M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, il va de soi que les sénateurs du groupe UMP voteront la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Assurément, la proposition de loi constitutionnelle pose problème : son adoption introduirait des contradictions dans notre Constitution. Ses auteurs entendent modifier celle-ci sur une question fondamentale, au détour d’une mesure présentée habilement et empreinte de bons sentiments. Avec le talent que nous lui connaissons, notre collègue Jean-Jacques Hyest vient de le démontrer.
En plus d’entrer en contradiction avec certaines dispositions de la Constitution, la proposition de loi constitutionnelle porte atteinte aux principes hérités de la longue histoire de la fondation de notre pacte républicain ; elle porte atteinte à notre définition de la Nation et de la citoyenneté.
L’article 1er de notre loi fondamentale, qui figure dans le titre relatif à la souveraineté, dispose en effet, je le cite à mon tour, que la France « est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
Pour en arriver là, il aura fallu aux républicains plus de deux siècles de luttes parfois acharnées. Aujourd’hui, plus personne ne songerait à remettre en cause ce grand principe. Encore faudrait-il ne pas lui porter atteinte…
Or, à nos yeux, la proposition de loi constitutionnelle porte en elle les ferments d’une possible division de notre République.
Comment ne pas voir qu’elle constitue potentiellement un vecteur du communautarisme, ce communautarisme que nous devons combattre à tout prix si nous souhaitons que la République, à laquelle nous sommes tous attachés, ne s’effiloche pas sur des pans entiers du territoire national ?
Nous sommes nombreux sur ces travées à être confrontés, dans nos communes, à l’essor de revendications émanant de catégories d’individus qui, à un titre ou à un autre, s’organisent pour peser sur les choix politiques locaux.
Mes chers collègues, ne nous cachons pas la réalité : l’octroi du droit de vote aux étrangers non communautaires, présenté par ses défenseurs comme un facteur d’intégration, porte au contraire le risque d’encourager le repli identitaire, contraire à l’unité de la République et à ses valeurs.
Dans nos banlieues, la mixité sociale est un enjeu crucial. La ségrégation territoriale y est malheureusement une réalité. Prenons garde qu’elle ne se double d’une ségrégation territoriale à base ethnique. Êtes-vous certains, chers collègues, vous qui parlez d’intégration, que votre projet n’y contribuerait pas ?
Je regrette sincèrement que certains, qui exaltaient et défendaient autrefois la République une et indivisible et ses textes fondateurs, comme la loi de 1905, s’écartent aujourd’hui de cet héritage, prenant le risque de détricoter les fondements de notre pacte républicain…
L’article 3 de la Constitution définit expressément comme électeurs « tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ». La règle est simple, clairement énoncée : pour voter, il faut être Français !
Le droit de voter est la plus haute manifestation de l’appartenance à notre nation. À ce titre, il est indissociable de la citoyenneté et de la nationalité françaises : nous ne sommes manifestement plus, gauche et droite, d’accord sur ce point.
Mais ce choix politique et institutionnel, c’est celui de nos pairs, qui ont consacré la Nation comme seule détentrice de la souveraineté.
Ce choix est au cœur de notre socle républicain et aucun des constituants successifs ne l’a jamais remis en cause. Vous avez changé d’avis : les Français jugeront !
Le droit de désigner les représentants du peuple français, au niveau national comme au niveau local, et ainsi de participer à l’exercice de la souveraineté nationale, ne peut appartenir qu’au peuple français.
Pour obtenir ce droit, un ressortissant étranger doit impérativement embrasser les valeurs de la République et faire le choix de lier son destin à celui de la France, en faisant l’acquisition de la nationalité française.
Vous admettrez, mes chers collègues, qu’il n’y a pas beaucoup de pays au monde, quoi que vous en disiez, dans lesquels l’acquisition de la nationalité soit plus facile qu’elle ne l’est en France, pour celui qui la désire.
Si des étrangers vivant en France depuis longtemps ne souhaitent pas accéder à la nationalité française, c’est leur droit le plus strict ; mais ne venez pas nous dire alors qu’ils sont discriminés… S’ils n’ont pas le droit de vote, c’est parce qu’ils ne veulent pas devenir Français : leur choix est respectable mais, de grâce, ne nous en faites pas le reproche !
Le débat se résume à cette vérité simple : il n’est pas acceptable d’introduire dans notre Constitution, au détour du titre XII consacré aux collectivités locales, une mesure créant de facto différents degrés de citoyenneté. Cette segmentation serait discriminatoire et contraire au principe d’égalité qui prévaut depuis plus de deux siècles ! (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Samia Ghali. Monsieur le président, et le temps de parole ?...
M. Philippe Dallier. En définitive, mes chers collègues, sans même qu’il soit nécessaire de soulever de polémique sur l’opportunité politique purement contextuelle de notre débat – il y aurait pourtant beaucoup à dire –, nous considérons que la présente proposition de loi constitutionnelle est manifestement non conforme à nos principes républicains fondamentaux. Le groupe UMP, qui s’oppose fermement à l’adoption de ce texte, votera la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il va de soi que notre groupe votera contre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Manifestations de déception feinte sur les travées de l’UMP.)
Longtemps président de la commission des lois, M. Hyest a combattu avec ironie, il n’y a pas longtemps, une motion déposée par mon groupe tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques, la fameuse « règle d’or ».
Ainsi, la rigueur du juriste qui vaut pour l’abandon de la souveraineté de la France au profit des marchés financiers vaut beaucoup moins lorsqu’il s’agit de reconnaître aux étrangers non communautaires le droit de vote aux élections locales… Dont acte ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
Mais passons sur la forme et voyons la question de fond, celle des rapports entre la nationalité, la citoyenneté et le droit de vote.
Monsieur Hyest, monsieur le ministre, vous avez soulevé le problème des contradictions qui seraient introduites dans la Constitution. Mais vous savez bien, même si vous dites le contraire, que nous ne proposons de modifier ni son article 1er ni son article 3 !
M. Jean-Jacques Hyest. C’est une question de cohérence !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. D’ailleurs, ce n’est pas l’article 3 qui a été visé pour octroyer le droit de vote aux étrangers communautaires.
M. Jean-Jacques Hyest. C’était le traité de Maastricht !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Certes, c’était le traité de Maastricht. Mais vous omettez de dire qu’il n’y a pas de citoyenneté européenne : elle n’est inscrite ni dans notre Constitution ni dans un texte supranational constitutionnel.
Si une telle citoyenneté existait, les citoyens européens disposeraient des mêmes droits sociaux, des mêmes droits économiques, des mêmes droits en matière de justice partout en Europe. Or ce n’est pas le cas. Les juristes qui donnent des leçons de conformité à la Constitution devraient se pencher sur la question…
Nous ne proposons donc pas de modifier le régime de la nationalité : nous voulons rendre égaux, dans la Cité, des résidents qui, aujourd’hui, sont loin de l’être.
Un étranger communautaire propriétaire d’une résidence secondaire dans une ville ou un village de notre pays dispose du droit de vote aux élections locales. Il en va de même pour un citoyen du lac Léman qui possède une résidence secondaire dans notre pays : puisqu’il est Français, il vote bien sûr aux élections locales.
En revanche, un Algérien, un Marocain ou un Tunisien qui habite dans le même village, dont les enfants vont à l’école, qui travaille et paie des impôts – c’est pour le lac Léman que j’ajoute cette précision… – ou qui a pris sa retraite après avoir travaillé, lui dont les fils et les filles sont Français, qui a donné à la France son travail, qui lui a donné des enfants, lui ne peut pas voter pour élire des conseillers municipaux et participer à l’élection du maire ! Trouvez-vous cela juste ? Trouvez-vous cela conforme à l’égalité ? Trouvez-vous que ce problème a quelque chose à voir avec la nationalité ?
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh bien, non !
Pour voter, dites-vous, il faut avoir la nationalité française, et celle-ci serait accordée facilement dans notre pays.
Je vais vous donner un exemple tout à fait édifiant de cette « facilité ». C’est celui d’une femme algérienne - j’ai saisi M. le ministre de l’intérieur de son cas, et je pense qu’il donnera une suite favorable à ma demande – dont le père est mort, ou plutôt a été déclaré mort, le 17 octobre 1961. Cette date vous rappelle sans doute quelque chose…
Cette femme, donc, vient de se voir refuser la naturalisation au motif qu’elle n’a d’autre ressource que celles qui lui sont accordées au titre de l’aide sociale. Pourtant, déjà installée en France en 1961, elle y est restée et y a travaillé pendant des années. Aujourd’hui, son mari est invalide et il est vrai qu’elle ne travaille plus. Mais tout de même…On lui a donc refusé la naturalisation, sans doute en mémoire de son père, cet Algérien qui fut jeté à la Seine…
M. Robert Hue. Il a été noyé !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Chers collègues, voilà comment on accorde la nationalité française ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
Vous évoquez la République ? On ne peut pas occulter l'histoire ! La République est héritière de 1789, que cela vous plaise ou non ! (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.) À cet égard, je vous renvoie au préambule de la Constitution de 1958. Le président de la commission des lois l’a rappelé, la Convention, les constitutions de 1791, de 1793 et de 1795 ont accordé le droit de vote aux résidents étrangers, à partir du moment où ils avaient choisi la France et y résidaient.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est Napoléon qui est revenu sur ce droit, sans que cette décision ait jamais été remise en cause par la suite, à mon grand regret.
Puisque vous aimez vous référer à l'histoire, permettez-moi de vous rappeler que la France a déchu des Français de leur nationalité dès le xive siècle, dont un professeur de philosophie cher à mon cœur, parce qu'ils étaient juifs. Aussi, il faut prendre garde de ne pas trop manier l'histoire à ce propos. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.- Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Alors nous disons non à l’irrecevabilité défendue par M. Hyest. Pour nous, la justice commande que nous adoptions une conception moderne de la citoyenneté, celle à laquelle nous invitait en 1991 le Conseil de l'Europe lorsqu’il engageait les pays européens à accorder aux étrangers résidant sur leur territoire le droit de vote pour les élections locales.
Pour terminer, je ne résisterai pas au plaisir de vous citer M. Longuet, ministre de la République, qui, interrogé hier sur cette question, déclare : « Je souhaiterais qu'on soit très détendu sur ce sujet. C'est la vie locale, les gens sont là, il faut les associer. Si une majorité décidait d’adopter le texte, je ne me ferais pas brûler sur un bûcher en protestation. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne sais pas si cette proposition de loi constitutionnelle est conforme ou non à la Constitution dans sa rédaction actuelle. Toujours est-il que ce ne serait pas la première modification, même substantielle, de notre loi fondamentale. Je pense en particulier à l’instauration du quinquennat, qui a changé la nature du régime, qu’on le veuille ou non, ou le droit d’adresse, c’est-à-dire la possibilité offerte au Président de la République de prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès, décidée voilà peu de temps.
En revanche, je crois savoir que, si cette proposition de loi constitutionnelle est adoptée, ce sera la première fois, depuis la Révolution française, à deux exceptions près sur lesquelles je reviendrai, qu'il existera en France une citoyenneté de deux types, à deux vitesses : une citoyenneté nationale de plein exercice et une citoyenneté résidentielle locale.
Tout à l'heure, Jean-Pierre Sueur a évoqué la Révolution, au début de laquelle les étrangers s’étaient vu attribuer le droit de vote.
Je voudrais tout de même rappeler que ce droit était national et local ; il n'existait pas un droit national distinct du droit local. Pour être cohérent, il faudrait donc remplacer la référence nationale par la référence résidentielle.
Les étrangers ne paient-ils que des impôts locaux ? Ne paient-ils aucun impôt national ? À revenu équivalent, paient-ils moins d'impôts que les autres contribuables ?
Je rappelle aussi que, à l’époque, faire le choix de résider en France, c'était alors embrasser la Révolution, c'était combattre la coalition qui tentait de l'abattre. C'était un choix politique, celui précisément dont on espère qu'il guide le choix de ceux qui demandent leur naturalisation, qu’ils parlent ou non français, problème tout à fait subsidiaire à mon sens.
Je rappelle aussi que le suffrage était alors masculin et censitaire, et non universel. On serait alors autorisé à se demander si ce droit de vote n’était pas accordé moins aux citoyens qu’aux bourgeois !
Je voudrais maintenant dire quelques mots des deux exceptions que j'ai évoquées, dont il a été largement question cet après-midi.
Première exception : la situation qui est faite aux étrangers communautaires. Permettez-moi de vous faire observer qu'elle s'explique par l'existence d'un traité en bonne et due forme,…
M. David Assouline. Et alors ?
M. Pierre-Yves Collombat. … grâce auquel, cela ne vous aura pas échappé, nous disposons d'un passeport européen.
Si les étrangers non communautaires devaient être autorisés à voter, ils ne seraient pas exactement dans la même situation, il faut savoir le reconnaître.
En 1992, l’espoir, sans doute fou à la lumière des événements que nous vivons actuellement, était de voir se constituer une nation européenne et, en filigrane, un avenir commun. Peut-on en dire autant aujourd’hui ? Je ne le pense pas.
Seconde exception, moins glorieuse, sur laquelle je ne m’appesantirai pas pour l’instant : le système qui fut en vigueur dans les trois départements d'Algérie, départements français, territoires français, entre 1865 et 1946, voire 1956. Ce système admettait la dualité, que Dominique Schnapper a qualifiée de « monstruosité juridique ». Je passe sur la suite politique.
Le groupe du RDSE, vous le savez, est pluriel ; son expression sera donc diverse. Personnellement, je voterai cette motion.
En revanche, tous les membres du groupe s'interrogent sur l'opportunité de ce débat. Il y a des arguments pour et des arguments contre, mais, franchement – et je m'exprime à titre personnel –, je ne sais pas où l’on va ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote.
M. Yves Pozzo di Borgo. François Zocchetto ayant déjà exprimé la position du groupe de l'UCR, je serai bref.
Premièrement, le droit de vote et le droit d'éligibilité restent un attribut de la nationalité par laquelle on devient citoyen, même si, il est vrai, la nationalité française est amenée à s'étendre à la citoyenneté européenne, notamment aux termes du traité de Maastricht. C'est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes contre cette proposition de loi constitutionnelle.
Deuxièmement, et François Zocchetto a eu le courage de le souligner au début de son intervention, dans le contexte difficile que la France vit actuellement, dans cette période de campagne électorale propice à l’exacerbation des tensions, nous considérons que ce débat ne peut qu’avoir des effets déstabilisateurs. Aussi, je regrette que nos collègues socialistes se soient engagés sur ce terrain politicien.
Pour ces raisons, la majorité des membres du groupe de l’UCR considèrent que ce débat est inutile pour le moment et voteront par conséquent cette motion. Seuls six de nos collègues, membres du MODEM de François Bayrou, s'abstiendront.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Nous devons nous prononcer sur une motion tendant à opposer l’irrecevabilité à une proposition de loi constitutionnelle. Comme l’a expliqué Jean-Pierre Sueur, la logique est implacable : il n’est pas possible d’opposer l’irrecevabilité à un texte ayant pour objet de modifier la Constitution.
Aussi, notre groupe votera contre cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi constitutionnelle.
Je rappelle également que la commission a émis un avis défavorable et le Gouvernement un avis favorable.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 62 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 166 |
Contre | 174 |
Le Sénat n'a pas adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Gélard et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n° 2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France (n° 143, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Patrice Gélard, auteur de la motion.
M. Jean Desessard. Voilà qui bouleverse nos habitudes ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Les temps changent, monsieur Desessard. (Nouveaux sourires.)
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, en premier lieu, je souhaite rendre hommage au travail accompli par Mme le rapporteur de la commission des lois, et en particulier à la conviction avec laquelle elle a défendu sa position. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !
Mme Christiane Demontès. Bravo !
M. Patrice Gélard. Je dois lui avouer que je suis en parfait désaccord avec elle,…
MM. Gérard Larcher et Roger Karoutchi. Bravo !
M. Patrice Gélard. … mais il n’empêche, je tenais à saluer Mme le rapporteur. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Merci, mon cher collègue.
M. Patrice Gélard. Il y a une quinzaine de jours, j’ai déjà eu l’occasion d’exposer ma typologie des différentes questions préalables.
M. Robert del Picchia. Vous avez été mal compris !
M. Patrice Gélard. Premièrement, la question préalable positive (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP et de l’UCR.) a pour but d’éviter qu’une discussion trop longue ne s’engage ou, en définitive, que des amendements imprévus ne viennent compléter un travail qui n’est pas nécessaire.
MM. Gérard Larcher et Roger Karoutchi. Voilà !
M. Patrice Gélard. Deuxièmement, la question préalable négative, que nous employons le plus souvent, a pour but de manifester un désaccord avec le texte proposé.
M. Roger Karoutchi. Exactement !
M. Patrice Gélard. Or nous sommes présentement placés devant un troisième cas,…
M. Roger Karoutchi. La question préalable « neutre » ! (Rires sur les travées de l’UMP.)
M. Patrice Gélard. … la question préalable pour inopportunité. (Exclamations sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Toujours plus de distinctions !
M. Patrice Gélard. Mes chers collègues, cette procédure nous permet de constater que le texte qui nous est aujourd’hui présenté n’est pas opportun (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.), et qu’il faudrait le remplacer par un autre. Je vais m’efforcer de le démontrer. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. Pierre-Yves Collombat. Ce sera plus difficile !
M. Patrice Gélard. Ce texte est tout d’abord inopportun pour des raisons de procédure.
M. Patrice Gélard. En effet, certains orateurs l’ont précédemment souligné, jusqu’à présent, aucune modification constitutionnelle n’a pu aboutir par la voie parlementaire : les vingt-quatre révisions adoptées depuis 1958 procédaient toutes de l’initiative présidentielle. (M. Jean-Jacques Hyest manifeste son approbation.)
Néanmoins, il existe un précédent qu’il convient de mentionner : celui du quinquennat. (M. Jean-Jacques Hyest acquiesce.)
M. Roger Karoutchi. Malheureusement !
M. Patrice Gélard. Sous la présidence de Georges Pompidou, l’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté la révision constitutionnelle portant la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans ; néanmoins, lorsque cette révision a de nouveau été engagée, en 2000, nous n’avons pas eu recours au texte adopté en 1974 ; nous avons repris la procédure à son point de départ.
M. Gérard Larcher. Exactement !
M. Patrice Gélard. Il s’agit d’un précédent important pour ce qui concerne le cas qui nous occupe aujourd’hui.
Comme l’a souligné le Premier ministre, depuis 2000, deux élections présidentielles ont eu lieu, auxquelles se sont ajoutées deux élections législatives ainsi qu’un renouvellement total du Sénat. (M. Gérard Larcher acquiesce.) La représentation nationale n’est donc plus du tout la même qu’il y a onze ans.
Mme Catherine Tasca. Tout a changé !
M. Claude Bérit-Débat. Et ce n’est pas fini !
M. Patrice Gélard. Normalement, en pareil cas, une certaine éthique devrait nous conduire à reprendre l’intégralité de la procédure, même si rien n’y oblige formellement. C’était tout à fait possible : en effet, rien n’interdisait au groupe socialiste de déposer un nouveau texte, et de reprendre de même la procédure à son point de départ.
Mais ce texte est aussi inopportun en raison de la date choisie pour sa discussion : le calendrier n’est pas bon !
On l’a déjà dit et répété plusieurs fois sur ces travées, d’une part, les élections présidentielle et législatives approchent ; d’autre part, on sait pertinemment que cette proposition de loi ne fera pas l’objet d’un vote définitif avant ces échéances électorales. Il s’agit donc d’un coup d’épée dans l’eau, qui masque sans doute d’autres calculs, et de tels calculs ne justifieraient en rien le temps que nous pourrions consacrer à la discussion d’une proposition de loi, importante, certes, mais inopportune. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.).
Ce texte est enfin inopportun en ce qu’il lui manque une réelle étude d’impact. (M. Jacques Mézard manifeste son désaccord.) Or la Constitution et la loi organique imposent qu’une telle étude d’impact soit jointe à chaque projet de loi. Concernant cette proposition de loi, nous disposons, certes, d’une étude comparative, ce dont je remercie M. le rapporteur - ce type de document devrait normalement figurer en annexe de tous les textes de loi - mais elle est incomplète, donc imparfaite, et cette pseudo-étude d’impact ne nous permet pas de tirer de véritables conclusions, je le regrette.
En effet, un certain nombre de pays ont été retenus, d’autres ont été écartés de la comparaison ; j’aurais pourtant souhaité que l’on étudie le cas de la Lituanie,…
M. David Assouline. Le phare du monde, c’est bien connu !
M. Patrice Gélard. … où l’on ne peut voter aux élections locales qu’à condition de parler lituanien.
M. Roger Karoutchi. Qui parle lituanien, ici ? (Sourires.)
M. Patrice Gélard. Il convenait de mentionner ce cas intéressant ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Ensuite, comme cela a été souligné à de nombreuses reprises, les situations diffèrent radicalement d’un pays à l’autre. Certains États privilégient ainsi des relations affectives anciennes, issues de la tradition, comme l’illustrent les relations du Royaume-Uni avec le Commonwealth, de l’Espagne avec les pays hispanophones ou du Portugal avec les pays lusophones.
En outre, cette étude comparative ne mentionne que très partiellement les limitations au droit de vote, qui jouent pourtant un grand rôle dans certains États.
Ce document est donc incomplet, d’autant plus que les données comparatives auraient dû être présentées en regard des conditions fixées par ailleurs dans chaque pays pour l’acquisition de la nationalité.
Au surplus, cette étude d’impact est insuffisante pour ce qui concerne les conséquences d’une telle révision en France.
M. Patrice Gélard. Combien de personnes seraient concernées ? Dans quels territoires les problèmes se cristalliseraient-ils ? Pourquoi n’a-t-on pas étudié le cas des départements d’outre-mer ?
M. Gérard Larcher. Mayotte !