M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François Sauvadet, ministre de la fonction publique. Madame la rapporteure spéciale, vous avez évoqué plusieurs points très précis.

Premièrement, vous avez regretté qu’il n’ait pas été répondu à l’ensemble des questionnaires parlementaires et vous considérez que le « bleu » – c’est-à-dire le projet annuel de performances, en langage « lolfien » – est insuffisamment détaillé.

Je vous indique d’abord que la grande majorité des questionnaires parlementaires ont été retournés dans les délais prévus, mais il est exact que des retards plus ou moins importants ont pu survenir : le Gouvernement prie le Sénat de bien vouloir l’en excuser. En tout cas, à ma connaissance, l’ensemble des questionnaires ont aujourd'hui reçu une réponse.

Par ailleurs, le projet annuel de performance reste un document de référence synthétique. Celui de cette année n’a effectivement pas évolué par rapport à celui qui a été présenté l’an passé. Si, sur tel ou tel point, des insuffisances devaient être réparées, le Gouvernement se tient à la disposition du Sénat.

Deuxièmement, vous considérez que la « maquette budgétaire » et le dispositif d’évaluation de la performance sont perfectibles, ce que Mme Escoffier a également souligné.

La « maquette budgétaire » qui structure le projet de loi de finances pour 2012 est évidemment conforme à la « constitution financière » de l’État, autrement dit la LOLF, votée à l’unanimité et dont on vient de célébrer le dixième anniversaire.

Je vous rejoindrais bien volontiers pour considérer qu’il reste des marges d’amélioration, mais la « maquette » actuelle permet, par la désignation de responsables de programme et le regroupement de crédits globalisés, de vous soumettre un projet annuel de performances définissant et précisant les objectifs de chaque mission.

Comme j’ai déjà indiqué tout à l’heure, lors de la discussion de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », l’évaluation de la performance est au cœur de la procédure, de manière à rechercher dans les finances publiques et dans les politiques publiques la plus grande efficience.

Là non plus, le dispositif n’est pas figé, la représentation nationale pouvant demander des améliorations dans la définition d’indicateurs plus pertinents, par exemple. Je réponds là en même temps à Mme Escoffier.

Il nous faut simplement éviter deux écueils : d’une part, l’excès d’indicateurs, car leur suivi représente souvent une charge de travail supplémentaire pour les personnels, ce que leurs représentants soulignent régulièrement, et ce n’est certainement pas vous, madame la rapporteure spéciale, que je devrai convaincre qu’on ne saurait y être indifférent ; d’autre part, la trop grande variation d’un indicateur dans le temps, qui ne permet pas de disposer de séries cohérentes assez longues pour pouvoir apprécier l’évolution qui peut être enregistrée.

En bref, gardons-nous de combler un manque éventuel par un excès qui pourrait avoir des conséquences encore plus dommageables.

Troisièmement, vous avez indiqué que la réforme de la taxe professionnelle faisait chuter le taux de prise en charge par l’État des impositions directes locales et ne se traduisait pas pour autant par un accroissement de l’autonomie fiscale des collectivités.

La réforme de la taxe professionnelle adoptée en décembre 2009 a visé, d’abord, à améliorer la compétitivité des entreprises françaises, notamment celle des établissements industriels ; cela, il convient de ne pas l’oublier. Pour autant, sur le plan du financement des collectivités locales, comme cela a été encore rappelé par le Premier ministre lors du récent congrès des maires de France, toutes les précautions ont été prises pour maintenir le soutien de l’État au secteur local.

Par ailleurs, l’engagement, qui n’est pas mineur – je le dis aussi en tant président de conseil général, en l’occurrence celui de la Côte-d’Or –, aux termes duquel aucune collectivité ne doit perdre de recettes du fait de la réforme de la taxe professionnelle sera tenu. À titre d’illustration, la dotation des compensations versées en 2011 sera portée à près de 3,4 milliards d’euros.

L’attention de l’État sera toute particulière à l’égard des collectivités qui ont subi des difficultés d’accès au financement. Un certain nombre de mesures utiles ont déjà été prises : la création d’un futur établissement avec La Poste et la Caisse des dépôts et consignations, la mise à disposition de 2 milliards d’euros supplémentaires. Cela permettra aussi, je l’espère, de faire face à la crise des liquidités à laquelle sont confrontées, on ne peut le nier, un certain nombre de collectivités.

