M. Alain Gournac. Vive les communistes !
Mme Éliane Assassi. … voteront la présente proposition de loi constitutionnelle, ne serait-ce que pour une seule raison : rendre justice à toutes celles et à tous ceux qui vivent et travaillent en France,…
M. André Reichardt. Oh là là !
Mme Éliane Assassi. … qui ont, à juste titre, des devoirs ici, mais auxquels on refuse ici l’accès à des droits fondamentaux, dont celui d’être électrice et électeur ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, que chacun d’entre nous s’imagine un instant être aujourd'hui un étranger résidant en France devant un écran de télévision ! Quel que soit notre vote personnel, le présent débat appelle le respect qui leur est dû, dans la tradition des principes de la République des droits de l’homme, à laquelle nous sommes tous, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, profondément attachés.
Il ne faudrait point, au fil des ans, conclure que lorsque l’élection présidentielle entre dans un hémicycle, c’est la qualité du travail législatif qui est atteinte. Et ce message s’adresse aux deux côtés de notre honorable assemblée.
Je ne veux pas dire que le moment choisi pour examiner la proposition de loi constitutionnelle est inopportun. Y a-t-il réellement un bon moment pour étudier des textes majeurs concernant de grands enjeux ? Certes, il est d’usage de prétendre que les textes importants devraient être soumis au Parlement dans le mois suivant l’élection présidentielle, durant cette période d’état de grâce qui fait souvent perdre le lien avec les réalités de terrain, mais ce n’est ni possible, ni raisonnable.
Constatons simplement qu’il est habituel que les débats de société reviennent périodiquement sur le devant de la scène, avant d’être officiellement tranchés par une loi nouvelle ; il est également habituel que tel ou tel parti politique remette de tels sujets à l’ordre du jour au moment lui paraissant stratégiquement opportun.
Monsieur le Premier ministre, il en est de même des gouvernements, et nombre de projets de loi sont déposés plus en fonction des échéances électorales que par rapport à l’intérêt immédiat de nos concitoyens. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Roland Courteau. C’est bien vrai !
M. Jacques Mézard. Et nous sommes tous concernés !
Je ne suis pas sûr que ce soit très positif pour le fonctionnement de notre République, mais cela constitue une utilisation parfaitement régulière du processus démocratique.
En revanche, si l’on prend le soin de relire les discours des uns et des autres, de tous bords, tenus au fil des ans, on s’aperçoit, sans trop de surprise, qu’il est courant de brûler ce que l’on a adoré et d’adorer ce que l’on a brûlé… Mais là encore, on peut toujours dire, ce qui est souvent, ou parfois, vrai : la société évolue et la loi doit en tenir compte. Merci, monsieur le garde des sceaux d’opiner ! (M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, s’exclame.)
Le groupe RDSE ne se laissera pas enfermer dans un clivage manichéen. En son sein, la liberté de vote est un principe et les opinions qui s’expriment sont respectées. Une majorité de ses membres voteront cette proposition de loi constitutionnelle. D’autres ne prendront pas part au vote, tel notre collègue Jean-Pierre Chevènement (Ah ! sur plusieurs travées de l’UMP.), ou ne la voteront pas.
L’opinion de chacun de mes collègues est respectable et fondée sur une conviction personnelle découlant tant de l’attachement à des principes fondamentaux que de l’expérience de terrain. Je me dois aussi de rappeler que, voilà presque douze ans, la première proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale sur le vote des étrangers aux élections locales le fut par Roger-Gérard Schwartzenberg et les députés du PRG. La question fondamentale est de savoir si le droit de vote des étrangers aura ou non un impact positif sur le fonctionnement de notre République, sur le quotidien de ses habitants, sur le lien social, voire sur son image.
En tout cas, ce qui est détestable, c’est la stigmatisation des étrangers, d’où qu’elle vienne. Mes chers collègues, l’étranger résidant en France n’est pas un matériel électoral à utiliser au gré des majorités successives.
M. Philippe Dallier. C’est bien vrai !
M. Jacques Mézard. Il a droit au respect que l’on doit à chaque être humain. Mais il a aussi des devoirs, dont le premier est de respecter la loi de la République qui l’accueille. (Très bien ! sur plusieurs travées de l’UMP.)
