Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mettons-les en prison dès seize ans…
M. Christophe Béchu. … accordons aux parents autant de bulletins qu’ils ont d’enfants mineurs, car après tout, les décisions prises pour l’équilibre des retraites ou des comptes publics les concernent.
Si c’est une avancée républicaine au nom de l’égalité, la République a bon dos, et l’égalité est bien démonétisée.
J’affirme que la République est trop précieuse pour être présentée ou érigée comme une ligne de démarcation entre nous.
J’affirme aussi qu’elle grandit quand on rappelle qu’elle est une exigence quotidienne, pas une facilité de langage mise à toutes les sauces.
La République se défend et, en l’occurrence, je considère que ceux qui veulent donner le droit de vote aux étrangers, loin de la renforcer, l’affaiblissent en réalité.
Car en République, on ne traite pas tout le monde de la même manière. On traite de la même manière ceux qui sont en situation comparable.
M. Bruno Retailleau. Bien sûr !
M. Christophe Béchu. Ainsi, un impôt progressif n’est pas égalitaire, mais il est profondément républicain. Ainsi, la fragilité de certains de nos compatriotes justifie des traitements différenciés sur le plan juridique, reposant sur des suppléments de droit ou des minorations de devoir. À l’inverse, l’exemplarité républicaine exige plus de ceux qui ont davantage reçu.
Il est donc totalement faux de présenter ce texte comme un surplus d’égalité. C’est un contresens absolu de la notion même d’égalité ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Si l’on voit dans ce texte un vecteur de cohésion sociale, j’ai bien peur, là aussi, que l’on ne se trompe lourdement.
N’y a-t-il plus de problèmes d’intégration dans les pays qui pratiquent cette extension du droit de vote ? Le communautarisme aurait-il disparu d’Angleterre sans que l’on nous ait prévenus ? Les pays du Nord ne seraient-ils pas confrontés à une forte poussée de l’extrême droite lors des élections, y compris locales ?
M. Michel Savin. Exactement !
M. Christophe Béchu. Je n’ai jamais rencontré d’immigré me disant qu’il souhaitait, pour s’intégrer, avoir le droit de vote aux élections locales.
M. Bruno Retailleau. Moi non plus !
M. Christophe Béchu. J’en ai reçu qui étaient confrontés à des problématiques sociales ou à des cas de discrimination ; j’en ai rencontré qui souhaitaient la naturalisation, mais je n’en ai jamais vu qui réclame le droit de vote ou qui s’en plaigne. Et comme je conçois volontiers de n’être pas représentatif, je dois dire, pour étayer mon propos, que cette revendication n’a jamais donné lieu à d’autres formes d’action que des tribunes d’intellectuels dans des journaux réputés, ou des « votations citoyennes » dans 75 communes sur 36 000, votations qui n’ont pas plus de légitimité qu’une quelconque pétition.
Et que l’on ne vienne pas nous expliquer que ce serait un moyen de donner davantage de dignité aux étrangers non communautaires ! En effet, si la dignité est attachée au droit de vote, comment la conditionner à une durée de résidence ? Comment même la conditionner à une régularité du séjour ?
La dignité est due à tout être humain,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et les sans-papiers ?
M. Christophe Béchu. … majeur ou mineur, régulier ou irrégulier. Mais, pour autant, la dignité ne donne pas d’autre droit que celui d’être respecté, secouru et protégé. Elle n’entraîne aucune obligation de conférer des droits analogues à ceux des nationaux.
En réalité, on peut très bien soutenir que le fait de donner le droit de vote aux étrangers non communautaires aux élections municipales non seulement ne renforcera pas la cohésion sociale, mais pourrait même encourager le communautarisme. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) En effet, sans même que cette mesure ait été votée, on assiste à des dérives locales sur le territoire national.