La vigilance de l’État sera également très grande à l’égard des communes et des intercommunalités moins favorisées, qui bénéficieront l’an prochain, après les départements en 2011, du mécanisme de péréquation.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie du vote favorable que vous émettrez sur les crédits de cette mission.

Remboursements et dégrèvements
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2012
Article 32 et état B (interruption de la discussion)

M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements », figurant à l’état B.

État B

(En euros)

Mission

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Remboursements et dégrèvements

84 883 085 000

84 883 085 000

Remboursements et dégrèvements d’impôts d’État (crédits évaluatifs)

74 573 085 000

74 573 085 000

Remboursements et dégrèvements d’impôts locaux (crédits évaluatifs)

10 310 000 000

10 310 000 000

M. le président. L'amendement n° II-377, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Modifier comme suit les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Remboursements et dégrèvements d’impôts d’État (crédits évaluatifs)

691 345 000

                  

691 345 000

                  

Remboursements et dégrèvements d’impôts locaux (crédits évaluatifs)

 

 

 

 

TOTAL

691 345 000

 

691 345 000

 

SOLDE

691 345 000

691 345 000

La parole est à M. le ministre.

M. François Sauvadet, ministre. Il s’agit d’un amendement de coordination, tendant à prendre en compte les amendements qui ont été adoptés dans le cadre de l’examen par le Sénat de la première partie du projet de loi de finances.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-France Beaufils, rapporteure spéciale. À partir du moment où cet amendement enregistre les modifications que nous avons votées en première partie, et qui concernent l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés et la TVA, la commission des finances ne peut, à l’évidence, qu’émettre un avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-377.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements », figurant à l’état B.

Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

Je mets à voix, modifiés, les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

(Ces crédits sont adoptés.)

Mme Annie David. Heureusement que la gauche est là, il n’y a plus personne sur les travées de droite !

M. Jean-Pierre Caffet. C’est l’opposition qui adopte les crédits !

M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures quarante.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures quarante, est reprise à quinze heures quarante, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.)

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Article 32 et état B (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2012
Discussion générale

3

Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du vendredi 2 décembre 2011, quatre décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité (nos 2011-200, 2011-201, 2011-202 et 2011-203 QPC).

Acte est donné de ces communications.

4

Article 32 et état B (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2012
Deuxième partie

Loi de finances pour 2012

Suite de la discussion d'un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2012
Immigration, asile et intégration

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2012, adopté par l'Assemblée nationale.

Immigration, asile et intégration

Deuxième partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2012
Article 32 et état B

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Eu égard au retard que nous avons déjà pris dans l’examen des crédits qui figurent au programme de cette journée, j’invite chacun à respecter les temps de parole qui ont été fixés par la conférence des présidents, d’autant que nos travaux ne pourront certainement s’achever que dans la nuit.

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits prévus pour 2012 au titre de la mission « Immigration, asile et intégration » connaissent une forte hausse par rapport à ceux qui figuraient dans la loi de finances initiale pour 2011 : elle est de 12,1 % pour les autorisations d’engagement, portées à 561 millions d’euros, et de 12,6 % pour les crédits de paiement, portés à 632 millions d’euros.

Du fait de cette hausse, la mission dépasse significativement, de 15 % environ, les plafonds fixés par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014.

Les crédits de la mission sont répartis comme suit : 65 % pour l’accueil des demandeurs d’asile et le traitement de leurs dossiers ; 11,5 % pour l’intégration des étrangers et l’accès à la nationalité française ; 13,5 % – seulement pourrait-on dire ! – pour le financement des actions « répressives », essentiellement dans les CRA, les centres de rétention administrative ; les 10 % restants sont destinés au fonctionnement du SGII, le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration.

Toutefois, je constate que l’augmentation des crédits de la mission vise à répondre aux critiques récurrentes quant à la sous-budgétisation des dotations destinées à financer l’hébergement des demandeurs d’asile et le versement, à leur profit, de l’allocation temporaire d’attente, l’ATA. Ces crédits augmentent de 81 millions d’euros – environ 36 millions pour l’ATA et 45 millions pour l’hébergement d’urgence –, soit une hausse de près de 25 % pour le programme « Immigration et asile ».

Toutefois, en raison de la hausse constante du nombre de demandes d’asile – le nombre de dossiers a augmenté de 9,5 % environ au cours des six premiers mois de l’année 2011 – et du coût marginal croissant de l’hébergement des demandeurs, on peut craindre que la majoration de ces crédits ne suffise pas encore à couvrir les besoins en 2012.

À cet égard, l’évolution des délais moyens de traitement des demandes d’asile par l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, est une autre source d’inquiétude.

