Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure pour avis.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la voie professionnelle a subi depuis 2008 une refonte extrêmement brutale et profonde, qui n’a quasiment rien épargné, ni la carte des formations, ni la construction des parcours, ni les modalités pédagogiques d’enseignement.
La voie du baccalauréat professionnel en trois ans pouvait être intéressante pour les meilleurs élèves. En revanche, afin de tenir compte des plus fragiles et des risques d’accroissement du nombre des sorties du système scolaire sans qualification, j’ai toujours plaidé, en tant que rapporteure pour avis de la commission de la culture, pour le maintien en parallèle de l’ancienne voie.
Nos craintes se sont malheureusement confirmées année après année. La réforme est d’autant plus difficile à mener que les moyens consacrés aux lycées professionnels diminuent. Il faut noter l’affaiblissement particulièrement inquiétant des ressources provenant de la taxe d’apprentissage. En outre, la répartition du produit de cette taxe est très surprenante, puisque, au sein du second degré, le public reçoit à peine plus que le privé, alors que ce dernier scolarise cinq fois moins d’élèves. Par ailleurs, au sein du second degré public, les lycées généraux et technologiques reçoivent environ 5 % de son produit, contre moins de 3 % pour les lycées professionnels.
La construction du barème de la taxe et l’affectation des fonds par les organismes collecteurs désavantagent donc très nettement les élèves de l’enseignement professionnel public. Que comptez-vous faire pour y remédier, monsieur le ministre ?
Pour dresser un premier bilan de la réforme, je me suis penchée sur le suivi des élèves de seconde professionnelle. Des taux de redoublement élevés, qui s’élèvent jusqu’à 6 % dans les académies de Lille et de Versailles, soit plus que dans les anciennes sections de BEP, ont été enregistrés. Plus gravement, le nombre des sorties du système scolaire a augmenté et atteint presque 15 % d’après le rapport des inspections générales. Si cette tendance se confirme, la réforme se soldera par un accroissement sérieux des inégalités sociales et scolaires.
La certification intermédiaire et le contrôle en cours de formation regroupent une grande partie des écueils de la réforme. La progression pédagogique est perturbée, la charge d’organisation démesurée, la fiabilité des évaluations très incertaine, l’articulation avec l’accompagnement personnalisé et les périodes de formation en entreprise déficiente.
Les formations de niveau V sont graduellement déprofessionnalisées, ce dont les organisations patronales s’inquiètent d’ailleurs.
Parallèlement, la possibilité de poursuite d’études en section de technicien supérieur a été beaucoup trop mise en avant, sans qu’aucun dispositif concret d’accompagnement des bacheliers professionnels ne soit mis en place. Du point de vue tant de la capacité d’insertion sur le marché du travail que de la poursuite d’études, la réforme risque de susciter beaucoup de frustration parmi les familles et les élèves.
Ce sont bien sûr les milieux populaires et les moins favorisés qui en paieront le prix. Je rappelle que la moitié des élèves en voie professionnelle sont enfants d’ouvriers, de chômeurs ou d’inactifs, alors que ces derniers ne représentent qu’un tiers de l’effectif global du second degré.
Enfin, la mastérisation a ouvert une crise majeure du recrutement des enseignants en lycée professionnel.
J’évoquerai brièvement cette réforme, le Conseil d’État venant d’annuler partiellement l’arrêté du 12 mai 2010, qui décline notamment les modifications statutaires relatives à l’année de stage, lesquelles avaient entraîné la suppression de 16 000 postes. Dans son arrêt du 28 novembre dernier, il considère que vous étiez « incompétent », monsieur le ministre, pour abroger seul les textes antérieurs. Ce que je dénonçais ici même en avril dernier, à l’occasion d’une question orale avec débat sur la réforme de la formation des enseignants, est aujourd’hui reconnu par la plus haute juridiction administrative ! Oui, c’est un camouflet : l’arrêté du 19 décembre 2006 fixant notamment le temps de service en responsabilité des stagiaires à huit heures par semaine et imposant une formation dans les IUFM, les instituts universitaires de formation des maîtres, s’applique donc de nouveau !
