M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez-en convaincus, la deuxième édition des Assises de la simplification, que j’ai organisée au mois de décembre, a permis de faire émerger de nouvelles propositions et d’évaluer les avancées obtenues en un an.
Je peux aujourd’hui vous le dire, le bilan est positif et à la hauteur de la mobilisation qui est la nôtre : les 80 mesures annoncées le 29 avril 2011 ont été activement mises en œuvre, puisque 73 % d’entre elles sont déjà appliquées ou devraient l’être, conformément au calendrier prévu. Il ne faut donc pas s’arrêter en si bon chemin. Car simplifier la vie des entrepreneurs en prenant des mesures concrètes en leur faveur, c'est-à-dire en faveur du travail et de l’emploi, c’est aussi leur permettre de réaliser des économies considérables. Celles qui avaient été retenues dans le cadre des Assises de la simplification, ont été chiffrées par un cabinet indépendant, Ernst & Young, à un milliard d’euros. Cela répond directement à l’« objectif croissance » que je me suis fixé comme priorité : il s’agit d’adopter des dispositions efficaces et rapides pour obtenir des résultats tangibles, qui bénéficient à nos entreprises, à l’emploi et au pouvoir d’achat des salariés.
Au-delà même de ce constat chiffré, il me semble indispensable de restaurer la confiance entre les entrepreneurs et l’État. Ce dernier ne doit plus être perçu comme un adversaire ou, au mieux, un élément bloquant : il doit devenir un partenaire. Je vous rappelle que 90 % des entrepreneurs jugent la charge administrative contraignante ou très contraignante. C’est en restaurant une relation de confiance entre les acteurs économiques et les pouvoirs publics que nous construirons une croissance durable pour la France. Je crois d’ailleurs que le temps politique et le temps économique exigent – ce n’est pas un choix, mais un devoir – d’agir en ce sens.
Nous devons montrer que l’État est déterminé à « penser entreprise », et un état qui « pense entreprise », ce sont des formulaires moins compliqués, l’accès à plus d’information, des interlocuteurs clairement identifiés et une réglementation plus stable. Au cours des Assises de la simplification, j’ai pu constater à quel point l’attente est forte en la matière. Nous n’avons pas le droit de la décevoir.
Évoquer les remontées du terrain me conduit logiquement à rappeler la méthode mise en œuvre pour élaborer les mesures prévues dans cette proposition de loi. Jusqu’ici, tous ceux qui ont travaillé sur ce grand chantier de la simplification ont été à la hauteur des enjeux. La méthode du Gouvernement et celle de M. Jean-Luc Warsmann se sont en effet renforcées l’une l’autre. J’aurais souhaité, monsieur le président de la commission des lois, que la confrontation de nos deux points de vue consolide également les dispositifs élaborés, car le sujet dépasse la traditionnelle opposition entre la droite et la gauche. Je regrette, je le redis, que vous ayez fait le choix de refuser le débat.
J’évoquerai d’abord les Assises de la simplification : avec un correspondant PME par département, 574 entreprises visitées par ces correspondants, soit autant d’« entretiens simplification », 22 réunions régionales et 700 propositions recueillies, ces assises ont permis de faire remonter du terrain des attentes concrètes et précises.
Cette proposition de loi ne sort donc pas des tiroirs de l’administration française ; elle provient directement du terrain, des acteurs économiques eux-mêmes, des informations recueillies dans les différents entrepôts et magasins.
Je tiens aussi à dire quelques mots au sujet de la méthode utilisée par M. Jean-Luc Warsmann. Avec un comité de pilotage particulièrement actif, près de 70 auditions conduites auprès des organisations professionnelles, des journées régionales et des réunions thématiques, le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale a mené un travail de fond, pour coller au plus près des attentes des entrepreneurs. Je le redis, parce que ce n’est pas si courant, c’est main dans la main, en phase avec le terrain, sans préjugé politique et selon une démarche de dialogue que nous avons travaillé sur le chantier de la simplification du droit et d’allégement des démarches administratives.
Tout cela démontre que le sujet devrait dépasser les clivages partisans et les batailles idéologiques. Dans un tel contexte, je le redis pour la troisième fois, je regrette profondément la position adoptée par la commission des lois du Sénat. Les mesures de simplification figurant dans cette proposition de loi sont attendues par les entreprises et les salariés de notre pays : elles méritent sans aucun doute un débat à la hauteur des enjeux, loin d’une posture qui m’apparaît en réalité partisane.