À gauche comme à droite, il en est qui se réjouissent de faire de ce thème un débat « clivant »,…
M. Rémy Pointereau. À gauche !
M. Jacques Mézard. … comme s’il était opportun d’approfondir le fossé entre les habitants de ce pays, de cultiver la notion de rupture.
M. Alain Gournac. Pas du tout !
M. Jacques Mézard. Loin de nous l’idée de rechercher un consensus mou ! Essayons simplement de considérer que, dans un pays comme le nôtre, il est primordial de ne pas exclure, primordial de faciliter le rassemblement, la cohésion sociale, et l’expérience de ces dernières décennies démontre que ni les uns ni les autres n’y ont vraiment réussi.
Tout en restant à l’écart du battage médiatique, je crois que la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons a plus d’avantages que d’inconvénients, bien qu’il ne faille point balayer ces derniers d’un revers de main. Je crois que ce texte a plus de vertus de rassemblement qu’il ne présente de risques de division.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacques Mézard. Mais soyons clairs : votre rapport, madame Benbassa, n’a pu nous convaincre en aucune façon.
M. Alain Gournac. Oh non !
M. Jacques Mézard. En effet, partir d’un postulat en le déclinant en vérités révélées, n’entendre pratiquement que les arguments en faveur de sa propre thèse – j’aurais aimé que soient consultées, par exemple, les associations d’élus –, insérer quelques raccourcis historiques et des éléments partiels de législation comparée, pour nous, madame, pour reprendre vos propos récents, ce n’est ni sage ni juste.
M. Philippe Dallier. Très bien !
M. Jacques Mézard. Vous condamniez hier dans cet hémicycle une nouvelle religion : le laïcisme.
M. Alain Gournac. Oui !
M. Jacques Mézard. Nous ne voudrions pas, nous, que ce texte devienne le vecteur de quelque communautarisme que ce soit, que nous combattrons toujours, d’où qu’il vienne. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’UCR.)
Les arguments de ceux qui rejettent le principe du droit de vote des étrangers doivent être examinés. Au-delà des sondages, nombre de nos concitoyens les partagent, même si souvent ils s’arrêtent trop au symbole sans examiner la réalité du texte et du problème en cause.
Nous connaissons tous l’édit de Caracalla de 212, qui – faut-il le rappeler ? – excluait du droit de cité les esclaves et les barbares, la constitution de 1791 et celle de 1793, notamment leurs articles 5 et 6, et n’oublions pas d’ailleurs la réaction de Robespierre face à la présence de l’étranger Payne.
M. Roger Karoutchi. Exactement !
M. Jacques Mézard. Ces références historiques font partie de notre patrimoine, mais n’ont guère de rapport avec la situation actuelle.
M. Bruno Retailleau. Absolument !
M. Alain Gournac. Bravo !
Mme Christiane Hummel. Voilà !
M. Jacques Mézard. De quoi s’agit-il ? De permettre aux étrangers résidant sur le territoire français depuis au moins cinq ans, en situation régulière, payant l’impôt, de voter aux élections locales sans leur donner la possibilité de devenir maire ou adjoint, donc officier de police judiciaire, et sans interférer sur l’élection des grands électeurs sénatoriaux. Tel est l’objet de notre débat de ce jour.
Je constate, sans aucune intention polémique, qu’une telle autorisation paraissait recevoir l’aval d’élus de toutes sensibilités, dont l’actuel chef de l’État avant qu’il ne remplisse ces fonctions. J’ai sous les yeux ses déclarations, fort claires, du 25 octobre 2005, mentionnant toutefois « à titre personnel ». Il déclarait encore, le 24 avril 2008, sur TF1 et France 2 : « À titre intellectuel, oui, mais je n’ai pas la majorité pour le faire passer, donc ce n’est pas un projet que je soumettrai... ». On peut parfaitement comprendre et respecter cette évolution, mais ne point la partager.
Nous pensons, majoritairement, que ce droit de vote est un moyen de rassembler, de mieux faire comprendre, au niveau local, que la gestion de nos communes est l’affaire de tous ceux qui y résident régulièrement, de contribuer à sortir de cette exclusion de fait les habitants, certes de nationalité étrangère, mais qui rencontrent les mêmes problèmes que les autres. N’est-ce pas la sagesse de mieux les associer à la vie de la commune, de mieux les entendre, mais aussi et surtout de les associer aux responsabilités, aux décisions et aux conséquences des décisions ?
