M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cela fait plus de trois décennies que le Parlement n’a pas voté un budget en équilibre. Depuis 1975, nous vivons à crédit. Comme l’a écrit le fabuliste, « ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ».
L’État, notre système de protection sociale, nos retraites, nos collectivités territoriales, nos fonctionnaires et nous-mêmes, mes chers collègues, vivons à crédit du mois de septembre au mois de décembre… Heureusement que nous avons encore des prêteurs : sinon, nous serions sur la paille !
Pendant trop longtemps, nous avons attendu le retour d’une croissance économique providentielle pour soulager notre addiction à la dépense publique ; pendant trop longtemps, nous avons dépensé à crédit sur le compte des générations à venir.
Nous n’avons tout simplement pas compris que le modèle de secteur public bâti pendant les Trente Glorieuses, quand notre croissance annuelle était de 5 % et que notre démographie nous permettait de financer notre protection sociale par des cotisations, est aujourd’hui révolu.
L’actuelle crise des dettes souveraines nous ramène brutalement à la triste réalité : nos créanciers nous demandent des comptes et perdent confiance en notre signature. Je ne suis pas sûr que, si nous lancions aujourd’hui un emprunt d’État, les Français seraient très nombreux à transformer leur épargne en obligations de l’État français…
L’augmentation des taux auxquels nous empruntons alourdira la charge de notre dette lors des prochains exercices. Nous sommes engagés dans un cercle vicieux, pis, dans une spirale infernale !
La loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 a fixé la trajectoire que doit suivre la réduction de notre déficit. Les marchés n’ont pas été aussi patients ; ils nous ont pris de court. On peut les juger excessifs, mais la réalité demeure.
Le projet de loi de finances pour 2012 est décisif : en sus d’envoyer un signal clair et fort à nos investisseurs, nous devons nous engager fortement et durablement dans la voie du désendettement et du retour à l’équilibre.
Si l’objectif est connu, les moyens de l’atteindre le sont moins ; ils appellent d’importants choix politiques. Trois possibilités nous sont offertes : augmenter les recettes et alourdir notre fiscalité, diminuer nos dépenses à fiscalité constante ou combiner ces deux options.
Le projet de loi initial du Gouvernement, voté par l’Assemblée nationale et renforcé par les annonces que le Premier ministre a faites le 7 novembre dernier, combine précisément augmentation des recettes et réduction des dépenses. Malheureusement, les recettes nouvelles sont beaucoup trop nombreuses par rapport à l’effort consenti sur les dépenses : sur les 18 milliards d’euros d’efforts annoncés, 2 milliards d’euros seulement proviennent d’une baisse des dépenses.
Nous proposons d’aller plus loin en liant l’effort sur les recettes et l’effort sur les dépenses. Pourquoi ne pas nous mettre d’accord sur cette norme générale : un euro de dépense en moins pour un euro de recette en plus ?
M. Vincent Delahaye. Je souhaite faire deux remarques générales au sujet des hypothèses sur lesquelles repose en partie la construction du budget.
Pour ma part, je m’attends en 2012 à une croissance économique malheureusement plus proche de 0 % que de l’hypothèse de 1 % retenue par le Gouvernement. Sans prétendre avoir une compétence scientifique comparable à celle des services du ministère des finances, je m’interroge sur la sincérité de ce budget. J’espère obtenir quelques précisions dans le cours de la discussion.
De nombreux États membres de l’Union européenne construisent leurs budgets sur des hypothèses volontairement restrictives : c’est notamment le cas du Danemark et des Pays-Bas.
Nous pourrions retenir cette méthode : prendre pour référence la moyenne des estimations des économistes – elle est aujourd’hui de 0,9 %, au mieux – et retrancher un demi-point, dans un souci de prudence.
La prudence, principe de base de la comptabilité, est aussi une vertu s’agissant de budget. Elle nous épargnera, j’en suis sûr, des mauvaises surprises ; et, en matière financière, elles sont toujours particulièrement désagréables !
En examinant les dispositions du projet de loi de finances relatives aux recettes, nous avons aussi remarqué l’inscription, au titre des recettes non fiscales, de 5 milliards d’euros provenant d’opérations de cession de participations de l’État. Or nous ne disposons d’aucune indication sur les actifs qui pourraient être concernés. Quelles participations seraient cédées et selon quel calendrier ? Est-il vraiment réaliste de compter sur cette recette très hypothétique ? La sincérité de notre budget ne s’en trouve-t-elle pas compromise ?