En effet, malgré un renfort significatif de trente officiers de protection depuis le début de l’année 2011, le délai moyen de traitement des dossiers est passé de 118 jours en 2009 à 150 jours en 2011. Cela représente une charge considérable pour le budget l’État puisque, selon le chiffrage réalisé par la commission des finances, le coût d’un mois supplémentaire de traitement des demandes d’asile s’élève à plus de 15,5 millions d’euros.

Monsieur le ministre, vous avez annoncé une réforme du droit d’asile. Pouvez-vous nous donner quelques éléments d’information supplémentaires à ce sujet ?

L’examen de l’origine des demandeurs d’asile au cours des premiers mois de l’année 2011 montre qu’il y a de plus en plus confusion entre demande d’asile et immigration à motif économique : le Rwanda figure au premier rang, suivi du Bangladesh, puis du Kosovo. Sommes-nous toujours bien là dans le cadre de la demande d’asile ?

Vous avez, monsieur le ministre, évoqué ce problème à plusieurs reprises. C’est pourquoi nous aimerions en savoir davantage sur la réforme du droit d’asile que vous souhaitez mettre en place.

S’agissant du second programme de la mission, le programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française », doté de 71,6 millions d’euros de crédits de paiement en 2012, ma principale remarque portera sur l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, qui met en œuvre les actions d’intégration au profit des étrangers.

L’OFII enregistre une baisse « faciale » de 7,6 % de la subvention pour charge de service public versée par l’État. Mais cette diminution apparente est largement compensée par la hausse des recettes fiscales propres de l’Office, dont la réforme se poursuit dans le présent projet de loi de finances. Il nous faudra veiller à ce que ces recettes fiscales soient évidemment adaptées aux besoins de l’OFII.

Je tiens à préciser que, concernant les recettes fiscales perçues par l’Office, les engagements du ministère ont été largement tenus puisqu’elles passent à 154 millions d’euros en 2012 quand elles étaient de 108 millions d’euros en 2009 ; la progression aura donc été de 42 % sur cette période, ce qui devrait faciliter le travail de l’Office et suffire à ses besoins.

Pour respecter mon temps de parole de cinq minutes, je conclus en disant que, sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances du Sénat a adopté les crédits de la mission « Immigration » du budget. Je ne puis qu’inviter l’ensemble du Sénat à en faire autant cet après-midi, mais peut-être m’avançai-je beaucoup ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, rapporteure pour avis.

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour l’immigration, l’intégration et la nationalité. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, vous me permettrez de commencer cette intervention en énonçant un proverbe chinois : « Dis-moi comment tu traites tes étrangers, je te dirai qui tu es »…

La politique de l’immigration doit reposer, nous semble-t-il, sur deux principes.

Le premier est que tout étranger en situation régulière doit être accueilli dans des conditions permettant un parcours d’intégration jusqu’à l’accès à la nationalité : c’est le programme 104.

Le second principe est que tout étranger en situation irrégulière doit être reconduit à la frontière : c’est le programme 303.

Il faut y ajouter la politique de codéveloppement, qui est essentielle et qui relève, elle, du programme 301.

Or on peut se demander si nous n’assistons pas, en ce moment, à un changement de paradigme.

Pour 2012, l’objectif principal du Gouvernement en matière d’immigration est, s’agissant des non-francophones ayant signé un contrat d’intégration, l’obtention du diplôme initial de langue française, le DILF, pour lequel le taux de réussite, qui était, rappelons-le, de 60 % en 2010, doit être de 68 % en 2012 ; cela ne concerne que 23,7 % des entrants.

Par ailleurs, pour la naturalisation, du niveau A1 de maîtrise de la langue on est passé au niveau B1. Nous nous interrogeons sur les effets de cette mesure, tout particulièrement pour des femmes qui seraient arrivées sans instruction.

La loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité est en cours d’application. Le niveau linguistique est désormais traité à l’extérieur des préfectures, ce qui peut présenter des avantages. Mais nous voulons attirer l’attention sur l’éventuelle « marchandisation » qui permettrait à des officines de prospérer et qui ferait l’affaire des plus fortunés.

J’en viens à l’OFII, dont les emplois passent de 820 à 835 équivalents temps plein – ETP. Il convient toutefois de noter que le service des naturalisations, avec le transfert en préfecture, est passé de 156 ETP en 2009 à 136 cette année ; il est prévu de réduire encore l’effectif en 2012 avec 126 ETP. Nous nous interrogeons sur ce désengagement de l’État. Ce nouveau traitement des naturalisations ne sera-t-il pas source d’injustices et d’un double filtrage ?

