Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre.
M. Louis Nègre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup a déjà été dit sur ce texte, qui a été très largement médiatisé.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Objectif atteint donc !
M. Louis Nègre. Certains de nos collègues ont demandé pourquoi cette proposition de loi nous était soumise aujourd’hui. Or nous constatons que ce texte n’est ni isolé, ni récent, et encore moins de circonstance.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Allons donc !
M. Louis Nègre. Il se situe dans le droit fil de la philosophie défendue par la majorité présidentielle, celle-là même qui conduit à veiller à la continuité du service public dans les transports terrestres, instaurée par la loi du 21 août 2007, ou encore à instituer un droit d’accueil pour les élèves, comme le prévoit la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le transport aérien n’est pas un service public !
M. Louis Nègre. Notre éminente collègue Catherine Procaccia ainsi que le député Lionnel Luca ont déjà déposé des propositions de loi en ce sens. Il ne s’agit donc pas, je le répète, d’un texte de circonstance.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous l’avez mûri pendant longtemps, jusqu’à la campagne pour l’élection présidentielle...
M. Louis Nègre. Ce texte vise, fondamentalement, à assurer un minimum de continuité du service rendu aux passagers des transports aériens, qui sont trop souvent les victimes innocentes et les otages de conflits sociaux qui ne sont pas les leurs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est évident !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À cause du patronat !
M. Louis Nègre. Les passagers sont aussi les clients qui font vivre les salariés et les entreprises de transport. À ce titre, ils méritent qu’on leur porte un minimum d’attention et de respect.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sans salariés, pas de transports !
M. Louis Nègre. Puisqu’ils sont la raison d’être des services de transport, ils devraient aussi être considérés, en toute logique, comme les acteurs les plus importants de ce système. Au lieu de cela, ils sont les oubliés des conflits sociaux, la chair à canon des dysfonctionnements du dialogue social. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. C’est lamentable !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mesurez votre langage !
M. Louis Nègre. C’est pour défendre ces oubliés, ces sans-grades, que je monte à cette tribune. Les entreprises ou les syndicats n’ont pas besoin d’être défendus, car ils disposent de tous les moyens de se faire entendre, y compris des médias.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes en guerre contre les salariés !
M. Louis Nègre. Dans ce contexte essentiellement bilatéral, les usagers sont trop souvent traités comme res nullius, quantité négligeable.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Merci pour la traduction !
M. Louis Nègre. Ce combat totalement inégal oppose le pot de terre et le pot de fer ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) Mes chers collègues de gauche, nous devons aider non le pot de fer, mais le pot de terre. Il me semble que ce principe philosophique vous est cher !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le pot de fer, c’est le patronat !
M. Louis Nègre. Le pot de terre, c’est l’écrasante majorité, c’est-à-dire le peuple ! Qui, sur les travées de la gauche, a accordé à ces passagers l’attention qu’ils méritent ?
Mme Sylvie Goy-Chavent. Bonne question !
M. Louis Nègre. Les syndicats doivent être écoutés, c’est certain. Mais ils ne sont pas les seuls ! Les passagers devraient être au centre des préoccupations de chacun si, au lieu de ne faire qu’en parler, on appliquait réellement cet adage : le client est roi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le patron est roi !
M. Louis Nègre. En fait, comme nous l’avons constaté lors de nombreux conflits sociaux, le roi est nu parce qu’il n’est pas organisé.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le patronat n’est pas organisé ? C’est la meilleure celle-là !
M. Louis Nègre. Face à ce triste constat, que tout le monde peut faire, la proposition de loi est la bienvenue. Je vous remercie donc, monsieur le ministre, des positions que vous avez prises ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
Les sempiternels cris d’orfraie de la gauche (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) confirment son combat constant en faveur de l’immobilisme et du statu quo.
M. Roger Karoutchi. Un combat conservateur, disons-le !
M. Louis Nègre. Voilà une nouvelle illustration de la défense des intérêts particuliers et corporatistes au détriment de l’intérêt général et du plus grand nombre !
Les mesures proposées sont tout simplement de bon sens. Elles s’inspirent en grande partie de la philosophie de la loi du 21 août 2007. Rappelez-vous de cette loi qui avait été rejetée, vilipendée, récusée, ostracisée par la gauche ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Or, aujourd’hui, non seulement le candidat de cette même gauche à l’élection présidentielle…
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Il y a plusieurs candidats à gauche !
M. Louis Nègre. … ne propose plus de la supprimer compte tenu de ses remarquables résultats auprès des usagers, mais il l’a même intégrée dans sa démarche.