Ces remarques sur la prudence et la sincérité étant faites, j’aborde la question des recettes fiscales.
Le groupe de l’Union centriste et républicaine est attaché à une évolution de la fiscalité favorisant davantage la compétitivité économique, donc la création d’emplois.
Nous ne souhaitons pas nous lancer dans une concurrence fiscale préjudiciable aussi bien à nos finances publiques qu’à celles de nos voisins européens ; loin de nous l’idée de soutenir un quelconque dumping à l’irlandaise. Notre projet est tout différent : nous militons pour que l’impôt ne pénalise pas les entreprises. Pourquoi, en effet, imposer lourdement la production, alors que l’impôt est toujours supporté in fine par le consommateur ?
Comme les États-Unis, nous accusons un double déficit : à celui de notre budget s’ajoute celui de notre balance commerciale, qui représente 75 milliards d’euros. C’est autant de richesses qui ne sont pas réinvesties au profit de nos entreprises.
Une fiscalité moins compétitive signifie de l’activité en moins, des chômeurs en plus et des recettes d’impôt sur le revenu, de CSG et de TVA grevées à mesure que les caisses d’assurance chômage se vident.
Au-delà de la seule mécanique économique de l’impôt, notre système s’enfonce dans des subtilités byzantines qui le rendent aussi illisible qu’injuste.
L’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés sont grevés par plus de 65 milliards d’euros de niches fiscales. Elles sont une source d’iniquité dans notre société et contribuent à rendre notre système fiscal de plus en plus dégressif, donc injuste envers les moins favorisés.
L’impôt sur les sociétés est marqué par une divergence sans cesse plus grande entre son taux facial, que toutes les entreprises devraient supporter, et son taux réel, qui peut s’avérer dérisoire pour certains groupes.
Il ne s’agit pas d’aligner l’imposition de toutes les sociétés sur le taux le plus élevé, mais de refonder globalement la fiscalité des entreprises pour éviter de pénaliser la production tout en disposant d’impôts justes, aux rendements performants.
Songez, mes chers collègues, que l’imposition de la production représente dans notre pays près de quinze points de la richesse annuelle, soit deux points de plus que dans l’ensemble de l’Union européenne et quatre points de plus qu’en Allemagne. Structurellement défavorisés par rapport à nos principaux partenaires commerciaux, nous devenons de moins en moins compétitifs. Or moins de compétitivité, c’est moins de croissance, moins d’emplois, donc moins de recettes fiscales de toute sorte.
En matière de taxes, les récents débats ont montré que l’imagination était au pouvoir, y compris au Sénat. Tout, décidément, aura été essayé : même la création, en une seule soirée, de dix-sept nouveaux prélèvements pour un montant global de 5 milliards d’euros…
Des mesures s’imposent pour restaurer la compétitivité et l’efficacité fiscales. Pour leur part, les sénateurs du groupe de l’Union centriste et républicaine sont attachés à une réforme profonde et globale, qui nous permette de sortir de l’ornière du déficit public structurel.
Notre collègue Aymeri de Montesquiou a, dans son excellente intervention, évoqué l’instauration d’une « TVA-compétitivité » destinée à soutenir la modernisation de notre économie.
Nous proposons également une réduction importante des niches fiscales, propre à restaurer l’efficacité de nos impôts dans la forme, c’est-à-dire selon l’assiette et le taux qui sont réellement les leurs.
Cette réforme doit servir de préalable à la création d’une nouvelle tranche de l’impôt sur le revenu, voire de deux, ce qui permettra d’accroître le produit de ce prélèvement.
C’est la raison pour laquelle nous proposerons, sur l’initiative de Jean Arthuis, de remplacer la contribution exceptionnelle prévue à l’article 3 du projet de loi de finances par deux tranches supplémentaires d’impôt sur le revenu.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Vincent Delahaye. De la sorte, l’alourdissement de l’imposition des hauts revenus sera plus durable qu’avec le dispositif proposé par le Gouvernement.
Ces orientations fiscales sont seulement le premier pilier d’une véritable politique d’assainissement de nos finances.
Après la question des recettes, il me faut aborder celle de la nécessaire réduction de nos dépenses publiques.
Le secteur public est comptabilisé dans notre produit intérieur brut par le montant de ses dépenses : celles-ci représentent aujourd’hui près de 56 % de notre production nationale. Mais, derrière la réalité comptable, il convient de se représenter les grandes masses en jeu.