Cette précipitation, les professeurs de lycée professionnel l’ont éprouvée durement : les parcours appropriés de master dans les universités ont été construits à la hâte et restent invisibles, d’où un tarissement sans précédent du vivier de candidats. Se prépare ainsi l’affaiblissement des formations dispensées dans les lycées professionnels, à cause d’un manque de titulaires bien formés et du recours massif à l’emploi précaire. Les difficultés sont accrues par les obstacles mis à la reconversion de salariés. Le MEDEF et les branches professionnelles s’en alarment déjà.
Pour conclure, j’aimerais évoquer la question de la régionalisation de l’enseignement. En effet, un possible transfert aux conseils régionaux de la compétence pour les lycées professionnels, y compris pour la gestion du personnel enseignant, a été évoqué encore récemment. À titre personnel, j’y suis résolument hostile. Les ressources financières des régions sont trop minces et leur expertise pédagogique trop faible. En outre, tout ce qui est de nature à renforcer les inégalités sociales et territoriales entre les élèves doit être combattu.
La déstabilisation actuelle de l’enseignement professionnel, qui s’ajoute aux problèmes déjà évoqués par notre collègue Françoise Cartron, explique également l’avis défavorable de la commission de la culture sur les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Je vous rappelle également qu’en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de trente minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au titre du dernier exercice budgétaire de la mandature nous est présenté un budget d’un montant de quelque 62 milliards d’euros pour les cinq programmes de la mission « Enseignement scolaire ».
Selon vous, monsieur le ministre, ce chiffre traduit la priorité accordée par le Gouvernement à la réussite de chaque élève et sa volonté de garantir la qualité du système éducatif. C’est le premier budget de l’État, en effet. D’ailleurs, le Président de la République ne nous épargne pas ses effets d’annonce. Dans son intervention télévisée du 27 octobre dernier, il traçait ainsi son orientation budgétaire : « Moins d’enseignants, mieux payés, mieux formés, mieux considérés, mieux respectés. C’est la seule politique possible. »
Les lignes budgétaires que vous tentez de rendre présentables comportent des crédits en trompe-l’œil, comme l’a souligné M. le rapporteur spécial, dont je tiens à saluer le travail de grande qualité.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous livrer mon interprétation de ces chiffres ; elle diverge considérablement de la vôtre.
La progression affichée de 0,86 % des crédits ne repose que sur l’augmentation des pensions ; autant dire qu’elle n’est aucunement le reflet d’une dynamique nouvelle.
Cette année encore, les annonces en resteront au stade de l’affichage, car elles ne trouvent pas de traduction chiffrée dans le projet de loi de finances pour 2012.
Les leviers d’action que vous privilégiez ne sont pas les bons. Ainsi, je ne peux cautionner une gestion des ressources humaines qui conduit à affaiblir encore davantage notre service public d’éducation à l’école, au collège ou au lycée, au lieu d’en assurer la pérennité et la qualité.
Malheureusement, monsieur le ministre, la recherche purement comptable d’économies à court terme amène à faire l’impasse sur la qualité de l’enseignement, l’avenir de notre jeunesse et l’égalité des chances.
Le constat d’échec est patent. Les organismes indépendants qui mesurent l’efficacité de notre système scolaire sont unanimes : celui-ci creuse les inégalités sociales plutôt que de les aplanir ; un comble ! L’enquête du programme international pour le suivi des acquis des élèves, le PISA, menée auprès des jeunes de quinze ans l’a montré en 2009. Les résultats de la session qui sera réalisée en février 2012 confirmeront-ils ces aggravations ? Déjà, lors du vote du projet de loi de finances pour 2011, le groupe du RDSE dénonçait cette situation.
Pourtant, vous continuez à appliquer la logique de la révision générale des politiques publiques, en supprimant encore davantage de postes : 14 000 le seront en 2012. L’effort demandé est énorme et, de surcroît, discriminatoire, puisque seulement 1 435 postes seront supprimés dans l’enseignement privé.
Ce qui est valable à vos yeux pour les enseignants titulaires l’est aussi, et je le déplore, pour les contrats aidés. Ce n’est pas en supprimant, cette année encore, près de 8 000 emplois de vie scolaire que vous pérenniserez le bon fonctionnement des établissements scolaires publics.