Chers collègues de gauche, à quel moment avez-vous dit la vérité ? Avant, quand vous étiez contre la loi de 2007, ou aujourd’hui que vous êtes pour ? Où se situe la vérité ? Je vais vous le dire : à droite ! (Sourires et applaudissements sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dites plutôt que la suffisance est à droite !
M. Louis Nègre. Seule la droite se préoccupe de la nécessaire continuité du service rendu aux usagers.
M. Claude Jeannerot, rapporteur. Voilà un propos nuancé…
M. Louis Nègre. C’est bien le moins, car elle est en charge des responsabilités. M. le ministre ici présent assume totalement les siennes. La droite, elle, agit pour améliorer une situation qui est tout sauf acceptable.
Une nouvelle fois, rappelez-vous de la pagaille innommable dans les aéroports pendant les vacances de la Toussaint, en décembre dernier et tout récemment encore.
M. Louis Nègre. Cela est-il admissible ?
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Et lors de l’éruption du volcan, il n’y a pas eu de pagaille ?
M. Louis Nègre. Des voyageurs abandonnés ne sachant plus à quel saint se vouer, des passagers en transit, venant du monde entier, perdus comme leurs bagages, des familles et des enfants laissés sans information, obligés de dormir dans l’enceinte de l’aéroport. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est la faute du patronat !
M. Louis Nègre. Quel mépris pour les passagers !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Caricature !
M. Louis Nègre. La France, première destination touristique au monde, ne serait-elle plus seulement la « mère des arts, des armes et des lois », comme l’a dit le poète, mais aussi la terre des grèves ? Plus de mille grèves en trois ans !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il paraît que plus personne ne s’en aperçoit : il faudrait savoir ce que vous dites !
M. Louis Nègre. On peut souhaiter une meilleure image de marque pour notre pays.
Il est donc urgent de civiliser nos relations sociales. Notre pays a besoin de réformes profondes : il y va de son avenir et de celui de nos enfants.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Nous allons bientôt vous en proposer !
M. Louis Nègre. La proposition de loi ne mérite pas l’opprobre. En effet, elle vise à concilier le droit de grève et la liberté d’aller et venir, à trouver entre eux un juste équilibre. Ces deux principes sont de valeur constitutionnelle, pas seulement le premier !
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
M. Louis Nègre. Je le répète, la proposition de loi est de bon sens. Elle favorisera le dialogue social en s’imposant aux employeurs comme aux syndicats. Elle permettra enfin l’information des passagers.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu de toutes les avancées que cette proposition de loi permet, je vous propose d’étendre son application au transport maritime. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Labazée.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Répondez au patronat !
M. Georges Labazée. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi prévoit des modifications conjoncturelles et de circonstance. Elle n’est pas la véritable réforme structurelle dont les transports français ont besoin, en matière d’information des passagers comme de prévention des conflits sociaux.
Revenons au service minimum, ou plutôt non, au service garanti. Car il s’agit bien d’un service garanti, comme vous l’avez confirmé jeudi dernier, monsieur le ministre, en réponse à une question d’actualité au Sénat.
M. Georges Labazée. Comme les précédents orateurs l’ont maintes fois rappelé, le transport aérien de passagers ne constitue plus une mission de service public. Et pour cause : l’externalisation est passée par là, une fois de plus !
Comme dans beaucoup de services – je pense surtout à celui de l’emploi –, l’externalisation est une pratique de la puissance publique qui met à mal ce que la fonction publique française avait mis tant d’années à construire et à garantir à tous les usagers, de surcroît sur l’ensemble du territoire : la qualité, la continuité et, surtout, l’égalité.
Le choix de l’externalisation dans certains secteurs a ouvert la porte à de nombreux problèmes que l’État aurait pu et aurait dû éviter : d’abord, des coûts cachés se sont révélés après l’externalisation, venant finalement réduire, voire annihiler, les avantages économiques initialement prévus ; ensuite, le service, réduit à une simple prestation, a perdu en qualité ; enfin, le contrôle des opérations a été perdu et des problèmes se sont posés en raison de la fiabilité et de la pérennité du partenaire externe choisi.
L’externalisation peut, à certains moments, constituer un moyen efficace pour réduire les dépenses de fonctionnement ; mais ce moyen n’est pas le seul.
On a donc, au fil des années, soustrait des missions d’intérêt général à la sphère publique pour les sous-traiter à des entreprises privées sans aucune garantie pour la suite, ni pour les personnels en matière de relations sociales et de prévention des conflits ni pour les passagers en matière de qualité du service.
