’est, je l’espère, ce que fera le prochain Président de la République française ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le prochain Conseil européen, comme la plupart des sommets européens de ces deux dernières années, revêt une importance majeure. Il s’agit, une fois encore, de construire la réponse européenne à la crise. Avec certaines difficultés, certes, l’Union, à travers l’action de ses institutions et celle des États membres, met efficacement en place une nouvelle Europe, une Europe plus forte, plus stable, plus intégrée et plus contrôlée.
La crise que nous connaissons depuis 2008 a au moins eu l’avantage d’accélérer la mise en place d’une gouvernance économique et financière à l’échelon européen. C’est indéniable. Ce mouvement s’est fait parfois dans la douleur, souvent dans l’effort ou la mauvaise humeur, mais il existe et il a abouti à des chantiers inimaginables voilà encore deux ans. Et l’action volontariste du Président de la République, Nicolas Sarkozy, fut tout à fait décisive. Pendant cinq ans, la France a démontré que sa voix en Europe était respectée et que ses initiatives avaient rythmé l’agenda de l’Union.
Les avancées institutionnelles permises par la crise sont nombreuses.
D’un côté, les États européens se sont mobilisés, avec plus ou moins d’entrain, en faveur de leurs voisins les plus touchés comme la Grèce. À cet égard, les négociations de la semaine dernière, difficiles et inespérées, avec l’adoption d’un plan record, sont une preuve de cette mobilisation.
D’un autre côté, avec les autres institutions, les États se sont mis d’accord sur un ensemble de dispositions pour éviter que de telles situations ne se reproduisent à l’avenir. Les mesures concernent les acteurs et les pratiques du secteur financier, en particulier les banques, mais poussent aussi vers un encadrement plus strict des politiques budgétaires des États. Bref, nous allons vers un « fédéralisme budgétaire » européen, tout simplement par pragmatisme.
La crise financière, puis économique a révélé le manque de transparence du système financier, soumis à de mauvais calculs de risque dissimulés sous des montages complexes, et en proie à une spéculation nocive pour l’économie réelle. Aussi les régulateurs européens ont-ils décidé de légiférer pour introduire plus de transparence dans le système, afin, notamment, d’en diminuer les risques. Je pense à la surveillance accrue des acteurs financiers et à la régulation des produits et pratiques financières. Cette action a essentiellement été menée par les institutions communautaires, Commission en tête.
L’Union européenne s’est beaucoup mobilisée concernant les mesures de régulation à destination des banques. De nombreuses dispositions ont été mises en place pour consolider le système bancaire. D’autres dispositions ont été créées pour résoudre les futures crises ; on peut citer le projet d’une taxe bancaire ou l’amélioration des garanties des dépôts bancaires. Le changement des pratiques des banques est également à l’ordre du jour avec la limitation des bonus et du secret bancaire.
Avec ce nouvel arsenal normatif, les États ont ainsi montré à leurs citoyens que, désormais, les banques allaient devoir prendre leurs responsabilités.
Mais, en plus de cibler les dysfonctionnements du système financier et bancaire, les États ont su reconnaître leur propre responsabilité dans la crise budgétaire qu’ils ont essuyée et ils se sont attachés à empêcher qu’elle puisse se reproduire en mettant en place un contrôle plus strict de leurs agissements budgétaires. Ils ont aussi, bien que plus difficilement, fait jouer la solidarité pour venir en aide aux plus touchés d’entre eux, comme la Grèce.
Bien sûr, l’exemple le plus marquant et le plus significatif dans l’aide aux États en difficulté est la mise en place d’un fonds d’urgence, et sa transformation en mécanisme permanent de stabilisation. Cet instrument pérenne de réaction aux crises répond à une absolue nécessité.
À la gestion en urgence des conséquences d’une crise déclarée s’ajoute la volonté de la part de certains États, en particulier les plus rigoureux comme l’Allemagne, de responsabiliser les États de l’Union. Le sauvetage doit s’accompagner d’un durcissement du Pacte de stabilité, autant dans son volet préventif que dans son volet correctif. C’est l’origine de la mise en place du « semestre européen », qui est un contrôle a priori des budgets nationaux, inauguré dès février 2011.
Une nouvelle étape a été franchie par le très important Conseil européen du 30 janvier dernier : deux décisions majeures y ont été finalisées, ce qui en fait l’un des plus décisifs de cette période de crises que connaît l’Union Européenne depuis trois ans.
D’abord, le Pacte budgétaire : il a été approuvé par vingt-cinq États membres sur vingt-sept ; il doit être signé le 1er mars et sera opérationnel dès que douze États membres l’auront ratifié.
Ce pacte comprend un volet « discipline budgétaire », un volet « gouvernance économique » ainsi que, ne l’oublions pas, un volet « croissance et emploi ».
Le volet concernant la discipline budgétaire est ce que l’on pourrait appeler un « Pacte de stabilité et de croissance révisé » ayant pour but d’améliorer la gouvernance de la zone euro en soutenant les objectifs de l’Union en matière de croissance durable, de compétitivité, d’emploi et de cohésion sociale.
En ce qui concerne la gouvernance économique, il a été décidé que, deux fois par an, un sommet de la zone euro serait organisé pour débattre des stratégies relatives à la conduite des politiques économiques devant renforcer la convergence au sein de la zone. C’était essentiellement une revendication de la France ; la Pologne y était opposée et l’Allemagne s’était montrée réservée. Il nous appartient de faire vivre cet outil.
Le volet ayant trait à la coordination des politiques économiques au service de la croissance et de l’emploi est, à mes yeux, un point majeur de l’accord. Il est bien souligné que le volet « croissance et emploi » n’a pas été oublié au cours du Conseil de janvier.
L’addition de plans de rigueur budgétaire est un préalable au rétablissement de la confiance et de la compétitivité économique des États membres, comme l’a rappelé à plusieurs reprises le nouveau président de la BCE, mais ce n’est pas suffisant. J’y reviendrai plus loin.
Lors du Conseil du 30 janvier, les chefs d’État et de gouvernement ont également approuvé le Mécanisme européen de stabilité. Son élaboration a été longue, voire laborieuse, mais nous arrivons enfin à un système pérenne de solidarité et de stabilité nous permettant de faire face à la déstabilisation de certains États européens.
Ce mécanisme permettra de doter la zone euro d’un instrument apte à intervenir pour juguler les crises de marché. II ne constitue pas la seule avancée – quoique celle-ci soit déjà majeure – dont la crise de la dette européenne accouche. Il est aussi nécessaire de tirer les enseignements de la période traversée, ce qui suppose à la fois de mettre en place une discipline efficace et respectée et de gommer les écarts de compétitivité qui ont pesé sur les finances publiques des États périphériques.
Comme cela a été souligné lors du sommet de la zone euro du 9 décembre 2011, le dispositif de solidarité créé par le MES est complémentaire de la volonté des chefs d’État et de gouvernement des États membres dont la monnaie est l’euro d’évoluer vers une union économique plus forte, comprenant un nouveau pacte budgétaire et une coordination accrue des politiques économiques.
Pour l’heure, la capacité des États de la zone euro et au-delà à constituer un front uni est démontrée par la réforme de la gouvernance et la création du Mécanisme européen de stabilité. Il est impératif que la France, qui a joué un rôle moteur à chacune des étapes de l’élaboration des réponses à la crise, donne l’impulsion en ratifiant, la première, les textes qui donnent corps à ces réponses. Cela vient d’être très récemment le cas pour le traité instituant le MES.
À ce sujet, je souhaite faire deux remarques, sans esprit de polémique. Je trouve d’abord que l’abstention de nos collègues socialistes sur la ratification du traité créant le MES est incompréhensible. Comment peut-on ainsi mettre de côté son idéal européen, que Jacques Delors a hier porté si haut, au profit de calculs politiques de circonstance ! J’y vois un singulier manque de prospective !
Ce mécanisme de solidarité n’est ni de droite ni de gauche : il est tout simplement la réponse européenne à la crise terrible que nous connaissons depuis plusieurs mois et qui met durement à l’épreuve le projet européen. II est un dispositif de solidarité, bien sûr complémentaire de la volonté des États membres de la zone euro d’évoluer vers une union économique plus forte, c’est-à-dire une union comprenant un nouveau pacte budgétaire et une coordination accrue des politiques économiques mis en œuvre par un nouveau traité, le TSCG.
Bien sûr que l’octroi d’une assistance financière dans le cadre du MES sera conditionné à la ratification de ce nouveau traité par l’État membre concerné ! Encore heureux ! C’est la clé du système et la garantie de sa crédibilité.
J’ajoute que ces traités, comme tous les autres, engagent la France, et non simplement l’actuel gouvernement.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Quand le Parlement l’aura ratifié ! Il n’y est pas obligé ! On peut écouter le peuple avant !
M. Jean Bizet. On ne renégocie pas des traités à chaque changement de gouvernement ! Un traité engage la parole du pays qui l’a signé, et cela doit être clair pour tout le monde !
M. Jean-Pierre Chevènement. C’est aberrant ! Le général de Gaulle ne serait pas sorti de l’OTAN !
M. Jean Bizet. Il n’y a pas de place, aujourd’hui, pour la spéculation politique.
Là aussi, il y va de la crédibilité de la démarche et du mécanisme retenu.
On le voit, la mise en place progressive de la réponse européenne à la crise est indéniable. Nous avançons concrètement vers plus de coordination des politiques budgétaires nationales, vers plus de surveillance et de contrôle des acteurs de la finance (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.), vers plus de gouvernance économique, bref, vers un type de « fédéralisme budgétaire » à l’échelle européenne.
Je veux revenir un instant sur ce que disait tout à l'heure notre collègue Jean Arthuis à ce sujet. La famille politique à laquelle j’appartiens penche, vous le savez, du côté souverainiste plutôt que du côté fédéraliste. Mais, aujourd'hui, il faut faire preuve de pragmatisme, et c’est sans détour que je m’engage vers ce fédéralisme budgétaire, dont la mise en œuvre ne me paraît présenter aucune impossibilité.
Je pense donc que, pour bâtir cette croissance, il faut un marché intérieur dynamique et efficace. L’action de notre commissaire, Michel Barnier, est à cet égard remarquable.
Le marché unique a permis de créer de nombreux emplois, même si ce n’est pas encore suffisant, et d’accroître la compétitivité de l’Europe. Aujourd’hui plus que jamais, il reste notre atout majeur pour faire face aux défis de la crise économique.
Il existe cependant un large potentiel encore inexploité. Je pense à l’accès au financement des PME, à la mobilité des citoyens, aux droits de propriété intellectuelle, au marché unique des services, à la fiscalité ou la protection des consommateurs. Les propositions de la Commission européenne existent et c’est aux États membres de décider de leur mise en œuvre.
De nombreuses autres pistes peuvent être explorées. Ainsi, les fonds structurels sont un formidable outil de développement. Ne peut-on pas utiliser différemment les 240 milliards d’euros de la politique de cohésion, notamment pour la relance ? À mon avis, nous serions gagnants. Aux États membres de lancer des plans de rigueur et à l’Europe de mener une politique de relance pour l’Europe.
M. Jean Bizet. La stratégie Europe 2020 constitue également un excellent vecteur de croissance, notamment en ce qui concerne les investissements dans la recherche, l’innovation et la formation. Cette stratégie s’inscrit parfaitement dans le contexte de réformes structurelles débattues récemment : la régulation financière, la coordination de l’Union économique et monétaire ou la gouvernance économique.
L’ensemble de ces opérations ne concerne pas seulement les institutions européennes. Elles doivent être discutées et relayées à tous les niveaux.
Le débat sur les euro-obligations est également lancé. Il s’agit de mutualiser la dette souveraine des États de la zone euro pour financer des dépenses d’avenir.
Cependant, des imprécisions et de nombreuses incertitudes demeurent, au-delà même des réticences allemandes, qui hypothèquent largement l’avenir de cet instrument financier, y compris sous son aspect d’outil de croissance et d’investissement.
La réflexion doit encore faire du chemin, mais, et je rejoins sur ce point Mme la rapporteure générale, je reste persuadé que l’émission d’eurobonds pourra présenter des bénéfices à terme, plus précisément lorsque la rigueur et l’orthodoxie budgétaire des États membres seront devenues la règle, moment qui n’est pas encore arrivé…
Le Conseil européen des 1er et 2 mars revêt donc une importance de premier plan. Avec le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité, ratifié voilà quelques heures par notre assemblée, et la future signature du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique, l’Europe a profondément réformé sa gouvernance. Elle a réagi à la hauteur de l’enjeu. Cela traduit un changement profond d’orientation dont nous avons du mal à mesurer les conséquences, lesquelles sont, à mon avis, considérables.
Avec le renforcement de l’intégration économique et budgétaire au travers d’une discipline accrue, mais aussi d’une convergence des compétitivités pour des objectifs de croissance partagés, on assiste à la mise en place d’un arsenal juridique et politique complet.
La crédibilité de cette démarche dépend évidemment de notre capacité collective à réagir et de notre unité à adhérer à ce projet commun. Il n’y a aucune place pour la polémique ou la spéculation. Il y va du destin de la France et de l’Europe. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a quelques mois, un homme politique français, interrogé sur l’éventualité d’un référendum en Grèce à propos des mesures de rigueur imposées à ce pays, faisait part de son agacement en ces termes : « Je trouve que c’est une décision normale et je n’arrive pas bien à comprendre l’agitation autour d’elle. […] Je pense que la démarche [de M. Papandreou] est une démarche correcte. Il a besoin de savoir si le peuple grec accepte cet accord. […] Dans une démocratie, il faut interroger les citoyens. »
Cet homme politique n’a rien d’un écologiste, non plus que d’un homme de gauche. Il ne figure pas davantage parmi les adversaires de l’Union européenne, bien au contraire. Rien ne laisse non plus penser qu’il soit un fervent défenseur de l’idée de démocratie directe et d’un usage débridé du référendum...
En réalité, en s’exprimant de la sorte, il ne faisait que rappeler une évidence : le fonctionnement de l’Europe doit être démocratique, en tout cas plus qu’il ne l’est actuellement, et qui dit démocratie, dit non seulement chefs d’État et de gouvernement librement élus, mais aussi parlements, partis politiques, syndicats, associations et surtout citoyens profondément impliqués dans les décisions majeures qui s’imposent aux sociétés.
Autant d’éléments que le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, semble trop souvent négliger, notamment en ce qui concerne la gestion de l’actuelle crise des dettes souveraines. Quel dommage que Valéry Giscard d’Estaing, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’ait pas eu davantage votre écoute dans la période récente !
Puisque j’en suis à parler d’hommes politiques illustres, je m’autoriserai quelques réflexions rétrospectives.
En pensant aux grandes étapes qui ont marqué la construction de l’Union européenne, il m’apparaît que nous sommes plus que jamais confrontés à un problème de génération. Le projet des pères fondateurs, dont nous continuons tous ou presque à nous réclamer, est assez mal en point. C’est celui des Altiero Spinelli et Jean Monnet, entre autres. Ces hommes voulaient construire un espace de paix et de démocratie, de prospérité et de partage, qui permettrait à leurs pays de se relever de l’immense crise et des terribles conflits qu’ils venaient de traverser. L’unification de leur continent était, à leurs yeux, absolument nécessaire. Ils cherchèrent à la construire sans relâche, en s’appuyant sur un pragmatisme lucide, mais courageux et résolu.