J’en veux pour preuve la position du rapporteur et des différents rapporteurs pour avis, qui s’accordent unanimement pour reconnaître les avancées très positives contenues dans ce texte. En outre, la critique centrale que l’on entend porter sur ce texte, le qualifiant de « fourre-tout législatif », ne me paraît pas fondée. Elle découle selon moi d’une erreur d’appréciation et, permettez-moi de vous le dire, est en parfait décalage avec les difficultés que rencontrent quotidiennement les entrepreneurs.
En effet, pourquoi ces derniers seraient-ils les seuls à devoir affronter toutes les réalités du droit ? Pourquoi seraient-ils les seuls à devoir jongler entre le code de commerce, le code de l’environnement et les complexités liées à un changement de capital ou encore à un déménagement ? Pourquoi seraient-ils les seuls à devoir faire face un tel empilement de règles ? Rien ne le justifie ! Loin d’être un fourre-tout législatif, ce texte traduit la variété des sujets auxquels sont confrontées nos entreprises et qu’il nous revient, à nous, Gouvernement, et à vous, Parlement, d’avoir l’ambition de simplifier.
Selon les propos de Philippe Bas, cités dans le rapport de la commission des lois : « Il n’est pas de texte de simplification administrative qui ne soit hétéroclite. […] On ne va pas porter 94 projets de loi, modifiant chacun un article d’une loi ou un code. » Ce serait totalement contre-productif et à l’opposé d’une volonté de simplification du droit.
De plus, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez tous, s’il existe un « mal français », c’est bien l’inflation législative, porteuse d’insécurité juridique pour les acteurs économiques. Je n’accuse ni la droite ni la gauche, ce travers national ne datant pas d’hier. Le Gouvernement tente d’apporter enfin à ce problème une réponse adaptée et conforme aux attentes de nos concitoyens.
Je le rappelle, dès 1844, l’homme politique et spécialiste du droit Louis Marie de Lahaye Cormenin dénonçait dans un pamphlet intitulé La Légomanie l’étrange tropisme français qui consiste à inventer sans cesse de nouvelles lois. Simplifier, c’est aussi être capable de proposer un seul texte, qui résolve, une fois pour toutes, un maximum de problèmes.
Tel est exactement l’objet de cette proposition de loi, que l’Assemblée nationale a enrichie de nombreux amendements issus de tous ses bancs. J’aurais souhaité qu’il puisse en être de même lors de son examen par la Haute Assemblée. En effet, dans les différents rapports sénatoriaux rédigés sur ce texte, j’ai relevé de nombreuses propositions.
Je vous le dis sans ambages : si nous n’allions pas au bout de ce chantier, les déceptions seraient immenses, à la hauteur des espoirs qu’a suscités la démarche entreprise. Nous briserions un cercle vertueux, celui de la confiance retrouvée entre les acteurs économiques et les pouvoirs publics. Les entrepreneurs veulent être libérés du fardeau administratif qui pèse sur eux. Ils ne peuvent être les otages de divisions partisanes, même à quelques mois d’échéances électorales essentielles.
Refuser de débattre des articles de ce texte serait en décalage absolu avec la méthode que vous avez suivie. À l’instar de M. Jean-Luc Warsmann, vous avez mené des auditions, ce dont je vous remercie, pour saisir la réalité du terrain. Vous êtes arrivés à des conclusions similaires quant à la nécessité d’agir. Pourquoi faire soudain machine arrière, monsieur le président Sueur ?
Votre position est difficile à comprendre, surtout ici, au Sénat, une institution garante de l’intérêt général et du consensus républicain, familière d’un travail en profondeur sur les textes. Votre décision me semble d’autant plus regrettable que la majorité des mesures prévues offre des solutions pragmatiques aux acteurs économiques, en conformité avec leurs aspirations et leurs besoins. Elles font consensus dans le monde de l’entreprise et, plus généralement, dans l’ensemble de la société. Certaines d’entre elles facilitent aussi bien la vie du chef d’entreprise que celle des employés. Je ne vous citerai que trois exemples, absolument emblématiques de l’utilité des dispositions envisagées.
Il s’agit d’abord de la simplification du bulletin de paye. Admettons-le ensemble, plus personne n’est en mesure de comprendre les informations qui y sont contenues ! Lors de mes visites dans les usines et les ateliers, j’ai pu constater qu’autant les patrons que les salariés étaient dépassés par la complexité de ce document. De nombreuses promesses ont été faites en la matière, par des hommes et femmes politiques de gauche comme de droite. Grâce à l’article 44 de cette proposition de loi, une réponse est enfin apportée pour diviser le nombre de lignes du bulletin de paye et rendre ses informations intelligibles.