Si elle n’est bien sûr pas seule à l’origine du mal-être de notre école, la gestion des ressources humaines a des conséquences tangibles sur le terrain : non-remplacement des absences, classes surchargées peu propices aux apprentissages, charge de travail accrue pour les professeurs qui enseignent l’éducation civique, les langues vivantes ou assurent des cours de soutien, absence de moyens supplémentaires pour accueillir les enfants présentant un handicap.
Dans le sud de la Haute-Garonne, parents d’élèves et enseignants se mobilisent contre le non-remplacement systématique d’un enseignant partant à la retraite sur deux.
Purement comptable, ignorant les spécificités géographiques, cette politique contraint les conseils départementaux de l’éducation nationale à fermer des classes, le plus souvent dans les zones les moins peuplées : elle est désastreuse en matière d’aménagement du territoire, particulièrement dans un grand département comme le mien, où coexistent des zones urbaines en développement et de vastes zones rurales.
Ces coups de boutoir contribuent à fissurer l’édifice de l’école et à creuser les inégalités entre les régions et, surtout, entre les enfants : je déplore que l’ascenseur social n’ait toujours pas été remis en route.
Les heures supplémentaires constituent l’autre levier d’action privilégié par le Gouvernement dans la répartition des crédits que nous examinons ce soir. Elles permettent de répondre aux besoins en personnel compétent pour assurer les services de soutien en dehors des horaires réguliers, l’apprentissage des langues vivantes ou les remplacements de courte durée.
Mais, pas plus à l’école que dans l’entreprise, le recours aux heures supplémentaires n’est, en soi, une preuve de bonne gestion. La hausse des dépenses au titre des heures supplémentaires contribue à fragiliser le statut des enseignants : on sait bien, en effet, que la limite entre les heures supplémentaires choisies et les heures supplémentaires subies est toujours ténue…
De surcroît, cette politique coûte cher. Les crédits affectés au paiement des heures supplémentaires ne seraient-ils pas mieux utilisés autrement, par exemple pour favoriser l’embauche de titulaires sur zone de remplacement ?
Monsieur le ministre, je tiens à vous poser une question directe : et l’éducation, dans tout cela ?
Car enfin, comme l’a souligné Mme Cartron, les choix financiers du Gouvernement se retournent directement contre la politique de l’emploi et la qualité de l’accompagnement des élèves !
Comment, dans ces conditions, comptez-vous donner une impulsion pédagogique nouvelle au contenu des enseignements ? Comment comptez-vous recruter du personnel compétent en offrant les salaires de cadre les plus bas de la fonction publique ? Déjà, la pénurie se fait sentir, à tel point que les chefs d’établissement doivent recruter à Pôle emploi des personnes qui n’ont ni la compétence ni l’expérience requises.
Dans les collèges, par exemple, pourquoi ne pas utiliser les compétences des enseignants des départements voisins ayant demandé leur mutation sans l’obtenir ? Ils sont en disponibilité obligée et voient passer des annonces de Pôle emploi pour lesquelles ils ne sont pas prioritaires.
Aujourd’hui, un enseignant dont le conjoint est muté loin de son domicile a deux solutions : soit il accepte d’être séparé de lui, et il accumulera chaque année des points en vue d’obtenir une mutation ; soit il décide de le suivre en se plaçant en situation de disponibilité ou en congé parental, afin de ne pas mettre en danger sa vie familiale, mais il cessera alors d’engranger des points et un cercle vicieux s’enclenchera !
Les femmes sont les principales victimes de cette situation désastreuse, dont elles subissent à un double titre les conséquences : pour le déroulement de leur carrière et pour le calcul de leur future pension de retraite. Je vous demande donc d’engager une réforme de la procédure de changement d’affectation pour rapprochement de conjoints, afin de faire cesser des situations familiales particulièrement difficiles, en même temps qu’un gaspillage de compétences.
Un autre problème, que je me contenterai d’évoquer, est très préoccupant : celui des conséquences de la modification de la carte scolaire, qui aggrave, en milieu rural comme dans les quartiers sensibles, les disparités dans la qualité du service public de l’éducation. Bref, les inégalités territoriales et sociales se creusent : la mixité sociale disparaît et, avec elle, les beaux principes fondant notre modèle républicain.