Malgré tout, les auteurs de la proposition de loi veulent appliquer au secteur du transport aérien les règles propres au service public et le fameux service minimum, que les personnels grévistes des entreprises concourant directement à l’activité de ce secteur devraient dès lors respecter.
Que faire face à cette impasse constitutionnelle ? Ne pouvant plus s’appuyer sur la notion de service public, les auteurs de la proposition de loi invoquent un objectif de valeur constitutionnelle : la « sauvegarde de l’ordre public », en particulier la protection de la santé et de la sécurité des personnes, notamment dans le cadre d’un afflux massif de passagers.
Mais l’adoption de la proposition de loi, mes chers collègues, constituerait un véritable précédent. En effet, plus aucun secteur d’activité ne serait à l’abri de voir des restrictions similaires apportées à un droit fondamental : le droit de grève.
M. Roland Courteau. Bien sûr !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Évidemment !
M. Georges Labazée. Sans parler du peu de gloire qu’il y aurait à restreindre le droit de grève au nom du maintien de l’ordre public. L’histoire nous l’a maintes fois démontré !
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Georges Labazée. Le droit de grève est un droit constitutionnellement protégé ; il est fondamental pour la défense des intérêts professionnels.
Rappelons que les personnels navigants ont déjà subi une très forte restriction à l’exercice de leur droit de grève, et ce malgré un arrêt de la Cour de cassation qui confirmait la possibilité de cesser le travail en escale. Mais le législateur ne l’a pas entendu ainsi. Aujourd’hui, alors que les personnels navigants n’ont plus la liberté de cesser le travail qu’au départ de leur base, vous décidez de durcir les restrictions.
Si l’on appliquait le présent texte, que se passerait-il ? En raison du faible pourcentage de navigants prenant leur service de vol au cours d’une même journée, la connaissance précise et anticipée du nombre de participants au conflit permettrait aux dirigeants des entreprises concernées, sauf en cas de participation unanime au mouvement, de remplacer intégralement les personnels grévistes par les personnels non-grévistes et certains membres de l’encadrement. En conséquence, le sens de toute négociation, normale ou sous préavis, serait entièrement perverti et l’efficacité de la loi en matière de prévention des conflits totalement annihilée.
Finalement, adopter un tel dispositif reviendrait à réduire le champ des compromis. Ce serait surtout prendre le risque d’une dégradation du contrat social et d’une augmentation de la fréquence des conflits.
Mes chers collègues, le mécanisme proposé porte une nouvelle atteinte au droit de grève, droit fondamental dans notre société, et le nourrit artificiellement en forçant une grève débutée à perdurer. Quelle incohérence ! Pourtant, est-ce vraiment surprenant ? Malheureusement, je crois qu’il s’agit de jouer une fois de plus la carte de la démagogie à l’approche d’une grande échéance électorale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi n’est qu’un texte de circonstance, une fois de plus. Le sujet qu’elle aborde est sensible dans l’opinion ; c’est pourquoi il mériterait un débat plus serein. Il s’agit du droit constitutionnel de faire grève et des droits des voyageurs dans le secteur aérien.
Comme il a été rappelé, le Gouvernement a saisi l’occasion de la grève organisée en décembre dernier par les agents chargés des contrôles de sûreté dans les aéroports pour remettre sur le devant de la scène l’un de ses thèmes de campagne favoris : le service minimum. D’ailleurs, il a décidé que la proposition de loi serait examinée en procédure accélérée, afin que sa discussion et son adoption puissent avoir lieu avant la fin de la session parlementaire, en pleine campagne présidentielle…
La proposition de loi s’inspire de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs. En pratique, cette loi dite de « service minimum » a repris un dispositif qui existait à la RATP depuis 1996 : les agents de conduite sont tenus de déposer une déclaration d’intention de faire grève quarante-huit heures avant le jour de la grève. Par ailleurs, un accord-cadre doit être signé entre l’employeur et les organisations syndicales sur la procédure à suivre préalablement au dépôt d’un préavis de grève. Enfin, après le dépôt d’un préavis de grève, l’entreprise est tenue d’établir un dispositif d’information des voyageurs.
Si cette loi a eu le mérite de faciliter la « prévisibilité » du trafic et l’information du public lors des jours de grève, elle a cependant installé l’idée, au sein de la population, qu’il y aurait un service minimum dans les transports terrestres. Or cela est faux. En effet, le droit de grève étant un droit fondamental, le Gouvernement a dû faire marche arrière et renoncer à instaurer un service minimum.