Il s’agit ensuite de l’« armoire numérique sécurisée », parfois nommée « coffre-fort numérique », qui découle de la même logique, celle du bon sens. Elle permettra au chef d’entreprise, lequel remplit aujourd’hui quelque 70 déclarations, de fournir une fois pour toutes les informations qu’il doit transmettre à l’ensemble des administrations concernées. Le gain de temps et d’argent, vous vous en doutez, est considérable. Là encore, vous prenez la responsabilité de ne pas discuter de ce dispositif.
Il s’agit, enfin, de l’amélioration du dispositif du rescrit en matière sociale, autre mesure phare portée par cette proposition de loi.
Je me suis battu en faveur de cette procédure, qui permet à l’entreprise de connaître la position de l’administration sur les questions qu’elle lui soumet. Chacun ici connaît les difficultés soulevées en la matière. J’ai été heureux d’entendre de la bouche des représentants des artisans – je parle sous le contrôle d’André Reichardt –, que le dispositif proposé permet d’améliorer le RSI, le régime social des indépendants. Mesdames, messieurs les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, vous aviez saisi le Gouvernement de cette question. Après ma nomination, j’avais immédiatement engagé un travail destiné à dépasser les difficultés. Tel est visiblement le cas aujourd’hui.
Grâce à l’article 36 de ce texte, l’extension du champ du rescrit social à de nouveaux domaines tels que les règles de déclaration et de paiement des cotisations de sécurité sociale est désormais possible. De même, cet article introduit la possibilité de mise en œuvre de décisions tacites. Cela permet un développement significatif du recours à cette procédure, donc des échanges entre les entreprises et l’administration. La proposition de loi contribuera ainsi – je le dis parce que c’est important pour les acteurs économiques – à une sécurisation absolument indispensable du droit social.
Là encore, il s’agit d’instaurer un cercle vertueux et une logique de confiance entre les pouvoirs publics et les acteurs économiques. Vous le savez, je ne refuse jamais le débat. Au mois de décembre dernier, j’ai d’ailleurs montré à quel point j’étais ouvert, en acceptant un grand nombre d’amendements, quelle que soit leur origine, dans la mesure où ils visaient à améliorer la situation des consommateurs. Les sénateurs présents lors de l’examen du texte renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs peuvent en témoigner.
Ma méthode repose en effet sur le dialogue, qu’il ait lieu avant la rédaction du texte, pendant son examen ou après son adoption, afin de corriger d’éventuelles erreurs.
C’est donc avec une grande frustration que j’aborde la discussion de la proposition de loi. En effet, à la lecture des différents rapports, j’avais espéré que nous pourrions aller au cœur du sujet et examiner les amendements que, sans doute, les uns et les autres, vous auriez à cœur de défendre. Il y va de l’avenir des entreprises et de la croissance dans notre pays qui, comme l’Europe et le monde entier, affronte depuis trois ans une crise multiforme qui se perpétue, créant difficultés et inquiétudes.
En pareilles circonstances, je considère que nous n’avons pas le droit – et je mesure mes paroles – de prendre, en adoptant une attitude partisane, la responsabilité de laisser sur le bord de la route des acteurs économiques en attente de solutions concrètes. Il me semble au contraire que toutes les bonnes idées, d’où qu’elles viennent, doivent être prises en considération.
C’est pourquoi, monsieur le président Sueur, je vous demande de revenir sur cette erreur d’appréciation ; même si je vous vois sourire, je suis convaincu qu’il en est encore temps…
Si je mets tant d’énergie à essayer de vous convaincre, c’est parce que les acteurs économiques, sur une question de cette importance, attendent que le Sénat mène un débat digne de ce nom !
Il est encore temps pour nous d’avoir un débat riche, qui améliore la proposition de loi sur certains sujets, d’ailleurs soulevés dans le rapport de M. Michel. Je pense par exemple à la dépénalisation du droit des affaires, à propos de laquelle M. le rapporteur juge plus pertinentes, pour certaines infractions, les évolutions proposées par le groupe de travail présidé par Jean-Marie Coulon.