La seconde génération d’Européens, quoique aussi pragmatique en apparence, l’était en réalité beaucoup moins. Je pense à un Valéry Giscard d’Estaing, mais aussi à un Bronisław Geremek, ainsi qu’à quelques grands noms dont les voix résonnent encore parfois au Parlement européen. (Mme Catherine Morin-Desailly et M. Yves Pozzo di Borgo applaudissent.)
Cette génération-là a fait fructifier le legs laissé par les pères fondateurs. Elle a cependant commis aussi des erreurs, tant elle supposait que tout serait facile pour construire l’Europe dont elle rêvait, d’où, notamment, un élargissement parfois trop rapide et, surtout, une unification encore trop focalisée sur l’économie au détriment du social et de la politique.
La troisième génération, celle qui se trouve actuellement aux responsabilités en Europe, loin de réparer les erreurs de la génération précédente, les a plutôt aggravées.
Le problème n’est pas que les actuels dirigeants, français et allemands, par exemple, ne parlent jamais d’Europe, mais qu’ils en parlent avec des expressions qui varient selon le contexte, le lieu où il se trouve et le public auquel ils s’adressent.
Il y a cinq ans, Nicolas Sarkozy s’en prenait indirectement à l’Allemagne en rappelant que la France, contrairement à d’autres, n’avait « pas inventé la solution finale », phrase qui n’a pas été sans produire quelques échos. Aujourd’hui, l’Allemagne est son modèle.
Il y a quelques mois, Angela Merkel disait tout le bien qu’elle pensait d’une Europe qui serait enfin pleinement politique. Dans le même temps, elle agissait exactement comme si elle voulait aller dans la direction opposée, et c’est ce qu’elle continue à faire.
Ces actes et ces discours n’ont en réalité qu’un seul point commun : l’Europe n’est plus présentée comme incontournable, mais comme une contrainte. Là où elle était ouverture, elle est désormais frontière à protéger. Là où elle était un projet, elle n’est plus qu’un outil à utiliser.
Surtout, à écouter ces discours, on comprend que sa construction ne relève plus de notre choix collectif. C’est quelque chose qu’on nous imposerait. Quoi de plus commode pour un chef d’État ou de gouvernement à la peine dans l’opinion ? S’il ne parvient pas à obtenir telle ou telle chose, c’est la faute de l’Europe ! S’il veut mettre en place des réformes impopulaires, c’est encore et toujours la faute de l’Europe ! Et si jamais l’Europe doit réussir quelque part, c’est bien entendu de son fait à lui…
Vous vous demandez sans doute pourquoi, monsieur le ministre, je m’attarde sur ces considérations. En réalité, elles sont directement liées à l’objet de notre débat. En effet, l’ordre du jour du Conseil européen auquel vous vous rendrez jeudi illustre parfaitement la dégradation que je viens de décrire.
En l’occurrence, c’est ce que cet ordre du jour ne comporte pas qui me préoccupe.
Comment se fait-il que le débat que nous avons ce soir n’ait pu avoir lieu, devant le Parlement, qu’à la veille d’un Conseil européen aux enjeux, il faut bien le dire, assez limités ? Nous n’avons malheureusement pas eu l’honneur de débattre avant le Conseil informel du 30 janvier dernier, celui qui scella à la fois les négociations portant sur le Mécanisme européen de stabilité et sur le nouveau traité intergouvernemental.
Certes, nous échangeons sur une base régulière : fin octobre, mi-décembre, de nouveau aujourd’hui. Mais, lorsqu’il apparaît qu’autant de décisions, a fortiori controversées, sont prises lors de réunions « informelles » du Conseil européen, ne vaudrait-il pas mieux qu’un véritable débat ait lieu de manière systématique, devant la société française et sa représentation, avant chacune de ces réunions ?
En Allemagne ou au Danemark, lequel préside actuellement le Conseil européen, le Parlement est étroitement associé à la politique européenne de l’exécutif quand le Gouvernement n’est pas lié, comme c’est le cas au Danemark, par le mandat que lui donne le pouvoir législatif.
Pourriez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, pourquoi la France est le seul pays dont la politique européenne soit à ce point accaparée par le chef de l’État et aussi peu discutée publiquement, sans donc que le pays et sa représentation parlementaire y soient associés en amont ?
Le Sénat a récemment adopté, sur l’initiative de sa commission des affaires européennes, une résolution sur le contrôle démocratique des politiques européennes et des politiques économiques. Le Gouvernement devrait s’en inspirer s’il veut éviter que de nouveaux malentendus et de nouvelles fractures n’apparaissent entre les citoyens et ceux qui sont censés les représenter.
Depuis plusieurs jours, les parlementaires, donc les sénateurs, ne cessent de recevoir des courriers relatifs au Mécanisme européen de stabilité.
Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir sur ce mécanisme, je suis sûr que nous pourrons être d’accord pour dire que les conditions dans lesquelles il a été discuté ne sont pas satisfaisantes. Les citoyens et les parlementaires ont été mis sur le côté, de sorte que ces textes se retrouvent votés en urgence et instrumentalisés de part et d’autre. Cela n’est pas raisonnable et c’est totalement contre-productif.
Je reviens à l’ordre du jour du Conseil européen.
Celui-ci aura d’abord pour objet de clore la première phase du semestre européen. Il s’agit notamment d’examiner dans quelle mesure les États membres appliquent les recommandations qui leur sont adressées par le Conseil et la Commission en matière de coordination économique.
C’est une réforme un peu étrange, si l’on y réfléchit, puisqu’elle est à mi-chemin entre la méthode communautaire et la méthode intergouvernementale.
C’est aussi une réforme potentiellement dangereuse puisqu’elle est aujourd’hui synonyme d’une stricte austérité et qu’elle porte atteinte aux compétences traditionnellement reconnues aux parlements nationaux comme au Parlement européen dans ce domaine.
Mais, s’il était possible d’y voir une réforme réellement et pleinement européenne, cela ne serait pas si grave. Si cette réforme avait donné plus de poids à une approche intergouvernementale intelligente et réellement équilibrée, il serait encore possible de l’envisager comme un progrès. Or, non seulement cette réforme tourne le dos à une approche fédéraliste et communautaire, mais elle tend aussi à aggraver les déséquilibres profonds qui existent déjà entre États membres en matière de reconnaissance politique.
J’en veux pour preuve l’exercice auquel s’est livré, voilà deux semaines, le commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, que citait précédemment Jean-Pierre Chevènement. Alors qu’il évoquait, conformément à la législation établissant le semestre européen, les déséquilibres macroéconomiques qui frappent la zone Euro, M. Rehn a pointé du doigt dix-sept États membres considérés comme devant faire l’objet d’une attention particulière de la part de ses services. La Grèce, l’Espagne, l’Irlande et le Portugal en font naturellement partie... La France aussi. Elle est, comme le Royaume-Uni et la Belgique, jugée insuffisamment compétitive et perdant trop de parts de marchés à l’exportation.
En revanche, l’Allemagne est absente de cette liste. Aucun déséquilibre économique ne lui est reproché, alors que la balance de ses comptes courants est largement excédentaire depuis des années. C’est le signe, selon les critères du fameux six pack, de salaires trop peu élevés et d’une demande intérieure trop peu développée, au détriment de la population allemande comme de l’ensemble de l’Union européenne.
Pourtant, la Commission européenne, en dépit des obligations résultant du six pack, fait mine de ne rien remarquer ! Pourquoi ? Tout simplement parce que l’Allemagne, inquiète de voir sa réputation entamée, alors qu’elle mène une croisade en faveur de l’austérité, a fait pression sur la Commission pour que celle-ci omette de l’épingler.
C’est ainsi que le gouvernement du pays le plus influent de l’Union semble mépriser toute idée de solidarité européenne et de responsabilité partagée. Personne ne semble s’en offusquer, et surtout pas le gouvernement français !
En effet, pour maintenir un semblant d’influence au sein du concert européen, le président Sarkozy a bien compris que son intérêt n’était plus de peser en faveur d’idées qu’il défendait il n’y a pas si longtemps – je pense à la création d’euro-obligations – mais de conclure une alliance tactique et, je dois le dire, assez opportuniste avec Mme Merkel. Cette dernière a besoin de lui pour ne pas paraître trop isolée face à des États qui, comme la Pologne, commencent à protester.
Ainsi, l’Europe qui se réunira cette semaine n’est ni fédéraliste, ni communautaire, ni même intergouvernementale à proprement parler. Dans l’esprit des deux dirigeants, français et allemand, elle ne saurait être qu’une forme de directoire plus ou moins affirmé.
De son côté, M. Mario Monti, président du Conseil italien et habitué des arcanes européens, a pris voilà peu position sur cette problématique en des termes très forts, notamment dans un article du journal Le Monde cosigné avec Sylvie Goulard.
Cette méthode – la confiscation de l’Union européenne par deux États membres et une sorte d’alliance objective entre gouvernements conservateurs et technocratie au détriment du Parlement européen et des parlements nationaux – ne fonctionnera pas. Bien plus que l’autoritarisme supposé d’une Commission européenne, réduite plus que jamais à l’état de secrétariat des grands États membres, elle risque de conduire à la dislocation du projet européen.
C’est cette méthode qui a précipité la Grèce, déjà lourdement abîmée par la faute de ses propres dirigeants, dans l’état où elle est aujourd’hui.
C’est aussi au nom de cette méthode qu’il est jugé inutile et inopportun de s’intéresser à des questions telles que les libertés fondamentales en Hongrie. Le Premier ministre Viktor Orban, qui est aussi le vice-président du parti populaire européen, n’a-t-il pas été récemment invité à ce titre par l’UMP à Marseille, alors que sa dérive autoritaire, dont témoigne la transformation des institutions de son pays, ne fait aucun doute ? La lutte contre de telles dérives n’est-elle pas l’un des fondements du projet européen ? C’est là un point que l’on aurait aimé voir figurer au programme de travail du Conseil européen de cette semaine.
Monsieur le ministre, jeudi prochain, lors de ce sommet, que comptez-vous répondre aux critiques du président Mario Monti, lorsque vous le croiserez avec le Président de la République ? Inciterez-vous le Conseil européen à s’intéresser enfin de plus près à la situation préoccupante des libertés fondamentales en Hongrie ?
Avant de conclure, je voudrais saisir l’occasion de ce débat pour réitérer une question que j’ai posée le 9 février dernier à votre collègue M. Lellouche lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement et qui n’a reçu aucune réponse.
La Grèce demeure aujourd'hui plongée dans des difficultés considérables et reste soumise à des contraintes socialement insoutenables. Pourtant, jamais depuis la crise de 2008 ceux qui assument au plus haut niveau la responsabilité de notre diplomatie ne se sont rendus sur place, à Athènes, pour discuter directement avec les principaux intéressés. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer si un tel voyage, qui serait un acte de considération fort à l’égard du gouvernement de la Grèce et, surtout, de sa population, est envisagé dans les semaines à venir par le Président de la République, le Premier ministre, le ministre des affaires étrangères et européennes ou vous-même ? (M. le président de la commission des affaires européennes applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans les circonstances que nous vivons, et qui n’incitent guère à l’optimisme, le sommet qui s'ouvrira après-demain a pour mission de tenter de raviver le sentiment européen dans les opinions de nos démocraties et de faire renaître l'espoir. Malheureusement, son ordre du jour porte essentiellement sur la confirmation du projet de traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire. Il y a là, me semble-t-il, un contraste.
Est-il besoin de rappeler les obligations d'équilibre budgétaire déjà acceptées au sein de l'Union européenne et en France ? Depuis bientôt vingt ans que le traité de Maastricht est en vigueur, nous avons pu observer comment il était appliqué. Il a donné lieu, en 2004-2005, à un compromis interprétatif du Conseil européen qui l’a surtout compliqué, et sans que les résultats en termes de maîtrise budgétaire collective soient vraiment au rendez-vous.
Plus récemment, ont été adoptés les deux packs qui encadreront de façon de plus en plus stricte les procédures budgétaires et les autres décisions relatives aux finances publiques des États membres.
Et n’oublions pas que, dans notre propre dispositif constitutionnel, la révision de juillet 2008 a introduit, à l’article 34, une disposition aux termes de laquelle « les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies dans des lois de programmation » et « s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques ».
Lorsqu’on observe la trajectoire budgétaire de la France, y compris en matière de finances sociales, depuis l'instauration de cette première règle d'équilibre à caractère constitutionnel, on se demande ce qu'il faudra pour atteindre effectivement l’équilibre !
L’expérience nous oblige à reconnaître que les difficultés spécifiques dans lesquelles notre pays se trouve aujourd'hui sont plus l’effet de certaines dérives que de la malchance et que ces dérives sont elles-mêmes la conséquence de décisions politiques qu’il faut bien assumer.
La façon dont les autorités françaises ont cherché à esquiver l'application des dispositions du traité en 2003-2004 – c’était la même majorité gouvernementale qu’aujourd'hui – a laissé un souvenir très précis à nombre de nos partenaires de l'Union européenne.
Enfin, comme d’autres orateurs l’ont souligné, l'affaiblissement de la compétitivité de la France – 10 points perdus depuis 2002 – n'a évidemment rien de rassurant quant à notre capacité à retrouver la croissance, qui reste le support premier de l'équilibre des finances publiques.
La conséquence de cette situation, nous la voyons maintenant dans le texte du projet de traité : c’est la position dominante de l'Allemagne. Les autorités allemandes, a fortiori quand ce sont les conservateurs qui sont au pouvoir, comme aujourd'hui, ont une exigence profondément normative d'encadrement des finances publiques et fondent leur raisonnement sur la méfiance. Reconnaissons que, comme je l’ai montré, nous avons donné prise à une telle attitude. Quoi qu'il en soit, l’Allemagne est actuellement suivie par un certain nombre de pays, qui s’inquiètent eux aussi de l'évolution de l'euro et de celle de notre système financier.
La position dans laquelle s’est trouvé le Président de la République au cours de la négociation – mais c'est aussi son bilan ! – a abouti à un traité que nous pensons profondément déséquilibré, et de surcroît inefficace.
Plusieurs économistes ont formulé des remarques assez simples sur ce qui posait problème au sein de la zone euro. D’ailleurs, à cet égard, malgré les différences d'opinion que nous avons pu avoir sur bien des sujets avec Jean-Pierre Chevènement, je veux saluer sa clairvoyance. Avoir une zone monétaire unique sans banque centrale jouant le rôle de prêteur en dernier ressort, sans partage de la gestion des dettes publiques et sans mise en commun des dispositifs de régulation du système bancaire confine à un exercice d'équilibriste…
Or, sauf peut-être sur un point, et encore de façon marginale, le traité qui sera vraisemblablement signé lors du prochain sommet – même s'il est encore légèrement modifié à l'occasion d'une ultime négociation – ne répond pas à ces questions de base.
