M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall, membre du groupe de travail « Négociations internationales – Climat et environnement ». Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente du groupe de travail, mes chers collègues, quel était l’objectif de Durban et pourquoi cette conférence était-elle importante dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
En décembre dernier, comme chaque année, les 183 pays membres de l’Organisation des Nations Unies se sont réunis pour discuter des problèmes liés au changement climatique, mais, cette année, ils devaient résoudre un problème particulier : le protocole de Kyoto cessant de produire ses effets à la fin de 2012, rien n’était prévu pour lutter contre le réchauffement après cette date.
Ce protocole historique a été mis en place en 1997, lorsqu’il n’a plus fait de doute que l’activité humaine réchauffait la planète et que ce réchauffement aurait des conséquences catastrophiques.
En signant ce traité, trente-sept pays industrialisés se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 5 % par rapport à leur niveau de 1990 à la fin de 2012.
Comme c’est en faisant tourner nos usines, rouler nos voitures et chauffer nos maisons que nous produisons des gaz à effet de serre, nous avons dû consentir d’importants efforts pour atteindre cet objectif.
La poursuite de ces efforts demeurera nécessaire après 2012, mais, à Durban, seuls quelques pays – ceux de l’Union européenne, la Nouvelle-Zélande et l’Australie – ont accepté, en signant Kyoto II, de se fixer de nouveaux objectifs pour les prochaines années.
Deux grands pays émetteurs de gaz à effet de serre, le Japon et la Russie, ont en revanche annoncé leur sortie de l’accord en 2013.
Quant aux États-Unis, premiers émetteurs de CO2 de la planète jusqu’en 2008, ils ont toujours refusé de signer le protocole de Kyoto, rejetant toute contrainte qui pourrait freiner leur croissance ; ils n’ont pas changé de position à Durban.
Le coup de théâtre est venu du Canada, qui, signataire du protocole de Kyoto, n’a pas signé Kyoto II. Pis encore, deux jours après la fin de la conférence, ce pays annonçait sa sortie du protocole, sans même attendre la fin de l’année !
Pour autant, la conférence de Durban est-elle un fiasco complet ?
Heureusement, il y a aussi des raisons d’espérer ! À Durban, pour la première fois, la totalité ou presque des pays de la planète, y compris le Canada et les États-Unis, se sont engagés à signer un nouvel accord qui prendra le relais du protocole de Kyoto en 2020, soit dans huit ans. À cette date, on nous le promet, le monde entier se pliera donc aux contraintes du nouveau traité. C’est un vrai progrès.
Seuls quelques pays développés sont aujourd’hui tenus de réduire, en vertu du protocole de Kyoto, leurs émissions de gaz à effet de serre. En 1997, on considérait en effet que ces pays avaient une dette historique envers les autres, leur richesse actuelle, fruit de leur croissance passée, s’étant accumulée alors que les émissions de gaz à effet de serre ne constituaient pas encore une préoccupation.
Force est de constater que, depuis lors, le paysage économique a bien changé. Certains pays alors considérés « en développement », la Chine en tête, se sont en effet développés d’une manière phénoménale, devenant des géants industriels.
En 2008, la Chine est ainsi devenue le premier émetteur de gaz à effet de serre, devant les États-Unis ! Aujourd’hui, les pays en voie de développement sont responsables de plus de la moitié des émissions mondiales. Leur implication est donc indispensable pour freiner le réchauffement climatique.
Avant Durban, ces pays avaient toujours refusé de prendre des engagements dans ce domaine, au prétexte que ceux-ci freineraient leur développement et les empêcheraient d’atteindre le niveau de vie des occidentaux.
À Durban, la Chine, consciente de ses nouvelles responsabilités, et sans doute inquiète aussi des conséquences catastrophiques du réchauffement climatique, a changé d’avis. Elle a signé l’accord proposé par l’Europe et entraîné dans son sillage l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, et même les États-Unis.
Pour autant, que va-t-on faire pour le climat d’ici à 2020 ?
D’ici à 2020, les pays signataires auront eu le temps d’oublier leurs promesses, mais, même s’ils les tiennent, nous avons devant nous huit années « sacrifiées » durant lesquelles aucun traité international ne s’appliquera !
Certes, de tels engagements volontaires, fixés par les pays eux-mêmes en dehors de tout contrôle international et en l’absence de pénalités en cas de non-respect, ne sont que des promesses en l’air, mais, dans le monde de la diplomatie comme ailleurs, il importe de tenir ses promesses.