Pour ma part, je considère que l’article 90 bis de la proposition de loi, relatif aux délais de paiement – une question dont nous avons déjà débattu dans cet hémicycle – pourrait également faire l’objet d’améliorations allant dans le sens souhaité par M. le rapporteur : un encadrement plus fort des dispositifs dérogatoires.
D’autres sujets mériteraient encore d’être abordés. Par exemple, M. Reichardt a proposé des éléments de définition du métier d’artisan, qui apporteraient à la loi une clarification manifeste. Le rapport qu’il m’a remis contient des propositions auxquelles le Gouvernement est favorable. Elles sont attendues par des centaines de milliers d’artisans qui accordent une très grande importance à cette question. Et nous manquerions aujourd’hui l’occasion de les introduire dans la loi ?
Monsieur le président Sueur, si nous pouvions mener ce débat et engager la discussion des mesures concrètes, je crois vraiment que nous ferions œuvre utile pour le pays !
De même, la notion de professionnel libéral n’est pas définie par la loi. Pourtant, il s’agit d’hommes et de femmes qui, partout en France, exercent leur métier avec passion. Chacun sait qu’ils remplissent des fonctions essentielles pour les citoyens et les acteurs économiques et qu’ils contribuent au renforcement du lien social dans notre pays.
Monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi nous offre l’occasion de fixer enfin cette notion, afin qu’elle ne varie plus selon le domaine du droit dans lequel on l’utilise. Les professionnels libéraux en font la demande avec force et, il y a quelques semaines, à l’occasion d’une rencontre avec eux, le Président de la République a réaffirmé sa volonté de les exaucer.
À l’heure où notre pays demeure durement frappé par les effets d’une crise sans précédent depuis la déroute boursière des années trente, nous ne pouvons pas refuser d’accompagner les forces économiques de notre pays.
Je le répète avec beaucoup de solennité : tous, que nous soyons de gauche ou de droite, nous avons le devoir de répondre aux attentes des acteurs économiques qui se battent au quotidien contre la crise.
C’est pourquoi je renouvelle, avec beaucoup d’insistance, la demande que j’ai faite à la commission des lois de modifier sa position. Ce débat est attendu par nos compatriotes et les acteurs économiques ; il est bon pour la croissance, le travail et les emplois en France. Menons-le !
M. Antoine Lefèvre. Eh oui !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Monsieur le président de la commission des lois, j’espère vous avoir convaincu. D’ailleurs, je ne doute pas que les rapporteurs le soient au fond d’eux-mêmes.
Je souhaite simplement que l’on renonce aux postures politiciennes pour entamer la discussion de la proposition de loi ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UCR.)
Mme Catherine Procaccia. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’œuvre de simplification du droit est certes nécessaire, mais encore faudrait-il qu’elle s’en tienne à ce qui est nécessaire : la simplification…
Or d’après les calculs réalisés par la commission, seulement un article de la proposition de loi sur cinq opère une véritable simplification ; tout le reste, c’est du droit nouveau !
C’est la quatrième fois depuis 2007 que nous sommes saisis d’une proposition de loi de ce type, déposée par le président Warsmann : en 2010, lors de la discussion de la précédente proposition de loi, le rapporteur, M. Bernard Saugey, parlait d’un « rituel parlementaire »...
Celle qui nous est soumise aujourd’hui a été déposée le 28 janvier 2011, soumise au Conseil d’État et adoptée par l’Assemblée nationale le 18 octobre 2011, après engagement de la procédure accélérée, ce qui n’arrange pas les choses…
Le nombre de ses articles est passé de quatre-vingt-quatorze au moment de son dépôt à cent cinquante-trois au moment de sa transmission au Sénat. Et, si les amendements, y compris ceux que le Gouvernement a déposés aujourd’hui, étaient adoptés, deux cents articles environ seraient transmis à l’Assemblée nationale – et celle-ci ne manquerait peut-être pas d’en ajouter encore…
Compte tenu de la diversité des sujets abordés, la commission des lois a délégué l’examen au fond d’un certain nombre d’articles à quatre autres commissions saisies pour avis : la commission des finances, la commission de l’économie, la commission des affaires sociales et la commission de la culture. Leurs rapporteurs, que je remercie d’avoir assisté aux séances de la commission des lois, vous présenteront après moi l’avis de ces commissions.
Certes, la proposition de loi ressemble un peu moins que les précédentes à un assemblage hétéroclite de cavaliers législatifs en déshérence… Elle comprend un ensemble de dispositions qui concernent en gros l’entreprise – M. le secrétaire d’État y a beaucoup insisté –, qu’elles touchent au droit des sociétés, au droit du travail, au droit de la sécurité sociale ou à certains droits sectoriels.
Cependant, l’Assemblée nationale a multiplié les ajouts, transformant la proposition de loi en pavillon de complaisance pour marchandises de toute nature… Je le déplore.
De son côté, le Gouvernement trouve en elle un véhicule où faire figurer des dispositions déjà introduites dans d’autres textes, y compris, monsieur le secrétaire d’État, dans le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, en attendant de voir dans lequel de ces textes, elles parviendront à être votées en premier. Permettez-moi de vous le dire : c’est une très mauvaise méthode législative !
Enfin, la proposition de loi sert de véhicule à des dispositions que l’on voit aujourd’hui reparaître après que le Conseil constitutionnel les a retoquées à plusieurs reprises comme cavaliers législatifs…
Tout cela n’est guère de nature à simplifier le travail législatif, ni même à le valoriser ; d’ailleurs, le veut-on vraiment ?
En réalité, les simplifications qui nous sont proposées contribuent à l’instabilité législative, alors que les représentants des entreprises que nous avons entendus nous ont dit qu’ils avaient besoin, au contraire, de stabilité et de prévisibilité dans la norme qui leur est applicable.
En lisant mon rapport, vous remarquerez que j’ai entendu quatre-vingt-onze personnes de tous horizons, dont certains fonctionnaires. Les autres rapporteurs ont également procédé à des auditions. Certes, j’ai recueilli un certain nombre de propositions intéressantes ; mais j’ai surtout entendu cet avis : l’instabilité législative n’est pas de nature à favoriser la vie des entreprises.
En outre, il me semble que la clarté et la sincérité des débats parlementaires sont aussi en cause. En effet, devant des textes aussi denses et hétéroclites, les parlementaires peuvent difficilement faire leur travail : des novations juridiques peuvent passer inaperçues, noyées dans le fatras des dispositions, alors qu’elles mériteraient une discussion approfondie ; c’est le cas avec la proposition de loi dont nous sommes saisis, comme je le montrerai tout à l’heure.
Enfin, pourquoi avoir recouru à la procédure accélérée ? Je n’ai trouvé que cette explication : le Gouvernement souhaite voir la proposition de loi adoptée avant que les élections ne modifient la composition du Parlement !
Et en plus le Gouvernement présente aujourd’hui plusieurs amendements qui ajoutent à la confusion…
Certaines auditions ont permis de recueillir des propositions de bon sens sur lesquels je reviendrai peut-être : je pense par exemple à l’audition de la Confédération nationale du logement, à celle du Forum citoyen pour la responsabilité sociale et environnementale des entreprises et à celle de M. Jouyet, président de l’Autorité des marchés financiers.
Dans un premier temps, j’avais moi-même envisagé d’ajouter quelques wagons sénatoriaux au train qui nous venait de l’Assemblée nationale ; je pensais, par exemple, proposer qu’on y intègre la proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon, déposée par notre collègue Yung et notre ancien collègue Béteille, qui a été votée à l’unanimité par la commission des lois.
Voyez à quel point votre rapporteur se préparait à patauger dans l’incohérence ! Fort heureusement, on m’en a empêché…
Mme Catherine Procaccia. Malheureusement !
M. Antoine Lefèvre. C’est dommage !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je pourrais arrêter ici mon propos… Mais, ne craignant pas de vous lasser, je vous présenterai quelques observations portant sur une douzaine d’articles sur lesquels, quel que soit le vote du Sénat tout à l’heure – monsieur le secrétaire d’État, on ne peut préjuger de rien… –, j’aimerais que nous prenions date.
Tout d’abord, un ensemble d’articles touchent à la dépénalisation de la vie des affaires : ils visent à remplacer les peines d’emprisonnement, qui ne sont jamais prononcées, ainsi que les amendes par des injonctions civiles et des nullités.
Le référé civil fonctionne bien, avec des astreintes très lourdes pour les entreprises. Toutefois, la proposition de loi reste en deçà des propositions du groupe de travail présidé par l’ancien président de la Cour d’appel de Paris, Jean-Marie Coulon.
J’ai envisagé de rétablir les peines d’emprisonnement et d’amende pour les délits graves et intentionnels, afin de faire peser sur les chefs d’entreprise l’opprobre qui s’attache à de telles peines, même prononcées avec sursis.
Mais j’ai finalement entendu les représentants des entreprises : au cours de leur audition, ils nous ont fort curieusement expliqué qu’ils préféraient souvent les peines d’emprisonnement, jamais exécutées, ou les peines d’amende, vite payées, vite oubliées, aux astreintes ou aux nullités, dont les conséquences juridiques sont très lourdes pour leurs entreprises…
Une autre mesure contestable est la brèche ouverte – certes au profit des PME – dans l’interdiction faite aux administrateurs d’une société dont ils n’ont pas été préalablement les salariés de signer avec elle un contrat de travail. Pour ma part, je suis tout à fait hostile à cette mesure : je pense qu’il y a un conflit d’intérêts latent dans le fait qu’un administrateur d’une société en soit également le salarié.
La proposition de loi supprime aussi toute obligation de dépôt du rapport de gestion pour les sociétés en nom collectif, les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés anonymes, à l’exception des sociétés cotées.
Or le critère de la cotation, employé tout au long de la proposition de loi, n’est pertinent dans aucun des cas : pourquoi un traitement différent serait-il réservé aux sociétés cotées et aux sociétés non cotées ? Les problèmes dont il est question sont sans rapport avec le fait que les sociétés soient cotées ou non !
Surtout, je désapprouve sur le fond la suppression du rapport de gestion, qui porte atteinte à la transparence des affaires.
L’article 10 de la proposition de loi revient sur les dispositions relatives à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises de la loi portant engagement national pour l’environnement, dite Grenelle 2.
En effet, il reporte à 2012 l’entrée en vigueur des obligations pesant sur les entreprises, le décret en Conseil d’État prévu par la loi n’ayant pas encore été pris… En cette occasion, le Gouvernement se prévaut de sa propre turpitude !
M. Roland Courteau. En effet !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. L’article 10 prévoit en outre que les informations données seront différentes selon que la société sera ou non cotée ; or, une fois encore, le critère de la cotation est injustifié au regard de l’objectif poursuivi.
Ce même article exonère les filiales de l’obligation de publication de son bilan social et environnemental, à laquelle seule la holding serait soumise. Ainsi, un grand groupe de consommation et de distribution comme Carrefour publierait son bilan mais ses filiales en seraient dispensées ! Je suis très défavorable à cette disposition.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La proposition de loi prévoit également le relèvement de la part du capital des sociétés anonymes susceptible d’être attribuée aux salariés sous forme d’actions gratuites. Prenons garde que la participation ne soit pas un moyen, fiscalement avantageux, de ne pas augmenter les salaires... Et pourquoi, là encore, opérer une distinction entre les sociétés cotées et les sociétés non cotées, distinction qui est sans rapport avec la mesure envisagée ?
L’entreprise individuelle à responsabilité limitée pouvait, bizarrement, être créée par un mineur, sans condition d’âge – je conviens que ce n’est pas vous, monsieur le secrétaire d'État, qui êtes à l’origine de ce texte totalement farfelu. Cela dit, on en revient à des dispositions un peu plus réalistes puisque l’article 27 bis fixe à seize ans l’âge minimal pour créer une entreprise.
J’ignore les raisons pour lesquelles cette disposition avait été adoptée, si ce n’est pour amuser la galerie… Selon les renseignements que j’ai recueillis de la part de vos services, seules quelques dizaines d’entreprises individuelles auraient été créées par des mineurs, certaines disparaissant même tout juste après l’avoir été.
L’article 49 bis A relève également de la plaisanterie : il introduit une disposition censurée à deux reprises par le Conseil constitutionnel !
L’article 57 crée un fichier national automatisé des interdits de gérer. C’est une bonne chose et j’y suis favorable. Ce fichier public serait tenu par des personnes privées chargées d’une mission de service public, à savoir les greffiers des tribunaux de commerce. Nous les avons auditionnés et nous leur faisons toute confiance pour assurer, à titre gratuit et dans de bonnes conditions, cette tâche. Ils nous ont donné toutes garanties à cet égard. Cependant, il faudra veiller à ce que le décret, qui sera pris après avis de la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, précise bien quelles seront les personnes habilitées à accéder aux informations et combien de temps ces dernières pourront être conservées dans ce fichier.
Les articles 78 et 79 revoient le système des annonces légales, grâce auxquelles la presse locale parvient à survivre.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mes chers collègues, bien entendu, vous êtes tous attachés à la presse locale, qui, même si elle ne le fait pas assez à votre goût, ne manque jamais de publier des photos de vous en train de procéder à une inauguration ou de couper un ruban. (Sourires.)
Nous avons auditionné l’ensemble des syndicats de la presse et ceux-ci craignent une dérive si les journaux gratuits devaient, eux aussi, être autorisés à publier ces annonces légales. Ce serait la mort de la presse locale et de la presse régionale, à n’en pas douter.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Le « coffre-fort numérique », devenu « armoire sécurisée numérique », qui permet aux entreprises de regrouper en un lieu unique toutes les informations déclarées à l’administration, n’a pu être créé à temps ; le Gouvernement nous demande donc de l’habiliter à le faire par ordonnance.
Le Sénat, tout comme je le suis moi-même, est hostile, par nature, à cette façon de légiférer. Là encore, sous le contrôle de Jean-Jacques Hyest, ancien président de la commission des lois, je dirai nemo turpitudinem…
M. Jean-Jacques Hyest. Nemo auditur propriam turpitudinem allegans !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Personne ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, pas même le Gouvernement !
Enfin, la proposition de loi encadre la possibilité pour les copropriétés de recourir à l’emprunt pour certains grands travaux.
C’est vraisemblablement une bonne chose. En effet, certaines grandes copropriétés comptent de très vieux propriétaires aux faibles revenus : le recours à l’emprunt permettrait d’étaler les dépenses devant être engagées pour faire face aux travaux obligatoires de sécurité ou d’accessibilité. Toutefois, une telle mesure mériterait d’être mieux encadrée qu’elle ne l’est dans cette proposition de loi.
Mes chers collègues, vous avez dû être assaillis de mails au sujet de l’article 94 A. Certes, il s’agit d’un cavalier, mais c’est un bon cavalier : il prévoit l’immunité pour les membres de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la MIVILUDES, qui font l’objet d’attaques quotidiennes, y compris physiques, en particulier au moment de la remise de leur rapport annuel.
Toutefois, il existe deux obstacles à cette immunité, auxquels l’Assemblée nationale remédiera peut-être : d’une part, cette mission n’ayant pas été créée par la loi, il paraît délicat de conférer par la voie législative une immunité à ses membres ; d’autre part, seuls le Défenseur des droits et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté bénéficient d’une telle immunité. Plus largement, il conviendrait donc de réfléchir à l’extension de certaines immunités aux membres de différentes missions ou autorités administratives indépendantes.
Pour conclure, je dirai que je réprouve la méthode utilisée pour ce texte, a fortiori l’engagement de la procédure accélérée. Certes, il comporte quelques simplifications bienvenues, mais aussi des innovations qui auraient mérité un vrai débat. Or l’on sait bien que l’examen de ces propositions de loi ne permet pas d’engager un tel débat.
Les aspects négatifs étant largement prédominants, la commission des lois s’est ralliée aux questions préalables présentées par les groupes CRC et RDSE. Je défendrai donc, en son nom, la motion qu’elle a adoptée en ce sens.
Monsieur le secrétaire d'État, si, en dépit de votre souhait, cette motion était adoptée, le Sénat n’aurait pas bloqué le processus de simplification ; simplement, il laisserait l’Assemblée nationale prendre ses responsabilités avec ce texte vraiment très confus. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur la plupart des travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, rapporteur pour avis.
Mme Nicole Bricq, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la présente proposition de loi, dite « Warsmann IV », comporte quelques dispositions relatives au droit boursier et financier ainsi qu’aux procédures fiscales. Ces mesures ont donc justifié que la commission des finances se saisisse pour avis.
S’agissant de la méthode, tout d’abord, j’avoue que les modalités d’examen de la présente proposition de loi, compte tenu du calendrier, sont très insatisfaisantes. Son inscription à l’ordre du jour de la séance publique au début du mois de janvier a obligé les commissions à se réunir mi-décembre, en pleine période budgétaire, période pendant laquelle le Gouvernement a pressé, plus que de coutume, le Parlement. Jusqu’au bout, ce dernier aura été obligé de travailler dans la précipitation, voire dans l’improvisation, laquelle, si j’ai bien compris, préside à cette fin de quinquennat. De fait, on nous annonce tous les jours de nouvelles mesures législatives sans que nous sachions réellement quels en seront les véhicules. Nous vivons ainsi dans un état de précarité permanente.
L’engagement de la procédure accélérée sur ce texte rend impossible tout dialogue sérieux et approfondi entre les deux chambres. Pourtant, l’une des raisons d’être des lois de simplification est de corriger les erreurs et les approximations qu’a pu commettre le législateur, justement parce qu’il n’a plus le temps d’examiner les textes à tête reposée !
Si, maintenant, les lois de simplification sont élaborées dans les mêmes conditions que la majorité des autres lois, alors il faut craindre que nous ne devions bientôt corriger les lois de simplification elles-mêmes !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous l’avons souvent fait !
Mme Nicole Bricq, rapporteur pour avis. Il n’est pas sûr que le droit y gagne en lisibilité…
Le précédent « Église de scientologie » aurait pourtant dû donner à réfléchir quant à la méthode d’élaboration de ces textes !
Sur le fond, un examen plus détaillé des mesures dont nous nous sommes saisis a révélé quelques surprises. Je dirai même que nous sommes allés de surprise en surprise. Comme le rapporteur Jean-Pierre Michel a eu l’occasion de le souligner, le contenu de la proposition de loi est parfois bien éloigné de son intitulé !
Ainsi, l’article 12 bis étend les possibilités de rachats d’actions pour les sociétés cotées sur Alternext. Une disposition identique, présentée par le Gouvernement, avait été rejetée par le Parlement lors de l’examen de la loi du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière, voilà donc un peu plus d’un an.
La commission des finances avait alors, de manière unanime, rejeté cette disposition, considérant qu’il ne fallait pas, du fait de la profondeur de la crise financière, qu’Alternext s’inscrive dans une logique de financiarisation.
Nous aurions pu accepter des corrections ou des ajustements à la loi de régulation bancaire et financière, mais là, mes chers collègues, il s’agit non plus de simplifier, mais de revenir sur la volonté exprimée par le Sénat et de détricoter le texte finalement voté par le Parlement.
Autre surprise : à l’article 59, au détour d’un prétendu « allégement des démarches administratives » – il faut toujours se méfier quand un gouvernement entend « alléger » et « simplifier », car, en général, la loi s’en trouve in fine plus complexe, ce dont ne manquent pas de profiter ceux qui vivent de la défense d’intérêts souvent corporatistes –, on tend à réduire significativement les obligations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme des opérateurs de services de paiement en ligne.
C’est un comble, alors même que, en fin d’année dernière, Mme la ministre du budget avait expliqué, au cours d’une conférence de presse, combien le Gouvernement était actif dans la lutte contre la fraude. Cela étant, nous avions bien compris que ses efforts portaient d’abord sur la fraude sociale, marginale, et non pas nécessairement sur la fraude fiscale.
Au surplus, le texte renvoie l’essentiel de la mesure à un décret en Conseil d’État dont nous ignorons les principales orientations.
Surprise, encore, que de constater, à l’article 49 bis, que le Gouvernement demande une habilitation à transposer par ordonnance une directive du 10 décembre 2010. En effet, la partie législative de la transposition demeure très limitée, l’essentiel relevant du pouvoir réglementaire. En outre, les textes de transposition sont déjà prêts puisqu’ils font l’objet d’une consultation publique qui a été close à la fin du mois de décembre.
En matière de législation bancaire et financière, le Gouvernement fait, une fois encore, une mauvaise manière au Parlement en l’ignorant et en légiférant par ordonnance. C’est regrettable car, nous l’avons dit et redit, la technicité de ces matières ne doit pas conduire à faire abstraction de leur dimension politique.
Comme vous le savez, il n’est pas dans les habitudes du Sénat de se dérober à sa tâche et nous avons effectué, bon gré mal gré, un travail d’étude approfondi des dispositions dont nous nous sommes saisis.
À cet égard, j’ai également présenté, devant la commission des finances, un rapport sur la proposition de loi du président Marini tendant à améliorer l’information du marché financier en matière de franchissements de seuils en droit boursier, dont l’essentiel est repris à l’article 21 bis de la présente proposition de loi.
Néanmoins, monsieur le secrétaire d'État, s’agissant de la méthode, l’empressement avec lequel vous voulez voir adopter cette proposition de loi ne permet pas au législateur de débattre sereinement.
Pour ce qui est du fond, on ne peut que regretter qu’un trop grand nombre des mesures en discussion soient mal préparées, mal écrites ou, tout simplement, inadmissibles pour notre assemblée.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission des finances a décidé d’approuver la motion opposant la question préalable dont la commission des lois propose l’adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, rapporteur pour avis.