M. Roland Courteau. En tout cas par certains !
Mme Évelyne Didier. La connaissance et l’humilité resteront toujours le meilleur rempart contre les destructions, tandis que l’indifférence, le mépris et le sentiment de supériorité en seront des catalyseurs. En cela, l’évolution intéressante de la conservation stricte, de la nature mise sous cloche, vers l’application du développement durable par l’association des populations locales, au travers des expériences des parcs naturels régionaux ou des sites Natura 2000, doit continuer à guider notre action.
Sur le plan international, cette année, la conférence d’Hyderabad, en Inde, ainsi que le sommet de « Rio+20 » sont l’occasion de tirer les leçons des échecs des dernières décennies, mais aussi de valoriser les démarches qui ont prouvé leur intérêt et de renforcer les coopérations entre les États et entre les peuples.
Il serait, à mon sens, judicieux aussi d’aborder le sujet de la gouvernance des eaux extraterritoriales, qui a été un échec total depuis un demi-siècle. Près de la moitié de la surface de la terre est soumise à la surexploitation des ressources halieutiques, à la destruction des fonds marins et aux flux massifs de pollutions et de déchets. Il conviendrait de donner un mandat à l’Assemblée générale des Nations unies pour engager des négociations relatives à la conservation des espèces marines en haute mer et, bien entendu, pour créer l’OME.
Enfin, j’aimerais évoquer le rôle que doivent jouer les instruments économiques en matière de biodiversité et soulever la question de la privatisation de cette dernière.
En effet, certaines méthodes, destinées à estimer la valeur de la biodiversité, peuvent légitimement susciter des inquiétudes. Chercher à donner une valeur à la nature – en euros ou en dollars – peut présenter quelques avantages : permettre à la justice de chiffrer certains préjudices, convoquer les acteurs économiques autour de la table et lier des écosystèmes locaux à des bénéfices globaux. C’est aussi et surtout une prise de conscience : ainsi, nous réalisons que la seule valeur d’usage des services fournis par les écosystèmes dépasse de loin toutes les richesses créées par l’homme.
M. Jean Desessard. Très bien ! Bravo !
Mme Évelyne Didier. C’est aussi une leçon d’humilité. Les politiques de conservation et de restauration peuvent souvent produire plus de valeur que des politiques d’exploitation court-termistes et irresponsables dont le petit profit privé cache la destruction considérable de valeur pour la collectivité. Or ces politiques de conservation, de restauration et de gestion durable des milieux nécessitent un engagement de long terme que seul l’État est à même d’assurer.
Tout écosystème détruit est perdu et l’idée de compensation écologique est, à mon sens, une imposture intellectuelle.
M. Joël Labbé. C’est vrai !
Mme Évelyne Didier. C’est vouloir créer un marché des « indulgences » sur la destruction de la biodiversité !
Il faut donc être conscient des dérives possibles : par exemple, les paiements pour services écosystémiques ne signent-ils pas la fin des pratiques désintéressées de conservation ? N’existe-t-il pas un risque de généralisation du chantage écologique du type « Je ne détruis pas ma forêt, mais que me donnez-vous en échange ? »
En vérité, la gratuité est la grande victime de la montée en puissance des représentations marchandes ; mais pourtant, ce qui est gratuit n’est pas sans valeur, bien au contraire. Il s’agit d’un choix de société, d’un investissement pour l’avenir.
Entre la privatisation de la biodiversité et l’édiction d’un prix pour la nature, pourquoi ne pas envisager une reprise en main par les citoyens, adopter une gestion collective et durable des biens communs, sortir la notion de gratuité de l’ornière marchande dans laquelle le capitalisme l’a placée ? La biodiversité doit rester ce bien commun accessible à tous, selon des règles acceptées par tous.