C’est pourquoi, à la suite de notre rapporteure pour avis, je demande que le ministère de l’éducation nationale procède à une évaluation rigoureuse des conséquences pédagogiques de la désectorisation, c’est-à-dire de son incidence sur les apprentissages des élèves.
Avant de conclure, je souhaite attirer l’attention sur la pénurie des moyens alloués à la médecine scolaire. Dans un contexte de crise économique grave, ce service permettrait aux enfants des familles les plus défavorisées de bénéficier d’un « minimum médical ».
Mais, là encore, les moyens ne sont plus au rendez-vous, alors qu’il s’agit d’un enjeu majeur pour la santé publique. Quand la patientèle d’un médecin généraliste représente environ 1 000 personnes, un médecin scolaire suit quelque 10 000 élèves ! Ces chiffres se passent de commentaires… Nous nous privons d’un véritable outil d’alerte et de prévention. Combien d’enfants traîneront toute leur vie des difficultés qui auraient pu être identifiées et résolues très en amont ?
Je pourrais aussi vous parler des psychologues, des infirmiers ou des RASED… Mais j’ai déjà, l’an passé, fait longuement état de leur situation.
Monsieur le ministre, vos choix budgétaires pèsent, année après année, sur l’école de la République. Je dirai même que, pour la cinquième année consécutive, le leitmotiv de votre politique est : « RGPP » !
Le temps est venu de mener un vrai travail de fond, débouchant sur une réforme qui redonne au métier d’enseignant la place centrale au sein de la mission « Enseignement scolaire ». Comme vous l’aurez compris, les membres du groupe du RDSE, dans leur majorité, ne voteront pas les crédits de cette mission. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC. – M. Jacques Legendre applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le système éducatif d’une société est son socle, le reflet de sa vivacité et le vecteur de son avenir.
Mme Françoise Cartron, rapporteure pour avis, et M. Claude Domeizel. Jusqu’ici, nous sommes d’accord !
M. Jean-Claude Carle. Vous conviendrez donc que la mission « Enseignement scolaire » revêt une importance fondamentale.
Elle représente le premier poste budgétaire de l’État. Ses crédits pour 2012 s’élèvent à plus de 61 milliards d’euros, ce qui correspond à une progression de 0,9 % par rapport à 2011 et de 6 % depuis 2007.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de faire une remarque sur les conditions d’examen des crédits de cette mission. C’est en quelques heures, et de nuit, que nous allons débattre du premier budget de l’État… La politique d’éducation, par son importance, me paraît mériter davantage d’attention !
Aussi me semble-t-il utile d’envisager l’organisation d’un débat d’orientation budgétaire, qui permettrait à la représentation nationale d’aborder en profondeur cet enjeu fondamental pour l’avenir de notre pays.
Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait d’accord !
M. Jean-Claude Carle. Depuis plusieurs décennies, l’instruction s’est transformée, les exigences du monde professionnel ont évolué, l’internationalisation des cursus a fait bouger les frontières de l’éducation.
L’enseignement doit s’adapter à ces mutations, qui mettent en jeu l’avenir de nos enfants. Les priorités de l’enseignement ne sont plus en 2011 celles d’il y a trente ans !
Après « l’école pour tous », il faut s’engager avec vigueur pour la réussite de chacun. Pour le faire efficacement, une évaluation de l’état de notre système éducatif est absolument nécessaire.
Adapter notre système éducatif au monde d’aujourd’hui est le défi majeur que nous avons à relever pour assurer un avenir pérenne et des perspectives professionnelles encourageantes à nos enfants.
De ce point de vue, monsieur le ministre, je tiens à saluer le travail que vous accomplissez, depuis quatre ans, pour soutenir et améliorer notre système d’éducation.
M. Alain Néri. Il a supprimé la formation professionnelle des enseignants !
M. Jean-Claude Carle. Cette année encore, nous pouvons constater que vos réformes portent leurs fruits.
C’est pour adapter le système éducatif aux mutations en cours que vous avez lancé une politique de personnalisation.
La personnalisation des parcours doit ainsi prendre le relais de la politique de massification, qui est arrivée à son terme et a engendré de nouvelles contraintes pour notre système éducatif. La personnalisation doit permettre à chaque jeune de quitter l’école en disposant d’une qualification. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, il faut désormais passer de l’école pour tous à la réussite de chacun.