La concentration des populations immigrées dans des quartiers aujourd’hui considérés comme difficiles est de notre fait à tous, de toutes les majorités qui se sont succédé, de notre absence de volonté politique commune à mettre en place une réelle politique de mixité sociale, y compris par le biais des organismes de logement social. Les usines à gaz des programmes de politique de la ville ont montré leur inefficacité. L’urbanisme, le logement sont des domaines dans lesquels nous avons trop failli, malgré, par exemple, les avancées des programmes de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU ; ils sont devenus une vraie priorité et ont des conséquences dans tous les secteurs, en premier dans ceux de l’éducation et de la santé.
N’oublions pas davantage que parmi le nombre d’étrangers résidents non communautaires, une très forte proportion est issue de l’Afrique du Nord et de nos anciennes colonies. (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.) Est-il convenable d’oublier cette facette de notre histoire, quel que soit le bilan que l’on puisse en tirer ?
J’ai entendu ce matin un éminent ministre, ici présent, déclarer, sur France 2, que la différence entre la France et l’Angleterre, où tous les ressortissants du Commonwealth peuvent voter, était que la reine demeurait le souverain de ces derniers. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre de l’intérieur, que cette argumentation est pour le moins spécieuse :…
M. Roland Courteau. Ah oui !
M. Jacques Mézard. … heureusement que la Communauté française créée à l’aube de la Ve République n’existe plus !
L’inquiétude relative au risque communautariste, que vous avez également exprimée, monsieur le ministre, constitue un argument plus fort. Le risque existe, et il convient de le combattre ; nous avons pour cela la loi, le respect de l’ordre public.
Vous posez notamment la question des piscines et des cantines : vous ne voulez pas – je vous comprends – que le communautarisme impose la réservation des lignes d’eau et les menus, et vous avez raison. Profondément laïcs, nous n’acceptions pas le régime unique du poisson le vendredi, ce n’est pas pour nous faire imposer la cuisine hallal ! (Rires sur plusieurs travées de l’UMP.)
Si des dérives apparaissent, les préfets, représentants de l’État – vous savez leur donner des instructions –…
M. Jean-Jacques Mirassou. Ça oui !
M. Jacques Mézard. … peuvent et doivent y mettre bon ordre. Ils disposent du contrôle de légalité, du déféré préfectoral, et la notion d’ordre public a heureusement encore un sens, il suffit de vouloir l’appliquer.
Je n’entrerai pas dans le débat, instrumentalisé par les uns et par les autres, sur le Front national, que chaque côté a malheureusement utilisé, selon les périodes.
M. Roland Courteau. Non, non, non !
M. Alain Gournac. Vous vous en servez à chaque élection !
M. Jacques Mézard. Nous devons nous déterminer non par rapport à des thèses extrémistes, mais par rapport à nos concitoyens, en réfléchissant également, de manière sereine, aux dangers populistes du scrutin proportionnel.
Je conclurai par une citation d’Aristote : « Le courage est un juste milieu par rapport aux choses qui inspirent confiance et à celles qui inspirent de la crainte ». Soyons donc courageux, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UMP. – Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)
M. François Rebsamen. Monsieur le président, mes chers collègues, je salue la présence du Premier ministre, du ministre de l’intérieur, du garde des sceaux et du ministre chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, nous n’avons pas l’habitude de vous voir aussi nombreux dans cet hémicycle, et votre présence nous honore.
On pourrait imaginer que celle-ci est le signe d’un rassemblement républicain autour du vote d’un texte s’inscrivant dans le long chemin de la construction de notre démocratie. Je crains malheureusement qu’il n’en soit rien !
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. François Rebsamen. Pour notre part, sénatrices et sénateurs du groupe socialiste-EELV, nous abordons ce débat avec sérénité, et dans le respect des positions des uns et des autres quand elles sont sincères et fondées sur des convictions personnelles.
Quel est l’objet de notre débat ? Peut-être faut-il le rappeler, puisqu’on entend des déclarations enflammées… Il s’agit de permettre aux étrangers en situation régulière – je le précise à votre attention, monsieur le ministre de l’intérieur – résidant en France de voter aux élections municipales. Ils pourront être élus au conseil municipal, mais ne pourront pas occuper les fonctions de maire ou d’adjoint au maire, ni faire partie du collège électoral sénatorial.