Mes chers collègues, ne laissons pas le vivant devenir l’objet de transactions sordides ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que la biodiversité est essentielle à la survie de l’homme sur la terre, elle est souvent négligée au profit de sujets tels que les énergies renouvelables. Pourtant, c’est bien la protection de la biodiversité qui est l’enjeu majeur, car, sans cette dernière, il n’y a pas de survie possible de l’homme sur la planète.
C’est une action à long terme qui doit nécessairement être engagée aujourd’hui, car, s’agissant de l’évolution spontanée du vivant, l’unité de temps est de plusieurs milliers d’années. Si, au cours des deux siècles et demi, au maximum, qui nous séparent du début de la révolution industrielle, la biodiversité a été terriblement malmenée, sa reconstitution prendra nécessairement beaucoup plus de temps.
Préserver la biodiversité, c’est convenir que les interactions et interdépendances entre les éléments de la faune et de la flore deviennent une priorité. Cet équilibre naturel nous apporte des éléments vitaux tels que l’oxygène, la nourriture, l’eau et contribue à la régulation climatique, ce qui diminue les effets des événements extrêmes comme ceux de la sécheresse et des inondations.
Notre développement économique et social, nous le devons aussi à la biodiversité, qui nous fournit nombre des matières premières nécessaires aux différents secteurs de l’activité humaine et, tout simplement, à notre survie. Il a pourtant fallu attendre la convention mondiale sur la biodiversité adoptée à Rio en 1992 pour qu’on la considère enfin comme une ressource vitale !
En dépit des actions menées depuis vingt ans, les scientifiques estiment que le taux d’extinction des espèces est actuellement de cent à mille fois plus élevé qu’au cours des temps géologiques passés. C’est pourquoi ils lancent un cri d’alarme à l’humanité.
La France a une responsabilité tout à fait particulière dans la préservation de la biodiversité, car elle se situe au huitième rang mondial des pays dont les espèces sont menacées en plus grand nombre. L’outre-mer doit faire l’objet d’une attention toute particulière, les quatre cinquièmes de la biodiversité française étant situés sur ces territoires : 7 millions d’hectares de forêt tropicale, 10 % des récifs coralliens et lagons et 20 % des atolls du monde.
Mes chers collègues, nous serons nombreux ce soir à décrire un état des lieux accablant et à déplorer une biodiversité qui ne cesse de se dégrader. Or nous savons tous que l’homme porte une lourde responsabilité à cet égard.
L’artificialisation des sols en est un exemple. Elle progresse en France quatre fois plus rapidement que la croissance démographique, rongeant les milieux naturels et privant beaucoup d’espèces de leur habitat. Cela a été dit, l’urbanisation détruit les habitats tels que les « zones humides » – étangs, marais, etc. –, qui hébergent une très grande biodiversité, contribuent à la qualité des eaux et à la régulation des cours d’eau. Or, depuis le début du XXe siècle, 67 % des zones humides ont disparu à cause d’une urbanisation non maîtrisée.
L’agriculture intensive, les pollutions de toutes sortes et la surexploitation des ressources naturelles – l’exemple de la pêche est souvent cité – aggravent cet état des lieux.
À cela s’ajoutent les effets dévastateurs du changement climatique, qui provoquent des chocs sur les écosystèmes et les paysages, entraînant le déplacement de certaines espèces, voire leur disparition pure et simple.
Ainsi, on sait aujourd'hui qu’une partie de la biodiversité marine est menacée par l’acidification des océans, qui a augmenté de 30 % depuis l’ère préindustrielle.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Raymond Vall. Ce phénomène est lié à l’absorption par les océans d’un quart des gaz à effet de serre émis par les activités humaines.
M. Jean Desessard. Exactement !
M. Raymond Vall. Le réchauffement climatique est trop brutal et continue à s’accélérer. Or cette accélération n’est pas compatible avec le temps d’adaptation des espèces, dont l’espèce humaine.