Je signale au passage que, lorsque le Gouvernement français s'est engagé dans une comparaison critique avec la situation du Royaume-Uni, dont les fondamentaux affichent certes des chiffres encore plus préoccupants, il l’a fait néanmoins, à mon sens, de façon quelque peu hasardeuse, car ce pays dispose, lui, d’un prêteur en dernier ressort, ce qui a fait la différence ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann acquiesce.)
M. Roland Courteau. En effet !
M. Alain Richard. Surtout, ce projet de traité ne remédie pas aux tensions économiques et sociales de plus en plus fortes et dramatiques que connaissent les pays en difficulté financière, à commencer par la Grèce. Dans de nombreux pays, notamment en France, les opinions publiques sont préoccupées par cette spirale de tensions et par l’incompréhension que manifeste la majorité conservatrice du Conseil européen, laquelle, devant cette situation économique très préoccupante – l'absence de croissance de l'Europe –, ne fait qu’appuyer sur le clavier des mesures restrictives, créant ainsi un risque de plus en plus grand de récession et de conflits sociaux.
Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur quelques questions qui ne me paraissent pas susceptibles d’être résolues par ce projet de traité.
Premièrement, dans le projet actuel, la Cour de justice de l’Union européenne a pour rôle de vérifier le respect de l'engagement d'équilibre des nations signataires. Sur quels actes concrets sera-t-elle saisie ? En cas de manquement à l'obligation de souscrire l'engagement d'équilibre, qui pourra la saisir ? Quelle est la crédibilité du mécanisme de sanctions financières si le désaccord entre l'État mis en cause et la Cour tient à une nuance rédactionnelle, puisque l’actuel projet de traité ne comporte plus d'obligation de caractère constitutionnel de fixer une règle d'équilibre ? On voit d'ailleurs mal comment la règle qui figure dans le projet de traité pourrait se traduire dans un dispositif constitutionnel.
Deuxièmement, même si le projet de traité ne prévoit rien de tel, y a-t-il un début d’évolution du rôle de la Banque centrale européenne ? Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer, fût-ce à grands traits, vos pistes de réflexion sur une concertation permettant à la Banque centrale européenne de se coordonner de façon plus efficace avec les gouvernements, notamment pour assurer la liquidité du système, sans remettre en cause l'indépendance de cette institution, à laquelle tiennent plusieurs de nos partenaires ?
Troisièmement, où sont les mesures de croissance ? Pour l'instant, le projet de traité ne parle que de « convergence » et de « compétitivité ». Pour les avoir souvent vus utilisés, nous savons ce que ces termes recouvrent en matière de recul des solidarités et de dérégulation du travail. Existe-t-il un début de discussion sur de grands projets ? Où sont les leviers de l'innovation productive ? Les signataires de ce traité ont-ils la volonté de prévoir une contrepartie en faveur de la croissance de l'Union européenne, puisque c'est la condition du rétablissement des équilibres financiers ?
Quatrièmement, ces mesures restrictives ouvrent-elles au moins la possibilité de mettre en commun des obligations publiques ? L’émission d'euro-obligations pourrait être envisagée, si, en matière de respect de l'équilibre des finances publiques, la confiance régnait, au lieu de la défiance. A-t-on envisagé un premier élargissement de la capacité d'emprunt de l'Union européenne pour financer les projets d'innovation et les projets de développement dans le cadre d’une croissance décarbonée ?
Je conclurai par une question plus transversale. Où est la confrontation démocratique sur les différents moyens d'atteindre ce rétablissement économique ? Où est le pluralisme ? Où sont les perspectives d’ouverture de débats dans les procédures que vous avez acceptées en approuvant ce projet de traité ?
Monsieur le ministre, vous le constatez, ce projet de traité est incomplet et déséquilibré. C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il faut rouvrir la discussion. C'est le droit d’une nation comme la France, à l'issue d'un grand choix démocratique, de faire jouer son droit à une discussion renouvelée avec ses partenaires. Nous pourrons y prétendre sur la base du réalisme économique parce qu'il nous semble que ce traité organise la persistance de la récession. Il faut renforcer le potentiel de croissance et de solidarité de l'Union européenne. Cette négociation pourra s'élargir aux perspectives financières pour les années 2013-2020.
Monsieur le ministre, nous observerons de façon critique et vigilante la fin de la négociation lors du prochain Conseil européen. Nous y réagirons avec la volonté d'aider l'Union européenne à repartir du bon pas, celui de l'efficacité et de la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du Conseil européen qui va se tenir jeudi et vendredi prochains, les chefs d’État et de gouvernement aborderont la question de l’approfondissement de l’intégration budgétaire au sein de la zone euro. Je voudrais donc saisir cette occasion pour vous présenter un certain nombre de réflexions sur cette question.
Tout d’abord, une évidence : cette réforme de la gouvernance économique et budgétaire européenne se fait dans une grande confusion. L’empilement des textes nous empêche de nous y retrouver et l’extrême complexité de l’articulation des procédures risque de créer de l’insécurité juridique. S’il faut faire fonctionner ensemble le two pack, le six pack, le MES et le TSCG, il y a fort à parier que cela ne marchera pas !
Il est à craindre que cette superposition n’entraîne des conflits de compétence entre les institutions chargées de mettre en œuvre ces différents textes, à savoir la Commission européenne, le Conseil européen et le Conseil des gouverneurs, chargé de faire fonctionner le MES.
Je voudrais aussi souligner que l’enrayement de la crise économique et sociale ainsi que le rétablissement de la stabilité financière passent nécessairement par davantage d’Europe, au travers, notamment, de la création d’une union budgétaire fondée sur quatre piliers : la discipline budgétaire, la solidarité financière, la croissance et le contrôle démocratique.
Je n’insisterai guère sur le rééquilibrage du système de surveillance budgétaire puisque nous y avons consacré une bonne partie de l’après-midi. Au lieu de créer une « règle d’or » inefficace et inutile, il est nécessaire, à notre sens, de desserrer le carcan budgétaire dans lequel se sont petit à petit enfermés les États membres. En particulier, il convient de se demander pourquoi il faudrait appliquer la même règle à quinze ou dix-sept États ayant tous une histoire et une situation économique différentes. Il n’y a pas de raison pour que la règle des 3 % de déficit public – cette règle-là ou une autre, d’ailleurs !– s’applique de façon efficace et intelligente à chacune de ces situations particulières. Le cas espagnol n’a rien à voir avec celui de l’Italie ou de la Grèce ! Nous savons bien que cette façon quasi militaire de gérer l’économie ne fonctionne pas.
La poursuite de l’objectif de l’équilibre budgétaire ne devrait pas nuire aux dépenses d’investissement nécessaires pour stimuler la croissance. Comme le dit l’économiste Michel Aglietta, il faut « accepter des déficits quand l’économie tourne au ralenti et enregistrer des excédents lors des phases prospères ».
À cet égard, monsieur le ministre, nous nous demandons pourquoi la France ne soutient pas le plan pour la croissance en Europe lancé récemment par le Royaume-Uni et l’Italie, plan qui a, semble-t-il, suscité de grandes réserves en Allemagne et en France alors que le volet du marché intérieur reprend essentiellement les propositions du rapport Monti de 2010, en particulier pour les secteurs des services, de l’énergie et de la recherche.
Pourquoi ne soutenons-nous pas cette initiative ?
M. Yves Pozzo di Borgo. Bonne question !
M. Richard Yung. Pour une fois que les Anglais proposent quelque chose d’utile à l’Europe, il est dommage de les bouder !
La solidarité financière a également été abordée lors du débat de cet après-midi. À cette occasion, j’ai précisé notre position sur la création d’une agence européenne chargée d’émettre des titres de dette européens.
Monsieur le ministre, s’agissant de la stratégie européenne de croissance, je tiens à réaffirmer la nécessité de mutualiser les dépenses d’avenir. Il s’agit de contourner les contraintes pesant sur les budgets. La réalisation de cet objectif passe par la création d’une capacité d’emprunt pour l’Union européenne, par l’accroissement du rôle de la Banque européenne d’investissement et, cela a été dit à plusieurs reprises, par une réforme du mandat de la Banque centrale européenne. De telles perspectives nous permettraient d’augmenter le budget européen à l’avenir.
Je sais que cela ne convient pas à M. Arthuis, mais, comme l’a souvent dit notre collègue Pierre Bernard-Reymond, les États sont lourdement endettés, alors que l’Union européenne, en tant qu’institution, ne l’est pas. Utilisons donc cette possibilité !
Je conclurai cette courte intervention en évoquant le renforcement du contrôle démocratique de l’intégration budgétaire. Une intervention accrue du Parlement européen et des parlements nationaux est nécessaire. Certes, des mécanismes la permettant existent déjà, mais ils sont peu utilisés.
Telles sont les réflexions que je voulais présenter sur ce que pourrait être l’intégration budgétaire européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernante au sein de l’Union économique et monétaire, arrêté le 30 janvier 2012 dans des conditions qui ont été rappelées, devrait être signé en marge du Conseil européen des 1er et 2 mars, avant autorisation de ratification par les parlements.
Je ne reviendrai pas sur le problème du processus démocratique : d’autres l’ont fait mieux que je ne le ferais. C’est bien ce qui est cœur du débat de ce prochain Conseil européen, à l’heure où les préoccupations de nos concitoyens portent sur l’emploi, la compétitivité et la croissance.
L’Europe est à la croisée des chemins depuis bien longtemps, mais, aujourd’hui, le reste du monde ne l’attend pas et ne la regarde plus, si ce n’est, parfois, avec dédain.
Pourquoi la juxtaposition de nations aussi développées, aussi puissantes, n’aboutit-elle très souvent qu’à une cacophonie continentale, loin des capacités et des ambitions des peuples qui la composent ?
Le groupe du RDSE est très attaché à la construction européenne, à la nécessité de rompre définitivement avec les nationalismes fauteurs de conflits sanglants grâce à une coopération étroite et nécessaire au sein du même espace continental, mais dans le respect de l’identité de chaque nation.
Aujourd’hui, l’Europe subit une crise dont l’épicentre était situé en Amérique du Nord. Elle a les plus grandes difficultés à définir une politique prospective, réagissant, hélas, par à-coups, pour ne pas dire au jour le jour, subissant l’événement au lieu de le prévoir.
Ce traité sur la stabilité en est l’illustration. Il a été négocié précipitamment, sans concertation suffisante et n’offre pas une réponse adaptée aux difficultés réelles de la zone euro, à sa fragilité aujourd’hui avérée.
Je le répète, il a été négocié dans l’urgence, hors cadre communautaire, alors qu’un accord aurait pu se concevoir à « traité constant », selon le président Van Rompuy lui-même. Il a en fait révélé une véritable crise institutionnelle.
D’ailleurs, il reprend pour l’essentiel des dispositions déjà adoptées par l’Union européenne, notamment dans le paquet « gouvernance économique » de juin 2011.
En réalité, la principale nouveauté du traité est l’obligation d’adopter une « règle d’or » contraignante dans l’ordre juridique interne, le non-respect de l’obligation de transposition pouvant être sanctionné par la Cour de justice de l’Union européenne. Pour nous, la « règle d’or » ne relève pas de la Constitution, mais de la volonté politique, de la sincérité, en particulier dans les lois de programmation.
Par ailleurs, ce traité généralise la règle de la majorité qualifiée inversée pour toutes les propositions ou recommandations de la Commission relatives à un État en déficit excessif et renforce l’automaticité des sanctions. Il n’y a pas de remise en cause des seuils du Pacte de stabilité, lesquels n’ont aucune justification économique, notamment l’objectif irréalisable de l’article 4. Pour prendre l’exemple de la France, comment serait-il possible de dégager un excédent de plusieurs dizaines de milliards d’euros par an ?
En outre, le traité ne met pas suffisamment l’accent sur la croissance ni sur la coordination des politiques économiques nécessaire pour y parvenir. Nous craignons donc que les États de la zone euro ne s’enferment dans une rigueur budgétaire absolue permettant, certes, de réduire le déficit à court terme, mais nuisant à la croissance à long terme. À notre sens, il faut des investissements au niveau européen pour porter la croissance.
Si ce traité est imparfait, voire en grande partie inapplicable, cette appréciation ne saurait nous entraîner dans l’euroscepticisme primaire.
La seule solution pour l’Europe et les Européens, propre à garantir la croissance, consiste en un renforcement de l’intégration européenne, étant entendu que les citoyens doivent parallèlement s’approprier celle-ci. Effectivement, le fédéralisme est nécessaire pour résoudre les imperfections de la zone euro.
Les plus grands économistes sont d’ailleurs d’accord sur le fait qu’il n’y a pas d’alternative pour l’Union Européenne à un renforcement de l’intégration politique, économique, budgétaire, donc à une transformation des institutions vers un modèle fédéral.
Voici ce que dit Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, à ce sujet : « À court terme, la seule solution est donc de maintenir les mécanismes de financement public des pays déficitaires et de leur donner la taille suffisante : EFSF-EFSM, achats durables de dettes publiques par la BCE. Ces mécanismes doivent être perçus comme nécessaires durant la transition vers le fédéralisme. »
L’élément clé est donc la mobilité de l’épargne à l’échelle de l’Union européenne pour permettre de régler les déséquilibres macroéconomiques.
Pour cela, il faut un véritable budget européen, avec des ressources propres – taxe sur les transactions financières, TVA, taxe carbone, eurobonds… – et une stratégie commune d’investissements.
Nous en sommes malheureusement très loin et les mois qui viennent seront encore plus difficiles. Ce traité n’est pas à la hauteur des enjeux actuels. Il conviendrait de ne point le signer en l’état. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. Alain Richard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 1er et 2 mars sera principalement consacré à la politique économique. Il sera l’occasion de faire le bilan des progrès de chaque pays dans le cadre du « semestre européen ». Surtout, ce sommet abordera la question de l’approfondissement de l’intégration budgétaire dans la zone euro.
C’est donc bien cette question, laquelle va de pair avec la signature prévue en marge du sommet du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, qui occupe et échauffe aujourd’hui les esprits.
Ce traité, tellement voulu par l’Allemagne, est considéré outre-Rhin comme la contrepartie au nouveau « pare-feu » anti-crise de la zone euro, le Mécanisme européen de stabilité, dont il a été question plus tôt dans l’après-midi.
Le MES impose une rigueur budgétaire sans faille, ainsi que l’introduction d’une « règle d’or » d’équilibre des finances publiques dans notre Constitution, véritable règle d’airain, selon l’expression de Jean-Pierre Chevènement.
La croissance et la coordination des politiques économiques pour favoriser celle-ci sont certainement, de mon point de vue, trop peu présentes dans ce traité, Alain Richard et Jean-Pierre Chevènement l’ont d’ailleurs rappelé.
Cependant, on peut espérer qu’il ne constitue qu’une étape vers une Europe plus forte, dotée d’une véritable gouvernance économique. En outre, monsieur le ministre, il n’est aujourd'hui ni signé ni a fortiori ratifié, et il y a sans doute encore une marge de manœuvre pour l’améliorer, voire le renégocier.
Certes, l’Union européenne est, en l’état, faillible, fragile, et surtout jeune. Ces faiblesses de jeunesse qu’on lui reproche aujourd’hui ne sont pourtant pas irréversibles.