La réussite des élèves doit être le fil conducteur de la politique de l’État en matière d’enseignement. Je le dis avec une profonde conviction, parce que je considère que la réussite collective de la France dépend de la réussite individuelle de chacun de ses enfants.
La rentrée prochaine verra également la poursuite d’expérimentations qui contribuent à l’amélioration des conditions d’apprentissage de beaucoup d’élèves.
Les internats d’excellence, en particulier, connaissent un développement rapide : vingt-trois établissements étaient ouverts à la rentrée 2011, proposant au total 10 000 places labellisées. En plus de constituer un levier pour la diffusion de nouvelles pratiques pédagogiques et éducatives répondant à la demande sociale de personnalisation des parcours et d’accompagnement renforcé, ils sont un outil particulièrement efficace pour renforcer l’égalité des chances en s’appuyant sur la valeur fondamentale au sein de l’école : le mérite.
Je tiens à réaffirmer que le succès de nos enfants n’est pas seulement une question de moyens. Il n’est pas inutile de rappeler que notre pays compte aujourd’hui 35 000 enseignants de plus qu’en 1990, et 540 000 élèves de moins ! C’est pourquoi nous ne considérons pas que la simple augmentation des budgets ou du nombre de personnels suffise à fonder un projet pour notre école. Nous pensons que nos enseignants, sur lesquels tout repose, ont besoin d’être mieux reconnus, formés et rémunérés.
Je tiens à saluer le travail qu’ils accomplissent et l’engagement dont ils font preuve pour accompagner les élèves. Je souhaite leur rendre hommage : ils sont, aux côtés des parents, les artisans de la réussite de nos jeunes.
En 2007, le Président de la République avait tenu les propos suivants : « Je souhaite faire de la revalorisation du métier d’enseignant l’une des priorités de mon quinquennat parce qu’elle est le corollaire de la rénovation de l’école et de la refondation de notre éducation. »
Nous pouvons être fiers des mesures prises par le Gouvernement, depuis 2007, pour revaloriser le métier d’enseignant.
En matière de formation, d’abord, le nouveau pacte de carrière qui a été mis en place permet d’améliorer la formation tant initiale que continue des enseignants.
M. Alain Néri. Il n’y a plus de formation des enseignants !
M. Jean-Claude Carle. Cependant, s’ils sont bien formés à leur discipline, les enseignants ne le sont pas suffisamment à leur métier, même si l’instauration de stages d’accueil et la création de masters en alternance y contribuent.
En matière de rémunération, les efforts sont réels. Nous nous félicitons, monsieur le ministre, de l’augmentation, que vous avez annoncée le 24 novembre dernier, du salaire des jeunes enseignants, à hauteur de 2 000 euros pour un temps plein. Cet effort sans précédent, consenti de surcroît dans un contexte budgétaire très contraint, représente une augmentation de 5 % par rapport à la rentrée 2011 et de 18 % par rapport à 2007 !
J’ajoute que le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux a permis d’augmenter la rémunération des enseignants en début de carrière. La France est le seul pays à le faire, au moment même où ses voisins, par exemple l’Espagne, réduisent le salaire des enseignants tout en leur demandant de travailler quelques heures de plus par semaine…
Ainsi, beaucoup est fait pour soutenir et accompagner ceux qui se consacrent avec dévouement à ce beau métier.
Dans le même ordre d’idées, monsieur le ministre, il me paraît important de donner aux jeunes enseignants les moyens d’entrer dans la carrière le plus sereinement possible. Ils doivent pouvoir acquérir de l’expérience avant d’être nommés à des postes dans des établissements plus difficiles. Tout le monde y gagnera, à commencer par les élèves qui, parce qu’ils rencontrent des difficultés de nature à compromettre leur parcours scolaire, ont besoin d’un encadrement expérimenté propre à leur fournir tout le soutien nécessaire.
C’est donc dans l’intérêt de l’ensemble des acteurs du système éducatif que nous devons réformer la politique d’affectation actuelle : à mon sens, elle ne permet pas de tirer le meilleur profit des compétences de chacun.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les collectivités locales interviennent financièrement dans la politique de l’éducation. Or nous savons que ce qui est imposé est souvent mal compris et inefficace sur le terrain. La mission commune d’information sur l’organisation territoriale du système scolaire et sur l’évaluation des expérimentations locales en matière d’éducation, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, a pu s’en rendre compte !