La protection des milieux naturels contribue à garantir une meilleure survie des espèces, en facilitant leur adaptation. Sur ce point, il faudra veiller à ce que la feuille de route adoptée à Durban en décembre dernier parvienne à mettre en place un engagement contraignant,…
Mme Évelyne Didier. C’est mal parti !
M. Raymond Vall. … même si l’on sait déjà que l’objectif de limitation de la hausse des températures à 2 degrés centigrades ne sera pas atteint.
La non-maîtrise de ces effets sur la biodiversité aura aussi des conséquences économiques. Selon l’ONERC, l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, leur coût représenterait approximativement 7 % du PIB mondial d’ici à 2050.
Certes, des efforts ont été accomplis au cours des vingt dernières années, avec la création de zones gérées telles que les forêts, les parcs naturels régionaux ou les espaces naturels sensibles. Toutefois, une réflexion doit être menée pour en améliorer la gestion et anticiper le changement climatique dans une vision dynamique.
La connaissance de la biodiversité se développe, mais 1,8 million d’espèces seulement sont répertoriées, alors qu’il en existerait plus de 10 millions. L’immense travail qu’il reste à faire doit mobiliser tous les citoyens. D’ailleurs, certains bénévoles sont déjà au travail. À ce titre, le Muséum national d’histoire naturelle propose des formations pour les aider à identifier les différentes espèces, ainsi que des guides méthodologiques.
L’adaptation au changement climatique se traduira par des migrations d’espèces, qui nous imposent la préservation des zones de transition que constituent les barrières de corail, les zones humides ou les zones côtières. Toutefois, je le répète, tout cela exige que nous sachions prendre des décisions importantes.
Avec la Stratégie nationale pour la biodiversité 2011-2020, présentée le 19 mai dernier, l’État s’est engagé à intégrer la biodiversité dans des politiques sectorielles et à renforcer la connaissance de la biodiversité. Cette démarche concerne tous les acteurs de la société civile : les collectivités territoriales, les associations, les ONG.
À cet égard, il convient de saluer la mobilisation de la société civile, qui vient de présenter soixante-deux projets innovants visant à protéger la nature. La réhabilitation des zones humides bénéficiera d’un financement de 10 millions d’euros.
L’impact des activités humaines sur les éléments ou les milieux naturels peut aussi être limité par une meilleure prise en compte de l’aménagement du territoire.
Ainsi que l’a souligné M. Dantec, la trame verte et bleue prévue par le Grenelle de l’environnement intègre la préservation de la biodiversité dans les documents locaux d’urbanisme, ce qui est une très bonne chose. Pour autant, il sera nécessaire de surveiller ces espaces et de les gérer pour prévenir les risques de prolifération d’espèces invasives.
Le prochain rendez-vous international « Rio+20 », en juin 2012, est une occasion qu’il ne faut évidemment pas manquer.
Il est grand temps de considérer que nous sommes arrivés à une situation d’urgence, qui impose la planification d’actions concrètes tendant à maîtriser la situation aggravée que nous connaissons et que plus personne ne conteste.
La mise en œuvre des trois conventions de Rio sur le climat, la biodiversité et la désertification a pris du retard. Aussi sommes-nous aujourd'hui face à un nouveau défi, celui de l’adaptation aux conditions nouvelles de notre siècle, de l’accès à l’énergie, de la préservation des océans, de la sécurité alimentaire ou encore de la maîtrise de l’urbanisme, bref, de la sécurité de l’homme en général. Ce défi, nous devons le relever.
À la veille de l’ouverture du sommet de Rio, le moment est venu de mobiliser tous les citoyens en vue d’engager des actions concrètes, afin de respecter le principe 10 de la déclaration finale du sommet de Rio de 1992 selon lequel « la meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient ».
Nous sommes, ici, dans cette assemblée, particulièrement concernés par cet appel de la société civile. Faute de cette mobilisation, les sommets se succéderont sans produire de réelles avancées. Cela a été dit lors de tous les débats relatifs à l’environnement, les parlementaires ont un rôle important à jouer, et les membres de la Haute Assemblée doivent se mobiliser. En effet, la société civile a compris que nous pouvions avoir une influence sur ces conférences et que nous étions des relais indispensables dans cette prise de conscience, qui doit être réelle, profonde, car la préservation de la biodiversité ne saurait être séparée de l’existence même de l’homme. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert. (M. Rémy Pointereau applaudit.)
M. Alain Houpert. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir débattu cet après-midi de la lutte contre la prolifération du frelon asiatique, nous nous intéressons à la problématique de la biodiversité, ce dont je me félicite. Je suis heureux que notre société prométhéenne, où l’homme s’est pris pour un dieu, perçoive aujourd'hui ses limites et comprenne que la richesse est dans la différence.
M. Jean Desessard. Bravo !
M. Alain Houpert. Je tiens ici à remercier nos collègues du groupe écologiste d’avoir pris l’initiative de ce débat, qui est essentiel.
Il est un paradoxe propre à notre temps : alors que notre société s’efforce de mieux prendre en compte la diversité politique en favorisant notamment le pluralisme au sein de nos institutions, le progrès économique et social semble avoir oublié de protéger la diversité biologique du monde qui nous entoure.
Force est de constater une prise de conscience globale. Par une meilleure diffusion des connaissances scientifiques et techniques, la biodiversité s’est de nouveau imposée au cœur de nos débats publics. La question de la biodiversité est sortie des cénacles de spécialistes : c’est désormais une préoccupation universelle. C’est bien le sens qu’il convient de donne au fait que l’année 2010 ait été érigée par l’UNESCO comme année de la biodiversité.
Ce surgissement de la biodiversité dans la conscience de l’humanité est en réalité l’expression d’une urgence et d’une angoisse. Tous nos concitoyens ont pu observer l’appauvrissement rapide de notre environnement.
Voilà une génération, nos campagnes françaises étaient riches d’une petite faune et d’une flore qui ne sont plus.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Alain Houpert. Mais la question de la biodiversité dépasse largement le cadre de nos campagnes : elle se pose de manière urgente à l’échelle de la Terre.
En effet, les scientifiques enregistrent partout sur la planète une altération significative des écosystèmes, que ce soit au fond des océans ou au cœur des forêts, sur les pôles ou sous les tropiques.
Depuis le 1er janvier dernier, à cette heure, on estime à 2 788 le nombre d’espèces connues qui ont disparu. Près de 20 % des récifs coralliens et 6 millions d’hectares de forêts primaires ont été détruits. Selon les Nations unies, le taux d’extinction des espèces serait mille fois supérieur à la normale. De surcroît, cette tendance est renforcée par le réchauffement du climat.
Cette remise en cause de la biodiversité semble avoir des causes évidentes, et, parmi elles, d’abord, l’explosion de la population humaine.
La santé démographique de l’homme a bousculé l’ordre du monde. Elle bousculait jusqu’alors les équilibres internationaux, incitant les États à s’élargir géographiquement afin de disposer des ressources suffisantes pour leurs populations. Le pluralisme politique et le renforcement des instances internationales ont toutefois contribué à instaurer, avec plus ou moins de succès, les conditions d’une paix durable dans le monde.
Pour accéder aux ressources, le libre-échange a constitué la voie privilégiée. Tant mieux ! Mais cet échange a aussi favorisé l’uniformisation de l’offre et de la demande, au détriment de la biodiversité.
Par ailleurs, un phénomène concomitant a renforcé cette tendance à l’appauvrissement de la biodiversité. En effet, la massification des échanges et l’accès du plus grand nombre à des conditions de vie décentes ont provoqué d’importantes pollutions, affectant directement la biodiversité. L’industrialisation à outrance a en effet diminué grandement la qualité de l’eau et de l’air, mais aussi celle des aliments.
Enfin et surtout, il faut bien admettre que l’exploitation des connaissances scientifiques a eu, pour une part, une influence très négative sur le maintien de la biodiversité. Je pense en particulier à l’exploitation des connaissances du génome et à leur appropriation.
Le développement de la recherche génétique, qui avait pour principal objectif de nourrir la planète, a donné lieu à des abus tendant à « verrouiller » l’offre de semences. Il résulte de ces facteurs une certaine inclination à penser que l’homme est fautif, seul responsable de l’appauvrissement, voire de l’extinction de la biodiversité. Mais ne serait-ce pas aller trop vite en besogne ?
Relever le défi de la biodiversité ne saurait seulement consister à faire de l’humanité le cœur du problème. Je crois, bien au contraire, que nous relèverons ce défi primordial en mettant l’homme au cœur de la solution.
Alors que le thème de la « décroissance » fleurit dans le débat, il convient de rappeler certaines prémisses essentielles.
Premièrement, la croissance démographique de l’humanité n’est pas en soi un problème.
Deuxièmement, tous les hommes ont droit à accéder à des conditions de vie décentes et, d’abord, à pouvoir manger à leur faim.
Mme Évelyne Didier. C’est vrai !
M. Alain Houpert. Il en va ainsi des populations qui regardent vers notre Occident.
Troisièmement, enfin, l’homme a toujours su s’adapter à un environnement changeant, car il est doué de raison.
M. Jean Desessard. C’est pourquoi nous sommes là !
M. Alain Houpert. Surmonter l’appauvrissement accéléré de la biodiversité n’est donc possible qu’en faisant confiance à l’humanité elle-même. Oui, les responsables publics doivent tracer un chemin pour favoriser le maintien de la biodiversité, en mettant l’homme au cœur de cette ambition. Pris d’une inquiétude légitime, tant le pouvoir législatif que le pouvoir réglementaire ont multiplié les mesures contraignantes en faveur de la biodiversité.
Préserver, c’est être à la hauteur et développer, tout en se développant aussi. Car nous sommes guettés par l’excès de zèle, au risque de tomber dans l’hypocrisie, en se posant pour le développement, mais contre une humanité de projets.
Selon certains, la stratégie en matière d’environnement consiste à dire que l’on n’a pas le choix. À l’opposé, j’estime que la politique vise précisément à créer des choix, des possibles. Saint-Exupéry disait : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. »
Certes, il y a eu des déficits de responsabilité, mais aucune loi ne permet par elle-même de venir à bout des négligences humaines.
La question de la biodiversité ne trouvera pas de solution dans un retour vers le passé, dans le pessimisme. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, de la spontanéité, de la création, de la différenciation.
D’ailleurs, n’y a-t-il pas un déficit de représentation de la nature ? Nous avons sans doute un peu trop tendance à regarder la nature comme on regarde la finance : les crises partout, l’espoir nulle part. Si le climat avait été une banque, on l’aurait peut-être sauvé depuis longtemps ! Mais il a manqué beaucoup de « bon sens paysan » aux financiers.
M. Rémy Pointereau. Ça, c’est bien vrai !
M. Alain Houpert. Là où les financiers se sont précipités, nous surmonterons le défi de la biodiversité avec du bon sens paysan et du bon sens politique. L’important est d’avancer d’un pas sûr, qu’il s’agisse d’un pas de paysan ou d’un pas de sénateur. La lenteur a du bon, mes chers collègues ! (Sourires.)
J’ai une conviction : il faut rechercher le progrès non pas dans la rupture, mais en jouant sur la progressivité, car les mesures radicales ne sont ni acceptées ni comprises. Et dénigrer tout ce qui marche, tout ce que nous avons fait, ne nous grandirait pas ! Il faut en revenir aux hommes et les écouter. Comme on dit en Bourgogne, « entendre de ses yeux permet de mieux voir ».
