M. Patrice Gélard. Au titre des inconstitutionnalités éventuelles, il est ainsi possible de citer le cas de la Nouvelle-Calédonie, qui échapperait nécessairement à toute disposition de cette nature.
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
M. Patrice Gélard. De surcroît, chacun mesure les conséquences dramatiques qu’entraînerait une telle révision constitutionnelle sur le fonctionnement des institutions locales de Guyane ou de Mayotte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
Mme Catherine Procaccia. Bravo !
M. Gérard Larcher. À Saint-Laurent-du-Maroni !
Mme Éliane Assassi. Il s’agit d’immigration illégale, monsieur Gélard : ne mélangez pas tout !
M. Patrice Gélard. Je vais y venir, madame Assassi.
Enfin, j’évoquerai les nombreux dysfonctionnements juridiques que l’adoption de ce texte entraînerait.
Les premiers ont été mentionnés par M. le ministre et par Jean-Jacques Hyest. (M. le ministre acquiesce.) C’est notamment le cas de l’article 3, de l’article 1er et de l’article 88-3 de la Constitution, qui entrent en contradiction avec la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd’hui.
Dès lors, le problème est le suivant : quel pourra être le contenu de la loi organique ?
Madame le rapporteur, je me suis interrogé sur la raison d’être de votre amendement, qui tend à remplacer les mots « peut être » par le mot « est ». Je rappelle qu’en droit le présent de l’indicatif vaut impératif. Ainsi, en écrivant « le droit de vote et d’éligibilité est assuré » et non plus « peut être assuré », vous signifiez « doit être assuré » !
M. Roger Karoutchi. Bien sûr !
M. Patrice Gélard. Dans ces conditions, comment la loi organique pourra-t-elle encadrer ce droit ?
M. Jean-Jacques Hyest. Voilà !
M. Patrice Gélard. C’est véritablement une question de fond. M. Alain Richard a répondu : ce cas de figure est prévu, la loi organique fixera les conditions. Certes, et sous le contrôle du juge constitutionnel…
Toutefois, dès lors que vous prévoyez cet impératif, les conditions ne pourront plus porter que sur des points de détail, qui sont bien connus : il s’agit des dispositions relatives aux modalités d’inscription sur les listes électorales ou au remplacement des grands électeurs pour les élections sénatoriales. Et cela s’arrêtera là, puisque le texte qui nous est présenté précise que tous les étrangers ont et doivent jouir du droit de vote.
En conséquence, ce droit ne connaîtrait plus la moindre borne, tandis que le traité de Maastricht encadre celui des citoyens européens, notamment par la clause de réciprocité. Il n’y a plus de condition tenant à ’âge, aux droits civils et politiques ou à la résidence, et le Conseil constitutionnel pourra à peine – et encore ! –fixer quelques limites, au nom du principe de proportionnalité… Mais un tel exercice devient épouvantablement aléatoire.
Dès lors, dans quelle mesure la loi organique pourra-t-elle être adoptée ?
Mes chers collègues, face à de tels dysfonctionnements juridiques, j’estime que le texte qui nous est présenté aujourd’hui n’est pas prêt,...
M. Gérard Larcher. Cet argument est implacable !
M. Patrice Gélard. … et mérite d’être réécrit.
Enfin, je ferai mien un argument avancé à de nombreuses reprises par différents orateurs : cette proposition de loi va à contre-courant de nos principes républicains.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Patrice Gélard. En réalité, en accordant le droit de vote à des personnes qui sont non des citoyens français mais des étrangers – avec toutes les qualités que je leur reconnais pleinement – ce texte porterait atteinte à la théorie de l’État-nation et à la notion de souveraineté : les citoyens du monde remplaceraient dès lors ceux des États, ce qui remettrait en cause les fondements même de notre République ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, contre la motion.