Signalons enfin que l’État réduit sensiblement sa dotation à l’OFII et que, outre les fonds européens, ce sont les étrangers qui payent, avec une forte augmentation de divers tarifs.

Monsieur le ministre, l’immigration légale a déjà augmenté de 4 % cette année. Or vous avez déclaré dans la presse : « Mais, moi aussi, je dis que c’est trop. D’ailleurs, j’ai fixé l’objectif de diminuer en un an de 10 %. » Parliez-vous de l’immigration légale ? J’aimerais que vous précisiez votre pensée, afin que nous sachions si votre objectif est bien de passer à 180 000 étrangers en situation régulière l’année prochaine. Dans l’affirmative, comment comptez-vous y parvenir ?

Par ailleurs, je voudrais revenir sur l’affaire dite « des étudiants étrangers », qui a suscité un grand émoi en France comme par delà notre frontière, et qui cause des dommages irréparables en termes d’image de notre pays. On nous dit que la moitié des 462 cas dont a eu à connaître la Conférence des grandes écoles serait résolue. Ne pensez-vous pas qu’il y a là un préjudice majeur et que, pour tous ceux qui sont repartis alors qu’une première expérience professionnelle était possible, l’image de la France est à jamais écornée ?

Malgré l’immense bonne volonté et le professionnalisme des personnels qui travaillent en préfecture, l’accueil est souvent difficile, parfois indigne. Comment pourrez-vous réellement, avec le budget de cette année, améliorer l’accueil en préfecture des personnes immigrées ?

Je n’évoquerai pas la question des centres de rétention administrative, dont parlera vraisemblablement le président Sueur.

Enfin, monsieur le ministre, hier, sur France Inter, notre collègue M. Jean-Claude Gaudin a atténué la portée de certains de vos propos. Je les aurai sûrement mal compris ! Mais vous aurez à cœur, je l’espère, de nous apporter des précisions, car nous nous interrogeons sur le sens des mots que vous avez employés.

Sans aucun angélisme, nous souhaitons une autre politique, fondée sur les valeurs de la République française.

Au vu de ce chiffrage et de ces mots, monsieur le ministre, la commission des lois a émis un avis défavorable sur ces crédits pour 2012. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur pour avis, pour l’asile. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord souligner que la commission des lois a choisi de faire un avis budgétaire spécifique sur les crédits consacrés à la politique de l’asile.

Monsieur le ministre, il ne serait pas justifié que l’asile fût considéré comme une sorte de codicille de la politique d’immigration. Cette dernière est fixée par le Gouvernement. L’asile, lui, est un droit : c’est le droit accordé à des personnes de bénéficier, parce qu’elles sont persécutées dans leur pays, de l’asile en France.

Au passage, permettez-moi de remercier les services du secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, qui nous ont beaucoup aidés et qui ont répondu à toutes nos questions dans des délais tout à fait remarquables ; cela mérite d’être salué.

Quelle est la situation telle qu’elle peut être perçue en chiffres ? On observe une augmentation significative du nombre des demandeurs d’asile depuis 2008 et l’on a enregistré près de 53 000 demandes en 2010. Selon vous, monsieur le ministre, c’est sans précédent. Or ce n’est pas vrai ! En effet, vous ne pouvez l’ignorer, entre 2003 et 2005, le nombre de demandes a été supérieur ; ainsi, il y en a eu, selon vos services, plus de 65 000 en 2004. Par conséquent, nous nous situons actuellement en dessous de ce nombre fourni par vos services pour cette année-là.

Face à cette réalité chiffrée, les éléments budgétaires nous posent problème, monsieur le ministre, car les crédits prévus pour 2012 sont manifestement sous-évalués. Vous ne manquerez pas de me répondre – mais, après m’avoir entendu, je pense que vous y renoncerez ! – que les crédits augmentent par rapport à l’année dernière puisqu’ils atteignent 409 millions d’euros pour le programme 303.

Toutefois, monsieur le ministre, quand on sait que le montant des crédits réellement exécutés en 2011 pour le même programme a excédé 522 millions d’euros, on comprend que cette augmentation est totalement fictive et qu’elle traduit tout simplement la sous-dotation des années précédentes.

Nous sommes donc en droit de nous interroger sur la conformité au principe de sincérité, inscrit dans la LOLF, d’un budget que vous nous présentez comme étant en augmentation puisqu’il ne l’est pas. En effet, les sommes indiquées, inférieures à ce que vous avez dépensé l’année dernière, seront fatalement insuffisantes !

La commission des lois a deux inquiétudes majeures.

La première concerne le recours excessif à la procédure prioritaire, qui peut être décidée lorsque le requérant est ressortissant d’un pays d’origine dit « sûr » ou lorsque sa demande apparaît comme « abusive ». Cela conduit à priver environ un quart des demandeurs d’asile d’un certain nombre de droits essentiels : droit au séjour, droit à un hébergement d’urgence, droit à l’allocation temporaire d’attente, après la notification de rejet de l’OFPRA.

J’insiste d’autant plus sur ce point qu’il est très difficile pour le préfet de présumer que la demande est abusive. En effet, de quels éléments dispose-t-il pour cela ?

De plus, dans un nombre non négligeable de cas de demandes jugées a priori abusives par le préfet, l’OFPRA et surtout la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, qui sont compétents pour se prononcer sur le bien-fondé de la demande, donnent finalement droit aux demandeurs.

J’insiste aussi sur le caractère non suspensif du recours devant la CNDA, qui pose un problème de droit sur lequel la Cour européenne des droits de l’homme doit prochainement statuer.

La seconde inquiétude majeure de la commission des lois concerne la saturation du dispositif des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les CADA.

Moins de 40 % des personnes éligibles y ont accès, alors que le Gouvernement pourrait, sans dommage pour les finances publiques, accroître le nombre de places dans ces centres. En effet, le coût d’une place en CADA – un peu moins de 25 euros par jour – est légèrement inférieur à la somme du coût de l’allocation temporaire d’attente – 11 euros par jour – et de celui d’une place d’hébergement d’urgence – 15 euros par jour, en moyenne.

Il semble donc y avoir une volonté d’organiser la pénurie de l’hébergement dans ces centres, alors que nous devons y accueillir un nombre non négligeable de personnes.

Monsieur le ministre, je terminerai par la réforme du droit d’asile que vous avez annoncée vendredi dernier et qui alimente aussi notre inquiétude.

Celle-ci tient d’abord à l’extension de la liste des pays d’origine dits « sûrs ». Selon nous, les critères d’établissement de cette liste sont sujets à caution, comme le montrent, d’une part, un taux d’accords significatif devant l’OFPRA et la CNDA pour des personnes venant des pays en question et, d’autre part, l’annulation de la liste à deux reprises par le Conseil d’État, en 2009, puis en 2010.

Notre inquiétude tient en outre à votre souhait de diminuer ou de voir diminuer le nombre de demandeurs d’asile. Car cela ne dépend pas de vous ! Ni de nous ! Les demandeurs d’asile sont des personnes qui sont persécutées et qui ont droit à l’asile. Ce droit est reconnu par la convention de 1951 dont la France est signataire ; elle interdit de renvoyer un étranger…

M. Charles Revet. Sous conditions !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis. … vers un pays dans lequel il risquerait d’être exposé à des persécutions ou à des traitements inhumains ou dégradants.

Monsieur le ministre, nous pensons que vous avez toute légitimité à défendre une politique d’immigration. Mais, s’agissant du droit d’asile, il est nécessaire qu’ensemble nous défendions ce qui est un droit, un droit pour des personnes, je le redis, persécutées ou gravement menacées dans les pays d’où elles proviennent.

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas le présent budget.

M. Charles Revet. Je m’en doutais !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis. Je vous remercie, mon cher collègue, d’avoir bien entendu mes propos, et je loue votre attention ! (Sourires.)

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis. Eh bien, en guise de conclusion, je citerai un grand auteur que vous connaissez, monsieur le ministre. Il s’agit de Grotius, qui publia en 1625 un ouvrage intitulé Droit de la guerre et de la paix. Mme Benbassa, que je sais très attachée à la littérature, sera sûrement sensible au passage que voici : « On ne doit pas refuser une demeure fixe à des étrangers qui, chassés de leur patrie, cherchent une retraite, pourvu qu’ils se soumettent au gouvernement établi et qu’ils observent toutes les prescriptions nécessaires pour prévenir les séditions. […] C’est le propre des Barbares de repousser les étrangers. »

Cette dernière phrase, mes chers collègues, invite à la méditation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Néri, rapporteur pour avis.