En matière d’environnement, nous avons besoin de fondements solides pour un dialogue renouvelé. Il y a des messages qui ne peuvent être portés que par certains. Pour pouvoir demander à un agriculteur de diminuer ses intrants, encore faut-il partager avec lui un ancrage territorial. Un message délivré hors-sol serait vide. Il serait perçu comme un prêche de nouveaux convertis « émotionnés » par un monde qu’ils ne connaissent pas et dont ils découvrent la grande beauté.
Chers collègues, quand, comme moi, on vit à la campagne, à la vue de la voûte étoilée, des galaxies qui se dessinent, on constate que l’on n’est pas seul.
Telle est la réalité. Telles sont les bases d’un échange durable et constructif. Les racines les plus profondes donnent les branches les plus étendues. Elles permettent de trouver la sérénité pour se tourner vers l’avenir.
En matière de biodiversité, il ne faut pas seulement regarder le passé ; il faut aussi accepter l’évolution et l’accompagner en recherchant des signes d’espoir. « Car nous n’avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous sommes à la recherche de la cité future », rappelle l’Épître aux Hébreux du Nouveau Testament.
Je conclurai par quelques mots d’espérance : les écosystèmes disparus seront sans doute remplacés par de nouveaux.
M. Jean Desessard. Lesquels ?
M. Alain Houpert. Il faut cesser de jeter l’anathème et avoir l’espérance du chercheur. Cette espérance, ce n’est pas seulement une confiance aveugle dans la recherche scientifique ; c’est une attitude philosophique. Aristote ne disait-il pas en ce sens : « L’espérance est le songe d’un homme éveillé » ?
Mes chers collègues, l’homme s’est pris pour Prométhée. Nous avons créé des apprentis sorciers de la finance, laquelle est devenue notre seule boussole, et de la science. Mais « science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »
Chers collègues, je ne suis ni optimiste, ni pessimiste ; je suis déterminé. Soyons déterminés à rester maîtres de nous-mêmes, à rester maîtres de notre destin.
La solution n’est ni dans l’anathème ni dans la recherche de coupables. Elle est de trouver ensemble les remèdes et de faire en sorte qu’ils ne soient pas pires que le mal.
Tout effort humain est voué à l’archéologie. Notre planète, nous la protégerons ensemble, dans l’échange. Nous ne sommes qu’usufruitiers de notre terre nourricière ; nous ne faisons que l’emprunter aux générations futures. Nous n’en sommes pas propriétaires : c’est elle qui nous possède.
Chers collègues, c’est par l’esprit que nous trouverons la solution. (M. Rémy Pointereau applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, c’est tout à la fois un grand plaisir et un grand honneur d’intervenir dans ce débat. J’en profite pour saluer les différents acteurs de la biodiversité présents ce soir. Cela étant, je constate, non pas avec honte – le terme serait un peu excessif –, mais avec dépit la faible représentation numérique au sein de la Haute Assemblée ce soir…
M. Rémy Pointereau. Mais elle est de qualité ! (Sourires.)
M. Jean-Vincent Placé. Malgré tout, je tiens à me réjouir de la présence de sénatrices et sénateurs intéressés par ce débat primordial !
Je le relève à mon tour, après Ronan Dantec, dont je salue le talent, la compétence, la culture, les propos pertinents et touchants, le déclin de la biodiversité est alarmant. Encore plus qu’hier, il est urgent d’agir aujourd’hui.
En tant que fondateur et ancien président de Natureparif, l’agence régionale pour la nature et la biodiversité en Île-de-France, j’ai pu observer l’ampleur de la tâche qui nous incombe, à nous acteurs publics.
Mais qu’est-ce que la biodiversité ? En effet, tel est bien le débat ! Ce n’est pas une « lubie d’écolo ». La biodiversité n’est pas limitée à quelques espèces emblématiques de faune ou de flore qu’il faudrait protéger comme les derniers vestiges d’une vie passée.