Il est vrai que les Américains n’ont pas pris trop de risques : ils se sont engagés à réduire d’ici à 2020 leurs émissions annuelles de gaz à effet de serre de 17 % par rapport à 2005, année pendant laquelle leurs émissions ont justement atteint des records mondiaux. Ils proposent ainsi d’en revenir à peu près au niveau de 1990 : on est loin de la diminution de 5 % prévue par le protocole de Kyoto et de celle de 20 % que l’Europe espère atteindre en 2020 !
Toujours parmi les États qui n’ont pas signé le protocole de Kyoto, les pays émergents sont, eux, plus ambitieux.
La Chine s’est engagée à faire baisser de 42 % son intensité carbone d’ici à 2020, ce qui signifie que dans huit ans, pour produire une même quantité de biens, ses usines consommeront 42 % d’hydrocarbures en moins, et non pas que les émissions totales de ce pays chuteront. Un doublement de la production des industries chinoises est en effet prévu d’ici à 2020. Toutefois, l’effort est bien réel. Il repose surtout sur le développement des énergies renouvelables, domaine dans lequel la Chine, qui va produire 45 % de son énergie à partir de sources renouvelables, via la construction de barrages hydroélectriques et la production de biocarburants, et le Brésil vont devenir leaders mondiaux.
Que fera quant à elle l’Europe d’ici à 2020 ?
Au-delà du respect de ses propres engagements relatifs à la réduction des émissions de CO2, l’Europe peut contribuer à faciliter la mise en œuvre des mécanismes prévus dans le traité pour favoriser le développement d’énergies vertes partout dans le monde. Elle accomplira ce faisant un beau geste de solidarité planétaire.
Pour atteindre leurs objectifs, les pays signataires ont en effet deux possibilités : d’une part, transformer leurs industries de sorte qu’elles émettent moins de gaz à effet de serre, ce qu’ils devront faire en toute hypothèse ; d’autre part, investir à l’étranger dans des projets d’énergie renouvelable.
Par ce second biais, les pays européens favorisent le développement des énergies vertes dans des pays qui, seuls, n’auraient pas les moyens de le faire et qui, sans cette aide, devraient développer leur industrie en utilisant des hydrocarbures, donc en augmentant leurs émissions de gaz à effet de serre.
A-t-on encore une chance de limiter le réchauffement à 2 degrés, comme ne cessent de le préconiser, avec raison, les scientifiques ?
Au vu des décisions prises lors de la conférence de Durban, où notre délégation, comme cela a été souligné, a fait preuve d’une forte implication et d’une grande efficacité, certains scientifiques, parmi lesquels Jean Jouzel, répondent que c’est impossible.
Ce seuil de 2 degrés au-delà des températures préindustrielles du début du XIXe siècle a pourtant été défini comme la limite à ne pas dépasser pour que les conséquences du réchauffement climatiques restent « raisonnables ».
Bien sûr, ces 2 petits degrés auront déjà à eux seuls pour conséquence une augmentation du niveau des mers et l’accroissement du nombre des tempêtes, des sécheresses et des inondations, mais les changements induits devraient être suffisamment modérés pour que nous ayons la capacité de nous y adapter à moindre frais. Au-delà, l’impact du réchauffement sera plus important, et sans doute beaucoup plus catastrophique.
Trois rapports établis par des climatologues, des économistes et des énergéticiens ont abouti à la même conclusion. Pour rester dans la limite du réchauffement de 2 degrés, il faudrait que les émissions mondiales de gaz à effet de serre atteignent leur valeur maximale en 2020, décroissent ensuite très vite, puis atteignent, en 2050, un niveau trois fois plus faible qu’à l’heure actuelle. Or, à Durban, il a été décidé de ne rien faire jusqu’en 2020 !
L’objectif de la limitation du réchauffement à 2 degrés étant donc impossible à atteindre, jusqu’où le thermomètre montera-t-il donc ? Selon les experts, le pic des émissions n’aura pas lieu avant 2035. Compte tenu de l’évolution actuelle, le réchauffement pourrait alors atteindre, hélas ! 3,5 degrés.
Face à ce constat, il nous faut réformer en urgence notre modèle économique pour préserver – impérieuse nécessité ! – les ressources de la planète. Pour ce faire, nous devons éviter tout gaspillage inutile, ce qui suppose d’adopter un mode de vie plus sobre, mais pas moins heureux.