La loi de 2007 améliore simplement la « prévisibilité ». Si, demain, l’ensemble du personnel de la RATP se déclare gréviste, aucune rame de métro ne pourra circuler quarante-huit heures plus tard. C’est donc abusivement que la loi de 2007 est qualifiée de loi sur le service minimum. D’ailleurs, la majorité présidentielle le sait bien, puisque, lors de l’examen de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, elle a opéré un glissement sémantique vers la notion de service garanti.
Par ailleurs, depuis l’adoption de la loi de 2007, les niveaux de conflictualité ont toujours été supérieurs à ceux de la période précédente. Ainsi, de 2003 à 2010, le nombre moyen de jours de grève par an et par agent de la RATP, de la SNCF ou des transports urbains s’élevait à 1,38, alors que pour la période allant de 1997 à 2002, il s’établissait à 0,55. Preuve, s’il en fallait, qu’il faut davantage de négociations en amont des conflits.
Même si l’exaspération des Français touchés par les grèves est compréhensible, le groupe socialiste du Sénat votera contre la proposition de loi, et ce principalement pour trois raisons.
Tout d’abord, ce texte n’a fait l’objet d’aucune concertation en amont avec les organisations représentatives et syndicales. C’est un comble : le Gouvernement veut imposer le dialogue social sans dialogue social !
M. Roland Courteau. C’est bizarre !
M. Roland Ries. Il ne respecte donc pas lui-même l’objectif officiellement affiché.
M. Jean-Luc Fichet. Eh oui !
M. Roland Ries. Ensuite, si le droit de grève n’est pas attaqué en tant que tel, il est en revanche remis en cause par l’obligation de déclarer sa participation au mouvement de grève quarante-huit heures avant le début de chaque journée de grève. En effet, lorsque la grève durera plusieurs jours, le salarié devra soit avoir anticipé la durée du conflit, soit reprendre son activité, puis de nouveau se plier à la déclaration préalable.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le patron pourra régler la grève lui-même !
M. Roland Ries. Bref, ce cercle vicieux témoigne de l’approximation qui a présidé à l’élaboration du présent texte.
Enfin, la proposition de loi ne répond aucunement aux raisons de la grève qui a eu lieu à Noël dernier, telles que les faibles rémunérations et les conditions de travail précaires des agents de sécurité. Le dispositif proposé va simplement contribuer à braquer les acteurs des transports et bloquer le dialogue que l’on souhaite au sein des entreprises. Il va à l’encontre de la finalité affichée.
M. Roland Courteau. Voilà !
M. Roland Ries. Pour nous, la colère et l’énervement des Français ne justifient aucunement une quelconque remise en cause du droit de grève. Pour prévenir et améliorer ces situations conflictuelles, nous considérons qu’il faut, d’une part, privilégier la piste du dialogue social permettant notamment d’associer davantage les représentants des salariés aux prises de décisions de l’entreprise et, d’autre part, améliorer encore l’information des voyageurs puisque nous disposons aujourd’hui des moyens de les alerter en temps réel des difficultés qu’ils pourront rencontrer sur leur parcours.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ces deux pistes de réflexion ne nécessitent pas l’adoption d’une loi spécifique. Elles supposent une vraie volonté politique de favoriser la négociation sociale tout en développant l’information préalable des voyageurs.
En conclusion, la proposition de loi qui nous est soumise est inutile et dangereuse. C’est pourquoi les membres du groupe socialiste voteront contre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Thierry Mariani, ministre auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé des transports. En effet, madame Procaccia, cette proposition de loi est un texte indispensable, qui répond à la demande et aux préoccupations de nos concitoyens. Elle a pour objet d’organiser et de reconnaître le droit à une information fiable et précise des passagers du transport aérien. Elle vise bien un service garanti aux passagers – j’ai d’ailleurs toujours employé cette expression – et non un service minimum imposé aux salariés. C’est la raison pour laquelle elle a trait à l’ensemble des entreprises du transport aérien, lesquelles sont nombreuses.
Madame le sénateur, je veux saluer l’important travail que vous avez conduit depuis 2007 sur cette question. Je pense que ce texte, en couvrant un champ plus large que les seules liaisons aériennes soumises à obligation de service public, répond à vos préoccupations.
Monsieur Nègre, vous avez eu raison de rappeler que cette proposition de loi n’est en rien un texte de circonstance et n’a aucun lien avec le récent conflit qui a affecté la sûreté aéroportuaire. En témoigne la date de dépôt de la proposition de loi de M. Diard, le 22 novembre, le conflit des agents de sûreté aéroportuaires ayant démarré, quant à lui, au mois de décembre.
Mesdames Pasquet et Schillinger, monsieur Labazée, le présent texte n’est pas une mise en scène pour contourner le droit de grève, auquel je suis particulièrement attaché, comme tous les membres de cet hémicycle.
Il ne s’agit pas non plus, monsieur le rapporteur, de dupliquer le dispositif de la loi de 2007, de mettre en place un service minimum dans les transports aériens et pas davantage de soumettre à l’obligation de déclaration individuelle d’intention l’ensemble des salariés du champ du transport aérien, mais seulement ceux dont l’absence serait de nature à affecter directement la réalisation des vols.
Nous avons non pas l’intention d’entraver le droit de grève, mais, au contraire, d’accorder, comme vous le souhaitez avec raison, monsieur Capo-Canellas, la primauté au dialogue social et à la prévention des conflits, préoccupation que nous pouvons tous partager.
L’objet du présent texte n’est pas de porter le discrédit sur les organisations syndicales ni d’opposer les salariés aux passagers du transport aérien, encore moins de réformer les règles relatives à la réquisition, monsieur le rapporteur. Il s’agit non pas de diviser, mais d’apaiser.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous faites tout le contraire !
M. Thierry Mariani, ministre. Monsieur Fortassin, en séance publique, le président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, M. Méhaignerie, a confirmé les échanges qu’il a eus sur cette proposition de loi avec les membres de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Monsieur Ries, ce texte a fait l’objet de réelles consultations des partenaires sociaux par les rapporteurs, et j’ai moi-même reçu l’intersyndicale. À ce sujet figure dans l’annexe du rapport de M. Diard la liste des vingt-cinq personnes auditionnées par la commission.
Cette proposition de loi, nous le savons tous, n’empêchera en aucun cas les personnels concourant à l’activité des transports aériens de faire grève pour porter leurs revendications, ce qui est tout à fait normal. En revanche, comme vous l’avez souligné, leurs déclarations permettront aux entreprises de connaître à l’avance l’état de leur effectif et aux passagers de savoir enfin, la veille de leur départ, si leur vol est assuré et de gagner un aéroport en ayant une bonne chance de prendre l’avion prévu, sans prendre le risque de passer la nuit dans l’aérogare.
M. Louis Nègre. Très bien !
M. Thierry Mariani, ministre. Il est légitime de chercher à protéger les clients des compagnies aériennes, comme vous l’avez reconnu, monsieur Fortassin. L’une des missions régaliennes de l’État est de veiller au respect de la liberté d’aller et venir en assurant sa conciliation avec le droit de grève.
La réforme proposée aujourd’hui respecte les équilibres indispensables entre ce droit et la sauvegarde de l’ordre public. Elle permettra un dialogue social apaisé, sans pénaliser des milliers, voire des millions de Français et de visiteurs étrangers.
Monsieur Desessard, la présente proposition de loi me paraît donc concilier le respect du droit de grève avec la légitime préoccupation d’assurer la liberté de se déplacer, de préserver la nécessaire sécurité publique dans les aéroports, de ne pas mettre en danger la santé des passagers malades et de donner aux clients des compagnies aériennes une information fiable, précise et gratuite.
À un moment où, en France, nos compagnies aériennes sont dans une situation fragile et très fortement concurrentielle – que les orateurs qui se sont élevés contre l’ouverture du marché m’expliquent comment le transport aérien peut fonctionner sans une telle ouverture sur l’étranger et sur la concurrence ; j’attends leurs solutions –, ce texte constitue peut-être aussi un moyen, parmi d’autres, de leur donner un peu plus de sécurité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, la commission souhaite une suspension de séance de quelques instants afin de pouvoir examiner la motion tendant à opposer la question préalable, déposée après la réunion qu’elle a tenue ce matin.
Mme la présidente. Le Sénat va bien entendu accéder à votre demande, madame la présidente de la commission.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par MM. Labazée et Jeannerot, Mmes Schillinger, Alquier et Campion, MM. Carvounas, Cazeau et Daudigny, Mmes Claireaux, Demontès, Duriez, Génisson et Ghali, MM. Godefroy, Kerdraon, Le Menn et J.C. Leroy, Mmes Meunier et Printz, MM. Teulade, Vergoz, Ries et les membres du groupe socialiste et apparentés, d'une motion n° 40.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports (n° 290, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Georges Labazée, auteur de la motion.