Dans notre esprit, il s’agit, en réalité, de la diversité biologique grâce à laquelle nous pouvons nous nourrir, nous vêtir, fertiliser naturellement les sols, résister aux phénomènes naturels, absorber le CO2, diversifier les paysages, notamment.
La biodiversité est omniprésente et a des conséquences directes sur toute la société, bien au-delà de nos frontières.
La nature, riche et belle de cette richesse, je voudrais qu’on la préserve parce qu’on l’aime. Étant, vous le savez, un pragmatique,...
M. Rémy Pointereau. Enfin un !
M. Jacques Mézard. Réaliste !
M. Jean-Vincent Placé. ... je voudrais insister sur les raisons pour lesquelles protéger la biodiversité est non pas un choix, ni même une option, mais une nécessité !
Les travaux réalisés dans le cadre de l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire ont permis de définir les concepts extrêmement intéressants de « services écologiques » et de « services écosystémiques », qui mettent en lumière à quel point la biodiversité est présente dans nos vies. Par ces expressions, il faut entendre les bénéfices que les humains tirent de la nature, de manière directe ou indirecte. Il s’agit de défendre la nature non seulement en tant que telle, mais aussi en raison de ce qu’elle nous apporte.
La biodiversité est inestimable. Pour autant, cette richesse est exploitée par les entreprises sans qu’elles en subissent les coûts.
Le rapport du groupe de travail présidé par Bernard Chevassus-au-Louis et intitulé Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes détaille les enjeux socioéconomiques majeurs que représente, pour la France, la biodiversité, ainsi que la valeur des services écosystémiques pour aujourd’hui et, encore plus, pour demain.
Notre président de la République, après une petite période écolo virtuelle, nous a fait part de son sentiment final, lequel, je crois, est le plus sincère : « L’environnement, ça commence à bien faire ! » Comme sur d’autres sujets, je dirai non pas qu’il est à côté de la plaque – ce serait trivial –, mais qu’il n’est pas à la hauteur des enjeux !
D’une part, les pertes irremplaçables des services écosystémiques vont conduire naturellement à une augmentation des prix que supporteront les consommateurs. Que je sache, le chef de l’État s’intéresse encore, au moins dans les discours, au pouvoir d’achat, aux finances publiques... Peut-on aujourd’hui évaluer les conséquences des bois et forêts dévastés ?
D’autre part, les dégâts résultant de la perte de la biodiversité doivent être supportés ou compensés par la société et donc par les contribuables.
Qu’il s’agisse du pouvoir d’achat ou des finances publiques, tous deux ont des conséquences sur la biodiversité. Et la réciproque est vraie.
Au-delà de ces considérations, la biodiversité a également des impacts sociaux. Que ce soit en ville ou à la campagne, chacun sent intuitivement qu’un environnement est sain quand il côtoie insectes, oiseaux, poissons ou toutes sortes de fleurs. Les ménages sont à la recherche d’un cadre de vie naturel, de meilleure qualité et apaisé. Tel est le cas, par exemple, dans mon département, l’Essonne, avec le parc naturel régional du Gâtinais français, que je connais bien.
Le cadre de vie a surtout des effets sur la santé. La dimension environnementale des maladies cardiovasculaires est largement méconnue. Pourtant, près de cinq cents études scientifiques récentes mettent en évidence les multiples liens entre environnement, biodiversité et maladies cardiovasculaires. Le fait de vivre en milieu vert réduit de moitié la différence de mortalité cardiaque entre les plus modestes et les plus riches !
Enjeux économiques, finances publiques, équité sociale : on le constate, la biodiversité ne concerne pas seulement les amoureux de la nature ; elle concerne en priorité l’État, les acteurs publics et privés.
Pourtant, le Gouvernement ne semble pas avoir pris la mesure de l’enjeu. Que fait-il pour protéger la biodiversité dont nous dépendons ? Que fait-il pour changer la perception et les pratiques des industriels ?
Comment pouvez-vous, madame la ministre, même si vous êtes souriante si tardivement,...