C’est pourquoi je suis attaché à l’idée de partenariat et convaincu que le recours aux contrats entre les élus locaux, les parents et le monde socioprofessionnel est un vecteur d’avancées essentielles. Je le dis au vu de la réussite d’initiatives locales qui illustrent les vertus de cette méthode. Selon moi, nous devrions les étudier avec intérêt : je pense, par exemple, aux expérimentations conduites par M. Dubois dans la Somme et par M. Jardel dans votre propre région, monsieur le ministre.
Je souhaite enfin attirer votre attention sur l’accompagnement scolaire des enfants âgés de trois à six ans. C’est au cours de cette période de la vie que l’enfant se construit et acquiert le socle de connaissances indispensable à son épanouissement.
Je tiens à rendre hommage au travail accompli par les enseignants des écoles maternelles ; la réussite de nos enfants dépend de leur engagement.
Cette tranche d’âge est particulièrement sensible, et nous devons la considérer à la hauteur de l’importance qu’elle représente dans la vie.
C’est pourquoi je suis favorable au travail qui est engagé vers un repérage précoce des difficultés scolaires, n’en déplaise aux bien-pensants qui y voient un nouveau sujet de polémique stérile en parlant d’évaluation, de test, alors qu’il n’est aucunement question de cela, comme vous l’avez souvent rappelé, monsieur le ministre.
Je suis favorable à cette démarche, car je suis convaincu que c’est en identifiant le plus tôt possible les difficultés d’un enfant que le système éducatif pourra lui apporter le soutien et l’accompagnement nécessaires lui permettant de dépasser ses faiblesses du moment et de préparer sa réussite de demain.
Monsieur le ministre, ce budget témoigne, dans un contexte de crise, de votre volonté de donner à nos enfants le meilleur investissement qui soit : celui du savoir. D’ailleurs, ce n’est pas moi qui le dis, mais Socrate, qui, voilà vingt-cinq siècles, déclarait : « Le savoir est la seule matière qui s’accroît quand on la partage. » Il est de notre devoir de réussir un meilleur partage de ce savoir.
Pour conclure, permettez-moi de suggérer trois pistes afin d’améliorer un système qui peine à réduire les inégalités scolaires, conséquences trop souvent d’inégalités sociales.
Tout d’abord, le politique doit prendre toute sa place. Le Parlement ne doit plus se satisfaire d’un rôle contemplatif sur un budget véritable « boîte noire » décryptable par les seuls initiés. Beaucoup de ceux que nous avons auditionnés nous l’ont dit.
Ensuite, les priorités actuelles ne sont plus celles des années cinquante. Les affectations et le statut des enseignants devront s’inscrire dans cette réalité.
Enfin, seule une politique intégrant et responsabilisant la famille, l’école et la ville permettra de réduire ces inégalités.
Quant à la méthode, monsieur le ministre, elle est évidente : le contrat vaut toujours mieux que la circulaire. Passons de compétences aujourd’hui encore trop séparées à des compétences véritablement partagées, parce que nos enfants le valent bien. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. Jean-Claude Lenoir. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le cinquième budget de l’enseignement scolaire de ce gouvernement. Cinq années de RGPP qui se sont concrétisées par une saignée d’une ampleur inégalée dans les postes – près de 80 000 à l’éducation nationale –, orchestrant le démantèlement de notre service public d’éducation.
Sans surprise, donc, le projet de budget pour 2012 entérine 14 000 nouvelles suppressions d’emploi.
La majorité des interventions des rapporteurs budgétaires l’ont montré : les voyants sont au rouge !
Sur le terrain, se matérialise donc, année après année, la détérioration des conditions d’accueil des élèves et des conditions de travail des personnels.
Quel élu n’a pas été interpellé pour des classes fermées ou surchargées, sur la réduction de l’offre de formation, la suppression d’options au lycée, la fragilisation extrême des moyens de remplacement ou le manque de personnel de vie scolaire ? Pourtant, vous prétendez toujours, monsieur le ministre, « faire mieux avec moins ».
Pour le « moins » : les personnels – qu’ils soient enseignants, chefs d’établissement, inspecteurs, administratifs, personnels de vie scolaire –, les élèves, les parents, tous éprouvent cette gestion de la pénurie.