Pourquoi avons-nous repris cette proposition de loi constitutionnelle ? Pour une raison simple : nous pensons que, parce qu’ils vivent en France depuis des années et des années, parce qu’ils ont souvent contribué – vous devriez tous le rappeler – à créer la richesse de notre pays, parce que leurs enfants grandissent ou ont grandi avec les nôtres dans nos communes, parce qu’ils participent à la vie de nos cités, qu’ils y paient des impôts, les étrangers non communautaires en situation régulière doivent pouvoir voter aux élections municipales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et sur plusieurs travées du groupe CRC.) Voilà ! C’est assez simple !
Nous souhaitons créer une citoyenneté nouvelle, une citoyenneté de résidence qui renforce le lien avec la République française.
M. Roger Karoutchi. Qu’est-ce que c’est, une citoyenneté de résidence ?
M. François Rebsamen. Ce nouveau droit s’inscrit – cela a été rappelé – dans le long chemin de la construction de notre démocratie ; il constitue la suite logique des acquis obtenus par les étrangers, souvent après de longs et difficiles efforts, en matière de démocratie sociale. Celle-ci est heureusement – ou malheureusement – en avance sur les droits politiques : un salarié étranger peut aujourd'hui devenir délégué du personnel, membre d’un comité d’entreprise ou électeur aux prud’hommes,…
M. Roland Courteau. Oui, c’est vrai !
M. François Rebsamen. … sans que nul ne s’en offusque.
M. Claude Bérit-Débat. Effectivement !
M. François Rebsamen. Du reste, comme cela a également été rappelé, il suffit de lire les études des historiens pour constater que des Français de plus en plus nombreux, et maintenant, nous dit-on, une majorité d’entre eux, sont favorables au vote des étrangers non communautaires lors des élections locales.
M. Roland Courteau. Exact !
M. François Rebsamen. Pourquoi ? Parce qu’on ne peut plus refuser l’intégration citoyenne que permet le vote aux élections locales ! Cette citoyenneté de résidence recréera du lien social entre tous ceux qui vivent sur notre sol.
Je vous écouté avec intérêt, monsieur le Premier ministre. Vous avez affirmé que nous ressortions cette proposition avant chaque élection, créant ainsi un « brouillage démocratique ». C’est faux, et vous le savez ! Cette proposition a été enterrée par l’ancienne majorité sénatoriale il y a près de douze ans…
M. François Fillon, Premier ministre. C’est pour cela qu’il est scandaleux de la reprendre maintenant !
M. François Rebsamen. … et, depuis lors, elle n’avait jamais été réintroduite dans le débat démocratique comme elle l’est aujourd'hui. Je pourrais même vous répondre que c’est l’actuel Président de la République qui, par ses déclarations à la fin de l’année 2005, a relancé le débat sur cette proposition, en faveur de laquelle il s’était alors prononcé.
Accorder aux étrangers non communautaires le droit de vote aux élections locales, ce serait remettre en cause la souveraineté nationale, ce serait – vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre – « ouvrir une brèche qui ne peut que déstabiliser les repères », ce serait un travail de sape d’un des fondements de notre République. Non, il n’en est rien !
M. Roland Courteau. Très bien ! Il faut arrêter de caricaturer notre proposition !
M. François Rebsamen. Cela voudrait-il dire, monsieur le Premier ministre, que les étrangers non communautaires ne respectent pas les droits de la République ?
M. Roland Courteau. Très bien !
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Il y a aussi des devoirs !
M. François Rebsamen. Il n’est de pire ferment de communautarisme que le refus de la reconnaissance d’une citoyenneté de résidence ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Je me demande si, en réalité, ceux qui s’opposent avec une telle force, en accord avec leurs convictions – je les respecte –, à notre proposition ne manquent pas de confiance en la force de notre République, en sa capacité intégratrice.
M. Claude Dilain. C’est vrai !
M. François Rebsamen. Ne doutez pas des principes de notre République : liberté, égalité, fraternité ! Ne doutez pas de sa capacité à intégrer !
Monsieur le Premier ministre, vous nous avez permis de discerner – sans doute était-ce votre but – des différences fondamentales entre la gauche et la droite, deux choix pour le pays, deux hiérarchies des valeurs.
Avec un certain professionnalisme, vous mettez notre société sous tension par vos prises de position. Vous le faites toutefois avec talent, ce qui n’est pas le cas de votre ministre de l’intérieur (M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, sourit.), qui développe quotidiennement un antagonisme primaire entre l’Étranger et nous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Roland Courteau. Bien envoyé !
M. François Rebsamen. La recherche du bouc émissaire se fait toujours dans les périodes de crise et de souffrance sociale, rencontrant alors un écho toujours alarmant parmi les plus désorientés de nos concitoyens. (M. Alain Gournac s’exclame.)
De grâce, monsieur le ministre de l’intérieur, cessez de déformer nos positions ! Non, le parti socialiste ne joue pas son avenir sur la mise en scène du vote des étrangers ! Vous nous accusez de faire en sorte que « tous les étrangers qui se trouvent en situation irrégulière en France puissent participer aux élections municipales…
Mme Éliane Assassi. Ils ne pourraient pas le faire, puisqu’ils n’ont pas de papiers !
M. François Rebsamen. … en considérant que les étrangers ou les enfants d’étrangers » – je vous signale que beaucoup de ces enfants d’étrangers sont Français (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV. – M. Alain Gournac s’exclame.) – « se porteraient plus facilement sur le parti socialiste que sur la droite ».
M. Alain Gournac. Non, ils réfléchissent !
M. François Rebsamen. Les dernières élections municipales vous ont pourtant démontré que nous n’en avions pas besoin ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Francis Delattre. Il s’agit des prochaines !
M. François Rebsamen. Vous avez évoqué la remise en cause du lien entre le droit de vote et la nationalité. Cependant, les citoyens de l’Union européenne peuvent déjà participer aux élections locales même s’ils ne possèdent pas la nationalité française.
Vous nous avez également dit que les étrangers devaient demander leur naturalisation s’ils voulaient voter aux élections françaises. Malheureusement, texte après texte, vous avez durci les conditions de recevabilité des demandes de naturalisation, au point que – toutes les organisations auditionnées par le Sénat l’ont indiqué – la procédure instaurée en 2010, qui relève des préfectures et non plus de la sous-direction des naturalisations, constitue un obstacle à l’acquisition de la nationalité française (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin applaudit également.) ainsi qu’une source importante d’inégalités de traitement selon les préfectures.
M. Roland Courteau. Il fallait le rappeler !
M. François Rebsamen. Des cas ont été cités : des étrangers non communautaires résidant dans notre pays depuis vingt ans n’arrivent pas à acquérir la nationalité française par naturalisation ! (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe socialiste-EELV.)
Mme Samia Ghali. C’est vrai !
M. François Rebsamen. Vous avez essayé de faire peur, en évoquant un afflux de voix de nature à détourner le scrutin. Vous êtes allés jusqu’à compter 4 millions de personnes concernées ! Nous n’avons pas les mêmes chiffres : selon notre évaluation, le nombre de votants potentiels se situe entre 1,6 million et 1,8 million. Là encore, de grâce, n’attisez pas les peurs ! (M. Philippe Dominati s’exclame.)
Surtout, – je veux le dire avec une forme de solennité – ne nous faites pas de procès d’intention. (M. Philippe Dallier s’exclame.) Nous aussi, nous avons des convictions. Ce sont ces convictions qui nous ont amené à défendre cette proposition de loi constitutionnelle aujourd'hui, et non au mois de février, ce que nous aurions pu faire.
M. Roger Karoutchi. En février ?
M. François Rebsamen. Nous défendons cette proposition de loi constitutionnelle aujourd'hui parce que, la majorité sénatoriale venant de changer, notre devoir était de reprendre ce texte voté par l’Assemblée nationale en l’an 2000, qui emportait toute notre conviction. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. François Rebsamen. Pour clore mon propos, je veux vous dire, monsieur le Premier ministre, que je me refuse à croire que votre gouvernement souhaite faire de ce texte un instrument destiné à encourager les peurs collectives, au premier chef la peur de l’autre quand celui-ci est un étranger ! (Exclamations et rires sur les travées de l’UMP.)