Le partage équitable des richesses entre tous les habitants de la planète est une mutation qui implique de prendre en compte les données du monde actuel, tout en recherchant des solutions réalistes au problème de l’énergie.
L’avenir de l’humanité impose de s’engager dans une telle démarche avec beaucoup de volontarisme. Gandhi disait, et ce sera ma conclusion, que la terre dispose de suffisamment de ressources pour satisfaire les besoins de chacun, mais pas l’avidité de tous. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après chaque sommet international, on nous sert la même litanie : le pire aurait été évité et le dispositif sauvé.
Cette stratégie contribue à entretenir l’esprit de résignation ou l’illusion selon laquelle les problèmes seraient en voie de résolution alors même qu’ils s’accroissent.
Un petit pas a été fait, nous dit-on : il suffit de faire preuve d’un peu de persévérance et de patience, de poursuivre dans la même direction, et nous finirons par régler les problèmes. C’est là que réside l’erreur d’analyse.
De la patience et de la détermination, il en faut à coup sûr ! Quant au fait de persévérer dans la même direction, c’est sans doute une fausse piste ; en tout cas, ce n’est pas ainsi que l’on réglera les problèmes.
Nous avons déjà entendu ce discours à propos du sommet de Copenhague, que l’on se refusait à qualifier d’échec : une petite étape avait été franchie, nous expliquait-on, et nous allions en franchir d’autres.
Selon le Président de la République – mais il n’était pas seul à tenir ce discours –, il s’agissait même d’une grande avancée, en tout cas sur le plan formel, tous les pays ayant reconnu qu’il fallait prendre des mesures pour limiter le réchauffement climatique à 2 degrés au maximum.
Aujourd'hui, nous ne pouvons que constater que les décisions prises ne sont pas mises en œuvre et que le réchauffement dépassera cette limite.
M. Jean-Claude Lenoir. Pas à cause de l’Europe !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mon cher collègue, je n’ai désigné ni de coupables ni même de responsables ! (Sourires.) Je fais simplement un constat.
À Copenhague, des aides aux pays les plus pauvres avaient par ailleurs été promises, soit 10 milliards d’euros sur trois ans et 100 milliards d’euros à l’horizon de 2020, afin de soutenir leur effort de développement durable.
Avait également été annoncée la mise en place d’un groupe de réflexion de haut niveau sur les nouveaux modes de financement, car il était apparu que la simple dotation par les États d’un fonds pour les pays en voie de développement n’était pas suffisante. Toute une série de stratégies nous étaient présentées : certains proposaient d’instaurer une taxation des transactions financières, d’autres de taxer le fuel... Rien de tout cela n’a été fait.
Les États, comme ils s’y étaient engagés, ont fourni des objectifs chiffrés pour l’horizon 2020 : le bilan montre que l’on est très loin du compte, et aucun engagement n’a été pris pour 2050 !
La création d’une organisation mondiale de l’environnement n’étant, au mieux, qu’une perspective, le Président de la République avait annoncé une mobilisation en vue de la mise en place d’une organisation européenne de l’environnement, autre, bien sûr, que l’Agence européenne pour l’environnement et conçue comme une structure volontariste destinée à accompagner les politiques en la matière. Sur ce dossier encore, on n’a pas avancé d’un pouce…
La conférence de Durban a-t-elle permis de progresser ?
Les orateurs les plus optimistes ont soutenu que l’on avait plutôt avancé puisque, grand miracle, on n’avait pas reculé, les promesses de Copenhague ayant été réitérées ; mais, à y regarder de plus près, il faut constater que la réalité est plus nuancée.
Oui, s’agissant de la gouvernance, il semblerait qu’ait été retenu le principe, très ambigu au demeurant, d’un accord juridique « liant ». Or on sait pertinemment que, hormis ceux de l’Union européenne, la plupart des grands pays, qui comme tels sont en mesure de bloquer les décisions, ne veulent pas d’un accord juridique contraignant. C’est ainsi la position de principe des États-Unis, position que même le président Obama n’a jamais remise en cause, et la Chine, pas plus que les États-Unis, n’acceptera d’être jugée par une instance mondiale.
Nous sommes donc sortis d’un protocole qui comprenait, quoi qu’on en dise, une part de contraintes acceptées pour adopter le principe d’un acte juridique peut-être « liant » mais dont le non-respect fera l’objet d’une sanction nulle ! Il s’agit d’un recul de fait par rapport au protocole de Kyoto.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il est dommage que vous n’ayez pas été présente à Durban : vous ne diriez pas la même chose !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame Des Esgaulx, je suis les négociations au niveau européen depuis 1984 et j’ai assisté à toutes les rencontres sur le climat. Je connais donc bien les différents acteurs, ce qui m’autorise à vous dire que mon diagnostic est partagé.
Inutile de nous faire accroire que nous parviendrons à un accord contraignant, nous n’y arriverons pas ! Nous n’arrivons même pas à nous mettre d’accord sur des contraintes à l’échelle européenne.
Par ailleurs, je l’ai dit, nous ne disposons toujours pas d’objectifs quantifiés pour 2050.
Que l’échéance ait été reportée serait une grande avancée, et, certes, cela vaut mieux que de voir un pays fermer la porte aux négociations climatiques, quand bien même j’attends de voir quel pays le ferait, mais je rappelle que le même scénario s’était produit pour Kyoto : déjà, nous avions reporté l’échéance pour la conclusion de l’accord que nous nous étions engagés à trouver !
Nous assistons en réalité à une fuite en avant…
M. Jean-Claude Lenoir. Allons !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … et nous n’avons aucune raison de penser qu’en 2015 nous disposerons d’un accord susceptible de fixer des objectifs pour 2050.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous êtes systématiquement négative !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le protocole de Kyoto serait prolongé ? Vaste foutaise ! D’abord, ni la Russie, ni les États-Unis, ni le Japon, ni le Canada ne l’appliqueront ! Ensuite, plus subtilement – le diable se cache dans les détails ! –, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui ont obtenu une modification du calcul de leurs contraintes d’émissions, sont en fait dispensées d’appliquer le protocole de Kyoto. Il n’y aura donc pas de prolongation effective du protocole de Kyoto.
Je reconnais cependant que la prolongation, même ineffective, de ce protocole, qui a lui-même valeur de traité international, présente au moins un avantage, celui de permettre éventuellement à l’Union européenne, si elle le souhaitait, de prendre appui sur lui pour mettre en place à ses frontières des mesures de protection, ou du moins d’accompagnement, visant à sanctionner les pays qui ne le reconnaissent pas. Telle est de mon point de vue la seule véritable avancée résultant de la prolongation du traité jusqu’à au moins 2015.
Pour ce qui est du fonds vert, on continue à annoncer une dotation de 100 milliards de dollars : ce fonds était virtuel, il l’est toujours autant !
Or, nous, pays de l’Union européenne, nous n’obtiendrons pas d’accord politique sans le soutien des pays les plus pauvres. Il est donc impératif de trouver de l’argent pour ce fonds.
Je rappelle que 100 milliards de dollars représentent 7 % du budget annuel mondial de l’armement, 20 % du budget consacré à la publicité – il n’est certainement pas vitale pour nos économies que celle-ci nous soit administrée à de telles doses ! –, un quart des subventions allouées à l’économie fossile et une petite part du produit que rapporterait la taxation des transactions financières…
Qu’il soit impossible de trouver, dans les pays riches de la planète, 100 milliards de dollars pour accompagner les pays en voie de développement n’est donc pas vrai.
L’Union européenne, qui fut le plus souvent exemplaire dans ce domaine, est aujourd’hui confrontée à une difficulté stratégique qu’il convient d’évaluer, car elle ne doit pas croire qu’il lui suffit de faire comme par le passé pour continuer de jouer le rôle tout à fait positif qui a été le sien lors de la ratification du protocole de Kyoto.
En effet, la mécanique mise en place a conduit à un système économique qui repose sur la concurrence entre les peuples et les États. On voudrait amener aujourd'hui ces États à coopérer alors que tout le système économique est fondé sur la concurrence et que rien, dans ce système, ne valorise la coopération. Nous sommes donc pris dans un étau.
Il est vrai aussi qu’avec l’émergence des pays dits, précisément, « émergents » la situation de l’Union européenne a changé, à l’égard tant des États-Unis, dont elle n’est plus le partenaire privilégié, que des pays les moins développés avec lesquels elle cherchait à élargir l’alliance. Ce front s’est fissuré tandis que, d’une certaine façon, celui des pays qui ne veulent pas prolonger le protocole de Kyoto est beaucoup plus puissant aujourd’hui qu’hier, car les pays émergents n’entendent pas accepter les contraintes que celui-ci impose.
Il nous faut donc trouver une autre stratégie. Avant tout, l’Union européenne doit être sûre de disposer d’une alliance à toute épreuve avec les pays les plus pauvres. Elle doit prioritairement conclure un accord avec eux, ce qui suppose qu’elle dégage des moyens pour leur développement durable.
Dans le même temps, l’Union européenne doit savoir que, si elle ne fait pas la preuve chez elle qu’elle est à l’avant-garde et qu’elle y trouve son intérêt, elle aura le plus grand mal à convaincre certains pays émergents de procéder à la révolution que constitue la transition énergétique. C’est pourquoi il est si important que, dans notre pays et en Europe, cette révolution s’accomplisse avec succès.
L’Union européenne ne peut pas se contenter de l’objectif des « trois fois vingt ». Elle a besoin non pas de politiques de régulation du marché, mais de politiques industrielles et d’investissements d’avenir réalisés par les puissances publiques, européennes ou nationales, pour accompagner la mutation industrielle indispensable.
L’Union européenne doit conduire des politiques communes pour économiser l’énergie et pour la recherche. C’est d’ailleurs de notre intérêt, au prix du baril de pétrole ! Indépendamment même du changement climatique, l’Europe dispose là d’une stratégie de croissance endogène.
Le juste échange est un autre enjeu important. Si nous continuons dans la voie du libre-échange, sans normes sociales ni environnementales hors de l’Union européenne mais parfois aussi en son sein, nous n’arriverons pas à limiter les émissions de gaz à effet de serre.
L’Union européenne doit présenter un mémorandum à l’OMC pour qu’il soit mis un terme à des échanges mondiaux fondés sur les seules règles de la concurrence et pour que s’imposent enfin des règles mondiales minimales en matière environnementale – sur le carbone en particulier – comme en matière sociale.
Enfin, certaines activités doivent être relocalisées. En effet, la meilleure méthode pour lutter contre le changement climatique est d’éviter le transport inutile de produits construits ailleurs, alors qu’ils pourraient l’être dans de bonnes conditions dans notre pays.
La crise écologique n’est pas seconde par rapport à la crise financière. Il s’agit d’une même crise, celle d’un modèle de développement en bout de course ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, que les États s’engagent alors que s’achève le protocole de Kyoto, seul traité qui les lie aujourd'hui, à fournir les efforts nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et pour contenir ainsi le réchauffement de la planète à un niveau supportable, tel était l’enjeu des négociations sur le climat qui se sont tenues en Afrique du Sud en décembre dernier.
Or, après les échecs de Copenhague et de Cancún, le même constat s’impose : l’égoïsme des États a encore prévalu.
De nouveau, les négociations ont mis à jour le faible volontarisme des États et, pis, le désintérêt des grandes puissances alors même que progressent les thèses « climato-sceptiques » et que les émissions mondiales d’équivalent CO2 progressent de près de 5 %.
Dans le même temps, la crise financière relègue au second plan la crise climatique et écologique. Ainsi, en France, la crise économique a eu un effet paralysant sur le Grenelle de l’environnement ou, plus exactement, sur sa traduction en règles juridiques précises et contraignantes.
Pourtant, en 2008, le Président Sarkozy affirmait que « la crise financière et la crise économique ne [faisaient] que renforcer la nécessité de la révolution environnementale ». « L’on ne doit pas retarder cette révolution, on doit l’accélérer justement parce qu’on doit produire autrement », disait-il aussi alors, ajoutant que les engagements du Grenelle de l’environnement constituaient « une réserve de croissance fantastique ».
Si le Gouvernement actuel a renoncé à cet objectif – mais je ne doute pas que Mme la ministre cherchera à démontrer qu’il n’en est rien – et si, pour la majorité, ce n’étaient que des déclarations d’intention, nous estimons à l’inverse qu’il s’agit là d’une réalité, nationale et mondiale, et que la révolution environnementale doit bien avoir lieu.
Pour l’heure, cette révolution est loin d’avoir été accomplie. Les réponses apportées à la lutte contre le changement climatique, au niveau tant européen qu’international, sont inquiétantes : elles révèlent un dangereux glissement politique vers un système non contraignant de limitation des émissions de gaz à effet de serre qui exonère de leur responsabilité les grandes puissances et confie la préservation du climat aux seuls outils du marché, malgré les effets pervers, comme la délocalisation d’activités émettrices dans les pays du Sud, l’opacité dans l’attribution des permis d’émission pour les secteurs économiques concernés ou l’effondrement du prix de la tonne d’équivalent carbone, que ces outils induisent.
Lors des dernières négociations, les seuls engagements chiffrés ont concerné le principe d’une aide des pays industrialisés aux pays en développement pour leur permettre de « s’adapter » au changement climatique. Ainsi, la lutte contre le réchauffement climatique cède le pas à l’adaptation à ce bouleversement.
Dans le même temps, les politiques de l’Union européenne sont en contradiction avec les engagements pris à la fin de l’année 2008 dans le cadre du paquet énergie-climat ainsi qu’avec les objectifs de réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, d’augmentation de la part des énergies renouvelables et d’économies d’énergie.
Nous assistons, par exemple, à des importations massives d’agro-carburants, dont la production entraîne une déforestation dans les pays du Sud. De même, l’exploitation des gaz et huiles de schiste est promue dans plusieurs pays de l’Union européenne.
En toile de fond, un vaste mouvement de privatisation est à l’œuvre qui concerne des services et des entreprises publiques constituant pourtant de véritables leviers pour accélérer la transition énergétique et l’émergence d’une économie décarbonée.
En France, le démantèlement progressif de l’entreprise publique SNCF continue, alors que l’ouverture à la concurrence de l’activité de fret a provoqué un transfert du rail vers la route, en totale contradiction avec l’objectif, énoncé par l’article 11 de la loi dite Grenelle 1, de « faire évoluer la part modale du non-routier et non-aérien de 14 % à 25 % à l’échéance 2022 ».
Pour ce qui est de l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments, lesquels représentent 43 % de la consommation d’énergie finale dans notre pays, l’absence de volontarisme budgétaire couplée à la RGPP, la révision générale des politiques publiques, prive l’État, les collectivités territoriales et les organismes parapublics des moyens indispensables pour accélérer la construction et la rénovation énergétique des parcs de logements sociaux.
Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ne peuvent être systématiquement repoussés à des horizons très lointains et formulés sans engagement juridique contraignant sur le plan international. Nous devons trouver aujourd’hui des solutions contraignantes pour remédier aux déséquilibres d’hier et éviter les catastrophes de demain.
En fait, la crise climatique fait écho à la crise financière ; les limites des négociations et des outils de régulation proposés révèlent les limites du système capitaliste actuel.
Il est nécessaire de rappeler que les deux crises – l’une économique, l’autre écologique – ne sont pas dissociables, mais ont des racines communes.
À l’origine de l’une et de l’autre, en effet, se trouve un problème lié à la place de l’humain dans la société : nous ne pouvons plus considérer les hommes et les femmes comme de simples consommateurs.
L’une comme l’autre, ces crises révèlent les limites d’un rapport au temps fondé uniquement sur le court, voire le très court terme. L’une comme l’autre, elles suscitent un questionnement qui n’est pas uniquement technique, mais également moral. L’une comme l’autre, elles nous invitent à repenser l’entreprise et son rôle dans la perspective de sa responsabilité sociale.
La réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l’habitat, l’agriculture et les transports ne peut résulter des seuls mécanismes du marché ; elle suppose nécessairement la mise en œuvre d’autres instruments, via la fiscalité, la réglementation et les investissements publics.
C’est pourquoi nous refusons que la prise en compte des enjeux environnementaux dans nos sociétés soit considérée comme une préoccupation annexe. Parce que la préservation de la planète passe par la lutte contre le dumping social et environnemental, la question du climat doit sortir du cadre des débats d’experts et être rendue plus accessible en même temps qu’il faut amener l’ensemble des États à prendre des engagements contraignants.
La France et l’Europe ont un rôle majeur à jouer. Elles doivent se donner les moyens de leurs ambitions et ne pas reculer.
Nous pouvons être un modèle en matière de développement durable. Par exemple, dans les schémas de cohérence territoriale, des objectifs de mobilité propre, de préservation et de valorisation de la continuité écologique sont souvent intégrés. Nous devons continuer à promouvoir de telles actions et nous donner les moyens de le faire.
À l’heure de la crise, il est temps de dépasser l’écologie-spectacle et l’écologie-business pour entrer enfin dans l’écologie-raison ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)