Pour le « mieux » : les « nouveaux services », annoncés à grand renfort de communication en 2007 – aide aux devoirs, stage de remise à niveau –, vous les avez en fait financés en réduisant le temps d’enseignement pour tous, en faisant progressivement disparaître les RASED et en recourant massivement aux heures supplémentaires.
Le solde est donc largement négatif !
Je veux m’arrêter un instant sur cette question des heures supplémentaires.
L’année dernière, plus de 1,3 milliard d’euros – l’équivalent de 40 000 équivalents temps plein travaillé – ont été consacrés aux heures supplémentaires, soit une hausse de près de 10 % depuis 2008. Pour 2012, vous prévoyez de reconduire ce volume. Car il s’agit non plus seulement de répondre à un besoin ponctuel d’ajustement, mais bien de couvrir des besoins permanents à l’éducation nationale !
Cette généralisation des heures supplémentaires est donc mortifère pour l’emploi et pour la qualité de l’enseignement.
Ainsi, en 2012, le nombre de postes offerts aux concours externes restera historiquement bas et bien inférieur aux prévisions des départs en retraite d’enseignants, impactant la réforme de 2010 : dans le premier degré, 5 000 postes d’enseignants pour 9 000 départs à la retraite ; dans le second degré, 8 600 postes au concours pour 11 620 départs envisagés.
Au lieu d’ouvrir des postes au concours pour assurer les métiers et les missions du service public d’éducation, le Gouvernement use donc d’un mode de gestion qui compresse l’emploi et développe la précarité. J’en veux pour preuve l’augmentation constante, depuis 2007, du nombre d’enseignants non titulaires. Pour le seul programme du second degré public, c’est l’explosion : 44 % d’augmentation entre janvier 2007 et décembre 2011 !
Autre paradoxe, la dernière enquête réalisée par le SNPDEN, le syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale, montre que, pour gérer la pénurie, les établissements sont justement contraints de supprimer des moyens de remédiation – les dispositifs d’accompagnement tels que « l’accompagnement personnalisé » –, pourtant têtes de pont de vos réformes !
On comprend mieux pourquoi vous répétez que la vraie question aujourd’hui est celle du « sur mesure » et non de « la qualité ». Le sabordage de la formation initiale et continue des enseignants, littéralement atomisée, en témoigne !
Ce « sur mesure », terme séduisant, s’incarne dans votre politique « d’individualisation des parcours », qui va de pair avec l’autonomie accrue des établissements.
Cette autonomie, vous l’imposez avec le dispositif ECLAIR, Écoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite. Face à l’hostilité des équipes dans les établissements, n’avez-vous pas tenté, dans le cadre de la politique de la ville et avec la signature de trente-trois avenants expérimentaux aux contrats urbains de cohésion sociale, de passer outre ?
Si cette politique aboutit, elle imposera définitivement le modèle d’une école du tri et de la sélection sociale, de plus en plus précoce.
Je ne reviens pas sur vos projets « d’étiquetage » dès la maternelle, mettant d’un côté les élèves pour lesquels le socle commun de connaissances et de compétences constituerait un horizon indépassable et, de l’autre, ceux qui seraient « destinés » à la poursuite d’études.
Tout au contraire, il faut mettre l’école au service de l’émancipation individuelle et collective, parce que tous les élèves sont capables de progresser et de réussir à condition que l’école, et donc l’État, leur en donne les moyens.
Ce n’est évidemment pas ce que vous avez engagé depuis 2007.
L’exemple combiné de la suppression de la carte scolaire et de la création des internats d’excellence illustre parfaitement votre logique.
De même, la réforme de l’éducation prioritaire et celle de l’enseignement professionnel témoignent d’une même volonté de mettre en tension les segments les plus fragiles du système scolaire, où se concentrent beaucoup d’enfants de milieux défavorisés, qui sont en même temps stigmatisés au nom de la lutte contre la violence scolaire et le décrochage.
Cela permet symboliquement de « légitimer » tous les dispositifs qu’on leur impose.