M. David Assouline. C’est bien ce que vous faites !
M. Philippe Dominati. C’est vous ! Vous avez choisi le moment ! Vous le faites exprès !
M. François Rebsamen. Aujourd'hui, la gauche sénatoriale, dans sa grande diversité – j’ai apprécié les propos de notre collègue Jacques Mézard –, est fière de pouvoir examiner cette proposition de loi constitutionnelle qui fonde un nouveau droit, en accord avec nos valeurs mais aussi avec tous ceux qui partagent une certaine conception de la République : une République qui rassemble, une République sûre d’elle-même, une République fidèle à ses valeurs et à sa tradition d’ouverture et d’accueil ! Nous ne voulons pas d’une république morcelée, nous voulons la France que nous aimons, celle des droits de l’homme, celle des étrangers qui aiment la France ! (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste-EELV se lèvent et applaudissent longuement. – Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC ainsi que M. Jean-Pierre Plancade applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Béchu. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. Christophe Béchu. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la rapporteure, mes chers collègues, dans ce débat qui nous occupe aujourd’hui, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est brandie comme un étendard par ceux qui nous expliquent que le pays des droits de l’homme devrait, pour rester fidèle à sa tradition de tolérance et d’universalisme, adopter cette proposition de loi constitutionnelle ouvrant aux étrangers non communautaires le droit de vote aux élections municipales.
Qu’il me soit permis, au nom de cette même Déclaration et en vertu de cette même tolérance, de souhaiter, au début de ce propos, que ne soient pas caricaturés ceux qui ne partagent pas cette opinion.
Mme Christiane Hummel. Bravo !
M. Christophe Béchu. On peut être parfaitement républicain sans être favorable au droit de vote des étrangers aux élections locales (Mmes Isabelle Debré et Catherine Troendle ainsi que M. Jacques Gautier applaudissent.), on peut y être opposé sans être suspecté de racisme ou de complaisance avec les thèses de l’extrême droite.
Mme Christiane Hummel. Très bien !
M. Christophe Béchu. Je n’accepte pas le raccourci qui présenterait les défenseurs de ce texte comme détenteurs d’une sorte de monopole du cœur républicain…
M. Roland Courteau. On connaît la formule !
M. Christophe Béchu. … ou comme plus humanistes que nous.
Je suis républicain, je suis humaniste (Ah ? sur les travées du groupe socialiste-EELV.), tout en étant défavorable à cette proposition de loi pour au moins six raisons.
Premièrement, ce texte pose des problèmes de forme.
Deuxièmement, il intervient à un moment clairement inapproprié.
Troisièmement, il est soutenu par des arguments discutables et réversibles.
M. Roland Courteau. C’est vous qui le dites !
M. Christophe Béchu. Quatrièmement, il s’appuie sur une analyse de droit comparé incomplète et tronquée. (M. David Assouline s’exclame.)
Cinquièmement, il remet en cause la citoyenneté européenne,…
M. Roland Courteau. Non !
M. Christophe Béchu. … au mieux en l’édulcorant, au pire en la vidant de sa substance.
Sixièmement, enfin, il repose sur une vision qui méconnaît l’importance de la naturalisation comme voie privilégiée d’intégration pour les étrangers. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
Sur la forme, je ne développerai pas les arguments ; d’autres le feront avec plus de talent lors de l’examen des motions de procédure, mais l’artifice choisi d’exhumer un texte datant de dix ans incite pour le moins à s’interroger sérieusement...
Sur le moment choisi, mes chers collègues, on voit bien que l’objectif est d’abord politique. (M. François Patriat s’exclame.) Comme il n’y a aucune chance que ce texte puisse aboutir avant l’élection présidentielle, le présenter maintenant vise non pas à obtenir son application, mais bien à tenter d’en faire un marqueur électoral pour cette échéance. (Très bien ! sur plusieurs travées de l’UMP.)
Or, c’est à la fois assez paradoxal quand on prétend dans le même temps vouloir travailler au renforcement du vivre ensemble, et assez contradictoire avec une vision démocratique et institutionnelle qui confère à l’élection présidentielle précisément le rôle d’être le rendez-vous majeur de détermination de notre pacte républicain. C’est dans la campagne que ce débat aura sa vraie place, mais ni ici ni maintenant.
Problème de forme, problème de moment, problème surtout de justification.
Ainsi, on nous explique que le droit de vote accordé aux étrangers non communautaires serait une avancée démocratique et républicaine, un vecteur de cohésion sociale, un moyen de mettre fin à la discrimination entre Européens et non-Européens.
À mes yeux, tous ces arguments sont profondément critiquables, mais ils sont surtout réversibles.
Si une avancée démocratique ne se mesure qu’en nombre de votants potentiels supplémentaires, c’est un peu court. Dans ce cas, on pourra tout justifier par le nombre : donnons le droit de vote dès seize ans,…