Certaines dépenses semblent – j’insiste bien sur ce verbe – incompressibles. C’est le cas du service de notre dette, deuxième poste de dépenses de l’État, qui représentera près de 49 milliards d’euros en 2012. À moins de vouloir nous placer tout de suite en situation de défaut, nous ne pouvons pas y toucher : il y va de la qualité de notre signature.
Les prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne sont rendus obligatoires par notre participation aux institutions de l’UE : nous ne pouvons pas non plus y toucher.
De la même manière, les rémunérations et pensions de retraite nous sont présentées comme intouchables.
Quant aux dotations aux collectivités territoriales, elles ont d’ores et déjà été limitées dans le cadre du gel de l’enveloppe, en volume comme en valeur. N’y touchons plus !
Ainsi, avant même le début de tout examen détaillé, il apparaît que 240 milliards d’euros de dépenses sur les 360 milliards d’euros inscrits au budget de l’État ne peuvent être rognés…
Restent les missions de la deuxième partie du projet de loi de finances, qui représentent 120 milliards d’euros de dépenses, hors rémunérations. Or, à ma grande surprise, les propositions de réduction de dépenses se font rares, y compris sur les travées de la majorité sénatoriale, qui, en commission des finances, vote souvent contre des crédits qu’elle juge insuffisants…
Force est de le constater, nous sommes face au paradoxe des grandes et des petites missions. Les missions les plus importantes sont gourmandes en moyens : jamais l’éducation nationale n’a disposé de crédits aussi importants, mais les moyens paraissent toujours manquer !
À l’inverse, on nous répète à l’envi que les crédits des missions plus modestes peuvent croître : les montants en cause seraient « indolores », ce seraient autant de gouttelettes dans l’océan de la dépense publique…
Par exemple, j’ai été choqué de découvrir le budget de l’audiovisuel et de l’aide à la presse.
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Vincent Delahaye. Un petit budget, disent certains. Mais il représente tout de même 2,7 milliards d’euros : beaucoup s’en contenteraient !
Je n’ai entendu nulle part, ni au Gouvernement ni sur les travées de l’opposition, ou plus exactement de la majorité sénatoriale – excusez-moi, mes chers collègues ! –, que l’audiovisuel et la presse étaient des priorités en ces temps de crise aiguë de nos finances publiques. Eh bien, figurez-vous que les crédits concernés augmenteront en 2012 de 2,7 %, c'est-à-dire de 60 millions d’euros. Et pas question d’y toucher : c’est trop dangereux !
Avec des raisonnements pareils, nous n’y arriverons jamais !
Aucune administration ne souhaite voir ses crédits réduits. L’effort est toujours effrayant. Il est pourtant possible, comme vous nous en avez fait la démonstration, madame la ministre, en annonçant une économie supplémentaire de 200 millions d’euros sur l’exercice 2011.
Madame la ministre, mes chers collègues, il nous faudra faire preuve d’un supplément de courage pour 2012. La période électorale, qui s’est ouverte très tôt, n’est pas propice à la rigueur. Nous le savons bien, cette rigueur est pourtant indispensable pour échapper à la catastrophe.
L’effort ne pèsera pas que sur les autres. Nous devons tous en prendre notre part de manière juste et équitable. En des temps aussi troubles, la justice et la transparence sont plus que jamais impératives.
On a coutume de dire que la sagesse est une vertu largement répandue sur les travées de notre Haute Assemblée. Je suis sûr que le courage l’est aussi. Il y a parmi nous beaucoup plus de courageux qu’on ne le pense:
Mme Nathalie Goulet. Et de courageuses !
M. Vincent Delahaye. Et de courageuses, bien sûr ! (Sourires.)
Le moment est venu de le montrer.
Après le festival de taxes de la première partie, qui m’a, il faut bien le dire, plutôt donné la nausée, j’ai hâte d’assister, madame la ministre, mes chers collègues, au réveil des courageux : vivement la seconde partie ! (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Marc Massion.
M. Marc Massion. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes dans une situation un peu particulière dans la mesure où nous débattons d’un budget qui n’est plus totalement d’actualité depuis l’annonce du dernier plan de rigueur. Ce budget, qui sera amélioré par nos amendements, sera sans doute malheureusement laminé par la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale.
Mme Nathalie Goulet. Tant pis pour eux !
M. Marc Massion. Pourquoi cette situation de budget quasi caduc ? Parce que le Gouvernement s’est entêté à maintenir dans ses prévisions un taux de croissance de 1,75 %, alors que tous les indicateurs européens et nationaux annonçaient que cela ne serait pas tenable.
Vous avez cru rassurer les marchés et, comme l’hypothèse n’était pas viable, vous avez été rattrapés par la nécessité d’une révision du taux de croissance.
Et vous recommencez avec le dernier plan présenté par le Premier ministre, avec une croissance estimée à 1 % !
Je m’interroge. Trois jours après cette annonce, la Commission européenne faisait savoir que la croissance ne serait au mieux que de 0,6 % et que de nouvelles mesures s’imposaient. Je m’interroge parce que j’imagine que, entre Bruxelles et Paris, il y a quand même des échanges d’informations. En annonçant 1 % de croissance, saviez-vous que, trois jours plus tard, la Commission allait indiquer 0,6 % ? Avez-vous volontairement annoncé un taux de croissance qui serait aussitôt remis en cause ?
Je n’ignore pas que, pour tous les gouvernements, la tendance est à inclure dans la prévision de croissance une part de volontarisme. Mais cela n’est pas de mise quand la situation est particulièrement sérieuse, comme aujourd’hui. Le volontarisme doit céder la place à la lucidité et à la vérité.
« Il faut dire la vérité aux Français », prônez-vous régulièrement. Mais votre vérité semble vous interdire l’emploi de certains mots. Il en est ainsi du mot « rigueur ». M. Bruno Le Maire serait le premier membre du Gouvernement à avoir osé l’employer et à l’assumer. J’ai tendance à le croire : il sait de quoi il parle ! D’autant qu’il est chargé du projet de l’UMP pour la présidentielle.
Autre mot apparemment tabou, celui de « récession ». Y a-t-il un risque de récession dans notre pays en 2012 ? C’est au Gouvernement de le dire clairement. Ce n’est pas aux commentateurs, aux journalistes, si compétents soient-ils, de le dire ou de le laisser supposer.
C’est la responsabilité du Gouvernement de dire la vérité aux Français. Mais la vérité, vous ne la dites pas !
Par exemple, s’agissant de la dette, j’entendais le Premier ministre affirmer que, depuis trente ans, tous les gouvernements, de gauche et de droite, avaient présenté des budgets en déficit et ainsi alimenté la dette. Gauche et droite dans le même sac ! À égalité !
Il m’est alors revenu une expression de Coluche, qui disait ceci : « On est tous égaux, mais il y en a qui le sont un peu plus que d’autres ! » (Sourires.)
Mme Nathalie Goulet et M. François Marc. Eh oui !
M. Marc Massion. Eh bien, il en va de même quant à la responsabilité des divers gouvernements dans l’accumulation de la dette, François Marc l’a démontré tout à l’heure. Nous sommes tous responsables, mais il y a des gouvernements qui sont plus responsables que d’autres. Et c’est sous les gouvernements Fillon, durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, que la dette a véritablement explosé.
Il ne suffit pas d’invoquer la vérité, il faut la dire aux Français.
Par ailleurs, vous donnez l’impression d’improviser des mesures sans en percevoir les conséquences réelles.
Je veux prendre un exemple concret, celui des travailleurs de Renault-Sandouville, qui ont quitté leur entreprise sur la base du volontariat, sous certaines conditions, en attendant d’arriver à l’âge de la retraite. Or votre décision de revoir l’âge de départ à la retraite fait que ces salariés vont devoir reprendre le travail pour quelques mois afin d’atteindre le nombre d’annuités requis. Et il leur est même proposé de travailler sur d’autres sites.
Mme Marie-France Beaufils et M. Thierry Foucaud. C’est vrai !
M. Marc Massion. Je sais que Thierry Foucaud connaît parfaitement cette situation.
Il y a certainement d’autres exemples.
Quelle est votre politique ? Vous proposez des mesures qui vont essentiellement toucher au porte-monnaie du plus grand nombre, et donc des plus modestes.
La mesure « emblématique », si je puis dire, est la taxe sur les mutuelles, qui vont devoir augmenter le montant des cotisations. Savez-vous que, de plus en plus, nos compatriotes hésitent à se faire soigner parce qu’ils ne peuvent plus payer leur cotisation de mutuelle ? Et ce sont les médecins qui nous le disent. Savez-vous que, dans nos villes, les centres communaux d’action sociale sont de plus en plus sollicités pour aider les habitants à acquitter leurs cotisations ?
Objectivement, on peut reconnaître au pouvoir une cohérence dans sa démarche depuis plusieurs années.
Au début du quinquennat, il s’agissait de favoriser les hauts revenus. Avec les difficultés, il s’agit de les épargner, ce qui revient finalement toujours à les favoriser par rapport à la très grande majorité de nos compatriotes qui sont, eux, très sollicités.
Et ce n’est pas la contribution exceptionnelle proposée dans le budget – à titre provisoire, rappelons-le – qui peut faire illusion.
Les amendements que nous proposerons pendant le débat confirment que nous sommes autant que vous, quoi que vous en disiez, soucieux du retour à l’équilibre de nos finances publiques.
Nous, le mot « rigueur » ne nous effraie pas dans la mesure où les décisions qui sont prises vont dans le sens d’un effort partagé, suivant un impératif de justice sociale.
Pourquoi refusez-vous la création d’une nouvelle tranche au barème de l’impôt sur le revenu ? Nous proposons 45 % à partir de 100 000 euros par part. En Allemagne, la tranche supérieure est de 45 %, et même de 47 % si l’on prend en compte la surtaxe de solidarité.
J’avais cru entendre le Président de la République dire qu’il fallait s’aligner sur le système allemand...
M. François Marc. Eh oui !
M. Marc Massion. On voit bien vers quels Français va toute votre sollicitude !
Quant aux collectivités territoriales, vous continuez à les malmener alors même que ce sont elles qui assurent la plus grande partie de l’investissement public et, par là même, l’emploi.
Pendant ce temps, la dette ne cesse d’augmenter. Selon les nouvelles du jour, l’écart entre l’Allemagne et la France sur les taux d’emprunt continue de croître. À l’évidence, cet écart fragilise encore plus notre pays en Europe et dans le monde. Personne ne s’en réjouit, mais nous pensons, ou plutôt nous constatons que vos décisions, votre politique ne sont pas à la mesure de l’enjeu.
Je crains fort que la France que vous nous laisserez en mai prochain ne soit dans une situation très dégradée, qu’il s’agisse de ses finances publiques ou de l’emploi. (M. Philippe Dominati s’exclame.)
La télévision montrait l’autre jour une ancienne déclaration de Nicolas Sarkozy : « À la fin de mon quinquennat, affirmait-il, le taux de chômage sera abaissé à 5 %. » On est très loin du compte et les dernières annonces nous font craindre une forte dégradation de la situation de l’emploi.
Quand les médias évoquent des suppressions d’emplois dans tel ou tel secteur, c’est parce qu’elles sont massives…
Mme Nathalie Goulet. Chez Honeywell, par exemple !
M. Marc Massion. … mais, sur le terrain, nous en voyons beaucoup d’autres, dont les médias ne se font pas l’écho parce qu’elles touchent moins de personnes. Il n’en reste pas moins que leur accumulation affecte durement l’ensemble de l’activité économique.
Finances publiques dégradées, fort chômage, injustice sociale et fiscale : tel sera votre bilan, mais aussi notre héritage, auquel nous nous préparons à faire face avec l’ensemble de la gauche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Bruno Sido. On peut toujours rêver !
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, face à la crise économique qui a pris, voilà peu, une nouvelle forme, il n’y a pas beaucoup d’attitudes possibles.
La première, celle qui, pour l’heure, semble privilégiée, c’est la soumission pure et simple à la loi des marchés financiers, au motif que tout passe par là, qu’il s’agisse du financement de l’économie, des ressources des entreprises ou de celles des États.
Il est vrai qu’il y a une étrange coïncidence : depuis près de quarante ans, d’un côté, la Banque de France n’est plus habilitée à faire la moindre avance au Trésor public en imprimant de la monnaie – pas plus que la Banque centrale européenne, dont elle est devenue la succursale –, de l’autre côté, nos comptes publics n’ont cessé de se dégrader plus ou moins fortement.
Quoi qu’il en soit, toutes les politiques menées en Europe ces temps derniers vont dans la même direction : pratiquer les ajustements budgétaires permettant de s’acquitter de la dette, alors même que le risque patent des politiques d’austérité qui en découlent est précisément d’inscrire dans la durée déficits publics et endettement.
Car le problème est bien là : le remède est pire que le mal et les exemples de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne, pays déjà soumis à la loi de l’austérité sous les bons auspices de la Commission européenne, de la Banque centrale et du Conseil des ministres, sont là pour nous montrer que les choses peuvent fort bien aller de mal en pis.
Explosion du chômage, effondrement du pouvoir d’achat, baisse sensible de l’activité économique et récession, tout montre que les pays faisant déjà l’objet de la cure d’austérité à l’œuvre connaissent une aggravation de leur situation.
Le tiers des municipalités portugaises, par exemple, est au bord du dépôt de bilan et un autre tiers connaît de grandes difficultés.
Cette soumission à la loi des marchés, nous la retrouvons, mes chers collègues, dans le contenu de ce projet de loi de finances pour 2012, où l’on partage en quelque sorte l’amère potion de l’austérité, comme dans les autres mesures annoncées dans le prochain collectif, qui obéissent aux mêmes attendus.
L’appel à la rigueur a quelque chose de piquant, venant d’un gouvernement qui, en début de législature, a multiplié les cadeaux fiscaux, allégé l’impôt de solidarité sur la fortune, renforcé le bouclier fiscal, permis l’optimisation des patrimoines, et qui, en cours de route, a supprimé la taxe professionnelle et autorisé la niche Copé. Cette rigueur-là a, pour ainsi dire, un drôle de goût !
Votre plan de rigueur, madame la ministre, ce sont 2 milliards d’euros d’ISF en moins au mois de juillet, puis 1 milliard d’euros pris dans la poche des assurés sociaux en septembre, et enfin 2 milliards d’euros que vous allez prendre aux salariés et aux retraités, essentiellement au titre de l’impôt sur le revenu qu’ils acquitteront en 2012.
Aux uns les cadeaux dispendieux, qui n’ont fait que grossir les fortunes et les patrimoines, aux autres les efforts !
D’ailleurs, l’ensemble du paquet fiscal de la loi TEPA, qui n’a pas fait grand-chose pour le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat – mais qui a, en revanche, fait beaucoup pour les plus riches –, va encore nous coûter, cette année, plus de 9 milliards d’euros.
M. le président de la commission des finances a eu beau jeu de nous expliquer, voilà quelques instants – mais nous avons l’habitude : il le fait chaque année, même si c’était auparavant en tant que r&apporteur général –, que ces mesures constituent un facteur de croissance.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je suis constant sur ma ligne ! Vous n’allez pas me le reprocher !
M. Thierry Foucaud. Certes !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous aussi, d’ailleurs, vous êtes constants.
M. Thierry Foucaud. Tout à fait !
Vous nous expliquez, monsieur le président de la commission des finances, qu’il faut tenir compte des enjeux de l’économie. De notre point de vue, l’enjeu clé, c’est de ne pas céder à la pression des marchés financiers !
Je n’aurai pas le mauvais goût de rappeler ici les discours du Président de la République sur la régulation des marchés financiers, discours qui, d’ailleurs, n’ont pas encore trouvé l’amorce de l’esquisse d’une traduction concrète. C’est si vrai que, dans la sphère financière, les mots « taxe » et « impôt » sont pratiquement inconnus.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous exagérez juste un peu… mais bon !
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président de la commission des finances, si l’on ne veut pas céder à la pression des marchés, il faut commencer par modifier une large part de notre fiscalité. Ainsi, nous devons nous demander pourquoi l’ensemble des revenus financiers bénéficie, aujourd’hui encore, d’un traitement fiscal privilégié.
Je partage le point de vue de Mme la rapporteure générale : le relèvement annoncé des taux de prélèvement libératoire ne doit pas faire oublier l’essentiel, à savoir les raisons de ces formes d’imposition allégée. Il faut aussi se demander pourquoi subsisteront des produits continuant à bénéficier d’un traitement de faveur.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Elle ne va donc pas assez loin !
M. Thierry Foucaud. Il en est ainsi des plans d’épargne en actions ou des dispositifs concernant les opérations sur titres des plus grandes entreprises.
Nous considérons, pour notre part, qu’il est nécessaire que soit promu, autant que faire se peut, tout circuit de financement de l’économie qui échappe à la logique de la bourse et des marchés.
Nous avons, d’ailleurs, en France, avec le livret A, le livret de développement durable et bien d’autres outils financiers, de quoi intervenir dans un premier temps et de quoi envisager de nouvelles sources de financement de l’activité économique.
La « banalisation » du livret A, gaspillage pour gaspillage, ce sont 60 milliards à 80 milliards d’euros d’épargne populaire qui ont été confiés aux établissements bancaires, lesquels ont pu en user et en abuser ! Les mal-logés, demandeurs de logements sociaux financés sur ces ressources, peuvent attendre ! Or la construction de logements est aussi un facteur de croissance.
Mais attardons-nous un peu sur les établissements bancaires. Nos banques gèrent un flux de plus de 1 500 milliards d’euros, somme de l’épargne à vue des entreprises et des ménages, non rémunérée. Il serait temps de s’attacher à ce que ces sommes soient utilisées au mieux. Or nous n’avons pas l’impression, au vu des difficultés que rencontrent nombre de PME pour obtenir le moindre crédit, que ce soit tout à fait le cas.
Dans le numéro de La Tribune en date du 6 octobre, on pouvait lire que 60 % des appels d’offres ne trouvent pas de financement auprès des banques françaises. Et, pendant ce temps-là, on nous tient de beaux discours sur la croissance…
En tout état de cause, il va bien falloir se décider à mettre en place une taxation des transactions financières. La disposition a été votée en loi de financement de la sécurité sociale. Indépendamment de ce vote, une telle mesure illustre bien la volonté, largement partagée dans l’opinion, de ne plus laisser libre cours aux dérèglements des marchés.
Allons plus loin sur la question des choix fiscaux que nous devons porter : la situation des comptes publics trouve son origine dans l’accumulation ininterrompue de divers cadeaux fiscaux qui ont, au fil du temps, creusé les déficits publics sans régler les questions essentielles de l’emploi, de l’équilibre de notre industrie, de notre potentiel de développement. Marc Massion et François Marc ont évoqué l’exemple de la réforme de la taxe professionnelle.
Nombreux sont ceux qui, sans la moindre preuve, répandent sur les ondes, dans la presse, ou par tout moyen moderne de communication, la fable de l’excès de dépenses publiques dans notre pays. Mon cher Marc Massion, je vous rejoins également sur ce point.
Ce n’est pas l’excès de dépenses publiques qui a créé le déficit public, en tout cas celui de l’État. Car, voyez-vous, les données sont terribles !
En 1985, la part des dépenses de l’État dans le PIB était de 20 % environ. Nous avons connu, à partir de cette année-là, un long « effort », toujours en cours, de réduction des obligations fiscales et sociales des entreprises. Où en est-on aujourd’hui ? Nous avons plus de 1 300 milliards d’euros de dette d’État et le PIB atteint environ 1 960 milliards d’euros en 2011. Or, pour 2012, nous avons, entre l’État et les budgets annexes, 380 milliards d’euros de dépenses, dont presque 50 milliards d’euros, pour le seul service de la dette.
En d’autres termes, mes chers collègues, nous en sommes au même taux de 20 % du PIB pour les dépenses de l’État. Cela signifie tout simplement que la situation n’a pas profondément évolué depuis 1985...
Qu’on cesse donc de stigmatiser l’excès des dépenses publiques en France ! Ce discours ne vise qu’à cacher ce que vous faites pour les entreprises et qui n’est pas bon pour notre pays.
La stabilité des dépenses publiques d’État n’a nullement empêché le creusement des déficits. Cela prouve bien que ce sont des années et des années de diminution des recettes fiscales qui ont conduit à la situation que nous connaissons.
On a ainsi réduit les cotisations sociales des entreprises pour « alléger le coût du travail », diminué l’impôt sur les sociétés pour « assurer la compétitivité de nos entreprises » – M. le président de la commission des finances a repris cette antienne tout à l'heure –, réformé la taxe professionnelle pour « ne pas pénaliser l’embauche et l’investissement », mais cela n’a créé aucun emploi. Nous avons par ailleurs multiplié les régimes fiscaux particuliers, les niches fiscales et, surtout, nous avons creusé les déficits... Il faut mettre fin à cette logique !
Mais je vois qu’il me faut maintenant conclure.
La dictature des marchés, les peuples n’en veulent pas et ils ne manqueront pas, le moment venu, de nous le faire savoir.
La France n’a besoin ni d’un Mario Monti ni d’un Loukas Papademos ; elle a besoin d’une nouvelle politique, d’une nouvelle espérance, d’un nouveau projet. Ce nouveau projet, que nous tentons de définir et que nous défendrons, est bien différent de celui qui nous est proposé. Nous ne voterons donc pas le présent projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)