Car, contrairement à ce que vous dites, monsieur le ministre, le processus de démocratisation scolaire n’est pas allé à son terme. Ce qui a abouti, c’est la massification, ou une « démocratisation quantitative qui ne s’est pas accompagnée d’une diminution des inégalités sociales, [qui] se sont juste décalées dans le temps », pour citer le chercheur en sciences de l’éducation, Jean-Yves Rochex.
Aussi, face à la dénaturation du service public d’éducation, de sa visée, de ses missions, doit s’engager, dès maintenant, la relance du processus de démocratisation scolaire pour construire l’école de la réussite pour toutes et tous. C’est l’ambition qu’il faut avoir pour l’école !
Dans cette perspective, la maîtrise des savoirs, véritable pouvoir de transformation sociale et d’émancipation, est un enjeu décisif pour la démocratie.
Cette question des savoirs est première. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la loi Fillon de 2005 a instauré le « socle commun de connaissances et de compétences », un concept de « compétences » entendu dans sa seule dimension « mécaniste et utilitariste » d’employabilité, au service du développement de la compétitivité de l’économie, fidèle en cela à la stratégie de Lisbonne, avec une équation à résoudre : concilier les besoins de l’économie en matière de formation et de qualification et la nécessité de contrôler le coût, toujours jugé excessif, des systèmes éducatifs. Comment ? Par le tri entre ceux qui maîtrisent le « socle » et ceux qui ne le maîtrisent pas et la sélection au moyen des outils d’évaluation que sont le livret de compétences et les évaluations dans le primaire.
Il faut remettre en cause cette forme d’évaluation institutionnelle – consistant davantage à entraîner les élèves à acquérir des compétences pour renseigner ledit livret – qui se fait au détriment des apprentissages, fragmente les savoirs, alors que leur maîtrise est indispensable pour comprendre le monde et agir sur sa transformation.
Construire cette école de la réussite nécessite de refonder l’école sur le modèle de l’élève qui n’a que l’école pour apprendre les savoirs scolaires.
Aussi, à la notion de « socle commun », j’oppose celle de « culture commune », moteur d’émancipation.
À « l’individualisation des parcours », j’oppose la « personnalisation des parcours ».
« Personnaliser », comme l’a analysé Jacques Bernardin, du Groupe français d’éducation nouvelle, « n’est pas individualiser, mais engager chacun dans un processus de transformation grâce à la confrontation réglée à la fois par l’exigence de la preuve […] et par la normativité propre à l’objet. »
Il faut un temps scolaire rallongé jusqu’à dix-huit ans et ouvrir droit à la scolarisation dès deux ans. Il faut s’appuyer sur un programme unique jusqu’à la fin du collège, maintenir des filières véritables et ambitieuses comme outils supplémentaires à la démocratisation et non à la sélection des meilleurs. Il faut aussi des diplômes nationaux.
Autant d’armes pour lutter contre les inégalités !
Cela implique aussi une nouvelle « posture professionnelle ». Elle ne sera pas possible si la formation initiale et continue reste à l’état de ruine.
Il faut donc immédiatement rétablir les moyens pour une formation pédagogique et disciplinaire, initiale et continue des enseignants, en lien étroit avec la recherche.
Enseigner est un métier qui s’apprend, et dans un cadre fondé sur des concours et un recrutement nationaux.
La question des inégalités, de leur résorption, pose aussi celle du rôle des collectivités territoriales. Partenaires, au même titre que les parents, celles-ci ne sauraient suppléer au désengagement financier de l’État. La part de ce dernier dans la dépense intérieure d’éducation n’a en effet cessé de diminuer – 65,2 % en 2000, contre 59,4 % en 2010 –, quand celle des collectivités territoriales passait de 19,9 % à 24,6 %.
L’échelon territorial, aussi séduisante que soit cette idée, ne saurait devenir celui du pilotage de notre système éducatif.
Je m’inscris en faux contre l’évidence qui voudrait que l’accroissement de l’autonomie des établissements et l’instauration d’une contractualisation territoriale soient susceptibles de réduire l’échec scolaire. Non, l’ambition pour notre école doit être celle non pas d’une adaptabilité à des réalités territoriales, budgétaires ou économiques, mais bien d’une émancipation individuelle et collective !
Ce budget tourne le dos à cet objectif ; mon groupe votera donc contre les crédits de la mission « Enseignement scolaire ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)