M. Georges Labazée. Je vais reprendre certains des éléments qui ont été avancés par nos collègues, de part et d’autre de l’hémicycle, lors de la discussion générale, pour justifier le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable.
Chacun l’aura compris, ce n’est pas l’instauration d’un délai de prévenance collectif imposé aux syndicats que l’on nous demande aujourd'hui d’examiner. Comme nombre de nos collègues l’ont souligné, c’est une nouvelle restriction du droit de grève individuel que l’on souhaite nous voir adopter. Le contenu de la proposition de loi lui-même ne laisse aucun doute en la matière.
L’article 2 impose aux salariés dont l’absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols de déclarer à leur employeur, quarante-huit heures à l’avance, leur intention de faire grève. Et, comme si cela ne suffisait pas, les députés de la majorité gouvernementale ont instauré un second délai pour les salariés ayant fait part de leur intention de faire grève ou étant en grève : ceux-ci auront désormais l’obligation d’informer leur employeur vingt-quatre heures à l’avance de leur renoncement à faire grève.
Passons sur l’atteinte à la capacité de libre administration des salariés… Il reste qu’un tel dispositif serait inopérant dans le secteur aérien. En effet, il n’est pas possible, en vingt-quatre heures seulement, de réaffecter tant les pilotes sur de nouveaux vols que des agents de maintenance à des tâches annulées préventivement.
Comme plusieurs de nos collègues l’ont démontré, un tel mécanisme risque de conduire à une grève artificielle, qui aurait trois conséquences.
Premièrement, elle entraînerait une perte de salaire pour l’employé, et ce sur l’initiative de l’entreprise.
Deuxièmement, elle conduirait à une augmentation du coût de la grève pour l’entreprise Air France, alors même que celle-ci évalue le coût d’une grève entre 8 millions et 10 millions d’euros par jour.
Troisièmement enfin, et surtout, le dispositif serait totalement incohérent puisque serait disciplinairement sanctionné un employé qui souhaiterait reprendre son service.
Le mécanisme prévu aboutirait à nourrir artificiellement une grève débutée et serait de nature à la faire perdurer, ce que personne ici, de quelque opinion qu’il soit, ne souhaite, me semble-t-il.
Par ailleurs, chacun aura pris la mesure – en tout cas, je l’espère ! – de la complexité du secteur aérien : celui-ci ne compte pas moins de 100 000 salariés, qui travaillent dans plus de 600 entreprises.
Quant au secteur de la sécurité, il compte environ 10 000 salariés, alors que celui des missions d’assistance en dénombre près de 5 000.
Dans les faits, ce texte aurait donc un impact sur plus de 1 000 entreprises aux dimensions et aux missions très diverses.
De plus, les 120 000 salariés concernés par cette remise en cause du droit de grève relèvent de conventions collectives fort différentes.
En fait, cette action n’a d’autre objectif que de contenter les actionnaires de différentes activités du secteur aérien, qui œuvrent partout et en permanence en faveur du moins-disant social. On le voit très bien lorsque l’entreprise Aéroports de Paris lance des appels d’offres : elle opte toujours pour le moins-disant. Or, en bout de course, ce sont les salariés des entreprises de sécurité, ceux qui ont les plus bas salaires, qui sont les premiers visés.
Tel est le contexte dans lequel s’inscrit cette proposition de loi, qui a été déposée certes avant le début du mouvement de grève des agents de sûreté, mais qui a été depuis lors défendue par la majorité de l'Assemblée nationale, en guise de réponse.
D’ailleurs, monsieur le ministre, vous avez reconnu sur une radio, dont je ne citerai pas le nom ici, que, si vous aviez déposé un projet de loi, vous auriez dû respecter l’ensemble du protocole adopté tant par l'Assemblée nationale que par le Sénat en la matière ; ces propos ont été clairement rappelés dans la discussion générale.
C’est pourquoi notre groupe a décidé, en application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, de soumettre au vote de la Haute Assemblée une motion tendant à opposer la question préalable, estimant qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports.
Au-delà des aspects que je viens de rappeler, nous pensons que cette proposition de loi comporte des dispositions de nature à porter gravement atteinte au droit de grève, droit constitutionnel, car sont ici visés des salariés d’entreprises privées du secteur concurrentiel qui n’assument pas une mission de service public.
Aussi, le groupe socialiste vous invite, mes chers collègues, à adopter cette motion, qui mettra un terme à nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)