M. Roland Courteau. C’est faux !
M. Christophe Béchu. Quand la maîtrise de notre langue est imparfaite, quand certains quartiers se replient sur eux-mêmes,…
Mme Samia Ghali. La faute à qui ?
M. Christophe Béchu. … quand on réserve des créneaux à la piscine, le communautarisme guette déjà.
Mme Samia Ghali. La faute à qui ? À vous ! (Mme Samia Ghali désigne les sénatrices et sénateurs de l’UMP.)
M. Christophe Béchu. Si la modification du corps électoral devait demain encourager, ici ou là, des prises de distances grandissantes avec la laïcité, nous serions alors dans l’obligation de durcir la législation dans ce domaine, alors même que les plus ardents défenseurs de ce texte comptent parfois parmi les plus farouches opposants à un renforcement des textes sur la laïcité...
M. Alain Fauconnier. Pas vous !
M. Christophe Béchu. Problème de forme, problème de moment, problème de justification, problème aussi dans l’analyse de droit comparé pour soutenir cette proposition de loi.
En effet, la note de droit comparé que vous produisez en annexe du rapport est légère, partiale et incomplète. Sur treize pays étudiés, seuls trois dénient le droit de vote aux étrangers lors des élections locales ; mais pourquoi n’en avoir examiné que treize ? Si l’échantillon avait été plus vaste, cette proportion aurait été bien supérieure. On décrit un bloc de dix pays accordant ce droit, mais certains d’entre eux l’assortissent de conditions de réciprocité tellement sévères qu’elles vident ce droit de sa substance. En réalité, seuls cinq pays l’appliquent dans les conditions où vous l’envisagez.
De plus, une étude de droit comparé complète aurait mis le droit de vote en perspective des conditions requises pour acquérir la nationalité. Je trouve choquant de dépeindre notre pays comme fermé et hostile. Si telle était la réalité, comment expliquer que nous soyons le deuxième pays au monde, et le premier en Europe, en ce qui concerne le nombre de demandes d’asile ? (Tout à fait ! sur plusieurs travées de l’UMP.)
Problème de forme, problème de moment, problème de justification, problème de comparaison tronquée, problème ensuite au regard de la citoyenneté européenne. (Mme Christiane Demontès s’exclame.)
Il est inconcevable de décrire la situation actuelle comme une discrimination entre Européens et non-Européens. C’est méconnaître l’essence même de la construction européenne. Le droit de vote accordé aux Européens est le résultat d’un processus politique volontariste, progressif et réciproque. Il s’inscrit dans un projet continental, avec une communauté de destin librement choisie.
Si discrimination il y a, ce sera à l’issue de l’adoption de cette proposition de loi, puisque les Européens ne pourront voter qu’en cas de réciprocité alors que les non-Européens ne se verront pas soumis, dans votre projet, à quelque réciprocité que ce soit... (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Un sénateur de l’UMP. Ça c’est vrai !
M. Christophe Béchu. Problème de forme, de moment, de justification, de comparaison, de cohérence européenne, et enfin problème au regard de la notion même de citoyenneté.
Mes chers collègues, avec solennité, je veux vous dire que ce texte instaure une citoyenneté de résidence qui sera en quelque sorte une citoyenneté de seconde zone. Or je suis trop attaché à la citoyenneté pour souhaiter un tel édifice, qui, pour reprendre les termes de Jean-Pierre Chevènement, aboutit à saucissonner la citoyenneté.
Ce texte repose sur une phrase répétée en boucle comme une évidence : « Celui qui travaille en France et qui paie ses impôts en France doit pouvoir voter ».
Mme Esther Benbassa, rapporteure. C’est Sarkozy qui l’a dit !
M. Christophe Béchu. Convenons ensemble que celui qui travaille en France et qui paie ses impôts en France, en respectant nos règles et nos valeurs, doit pouvoir…
M. Roland Courteau. Voter !
M. Christophe Béchu. … devenir Français.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Christophe Béchu. En fait, c’est bien là le cœur du sujet. Il y a ceux qui pensent que le droit de vote n’est pas attaché à la nationalité et qu’il est un droit gratuit, associé à rien, et ceux qui considèrent que la moindre des choses pour participer aux choix qui engagent nos collectivités locales, comme notre pays, c’est de le vouloir (Mme Éliane Assassi et M. Roland Courteau s’exclament.), en choisissant de lier son destin à celui de la France, en choisissant de rejoindre la nation, ses droits et ses devoirs,…
M. Roland Courteau. Vous n’avez pas l’impression d’en faire trop ?
M. Christophe Béchu. … en manifestant par la naturalisation (Mme Éliane Assassi s’exclame de nouveau.)…
M. Rémy Pointereau. Du calme !
M. Christophe Béchu. … le désir d’appartenance à une communauté qui dépasse nos identités multiples.
Mme Éliane Assassi. Et ceux qui sont morts pour la France ?
M. Christophe Béchu. Je ne doute pas, moi non plus, de la sincérité de Mme la rapporteure, ainsi que de celle de certains des promoteurs de ce texte. Mais cette sincérité ne suffit pas à me convaincre. Ce texte est contraire à nos convictions sur l’importance de notre pacte républicain et national. Il s’oppose à notre vision de ce qui est souhaitable, et même de ce qui est juste. (Mme Éliane Assassi et M. Jean-Pierre Godefroy s’exclament.) Rien, ni sur la forme ni sur le fond, ne me permet d’envisager une autre position que celle de voter résolument contre ce texte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (M. Michel Teston applaudit.)
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la rapporteure, mes chers collègues, aujourd’hui notre assemblée est appelée à se prononcer sur un sujet majeur pour la cohésion de notre pays : l’établissement de droits et devoirs égaux pour l’ensemble des habitants des villes et villages de France.
En cette période difficile, où chacun doute pour son avenir, sa famille, son travail, son logement, où beaucoup ne peuvent plus se soigner, vivant dans la précarité, où l’on doute de l’action collective, réaffirmer qu’en France l’origine de chacun n’est pas un obstacle à la vie commune, à une fraternité partagée est fondamental pour éviter de tomber dans la spirale du doute, de la peur de l’autre, de la fermeture, et in fine du déclin.
Plus encore que de coutume, travailler à la cohésion de notre société et à l’intégration de tous ceux qui la composent est un devoir essentiel.
La force symbolique de la disposition que nous proposons ce soir au Sénat d’adopter constitue, sans être une solution miracle, un outil important pour y parvenir.
Pour qu’il soit utile, ce débat ne saurait être l’occasion d’excès de langage, de simplification ou d’intoxication, comme celle dont s’est rendu coupable M. le ministre de l’intérieur lorsqu’il dénonçait la perspective de maires étrangers en Seine-Saint-Denis.
Ce sont des propos mensongers que je ne vous imagine pas avoir tenus sans lire notre proposition de loi, qui fait sept lignes.
M. Bruno Retailleau. Ce n’est pas ce qu’il a dit !
M. Jean-Yves Leconte. Ce sont des propos dangereux pour l’ordre public, puisqu’ils stigmatisent des personnes vivant parfois depuis des dizaines d’années sur notre territoire (M. Éric Doligé s’exclame.) et montent les habitants de notre pays les uns contre les autres sur la base d’une hypothèse fallacieuse.
Cette quatre-vingtième proposition de François Mitterrand a trente ans.
M. Philippe Dominati. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ?
M. Jean-Yves Leconte. Aujourd’hui, pour la première fois, nous avons la majorité au Sénat. (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Fiers de cette nouvelle configuration politique, nous nous mettons sur le champ à la tâche en proposant aujourd’hui l’adoption d’un texte voté par l’Assemblée nationale voilà dix ans.
Ensuite, dans la foulée des échéances électorales de l’année prochaine, il sera alors possible de finaliser cette réforme, dans la perspective des élections municipales de 2014.
Pourquoi aujourd’hui pouvons-nous faire cette réforme ?
M. Rémy Pointereau. Pour faire de la politique !
M. Jean-Yves Leconte. Certains nous disent que, dans notre tradition, le droit de vote à toutes les élections doit découler de la nationalité. Cet argument est bien téméraire lorsqu’on se rappelle de la tradition jusqu’en 1944 : l’absence de droit de vote pour les femmes françaises. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Roger Karoutchi. De Gaulle !
M. Jean-Yves Leconte. N’avaient-elles pas la nationalité ? Étaient-elles vraiment citoyennes avant ?
Ensuite, il y a l’Europe.
Le traité de Maastricht a introduit la citoyenneté européenne et les droits qui en découlent.
Avec l’instauration du droit de vote aux élections municipales en France pour les ressortissants européens, la notion de citoyenneté de résidence a été établie dans notre pays.
Dans plusieurs pays européens, il a cependant été remarqué que la citoyenneté de résidence n’avait de sens que lorsqu’elle était élargie à l’ensemble des habitants des municipalités. Ainsi sont-ils aujourd'hui plus de dix-huit pays à avoir accordé aux étrangers – bien sûr dans des conditions différentes – le droit de vote aux élections locales.
M. Roland Courteau. Il faut le rappeler !
M. Jean-Yves Leconte. Soulignons d’ailleurs que l’établissement de ce droit n’a pas toujours été le fait de majorités de gauche. (M. Roland Courteau opine.)
Qu’est-ce que la citoyenneté de résidence ? C’est la possibilité de participer à la gestion de son espace de vie quotidienne, de sa ville, de son quartier.
Est-elle liée à la nationalité ? Non, car avez-vous l’impression de perdre votre nationalité lorsque vous allez à l’étranger ou même lorsque vous vous y installez ? Lieu de vie et nationalité sont bien deux choses différentes !
Pourquoi devons-nous aujourd'hui accorder aux étrangers le droit de vote aux élections locales ?
Le défi de la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale a conduit notre pays à faire appel à de très nombreux étrangers, parfois issus de pays en cours de décolonisation. Il leur a été accordé, logiquement, progressivement des droits sociaux identiques aux Français. Mais les droits politiques n’ont pas suivi.
Les enfants, souvent nés en France, sont Français, mais les parents restent étrangers. Au nom de quoi ces personnes qui auront travaillé, vécu en France, donné leurs enfants à la France resteraient-elles aux portes de nos bureaux de vote ?
De quel droit leur refusons-nous de participer à la gestion de nos villes et de nos villages alors qu’ils vivent avec nous depuis vingt, trente ou quarante ans ? Pourquoi un tel apartheid politique ? En mesurons-nous les conséquences ?
Que penser d’un Français, né de parents étrangers, qui n’aura jamais vu ses parents mettre un bulletin dans l’urne ?
Je pense à ces personnes en larmes, dans les villes qui ont lancé des expériences de vote ouvert à tous leurs habitants, parce que la votation citoyenne était pour elles la première occasion de mettre un bulletin dans une urne.
Et que dire du témoignage de cette femme qui, ayant été tenue à l’écart de tout vote, de toute vie civique, n’avait pu apprendre à ses enfants comment exercer leurs droits de Français ? Elle n’avait tout simplement pas eu les moyens de leur enseigner un des actes majeurs de l’exercice de la citoyenneté ! Comment transmettre le civisme à ses enfants dans de telles conditions ?
Reconnaître des droits aux parents, c’est aussi dans ce cas reconstruire une autorité parentale contestée par ceux qui refusent tout droit aux étrangers. La question de l’autorité parentale est encore plus aiguë lorsque les enfants français de parents étrangers doivent faire face à la stigmatisation des étrangers, c’est-à-dire de leurs parents. De telles attitudes disqualifient à jamais leurs auteurs pour parler d’intégration ou d’ordre public.
L’absence de droit de vote pour les parents est un handicap pour l’intégration des enfants. Je vous renvoie ici aux faibles taux de participation électorale dans les endroits à forte population étrangère.
De nombreux passages de Libre, le livre écrit en 2005 de M. Sarkozy,…
M. Roger Karoutchi. Ah ! très bien !
M. Jean-Yves Leconte. … ont été cités dans ce débat.
M. Éric Doligé. Il faut nous lire toutes les pages !
M. Jean-Yves Leconte. Eh bien, monsieur le ministre de l’intérieur, je vais vous faire une confidence : « libre » du Front national, « libre » de votre politique, « libre » de sa charge, voilà comment nous pourrions mieux apprécier M. Sarkozy !
Est-il possible de gérer démocratiquement une commune si le corps électoral est tronqué d’une partie, parfois supérieure à 20 %, de ses habitants ? C’est tout simplement impossible, et voilà pourquoi un nombre croissant de villes mettent en place des conseils consultatifs visant à faire participer l’ensemble des habitants à la gestion de leur commune.
M. Rémy Pointereau. C’est bien, ça !
M. Jean-Yves Leconte. Les villes de Strasbourg, Aubervilliers Creil, Grenoble, Toulouse, Paris, Les Ulis, Saint-Denis et Roubaix se sont ainsi regroupées dans le réseau COFRACIR, le Conseil français de la citoyenneté de résidence.
Voilà pourquoi nous voulons cette réforme, pourquoi nous la soutenons !
J’aimerais répondre maintenant à quelques-uns des arguments avancés par certains de ses adversaires.
« S’ils veulent voter, qu’ils deviennent Français. » L’argument ignore la différence entre la citoyenneté de résidence et la nationalité, et il ignore à quel point il est difficile aujourd'hui d’acquérir la nationalité française.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Jean-Yves Leconte. En effet, combien de naturalisations effectives par rapport aux nombreuses demandes ?
Croyez-vous qu’un étranger, vivant en France depuis trente ans, dont les enfants sont Français, obtiendrait la nationalité française ? Dans la plupart des cas, non !
M. Roger Karoutchi. Pourquoi ?
M. Jean-Yves Leconte. Pour les préfectures aujourd’hui, tout est prétexte à un refus. Depuis le fichage orwellien des étrangers – jusqu’à leurs visites médicales sont désormais enregistrées ! –, l’État dispose de moyens sans précédents pour refuser une naturalisation sous les prétextes les plus fallacieux.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Jean-Yves Leconte. Alors comment faire ? On dit : « Qu’ils deviennent Français ! », mais en réalité on les repousse, favorisant l’exclusion, les renvoyant à leur communauté ? Ce n’est pas sérieux. Utiliser cet argument aujourd’hui, c’est méconnaître la situation des étrangers dans notre pays et la difficulté d’obtenir une naturalisation.
Que dire de la situation de cette femme algérienne à qui la préfecture a demandé confirmation de l’assentiment de son mari lorsqu’elle déposait sa demande de naturalisation ? Est-ce le fonctionnement normal d’une République irréprochable, monsieur le ministre ?
Reconnaître une citoyenneté locale, ce n’est pas reconnaître une nationalité. (Protestations sur les travées de l’UMP.) Une nation, ce n’est pas un ensemble d’hommes et de femmes qui partagent une nostalgie ou communient dans un même livre. Une nation, c’est comme une œuvre d’art qui, grâce à ses matières, ses couleurs, ses mouvements, ses contradictions, acquiert son sens, sa vie, sa signification.
Mme Christiane Hummel. C’est beau…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Oui, c’est très beau !
M. Jean-Yves Leconte. La relation entre chaque individu et sa communauté nationale n’a rien à voir avec son lieu de vie. Et un État, fût-il l’État de résidence, ne saurait s’ingérer dans cette relation sans violer une intimité et des origines.
La naturalisation doit être l’aboutissement d’un projet d’intégration à notre communauté nationale. Elle ne saurait être un outil pour la reconnaissance de droits permettant d’être mieux intégré à sa ville. Curieuse conception de la nationalité que de la rabaisser à un moyen d’obtenir des droits...
La peur du communautarisme ? Eh bien, au risque de vous surprendre, je dirai que, oui, il faut avoir peur du communautarisme,…
M. Roger Karoutchi. Ah !
M. Jean-Yves Leconte. … car il existe aujourd'hui.
Il existe, car l’exclusion, la stigmatisation des origines et des croyances, les discriminations conduisent beaucoup d’habitants de notre pays, Français ou non, à se détourner d’une République qui n’existe souvent plus que dans les mots pour se retourner vers les derniers espaces de solidarité qui restent.
Quand la communauté prend la place de la République, c’est le communautarisme qui pointe. (M. Claude Dilain applaudit.) Mais qui faut-il blâmer ? La République qui démissionne ou la communauté qui reste ?
Outil d’intégration, outil pour mieux définir une politique de la ville en meilleure adéquation avec les besoins de ses habitants, la reconnaissance d’une citoyenneté de résidence est un moyen de lutte contre le communautarisme. Il n’est, bien sûr, pas suffisant pour tout résoudre, mais c’est un outil puissant et symbolique que nous devons utiliser.
Si malgré tout, des listes communautaires apparaissaient et avaient du succès ?...
M. Roger Karoutchi. Ah !
M. Jean-Yves Leconte. Eh bien, mes chers collègues, n’ayez pas peur ! Pensez à la force d’une République renouant avec ses valeurs. N’y a-t-il pas de meilleur outil d’intégration que la participation à la vie de la cité ?
C’est avec fierté que nous constatons qu’une large majorité de Français est aujourd'hui favorable à cette évolution, qui n’a que trop tardé.
M. Bruno Retailleau. Les sondages ne sont pas des suffrages !
M. Jean-Yves Leconte. Mes chers collègues, je vous propose de dédier ce débat et notre vote à tous les étrangers qui ont fait la France, à ceux qui, souvent venus d’Afrique du Nord ou de l’Ouest, ont répondu à l’impératif de la reconstruction…
M. Bruno Retailleau. Cela n’a rien à voir !
M. Jean-Yves Leconte. … et largement contribué aux Trente Glorieuses, sans se préoccuper de quoi l’avenir serait fait pour eux,…
M. Éric Doligé. Amalgame !
M. Jean-Yves Leconte. … à ceux qui se sont engagés, battus et sont morts pour notre pays,…
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Jean-Yves Leconte. … à ceux dont le ralliement au général de Gaulle a permis à la France de se trouver dignement du côté des vainqueurs.
M. Éric Doligé. Vous êtes un démagogue !
M. Jean-Yves Leconte. Je pense…
M. Éric Doligé. Il pense !
M. Jean-Yves Leconte. … aux Africains, aux Polonais de la première armée du général de Lattre de Tassigny, aux Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée, aux Arméniens, Espagnols, Italiens, Hongrois,…
M. Bruno Retailleau. Et alors ?...
M. Jean-Yves Leconte. … Polonais, Roumains du groupe de Missak Manouchian, exécutés pour notre liberté.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Jean-Yves Leconte. C’est à eux que nous devons ce débat, et c’est pourquoi nous devons aborder celui-ci avec confiance ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, j’écoute ce débat avec beaucoup d’attention, parce que nous sommes tous concernés, et un peu d’équilibre ne nuit pas.
Puisque nous sommes dans les citations, je citerai Jaurès.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste-EELV. Ah !
M. Roger Karoutchi. « À celui qui n’a rien, la patrie est son seul bien. »
M. Roland Courteau. Et alors ?
Mme Éliane Assassi. Il avait raison !
M. Roger Karoutchi. Et, puisque l’orateur précédent nous appelait à nous souvenir des soldats de la Seconde Guerre mondiale, je vais vous dire que, si j’ai moi la chance d’être né Français, mon père lui a fait cette guerre et c’est à ce titre, pour faits d’armes, qu’il a été naturalisé ensuite.
Mme Éliane Assassi. Ils ne l’ont pas tous été !
M. Roger Karoutchi. Celui-là l’a été.
Mme Samia Ghali. Il a eu de la chance !
M. Jacky Le Menn. Il y en a qui attendent toujours !
M. Roger Karoutchi. Mes chers collègues, la nation est le fondement de la République. S’il n’y a pas de nation, il n’y a plus de République et, à cet égard, madame Benbassa, il y a clairement une différence entre nous.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. En effet !
M. Roger Karoutchi. Vous avez dit que la nationalité relevait de l’individuel, la citoyenneté du collectif. Quant à M. François Rebsamen, il estime qu’il y a une citoyenneté de résidence (Effectivement ! sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.) qui doit l’emporter sur le reste…
M. François Rebsamen. Au niveau local !
M. Claude Bérit-Débat. C’est une interprétation !
M. Roger Karoutchi. Mes chers collègues, je vous ai écoutés avec attention, merci d’en faire autant !
Croyez-vous sincèrement que les gens, qu’ils soient de droite ou de gauche, car il n’y a pas de différence à cet égard, se sentent concernés par une citoyenneté de résidence, alors que nous sommes en pleine crise économique, financière, sociale, identitaire ?
Qu’est-ce qu’être Français en 2011 ? (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Qu’est-ce que la France aujourd'hui, dans l’ensemble européen et dans le monde ? Faut-il accepter la mondialisation ou faut-il une démondialisation ? Que va devenir l’Europe ? J’écoute et j’entends les questions qui se posent, à gauche comme à droite, car elles traversent nos groupes et nos partis politiques, et voilà où se situe le débat, dans les zones rurales comme dans les zones urbaines, en Île-de-France comme ailleurs. Oui, qu’est-ce qu’être Français en 2011 ? (Mme Éliane s’exclame de nouveau.)
On nous parle du traité de Maastricht. Moi, j’ai fait campagne contre,…
M. Bruno Retailleau. Moi aussi !
M. Gérard Larcher. On avait raison !
M. Roger Karoutchi. … mais aujourd'hui il y a une réciprocité européenne en même temps que le sentiment que la France ne peut pas, hors de l’Europe, exister seule. C’est une réalité. En revanche, croyez-vous que l’on puisse avoir actuellement une République fragmentée…
Mme Éliane Assassi. Elle l’est déjà !
M. Roger Karoutchi. … et remettre en cause les fondements de la nation en prétendant que le droit de vote est attaché à une citoyenneté de résidence ? La vérité est que non ! (M. Bruno Retailleau applaudit.)
Mme Éliane Assassi. Hors sujet !
M. Roger Karoutchi. Je vous ai écoutés !
Je suis d’accord avec Mme Benbassa lorsqu’elle dit qu’il faut s’honorer de toutes celles et de tous ceux qui, étrangers dans le passé, apportent aujourd'hui leur contribution à notre pays. C’est l’honneur de nos assemblées, celui de l’État et de la République de faire en sorte que non seulement ils aient été intégrés mais qu’ils puissent aussi nous représenter,…
M. Michel Savin. Très bien !
M. Roger Karoutchi. … et être des représentants français comme les autres, autant que les autres, plus que les autres !
Pour autant, c’est par la nationalité, et donc par la naturalisation, que cela passe. J’entends dire que la naturalisation est difficile. Peut-être… mais chaque année notre pays procède à 130 000 naturalisations : c’est un des pays sinon le pays d’Europe qui naturalise le plus et qui, en proportion de sa population, est la terre d’asile la plus recherchée…