M. Alain Néri, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour l’immigration et l’asile. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Immigration, asile et intégration », en particulier son action 2, Garantie de l’exercice du droit d’asile, a pour objectif de garantir aux demandeurs d’asile un traitement optimal et humain de leur demande, ainsi qu’une bonne prise en charge en termes de conditions matérielles, d’accueil et d’accès aux soins pendant la durée d’instruction de leur dossier.

L’OFPRA, puis, en cas de recours, la CNDA, qui relève du programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives », instruisent les demandes d’asile.

La France est, selon vous, monsieur le ministre, le deuxième pays destinataire de demandes d’asile, après les États-Unis. Cette réalité s’inscrit dans le droit-fil de la tradition d’accueil de la République et de la défense par notre pays des droits de l’homme partout dans le monde. C’est l’honneur de la France !

En 2010, ce sont plus de 52 000 demandes qui ont été enregistrées auprès de l’OFPRA, et les estimations pour 2011 sont de l’ordre de 60 000 demandes, ce qui représente une augmentation de plus de 14 %.

Sur le papier, le projet de budget pour 2012 semble répondre à cette croissance des demandes.

Le programme 303 concentre la majorité des crédits dévolus à la mission « Immigration, asile et intégration » avec 87,5 % du total. Les autorisations d’engagement – 553 millions d’euros en 2012, contre 490 millions d’euros en 2011 – sont en augmentation de 12,78 % et les crédits de paiement – 560 millions d’euros en 2012, contre 488 millions d’euros en 2011 – progressent de 14,67 %. L’action 2 passe d’une dotation de 327,75 millions d’euros en 2011 à 408,91 millions d’euros en 2012, soit une hausse de 24,76 %.

L’accueil des demandeurs d’asile voit aussi son enveloppe augmenter. Pour l’hébergement d’urgence, les crédits engagés en loi de finances initiale pour 2011 étaient de 40 millions d’euros ; ils passent à 90 millions d’euros. Il en va de même pour l’allocation temporaire d’attente, pour laquelle les crédits engagés l’an passé en loi de finances initiale se montaient seulement à 54 millions d’euros, contre près de 90 millions d’euros cette année.

Si cet effort peut être souligné, force est de constater que les crédits inscrits restent notoirement insuffisants pour apporter une réponse positive aux problèmes prioritaires que sont les délais trop longs de l’instruction des dossiers des demandeurs d’asile, qui varient de 130 à 150 jours à l’OFPRA et atteignent plus de deux ans s’il y a un recours auprès de la CNDA.

Les mesures prises lors des années précédentes, en particulier le recrutement d’agents supplémentaires, n’ont pas encore porté leurs fruits, en raison de l’augmentation parallèle du nombre de dossiers.

La CNDA est confrontée aux mêmes problèmes, le nombre de recours déposés auprès d’elle s’étant élevé à plus de 15 000 au cours du premier semestre 2011, en hausse de plus 10 % par rapport à la même période de 2010. Cette croissance des entrées a rapidement affecté les délais de jugement. Le délai prévisible moyen de jugement a dépassé quinze mois à la fin de 2009, contre un peu plus de dix mois à la fin de 2008.

Ces délais sont totalement inacceptables ! Laisser un demandeur d’asile aussi longtemps dans l’incertitude est inhumain et retarde son intégration dans la société française. En outre, monsieur le ministre, cela pèse aussi sur les finances publiques !

L’hébergement en CADA reste insuffisant. Un effort a, certes, été accompli ces dernières années puisque plus de 21 000 places sont disponibles dans les CADA en 2011, mais ce nombre reste malheureusement bien en deçà des besoins réels. Les hébergements d’urgence se multiplient, posant de graves problèmes financiers aux communes et départements concernés.

Quant à l’allocation temporaire d’attente, elle est sous-budgétisée, comme c’est le cas depuis plusieurs années. Les crédits prévus pour 2012 restent largement inférieurs à ceux qui ont été ajoutés en gestion au titre de l’exercice de 2011 : près de 90 millions d’euros sont inscrits au présent projet de loi de finances, alors que 151 millions d’euros devraient être consommés en 2011.

Monsieur le ministre, il faut croire que, chaque année, vous sous-estimez volontairement les dépenses puisque vous savez très bien que la dotation initiale sera très rapidement insuffisante. L’établissement d’un budget sincère suppose d’inscrire les crédits correspondant aux besoins prévisibles !

Dès lors, on ne peut qu’être scandalisé quand votre nouvelle réponse à ce douloureux problème est une remise en cause du droit d’asile : c’est un véritable recul, une régression au regard de l’humanisme.