M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, siégeant dans ce qui était alors la majorité sénatoriale, M. Gélard a pris l’habitude de fustiger ceux qui déposaient des motions tendant au renvoi à la commission ou tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité,…
M. Jean-Jacques Hyest. Pas du tout !
M. David Assouline. … en affirmant que ces procédures n’étaient qu’un prétexte et qu’elles n’avaient guère de fondement.
M. Jean-Jacques Hyest. C’était souvent le cas !
M. David Assouline. Eh bien, monsieur Gélard, vous venez de faire la démonstration…
Mme Christiane Demontès. Qu’il sait en faire autant !
M. David Assouline. … que, sitôt dans la minorité, vous usez des méthodes que vous condamniez naguère ! Et avec le sourire, qui plus est, en vous moquant de vous-même dès vos premiers mots, car vous savez que votre argumentation ne tient pas.
M. David Assouline. Monsieur Gélard, je lis dans l’objet de votre question préalable – il fallait bien que vous donniez une justification à cette motion –que ce texte ne saurait être examiné par la Haute Assemblée, puisque la proposition de loi examinée aujourd’hui a été adoptée en 2000 et que, depuis lors, les mandats de députés ont été renouvelés. Tel est donc votre argument principal.
D’ailleurs, M. Fillon l’a également souligné au début de son grand discours liminaire. Le Premier ministre lui-même a en effet reconnu que son reproche est de nature politique, et qu’il ne s’appuie en rien sur le droit : il ne s’agit que d’une considération proprement politique, fondée sur l’opportunité.
Monsieur Gélard, vous semblez suggérer qu’une proposition de loi adoptée devient automatiquement caduque lorsque la chambre qui l’a votée fait l’objet d’un renouvellement. Il est vrai que l’Assemblée nationale considère comme caducs les textes dont elle est saisie dès lors que ses pouvoirs ont expiré. Mais on ne retrouve rien de tel dans notre assemblée !
L’article 28, alinéa 2, du règlement du Sénat impose certes de déclarer caduque toute proposition sur laquelle les sénateurs n’ont pas statué à l’ouverture de la troisième session suivant son dépôt, mais uniquement pour ce qui concerne les textes d’origine sénatoriale, ce qui n’est pas le cas de la présente proposition de loi, puisqu’elle a été transmise par l’Assemblée nationale !
Voilà pour le semblant d’argument juridique que vous avez avancé, que je qualifierai plutôt d’argutie juridique.
En d’autres termes, monsieur Gélard, je ne vois ici aucun motif juridique permettant de donner une suite favorable à votre requête. Ne serait-ce que pour cette simple raison, je peux d’ores et déjà inviter le Sénat à rejeter la motion que vous présentez.
D’ailleurs, vous ne pouvez pas même vous appuyer sur une éventuelle anticipation de la décision du Conseil constitutionnel qui aurait pu estimer, si nous avions proposé un vote conforme, que nous manquions au principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires. (M. Jean-Jacques Hyest proteste.) De fait, nous avons déposé des amendements et la navette va poursuivre son cours tranquillement !
De plus, il s’agit d’une proposition de loi constitutionnelle et non d’une « petite loi », à laquelle il serait possible d’opposer cet argument.
Sur le plan juridique, donc, quel que soit l’angle retenu, l’argument de l’opportunité ne tient pas.
Sur le plan politique, vous vous demandez légitimement pourquoi nous reprenons ce débat onze ans après l’adoption de la proposition de loi par l’Assemblée nationale.
La réponse est toute simple : engagement politique de la gauche pris voilà trente ans, le droit de vote des étrangers n’a pu être réalisé à l’occasion de la première grande alternance de la Ve République que nous avons suscitée, en raison de l’opposition du Sénat conservateur – cette proposition de loi constitutionnelle doit en effet être obligatoirement approuvée par la Haute Assemblée pour poursuivre son chemin. (MM. Claude Dilain et Claude Bérit-Débat applaudissent.)
M. François-Noël Buffet. Et le référendum ?
M. David Assouline. Ce fut l’un de mes premiers engagements, et, avec toute la conviction et la fougue de la jeunesse, je demandai alors que cet engagement soit tenu aux gouvernements successifs de François Mitterrand. Toutefois, le même argument, imparable, m’était systématiquement opposé : le Sénat bloquait !
En 2000, nous avons voulu signifier à l’opinion que l’absence de dépôt d’un projet de loi sur le sujet ne s’expliquait ni par un manque de conviction ni par des atermoiements de notre part. Nous étions majoritaires en 2000 à l’Assemblée nationale ; nous avons donc fait voter une proposition de loi là où nous pouvions tenir nos engagements, à l’Assemblée nationale, texte que le Sénat conservateur a bien évidemment bloqué.
Toutefois, et vous êtes sans doute les mieux placés pour le savoir, chers collègues de l’opposition sénatoriale, le Sénat est depuis peu devenu majoritairement progressiste. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP et de l’UCR.) Et figurez-vous que la majorité sénatoriale a décidé de commencer son mandat en tenant ses engagements, pas sur le seul droit de vote des étrangers, comme vous le prétendez, mais sur toutes les questions, essentielles, symboliques, mais aussi concrètes pour les Français dans leur vie quotidienne, qui témoignent de ce que la gauche défend et promet pour l’avenir de la France.
Parce que nous avons gagné les élections sénatoriales sur la réforme des collectivités territoriales, nous avons tout d’abord voté une proposition de loi abrogeant le conseiller territorial.
Ensuite, en réponse à l’injustice absolue de la politique économique et fiscale du Gouvernement, nous avons débattu durant plus d’un mois sur la sécurité sociale, la santé, l’emploi ou encore la justice fiscale. Nous avons délibéré sur toutes ces questions et, aujourd’hui, les Français perçoivent mieux quel type de société nous voulons et dans quelle direction nous entendons nous diriger, en termes non seulement de justice sociale mais aussi de progrès possibles sur la voie d’une démocratie plus assumée.
Inopportune, cette proposition de loi constitutionnelle ? Au contraire !
Après trente ans d’attente, nous sommes majoritaires au Sénat et nous avons enfin la chance de faire ce que nous avons promis. Peut-être, de votre côté, avez-vous perdu l’habitude, chers collègues de l’opposition sénatoriale, de tenir vos engagements : non seulement vous ne faites jamais ce que vous dites, mais vous allez même parfois jusqu’à faire l’inverse de ce que vous aviez promis, comme le montre l’attitude de M. Sarkozy sur la question du droit de vote des étrangers ! Nous voulons au contraire rendre la parole politique plus crédible.
D’aucuns ont évoqué l’inopportunité politique de la démarche, à la veille de l’élection présidentielle. Quant à M. Guéant, il nous a accusés de vouloir changer le corps électoral pour gagner les prochaines échéances municipales. Il oublie simplement que, depuis de nombreuses années, grâce à la bonne gestion de nos élus locaux,…
Mme Christiane Hummel. Pas partout !
M. David Assouline. … nombreux sur ces travées, nous gagnons les élections locales, et ce sans avoir besoin du vote des étrangers !
M. Claude Léonard. Grâce au clientélisme !
M. Francis Delattre. Cela ne va pas durer !
M. David Assouline. En revanche, il est révélateur que M. Fillon, à la veille de l’élection présidentielle, vienne s’exprimer devant nous sur le droit de vote, et longuement, lui que nous avons attendu en vain quand nous débattions de la réforme territoriale, du budget ou des grandes questions économiques fondamentales pour le pays.
En réalité, M. Fillon est, lui, déjà en campagne électorale, comme en témoignent son grand discours liminaire et le soin qu’il met à diriger le phare de l’actualité sur cette proposition de loi.
M. Bruno Retailleau. Il est tout simplement dans son rôle !
M. David Assouline. Avec ce thème, vous pensez encore pouvoir récupérer votre électorat, qui migre vers le Front national.
Pourtant, examinez l’agenda politique : c’est à une époque où l’on ne parlait pas quotidiennement et à tout propos de l’immigration que le Front national avait considérablement chuté dans les sondages, au lendemain notamment du 21 avril 2002, quand nous avions déployé, nous, un véritable cordon sanitaire républicain, allant même jusqu’à voter pour Jacques Chirac.
M. Claude Léonard. Vous n’aviez pas le choix !
M. David Assouline. À l’inverse, depuis que vous faites voter plus d’une loi sur l’immigration chaque année – six lois en cinq ans ! –, et a fortiori depuis que vous avez lancé le débat sur l’identité nationale, regardez les courbes des sondages : Marine Le Pen monte et Nicolas Sarkozy descend ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) À chaque fois que vous alimentez ces débats, le Front national en récolte les fruits.
Nous aurions pu débattre dans le respect des convictions de chacun et renoncer à toute instrumentalisation du sujet – les étrangers extracommunautaires méritent en effet mieux que cela ! M. Fillon a d’ailleurs posé d’emblée les termes du débat, en s’interrogeant sur le lien entre nationalité et citoyenneté.
Ce débat intellectuel, politique au sens noble du terme, ne manque pas d’intérêt. Il a, du reste, toujours existé, ses lignes évoluant avec l’histoire de la République. Nous avons parlé de l’An I. En revanche, nous avons omis d’évoquer la Commune de Paris, qui nomma un juif de nationalité hongroise, Léo Fränkel, ministre du travail, et un général polonais, Jaroslaw Dombrowski, pour défendre l’honneur de la France et les idéaux universels de la République face aux Versaillais qui voulaient les casser.
Oui, il existe d’autres traditions, mais le débat a été tranché avec Maastricht. Des Espagnols, des Polonais ou des Allemands peuvent désormais voter en France aux élections locales, alors même qu’ils ne sont pas Français et qu’ils ne peuvent pas participer à l’exercice de la souveraineté.
Mme Colette Mélot. Ils sont Européens !
M. David Assouline. Vous avez décidé d’exclure les ressortissants extracommunautaires, alors même que certains ont un passé culturel bien plus important avec la France que les citoyens européens, notamment les étrangers issus des anciennes colonies, ou un présent beaucoup plus complet. Comment expliquer, par exemple, à des étrangers insérés dans le monde du travail, qui résident depuis vingt ans en France et dont les enfants sont Français, qu’ils ne peuvent pas bénéficier des mêmes droits que des ressortissants européens récemment installés ?
M. Bruno Retailleau. Ce n’est pas la même chose !
M. David Assouline. Vous n’avez pas de réponse. Vous êtes prêts à abandonner aux fonctionnaires européens notre souveraineté, singulièrement notre souveraineté budgétaire, au nom d’une pseudo-règle d’or, mais vous refusez d’accorder aux étrangers un droit supplémentaire, qui ne présente aucun lien direct avec la souveraineté nationale.
Au lieu de hurler à la destruction de l’esprit républicain, vous feriez mieux de regarder concrètement la réalité. J’ai toujours été frappé, les dimanches d’élections municipales, de voir tous ces étrangers qui regardent par la fenêtre les autres aller voter. Ces étrangers, qui habitent en France depuis trente ans, qui connaissent par cœur les routes et les écoles de leur commune, représentent plus de 20 % de la population dans certains quartiers. Pensez que leurs enfants, qui vont devenir Français, n’ont jamais connu de ces débats que les Français ont tous quand, réunis autour de la table familiale, ils s’interrogent pour savoir qui vote quoi. Et l’on s’étonne ensuite que ces jeunes ne s’inscrivent pas sur les listes électorales ou n’aillent pas voter ? Mais ce n’est que normal, faute de cette pédagogie familiale.
La citoyenneté, c’est l’intégration ! Il faut que les parents puissent voter pour que les enfants considèrent le suffrage comme un moment important du vivre-ensemble, un acte de dignité. Ce n’est qu’en osmose avec leurs parents que ces enfants français nés de parents étrangers pourront être doublement fiers de porter leur histoire et, forts de leur nationalité française, de faire vivre notre République.
C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adresser ce signe fort non seulement à tous les ressortissants extracommunautaires mais aussi à leurs enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. La commission est défavorable à cette motion.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement soutient sans réserve la motion.
M. Gélard a posé de bonnes questions, notamment sur la cohérence de cette proposition de loi avec d’autres dispositions constitutionnelles et sur la faisabilité d’une loi organique qui viendrait préciser cette modification constitutionnelle.
Plus fondamentalement, sa motion est le reflet du bon sens.
Même si la procédure est régulière – M. Sueur a eu raison de le souligner, et le Premier ministre ne l’a d’ailleurs pas contesté –, il est tout de même assez curieux de voir arriver en discussion, onze ans après son adoption en première lecture par l’autre assemblée, une proposition de loi qui aurait pu être votée bien avant, des dispositions constitutionnelles le permettant tout à fait.
Mais, je le soulignais d’emblée, nos concitoyens ont d’autres priorités aujourd’hui, comme l’emploi, l’Europe ou encore la situation financière.
Nous avons des raisons de penser que cette proposition de loi constitutionnelle s’inscrit dans un objectif politique, pour ne pas dire politicien. La droite n’est d’ailleurs pas la seule à le penser, puisqu’un leader socialiste, Malek Boutih, déclare aujourd’hui que cette proposition de loi n’arrive pas au bon moment et est susceptible de donner du grain à moudre au Front national ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle, pour explication de vote.
Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi constitutionnelle met en cause une tradition politique et juridique vieille de deux siècles.
Il existe dans notre pays un lien consubstantiel entre la nationalité française et le droit de vote.
En effet, notre Constitution est fortement dominée par les principes issus de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui fait partie du bloc de constitutionnalité, et dont l’article III est ainsi rédigé : « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »
Cette proposition de loi conduit à la rupture du lien entre l’appartenance à la Nation et l’exercice de la souveraineté qu’est le droit de vote.
La Constitution de 1958 confirme cette approche dans son article 3, selon lequel « la souveraineté nationale appartient au peuple » et « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ». Et cet article se trouve au sein du titre Ier de la Constitution, intitulé De la souveraineté.
La souveraineté nationale est historiquement au cœur de notre système politique.
Selon le constituant de 1791, la Nation est une entité distincte des individus dans laquelle ces derniers se retrouvent. C’est parce qu’ils appartiennent à cette entité qu’ils sont en droit de peser sur sa destinée.
La Nation, et donc la nationalité, n’est pas l’addition de citoyens, elle est l’expression de la volonté générale, de l’intérêt général.
La souveraineté nationale est avant tout un principe d’identité. Dans l’esprit de nos constitutions, souveraineté et nation servent d’ailleurs de base à ce que l’on appellera plus tard la politique d’intégration.
Elle désigne, en outre, la faculté de créer des règles politiques et de charger un pouvoir de les organiser au sein d’un groupe, en même temps que l’on exprime son identité vis-à-vis de l’extérieur.
Le droit de vote est justifié par le caractère permanent de la nationalité.
L’acquisition du droit de vote doit donc être liée à l’acquisition de la nationalité française. Choisir de devenir Français implique de projeter son destin dans celui de la communauté nationale. S’engager sur la voie de la naturalisation est une démarche positive et porteuse de sens. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Elle repose sur un accord de volonté entre l’individu qui souhaite obtenir la nationalité française et la Nation qui la lui accorde.
Nous devons cependant aussi respecter les étrangers résidant en France qui ne s’engagent pas dans une démarche de naturalisation. Pourquoi, chers collègues ? Parce qu’ils expriment ainsi leur attachement à leur nationalité et ne souhaitent pas, pour cette raison, accéder à la nationalité française et donc à la citoyenneté française.
Il en va différemment des ressortissants européens.
L’article 88-3 de la Constitution dispose : « Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l’Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l’Union résidant en France. » En revanche, ces derniers ne peuvent pas exercer les fonctions de maire ou d’adjoint, ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l’élection des sénateurs.
Cet article n’est pas une exception à l’article 3 de la Constitution, car il est lui-même lié à la condition de nationalité.
Le traité de Maastricht donne, en effet, une dimension politique à la citoyenneté européenne. Cette communauté de destin s’est construite, depuis 1957, étape après étape entre les peuples d’Europe.
La citoyenneté européenne est conditionnée, subordonnée à la possession de la nationalité d’un des États membres. C’est la raison pour laquelle on a pu parler de « citoyenneté de superposition » ou de conséquence.
M. David Assouline. Superposition ?...
Mme Catherine Troendle. Les ressortissants européens ne sont pas des étrangers comme les autres : ils sont citoyens européens et cette citoyenneté européenne englobe la citoyenneté française. Ainsi, c’est parce qu’on est citoyen français qu’en vertu du traité de Maastricht on accède à la citoyenneté européenne qui permet de circuler, de séjourner et de voter aux élections locales, partout dans l’Union.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Circuler et voter, ce n’est pas la même chose !
Mme Catherine Troendle. L’article 88-3 est simplement une mesure de réciprocité.
J’ajoute qu’il ne peut y avoir de discrimination entre ressortissants européens et étrangers non européens tout simplement parce qu’ils sont dans des situations différentes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Lesquelles ?
Mme Catherine Troendle. La jurisprudence du Conseil d’État est constante en la matière : le principe d’égalité n’interdit en rien de traiter différemment des personnes qui se trouvent dans des situations différentes.
Estimant que « pour voter, il faut être Français », tel que l’a rappelé le Président de la République le 23 novembre dernier, nous ne pouvons accepter d’adopter un texte de cette nature. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir voter cette motion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, notre groupe s’opposera sans réserve à cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. Gélard, avec beaucoup d’habileté, a mêlé des questions d’opportunité de date et des questions juridiques.
Mon cher collègue, sur l’opportunité de date, David Assouline a, me semble-t-il, répondu : le Sénat a bloqué pendant des années la possibilité de voter cette proposition de loi. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. David Assouline. La droite ne l’a pas inscrite à l’ordre du jour !
M. Jean-Pierre Michel. La majorité a changé, nous la présentons maintenant. Voilà pour l’opportunité !
S’agissant de l’incohérence juridique, mon cher collègue, vous qui êtes un éminent professeur de droit,…
M. François-Noël Buffet. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Michel. … vous devez savoir que l’article 3 de la Constitution emploie le présent pour les citoyens français qui votent, mais nonobstant ce présent – qui indique une obligation – il y a toute une série de conditions…
M. Jean-Jacques Hyest. Qui sont dans l’article 3 !
M. Jean-Pierre Michel. … qui ne figurent pas seulement dans l’article 3.
Donc, si l’amendement présenté par Mme la rapporteure emploie le présent, cela signifie que c’est une obligation, certes, mais sous réserve que certaines conditions soient remplies, qu’il s’agisse de la durée de résidence ou de l’absence de condamnation, toutes conditions d’ailleurs qui sont applicables aux citoyens français votant aux élections.
Donc, cher collègue Patrice Gélard, malgré toutes vos éminentes qualités, vous avez, me semble-t-il, un peu tiré sur le droit, mais ce sont d’ailleurs les professeurs de droit et les juristes qui le font le plus souvent à l’appui de leurs démonstrations ! (Sourires.)
La vérité, c’est que vous ne voulez pas de ce texte pour des raisons qui vous appartiennent, qui sont purement politiciennes et idéologiques. (Oh ! sur les travées de l’UMP.) Nous voterons donc contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote.
M. Yves Pozzo di Borgo. Je rappelle simplement que le groupe UCR votera pour, sauf six de nos collègues, qui ne prennent pas part au vote.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi constitutionnelle.
Je rappelle également que la commission a émis un avis défavorable et le Gouvernement un avis favorable.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 63 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 166 |
Contre | 174 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Portelli et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n°3.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, la proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non-ressortissants de l'Union européenne résidant en France (n° 143, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Hugues Portelli, auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)