Qu’avons-nous comme alternative ? Une sortie de l’euro, voire de l’Europe ? Faut-il croire, comme l’éditorialiste du Courrier International l’écrivait au moment de l’éclatement de la crise grecque, en mai 2010, que celle-ci a mis « un terme à ce qui fut jusqu’à présent l’aventure européenne, une aventure tissée de petits pas, de traités et de compromis » ? Pour ma part, je ne le crois pas.
Renoncer à l’euro ou à l’Union européenne aurait des conséquences bien plus graves que la crise financière de 2008 ou celle des dettes souveraines que nous traversons actuellement. Pour reprendre les mots d’Olivier Pastré, professeur d’économie, à côté d’une implosion de l’euro, « la crise des subprimes et la faillite de Lehman Brothers feraient figure de plaisant accroc conjoncturel ». Quant au prix Nobel d’économie, Paul Krugman, il affirmait il y a tout juste deux ans, dans un entretien au New York Times, que « toute tentative pour remettre en place une devise nationale déclencherait la "mère de toutes les crises financières" ».
En effet, si sortir de l’euro pourrait dans un premier temps nous permettre de retrouver un tant soit peu de compétitivité, par le biais d’une dévaluation monétaire, cela nous entraînerait sans doute à long terme dans une terrible spirale de récession. Baisse de la demande intérieure, hausse des taux d’intérêt rendant impossible une reprise des investissements des entreprises, perte de recettes fiscales impliquant de nouveaux plans de rigueur, fuite des capitaux et augmentation massive du chômage ne sont que quelques-uns des maux qui frapperaient notre économie dans le cadre du scénario d’un retour à la monnaie nationale.
Oui, une implosion de l’euro, une dislocation de l’Europe auraient des conséquences dramatiques pour l’économie mondiale.
M. Jean Arthuis. Très bien !
M. Yvon Collin. Dès lors, à l’évidence, nous ne pouvons qu’aller vers une intégration budgétaire, économique et politique plus poussée, autrement dit vers le « fédéralisme ». Paul Krugman, toujours lui, déclarait en 2010 : « La seule solution pour s’en sortir est donc d’aller de l’avant. Pour que l’euro soit opérationnel, l’Europe doit progresser sur la voie de l’intégration politique. »
Ce que nous voulons tous, c’est retrouver le chemin de la croissance. Pour cela, mieux vaut s’unir, coordonner les politiques économiques et mener une politique d’investissement commune. Aussi, je ne peux que vous inviter, monsieur le ministre, mes chers collègues, à relire mes rapports de 2007 et 2009, faits au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, dans lesquels j’appelais à une véritable coordination des politiques économiques en Europe.
Mutualisées, les dépenses d’avenir seront financées au meilleur coût et se révéleront plus efficaces. Une politique d’austérité prolongée et étendue à toute l’Europe ne pourra être que bénéfique, conduisant à une réduction des déficits à court terme, mais surtout à une réduction de la croissance à long terme.
Certes, il est politiquement plus facile de limiter le budget européen au minimum. Pourtant, pour le bien de l’ensemble des Européens, l’Union européenne doit se doter d’un véritable budget, alimenté par des ressources propres, et être ainsi en mesure d’investir en faveur d’une croissance durable et partagée.
La sortie de crise pour l’Union européenne passe donc par un pas supplémentaire vers plus d’intégration et de démocratie, comme l’a notamment souligné mon collègue Jacques Mézard. Il faut « expliquer l’Europe » pour que nos concitoyens s’y intéressent, se l’approprient et décident que l’Europe doit se faire et qu’elle ne se fera pas sans eux. Il importe aujourd’hui de se démener pour construire une Europe solide, une Europe démocratique, une Europe des citoyens. Ainsi que l’affirme Jean-Pierre Jouyet, président de l’Autorité des marchés financiers, « il y a un moment où il faut donner aux gens l’envie d’aimer l’Europe ». Telle doit être, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre mission ! (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. le président de la commission des affaires européennes et M. Alain Richard applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Leonetti, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’issue de ce débat, c’est la nécessité de rappeler les fondamentaux qui domine. Nous avons nos rêves, nos aspirations, mais nous avons aussi nos vingt-six partenaires de l’Union, ou nos seize de la zone euro. Comme l’a très bien rappelé M. Collin, il y a les petits pas, il y a les compromis, et puis il y a les traités.
Un simple regard sur l’évolution de l’Europe suffit à démontrer qu’aucun traité n’est parfait. Aucun traité n’est non plus le fruit de la seule volonté de la France.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est ce que l’on disait de la taxation des mouvements financiers !
M. Jean Leonetti, ministre. Dans une économie mondialisée, la France ne peut pas imposer à elle seule une régulation de l’ensemble des marchés financiers.
Oui, l’Europe apparaît comme une construction complexe et n’est comparable à aucune autre, notamment pas à la Chine ni aux États-Unis. Au sein même de l’Union, les pays ne se sont pas construits sur le même modèle : ainsi, notre démocratie, fondée sur une tradition jacobine, héritée de la Révolution, ne présente pas le même degré de décentralisation que l’État fédéral allemand.
M. Jean Arthuis. Pas encore !
M. Jean Leonetti, ministre. La Chancelière le rappelait récemment, l’organisation démocratique qui a prévalu dans son pays au sortir de la guerre, le poids respectif des syndicats et de l’exécutif, l’obligation de gouverner par coalitions et les modes d’élection, à une époque où l’on se méfiait d’une Allemagne susceptible de retrouver sa puissance hégémonique, ont favorisé l’émergence de contre-pouvoirs permanents. Si l’Allemagne est aujourd’hui économiquement plus forte que la France, en tout cas au regard des exportations, notre exécutif a beaucoup plus de poids que son homologue allemand. Ce ne sont là que de simples constatations.
Certains se sont émus du fait que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe ait octroyé au Bundestag un pouvoir de contrôle préalable alors que le Parlement français ne peut se prononcer sur les textes qu’a posteriori. Je rappellerai simplement que ceux qui parlaient de « coup d’État permanent » se sont assez bien accommodés des institutions de la Ve République,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n’est pas le sujet ! Tout a changé au moment du traité de Maastricht !
M. Jean Leonetti, ministre. … au point de les utiliser au mieux au cours des périodes d’alternance que nous avons connues. Il n’aura ainsi pas été nécessaire de fédéraliser complètement l’État français ni d’ôter toute sa force à l’exécutif pour permettre à ce système politique très particulier de fonctionner.
Il ne suffit pas de marteler « Voilà ce qu’il faut faire ! » à une tribune. Encore faut-il aller discuter non seulement avec l’Allemagne, mais aussi avec nos autres partenaires. Et le Conseil Affaires générales de ce matin a bien montré combien les négociations sont parfois longues et difficiles ! Il arrive qu’elles se trouvent bloquées par un seul État membre,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Jamais par la France !
M. Jean Leonetti, ministre. … pour des raisons qui peuvent paraître relativement futiles au regard de l’intérêt général.
Monsieur le président de la commission des affaires européennes, il n’y a pas, à mon sens, d’antagonisme entre la croissance potentielle et la rigueur budgétaire prônée dans le cadre du TSCG. La France a d’ailleurs, dans un le contexte que nous connaissons, mené une politique lui permettant de répondre aux objectifs fixés, notamment en termes de réduction des déficits, sans se priver pour autant de toute possibilité de relance. Le soutien aux dépenses d’avenir, orientées principalement vers la recherche et l’innovation, en témoigne : relance et rigueur budgétaire peuvent parfaitement cohabiter.
Mesdames, messieurs les sénateurs, certains d’entre vous se sont offusqués de l’interdiction des déficits, la considérant comme une perte de souveraineté. Dois-je vous rappeler qu’une telle contrainte pèse sur nos collectivités territoriales, ainsi que… sur l’Union européenne ?
M. Jean-Pierre Chevènement. Non, l’Europe doit équilibrer son budget de fonctionnement, mais peut s’endetter pour investir !
M. Jean Leonetti, ministre. Elle a tout de même des obligations en la matière.
Dans la situation actuelle, il y a bien un contrôle démocratique sur nos collectivités territoriales.
M. Jacques Chiron. Pourquoi les montrer du doigt ?
M. Jean Leonetti, ministre. De temps en temps, la presse nous apprend même que telle ou telle ville a été mise sous tutelle par le préfet.
MM. Michel Le Scouarnec et Jacques Chiron. C’est très rare !
M. Jean Leonetti, ministre. C’est rare parce que la sanction existe ! Chaque maire de ce pays se voit ainsi incité à concilier rigueur budgétaire et volonté de faire de l’économie positive, de favoriser la croissance et l’emploi.
Je tiens à lever toute ambiguïté quant au rôle de la Cour de justice de l’Union européenne. La France a été très ferme sur le sujet : la Cour ne pourra pas intervenir sur les budgets nationaux ni au préalable ni a posteriori. Faut-il le rappeler, celle-ci ne sera compétente que pour vérifier la bonne transposition du traité dans le droit national, et c’est bien normal puisque cela emporte un certain nombre de conséquences.
Monsieur Sutour, vous avez également souligné avec beaucoup de clairvoyance que, de temps en temps, il est possible d’accepter du déficit pour faire de la relance. Mais cette arme ne peut pas être utilisée éternellement. Je vous remercie, du reste, de vos propos, tant il est souvent reproché au gouvernement de François Fillon d’avoir creusé le déficit pour relancer l’économie.
J’ai régulièrement entendu, sur les bancs de gauche de l’Assemblée nationale, en appeler à toujours plus de relance, et donc de déficit. Ce sont les mêmes personnes qui viennent aujourd’hui poser le problème de la dette !
Mme Cécile Cukierman. Il faut investir davantage pour dégager les recettes nécessaires !
M. Jean Leonetti, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez soulevé cette interrogation : comment susciter l’espoir ? Mais qui ne voudrait susciter l’espoir ? L’espoir est fait de lucidité et de rigueur, mais il se nourrit en même temps de perspectives.
Pour ce qui est de la lucidité, le médecin que je suis sait qu’il vaut mieux être névrosé que psychotique. (Sourires.)
M. Alain Richard. Quel choix !
Mme Michelle Demessine. Quelle formidable métaphore !
M. Jean Leonetti, ministre. Le premier est capable d’analyser son angoisse. Le second rêve en se croyant dans la réalité.
S’il me fallait choisir, je préférerais être angoissé dans la lucidité plutôt que de rêver et de me retrouver, un jour, sans espoir, en me rendant compte que j’avais pris mon rêve pour la réalité et, de fait, de vivre ainsi un véritable cauchemar.
Mme Michelle Demessine. Laissez-nous rêver, il ne nous reste déjà plus grand-chose !
M. Jean Leonetti, ministre. La réalité, sur le plan budgétaire, est marquée par l’endettement. À entendre certains d’entre vous, le coupable absolu, c’est l’euro, c’est l’Europe, c’est l’ensemble des gouvernements !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela fait dix ans que vous êtes au pouvoir !
M. Jean Leonetti, ministre. Or ceux-ci, petit à petit, par tâtonnements successifs, quelquefois poussés par la crise, ont essayé de trouver la voie vers plus d’intégration et de solidarité, pour favoriser une plus forte dynamique économique.
Comme le monde était plus simple avant, au temps du bloc communiste et du rideau de fer !
Mme Cécile Cukierman. Il faut tourner la page, monsieur le ministre, construire l’avenir. Du passé faisons table rase !
Mme Michelle Demessine. Quelle pauvreté dans l’argumentation ! C’est incroyable !
M. Jean Leonetti, ministre. À l’époque, la prospérité de l’Europe occidentale apparaissait comme naturelle, notamment aux yeux du Tiers-Monde, en grande pauvreté. Fort heureusement, à l’Est, les pays se sont ouverts à la démocratie.
Mme Michelle Demessine. S’il n’y avait plus de communistes, il vous faudrait les inventer ! Qu’auriez-vous à dire, sinon ?
M. Jean Leonetti, ministre. Fort heureusement aussi, un certain nombre de pays sont sortis de la pauvreté et ont pu émerger grâce à des économies devenues compétitives.
Ne voyez aucune volonté de polémique dans ce que je dis. Je rappelle simplement la réalité : oui, il était bien plus aisé de trouver la voie de la compétitivité lorsqu’il n’y avait pas de concurrence à l’Est ni dans le Tiers-Monde.
L’euro, si bénéfique qu’il ait été, est apparu comme un élément masquant l’hétérogénéité de l’ensemble de la zone euro. La Grèce et l’Allemagne, malgré des économies différentes, ont pu disposer, grâce à la monnaie unique, de la même capacité d’endettement, et ce à des taux ridiculement bas, inférieurs à 4 %, approchant parfois 2 %. La crise a permis de dévoiler cet état de fait : l’endettement fut facilité en dehors de toute considération sur l’économie réelle des pays concernés.
Contrairement à ce qu’a affirmé le président de la commission de l’économie, M. Raoul, le traité ne se résume pas à un seul plan d’austérité. La preuve en est qu’y figurent également un objectif de coordination et une politique de relance européenne : seront ainsi réorientés 82 milliards d’euros, dont 22 milliards d’euros provenant du Fonds social européen, rien que pour la formation des jeunes et l’emploi, à l’heure où le taux de chômage des jeunes atteint 46 % en Espagne, 23 % en moyenne dans les pays européens, à peine moins en France. Associer relance économique et action en faveur de la jeunesse, par le développement de l’apprentissage : voilà une manière d’agir en phase avec la réalité.
Il est évidemment tentant de jouer les Cassandre, car elles finissent souvent par avoir raison. C’est surtout vrai pour les médecins : ceux qui disent : « Vous allez mourir » auront forcément raison un jour ! (Sourires.) Mais moi, je préfère entendre que la vie est devant nous, qu’il y a beaucoup de raisons d’espérer, qu’il est possible de relever les défis. La France comme l’ensemble de l’Europe, dans des conditions plus difficiles qu’actuellement, ont toujours montré leur capacité à y parvenir.
S’agissant de l’énergie, se pose indubitablement un problème de dépendance et de souveraineté. Reste que, grâce au mix énergétique européen, chaque État membre peut choisir son orientation énergétique.
Cela étant, la Conférence mondiale des Nations unies sur le développement durable qui se tiendra du 20 au 22 juin prochain, dite « Rio+20 », confirmera que l’Europe, fer de lance du développement durable, ne produit que 11 % des gaz à effet de serre de l’ensemble de la planète. Si nous ne pouvons pas prendre nos désirs français pour des réalités européennes, nous ne devons pas non plus prendre nos désirs européens pour des réalités mondiales. Il nous reste donc à convaincre les autres pays de faire des progrès en la matière.
M. Arthuis a repris, à juste titre, son credo. Retraçant l’histoire de la construction européenne, il a montré que des erreurs avaient été commises au fur et à mesure des crises, mais aussi que nous avions été capables, chaque fois, de surmonter ces dernières. Je suis favorable, pour ma part, je le répète, à un Conseil de la zone euro, car les parlements nationaux doivent pouvoir contrôler la monnaie unique. Ce transfert de souveraineté impose en effet un contrôle démocratique au niveau de la zone euro, en raison de l’intégration et de la mise en commun de la souveraineté des pays concernés.
Selon Mme Demessine, ce que l’Histoire retiendra de ce sommet, c’est la signature du traité. Je crois plutôt qu’elle retiendra qu’il y avait une crise et que nous l’avons surmontée en franchissant une étape vers le fédéralisme – même si cela choque certains – et le renforcement de l’intégration. Cette étape est irréversible. Au niveau européen, lorsque l’on va de l’avant, on ne peut pas prendre de billet de retour, car cela reviendrait à menacer l’ensemble de la construction communautaire.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est pourquoi il faut interroger les peuples !
M. Jean Leonetti, ministre. La Grèce n’est pas un laboratoire : l’Europe ne « s’amuse » pas avec le peuple grec ! Mais la Grèce est l’exemple de ce qu’il ne faut plus jamais faire. Plus jamais nous ne devons accepter que les pays s’endettent au-delà du raisonnable et augmentent, à force de clientélisme et à chaque alternance, le nombre de leurs fonctionnaires. Il faut tout de même savoir la proportion de fonctionnaires par rapport à la population totale est en Grèce supérieure d’un tiers à ce qu’elle est en France !
M. Alain Néri. On pourrait aussi faire payer les armateurs grecs !
M. Jean Leonetti, ministre. Comment pouvez-vous dire cela, monsieur Néri, alors que vous défendez la souveraineté des États ? Pourquoi l’Europe s’immiscerait-elle dans les systèmes fiscaux des États membres et indiquerait-elle la meilleure façon de lever l’impôt ? (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous ne faites que cela !
Mme Michelle Demessine. Vous êtes toujours du côté des riches !
M. Jean Leonetti, ministre. L’Europe ne fait qu’apporter une aide substantielle à la Grèce, afin d’éviter que son déficit ne la conduise à la faillite, dont la seule conséquence, vous le savez bien, serait de réduire le peuple grec à la misère. Quant à la décision finale, elle appartient au parlement et au peuple grecs.
Nous nous contentons d’apporter une aide au gouvernement de ce pays, qui oriente ensuite sa politique fiscale en toute souveraineté, laquelle ne lui est nullement retirée. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Alain Néri. Il s’agit toujours de faire payer les pauvres !
M. le président. Monsieur Néri, laissez parler le ministre !
M. Alain Néri. Vous souriez de la misère du peuple grec, monsieur le ministre ! C’est une honte !
M. Jean Leonetti, ministre. Ne vous énervez pas, monsieur Néri ! Fort heureusement, ce n’est pas l’Europe qui décide des règles fiscales des pays souverains composant l’Union. Ce serait tout à fait anormal,...
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous imposez bien des baisses de salaires !
M. Jean Leonetti, ministre. ... et vous seriez les premiers à vous insurger si c’était le cas ! Ne nous demandez pas d’imposer aux Grecs ce que nous refuserions pour nous-mêmes !
M. Alain Néri. Les armateurs grecs ont 800 milliards d’euros dans les banques suisses ! De l’autre côté, on impose aux Grecs de vivre avec un SMIC à 480 euros par mois !
M. Jean Leonetti, ministre. Vous avez dit, monsieur Chevènement, que la zone euro était en récession, tandis que d’autres économies, notamment celles de la Chine et des États-Unis, seraient florissantes. Vous connaissant, je ne peux croire une seule seconde que vous souhaitiez nous voir adopter ces deux pays comme modèles.
L’euro n’est pas responsable de la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Vous avez fait une analyse pertinente des disparités économiques existant dans la zone euro : ce fut sans doute une erreur d’y faire entrer des pays qui n’avaient pas la capacité d’assumer la monnaie forte portée par la BCE.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela demande en effet de la force !
M. Jean Leonetti, ministre. Pour autant, vous ne pouvez pas parler du « bruit des chaînes » qui entraveraient les peuples ! C’est la dette qui enchaîne les pays n’ayant pas eu une lucidité et un sens des responsabilités suffisants pour gérer sainement, et non l’Europe !
Mme Michelle Demessine. Vous oubliez que la crise a été d’abord bancaire et financière !
M. Jean Leonetti, ministre. Quant aux eurobonds, tout le monde y est favorable, mais encore faut-il accepter le principe de la mutualisation d’une dette insuffisamment maîtrisée.
Que diraient nos concitoyens si nous leur expliquions qu’il faut mutualiser la dette grecque ? Ils nous répondraient sans doute que toute aide mérite compensation et qu’il faut un équilibre entre les deux. La mutualisation des dettes est possible, à condition d’en accepter la discipline !
Mme Michelle Demessine. À qui va-t-on demander d’accepter ? Au peuple ?
M. Jean Leonetti, ministre. Je cite souvent Rousseau, ce qui énerve un peu à droite, et quelquefois aussi à gauche : « L’obéissance à la loi que l’on s’est prescrite est liberté. » Si l’ensemble des peuples décident d’appliquer ensemble la rigueur budgétaire, ils auront alors plus de liberté et de souveraineté qu’en étant sous la tutelle des créanciers ou des marchés financiers.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. On n’a qu’à faire comme en Islande !
M. Jean Leonetti, ministre. M. Bizet a bien vu la globalité du projet, qui comprend à la fois des objectifs de croissance et d’emploi, des règles de discipline budgétaire et un outil de solidarité, le MES.
Je partage son point de vue ; avec ce projet, nous amorçons véritablement une construction européenne. À l’heure où l’ensemble des États membres ont ou auront des difficultés budgétaires et sont ou seront contraints d’adopter une politique de rigueur, c’est l’Europe qui doit et devra prendre l’initiative de la relance.
L’Europe de la relance, que nous pouvons en effet envisager, ne doit pas obligatoirement dépenser plus, elle doit dépenser mieux, notamment en matière de recherche et de croissance.
M. Alain Néri. Cela fait dix ans que vous êtes aux affaires !
M. Jean Leonetti, ministre. Vous avez rappelé, monsieur Gattolin, que M. Valéry Giscard d’Estaing appelait de ses vœux un référendum. Lui se souvient en tout cas sûrement de celui de 2005 !
Cela étant, je ne vois comment, que ce soit par la voie du Congrès ou par la voie référendaire, je ne vois pas comment nous pourrions faire passer maintenant la règle d’or.
M. Alain Néri. Quand un référendum ne vous donne pas satisfaction, vous allez à Versailles !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le général de Gaulle a perdu un référendum : il a su en tirer les conséquences !
M. Jean Leonetti, ministre. Or, sans préjuger de ce qui se passera, je ne vois pas quel autre moyen nous offre la Constitution de la Ve République pour adopter une telle règle.
On m’a demandé ce que l’Union européenne faisait vis-à-vis de la Hongrie. Elle a adressé au gouvernement hongrois trois demandes aux termes desquelles leur pays doit en quelque sorte se soumettre ou se démettre. Les sanctions tomberont si la Hongrie ne se soumet pas à la triple demande de l’Union. Au reste, vous le savez, ce pays y a répondu positivement.
M. Richard, lorsqu’il a évoqué les difficultés que nous avons rencontrées, a quelque peu minimisé la crise de 2008, comme si elle ne permettait pas d’expliquer l’existence des déficits, puis la relance qui s’est ensuivie, laquelle a peut-être, à son tour, aggravé ces déficits.
M. Alain Richard. Si vous dites « peut-être », je ne peux pas être d’accord !
M. Jean Leonetti, ministre. Je crois avoir suffisamment répondu à la question qu’il m’a posée sur la Cour de justice de l’Union européenne.
Il a aussi évoqué la Banque centrale européenne. Si les États-Unis, dont les déficits sont bien plus importants que les nôtres et dont la monnaie, le dollar, est bien plus faible que l’euro, ne se trouvent pas dans la même situation que nous, c’est parce qu’il y a n’a pas dans ce grand pays la même diversité qu’au sein de l’Union européenne et qu’il dispose en outre d’une réserve fédérale.
Par ailleurs, si la Grande-Bretagne bénéficie également d’une situation plus confortable que la nôtre, c’est non pas parce que ses déficits sont moins importants et son économie plus forte, mais parce qu’elle a une banque centrale. Je souhaite, pour ma part, que la BCE joue ce rôle.
En dépit de l’opposition entre les Allemands, qui ne souhaitent pas qu’elle intervienne, et les Français, qui veulent qu’elle le fasse en dernier recours, la BCE intervient bel et bien, mais sans sacrifier sa liberté : elle vient au secours des États affectés par des dettes souveraines, ce qui répond au souhait de la France, sans que son indépendance, chère à l’Allemagne, soit altérée.
M. Jean Bizet. Et pour 500 milliards d’euros !
M. Jean Leonetti, ministre. Je crois avoir répondu à la question posée sur les euro-obligations.
Nous favoriserons la croissance en envisageant l’ensemble des problématiques, qu’elles concernent les PME, la jeunesse, la croissance verte, le numérique ou les grands projets, comme ITER, qui doivent être financés par l’Europe et qui sont indubitablement des facteurs de croissance.
Peut-être M. Yung a-t-il un peu participé à la confusion qu’il dénonce ? Si nous partagions tous ici la même idée de l’Europe, d’une Europe plus intégrée, fédérale, plus solidaire, mais en même temps acceptant plus de se soumettre à la discipline qu’implique une harmonisation fiscale et sociale, comment pourrait-on envisager que l’on parte à la retraite à un âge différent selon les pays ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et l’impôt sur les bénéfices ?
M. Jean Leonetti, ministre. Cette convergence exige certes des efforts, mais elle apportera, si nous parvenons à la réaliser, plus de clarté dans nos débats et dans les messages que nous adressons à nos concitoyens.
Pourquoi ne pas reprendre à notre compte le plan de croissance du Royaume-Uni ? Là, je tombe des nues, monsieur Yung ! Le Royaume-Uni propose la déréglementation, une nouvelle directive Services, la fin de la réciprocité et un marché totalement libre. Voulons-nous cela pour l’Europe ? Non !
Nous voulons une Europe qui affiche un certain nombre de standards sociaux, économiques et écologiques, imposant la réciprocité, et non une Europe ouverte à tous les vents, où le libéralisme s’exerce de manière exacerbée.
M. Mézard a posé la question des investissements. Les instruments existent : ce sont les project bonds.
Quant à M. Collin, il a envisagé la renégociation du traité. Je pense que cela ne se fera pas, quel que soit le Président de la République élu. Et si cette idée m’a fait sourire, c’est parce qu’une telle hypothèse ne s’est jamais présentée ! On peut ne pas ratifier un traité, mais on ne peut pas le renégocier.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. S’il n’est pas ratifié, il faudra bien le renégocier !
M. Jean Leonetti, ministre. Imaginons cependant que le traité ne soit pas ratifié.
Au Conseil Affaires générales, ce matin, un participant a évoqué la possibilité qu’un État membre important demande à renégocier le traité. Les autres ministres n’ont pas souri : c’est plutôt l’incrédulité, voire l’angoisse qui se sont peintes sur leurs visages. Ils paraissaient vraiment incapables d’envisager une telle procédure !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Rira bien qui rira le dernier !
M. Jean Arthuis. Il y a eu le précédent d’Amsterdam...
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Exactement !
M. Jean Leonetti, ministre. Alors que je ne suis ministre que depuis une petite année, j’ai déjà vu changer les ministres des affaires européennes danois, espagnol, allemand, italien, chypriote, et même des gouvernements entiers. Or aucun nouveau gouvernement n’est venu à la table des négociations en demandant que l’on arrête tout et que l’on recommence depuis le début sous prétexte qu’une nouvelle majorité était arrivée aux affaires dans son pays.
Je vous renvoie aux propos de M. Peer Steinbrück, ministre SPD,...
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le SPD peut aussi se tromper...
M. Jean Leonetti, ministre. ... qui paraît fort tenté de succéder à Mme Merkel si celle-ci perdait les prochaines élections : il juge « naïve » la vision de l’Europe du parti socialiste français et de M. Hollande.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Quand ils seront élus, on verra ce qu’ils feront !
M. Alain Néri. Mieux vaut être naïf que pervers !
M. Jean Leonetti, ministre. M. Jospin avait fait preuve de naïveté en matière de sécurité. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Ne faites pas la même erreur s’agissant de l’Europe, au risque de connaître les mêmes déconvenues !
L’étape que nous sommes en train de franchir est imparfaite. À titre personnel, j’aurais préféré que le « saut d’intégration » soit plus fort, que la BCE soit plus impliquée et que le MES joue un rôle de pare-feu encore plus important ; la France défendra d’ailleurs cette idée.
Nous proposerons que, par la fusion entre le Fonds européen de stabilité financière et le Mécanisme européen de stabilité, cet effort soit porté à 750 milliards d’euros, ce qui nous rapprochera des 1 000 milliards fatidiques, nécessaires pour prévenir tout risque dans la zone euro.
J’ai l’impression que, un peu dans la confusion, en tout cas dans le débat, parfois dans la polémique, l’Europe est en train de franchir une étape décisive vers l’intégration. Cette intégration, aucun gouvernement ne la remettra en cause ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
Débat interactif et spontané
M. le président. Nous allons maintenant avoir un débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes au maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le ministre, après avoir entendu vos arguments, je m’interroge beaucoup sur la position de la France. En effet, si je vous ai bien compris, une harmonisation fiscale qui assure aux États un niveau de fiscalité leur permettant de couvrir leurs dépenses ne constitue pas, à vos yeux, un objectif européen.
À ce propos, j’observe qu’aucune conditionnalité n’a été appliquée à l’Irlande en matière fiscale. Pourtant, le président Sarkozy avait jugé inacceptable qu’on aide un pays qui pratique le dumping fiscal au détriment des autres pays européens. Pour autant, aucune condition n’a été imposée à l’Irlande dans le domaine fiscal ! (M. André Gattolin acquiesce.)
Par contre, les conditions qu’on impose aux États pour pouvoir bénéficier des aides représentent toutes des reculs sociaux. Quand il s’agit des salaires ou de l’obligation de déréguler les taxis – comme si cela allait régler les problèmes de déficit budgétaire de la Grèce ou de l’Italie ! –, pour le coup, les obligations pleuvent !
En clair, je vous demande ce qui est prévu, d’une part, dans le traité – à ce sujet, je ne me fais guère d’illusions – et, d’autre part, dans les travaux du Conseil européen pour que l’objectif d’une harmonisation à un haut niveau de fiscalité, permettant aux États de lever des ressources répondant à leurs besoins, soit pris en compte dans les instances européennes.
Deuxièmement, vous nous dites que le traité ne sera pas renégocié. Je me permets de vous rappeler que la non-ratification d’un traité impose aux partenaires de le renégocier. Sinon, cela signifie qu’il était inutile !
Il y aura donc une renégociation si le futur Président de la République est celui qui en a pris l’engagement ou si, en tout état de cause, le Parlement ne ratifie pas le traité dans son état actuel.
Quant à vous, monsieur le ministre, votre responsabilité n’est pas d’aller dire à nos partenaires, au nom de la France, que l’opposition fera de toute façon la même politique que vous. Alors que vous engagez la parole de la France à quelques mois d’une élection, vous avez la responsabilité de leur dire qu’une partie de l’opposition dans notre pays refuse le traité en l’état.
L’honneur des autorités françaises serait d’annoncer qu’elles ne peuvent pas signer au nom de notre pays, faute de pouvoir garantir que cette signature vaudra dans la durée, un traité qui est à l’évidence profondément contesté par notre peuple, l’opposition actuelle et la majorité du Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Cécile Cukierman. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Leonetti, ministre. Madame Lienemann, quelle drôle de conception du pouvoir vous avez ! Le pouvoir serait très fort juste après les élections, puis il se déliterait petit à petit ?...
Alors que l’Europe est en crise, la France devrait dire qu’elle ne peut décider de rien parce qu’une élection va avoir lieu dans quelques mois…
Mme Michelle Demessine et M. Michel Le Scouarnec. C’est la démocratie !
M. Jean Leonetti, ministre. …et que, peut-être, dans notre pays démocratique, l’opposition viendra au pouvoir et changera ce que nous aurons fait ?...
Ce n’est pas notre conception de la démocratie et de la responsabilité politique !
Qui peut contester qu’il y ait une urgence au niveau européen ? Nous répondons à cette urgence en mettant en place des dispositifs comme le Mécanisme européen de stabilité, que vous n’avez pas eu le courage de voter. (M. Alain Néri s’exclame.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’ai même voté contre !
M. Jean Leonetti, ministre. Vous refusez de la même façon les autres dispositifs destinés à assurer la stabilité financière et la croissance
Après les élections, il y aura une majorité. Il est vrai qu’elle pourra ratifier le traité, ou non. Mais si elle ne le ratifie pas, elle mettra l’Europe en danger !
M. Alain Néri. C’est le parti de la peur !
M. Jean Leonetti, ministre. Et elle favorisera les spéculateurs, contre lesquels les pays européens ne pourront pas se défendre, faute que cette organisation et cette harmonisation aient été mises en place.
On peut toujours proposer le chaos… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Alain Néri. Celle-là, de Gaulle nous l’a déjà faite !
M. Jean Leonetti, ministre. … et prétendre que les choses seront simples. Mais, franchement, je pense que l’Europe ne mérite pas qu’on joue avec les traités !
D’ailleurs, très habilement – comme d’habitude –, après avoir promis de renégocier les traités, vous venez d’annoncer que vous les compléteriez… C’est différent ! Autrement dit, on ne touche pas aux traités, mais on ajoute quelque chose à côté. Par exemple, au lieu de dire « stabilité », on dit « stabilité et croissance ». On joue avec les mots sans rien changer au fond ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
En ce qui concerne la fiscalité, nous nous orientons vers une harmonisation dans le domaine des accises. Et il est exact qu’en matière d’impôt sur les sociétés, il serait préférable qu’il n’y ait pas de dumping entre des pays appartenant à une même zone monétaire.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Dans ce cas, pourquoi n’a-t-on pas imposé de conditions à l’Irlande ?
M. Jean Leonetti, ministre. Madame Lienemann, il y a des décisions qu’on ne peut pas imposer !
Et puis, pourquoi me parler méchamment ? Nous essayons de débattre.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je suis sincèrement en colère !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je ne dis pas que vous n’êtes pas sincère !
M. Jean Leonetti, ministre. Essayons de réfléchir à la manière de trouver, dans une Europe qui est une construction complexe et où nous sommes bien obligés de considérer que les États sont souverains, des règles communes nous permettant d’être plus compétitifs vis-à-vis du reste du monde.
M. Alain Néri. Votre courage, c’est de vous abaisser devant Merkel !
M. Jean Leonetti, ministre. Car c’est bien là l’enjeu. L’Europe n’a pas à imposer, par exemple, la baisse des retraites en Italie, des mesures aboutissant au doublement du chômage en Espagne ou la baisse des salaires en Angleterre. Ce n’est pas son rôle ! L’Europe essaie simplement de se donner des règles globales communes.
Or, lorsqu’il s’agit de déterminer de telles règles, les vingt-sept États – bientôt vingt-huit avec la Croatie – défendent légitimement leurs propres intérêts nationaux. Il faut donc essayer de trouver l’harmonie dans la diversité : c’est l’esprit de la construction européenne !
Si l’Église orthodoxe grecque n’est pas imposée par le gouvernement grec, ce n’est ni la faute de l’Europe ni celle de la France. L’État grec a la responsabilité de définir sa fiscalité.
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Le 20 février dernier, à l’occasion d’une visite du Premier ministre espagnol, Mariano R.ajoy, à son homologue britannique, David Cameron, douze pays de l’Union européenne ont cosigné une lettre ouverte à Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, et à José Manuel Barroso, président de la Commission européenne.
Quoi que vous en disiez, monsieur le ministre, cette lettre dessine un très ambitieux « plan pour la croissance en Europe ». Ce plan, fondé sur huit priorités majeures, la France et l’Allemagne ne l’ont pas signé.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Heureusement !
M. Yves Pozzo di Borgo. Il s’agit notamment de réformer à l’échelon européen nos législations en matière de droit du travail, de financer des clusters européens tournés vers la recherche en matière environnementale et de soutenir nos entreprises hors de l’Union européenne.
Bien sûr, ces propositions doivent être interprétées à la lumière des négociations européennes sur le prochain Pacte budgétaire.
Ce plan est d’inspiration libérale en ce qu’il repose principalement sur l’idée d’une dérégulation nationale et européenne au profit d’un éventuel renforcement des normes prudentielles internationales. Il semble avoir pour vocation de servir de réponse politique à la prépondérance prise par l’Allemagne et la France dans la gestion régulière et intergouvernementale de la crise des dettes souveraines.
Tout à l’heure, monsieur le ministre, vous avez fait à M. Yung une réponse rapide, expliquant qu’il s’agissait d’une initiative uniquement anglaise. Je trouve cette vision un peu caricaturale. À mes yeux, cette lettre exprime un mouvement beaucoup plus profond. Et je rappelle que douze pays européens l’ont signée !
Je souhaite donc que vous vouliez bien exposer la position du Gouvernement français de manière plus étoffée.
Puisque vous avez l’air, monsieur le ministre, de rejeter cette lettre d’un revers de la main, j’aimerais aussi savoir quels sont, selon vous, les ressorts la croissance européenne et s’il existe un plan alternatif qui ne revienne pas finalement à arroser inutilement nos déficits avec les deniers publics.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Leonetti, ministre. Comme vous l’avez dit, monsieur Pozzo di Borgo, ce plan est d’essence extrêmement libérale.
Parmi les propositions des douze États, certaines sont positives, comme l’ouverture du capital-risque aux PME et la simplification pour celles-ci de l’accès aux marchés publics.
Figure également la possibilité d’ouvrir l’ensemble des marchés, dès lors qu’ils ne concernent pas le domaine social, le domaine culturel et les marchés publics de proximité. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Il va de soi que la France, pour sa part, est opposée à la dérégulation de l’ensemble des services sociaux dans nos villes et à leur ouverture à la concurrence. Nous sommes attachés à la préservation d’un service public à la française, ainsi qu’à la notion de délégation de service public, qui prévoit une négociation sur les appels d’offres.
De même, nous refusons qu’on dérégule toutes les professions sous prétexte de créer, artificiellement et de manière temporaire, des emplois, au risque de déstabiliser toute une organisation sociale.
Telles sont les raisons pour lesquelles la France n’a pas signé cet ensemble de propositions.
Je rappelle que, dans la négociation de la directive du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, nous avons obtenu des garde-fous pour conserver l’organisation de nos services publics, à laquelle je suis sûr que l’ensemble des collectivités territoriales et nos concitoyens sont attachés.
Mais il est aussi logique de chercher à identifier les facteurs susceptibles de stimuler la croissance et l’emploi. C’est ainsi que les mesures proposées pour les PME, l’apprentissage et la mobilité des jeunes me paraissent très positives pour la croissance de demain. De même, orienter l’ensemble des budgets vers l’innovation, la recherche, l’économie verte et le numérique est un facteur de croissance et d’emploi.
Il reste que ces mesures, monsieur Pozzo di Borgo, ne vont pas dans le sens que vous avez évoqué : celui de la dérégulation et de la libéralisation totale de l’ensemble des marchés. Vous comprenez bien que cette politique tue complètement l’idée française de la réciprocité puisqu’elle implique que tous les autres pays du monde puissent pénétrer le marché européen en pratiquant le dumping et sans respecter aucun critère social, écologique ou d’innovation.
Certaines des propositions faites par les douze pays sont donc bonnes. Mais il y en a d’autres auxquelles la France n’adhère pas, raison pour laquelle elle n’a pas signé la lettre ouverte.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur trois sujets.
D’abord, je souhaite connaître la position de la France au sujet de l’octroi à la Serbie du statut de candidat à l’Union européenne.
Il s’agit d’une question importante car, malgré toutes les difficultés que nous avons évoquées cet après-midi et ce soir, il y a encore des pays en Europe pour lesquels une adhésion à l’Union européenne représente une perspective de paix et de progrès. Dans une zone encore fragile, il ne faudrait surtout pas assombrir cette perspective en continuant à refuser le statut de candidat à la Serbie, dont l’intégration constituerait un facteur de progrès important.
Je rappelle que le statut de candidat n’a pas été octroyé à la Serbie lors du dernier Conseil européen, en décembre 2011. Quelle sera la position de la France sur ce sujet lors du prochain Conseil européen ?
Ma deuxième question porte sur la circulation sans visa des Russes dans l’espace Schengen.
La perspective d’une éventuelle mise en place de visas biométriques pour les Russes risque de poser de sérieux problèmes dans nos relations bilatérales. En effet, un tel système nécessiterait que les demandeurs se présentent dans les consulats, ce qui semble tout à fait impossible sur un territoire aussi vaste que celui de la Fédération de Russie.
La France adoptera-t-elle une position claire sur ce sujet ? Allons-nous pousser à la suppression des visas pour les citoyens de la Fédération de Russie ?
Enfin, monsieur le ministre, je vous pose la même question à propos de la Turquie.
La décision d’accorder aux Turcs l’autorisation de circuler sans visa dans l’espace Schengen est entièrement liée à la possibilité d’annuler l’antagonisme complet qui existe aujourd’hui entre les politiques d’immigration conduites en Turquie et dans l’Union européenne.
Il est indispensable que nous soyons capables de travailler ensemble à la mise en place d’une politique d’immigration contrôlée qui respecte les droits de l’homme. Or, pour y parvenir, il est important d’offrir à la Turquie une perspective de suppression des visas dans l’espace Schengen.
Monsieur le ministre, la position de la France sera-t-elle aussi claire au Conseil européen que lorsque M. Guéant se déplace à Ankara ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Leonetti, ministre. Le Gouvernement l’a clairement indiqué : la Turquie n’a pas vocation à entrer dans l’Europe. Par conséquent, aucune libéralisation n’est à envisager.
M. Jean-Yves Leconte. M. Guéant a pourtant fait, à Ankara, des déclarations sur la suppression des visas pour les ressortissants turcs.
M. Jean Leonetti, ministre. Non, il n’y a pas de suppression des visas pour les ressortissants turcs. Les procédures habituelles demeurent.
Quant aux visas biométriques que vous avez évoqués à propos des ressortissants de la Fédération de Russie, une procédure d’échange est en place.
La position de la France à l’égard de la Serbie est claire : elle considère que ce pays a fourni de nombreux efforts. En effet, la Serbie a livré les responsables militaires incriminés au Tribunal pénal international. Elle a accompli d’immenses progrès en matière d’état de droit. Elle a respecté l’ensemble des minorités qui demeurent sur son territoire. Elle a également normalisé ses relations avec la Croatie. Elle a ouvert des négociations et un dialogue constructif avec le Kosovo. Les demandes formulées lors du dernier Conseil européen, à savoir l’ouverture des forums régionaux aux Kosovars, la gestion coordonnée des frontières et la levée des barricades, ont été satisfaites.
Chacun le sait, la Serbie sort d’une guerre. Je me suis moi-même rendu dans ce pays, ainsi qu’en Croatie. J’ai pu observer la volonté d’adhésion à l’Union européenne et de paix du peuple serbe. Pour autant, des mouvements eurosceptiques nationaux agressifs existent.
Si nous ne donnions jamais une réponse positive à l’entrée de la Serbie dans l’Union européenne, nous pourrions désespérer le peuple serbe et le renvoyer vers les anciens démons nationalistes qui ont dévasté les Balkans occidentaux.
La France estime que tous les pays des Balkans occidentaux ont vocation à entrer dans l’Union européenne parce que l’Europe est faiseuse de paix.
Il est légitime que la France accorde son appui à l’accession de la Serbie au statut de candidat à l’Union européenne, ce pays ayant rempli toutes les obligations demandées. Je m’y suis d’ailleurs employé ce matin, lors du Conseil Affaires générales. À l’occasion de cette réunion, seule la Roumanie a fait preuve de réticence : elle considère que la minorité valaque roumaine présente en Serbie est traitée de manière discriminatoire du point de vue linguistique et identitaire. L’unanimité n’a donc pas été obtenue ce matin.
Pour autant, le Conseil Affaires générales a envoyé un message positif, souhaitant que la Serbie franchisse la première étape. La décision est renvoyée au Conseil européen qui, j’en suis sûr, après un dialogue constructif et franc entre la Roumanie et la Serbie, devrait aboutir à l’octroi à cette dernière du statut de candidat à l’Union européenne.
Comme nous l’avons fait voilà quelque temps à l’égard de la Croatie, nous devons faire preuve d’exigence vis-à-vis de tous les pays des Balkans. Ne pas envoyer de message d’espoir constituerait uns erreur fondamentale de la part de l’Europe envers cette zone dévastée par une guerre fratricide d’une rare violence.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 1er et 2 mars prochain.
9
Conseil national des communes « Compagnon de la Libération »
Suite de la discussion et adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, modifiant la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération »
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le mois de février 2012 restera indiscutablement comme un moment où nous avons marqué notre volonté de léguer aux générations futures la mémoire des moments forts de notre passé, de notre Histoire.
Après avoir renforcé, au début du mois, le symbole que constitue la date du 11 novembre, aujourd’hui, par cette proposition de loi, nous voulons pérenniser l’ordre de la Libération.
Cette exceptionnelle reconnaissance nationale a été instaurée par le général de Gaulle, alors à Brazzaville, le 16 novembre 1940. Un arrêté du 1er août 1941 a fixé la place de ce nouvel ordre dans le port des décorations : il arrive immédiatement après la Légion d’honneur et avant la Médaille militaire.
Entre le 16 novembre 1940 et le 23 janvier 1946, l’ordre de la Libération a rassemblé 1 061 titulaires, dont 238 à titre posthume. Les reconnaissances individuelles ont été de très loin les plus nombreuses – on en compte 1 038 –, mais la distinction a également été accordée à dix-huit unités combattantes et cinq communes.
Parmi l’élite que constituent ces 1 038 promus, figuraient six femmes et un Français d’exception, je veux parler de Jean Moulin, désigné comme le « caporal Mercier ».
Au début de ce mois, le décès de René Gatissou a ramené à vingt-huit le nombre des survivants. Les dix-huit glorieuses unités militaires disparaissent ou se restructurent. Demain, les cinq villes que j’évoquais précédemment seront donc la colonne vertébrale de la nouvelle structure.
En examinant l’insigne, on découvre les symboles qui y sont figurés et l’on est ému par sa beauté. Il s’agit d’un écu de bronze poli rectangulaire, traversé par un glaive qui porte la croix de Lorraine. Le revers de la décoration est timbré de la devise suivante : Patriam servando victoriam tulit, autrement dit « En servant la Patrie, il a remporté la victoire ».
À la vue de cette croix de Lorraine, on ne peut s’empêcher de penser à un grand Français, celui qui a institué l’ordre de la Libération et qui, le 15 août 1944, a adressé à la France message d’espérance par la voie des airs.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi de vous rappeler un moment fort de mon enfance. Je gardais le petit troupeau familial, à côté de ma mère – j’avais sept ans et demi et c’était plutôt pour moi ma « maman » –, lorsque des escadrilles de messagers aériens lâchèrent du ciel, vers onze heures, des centaines de tracts. Cela fera soixante-huit ans le 15 août prochain et, aujourd’hui, j’ai toujours à l’esprit ce message, que je me permets de vous citer de mémoire : « Les armées des Nations unies ont débarqué dans le Midi. Leur but est de chasser l’ennemi et d’effectuer une jonction avec les forces alliées, les forces de Normandie. Les forces françaises participeront à cette opération, à côté de leurs frères d’armes, sur mer, sur terre et dans les airs. La victoire est certaine. Vive l’âme de la France et tout ce qu’elle représente. »
Depuis cette date, la France a retrouvé sa liberté. Les générations se sont succédé et, au fil des années, l’ordre s’est progressivement étiolé. Aujourd’hui, je l’ai dit, moins de trente glorieux combattants, dont certains furent des combattants de l’ombre, résistent, mais en menant un autre combat : celui de la vie.
Dans un futur indéterminé – l’homme ne choisit ni l’heure de sa naissance ni celle de sa mort –, un relais, placé sous la tutelle du garde des sceaux, sera assuré par les cinq maires en exercice des communes dont je me permets de rappeler les noms par ordre chronologique d’attribution : Nantes, Grenoble, Paris, Vassieux-en-Vercors et l’Île de Sein.
Les titulaires de la croix de la Libération ont fait magnifiquement leur devoir. Aujourd’hui, il est normal que la République fasse le sien en pérennisant leur mémoire individuelle et collective. Nous savons tous que c’est aussi cela, la mission de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du RDSE, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. Alain Néri.
M. Alain Néri. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les dispositions techniques de la proposition de loi créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération », qui ont été parfaitement présentées par M. le rapporteur, Jacques Gautier.
Je consacrerai mon intervention à rappeler l’importance que revêt, pour nous, le devoir de mémoire, nous qui sommes les héritiers d’une génération qui a su lutter en se levant contre les actes de barbarie, les humiliations, les tortures et les souffrances pour défendre la liberté et la justice, pour libérer la France et pour rétablir la République assassinée un triste jour du mois de juillet 1940 à Vichy.
Nous avons aussi le devoir de transmettre cette mémoire aux jeunes générations, pour que l’humanité ne connaisse plus jamais cela, comme le confiaient les déportés à leur retour des camps.
L’ordre de la Libération a été créé le 16 novembre 1940 à Brazzaville par le général de Gaulle, et la croix de la Libération n’a été attribuée qu’à 1 038 personnes, 18 unités combattantes et 5 villes, Nantes, Paris, Grenoble, Vassieux-en-Vercors et l’île de Sein. Cette médaille n’a plus été décernée depuis 1946, exception faite, à titre exceptionnel, en 1958, à Winston Churchill et, en 1960, au roi Georges VI. Cette limitation dans le temps lui donne encore plus de valeur.
Deuxième ordre en dignité après la Légion d’honneur, créé par le général de Gaulle qui ne pouvait alors décerner cette haute distinction, l’ordre de la Libération est une décoration particulièrement éminente. La valeur de cette croix se trouve parfaitement résumée dans sa devise : « Patriam servando victoriam tulit », autrement dit « En servant la Patrie, il a remporté la Victoire ». Et il ne s’agit pas de n’importe quelle victoire : il s’agit de celle sur la barbarie nazie !
À cet égard, n’oublions pas les propos que tenait le général de Gaulle en remettant la croix : « Nous vous reconnaissons comme notre Compagnon pour la libération de la France dans l’honneur et par la victoire. »
L’ordre de la Libération est indispensable. Il répond à une circonstance historique particulière, à savoir la Seconde Guerre mondiale, si dramatique pour les pays protagonistes. Certes, la croix de la Libération n’est pas la seule décoration spécifique à ce conflit ; je pense notamment à la médaille de la Résistance ou aux médailles de la déportation. Mais à la différence des autres, il s’agit, je le répète, d’un ordre national, et le deuxième en dignité.
De plus, parmi les autres décorations spécifiquement liées à la Seconde Guerre mondiale, l’ordre de la Libération combine plusieurs critères de mérite, dont le premier est le choix précoce de l’engagement pour libérer la France et retrouver la liberté.
L’Ordre matérialise encore aujourd'hui par l’intermédiaire de ses membres, et demain au travers des villes « Compagnon de la Libération », l’esprit de résistance. Et c’est dans cet esprit qu’il continuera à transmettre l’idée que le courage de quelques-uns peut avoir raison de l’abattement du plus grand nombre, que la voie périlleuse de l’exil peut être le chemin le plus sûr vers le rétablissement de la souveraineté nationale, que l’opprobre des procès truqués intentés par ceux qui se couchaient contre ceux qui se levaient honore les condamnés de Riom. Il glorifie également ceux qui, au plus fort des combats engagés par la Résistance, dans les maquis, au sein des Forces françaises libres et des Forces françaises de l’intérieur, pensèrent et créèrent le programme du Conseil national de la Résistance, plus que jamais d’actualité aujourd'hui.
L’ordre de la Libération honore en fait des femmes et des hommes d’exception, qui surent se lever pour vivre et résister.
Le combat contre l’idéologie nazie fut avant tout celui de la restauration de la République et de l’indépendance nationale. S’engager dans la Résistance revenait aussi à affirmer qu’il n’y a pas de peuple libre dans une nation asservie.
Forces françaises de l’intérieur ou Forces françaises libres, ouvriers et paysans saboteurs, engagés des maquis ou des corps francs, riches ou pauvres, ceux qui y croyaient ou ceux qui n’y croyaient pas, ils étaient tous unis par la même prise de conscience et le même courage autour du message de la première strophe du Chant des partisans :
« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
« Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ?
« Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme.
« Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et les larmes. »
L’ordre national des Compagnons de la Libération représente, et incarne même, la France dans sa diversité, sa générosité et sa grandeur, mais aussi dans son amour pour la liberté, l’égalité et la fraternité.
Sur les 1 036 Compagnons, 271 ont été décorés à titre posthume ; 65 ont été tués avant le 8 mai 1945 et seulement 700 étaient encore en vie le jour de la capitulation nazie, le 8 mai 1945. Un fait est remarquable : 44 étrangers de 18 nationalités ont été faits Compagnons. Le temps faisant inexorablement son œuvre, il ne reste aujourd'hui que 28 Compagnons de la Libération. Bientôt – trop tôt ! –, ils auront tous disparu. Seules les cinq communes resteront, et elles auront, grâce à l’instauration du Conseil national des communes « Compagnon de la Libération », un rôle essentiel à jouer pour assurer la pérennité de l’Ordre.
Rendons hommage à ces cinq villes et à leurs populations qui se sont illustrées dans l’action et le combat pour la victoire de la liberté sur la tyrannie, de la justice sur le totalitarisme, de la démocratie sur la dictature.
Soyons fiers de ceux qui, par leur engagement, allant parfois jusqu’au sacrifice suprême, nous ont légué ce message de dignité, de volonté et de courage.
Cette fierté nous impose un devoir de fidélité pour que la Résistance continue à vivre dans notre mémoire, particulièrement dans celle de nos concitoyens les plus jeunes, et pour que perdure le message de l’espoir et de l’honneur.
Soyons fiers et dignes de nos résistants et du sens de l’honneur et du sacrifice dont ils ont fait preuve dans les moments les plus sombres qu’a connus notre pays. Il nous faut perpétuer leur mémoire, et nous le ferons grâce aux cinq communes « Compagnon de la Libération ».
Nantes fut la première ville distinguée par le général de Gaulle pour son magnifique exemple de courage et de fidélité aux valeurs de la République.
Vint ensuite Paris, martyrisée, mais qui s’est elle-même libérée avant l’arrivée des blindés de la 2° DB du général Leclerc ; puis Vassieux-en-Vercors, symbole et martyr de la République libre du Vercors.
Quant à l’île de Sein, elle donna un formidable signal à l’ensemble de la France en envoyant, dès le premier jour, tous ses pêcheurs s’engager dans les forces de la France libre et rejoindre le général de Gaulle à Londres. En 1940, ceux-ci composaient le quart des effectifs de ces forces.
Enfin, à Grenoble, lors de la manifestation patriotique du 11 novembre 1943, la population affirma son refus de l’occupation, sa foi dans la victoire et sa volonté farouche d’y prendre une part active, au prix de centaines d’arrestations et de déportations.
Dans l’esprit du « pacte d’amitié » signé en 1981, ces villes sauront, je n’en doute pas, assumer, dans le cadre du futur Conseil national des communes « Compagnon de la libération », le souvenir et la pérennité de l’Ordre après la disparition des derniers Compagnons.
Naturellement, vous l’avez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste votera cette proposition de loi. Ainsi, nous perpétuerons la flamme et les valeurs de la Résistance et des résistants. Nous devons, aujourd'hui, par notre vote, que je souhaite unanime, rendre hommage à ceux qui ont su, par leur souffrance et leur sacrifice, rendre honneur et grandeur à la France, fidèle à ses idéaux républicains et à sa devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Rappelons-nous toujours le message des résistants : vive la République, vive la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et de l’UCR. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » fait partie de ces textes – le fait est assez rare en cette période électorale pour être souligné ! –, qui transcendent ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui les clivages politiques, lesquels ne sont pourtant que l’expression normale de la démocratie.
Contrairement à d’autres textes qui se rapportent directement à de grandes périodes parfois controversées de notre histoire, et dont nous avons récemment discuté, nous ne pouvons suspecter cette proposition de loi d’être empreinte d’arrière-pensées politiciennes.
En effet, ce texte se réfère à des événements et à une institution qui ne prêtent aucunement à la polémique. Nous sommes certainement unanimes dans cet hémicycle à partager le bien-fondé des raisons qui ont conduit le général de Gaulle à créer l’ordre de la Libération.
Comme l’a rappelé notre rapporteur, cet Ordre a été créé à Brazzaville en novembre 1940, afin de concrétiser le symbole de la France, qui avait choisi de lutter contre l’occupant aux côtés des alliés. Il s’agissait d’un signe de reconnaissance et d’appartenance aux forces de la France libre.
Dans son esprit, cette création devait également incarner la continuité de la France face à la symbolique du régime de l’État français du maréchal Pétain, dont la francisque était la principale décoration d’une prétendue « Révolution nationale ».
Selon les termes mêmes de l’ordonnance créant l’ordre de la Libération, celui-ci était « destiné à récompenser les personnes ou les collectivités militaires et civiles qui se seront signalées dans l’œuvre de la libération de la France et de son Empire ».
C’est ainsi que, à côté d’hommes et de femmes, héros modestes et souvent peu connus, des villes, des communes de France et des unités combattantes ont aussi été distinguées.
Je pense évidemment à ces hauts lieux de la Résistance que furent Grenoble et Vassieux-en-Vercors, à Nantes dévastée par les bombardements, à l’île de Sein, dont tous les hommes valides furent les tout premiers à rejoindre à Londres le chef de la France libre, et bien sûr à Paris.
Mais je pense aussi aux pilotes français et soviétiques de l’escadrille Normandie-Niemen, unis par la même volonté de défendre leur patrie contre le nazisme.
Ces villes, ces hommes et ces femmes, par leur exemplarité, méritaient pleinement d’entrer dans l’ordre de la Libération.
La guerre terminée et la libération accomplie, les décorations de l’Ordre ont naturellement cessé d’être décernées.
Ce texte a donc précisément pour objet de résoudre les problèmes juridiques et techniques qui résultent de la mise en œuvre de la loi de mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération ».
Cet établissement public national à caractère administratif est destiné à assurer la pérennité de l’ordre de la Libération, en lui succédant, et ce avant même que n’aient disparu les 28 titulaires de cette décoration encore vivants.
Il convient, en effet, de garantir le fonctionnement de cet organisme, qui devra prochainement assumer la gestion de l’Ordre dans la mesure où le texte qui nous est proposé a fixé la date butoir du 16 novembre 2012.
Je n’entrerai pas dans le détail des quatre articles qui précisent la loi de 1999 et donnent un fondement juridique à son évolution. Mais je voudrais approuver le choix particulièrement judicieux du Mémorial de la France combattante, situé sur la commune de Suresnes, près de Paris, pour accueillir le musée de l’Ordre.
Ce lieu, adossé au Mont-Valérien dans la clairière duquel furent fusillés tant de résistants venus d’horizons divers, de Missak Manouchian à Honoré d’Estienne d’Orves, symbolise et regroupe toutes les mémoires et toutes les valeurs des combattants de la France libre et de la Résistance.
Mes chers collègues, à l’heure où vont progressivement disparaître les derniers témoins de cette page souvent tragique et douloureuse, mais aussi héroïque, de l’histoire de notre pays, cette proposition de loi est pleinement justifiée.
En votant ce texte, le groupe communiste, républicain et citoyen se félicite de permettre ainsi, par les effets juridiques et financiers que celui-ci sous-tend, la continuité du devoir de mémoire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste, du groupe écologiste, du groupe UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. « Récompenser les personnes, les collectivités militaires et civiles qui se seront signalées dans l’œuvre de la libération de la France et de son Empire » : tout est dit, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la formule de l’ordonnance créant l’ordre de la Libération, qui honore tous les hommes et toutes les femmes ayant choisi le camp de la liberté au péril de leur vie.
Cette décoration, vous le savez, distingue tous ceux qui ont entendu le message d’espérance lancé le 18 juin 1940 par le général de Gaulle et qui se sont ainsi engagés au service de la libération de notre territoire occupé par les nazis. C’est dire si nous leur devons beaucoup : leur combat de « Français libres » est un modèle d’héroïsme. Que ce soient dans les sables de Bir Hakeim, dans les neiges de Russie ou dans les verts pâturages normands, ils ont bravé l’ennemi avec un sens admirable du sacrifice.
L’ordre de la Libération est créé le 16 novembre 1940 pour récompenser un courage sans limite. Jean Moulin, André Malraux, Romain Gary et bien d’autres jeunes gens plus anonymes constituent la liste des Compagnons, au nombre de 1 038. Ouvriers, fonctionnaires, paysans, cadres, étudiants, tous étaient animés, quelle que soit leur origine sociale, du même esprit de résistance.
Je n’oublie pas les 18 unités combattantes également distinguées dans l’Ordre, ni, bien sûr, les cinq communes exemplaires que sont Nantes, Grenoble, Paris, Vassieux-en-Vercors et l’île de Sein. Certes, les orateurs qui m’ont précédé les ont citées, mais, aujourd’hui, plus que jamais, la répétition a un sens.
En effet, s’il s’agit d’examiner un texte technique, le caractère éminemment rassembleur de celui-ci nous invite aussi à profiter de ce moment parlementaire pour honorer la mémoire de ceux qui ont servi la France. À cet égard, je tiens d’ailleurs à rappeler que 13 sénateurs ont été des Compagnons de la Libération.
Mes chers collègues, je viens de l’évoquer, cette proposition de loi est consensuelle. Elle a été approuvée à l’unanimité par les députés, et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat nous propose une adoption conforme. Naturellement, tous les membres du RDSE la voteront.
Nous partageons, en effet, le souci des auteurs du texte de garantir la pérennité des traditions de l’Ordre, en facilitant le fonctionnement du Conseil national.
La loi du 26 mai 1999 avait, de façon opportune, créé un établissement public national à caractère administratif destiné à succéder au conseil de l’ordre de la Libération. À ce jour, on ne compte plus que 28 personnes titulaires de la croix. Tout doit donc être mis en œuvre pour que, à leur disparition, cet établissement public puisse remplir ses missions dans les meilleures conditions.
Dans cette perspective, les modalités de la gestion directe du musée de la Libération par le futur Conseil national vont dans le bon sens. Sur ce point, il est essentiel de permettre au musée de fonctionner sans entrave juridique, car celui-ci constitue une formidable vitrine de l’œuvre libératrice accomplie par nos aînés.
En outre, s’agissant de l’instauration de la possibilité, pour le Conseil national, de recruter directement des agents contractuels, il me semble opportun de laisser à ce dernier la souplesse dont dispose l’Ordre en la matière.
Par ailleurs, la diversification des ressources est bien entendu nécessaire. Le futur Conseil national ne dépendra pas uniquement de la subvention de l’État, ce qui lui apportera une petite marge d’autonomie.
Mes chers collègues, c’est donc sans réserve que nous allons tous approuver ce texte, qui sécurise l’avenir de l’Ordre ; nous le devons à ses membres disparus, ainsi qu’à tous ceux qui sont encore en vie. Au-delà, c’est une façon de consolider notre politique de mémoire et, ainsi, de faire vivre les valeurs défendues par les Compagnons pour mieux les transmettre aux jeunes générations.
Par la justesse de leur combat, par leur sens du devoir, les Compagnons et, plus largement, toute la Résistance intérieure française, tous les combattants de l’ombre de la Seconde Guerre mondiale, ont plus que jamais illustré les idéaux de liberté et de fraternité, chers à notre République, au groupe du RDSE et à chacun des membres de cette assemblée. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 16 novembre 1940, alors que le général de Gaulle voit s’éloigner l’espoir de rallier à sa cause, contre le régime de Vichy, une vaste zone de l’Empire français, il décide de distinguer ceux qui, en restant fidèles à la France libre, n’ont pas trahi l’idéal de résistance.
La croix de la Libération rend ainsi hommage aux individus, aux unités combattantes et aux collectivités qui se sont distingués par leurs services rendus à la France libre.
Pour la mémoire des femmes et des hommes qui ont su s’élever contre le régime de Vichy en refusant la confortable allégeance au totalitarisme, il importe que l’ordre de la Libération perdure dans le temps.
Ainsi, en 1999, nos prédécesseurs à l’Assemblée nationale et au Sénat ont fixé les modalités de la pérennisation de l’Ordre, notamment en créant un établissement public national à caractère administratif destiné à succéder au conseil de l’ordre de la Libération, une initiative louable du fait que les dernières personnes physiques membres de cet ordre sont appelées à disparaître.
Toutefois, cette loi présentait certaines lacunes, et nos collègues députés ont considéré, à la fin de l’année de 2009, qu’il convenait de légiférer de nouveau pour assurer le bon fonctionnement de ce nouvel établissement public. Une telle démarche est tout à leur honneur, et je ne peux que souscrire aux dispositions de la proposition de loi que le Sénat examine aujourd’hui.
L’article 1er du texte règle le devenir du musée de l’ordre de la Libération créé par le général de Gaulle. L’établissement public national à caractère administratif qu’est le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » aura désormais pour mission d’assurer non seulement la surveillance, mais aussi la pleine gestion de ce musée. Pour ce faire, il disposera d’une plus grande marge de manœuvre. Toutefois, cette autonomie accrue ne doit pas s’accompagner d’une diminution de ses ressources. Or c’est ce qui est à craindre au regard de la situation économique actuelle.
En effet, depuis le 1er janvier 2011, les trois postes équivalents temps plein qui avaient été mis gratuitement à disposition par le ministère de la défense sont à la charge de l’Ordre. Certes, une allocation a été mise en place pour les années 2011 et 2012 afin de compenser cette perte. Mais jusqu’à quand sera-t-elle reconduite ?
L’article 2 permet à l’Ordre de recruter directement des agents contractuels. Pour un texte émanant de députés de la majorité présidentielle, cela n’a rien d’étonnant ! Mais, pour nous, écologistes, la cessation de la mise à disposition de fonctionnaires et la compensation de cette décision par le recrutement de contractuels ne sont jamais un signal positif. Certes, cela permet une souplesse dans la gestion du personnel, mais ce sera, malheureusement, au prix d’une plus grande précarité.
En instaurant de nouvelles sources de financement, l’article 3 est sous-tendu par la même logique d’autonomisation financière de l’établissement public. Une telle disposition confère à cet établissement à caractère administratif une vocation, à mon sens, un peu trop commerciale.
Alors que le Conseil national est financé, aux termes de la loi de 1999, par des subventions versées par l’État ou par d’autres personnes publiques, ses ressources reposeront désormais sur les droits d’entrée du musée, les visites-conférences, la location des locaux ou tout simplement les dons et legs. C’est donc la population qui financera l’activité du Conseil. Encore une fois, nous ne pouvons que déplorer ce désengagement de l’État.
Enfin, l’article 4 prévoit que l’entrée en vigueur du nouveau dispositif devra intervenir au plus tard le 16 novembre 2012, la date de passage de l’Ordre actuel au Conseil national devant être fixée par décret en Conseil d’État. Cette autonomie laissée au pouvoir réglementaire est, à notre sens, très pertinente.
En conclusion, ce texte présente des limites : en étant plus autonome, le futur établissement public sera plus vulnérable que ne l’était l’Ordre. Mais la rédaction qui nous est aujourd’hui proposée est identique à celle qui a été adoptée par l’Assemblée nationale. Un vote conforme permettra donc son adoption avant la fin de la session parlementaire.
En dépit des remarques que je viens de formuler, les écologistes voteront ce texte, afin que le décret instaurant le Conseil national puisse être publié avant le 16 novembre 2012.
Par cette loi, nous allons perpétuer l’héritage des combattants de la liberté.
Mes chers collègues, si vous me le permettez, je terminerai mon intervention en rendant hommage à un homme qui porte chaque jour cet héritage auprès des jeunes générations, et dont j’ai la grande chance d’être proche ; je veux parler de Stéphane Hessel, qui n’en finit pas de prouver que l’esprit de la Résistance n’est pas qu’un souvenir.
Son combat, comme celui de tous les combattants de 1940, fut celui de l’indignation contre le nazisme et le totalitarisme. Le meilleur moyen de perpétuer le souvenir des résistants de 1940 consiste donc à cultiver l’indignation, qui commence par l’indignation contre la spoliation de l’un des plus beaux héritages de cette génération, à savoir les avancées politiques et sociales du Conseil national de la Résistance.
Si nous avions su nous indigner, affirme Stéphane Hessel, si nous avions été les véritables héritiers du Conseil national de la Résistance, serions-nous « cette société où l’on remet en cause les retraites, les acquis de la sécurité sociale », « cette société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l’égard des immigrés » ?
Lors du soixantième anniversaire de la Libération, les vétérans des forces combattantes de la France libre déclaraient : « Le nazisme est vaincu, grâce au sacrifice de nos frères et sœurs de la Résistance et des Nations unies contre la barbarie fasciste. Mais cette menace n’a pas totalement disparu et notre colère contre l’injustice est toujours intacte. »
Les maux actuels ont changé : ils se nomment désormais « surconsommation, » « surexploitation du “capital planète” et de ses ressources », « mépris des plus faibles et de la culture », « amnésie généralisée » ou encore « compétition à outrance de tous contre tous. » C’est en luttant contre ces maux que nous rendrons un véritable hommage aux combattants de la Libération.
Vive la France libre ! Vive la France indignée ! Et vive la France solidaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et de l’UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. René Beaumont.
M. René Beaumont. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons ce soir une proposition de loi qui nous ramène aux heures sombres de l’histoire nationale, celles de l’année 1940.
Même si ces heures furent sombres, elles furent néanmoins empreintes d’espoir, comme en témoigne la couleur verte, rayée de noir, du ruban portant la croix de la Libération, une décoration créée en des circonstances exceptionnelles pour ceux qui ont eu une conduite exceptionnelle, dans une France occupée, opprimée et divisée.
L’ordre de la Libération fut créé le 16 novembre 1940 aux confins de l’Empire français, à Brazzaville, après la défaite des Forces françaises libres à Dakar et alors que les autorités de la ville restaient fidèles au gouvernement de Vichy.
Ainsi, le général de Gaulle, chef de la France libre, décida de récompenser ceux qui s’étaient illustrés, et pas seulement militairement, dans le combat contre la barbarie nazie pour la libération de la France et de son empire.
Aux 1 038 Compagnons qui composaient originellement l’ordre – seuls 28 d’entre eux sont encore à ce jour en vie – s’ajoutent 18 régiments et 5 communes, à savoir Nantes, Grenoble, Paris, Vassieux-en-Vercors et l’île de Sein. Ces villes et ces régiments, bien que ces derniers ne siègent pas au Conseil national, représentent les personnes morales qui pourront assurer la pérennité de l’ordre de la Libération, et ce grâce à la loi de 1999, qui a permis de créer le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération ». Cet établissement public national à caractère administratif veille notamment sur le musée de l’ordre de la Libération.
À terme, ce Conseil national pourra légitimement se poser en organisme successeur du conseil de l’ordre de la Libération, dont les membres disparaissent, malheureusement, les uns après les autres. Surtout, il garantit la poursuite des actions perpétuées par l’ordre de la Libération au service de la mémoire.
Le texte qui nous est soumis ce soir modifie la loi du 26 mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération », afin de permettre à ce dernier de s’acquitter, dans les meilleures conditions possibles, de ce devoir de mémoire auprès des générations qui ont toujours eu la chance de vivre en paix et qui ignorent, parfois, qu’il s’agit de l’un des biens les plus précieux. Cette paix, nous la devons aussi à ces Compagnons qui ont su faire preuve d’un remarquable courage et se sont sacrifiés pour la liberté des Français et de leur territoire.
Tel est d’ailleurs l’objectif que poursuivent, avec cette proposition de loi, nos collègues députés Bernard Accoyer et Michel Destot. Les modifications qu’ils proposent d’apporter à la loi de 1999 permettent de procéder aux ajustements juridiques de nature à assurer la pérennité et la transmission des valeurs de l’ordre de la Libération.
Je ne reviendrai pas sur les quatre articles de la proposition de loi – mon excellent collègue rapporteur en a développé les points principaux –, et je me réjouis, au nom du groupe UMP, de l’adoption de celle-ci par l’ensemble des groupes siégeant à l’Assemblée nationale.
Cette proposition de loi a également recueilli un très large consensus au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, à l’instar de la loi de 1999, qui présente la particularité d’avoir été déposée deux fois à l’Assemblée nationale, en avril 1997, par le gouvernement d’Alain Juppé, puis, en juin 1997, par celui de Lionel Jospin, dissolution oblige !
J’y vois là la preuve que les questions de mémoire nationale transcendent les polémiques politiciennes et les clivages politiques. Et c’est pour cette raison que je vous invite, mes chers collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, à voter cette proposition de loi, car il y va de la sauvegarde de notre patrimoine mémoriel, de sa transmission et de l’honneur de ces valeureux Compagnons ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UCR et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Chiron.
M. Jacques Chiron. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite remercier les auteurs de cette proposition de loi, mon camarade Michel Destot, député-maire de Grenoble, et le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer. Comme l’a souligné notre collègue Michelle Demessine, ainsi que d’autres orateurs, nous avons su dépasser les clivages politiques.
Ce texte va permettre au Conseil national des communes « Compagnon de la Libération », créé en 1999, d’assumer les traditions de l’ordre de la Libération. Parmi l’ensemble des Compagnons de la Libération, les 5 communes titulaires de la croix de la Libération – Nantes, Paris, Vassieux-en-Vercors, l’île de Sein et Grenoble – peuvent garantir cette pérennité. Aussi était-il logique de se tourner vers elles pour assurer la continuité du travail engagé.
Cette instance aura la responsabilité de faire vivre la mémoire des Compagnons disparus, de la transmettre et de nous rassembler autour des valeurs communes de liberté et de fraternité, qui demeurent le fondement de notre identité.
L’engagement de ces 5 communes n’est plus à démontrer : le « pacte d’amitié » qu’elles ont noué en 1981 témoigne de leur souhait commun et historique de prendre le relais. Nous pouvons aujourd’hui nous féliciter de cet attachement partagé au devoir de mémoire à l’égard de ceux qui se sont engagés et ont souvent donné leur vie, vous l’avez tous rappelé, pour la libération de la France et la victoire du courage et de la liberté.
En tant qu’élu de la ville de Grenoble, je tiens à vous remercier, mes chers collègues, du soutien unanime que vous apportez à cette proposition de loi. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.
Article 1er
(non modifié)
Au quatrième alinéa de l’article 2 de la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération », les mots : « veiller sur » sont remplacés par le mot : « gérer ».
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l’unanimité des présents.
Article 2
(non modifié)
La dernière phrase de l’article 6 de la même loi est complétée par les mots : « ainsi que d’agents contractuels ». (Adopté.)
Article 3
(non modifié)
Après le deuxième alinéa de l’article 8 de la même loi, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« – le produit des droits d’entrée du musée et des visites-conférences ;
« – les rémunérations des services rendus ;
« – les produits financiers résultant des placements de ses fonds ; ». (Adopté.)
Article 4
(non modifié)
Le premier alinéa de l’article 10 de la même loi est ainsi rédigé :
« La présente loi entre en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État et au plus tard le 16 novembre 2012. » (Adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
M. le président. Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 29 février 2012, à quatorze heures trente et le soir :
1. Nouvelle lecture du projet de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2012 (n° 440, 2011-2012) ;
Rapport de Mme Nicole Bricq, fait au nom de la commission des finances (n° 441, 2011-2012).
2. Nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports (n° 428, 2011-2012) ;
Rapport de M. Claude Jeannerot, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 438, 2011-2012).
3. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la majoration des droits à construire (n° 422, 2011-2012) ;
Rapport de M. Thierry Repentin, fait au nom de la commission de l’économie (n° 436, 2011-2012) ;
Avis de M. René Vandierendonck, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 435, 2011-2012) ;
Texte de la commission n° 437 (2011-2012).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 29 février 2012, à une heure.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART