M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à une très large majorité, notre groupe votera cette motion.
Monsieur le secrétaire d'État, à constater votre insistance, tout à fait respectable au demeurant, nous avons bien compris que cette proposition de loi était en fait un projet de loi masqué. (M. le secrétaire d'État fait un signe de dénégation.) Aucune étude d’impact n’a été menée. De surcroît, la procédure accélérée a été engagée, alors que cela ne se justifiait pas, comme nous l’avons rappelé les uns et les autres.
Vous affirmez qu’il y a urgence et que les entreprises attendent ce texte. Pourtant, votre sensibilité est au pouvoir depuis dix ans et l’actuel Président de la République a été élu en 2007 ! Est-il donc bien raisonnable de prétendre que nous ne pouvons attendre ? Vous évoquez la crise, mais elle est là depuis 2008 !
Vous nous avez reproché de porter un message politique. Mais nous ne sommes pas dupes : une fois de plus, c’est bien ce texte qui a pour objet d’adresser un message politique à certains de nos concitoyens, lequel semble d’ailleurs particulièrement trouble et opaque au regard des véritables finalités de ce texte fourre-tout.
Au contraire, notre but est éminemment respectable. Il s’agit non pas pour nous de mettre systématiquement en cause les intentions du Gouvernement, mais de signifier que l’on n’utilise pas une loi de simplification pour faire passer des éléments de fond, qui mériteraient d’autres discussions que celles autorisées par la procédure accélérée.
Il suffit de reprendre les arguments avancés aujourd’hui, comme ceux qui ont été développés à l’occasion de la discussion des autres lois de simplification, notamment par des représentants de l’opposition sénatoriale actuelle, pour se rendre compte que tout le monde est opposé à ces méthodes de travail. À l’évidence, ces dernières ne constituent pas un bon mode de fonctionnement législatif.
Nous le savons tous, vous avez voulu introduire des dispositions extrêmement disparates en nous assurant qu’elles allaient profondément modifier la vie des affaires et des entreprises. Vous disposiez pourtant d’autres moyens pour faire adopter ces dispositions que vous jugez importantes, mais vous avez refusé de les utiliser.
À travers un effet d’aubaine législatif que nous avons tous dénoncé, cette loi fourre-tout s’est transformée en un véhicule législatif de contrebande prêt à accueillir toutes les dispositions rejetées par le législateur ou censurées par le Conseil constitutionnel. (Rires sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE – Protestations sur les travées du groupe UMP)
Mme Catherine Procaccia. Si ce n’est pas une formule destinée à la presse, je ne m’y connais pas !
M. Jacques Mézard. Je n’adhère pas à cette conception du véhicule législatif auquel on ajouterait sans cesse des compartiments.
Ce n’est pas une bonne façon de légiférer et, pour simplifier le droit, il est temps de revenir à des méthodes plus raisonnables. À cet égard, le vote de cette question préalable permettra d’adresser un message très clair. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Lenoir. Le groupe UMP ne votera pas cette question préalable.
M. Daniel Raoul. Ce n’est pas un scoop !
M. Jean-Claude Lenoir. Cette explication de vote est pour moi l’occasion de revenir sur les propos que j’ai entendus voilà quelques instants, notamment de la part de M. le président de la commission des lois.
M. Sueur a nié l’intérêt de ce type de véhicule législatif.
Monsieur le président Sueur, j’ai appartenu à une autre assemblée parlementaire, dans laquelle vous avez également siégé, qui, depuis 2007, est à l’origine d’une initiative législative annuelle de simplification du droit.
Vous avancez un argument – une loi pour chaque sujet à traiter –, qui, d’un point de vue pragmatique, ne tient pas.
J’illustrerai ma démonstration avec une mesure contenue dans la première proposition de loi de simplification du droit déposée par Jean-Luc Warsmann en 2007. Il s’agissait d’une simplification législative, souhaitée par de nombreux maires depuis longtemps, qui visait à dispenser les personnes désirant se marier de l’obligation de produire un certificat prénuptial.
Selon l’argument avancé par M. Sueur, il aurait fallu mobiliser toute la lourde machine parlementaire, et nous aurions pris des heures et des heures pour adopter une mesure sur laquelle nous étions tous d’accord.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je n’ai pas dit qu’il fallait une loi par article de code !
M. Jean-Claude Lenoir. Force est de constater que la plupart des mesures contenues dans les propositions de loi rédigées par Jean-Luc Warsmann, qui aura fait un travail considérable à l’Assemblée nationale, sont extrêmement pragmatiques et d’une très grande utilité.
J’entendais, à l’instant, les soupçons exprimés par certains sur des intentions cachées, le Gouvernement étant accusé, entre autres, de tenir la plume des parlementaires pour parvenir à adopter des mesures qu’il n’ose pas présenter lui-même.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y a des faits !
M. Jean-Claude Lenoir. Non, non et non ! Ce sont des mesures utiles,…
Mme Gisèle Printz et M. Claude Domeizel. C’est vous qui le dites !
M. Jean-Claude Lenoir. … souvent même très opportunes. Il suffit simplement de lire ces textes, adoptés au rythme d’un par an, pour se rendre compte que la plupart des mesures qu’ils contiennent étaient très attendues.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Par qui ? Montrez-donc ce texte à nos concitoyens : je ne suis pas sûre qu’ils y voient de la simplification !
M. Jean-Claude Lenoir. Combien de fois entendons-nous, dans l’exercice de nos fonctions, des exhortations à simplifier les lois ? Mais s’il faut un projet de loi par mesure, nous passerons un temps fou à légiférer. La technique utilisée depuis 2007 me paraît donc opportune.
Monsieur Sueur, pour conclure, et sans aucune ironie, je rappellerai que vous avez, en tant que parlementaire, produit un travail législatif conséquent, notamment sur les pompes funèbres. Je déplore donc vivement que vous ayez aujourd’hui choisi d’enterrer en première classe cette excellente initiative ! (Sourires et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est facile…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est lamentable !
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.
M. François Zocchetto. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui est certes perfectible, chacun en convient. Certaines de ses dispositions sont inopportunes sur le fond, d’autres sur la forme, car elles n’ont pas leur place dans un texte de simplification du droit.
Nous pourrions donc être assez proches de l’analyse présentée par M. le rapporteur.
Pour autant, ce n’est pas parce que le texte présente des imperfections qu’il nous faut voter une question préalable.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La droite l’a déjà fait !
M. François Zocchetto. Ce n’est vraiment pas la bonne solution !
Je pense que notre devoir était de poursuivre en séance le travail important engagé en commission, ce qui nous aurait sans doute conduits à supprimer un certain nombre de dispositions, mais, surtout, à en modifier et à en améliorer d’autres.
Aujourd’hui, je vois mal comment un parlementaire pourrait considérer qu’il n’est pas nécessaire de simplifier notre droit.
Je vous rappelle l’article 44 de notre règlement, qui prévoit que l’objet de la question préalable est précisément de « faire décider soit que le Sénat s’oppose à l’ensemble du texte, soit qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération ».
Que la majorité actuelle du Sénat soit opposée à certaines dispositions du texte me paraît parfaitement légitime. En revanche, qu’elle s’oppose à toutes les mesures de simplification et d’allégement des procédures administratives contenues dans ce texte me semble vraiment incohérent.
Ce faisant, vous laissez penser à nos concitoyens que le Sénat n’est pas concerné par la simplification du droit. (Approbations sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez bien déjà déposé des questions préalables !
M. François Zocchetto. Je suis convaincu – et je voudrais bien convaincre les membres de la majorité sénatoriale – que cette attitude ne sera pas comprise par nos concitoyens, qui subissent chaque jour les désagréments d’un droit souvent peu intelligible, parfois obsolète, avec des procédures administratives qui sont fréquemment des facteurs de ralentissement de l’activité économique.
Faciliter la vie des entreprises était précisément l’objet de ce texte, qui, par rapport aux précédentes propositions de loi dites « Warsmann », présente l’avantage d’être plus ciblé et moins fourre-tout. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Signalons également la qualité, la densité et la quasi-exhaustivité du rapport de Jean-Pierre Michel, la pertinence des remarques des rapporteurs pour avis ainsi que l’opportunité des nombreuses interventions de nos collègues, que ce soit en commission des lois ou dans les autres commissions permanentes.
La richesse des débats que nous avons eus jusqu’à présent montre bien que ce texte répond à un réel intérêt.
En conclusion, je constate que nous éprouvons, en tant que parlementaires, quelques difficultés à nous positionner sur ce type de textes. (Approbations sur les travées de l’UMP.)
Lorsque nous sommes en campagne électorale ou que nous allons à la rencontre de nos concitoyens, en particulier des élus locaux, nous compatissons à l’excès de normes, de législation inadaptée, de réglementations obsolètes, et nous promettons de changer la situation.
Mais lorsqu’un de nos collègues – certes, il n’est pas sénateur ! – s’attèle à ce travail, peut-être de façon malhabile, parfois de manière excessive, nous refusons d’en discuter. Pouvons-nous continuer à nous plaindre et, en même temps, renoncer à changer les choses ?
La démarche consistant à faire le tri entre les problèmes de fond, comme la dépénalisation du droit des affaires, qui mérite sans doute un texte spécifique, et toutes les questions techniques, de détail, qui empoisonnent la vie de nos concitoyens et sur lesquelles nous pouvons nous mettre assez vite d’accord, au travers d’un texte de simplification, me semblait facile à suivre.
Vous aurez donc compris, mes chers collègues, que le groupe UCR n’est pas favorable à la question préalable. J’ajouterai même, au risque de vous faire réagir, que, lorsque l’on fait partie de la majorité, on ne devrait pas utiliser les motions à tort et à travers. Celles-ci seront logiquement adoptées et risquent donc de se banaliser. Il faut, me semble-t-il, les réserver aux questions de principe, que sont, par exemple, les inconstitutionnalités avérées.
Sur un texte susceptible d’être amendé, comme celui qui nous est soumis aujourd’hui, la question préalable n’a pas lieu d’être. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Monsieur le secrétaire d'État, nous allons vous décevoir. En effet, nous voterons bien évidemment cette motion. Si nous le pouvions, nous la voterions même trois fois !
Nous la voterions en premier lieu pour marquer un principe. À cet égard, je ne comprends pas les arguments qui viennent d’être avancés. Nous ne sommes pas là pour rejeter la simplification, à laquelle personne d’ailleurs ne s’oppose ! Nous ne sommes pas là non plus pour rejeter l’allégement, car personne ne veut alourdir la loi !
M. André Reichardt. Alors, votez la proposition de loi !
M. Alain Anziani. Nous sommes là pour faire un travail parlementaire clair, pour aller au fond des choses, et non pour tenir une discussion de café du commerce au cours de laquelle nous parlerions à quatorze heures du droit du travail, à quinze heures de l’environnement, à seize heures d’un autre sujet et, à dix-sept heures, du droit de l’entreprise ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Nous souhaitons faire un véritable travail parlementaire, ce qui suppose que certaines conditions soient réunies, à commencer par l’exigence de concertation. Or ce texte n’a pas suffisamment fait l’objet de concertation. D’ailleurs, vous le constatez vous-mêmes !
Mme Catherine Procaccia. Et pourquoi pas un référendum sur le sujet ?
M. Alain Anziani. Ainsi, François Zocchetto s’inquiétait des remarques qu’on lui ferait sur le terrain. Mais il doit aussi s’attendre à ce genre de réactions : « Nous n’étions même pas au courant. Vous vouliez faire cela tout seul dans votre coin, mais jamais vous nous avez demandé notre avis ! » (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
La deuxième condition, dont parlait justement Jacques Mézard et qui est une exigence constitutionnelle, c’est de disposer d’une étude d’impact. Voilà tant et tant d’années que nous réclamons sur tous les sujets des études d’impact pour ne pas faire de bêtises, si vous me permettez cette expression familière.
En l’occurrence, aucune n’a été faite. Mais qu’importe ! Nous pouvons bien légiférer sans y voir clair, sans connaître les tenants et les aboutissants de ce que nous allons voter. Pourtant, je l’ai dit tout à l’heure, quelques exemples du passé devraient nous conduire à réfléchir un peu plus !
Bien évidemment, nous ne sommes pas opposés à la simplification. Mais nous sommes surtout favorables à un travail de clarification et de réflexion, car réfléchir, c’est notre devoir de parlementaires !
Nous souhaitons dire une nouvelle fois que nous ne pouvons accepter toute cette précipitation.
Enfin, quels que soient tous vos arguments – je les ai bien entendus ! –, pas un ne résiste à cette idée que deux lectures auraient été mieux qu’une seule. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Dufaut. Vous n’en faites aucune !
M. Alain Anziani. Personne n’a jamais expliqué pourquoi il faudrait engager la procédure accélérée, pourquoi, tout à coup, il y aurait urgence à légiférer sur des matières aussi importantes ! Justement, je ne crois pas que travailler dans la précipitation soit pour le Parlement un mode de fonctionnement !
J’en viens à un dernier point qui n’est pas mineur et que, selon moi, on ne souligne pas assez : comme je l’ai dit tout à l’heure, il y a de la confusion dans ce texte ! Sous couvert de simplification, on nous glisse de temps en temps une petite innovation – pourquoi pas ? Mais, parfois, on nous glisse aussi, avec beaucoup de discrétion, une régression !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Une régression sociale !
M. Alain Anziani. Nous en avons donné des exemples : une régression en matière sociale, une régression en matière environnementale,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr !
M. Alain Anziani. ... tout cela présenté sous l’étiquette « simplification, allégement et rapidité des procédures » !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On nous fait un portrait « Bisounours », mais ce n’est pas du tout cela !
M. Alain Anziani. Bien évidemment, nous ne pouvons que voter cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1 tendant à opposer la question préalable, motion dont l'adoption entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 85 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 172 |
Pour l’adoption | 176 |
Contre | 167 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
12
Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi relatif à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, déposé le 7 septembre 2011 sur le Bureau de notre assemblée.
13
Communication relative à des commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la protection de l’identité est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif à la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire est également parvenue à l’adoption d’un texte commun.
14
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 11 janvier 2012, à quatorze heures trente et le soir :
- Projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, relatif à Voies navigables de France (n° 206, 2011-2012).
Rapport de M. Francis Grignon, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 221, 2011-2012).
Texte de la commission (n° 222, 2011-2012).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART