Sommaire
Présidence de M. Jean-Claude Carle
Secrétaires :
MM. Jean Boyer, Hubert Falco.
2. Mise au point au sujet d’un vote
MM. Jean-Jacques Pignard, le président.
4. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
5. Soirées étudiantes. – Renvoi à la commission d’une proposition de loi
Discussion générale : MM. Jean-Pierre Vial, auteur de la proposition de loi ; André Reichardt, rapporteur de la commission des lois ; Laurent Wauquiez, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
M. Jean-Léonce Dupont, Mmes Corinne Bouchoux, Éliane Assassi, MM. Pierre-Yves Collombat, Claude Léonard.
Clôture de la discussion générale.
Demande de renvoi à la commission
Motion no 1 de la commission. – MM. le rapporteur, Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois ; le ministre. – Adoption.
Renvoi à la commission de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
6. Questions cribles thématiques
MM. Martial Bourquin, Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique.
Mme Évelyne Didier, MM. le ministre, Éric Bocquet.
MM. Jean-Pierre Chevènement, le ministre.
MM. Jean-Pierre Vial, le ministre.
MM. Christian Namy, le ministre.
Mme Josette Durrieu, MM. le ministre, Jean-Jacques Mirassou.
MM. Alain Chatillon, le ministre.
MM. Philippe Leroy, le ministre.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené
7. Communication relative à une commission mixte paritaire
8. Application de l'article 68 de la Constitution. – Adoption d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié
Discussion générale : MM. François Patriat, auteur de la proposition de loi ; Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, rapporteur ; Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
M. François Zocchetto, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Pierre-Yves Collombat, Patrice Gélard, Alain Anziani, Gaëtan Gorce.
MM. le garde des sceaux, le rapporteur.
Clôture de la discussion générale.
Motion no 5 rectifié de M. Jean-Jacques Hyest. – MM. Jean-Jacques Hyest, Jean-Pierre Michel, le rapporteur, le ministre, Pierre-Yves Collombat, Mme Catherine Troendle. – Rejet par scrutin public.
Amendement n° 3 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Adoption de l'article.
Demande de priorité de l’amendement n° 6. – MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – La priorité est ordonnée.
Amendement n° 6 (priorité) de la commission. – M. le rapporteur.
Amendement n° 4 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Amendement n° 1 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – M. Pierre-Yves Collombat.
M. le garde des sceaux. – Adoption de l’amendement n° 6, les amendements nos 4 et 1 rectifié devenant sans objet.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 2 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – MM. Pierre-Yves Collombat, le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Adoption de l'article.
M. François Patriat.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié.
9. Communication du Conseil constitutionnel
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Carle
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Boyer,
M. Hubert Falco.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Pignard.
M. Jean-Jacques Pignard. Monsieur le président, je souhaite faire une rectification au sujet d’un vote.
Lors du scrutin public n° 37, portant sur l’ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, Mme Nathalie Goulet et M. Joël Guerriau ont été déclarés comme n’ayant pas participé au vote. Or Mme Goulet souhaitait voter pour et M. Guerriau souhaitait voter contre.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
3
Commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012.
En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du 14 novembre prennent effet.
4
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi autorisant la ratification de l’accord monétaire entre la République française et l’Union européenne relatif au maintien de l’euro à Saint-Barthélemy, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.
5
Soirées étudiantes
Renvoi à la commission d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi relative à la prévention et l’accompagnement pour l’organisation des soirées en lien avec le déroulement des études, présentée par M. Jean-Pierre Vial et plusieurs de ses collègues (proposition n° 421 [2010-2011], rapport n° 86).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Vial, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Pierre Vial, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi porte, comme son intitulé l’indique, sur les « soirées étudiantes ».
Pourquoi légiférer dans un tel domaine, diront certains ? D’autres invoqueront même le principe de liberté. Comme beaucoup, je déplore notre propension à trop légiférer, mais, quand il s’agit de la santé publique, du respect de la personne et du droit à la vie, tout simplement, n’avons-nous pas l’obligation d’ouvrir les yeux et d’assumer nos responsabilités ?
En effet, derrière l’expression, plutôt sympathique, de « soirées étudiantes », se cache ce fait de société nouveau qu’est le binge drinking chez les jeunes. Venu d’outre-Manche, ce phénomène aura envahi l’Hexagone en quelques années seulement. La rapidité de son développement en Europe n’a pas manqué de faire réagir votre prédécesseur, monsieur le ministre. Ainsi, par courrier en date du 26 octobre 2010, Mme Valérie Pécresse indiquait « que plusieurs événements dramatiques survenus lors de soirées ou de week-ends d’intégration [l’avaient] conduite à rappeler en termes fermes les dispositions de la loi […] », soulignant que « toute forme de bizutage est strictement interdite ». Après avoir travaillé avec l’ensemble des acteurs de la communauté universitaire, elle a adressé à Mme Martine Daoust, rectrice de l’académie de Poitiers, une lettre de mission lui demandant « de s’attacher plus particulièrement à la prévention des comportements à risque et des conduites addictives liées notamment à la consommation excessive d’alcool […] sans exclure la possibilité de faire évoluer le droit si le besoin s’en faisait sentir […] ».
Oui, mes chers collègues, à l’instar du bizutage, dont on connaît les excès et, dans certains cas, les drames, le binge drinking, qui lui est parfois lié, est devenu une pratique courante dont les ravages sont, malheureusement, souvent encore plus graves, d’autant qu’elle se répète tout au long de l’année.
Il s’agit d’un phénomène récent, aux conséquences dramatiques. Le binge drinking, expression que l’on traduit souvent, en français, par « alcool défonce », touche les jeunes Européens de quinze à vingt-cinq ans. Dans les faits, cette pratique consiste à consommer de l’alcool de façon excessive et rapide, à seule fin d’être saoul le plus vite possible. Elle présente la particularité de s’être répandue très rapidement en Europe, plus particulièrement dans les pays du nord du continent. La motivation n’est pas le goût de l’alcool, mais bien la recherche des sensations procurées par son abus.
Le binge drinking entraîne des troubles de comportement classiquement liés à la consommation d’alcool : pratiques sexuelles à risques, conduite en état d’ivresse, violence extrême, coma éthylique parfois mortel, troubles cardiovasculaires et surtout cognitifs, les études expérimentales ayant fait apparaître des séquelles durables. Ainsi, en Europe, 10 % des accidents mortels chez la jeune fille et 25 % chez le jeune homme seraient liés à une intoxication à l’alcool.
Si l’appellation de « soirées étudiantes » peut laisser imaginer qu’il ne s’agirait que d’événements occasionnels, liés à des circonstances particulières ou festives, leur organisation s’avère en fait de plus en plus fréquente, jusqu’à devenir hebdomadaire dans certains établissements.
Aux termes d’une étude de l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, un décès sur quatre, parmi les Européens de sexe masculin âgés de quinze à vingt-neuf ans, serait causé par la consommation à risque d’alcool, et 55 000 jeunes Européens, au total, seraient morts des suites d’une consommation excessive d’alcool. Une étude conduite à l’échelon européen a révélé que, dans les hôpitaux allemands, le nombre d’admissions pour intoxication à l’alcool a plus que doublé entre les années 2000 et 2006, passant de 9 500 à 19 500.
Face à de tels excès et aux drames qui en résultent, faut-il légiférer ?
Le dispositif répressif existe déjà : le code de la santé publique punit l’ivresse publique manifeste comme une infraction depuis 1873 ; la loi Évin du 10 janvier 1991 est venue compléter la loi Veil pour lutter contre le tabagisme et l’alcoolisme au travers de l’encadrement de la publicité ; la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs qualifie le bizutage de délit ; la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance alourdit les peines pour les atteintes aux personnes lorsque l’acte a été commis en état d’ivresse ; la même loi prévoit une mesure d’injonction thérapeutique lorsque le condamné fait usage de stupéfiants ou consomme habituellement de l’alcool ; la loi du 21 juillet 2009 interdit la vente de boissons alcoolisées à emporter entre 18 heures et 8 heures et interdit la vente d’alcool à tous les mineurs ; le code de la santé publique encadre la vente d’alcool pour tous les débitants de boissons ; enfin, il y a lieu de rappeler les dispositions relatives aux rave parties contenues dans la loi de 1995, qui instaure la déclaration préalable, sur laquelle nous reviendrons dans un instant.
Le dispositif répressif existe donc, avec ses mesures d’accompagnement qui ne semblent pas devoir être davantage aggravées ni précisées pour en améliorer l’efficacité. Eu égard à l’inefficacité et à l’inadéquation de ce dispositif législatif face à un comportement social nouveau, ne faut-il pas davantage sensibiliser et responsabiliser les personnes concernées ? Plus que la répression, la prévention paraît être de toute évidence la solution la plus efficace pour lutter contre cette nouvelle pratique et ce nouveau mode de consommation de l’alcool.
La plupart des pays européens ont d’ores et déjà mis en place des dispositifs de prévention du binge drinking : je citerai, en Allemagne, le programme HaLT – contraction de « stop, c’est la limite » –, aux Pays-Bas, un programme intitulé « la boisson te détruit plus que tu ne le crois ». Nous savons, monsieur le ministre, à quel point ce sujet a constitué une priorité de votre action dès votre prise de fonctions ; nous vous en remercions.
La mission conduite par la Mme la rectrice Martine Daoust, dont je tiens à saluer la qualité du rapport – les orientations qu’il a dégagées ont recueilli l’adhésion des membres du groupe de travail –, a proposé de suivre une telle démarche de prévention. S’il fallait retenir deux idées fortes, ce serait, d’une part, la pédagogie, et, d’autre part, la responsabilisation.
Les auteurs de cette proposition de loi préconisent l’instauration d’un régime déclaratif pour sensibiliser et responsabiliser les différents acteurs.
Dans son rapport au nom de la commission des lois, notre collègue André Reichardt, dont je salue la qualité des travaux et des propositions, a précisé les modalités du régime déclaratoire dont pourrait relever l’organisation de ces soirées étudiantes.
À ceux qui objecteraient, à juste titre, que le binge drinking n’est pas le fait des seuls étudiants, je répondrai que cela ne justifie pas que nous ne tentions pas de remédier à une pratique dont les conséquences peuvent être particulièrement dramatiques : il nous revient de garantir aux étudiants et à leurs familles le respect de la personne.
Les étudiants vivent dans un environnement où l’effet de groupe et le cadre institutionnel peuvent fournir un prétexte à l’organisation de manifestations ou de soirées, ou faciliter celle-ci.
Si le rapport Daoust reflète bien la volonté de tous les acteurs de s’associer à une démarche pédagogique et préventive, encore convient-il d’être lucides quant aux intentions de certains d’entre eux, qui ne sont pas toujours désintéressées. Je me bornerai, à cet égard, à évoquer le cas de certains fournisseurs de boissons qui mettent de l’alcool à disposition en concédant une partie de la recette aux organisateurs de la soirée.
Dès lors, s’il n’y a pas lieu de prévoir de nouvelles mesures répressives, il importe de sensibiliser les organisateurs à leurs responsabilités et aux risques que font encourir des soirées que la consommation abusive d’alcool peut rapidement transformer en enfers.
La discussion qui s’est ouverte au sein de la commission des lois a mis en évidence qu’instaurer un régime de déclaration pourrait engendrer de trop lourdes conséquences, dont il convenait de prendre toute la mesure.
Puis-je simplement rappeler, avant de conclure, que notre débat a trait, d’abord et avant tout, à la santé publique, domaine qui relève de la compétence des maires et des préfets, et que ceux qui sont à l’initiative de telles soirées étudiantes ou concourent à leur organisation ne peuvent échapper à leurs responsabilités ?
Mes chers collègues, il importe que l’invocation des libertés et d’autres principes ne nous fasse pas oublier ce qui est au cœur du présent débat : l’éducation, l’avenir des étudiants, et surtout leur sécurité et leur santé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi relative à la prévention et l’accompagnement pour l’organisation des soirées en lien avec le déroulement des études traite d’un réel problème de société : le phénomène du binge drinking, qui consiste à consommer de grandes quantités d’alcool en un temps limité, en vue d’obtenir une ivresse rapide.
Cette pratique, importée des pays du nord de l’Europe, ne semble pas, contrairement à ce que l’on entend souvent dire, en progression rapide chez l’ensemble des jeunes, mais elle pose un véritable problème dans les soirées étudiantes.
Ainsi, une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CREDOC, réalisée en 2010 auprès de 267 associations d’étudiants indique que la moitié des organisateurs de soirées prévoient de quatre à cinq consommations d’alcool fort par personne, d’autres boissons moins alcoolisées étant par ailleurs fournies.
Une telle consommation d’alcool, associée à celle de stupéfiants, a des effets parfois graves, tels que des comas éthyliques, des violences, des agressions, des accidents divers et, à plus long terme, des lésions cérébrales, une dépendance, qui peuvent déboucher, dans des cas extrêmes heureusement assez peu nombreux, sur des décès. Je citerai l’exemple, parmi d’autres, d’une personne qui s’est défenestrée en rentrant d’une soirée, persuadée qu’elle pouvait voler…
Les événements en question sont d’une grande diversité : soirées d’intégration dans les grandes écoles en début d’année, soirées réservées aux étudiants d’une filière, galas en cours d’année, week-ends d’intégration. Une telle manifestation, rassemblant plus de 5 000 étudiants, s’est ainsi déroulée au bord d’un lac, dans lequel un jeune s’est noyé.
Le point commun, c’est la volonté d’échapper au contrôle du chef de l’établissement d’enseignement supérieur en organisant l’événement à l’extérieur de celui-ci.
Il faut souligner que de réels efforts de prévention sont déployés par les associations d’étudiants, les mutuelles, les chefs d’établissement et même les alcooliers, qui proposent la mise à disposition gratuite de barmen ayant pour consigne de refuser de servir de l’alcool aux personnes « fatiguées »… On peut citer également, dans le même ordre d’idées, la mise en place de navettes gratuites, le retrait des clés de voiture si cela se révèle nécessaire, l’élaboration de nombreuses chartes de bonnes pratiques, souvent financées par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires – les CROUS –, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie ou le Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes.
Ces efforts paraissent cependant insuffisants, puisque, selon l’étude du CREDOC précitée, un tiers seulement des organisateurs de soirées dans lesquelles des étudiants font le service des boissons mettent en œuvre des actions de prévention ; globalement, un tiers des soirées ne donnent lieu à aucune démarche de ce type.
Beaucoup d’associations considèrent qu’elles n’ont pas les moyens financiers de mettre en place de tels dispositifs. En outre, les initiatives prises en matière de prévention pâtissent incontestablement d’une trop grande dispersion. Cela a amené l’une des principales associations d’étudiants à proposer, lors d’une audition par la commission, d’envisager une certification d’organisateur de soirées, afin de promouvoir la prévention et d’éviter les dérives.
Le législateur s’est déjà penché à plusieurs reprises sur le problème de la consommation excessive d’alcool chez les jeunes ainsi que sur les dérives du bizutage, qui se produisent souvent à l’occasion de soirées étudiantes.
En matière de lutte contre la consommation excessive d’alcool, il existe une législation riche, s’agissant tant de la protection de la santé que de la préservation de l’ordre public. On peut citer, à cet égard, l’obligation de demander une licence temporaire de débit de boissons pour les associations étudiantes qui organisent une soirée, certaines dispositions de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, telle l’interdiction des open bars et de la vente d’alcool aux mineurs, ainsi que la répression de l’ivresse sur la voie publique et de la conduite en état d’imprégnation alcoolique.
Sur un sujet connexe, le bizutage, on peut évoquer la loi du 17 juin 1998, qui interdit cette pratique. Monsieur le ministre, vous avez d’ailleurs récemment lancé de nouvelles mesures de lutte contre le bizutage, notamment le testing dans les soirées.
Il faut néanmoins noter, mes chers collègues, que cette législation est insuffisamment appliquée. L’étude du CREDOC de 2010 indique ainsi que la pratique des open bars, pourtant strictement interdite, subsisterait dans 25 % des soirées étudiantes.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Malheureusement !
M. André Reichardt, rapporteur. Quant au bizutage, il existe toujours, malheureusement, comme en témoigne un cas récent survenu à l’université Paris-Dauphine. Il convient à tout le moins de veiller à ce que la législation existante soit pleinement appliquée.
Dans ce contexte, le texte qui nous est proposé a été jugé intéressant par la commission des lois, même si celle-ci a estimé que la réflexion devait se poursuivre.
La proposition de loi qui nous est soumise, inspirée du rapport de Mme la rectrice Daoust, prend appui sur la législation relative aux rave parties.
Le rapport de Mme Daoust préconise tout d’abord d’organiser des opérations de testing au cours des soirées, avec des sanctions en cas de non-respect des dispositions législatives relatives aux open bars et à la vente d’alcool au forfait. M. le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a décidé récemment de lancer de telles actions ; il nous en parlera certainement tout à l’heure.
Ce rapport propose ensuite d’adopter une approche intégrée à l’échelon de l’établissement d’enseignement supérieur, ainsi que de prendre de multiples initiatives de prévention et de sensibilisation.
Il invite enfin à responsabiliser les organisateurs, en prévoyant que chaque événement soit déclaré à l’établissement, à la mairie et/ou à la préfecture du lieu d’organisation.
La proposition de loi reprend cette dernière préconisation, en s’appuyant sur le dispositif concernant les rave parties de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne. Celui-ci prévoit un régime de déclaration au chef d’établissement et au préfet et une concertation entre les parties. Surtout, la manifestation pourra être interdite par le préfet si les mesures envisagées par les organisateurs lui semblent insuffisantes ou si elle est de nature à troubler gravement l’ordre public.
La proposition de loi renvoie la définition des modalités d’application de son dispositif à un décret en Conseil d’État. Le régime prévu est en réalité plus proche de l’autorisation préalable que de la simple déclaration, le préfet ayant la faculté d’interdire le rassemblement dès lors qu’il aura le sentiment que les organisateurs ne prennent pas toutes ses recommandations en compte.
Cela me conduit à soulever la question suivante : cet encadrement n’est-il pas trop rigoureux ? Il convient, à mon sens, de trouver un équilibre entre la liberté de réunion, le droit à la vie privée et la nécessité de réglementer ces soirées étudiantes. Cela n’est pas facile : la notion de « rassemblement […] en lien avec le déroulement des études » retenue par les auteurs de la proposition de loi me paraît en effet assez imprécise. Si l’on considère que certains des rassemblements visés sont de caractère plutôt public, dans la mesure où un droit d’entrée est perçu, il y a risque d’atteinte à la liberté de réunion ; si l’on considère que d’autres sont plutôt de caractère privé, parce qu’ils rassemblent quelques dizaines d’étudiants dans un appartement, par exemple, il y a risque d’atteinte au droit à la vie privée.
C’est pourquoi mes réflexions m’inclineraient à préférer un régime plus souple de déclaration simple, pour éviter ces écueils, ainsi que les difficultés d’ordre pratique que ne manquerait pas de susciter la mise en œuvre du dispositif de la proposition de loi.
Ces obstacles d’ordre pratique tiennent notamment à la difficulté d’inclure tous les événements visés dans le champ du texte. En effet, ils sont d’une grande diversité. En outre, à l’heure d’internet et des réseaux sociaux, une soirée peut s’organiser très rapidement, en quelques « clics », au dernier moment. Par ailleurs, comment établir l’existence d’un lien avec les études, par exemple lorsqu’un étudiant décide d’organiser une fête à l’occasion de son anniversaire ?
Enfin, les préfectures et, le cas échéant, les forces de l’ordre se heurteront elles aussi à des difficultés pratiques pour suivre les quelque 20 000 manifestations organisées chaque année au sein de nos 4 000 établissements d’enseignement supérieur, sans même parler des risques de contournement, ce qui est interdit à Strasbourg ne l’étant pas forcément de l’autre côté du Rhin, pour prendre un cas de figure que je connais bien… Faudra-t-il chaque fois une déclaration ?
Surtout, en légiférant de manière trop brusque, ne risque-t-on pas de casser la dynamique de prévention constatée au cours de nos auditions ? J’ajoute qu’il n’est naturellement pas question de stigmatiser le monde étudiant, qui n’est pas seul concerné par le problème de la consommation excessive d’alcool.
En conclusion, la commission a considéré que la proposition de loi qui nous est soumise aborde un problème réel, grave dans certains cas, et qu’elle contient de bonnes idées, notamment la déclaration préalable au chef d’établissement, même si le régime prévu d’autorisation par le préfet lui a paru un peu lourd.
Cependant, en l’état actuel des choses, il est apparu à la commission prématuré de légiférer. Si le texte que nous examinons constitue une bonne base de réflexion, il ne permet pas de répondre à l’ensemble de la problématique, laquelle va au-delà des seules soirées étudiantes. La commission des lois a donc décidé de soumettre au Sénat une motion tendant à son renvoi à la commission, afin de poursuivre la réflexion sur le sujet. À cette fin, M. le président de la commission des lois a proposé que soit mis en place un groupe de travail commun avec la commission des affaires sociales. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Wauquiez, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier M. Vial de s’être saisi d’un sujet politique d’importance : il nous faut offrir à nos étudiants un cadre qui leur permette de travailler dans de bonnes conditions, tout en préservant une convivialité ne donnant pas lieu à des dérives. Il y va de la réussite de nos étudiants, dont les débuts dans l’enseignement supérieur sont une étape structurante pour leur avenir. Si la société n’est pas capable de mettre en place un cadre propre à les protéger contre les conduites addictives, certains d’entre eux se perdront à jamais.
Sur un plan plus intime, plus philosophique, ce sujet touche aussi à la conception que nous nous faisons de la dignité : la fête suppose-t-elle l’avilissement ?
Reconnaissons-le, beaucoup a déjà été fait, souvent d’ailleurs sur l’initiative du Sénat, auquel je souhaite rendre hommage à cet instant. Un cadre légal fourni existe aujourd'hui. Il n’a pas été sans effet : ainsi, les pratiques de bizutage au sein même des établissements ont disparu et le nombre d’accidents a été progressivement réduit.
Pour autant, la lutte contre le bizutage et les dérives des soirées étudiantes exige une vigilance quotidienne. Je remercie donc le sénateur Vial d’avoir clairement mis cette problématique sur la table, en déposant cette proposition de loi.
À ce stade, permettez-moi de rappeler l’action menée, souvent en lien avec la représentation nationale, pour essayer de protéger nos étudiants contre les dérives. Je dis bien : « protéger » ; il ne s’agit pas de restaurer la prohibition, d’interdire toute soirée étudiante, ce qui serait absurde, car un campus est aussi un lieu de convivialité et de partage.
Pour agir, je me suis appuyé sur les conclusions du rapport commandé sur ce sujet par mon prédécesseur, Valérie Pécresse, à Mme Daoust, rectrice de l’académie de Poitiers.
Dès mon arrivée, j’ai souhaité fonder mon action sur quatre axes forts, concrets, en concertation avec les étudiants, les associations et les familles.
Il faut d’abord mettre fin à l’omerta, aux non-dits, à une tolérance parfois coupable. À cet effet, nous avons instauré un système d’alerte, en lien étroit avec les associations qui luttent contre le bizutage. Nous avons mis en place un numéro d’appel dans chaque rectorat pour libérer la parole, une cellule dédiée, qui permet d’informer étudiants et familles, enfin un espace internet. Nous entendons miser sur l’information et la prévention.
Il faut ensuite responsabiliser les organisateurs des soirées étudiantes, en s’appuyant d’ailleurs sur les associations étudiantes, qui ne veulent pas cautionner ce type de pratiques. J’ai décidé d’organiser des testings sur le terrain, afin de vérifier que les soirées étudiantes sont sécurisées. Il s’agit là de principes de bon sens : a-t-on prévu un système de navettes ? S’est-on assuré que la soirée aurait lieu dans un endroit sécurisé ? L’objectif est de vérifier que les organisateurs ont une démarche responsable. Les opérations de testing peuvent être étendues à la lutte contre les dérives de l’alcoolisation et du bizutage.
Par ailleurs, il faut mettre en garde nos étudiants contre les comportements addictifs, qui peuvent faire sombrer une vie, gâcher une existence. Les débuts dans l’enseignement supérieur sont à cet égard une période clé.
Enfin, j’évoquerai la question qui se trouve au cœur du sujet : si l’arsenal répressif est bien développé, qu’en est-il de l’arsenal préventif ?
Il faut toujours miser sur la prévention, sur l’action précoce. Par exemple, lorsque les manifestations festives ne sont pas organisées par les bureaux d’élèves, nous n’en avons pas connaissance : c’est souvent alors que se produisent des dérives. Par une lettre circulaire du 1er septembre dernier, nous avons voulu mettre en place un outil inédit : un dispositif normalisé de déclaration des projets festifs auprès des chefs d’établissement. Toutefois, dans ce domaine, on ne peut pas faire grand-chose sans la loi.
Comme vous, je n’aime pas la logorrhée législative. Je ne considère pas que toute action gouvernementale doive passer par des lois bavardes, floues, mais il s’agit ici de droit dur : ce sont les principes de liberté d’association et de liberté de réunion qui sont en jeu. À cet égard, je rappellerai la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association ou l’abondante jurisprudence du Conseil d’État soulignant que la liberté de réunion est une liberté fondamentale, à l’instar de la décision du 30 mars 2007 « ville de Lyon ». La liberté d’association et la liberté de réunion sont donc des principes fondamentaux relevant de notre bloc de constitutionnalité.
Dans ces conditions, sans intervention de la loi, nous ne pouvons pas mettre en place un système de prévention qui soit contraignant, surtout s’il s’agit de soirées privées ayant lieu dans un cadre privé.
Dans cette optique, votre proposition de loi va tout à fait dans le bon sens, monsieur Vial. Je tiens en outre à saluer le travail accompli par M. le rapporteur sur ce point très délicat. En effet, instaurer une obligation de déclarer chaque événement festif pose deux difficultés.
D’abord, le cadre d’information reste à définir. Quels événements, quel type d’organisateurs seront concernés par cette obligation ? À partir de quel seuil d’affluence une telle déclaration sera-t-elle obligatoire ?
Ensuite, auprès de qui la déclaration sera-t-elle effectuée ? Surtout, comment s’assurer que cette procédure n’aboutira pas à ce que les organisateurs se défaussent de leur responsabilité sur l’autorité qui recevra la déclaration ?
Il convient d’approfondir ces questions avant d’élaborer un texte dont l’application poserait ensuite des difficultés. Nous ne voulons pas interdire et réprimer ; notre objectif est de prévenir, de protéger.
Dans cet esprit, je fais confiance à la Haute Assemblée pour approfondir et éclaircir les quelques aspects techniques que j’ai soulignés. Il est important d’avancer rapidement sur cette question afin de signifier clairement que la convivialité, que nous entendons préserver, ne doit pas servir de prétexte à des débordements. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont.
M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, photos choquantes de jeunes filles nues prises lors d’un week-end d’intégration à Bordeaux puis diffusées sur les réseaux sociaux, renvoi de six élèves dans le Gers après un jeu dit « du string », scarification d’un étudiant à Paris-Dauphine : ces différents faits divers survenus au cours des seuls mois de septembre et de novembre de cette année montrent que la pratique du bizutage perdure dans certaines écoles, sous le couvert de week-ends d’intégration ou de soirées étudiantes. Ces actes médiatisés ne sont certainement que la partie émergée du phénomène, car la loi du silence chez les victimes, et parfois une certaine complaisance de l’administration des établissements, permettent la survivance d’un bizutage qui ne dit plus son nom.
Juridiquement, le bizutage, tel qu’il est défini par la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, est un délit, puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. Contrairement à une idée répandue chez les étudiants, est punissable le fait, pour une personne, d’amener autrui à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants, même si la victime est consentante.
Or bon nombre de bizuteurs avancent l’argument que personne n’oblige les bizutés à participer aux week-ends d’intégration et que ceux-ci peuvent dire « non ». En fait, les psychiatres estiment que, « en groupe, chacun perd le sentiment de sa responsabilité individuelle et de sa propre identité. […] L’effet de groupe inhibe le sens critique, surtout quand on est nouveau dans l’école et qu’on ne connaît pas les codes. »
En refusant de « jouer le jeu », l’étudiant craint d’être mis à l’écart et d’apparaître comme un « dégonflé ». Alors, déguisés, entraînés par le mouvement, la mise en scène, l’alcool, certains étudiants se laissent aller à des comportements qu’ils n’auraient pas normalement.
Malgré maints rappels du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche par voie de circulaires ou de courriers réclamant la plus grande fermeté à l’égard des actes de bizutage, il faut bien admettre que des débordements se produisent, la plupart du temps sous l’emprise de l’alcool ou de produits illicites.
Un simple « clic » sur internet permet de recueillir de nombreux témoignages d’actes dégradants, souvent à caractère sexuel quand les victimes sont des filles. Ces actes plus ou moins bien vécus semblent quasiment toujours associés à l’usage excessif d’alcool. Certains comparent les week-ends d’intégration à des « marathons alcoolisés ». Le binge drinking, l’alcoolisation massive et rapide, est devenu un phénomène de mode, qui séduit des jeunes de plus en plus tôt, non seulement des étudiants, mais aussi des lycéens, voire des collégiens. « Aujourd’hui, on devient potes parce qu’on a vomi ensemble », peut-on lire sur internet.
C’est pourquoi Mme Pécresse, alors ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, avait chargé, fin 2010, la rectrice de l’académie de Poitiers, Mme Daoust, de présider un groupe de travail sur les actions envisageables afin de protéger les jeunes de toutes les dérives auxquelles peuvent donner lieu les soirées étudiantes.
Sur la base d’une des préconisations de ce rapport, et sur le modèle du dispositif déclaratif prévu par la loi du 15 novembre 2001 en vigueur pour les rave parties, la présente proposition de loi tend à instaurer un régime de déclaration préalable pour tous les rassemblements à caractère festif d’étudiants, en lien avec le déroulement de leurs études mais organisés en dehors des établissements d’enseignement.
Un tel dispositif a plutôt fait ses preuves pour les rave parties, en permettant un encadrement sanitaire et sécuritaire approprié à ces grands rassemblements, mais il a également montré ses limites, par la scission entre festivals déclarés et contre-festivals.
En ce qui concerne les soirées étudiantes, permettez-moi d’avoir des doutes quant à l’opportunité de prévoir une telle déclaration préalable, qui s’apparente en réalité à un régime d’autorisation, dans la mesure où le préfet pourra refuser de délivrer le récépissé permettant la tenue du rassemblement.
Premièrement, sachant que le nombre de soirées étudiantes organisées chaque année est évalué entre 10 000 et 20 000, combien de fonctionnaires faudrait-il mobiliser pour assurer le service de déclaration et vérifier l’encadrement de 200 à 400 soirées par semaine ?
Deuxièmement, l’interdiction a bien souvent un effet inverse de celui qui est recherché. C’est donc l’organisation d’événements festifs espaces de non-droit qui risque de se développer.
Troisièmement, est-il besoin d’un texte supplémentaire, qui sera en outre perçu comme liberticide ? Tant le rapport de Mme Daoust que celui de M. Reichardt font état d’une législation abondante quant à la consommation d’alcool et au bizutage. Est-elle bien ou suffisamment appliquée ?
La responsabilisation de tous les acteurs du monde étudiant – étudiants, chefs d’établissement, alcooliers, associations, mutuelles – et la prévention me semblent les deux angles d’attaque les plus pertinents pour lutter contre les dérives que peuvent connaître les soirées étudiantes.
La signature depuis 2008 de chartes ou de conventions de prévention entre les associations étudiantes et les acteurs de la prévention – la Croix-Rouge ou la sécurité routière, par exemple – va dans ce sens. L’élaboration et la promotion d’une charte unique sont, à mon avis, à encourager fortement.
La plupart des étudiants sont majeurs. C’est par conséquent à leur intelligence et à leur créativité qu’il faut faire appel. La loi condamne le bizutage, et non pas toutes les manifestations de rentrée. L’accueil convivial des nouveaux permet une multitude de jeux, d’épreuves ou autres opérations collectives.
Pour toutes ces raisons, il me semble que la proposition de loi qui nous est soumise mérite de faire l’objet d’une réflexion approfondie. Je voterai par conséquent la motion tendant à son renvoi à la commission. (Applaudissements.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le problème qui nous occupe aujourd'hui a déjà fait l’objet d’un certain nombre de mesures censées permettre d’y remédier. J’essaierai de vous montrer, au cours de mon intervention, pourquoi la proposition de loi qui nous est présentée ne nous semble pas, en l’état, opportune.
Oui, certains jeunes ont un problème majeur avec l’alcool. Je signale néanmoins que la moitié des comas éthyliques constatés dans les services des urgences concernent des collégiens ou des lycéens. Le dispositif de la présente proposition de loi ne couvre donc que 50 % du problème de l’alcoolisation chez les jeunes.
Oui, la pratique du binge drinking est détestable et dangereuse.
Oui, lorsqu’ils sont en état d’ébriété, les jeunes, qu’ils soient ou non étudiants, ont des conduites inappropriées, parfois criminelles, qu’il convient de condamner. La justice s’y emploie.
Oui, depuis vingt ans, les politiques de tous bords ont pris la mesure de ce problème. Je ne vais pas détailler, une nouvelle fois, les mesures qui ont été prises pour y faire face. Elles vont de la condamnation du bizutage dans la loi du 17 juin 1998 au décret relatif aux happy hours, en passant par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, sans parler des mesures prises par Mme Pécresse puis par M. Wauquiez. Il existe donc déjà un arsenal législatif pour lutter contre la surconsommation d’alcool chez les jeunes.
En l’état, le dispositif de la proposition de loi qui nous est soumise nous semble difficile à appliquer. Or, le propre d’une bonne loi n’est-il pas d’être applicable et appliquée ?
En premier lieu, on dénombre chaque année quelque 20 000 soirées étudiantes, dont 6 000 sont organisées au sein des écoles de commerce, sans compter les innombrables soirées d’anniversaire. Est-il envisageable que tous ces événements fassent l’objet d’une déclaration préalable auprès du chef d’établissement ?
En deuxième lieu et surtout, nous parlons ici d’étudiants, qui sont pour la plupart d’entre eux majeurs. Or, cette proposition de loi, qui sera certainement améliorée, nous semble traiter les étudiants, appelés à devenir rapidement des actifs responsables, comme des mineurs, voire des enfants !
En troisième lieu, la proposition de loi ne traite que du problème de l’alcool chez les jeunes étudiants. Le reste de la jeunesse ne mérite-t-il pas lui aussi toute notre attention ? Pourquoi ne se préoccuper que de l’alcoolisation des étudiants ? En effet, cette question concerne aussi un certain nombre de jeunes travailleurs, de jeunes chômeurs ou de jeunes SDF. Actuellement, selon les statistiques du Secours catholique publiées le mois dernier, 36 % des personnes aidées en urgence par cette organisation sont des jeunes, vraisemblablement confrontés à une suralcoolisation et, pour peu qu’ils disposent de suffisamment de moyens, au binge drinking.
En quatrième lieu, nous ne sommes pas favorables à ce texte en l’état parce qu’il nous semble porter une atteinte disproportionnée à la liberté de réunion, par exemple en vue de fêter un anniversaire. Nous ne comprenons pas comment une soirée privée, organisée dans un lieu privé, c'est-à-dire extérieur à l’établissement d’enseignement supérieur, pourrait faire l’objet d’une déclaration au chef d’établissement. Le lien d’une telle manifestation avec les études peut en effet n’être que très ténu.
Enfin, les soirées en question peuvent regrouper à la fois des étudiants et des non-étudiants, d’où une autre difficulté d’application du dispositif de la proposition de loi.
En résumé, même si le travail préparatoire accompli est extrêmement riche et permet d’attirer l’attention sur un grave sujet de santé publique, le présent texte nous paraît poser un certain nombre de problèmes.
L’alcoolisation rapide des jeunes est le symptôme d’une crise profonde. Cette proposition de loi ne s’attaque qu’à la partie émergée de l’iceberg. Pourquoi cette jeunesse boit-elle autant ? Voilà la question que nous devons nous poser !
Si nous sommes aussi réservés sur ce texte, c’est parce qu’il ne suffit pas de se donner bonne conscience en instaurant un régime de déclaration préalable qui permettra aux acteurs d’« ouvrir le parapluie » et de se défausser de leurs responsabilités.
Pour notre part, nous faisons un autre pari : celui de la prévention et de la coopération avec les associations et les mutuelles étudiantes. Encore faut-il qu’elles aient les moyens de mener des actions de prévention, car cette dernière a un coût. La proposition de loi ne comporte d’ailleurs aucun volet financier.
Sur un plan positif, nous souhaitons proposer trois axes de travail en vue de remédier à un problème dont nous ne nions nullement la réalité.
Tout d’abord, les soirées ayant quitté les écoles et les universités pour s’éloigner des centres-villes, nous pensons qu’il conviendrait de faire revenir au sein des établissements d’enseignement supérieur une partie de la vie étudiante, notamment les fêtes. Il n’y aurait alors plus lieu d’élaborer une loi, puisque le code de l’éducation et les règlements intérieurs des établissements suffisent tout à fait pour régler les problèmes liés à la vie étudiante.
Ensuite, nous souhaiterions que soit lancée une enquête approfondie sur la santé des jeunes, étudiants ou non, afin d’essayer de mieux comprendre les raisons et les ressorts de leur malaise. Cela permettrait d’étudier les moyens de développer la prévention, par exemple en assurant une prise en charge des jeunes en difficulté par les bureaux d’aide psychologique universitaires ou les maisons de la santé. Je reconnais toutefois qu’une telle politique a un coût.
Enfin, nous pensons qu’une authentique politique de la jeunesse doit s’adresser aux jeunes dans toute leur diversité : garçons, filles, étudiants, non-étudiants, demandeurs d’emploi. Une telle politique doit permettre d’ouvrir des perspectives en matière d’emploi, car les jeunes ne demandent qu’une chose : étudier en vue d’acquérir une formation puis d’exercer un métier. À cet égard, la piste des emplois verts est particulièrement intéressante.
En conclusion, les membres du groupe socialiste-EELV sont eux aussi favorables au renvoi du texte à la commission, qui permettra de faire mûrir la réflexion. Nous appelons à un travail de fond sur le malaise de la jeunesse dans son ensemble, afin d’essayer d’apporter à celle-ci ce qui lui manque peut-être le plus cruellement : de l’espoir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes toutes et tous particulièrement préoccupés par les débordements, les excès et les incidents graves qui ont parfois lieu à l’occasion des rentrées universitaires, dans le cadre de soirées étudiantes dites « d’intégration ».
La semaine dernière encore, un étudiant de l’université de Paris-Dauphine aurait été victime de violences au cours d’une de ces soirées : on lui aurait scarifié sur le dos les initiales d’une association d’étudiants, à l’aide de capsules de bouteille…
Nous condamnons avec force ces actes inadmissibles, comme nous dénonçons ceux qui contribuent à transformer des soirées qui devraient être fédératrices et rassembleuses en occasions de faire subir des pratiques barbares, dégradantes, humiliantes et parfois dangereuses à de nouveaux entrants.
Depuis plusieurs années, le bizutage est considéré comme un problème social majeur. Il fait l’objet de polémiques opposant ses défenseurs, qui affirment qu’il n’est au fond qu’un rite de passage relevant d’une tradition, et ses détracteurs, qui le considèrent comme un déchaînement de violence totalitaire.
Le bizutage est pratiqué majoritairement au sein de l’institution scolaire. Pour ses auteurs, il marque un moment important dans le déroulement d’une vie, l’entrée dans un groupe. Les pratiques de bizutage reposent sur un principe de soumission des « nouveaux » aux « anciens », au nom de traditions d’école.
Le sociologue René de Vos affirme avec raison que, « dans l’école de la République, le bizutage est la marque de l’échec d’un projet pédagogique qui ne parvient pas à démontrer que l’humanisme repose sur la conscience des personnes et [que] c’est là un point d’ancrage pour la pensée totalitaire ». Cela doit nous inciter à réfléchir particulièrement sur le rôle de l’école publique.
Heureusement, les violences physiques et les débordements sexuels perpétrés lors de bizutages sont tout de même plutôt rares. Cependant, ils existent et sont condamnables, comme le sont toutes autres formes de violences physiques et de débordements sexuels, où qu’elles s’exercent.
Au regard des responsabilités qui sont les nôtres, il nous revient non pas d’interdire, mais de formuler des propositions en matière d’accompagnement, d’encadrement et de prévention de ces soirées à risques, afin qu’elles ne deviennent pas des lieux de soumission absolue où se déchaînent des pratiques violentes et/ou humiliantes.
Dans cette perspective, on peut se demander quelle est l’utilité de la présente proposition de loi. En effet, les actes de violence et les agressions sexuelles sont déjà réprimés par la loi en tant que tels, y compris dans le cadre du bizutage. En outre, la loi a déjà prévu des dispositions relatives à la lutte contre le bizutage. Ainsi, la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs comporte un article spécifiquement consacré au bizutage. La pratique de ce dernier est désormais considérée comme un délit, passible de six mois de prison et d’une amende de 7 500 euros, ces deux sanctions étant doublées si la victime est mineure ou vulnérable. La loi dispose qu’il est interdit d’« amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations ou de réunions liées au milieu scolaire et éducatif ».
Le bizutage est donc déjà réprimé en tant que tel par la loi, outre la répression de tout acte de violence perpétré sur autrui. Par ailleurs, je me bornerai ici à évoquer les différents textes, notamment la loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, dite « loi Évin », ou la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, qui encadrent et réglementent la consommation d’alcool, que notre droit associe à juste titre au problème du bizutage.
Alors que le législateur a déjà œuvré en la matière, force est de constater, avec les auteurs de la proposition de loi, que des pratiques violentes subsistent dans les soirées étudiantes. Toutefois, croire que nous pourrions totalement les éradiquer en légiférant de nouveau, c’est au mieux pécher par excès de naïveté, au pire céder à une tentation liberticide.
Face à l’indignation légitime que soulèvent de telles pratiques, les auteurs de cette proposition de loi, loin de combler un vide juridique, s’apprêtent à franchir un second pas en encadrant le déroulement des soirées d’intégration, démarche qui trahit une tentation de les interdire totalement.
Pour notre part, nous pensons qu’un travail de sensibilisation doit être mené en amont. Pour autant, instaurer un régime de déclaration préalable des soirées donnant au préfet le pouvoir de les interdire ou d’ordonner la présence des forces de l’ordre ne serait, au final, qu’apporter une réponse répressive, alors que la plupart des soirées d’intégration sont, fort heureusement, inoffensives !
Face aux drames sur lesquels peuvent déboucher ces soirées, nous ne devons pas céder à la tentation liberticide d’instituer un régime de déclaration préalable dont la mise en œuvre aurait pour conséquences l’hyper-contrôle et l’interdiction des fêtes, et pourrait même s’étendre à des rassemblements d’une autre nature, y compris à des manifestations, voire décourager celles et ceux qui mènent, au sein d’associations ou d’établissements d’enseignement supérieur, des actions de prévention qui, dans la durée et avec des moyens suffisants, peuvent porter leurs fruits.
Nous sommes donc opposés à cette proposition de loi, inutile pour lutter contre les dérives du bizutage et dangereuse du point de vue des libertés individuelles. En conséquence, nous voterons la motion tendant au renvoi du texte à la commission que défendra tout à l’heure M. le rapporteur.
J’ajoute que nous approuvons l’idée de M. le président de la commission des lois de créer un groupe de travail commun avec la commission des affaires sociales. Cela permettra, nous l’espérons, de se pencher enfin sur les causes qui amènent des individus de plus en plus jeunes, le plus souvent sous l’emprise de l’alcool ou de substances illicites, à se comporter de manière inadmissible, voire dangereuse pour autrui ou pour eux-mêmes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à apporter une réponse à un problème bien réel : celui de l’usage de l’alcool comme une drogue par de jeunes adultes, voire de très jeunes adolescents.
À mon sens, le problème est peut-être plus important, quantitativement, que ce qui a été dit. Par exemple, dans ma commune de 2 500 habitants, nous rencontrons de manière récurrente des difficultés avec de petits groupes de jeunes adultes ou d’adolescents se réunissant pour « se défoncer ».
Dans cette perspective, l’ivresse n’est plus une conséquence, d’abord agréable, puis désagréable et, à terme, calamiteuse, de la consommation d’alcool ; elle est le but visé. D’ailleurs, plus que d’ivresse, il faudrait parler de coma éthylique, ce qui est encore autre chose.
Voilà une quarantaine d’années, pour distinguer l’usage solitaire de la drogue de l’usage festif de l’alcool, Claude Olievenstein, le créateur du centre Marmottan, spécialisé dans le traitement des addictions à la drogue, déclarait n’avoir jamais rencontré de drogué qui lève sa seringue à la santé de quelqu’un. (Sourires.) La situation a bien changé : l’objectif est désormais de « se défoncer » – c’est le mot – en un minimum de temps.
Le problème est donc bien réel, et tous les membres de la commission des lois ont reconnu que les auteurs de la proposition de loi avaient eu raison de l’aborder.
Cependant, la solution proposée, à savoir élaborer une loi, est-elle la bonne ? Probablement pas, d’autant que, comme l’ont d’ailleurs rappelé M. Vial et M. le rapporteur, l’arsenal législatif existant est largement suffisant.
En l’état, si les dispositions du texte pourraient constituer une réponse dans certains cas, leur portée resterait limitée. Pis, elles pourraient même se révéler contre-productives, en laissant croire, à tort, que le problème serait désormais réglé.
En effet, le texte vise seulement les rassemblements festifs d’étudiants ou de jeunes adultes en situation d’apprentissage, alors que le problème est beaucoup plus large, comme je l’ai indiqué.
En outre, les rassemblements ne sont pas seuls en cause : la consommation excessive d’alcool peut être le fait de petits groupes, voire d’individus isolés.
Enfin, les rassemblements ont de moins en moins souvent des organisateurs identifiés. Ceux que l’on pourra repérer par le biais des réseaux sociaux ne sont pas forcément les premiers responsables de la tenue du rassemblement.
Certes, le recours à la procédure déclaratoire a pu donner des résultats s’agissant d’énormes manifestations exigeant l’installation d’un matériel important : je pense aux rave parties ou aux rassemblements de musique techno, auxquels la plupart des maires ont été confrontés. Cependant, le binge drinking ne nécessite pas un tel déploiement logistique : il suffit de venir avec ses bouteilles !
Au demeurant, l’essentiel n’est pas là. Plus fondamentalement, la solution législative ici proposée en reste, me semble-t-il, à la surface des choses. Or le problème de société qui nous occupe est trop profond pour qu’une loi puisse le résoudre.
J’évoquais à l’instant la figure de Claude Olievenstein, pionnier en France de la prise en charge spécifique des addictions à la drogue. La célébration cette année du quarantième anniversaire du centre Marmottan a donné lieu à un certain nombre de colloques, dont j’ai retenu l’analyse suivante :
« Peut-être avons-nous un temps été trop “intoxiqués” par l’alcool, l’héroïne, la cocaïne, et avons-nous contribué à l’érection du “mythe de la drogue”. Bouc-émissaire, celle-ci a peut-être été l’arbre qui cachait la forêt des addictions…
« L’histoire montre certes que les addictions ne sont pas une simple “niche écologique” provisoire et amenée à disparaître rapidement. Mais la production des addictions peut aujourd’hui apparaître comme le résultat des logiques d’une société “d’hyperconsommation” dans laquelle tout tend à faire croire que le bonheur se résume à la possession d’objets de consommation. »
Tout est dit, mais rien n’est réglé. C’est pourquoi il me paraît sage de voter la motion tendant au renvoi de la proposition de loi à la commission, d’autant que, en l’occurrence, l’adoption de cette motion de procédure ne sera pas synonyme d’enterrement de première classe.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. Pierre-Yves Collombat. En effet, une volonté unanime de faire émerger l’esquisse d’une solution de fond s’est exprimée. J’espère que nous aurons les moyens de mener une réflexion approfondie en vue de formuler des propositions susceptibles d’aboutir à des résultats tangibles. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Claude Léonard.
M. Claude Léonard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord remercier M. Vial d’avoir pris l’initiative de déposer cette proposition de loi, qui s’attaque à un véritable problème, ce qui m’a conduit à la cosigner.
Les soirées étudiantes, qui sont souvent largement alcoolisées, posent de très grosses difficultés, en termes non seulement de sécurité publique, mais aussi de santé publique.
Du point de vue de la sécurité publique, lorsque de telles soirées se déroulent à l’extérieur des établissements d’enseignement supérieur, des débordements susceptibles de nuire à la tranquillité de nos concitoyens peuvent survenir.
Mais l’usage immodéré de l’alcool, voire de substances illicites, peut aussi être à l’origine de très graves accidents de la route, parfois mortels, par défaut de maîtrise du véhicule sur le trajet du retour vers le domicile, après la soirée.
Du point de vue de la santé publique, on constate une augmentation très inquiétante de la consommation d’alcool chez les jeunes étudiants. Cette dérive touche aussi bien les filles que les garçons.
Or, force est de le reconnaître, si les pouvoirs publics ont consacré au cours des précédentes décennies un effort tout particulier à la lutte contre le tabagisme, dont les résultats sont d’ailleurs très inégaux, le même volontarisme ne s’est pas manifesté en matière de lutte contre l’alcoolisation.
En tant que médecin généraliste installé à la campagne, je suis bien placé pour connaître les méfaits à long terme de la consommation excessive d’alcool pour la santé de nos concitoyens et, au-delà, le coût que celle-ci représente pour notre système de santé.
Il est donc grand temps d’encadrer plus efficacement la vente, la distribution et la consommation d’alcool au cours des soirées étudiantes, qu’elles se déroulent à l’extérieur ou à l’intérieur des établissements.
En effet, comme me l’ont signalé plusieurs présidents ou doyens d’université, ce problème se pose avec d’autant plus d’acuité lorsque les soirées étudiantes sont organisées au sein des locaux universitaires. La responsabilité des doyens et de leurs collaborateurs peut rapidement être mise en cause en cas d’accident. Il en va d’ailleurs de même en matière de sécurité et de tranquillité publiques : les chefs d’établissement sont souvent démunis pour lutter efficacement contre les débordements auxquels peuvent donner lieu les soirées étudiantes.
Il existe désormais, dans notre pays, un véritable « rite initiatique », se déroulant au cours des soirées en question. Les dispositions législatives de lutte contre le bizutage votées et mises en œuvre à la fin des années quatre-vingt-dix ne s’appliquent pas à cette dérive progressive.
Actuellement, il est très fréquent que des soirées dites « étudiantes » soient sponsorisées par les grandes marques et les réseaux de distribution d’alcool, comme elles l’étaient par les fabricants de cigarettes avant l’entrée en vigueur des lois relatives à l’interdiction de la consommation de tabac dans les lieux publics : les producteurs de cigarettes trouvaient dans ces manifestations le terreau idéal pour prospecter leurs futurs clients. Aujourd'hui, les alcooliers ont adopté la même démarche, à quelques nuances près, en direction des jeunes générations.
En revanche, d’un point de vue médical, la démonstration est apportée chaque jour qu’il est beaucoup plus facile de traiter une addiction au tabac qu’une addiction à l’alcool.
J’ose espérer que notre débat d’aujourd'hui, à défaut de déboucher immédiatement sur une nouvelle loi, permettra d’ouvrir une réflexion approfondie sur la meilleure manière de combattre et de prévenir ce véritable fléau que constitue la consommation d’alcool, notamment en milieu étudiant, en vue de définir et de mettre en place des solutions concrètes dans les meilleurs délais. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi du texte à la commission.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi par M. Reichardt, au nom de la commission, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, la proposition de loi relative à la prévention et l’accompagnement pour l’organisation des soirées en lien avec le déroulement des études (n° 421, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. le rapporteur.
M. André Reichardt, rapporteur. Le dépôt de cette motion, que je présente au nom de la commission des lois, me semble suffisamment motivé par le contenu de mon rapport et des interventions des orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je voudrais tout d’abord, au nom de la commission, remercier de son initiative notre collègue Jean-Pierre Vial, auteur de la proposition de loi. Tous les orateurs de la discussion générale, ainsi que M. le ministre, ont reconnu qu’elle soulevait un véritable problème.
Je salue également l’important travail accompli par M. Reichardt sur ce sujet difficile.
La commission des lois a décidé à l’unanimité – cela mérite d’être souligné – de proposer le renvoi du texte à la commission. Le dépôt d’une telle motion de procédure ne relève en aucun cas d’une tactique dilatoire : il ne s’agit nullement, dans notre esprit, d’éluder le grave problème que représente la multiplication de faits ayant des conséquences désastreuses, parfois dramatiques, en termes de santé publique.
Il convient d’examiner les causes de cette situation et d’envisager les remèdes qui peuvent y être apportés. À cet égard, je me permets de souligner que nous n’avancerons pas si nous ne prenons pas en compte la responsabilité de chacun des acteurs : organisateurs, chefs d’établissement dans la mesure où ils auront été prévenus de la tenue d’une manifestation dans l’enceinte de celui-ci…
Cette motion tendant au renvoi à la commission n’a donc pas pour objet de dessaisir le Sénat d’un sujet tout à fait important. En effet, si elle est adoptée, nous proposerons à nos collègues de la commission des affaires sociales de constituer un groupe de travail commun dont la tâche sera d’élaborer, dans les deux ou trois mois à venir, un certain nombre de propositions concrètes, qui ne seront pas forcément de nature législative. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, il serait précieux que ce travail puisse être mené en concertation avec le Gouvernement.
En résumé, nous ne vous proposons pas, mes chers collègues, de vous dessaisir : nous nous engageons au contraire à approfondir la réflexion, en vue d’aboutir à une panoplie de réponses concrètes à un problème complexe, grave et préoccupant.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Wauquiez, ministre. Ayant souvent eu l’occasion d’apprécier la qualité des débats au Sénat, je ne suis pas surpris de la haute tenue de celui qui nous réunit aujourd’hui : dans un esprit d’ouverture et de respect des opinions de chacun, il nous a permis de progresser notablement. Je voudrais à mon tour remercier M. Vial de son initiative, et saluer le travail de M. le rapporteur.
Je suis tout à fait déterminé à œuvrer sur ce sujet d’intérêt général. Nous ne devons pas nous relâcher, car toute baisse de vigilance entraîne une résurgence des dérives.
Par ailleurs, je suis bien entendu parfaitement disposé à mener une réflexion commune avec le groupe de travail sénatorial sur les pistes d’amélioration possibles. Le renvoi du présent texte à la commission ne doit surtout pas être synonyme d’enterrement du problème soulevé. Je le dis clairement : le Gouvernement a besoin que la représentation nationale se mobilise sur cette question.
Enfin, ne nous faisons pas d’illusions : pour des raisons juridiques que j’ai rappelées, le passage par la loi est nécessaire pour un certain nombre de mesures.
En tout état de cause, j’ai totalement confiance en la sagesse de la Haute Assemblée. Dans l’immédiat, je suis résolu à utiliser d’ores et déjà tous les outils réglementaires à ma disposition pour lutter contre les dérives que vous avez dénoncées. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.
(La motion est adoptée.)
M. le président. En conséquence, le renvoi à la commission est ordonné.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-sept heures, pour les questions cribles thématiques sur la désindustrialisation.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
M. le président. La séance est reprise.
6
Questions cribles thématiques
la désindustrialisation
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la désindustrialisation.
L’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
Je vous rappelle que ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé ce soir sur France 3, après l’émission Ce soir (ou jamais !) de Frédéric Taddeï.
Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été placés à la vue de tous.
La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’annonce de milliers de suppressions d’emplois chez PSA – 6 000 en Europe, dont plus de 4 000 sur le sol français ! – intervient dans un contexte déjà difficile. Vous le savez, 4 700 000 personnes sont déjà inscrites à Pôle emploi.
Des problèmes analogues se posent dans le raffinage, autour de l’étang de Berre, à Dunkerque, ainsi que dans de nombreuses PME et TPE. À l’évidence, notre pays est entré dans une nouvelle étape de la désindustrialisation.
En dépit d’une relance de la production manufacturière au premier trimestre de 2011, les chiffres sont en stagnation, voire en baisse en cette fin d’année.
M. Roland Courteau. C’est fâcheux !
M. Martial Bourquin. Monsieur le ministre, que faites-vous devant ces suppressions d’emplois ? Vous misez essentiellement sur de grands groupes multinationaux, oubliant des milliers de PME et de TPE. Inévitablement, notre pays connaît une baisse de son activité industrielle !
Or cette baisse de l’activité industrielle n’est pas une fatalité. Voyez l’Allemagne, qui affiche une santé insolente !
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Martial Bourquin. Notre pays n’a pas de politique industrielle. Certes, des déclarations sont faites, mais, à notre grand regret, aucun acte suffisamment fort ne vient soutenir notre industrie, nos industriels, nos salariés, qui ont besoin d’une politique industrielle et d’un Gouvernement qui s’investisse en ce sens.
Monsieur le ministre, quelles sont vos réponses ?
Dans le bassin d’emplois de Sochaux-Montbéliard, qui fait partie de ma circonscription, et où se trouve une usine Peugeot, l’annonce, il y a plusieurs semaines, de la suppression de milliers d’emplois chez ce constructeur automobile a créé un émoi considérable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. Monsieur le sénateur, vos questions mériteraient bien plus qu’une réponse de deux minutes. Je ne peux que me contenter de vous dire une nouvelle fois combien nous sommes attachés à mettre en œuvre les vingt-trois mesures annoncées lors des états généraux de l’industrie.
Ainsi, nous avons créé la conférence nationale de l’industrie, qui a permis d’associer pour la première fois l’ensemble des partenaires sociaux, des industriels à l’élaboration de la politique industrielle.
Nous avons également mis en place la première semaine de l’industrie afin d’associer les plus jeunes et de promouvoir le « fabriqué en France ».
Nous avons nommé un ambassadeur de l’industrie, Yvon Jacob, qui travaille notamment sur une question cruciale pour l’avenir de notre industrie : la réciprocité dans les échanges internationaux.
Nous nous efforçons, avec le ministre de l’économie, François Baroin, de revaloriser le rôle de l’État actionnaire. Nous avons d’ailleurs reçu les dirigeants des grandes entreprises publiques pour leur assigner un certain nombre d’objectifs.
Par ailleurs, nous développons l’emploi et les compétences dans les territoires.
Le dispositif de soutien à la réindustrialisation de 200 millions d'euros pour les ETI, les entreprises de taille intermédiaire, et les PME, dont vous avez fait état à l’instant dans vos préoccupations, est opérationnel depuis juillet 2010. Des investissements pour un montant de 350 millions d'euros ont été encouragés, et 1 500 emplois ont été créés.
Nous consolidons les filières industrielles françaises, notamment grâce au très important travail de médiation de la sous-traitance mené par Jean-Claude Volot.
Nous avons créé douze comités stratégiques de filières, qui travaillent bien.
Je pourrais vous citer aussi la façon dont nous dopons la compétitivité et l’innovation de nos entreprises avec France Brevets, avec la pérennisation du remboursement immédiat du crédit d’impôt recherche, avec la suppression de la taxe professionnelle, qui est très appréciée par nos industriels, vous le savez. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Il nous reste une étape importante à réaliser : mieux orienter l’épargne des Français vers l’industrie. Nous allons transformer le livret de développement durable en « livret de développement industriel durable ».
J’aurai sans doute l’occasion, au cours de cette séance, d’approfondir un certain nombre des thèmes que je viens de citer.
M. Pierre Martin. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour la réplique.
M. Martial Bourquin. Monsieur le ministre, tant la taxe professionnelle que l’impôt sur les sociétés diffèrent considérablement selon que l’on est un artisan, une PME ou une multinationale.
Les nombreux cadeaux fiscaux ont été accordés sans aucune contrepartie. Or notre pays a besoin d’un patriotisme industriel. Il n’en a pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Nous devons développer l’aide à l’industrie, mais, qu’il s’agisse du crédit d’impôt recherche, de l’impôt sur les sociétés, ce soutien doit favoriser les investissements sur le territoire national. Sans contreparties, les grands groupes prendront l’argent, iront sur les marchés émergents et oublieront le sol national. Réagissons : nous avons besoin d’une vraie politique industrielle ; nous n’en avons plus ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’industrie sidérurgique est en cours de démantèlement en France et dans le reste de l’Europe.
Le groupe ArcelorMittal accélère les délocalisations de production d’acier vers des pays où les réglementations environnementales et sociales lui permettent d’accroître encore ses bénéfices. Le résultat, ce sont neuf hauts fourneaux européens à l’arrêt en 2011, alors que le groupe a dégagé un profit net de 3,5 milliards d’euros durant les neuf premiers mois de l’année 2011 et qu’il a promis 1 milliard de plus en 2012 à ses actionnaires.
Après Gandrange et Liège, le groupe continue la casse de l’outil industriel ici, abandonnant des parts de marché, qu’il récupère en Inde ou ailleurs, et laissant ainsi des milliers de salariés sans emploi.
À l’annonce de l’arrêt du haut fourneau de Florange, des centaines de travailleurs ont été plongés dans l’angoisse : 405 intérimaires et 350 cotraitants remerciés, 600 salariés au chômage technique, 160 fournisseurs et sous-traitants menacés.
La direction d’ArcelorMittal a annoncé la prolongation jusqu’au premier trimestre de 2012 de la fermeture des hauts fourneaux P3 et P6 de Florange et l’arrêt temporaire sur les laminoirs à froid de la ligne d’étamage 2 de la filière packaging sur les aciers d’emballages. Aucune visibilité ! Aucune date de reprise ! Ce sont 45 salariés de plus mis au chômage partiel.
La filière liquide et le packaging sur les aciers d’emballages en Lorraine sont plus que compromis.
Il y a urgence à mettre en œuvre une vraie politique industrielle. Les délocalisations dans la sidérurgie accéléreront les délocalisations dans la métallurgie et dans d’autres secteurs d’activité.
Aujourd’hui, certains se raccrochent au projet ULCOS de captage et de stockage du CO2. N’est-ce pas d’abord un projet destiné à augmenter la productivité – on parle de 30 % – de la filière acier au bénéfice d’ArcelorMittal avec l’argent public ? À quel prix ? Et pensez-vous que l’Europe est prête à investir dans un outil qui fonctionnerait six mois dans l’année ?
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous garantir la remise en marche et la modernisation des hauts fourneaux P3 et P6 ainsi que le maintien de l’activité sidérurgique en Lorraine ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre. Madame la sénatrice, la sidérurgie reste un secteur important en France puisqu’elle emploie actuellement 50 000 personnes environ. Nous nous battons pour qu’elle conserve ses positions.
Concernant le site de Florange, ArcelorMittal a annoncé un arrêt temporaire de son haut fourneau ; je ne peux que vous dire ce qu’est l’engagement d’ArcelorMittal, à savoir qu’il n’y aurait pas de fermeture à terme de ce haut fourneau. C’est d’ailleurs dans ce cadre que le groupe s’est engagé à investir plus de 50 millions d'euros en maintenance. On ne maintient pas un site qu’on a l’intention de fermer.
Nous nous battons aussi pour que le projet ULCOS de captage et de stockage du CO2, qui ferait du site de Florange l’un des plus compétitifs en Europe, se réalise.
Vous avez évoqué un certain nombre de pistes. Nous avons réservé une enveloppe de 150 millions d'euros aux investissements d’avenir. J’ai signé, il y a une quinzaine de jours, le permis exclusif de recherches nécessaire pour ce projet. Je suis allé à Bruxelles, le 8 novembre dernier, plaider ce projet auprès des trois commissaires européens concernés, afin que les financements européens – 250 millions d'euros – puissent être accordés.
S’agissant de Gandrange, je vous ai trouvée un peu injuste. Sachez que, sur les 571 suppressions de postes qui ont eu lieu, 99 % des salariés ont été reclassés et ont retrouvé un emploi. La promesse du Président de la République a donc été respectée.
M. Roland Courteau. À vérifier !
M. Éric Besson, ministre. ArcelorMittal a par ailleurs signé avec l’État une convention d’ancrage territorial très exigeante, qui a conduit à la réalisation de 30 millions d'euros d’investissements additionnels : laminoirs et ateliers de coupe, centre technique de formation des apprentis, fonds lorrain des matériaux. En outre, ArcelorMittal finance une convention classique de revitalisation à hauteur de 3 millions d'euros afin d’aider à la création de projets locaux.
Je le répète, les engagements demandés par le Président de la République ont été tenus : tous les salariés ont été reclassés et ArcelorMittal consacre des moyens importants à la revitalisation du site.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour la réplique.
M. Éric Bocquet. Monsieur le ministre, je doute que cette réponse soit à la hauteur des enjeux.
Le déclin de l’industrie française est fort et marqué : 600 000 emplois ont disparu dans le secteur ces dix dernières années, fruits amers des gains de productivité arrachés au travail et au développement du « précariat », notamment sous la forme du travail intérimaire.
La recherche de la rentabilité financière de court terme trouve toute application : ici, délocalisation – ma collègue Évelyne Didier l’a rappelé et je le constate sur le site Sevelnord, dans mon département du Nord – ; là, liquidation de la recherche-développement ; ailleurs, absence d’investissements productifs ; partout, réduction progressive de l’emploi comme des capacités de production.
Cette course au profit met en cause l’industrie comme élément durable et fondateur de notre économie.
Aujourd’hui, 16 % du PIB français dépendent de l’industrie, contre 30 % en Allemagne. Il est temps d’arrêter ce déclin, en s’appuyant non pas sur le Fonds stratégique d’investissement, qui n’a rien réglé, mais sur nos atouts, nos plus grandes entreprises, les compétences et qualités de leurs salariés – techniciens, cadres comme ouvriers. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ceux qui, comme moi, parcourent la France depuis quarante ans sont en mesure d’apprécier le véritable saccage de son industrie.
Dans des régions comme la Picardie, où autrefois les usines fumaient, il n’y a plus que des friches industrielles.
La Lorraine comptait 80 000 employés dans la sidérurgie, contre 4 000 aujourd'hui. Désormais, 90 000 Lorrains travaillent à l’étranger, notamment dans les banques luxembourgeoises.
M. Bourquin vient d’évoquer les 4 000 emplois, en particulier dans le secteur de la recherche-développement, qui vont être supprimés chez Peugeot, notamment sur le site de Sochaux-Belchamp.
Monsieur le ministre, la surévaluation de l’euro, que le rapport sur la réindustrialisation de nos territoires n’aborde qu’en page 182, joue selon moi un rôle tout à fait essentiel dans la désindustrialisation de la France. Or le rôle du change dans le commerce international a toujours été caché par les tenants de la monnaie forte.
L’euro, dont le cours de lancement était à 1,16 dollar au 1er janvier 1999, cours qu’il a retrouvé en 2003, n’a cessé d’être surévalué, dans une proportion de 20 % à 50 %. Ainsi, il s’échangeait contre 1,40 dollar en 2004, 1,60 dollar en 2008 et 1,50 en 2009. Malgré la crise qui le frappe depuis 2010, son cours reste aujourd’hui à 1,37 dollar, c’est-à-dire à plus de 20 % au-dessus de son cours de lancement.
La part de l’industrie française dans la valeur ajoutée, tombée à près de 30 % au début des années quatre-vingt, s’établit aujourd'hui à 16 %, contre 22 % il y a six ans.
Selon les statistiques fournies par M. Estrosi, l’industrie ne représente plus que 13 % de l’emploi total, soit 3,3 millions de personnes, contre 5,5 millions au début des années quatre-vingt.
Nos parts de marché à l’exportation ont régressé. Elles représentaient 8 % au début des années quatre-vingt, contre 3,8 % aujourd'hui.
Au début de son mandat, le Président Sarkozy évoquait en termes forts le handicap que constituait pour l’industrie française un euro trop cher. Ce thème a toutefois disparu de son discours. L’alignement sur l’Allemagne est devenu le leitmotiv de ses interventions.
Une monnaie est faite pour un pays ! Vouloir étendre un « mark bis » – l’euro – au reste de l’Europe était une erreur.
M. Roland Courteau. Le temps de parole est dépassé !
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, comment expliquez-vous que la monnaie branlante qu’est l’euro reste surévaluée ?
En tant que ministre de l’industrie, quelles initiatives avez-vous prises pour rendre notre monnaie moins chère ? (Marques d’impatience sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Didier Guillaume. Deux minutes !
M. Jean-Pierre Chevènement. M. Trichet s’est toujours retranché derrière les missions données à la Banque centrale européenne pour ne rien faire.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Chevènement. Quelle démarche le Gouvernement français a-t-il effectuée pour obtenir que la révision du traité de Lisbonne porte aussi sur le rôle de la BCE, afin de rendre le change plus compétitif ? Êtes-vous conscient de la nécessité d’une monnaie moins chère pour réindustrialiser la France ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre. Monsieur le sénateur, c’est vrai, l’industrie française a vu depuis trente ans son poids reculer, dans l’emploi comme dans la valeur ajoutée. Pour autant, ne cédons pas au « déclinisme » ambiant. Cela vaut en particulier pour vous au regard de votre parcours.
Notre industrie représente encore 3 700 000 emplois directs et indirects. En termes d’exportations, elle occupe toujours le deuxième rang en Europe et le cinquième rang dans le monde.
En vingt-cinq ans, notre industrie a multiplié par trois sa production et par 4,5 ses exportations.
Pour la première fois depuis un quart de siècle, même si les chiffres ne sont pas grandioses, l’emploi industriel s’est stabilisé en France. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) En outre, selon l’INSEE, notre industrie a déjà retrouvé plus des deux tiers de son niveau d’avant la crise de 2008.
Autre point, que l’on évoque rarement : cette année, nous avons dénombré plus de 360 créations ou extensions d’usines sur nos territoires, soit une par jour.
Par ailleurs, vous avez raison, la France connaît des problèmes de compétitivité. On pourrait débattre de la part relative des différents facteurs ; il y a eu de nombreux rapports sur le sujet. Je ne suis pas sûr toutefois que l’on puisse tout imputer à l’euro, en affirmant que l’euro est surévalué ou que d’autres monnaies sont sous-évaluées.
Tout d’abord, depuis 2008, l’euro s’est déprécié de 18 % par rapport au dollar.
Ensuite, vous le constatez comme moi, le cours de l’euro n’empêche pas certains de nos industriels de battre des records commerciaux : par exemple, Airbus n’a jamais autant vendu qu’en 2011 et aura plus de 4 000 avions à livrer dans les prochaines années.
Pour autant, le niveau de l’euro reste une préoccupation du Gouvernement et, au premier chef, du Président de la République. En témoigne l’action du Président, dans le cadre du G20, pour résorber les déséquilibres monétaires mondiaux. Malheureusement, je n’ai pas le temps de vous décrire les initiatives qui ont été prises en ce sens.
Monsieur Chevènement, vous avez raison, il faut protéger notre industrie de toute guerre des changes. C’est ce que nous faisons, mais nous devons mener dans le même temps une politique industrielle ambitieuse dont je n’ai eu le temps précédemment que de décrire les têtes de chapitre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour la réplique.
Je rappelle que vous disposez d’une minute, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, ne vous leurrez pas ! Le déclin est malheureusement une réalité. Mais vous ne faites rien pour lutter contre ce déclin !
M. Joël Guerriau. À qui la faute ?
M. Jean-Pierre Chevènement. Je vous l’accorde, le choix d’une monnaie forte est ancien, mais les choses s’accélèrent !
La France compterait encore 3 700 000 emplois industriels, directs et indirects. Il faut toutefois mettre les choses en perspective : au début des années quatre-vingt, le nombre de ces emplois était de l’ordre de 8 à 9 millions !
M. Patrick Artus vient de cosigner un livre intitulé La France sans ses usines. Une « entreprise sans usine », c’est justement ce que souhaitait faire d’Alcatel son patron, M. Tchuruk. Nous y sommes désormais ! Mais la France sans usine, c’est la fin de la France.
Monsieur le ministre, je souhaite que vous soyez conscients, vous, M. Sarkozy et d’autres encore, que, dans la période troublée qui s’annonce avec la crise de la monnaie unique, la recherche d’une monnaie moins chère doit demeurer notre cap. Sinon, c’en sera fini de la France !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le ministre, en un peu plus de vingt ans, la part industrielle française dans le PIB national est passée de plus de 30 % à un peu moins de 15 %. II y a d’autant moins de fatalité à cette régression que notre pays dispose de grands groupes industriels, leaders mondiaux dans leur domaine, et d’un tissu de PMI-PME dont les savoir-faire ne demandent qu’à être mobilisés, à travers des filières à forte composante technologique.
Permettez-moi d’évoquer le domaine des énergies renouvelables, en particulier de l’énergie solaire, dont la région Rhône-Alpes, que vous connaissez bien, constitue un territoire d’excellence.
Si Photowatt vient de franchir une nouvelle étape difficile dans un contexte international perturbé, la filière démontre sa capacité à être un acteur de niveau mondial ; je pense à Soitec dans le solaire par concentration, à la vente récente d’une première usine clés en main par un consortium français au détriment de ses compétiteurs allemand et japonais ou encore au succès international de la société Fonroche à Agen.
Les partenariats conduits par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives et l’Institut national de l’énergie solaire avec plus de deux cents industriels, dont plus de cent PMI-PME, démontrent cette capacité de la filière française.
Lors de son déplacement en Savoie sur le thème du développement des énergies renouvelables, le 9 juin 2009, le Président de la République rappelait l’importance de l’énergie, son soutien à l’objectif de 23 % d’énergies renouvelables et son engagement en vertu duquel, lorsque l’on dépensera « un euro pour le nucléaire, on dépensera un euro pour les énergies propres ».
Or, dans son dernier rapport, auquel a contribué le laboratoire américain de référence NREL, le réseau REN21 a rappelé que les cinq premiers investisseurs dans le domaine des énergies renouvelables étaient la Chine, l’Allemagne, les États-Unis, l’Italie et le Brésil, loin devant la France.
Monsieur le ministre, j’ai deux questions à vous poser.
La première concerne le marché national, qui, bien que limité dans son volume à la suite du moratoire, mérite de pouvoir bénéficier aux produits et équipements les plus respectueux de l’environnement en matière d’émissions de gaz à effets de serre, ce qui est le cas des produits fabriqués en France.
Ne peut-on instaurer une norme environnementale qui permettrait de procéder à une sélection objective en fonction de la qualité et des garanties des matériels et équipements vendus ?
La seconde question concerne le soutien à la filière industrielle française, qu’il s’agisse du solaire thermique, du solaire photovoltaïque ou du solaire par concentration.
Quels sont les moyens prévus dans le cadre du plan de relance du grand emprunt que le Gouvernement entend mobiliser au profit de cette filière, dans le prolongement des engagements du Président de la République ?
M. le président. La parole est à M. le ministre
M. Éric Besson, ministre. Monsieur le sénateur, nous avons souhaité rénover le dispositif de soutien au solaire photovoltaïque afin de le rendre économiquement soutenable et de permettre l’émergence d’une véritable industrie nationale du solaire.
Vous proposez d’allier critères de performance et sélection de nos industriels. C’est ce que nous faisons, en respectant bien évidemment les règles européennes et internationales.
Ainsi, dans l’appel d’offres en cours concernant des installations de production d’électricité à partir de l’énergie solaire de puissance supérieure à 250 kilowatts, le critère « impacts environnementaux et évaluation des risques industriels » représente, en fonction du lot considéré, de 13 % à 20 % de la notation des projets.
Vous le savez, nous avons également soutenu et mis en place en juillet dernier un label dit « alliance qualité photovoltaïque », dont l’objectif est précisément de promouvoir et de faire reconnaître les solutions technologiques françaises.
Quant aux filières d’avenir du photovoltaïque, elles constituent effectivement le segment où peuvent émerger les industriels français performants. Nous soutenons d’ores et déjà ces filières d’avenir en leur offrant la possibilité de développer industriellement des projets concrets.
L’appel d’offres pour les installations de plus de 250 kilowatts comprend d’ores et déjà quatre lots dédiés à des technologies innovantes, pour un total de 237,5 mégawatts.
Nous développons la recherche sur ces technologies grâce au grand emprunt. Vous savez que deux appels à manifestations d’intérêt ont été lancés ; nous en annoncerons les résultats dans les semaines à venir. Le premier appel à projets de création des instituts d’excellence en matière d’énergies décarbonées est en phase finale d’instruction, mais d’autres candidats sont pressentis pour répondre au second appel d’offres ouvert en ce moment.
Enfin, vous le savez, nous accompagnons nos entreprises à l’export. Ainsi, un appel à projets pour soutenir le développement à l'export des entreprises françaises de la filière solaire vient d’être lancé, portant sur l’attribution d’une enveloppe de 100 millions d’euros, et j’ai personnellement conduit à l’étranger des délégations de chefs d’entreprise du photovoltaïque pour faciliter leurs démarches.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le ministre, je connais votre engagement. Je me permets malgré tout de souligner la nécessité que le Gouvernement fasse tout pour que la qualité environnementale des produits soit vraiment considérée comme une exigence. Il s’agit non pas de créer un privilège pour les entreprises françaises, mais d’apporter le soutien qu’elles méritent à celles ayant un avantage compétitif.
La France a sa place à l’international, notamment dans le plan solaire méditerranéen. À cet égard, sachez que je vous remercie de votre accompagnement.
M. le président. La parole est à M. Christian Namy.
M. Christian Namy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’industrie française a perdu 2 millions d’emplois depuis trente ans ; son poids dans le PIB est, sur la même période, passé de 25 % à un 15 %.
Le déclin de l’emploi industriel, dû en grande partie aux gains de productivité et à la concurrence internationale, n’est d’ailleurs pas propre à la France ; il touche la plupart des économies occidentales.
Malgré les mutations industrielles en direction des industries de hautes technologies, la France a encore du mal à implanter ou à réimplanter des industries nouvelles dans des territoires aujourd’hui dévitalisés.
Aux côtés de la hausse du chômage, nos friches industrielles constituent ainsi les stigmates de la désindustrialisation en France.
Aussi, ces milliers de friches commencent enfin à être valorisées, sous forme de logements ou d’établissements publics ou encore via la réimplantation d’activités industrielles – trop rares, hélas !
Je n’insisterai pas sur les questions d’urbanisme et de dépollution des sols, qui, bien que cruciales dans l’implantation d’activités et la reprise de sites désaffectés, n’intéressent pas directement votre ministère.
La rénovation des friches constitue un enjeu essentiel pour réimplanter des activités et les ancrer sur nos territoires, à condition que l’État soutienne ces initiatives.
Monsieur le ministre, votre ministère a, dans cette optique, déployé un plan de 200 millions d’euros, sur la période 2010-2013, pour accompagner des projets de réindustrialisation concourant à structurer l’environnement économique local.
Les délais de mise en place ont été longs, et les premiers résultats partiels me permettent de penser que ce plan ne répond pas de manière satisfaisante aux espérances des collectivités. Il me semble donc utile que vous nous présentiez le bilan à mi-parcours de ce dispositif, en termes d’emplois et d’investissements ainsi que les correctifs que vous comptez le cas échéant lui apporter.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre. Monsieur le sénateur, l’aide à la réindustrialisation, l’ARI, est l’une des mesures phares des états généraux de l’industrie. Dotée de 200 millions d’euros sur trois ans, cette aide s’adresse en priorité aux petites et moyennes entreprises ainsi qu’aux entreprises de taille intermédiaire, puisque seules sont éligibles les entreprises du secteur industriel de moins de 5 000 salariés.
L’ARI vise à favoriser leurs investissements productifs en France, puisqu’il faut réaliser au minimum 5 millions d’euros d’investissements et créer au moins 25 emplois en trois ans.
Ce dispositif est effectif depuis juillet 2010 et il connaît depuis une montée en puissance progressive : à ce stade, douze aides ont été attribuées, pour un total de 54 millions d’euros générant 235 millions d’euros d’investissement et plus de 1 000 emplois créés sur le territoire.
Sur la liste dont je dispose, et que je me propose de vous faire parvenir, figurent ainsi des activités très diverses : fonderies à Dreux, sous-traitance automobile en Haute-Savoie, industrie du papier en Ardèche, groupes agroalimentaires à Roanne, maroquinerie de luxe dans le Doubs, connectique pour les secteurs spatial et médical dans la Marne, produits photovoltaïques, éco-matériaux, et j’en passe.
Seront bientôt finalisés huit autres dossiers, à hauteur de 24 millions d’euros d’aide, ce qui permettra de dégager 120 millions d’euros d’investissement supplémentaire et de créer plus de 500 emplois.
L’objectif initial était d’accompagner une quarantaine de projets, en vue de permettre 400 millions d’euros d’investissement et de créer 2 000 emplois sur trois ans.
Vous m’avez demandé, monsieur le sénateur, de faire en quelque sorte un « arrêt sur image ». Je suis en mesure de vous dire que, à mi-parcours, nous avons déjà soutenu 20 projets, favorisé plus de 350 millions d’euros d’investissement et créé 1 500 emplois dans des bassins industriels qui en avaient grand besoin. Comme vous l’avez suggéré, on peut toujours améliorer le dispositif, mais nous pouvons d’ores et déjà nous réjouir des résultats obtenus lors de cette première étape.
Nos objectifs seront probablement tous dépassés, ce qui témoigne du succès de ce dispositif.
Un sénateur du groupe socialiste-EELV. Tout va bien !
M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Je tiens avant tout à exprimer notre solidarité avec les salariés de Peugeot SA. Je le fais d’autant plus volontiers que je suis l’élue d’un département, les Hautes-Pyrénées, qui a perdu 10 000 emplois en moins de dix ans. Je m’inspirerai d’ailleurs, pour illustrer mon propos, d’exemples concrets que je connais bien.
Après la fermeture d’un site tel que celui de GIAT, à Tarbes, qui comptait plus de 3 200 salariés, il ne reste qu’un seul défi à relever : la réindustrialisation du département. Pour gagner ce pari, nous avons choisi, d’une part, d’encourager la recherche et, d’autre part – c’est au ministre chargé de l’économie numérique que je m’adresse ! –, d’équiper ce territoire d’un réseau haut et très haut débit.
Pour encourager la recherche, les collectivités locales, en l’occurrence les départements et les régions, financent, par l’intermédiaire de fonds spéciaux, les travaux et thèses scientifiques, les laboratoires, et même les projets d’investissements. Dans les Hautes-Pyrénées, nous menons également cette démarche dans le cadre des pôles de compétitivité, qui constituent, selon nous, des espaces privilégiés.
Au demeurant, nous rencontrons des problèmes, dans la mesure où les sociétés gestionnaires, qui sont des entreprises de rentes – j’y insiste, même si c’est un lieu commun ! –, font des bénéfices, mais n’investissent pas. Les menaces d’OPA sont réelles. L’entreprise ESK, installée dans les Hautes-Pyrénées, a ainsi perdu l’an dernier 97 emplois, qui sont partis en Allemagne, en même temps que les brevets et le savoir-faire.
Monsieur le ministre, que faites-vous pour protéger ces entreprises ?
Par ailleurs, en l’absence d’équipement en haut et très haut débit, l’industrie n’a aucun avenir. Le conseil général achève donc le déploiement intégral de ce réseau sur le territoire. C’est également le cas dans d’autres départements, mais ils sont peu nombreux. Le coût de cet équipement, 29 millions d’euros, est lourd pour cette collectivité. Or celle-ci n’a pas reçu un seul euro de l’État pour la réalisation de ce projet ; c’est invraisemblable !
M. Roland Courteau. Surprenant !
Mme Josette Durrieu. Ce projet, qui a obtenu le prix de l’aménagement du territoire, n’a bénéficié d’aucun crédit au titre du grand emprunt, du Fonds national d’aménagement et de développement du territoire, du Fonds européen agricole pour le développement rural ou encore, tout au moins pour le moment, du Fonds européen de développement régional !
Où sont passés, monsieur le ministre, les quelque 750 millions d’euros destinés à l’équipement des zones peu denses ? Des territoires seraient-ils abandonnés ? Je rappelle que 40 % à 60 % des industries de ce pays sont localisées en secteur rural ! Tous les efforts des collectivités seraient-ils vains ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre. Je ne pourrai vous répondre sur tous les sujets que vous avez évoqués, madame la sénatrice. Permettez-moi de citer un seul chiffre : plus de 6 milliards d’euros de financement public et privé ont été mobilisés depuis 2005 en faveur des pôles de compétitivité. C’est considérable !
L’équipement en haut et très haut débit, auquel vous avez consacré l’essentiel de votre propos, est effectivement un objectif majeur. Notre pays est dans le peloton de tête pour le très haut débit en Europe. Sachez d’ailleurs que deux de nos opérateurs majeurs, France Télécom-Orange et SFR, viennent de signer un accord très important, dont nous nous félicitons, par lequel ils s’engagent à couvrir 60 % de la population dans les dix ans.
Par ailleurs, dans les zones de carence de l’initiative privée, les collectivités locales contribuent au déploiement de ce réseau, et le Gouvernement a ouvert en juillet 2011 un premier guichet de 900 millions d’euros.
J’espère, madame la sénatrice, que trois projets interdépartementaux ou régionaux d’importance seront récompensés d’ici à la fin de l’année ; ils devraient être suivis d’une douzaine d’autres en 2012.
Il est vrai qu’il nous a fallu du temps pour mettre en œuvre ce dispositif, car nous étions contraints de respecter scrupuleusement la réglementation européenne.
Pour les zones très rurales ou très reculées, la solution ne passe par la fibre optique, mais par le satellite. Nous consacrons 40 millions d’euros à la recherche et développement, au titre des investissements d’avenir, afin d’améliorer cette offre satellitaire.
Enfin, la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique prévoit que les collectivités locales peuvent demander aux opérateurs des informations sur les réseaux déployés. Le décret d’application a été adopté une première fois par le Gouvernement en janvier 2009, mais cette version, qui convenait aux collectivités locales, a été annulée par le Conseil d’État.
Nous avons, depuis lors, modifié la base juridique par la loi du 22 mars 2011, qui a habilité le Gouvernement à transposer le « paquet télécom ». La nouvelle version du décret, plus solide sur un plan juridique, devrait désormais être rapidement publiée. Je vais donc saisir cette semaine l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et la commission consultative des communications électroniques.
Comme vous le voyez, nous avons la volonté de doter les collectivités territoriales des zones rurales de tous les outils nécessaires au déploiement de leur réseau. C’est d’ailleurs leur souhait, comme en témoigne votre intervention.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour la réplique.
M. Jean-Jacques Mirassou. Votre réponse ne nous satisfait pas, monsieur le ministre, même si nous savons que le temps vous est compté. L’exercice auquel nous nous livrons trouve d’ailleurs là ses limites.
Nous venons d’évoquer la situation des collectivités locales, qui, souvent hors compétence, investissent financièrement dans le tissu industriel de leur territoire.
Comment se fait-il donc, alors même que vous évoquez sans cesse les comités stratégiques de filières et les états généraux de l’industrie, que ces collectivités ne soient jamais informées de la situation de l’industrie dans leurs territoires, et plus largement dans notre pays, autrement que par les réponses aux questions lapidaires que nous avons le droit de poser dans cet hémicycle tous les trois mois ? Pourquoi les élus de Haute-Garonne et de la région Midi-Pyrénées, par exemple, ne sont-ils pas informés de la situation de l’aéronautique ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Un sénateur du groupe socialiste-EELV. Bien envoyé !
M. le président. La parole est à M. Alain Chatillon.
M. Alain Chatillon. Le 26 avril dernier, dans cet hémicycle, la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires, dont j’étais le rapporteur, formulait dix-sept propositions destinées à redynamiser le tissu industriel et à accompagner les PME et les ETI de notre pays.
Monsieur le ministre, six mois après ce débat, combien de ces propositions vos services ont-ils examinées, et combien ont-elles été appliquées ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre. Avant de répondre à M. Chatillon, je souhaite faire une remarque sur le déroulement de cette séance de questions cribles thématiques. Je respecte tout à fait le rôle du Parlement et les règles qui régissent les travaux du Sénat ; mais répondre en deux minutes à une question extrêmement large, et entendre ensuite une réplique portant sur trois autres sujets, sans que je puisse y répondre, c’est tout de même, vous en conviendrez, un exercice compliqué.
Monsieur Chatillon, j’avais souligné la cohérence de vos dix-sept propositions avec les actions d’ores et déjà menées par le Gouvernement depuis 2007 ; je pense à la politique conduite en matière d’innovation, de recherche et développement, au triplement du crédit d’impôt recherche depuis 2008 et à la mise en place des pôles de compétitivité. Par ailleurs, sur 35 milliards d’euros d’investissements d’avenir, près de 17 millions d’euros sont consacrés à l’innovation et à la recherche, notamment en matière industrielle.
Certaines de vos propositions ont été mises en œuvre depuis la publication de votre rapport. C’est le cas de celle relative à la sécurité et à la confidentialité des données stratégiques. Comme vous le savez, un texte législatif portant sur le « confidentiel entreprise » est actuellement en cours d’élaboration. C’est aussi le cas de la mesure portant création d’indications géographiques protégées, qui vise à mieux protéger nos savoir-faire locaux, par exemple, les couteaux de Laguiole ou la dentelle de Calais.
Nombre de vos propositions sont donc actuellement en cours d’application. Pour que toutes soient mises en œuvre, je vous invite officiellement, monsieur le sénateur, à venir les présenter lors d’une des prochaines séances plénières de la conférence nationale de l’industrie, qui regroupe tous les acteurs du monde de l’industrie, y compris les syndicalistes. Une telle rencontre permettra d’achever la concrétisation des préconisations contenues dans ce rapport de grande qualité.
M. le président. La parole est à M. Alain Chatillon, pour la réplique.
M. Alain Chatillon. Monsieur le ministre, permettez à l’industriel que je suis depuis trente-huit ans de vous faire deux suggestions concrètes.
La première concerne la capacité d’exportation de nos entreprises. L’an dernier, notre balance commerciale était déficitaire de 50 milliards d’euros, tandis que celle de l’Allemagne était excédentaire de plus 200 milliards d’euros.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Alain Chatillon. Nos entreprises ont donc véritablement besoin d’un accompagnement.
Il est en outre nécessaire, et ce sera ma seconde suggestion, d’organiser un Grenelle des banques, afin d’inciter celles-ci à se rapprocher des entreprises, en particulier des PME.
Supprimer les numéros de téléphone des banques qui commencent « 800 », ce serait déjà une performance. En zone rurale, on ne trouve plus de banquiers !
M. Jean-Claude Carle. Eh oui !
M. Alain Chatillon. En tant que maire et président d’un pôle de compétitivité, je suis dans l’incapacité d’accompagner les entreprises de mon territoire, car il faut de trois à six mois pour qu’un banquier daigne répondre à une demande de crédit de trésorerie.
M. Roland Courteau. Hélas !
M. Alain Chatillon. Autant dire que lorsque l’industriel obtient la réponse, le problème est réglé : le marché est déjà passé...
Je vous demande donc, monsieur le ministre, de faire un geste fort et crédible en direction des banques et en faveur de l’aide à l’exportation. (Applaudissement sur de nombreuses travées.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy.
M. Philippe Leroy. Je tiens à dire, en préambule, que la question de Jean-Pierre Chevènement ne doit pas être jetée aux oubliettes. Comme je l’avais indiqué lors du débat sur la réindustrialisation, l’euro fort représente une réelle difficulté pour les entreprises européennes, et nous devons y prêter attention.
S’agissant de la Lorraine, région fortement touchée par les restructurations, je ne partage pas l’avis de notre camarade Évelyne Didier sur l’action menée par le Gouvernement au cours des dernières années.
Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre engagement profond en faveur de la sidérurgie en Lorraine, qui s’est traduit par les mesures que vous avez énumérées précédemment. Je tiens à témoigner de l’efficacité de l’action gouvernementale, engagée lors des trois ou quatre dernières années afin de protéger l’industrie lorraine, et j’en parle en connaissance de cause !
Nous sommes encore vivants, notamment en Moselle, grâce à l’action forte du Gouvernement. Le matraquage systématique n’est pas une bonne politique !
Monsieur le ministre, je vous demande de vous engager auprès du groupe Total aussi fortement que vous l’avez fait auprès d’ArcelorMittal.
Nous devons trouver, avec les grands groupes chimiques européens, une solution aux problèmes des industries chimiques continentales, qui fabriquent nombre de produits nouveaux à partir de dérivés du pétrole.
On peut en effet craindre, à terme, une délocalisation massive de la chimie européenne si son approvisionnement, notamment en éthylène, n’est pas assuré. Ce problème se pose en Moselle, à l’usine Total de Carling. Si cette entreprise devait fermer, tout un pan de l’industrie lourde mosellane disparaîtrait.
Qu’en est-il, monsieur le ministre, des projets d’alimentation par gazoducs des entreprises chimiques continentales éloignées des côtes ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre. Monsieur le sénateur, vous confirmez que je n’ai pas cherché à écarter d’un revers de main les questions de fond posées par Jean-Pierre Chevènement. J’ai précisé que tous nos problèmes de compétitivité ne pouvaient être attribués à l’euro. Par ailleurs, j’ai rappelé que, dans un certain nombre de secteurs et dans certaines circonstances, l’euro nous avait protégés : n’oublions pas les attaques contre le franc et les dévaluations successives qu’il nous a fallu opérer par le passé !
Je ne conteste pas qu’il faille procéder à un certain nombre d’ajustements. J’ai simplement souligné que le Président de la République s’y attelait en essayant de modifier les règles du jeu du système monétaire international.
Je vous remercie, monsieur le sénateur, de vos propos concernant la politique industrielle du Gouvernement. Je ne reviendrai pas sur les précisions que j’ai apportées à votre collègue et que vous avez bien voulu rappeler, au sujet de l’action que nous essayons de mener sur le site de Florange : nous nous mobilisons.
Vous me posez une question précise sur le projet de pipeline chimique entre la France et l’Allemagne. Vous savez mieux que quiconque qu’il vise à relier les réseaux français et allemands d’oléfine, afin de sécuriser l’approvisionnement de plusieurs sites chimiques en Lorraine et dans le Jura.
En juillet 2008, le Premier ministre a confié à François Loos, député du Bas-Rhin, la mission d’examiner les conditions d’un raccordement. Son rapport, remis le 10 décembre 2008, a conclu à l’intérêt d’une telle infrastructure. Une étude de faisabilité a ensuite été financée par les industriels. Elle a confirmé que le projet était réalisable, le coût d’investissement des deux canalisations d’éthylène et de propylène étant estimé à 156 millions d’euros.
Préalablement à la recherche d’un financement public, j’ai récemment écrit aux principaux chimistes concernés, afin qu’ils puissent me confirmer leur souhait de prendre part au projet. En effet, il est essentiel que les intéressés se prononcent sur la pertinence industrielle d’un tel raccordement et s’engagent à le soutenir. Il est également capital de s’assurer que le pipeline, qui est susceptible de concurrencer le dernier vapocraqueur de Carling, est bien compatible avec son maintien en activité.
Monsieur le sénateur, voilà l’exact état de la situation. Je suis très désireux d’avancer et je vous tiendrai bien évidemment informé des développements de ce projet.
M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy, pour la réplique.
M. Philippe Leroy. Monsieur le ministre, je ne mets pas en doute votre engagement sur ce dossier. Toutefois, si cela est possible, j’invite le Gouvernement à exercer de fortes pressions sur le groupe Total, qui, à l’heure actuelle, ne semble pas très pressé de participer à ce projet européen de pipeline.
Par ailleurs, je vous demande – si vous le pouvez mais, à mes yeux, vous le devez ! – de prendre l’initiative de réunir à la fois les industriels européens et les gouvernements concernés, afin de renverser la vapeur ! Il en va de l’intérêt de nos industries plastiques dans l’Europe tout entière.
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques consacrées aujourd’hui à la désindustrialisation.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Charles Guené.)
PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
M. Michel Delebarre. Surprenant !...
8
Application de l'article 68 de la Constitution
Adoption d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des lois, la discussion de la proposition de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution (proposition n° 69 [2009-2010], texte de la commission n° 85, rapport n° 84).
Dans la discussion générale, la parole est à M. François Patriat, auteur de la proposition de loi.
M. François Patriat, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai l’honneur de vous présenter, et pour la seconde fois depuis le mois de janvier 2010, une proposition de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution que j’avais, à l’origine, rédigée, au nom du groupe socialiste, avec Robert Badinter. Je saisis l’occasion du débat de ce soir pour rendre un hommage appuyé à ce dernier, que j’ai rencontré aujourd'hui même au Sénat. Je sais à quel point il est attaché au texte que nous examinons et je le représente en cet instant.
Je me demande toujours la raison pour laquelle l’ex-majorité de la Haute Assemblée s’oppose à ce que nous comblions le vide qui existe dans notre législation.
M. Jean-Jacques Hyest. Mais pas du tout !
M. François Patriat. L’article 68 de la Constitution constitue le corollaire de l’article 67 relatif au statut juridictionnel du chef de l’État.
Les dispositions de ces deux articles résultent de la loi constitutionnelle du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la Constitution, inspirée du rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République présidée par le professeur Pierre Avril.
La présente proposition de loi organique a pour simple objet de combler une lacune, et non des moindres, qui conduit le Président de la République française à être l’un des rares, sinon le seul, dans les démocraties dites couramment « avancées », à ne pas avoir à rendre compte d’actions délictueuses ou incompatibles avec sa fonction, qu’il pourrait commettre dans le cadre de celle-ci.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est l’article 67 !
M. François Patriat. Cette proposition ne vise personne ad hominem ; elle s’appliquera aux futurs Présidents de la République issus de scrutins à venir. Elle est motivée par le fait que, depuis 2007, nous attendons toujours la traduction des engagements du Gouvernement en la matière.
Le dernier alinéa de l’article 68 de la Constitution renvoie à une loi organique la fixation des conditions d’application de la procédure de destitution du Président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. »
Point n’est toujours besoin de loi organique pour que la Constitution puisse normalement s’appliquer, mais, dans ce cas précis, cette nécessité est explicite. C’est la raison pour laquelle je présente de nouveau aujourd'hui, avec les membres de mon groupe, la présente proposition de loi organique.
Plus de quatre ans après l’adoption de la loi constitutionnelle, le Gouvernement n’a toujours pas pris l’initiative de faire inscrire à l’ordre du jour du Parlement le projet de loi organique qu’il avait promis !
M. François Patriat. Notre première tentative, au mois de janvier 2010, s’était soldée par un renvoi en commission et Mme Alliot-Marie, à l’époque garde des sceaux, s’était engagée à présenter un texte du Gouvernement dans les six mois. En séance, vous m’aviez dit, monsieur Hyest, que, si tel n’était pas le cas, vous déposeriez vous-même le texte.
M. Jean-Jacques Hyest. Mais oui !
M. François Patriat. Aujourd'hui, force est de constater que vous ne l’avez pas fait...
Avec retard, un texte a bien été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, mais il n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour !
M. François Patriat. Ce débat aura au moins servi à faire avancer les choses ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Jusqu’à cet instant, nous étions tous raisonnablement conscients dans cette enceinte que ce texte ne serait pas inscrit à l’ordre du jour du Parlement avant la fin de cette législature, et ce malgré ce qu’avait indiqué M. Patrick Ollier dans une communication relative au programme de travail parlementaire, à l’occasion d’un conseil des ministres au mois d’octobre dernier, puisqu’il avait alors déclaré que la poursuite de l’examen de ce texte faisait partie des « quatre priorités » gouvernementales.
Nous reprenons donc aujourd’hui à notre compte une promesse faite voilà presque deux ans par Jean-Jacques Hyest.
Je vous le dis clairement, les auteurs de la présente proposition de loi organique, dont Robert Badinter, ont cherché à être utiles : il ne s’agit pas de faire dériver ce débat vers des finalités politiciennes. Vous en conviendrez, mes chers collègues, si vous me connaissez.
M. Jean-Jacques Hyest. Justement, on vous connaît… (Sourires.)
M. François Patriat. Je vous en prie, monsieur Hyest ! Vous ne pouvez pas dire cela !
Nous voulons simplement permettre que soit respecté l’équilibre délicat de nos institutions.
La présente proposition de loi organique, qui a été profondément modifiée par la commission, s’inscrit dans cette démarche. Si elle est adoptée, la future loi organique s’appliquera à tous les Présidents de la République à venir. La personnalité du Président de la République actuel n’est pas en cause, puisqu’elle n’est rien au regard de la fonction constitutionnelle qu’il exerce et qui, seule, compte aujourd’hui, pour le texte qui vous est proposé.
Cette proposition de loi organique, que j’ai voulue comme « l’application de la Constitution, rien que la Constitution, mais toute la Constitution », décrivait les conditions de dépôt et d’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution portant réunion de la Haute Cour et les modalités de la procédure d’examen, de débat et de vote de ce texte.
Comme je l’ai indiqué, la commission des lois l’a profondément modifiée, en y intégrant les dispositions principales du projet de loi gouvernemental déposé à l’Assemblée nationale au mois de décembre 2010.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh bien voilà !
M. François Patriat. Loin de vouloir imposer son point de vue, la majorité actuelle du Sénat a cherché à rapprocher le texte que nous examinons de celui du Gouvernement.
M. François Patriat. Je m’en félicite parce que, en la matière, s’agissant de notre Constitution, dans un esprit typiquement républicain, il faut toujours rechercher l’accord le plus large possible. Nous allons tenter d’y parvenir ce soir.
Je laisserai à M. le rapporteur le soin de nous expliciter les différentes dispositions issues des travaux de la commission des lois que nous retrouvons maintenant dans le texte qui nous est présenté. Je rappellerai simplement le cadre de ma démarche.
Les principes de la révision du titre IX de la Constitution sont issus des travaux de la commission présidée par le professeur Pierre Avril, nommé par le Président Jacques Chirac en 2002. C’est, à peu de chose près, le texte adopté par cette commission qui avait été déposé au Parlement et débattu en 2006 et en 2007.
Concernant le régime de la responsabilité du Président de la République, un principe simple avait été retenu : ce qui relève du politique doit être évalué dans un cadre politique ; ce qui engage la responsabilité personnelle du titulaire de la fonction doit être jugé par les voies juridictionnelles ordinaires. Ainsi, la réforme constitutionnelle a précisé le statut juridictionnel du chef de l’État à l’article 67 en préservant le principe de l’irresponsabilité du Président de la République pour les actes accomplis en qualité de chef de l’État.
À l’époque, Robert Badinter, et bien d’autres qui sont présents ce soir dans cet hémicycle s’étaient opposés à cette « immunité » quasi totale conférée au Président de la République.
Mais notre démarche en l’instant n’est pas de viser une réforme plus générale de la responsabilité du chef de l’État, que j’appelle cependant de mes vœux. Elle se concentre sur la partie la moins contestable de la révision de 2007, à savoir la nouvelle procédure de destitution.
Nous sommes dans un vide juridique extraordinaire. Le chef de l’État français aura été le seul président de la République de tous les temps à exercer son mandat tout en bénéficiant d’une immunité totale. Quelle République peu ordinaire !
M. Patrice Gélard. Mais non !
M. François Patriat. En effet, l’article 68 introduit dans la Constitution une procédure de destitution du Président de la République en cas de manquement manifestement incompatible avec l’exercice de ses fonctions. Cette destitution n’a pas pour objet de mettre en cause la responsabilité pénale du Président de la République. Il s’agit d’une procédure politique, au sens noble du terme, en vertu du principe selon lequel l’atteinte à une institution issue du suffrage universel ne peut être appréciée que par le représentant du peuple souverain.
Ainsi, le Parlement, constitué en Haute Cour, ne peut se prononcer sur la qualification pénale du manquement ; ce n’est pas son rôle. Il statue seulement sur l’atteinte portée à la dignité de la fonction, afin de rendre le Président de la République à la condition de citoyen ordinaire.
Cette possibilité de destitution est donc une procédure dépénalisée, et j’insiste sur ce terme. Pour la Haute Cour, il s’agit non pas de se substituer à la justice afin de juger le chef de l’État – tel n’est pas notre rôle, mes chers collègues, je le répète –, mais de se prononcer sur la capacité de ce dernier à poursuivre son mandat compte tenu des manquements qui lui seraient reprochés.
Aussi les parlementaires ne deviennent pas des juges politiques ; ce sont des représentants prenant une décision politique afin de préserver les intérêts supérieurs de la nation.
Aujourd’hui, le chef de l’État bénéficie d’une double protection : d’une part, l’irresponsabilité, pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, et, d’autre part, l’inviolabilité, qui le protège des poursuites judiciaires pendant la durée de son mandat. Cette double protection ne doit pas faire obstacle à la mise en cause de la responsabilité du Président de la République dans l’hypothèse où il se montrerait indigne de sa fonction. Il ne peut avoir tous les droits sans aucune contrepartie : ceux qui sont attachés à ses prérogatives constitutionnelles et ceux qu’il prétend exercer comme tout justiciable, comme le droit de se porter partie civile, alors que l’article 67 interdit toute réciprocité pour la partie adverse.
Il ne peut rester dans cette position d’irresponsabilité « intégrale » et, en la matière, nous en convenons tous, le transitoire ne peut devenir la règle. La loi constitutionnelle a été votée ; encore faut-il maintenant qu’elle s’applique. C’est tout simplement ce qu’il vous est demandé, mes chers collègues, et non pas, comme vous avez tenté de le faire, d’appliquer des filtres quels qu’ils soient à une procédure clairement explicitée par notre loi fondamentale ! Pourquoi craindre aujourd’hui plus qu’hier la possibilité donnée par cet article d’une forme de censure du Président de la République ? La destitution est une procédure exceptionnelle et elle le restera.
Mes chers collègues, la présente proposition de loi organique n’est pas polémique. Elle ne traduit pas des positions de principe propres au groupe socialiste-EELV. Elle tend seulement à rendre applicable une disposition de la Constitution qui concerne tout Président de la République, en exercice ou à venir.
Sur le fond, cette proposition de loi organique, qui s’en tient à la stricte transcription de la Constitution, amendée par vos soins, a pour objectif de recueillir l’adhésion de l’ensemble de notre assemblée afin de consolider utilement nos institutions. Il serait dommageable pour celles-ci que certains tentent de politiser la simple mise en œuvre d’une disposition constitutionnelle, ce qui conduirait à en diminuer la valeur et donc à la fragiliser.
Pour conclure, je tiens à dire que je m’interroge toujours quant aux raisons qui ont poussé une partie des élus siégeant sur ces bancs (M. Patriat désigne les travées de l’UMP) à s’opposer à cette proposition de loi, alors même qu’ils sont attachés au respect du droit et des principes constitutionnels. Pourquoi laisser subsister un tel vide juridique dans notre république, mes chers collègues, alors que le combler honorerait notre assemblée et préserverait l’avenir ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Delebarre. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, deux articles de notre Constitution traitent du statut juridique du chef de l’État.
M. Patrice Gélard. Non, il y en a quatre !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Il y en a donc au moins deux ! Il est vrai qu’il en existe davantage, monsieur Gélard.
Je dirai tout d'abord un mot de l’article 67, qui a donné lieu à de nombreux débats. Cet article organise l’immunité pénale du chef de l’État.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est plutôt l’immunité juridictionnelle.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Vous avez raison, l’immunité concerne toutes les juridictions, tant civiles que pénales.
Il n’est pas question de remettre en cause cet article 67.
Toutefois, ses conditions d’application posent quelques problèmes. Récemment encore, de nombreux débats ont eu lieu, au sujet notamment de dépenses de communication ou liées à l’analyse de l’opinion. Une cour d’appel a rendu une décision, monsieur le garde des sceaux.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Nous respectons évidemment cette décision.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Cependant, cette décision ne nous empêche pas de nous interroger sur le champ d’application de l’article 67.
Que le chef de l’État bénéficie de l’immunité juridictionnelle, du début à la fin de son mandat, cela se conçoit. En revanche, on peut se demander, nonobstant l’arrêt de la cour d’appel, si cette immunité s’applique aux collaborateurs du chef de l’État ; cela ne constituerait-il pas une conception extensive, et tout à fait préjudiciable, de l’immunité présidentielle ?
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas le sujet !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Par exemple, les membres du cabinet du chef de l’État et les fonctionnaires de l’Élysée sont-ils tenus d’appliquer le code des marchés publics ? S’il apparaît que tel ou tel ne respecte pas les dispositions de ce code, n’y a-t-il pas un problème ? Peut-on exciper de l’article 67 pour conclure que toute personne travaillant à l’Élysée, ou seulement proche de l’Élysée, en contact avec le chef de l'État, serait protégée par l’immunité juridictionnelle de ce dernier ? Voilà une grave question sur laquelle il nous faudra assurément revenir.
Mme Catherine Troendle. C’est hors sujet !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. J’en viens à l’objet de notre débat d’aujourd'hui, monsieur Hyest.
Mme Catherine Troendle. Enfin !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Il s'agit de l’article 68 de la Constitution, qui a donné lieu à bien des débats. François Patriat en a excellemment parlé. Je n’oublie pas non plus ce qu’avait dit, à cette tribune, Robert Badinter, dont je viens de relire l’intervention : il avait fortement critiqué cet article.
Toutefois, cet article ayant été voté et donc inséré dans notre Constitution, il convient de l’appliquer. Il serait injuste et incompréhensible qu’il ne s’appliquât point ; chacun le comprend. Or, comme l’a excellemment dit François Patriat, cela fait près de cinq ans que l’article 68 a été voté, et nous attendons toujours l’adoption de la loi organique nécessaire à son application.
Entre-temps, une proposition de loi a été rédigée par François Patriat et Robert Badinter. Cette proposition de loi a été examinée ; on en a dit grand bien, mais son renvoi en commission a été décidé.
M. Jean-Jacques Hyest. Absolument !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. M. Hyest, alors président de la commission des lois et rapporteur du texte, a dit qu’il n’accepterait pas que cette situation de carence, ou de latence, subsistât trop longtemps.
M. Jean-Jacques Hyest. Absolument !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Le Gouvernement a ensuite déposé un projet de loi. Cependant, il nous a encore fallu attendre avant que ce projet de loi ne fût inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Nous nous sommes dit qu’il fallait être positifs. Puisque nous en avons la possibilité, nous avons décidé d’inscrire à nouveau la proposition de loi de François Patriat et Robert Badinter à l’ordre du jour du Sénat, afin qu’elle puisse être adoptée par notre assemblée, puis examinée par l’Assemblée nationale.
Je devine les arguments qui ne manqueront pas d’être utilisés. Autant en faire justice tout de suite !
M. Jean-Jacques Hyest. Ah non !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je commencerai par l’argument selon lequel il serait inopportun…
M. Jean-Jacques Hyest. Non, inutile !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. … de discuter d’une proposition de loi dès lors qu’il existe un projet de loi traitant du même sujet.
Cet argument ne tient pas ; chacun le sait. En effet, il suffit de lire la Constitution pour constater qu’aucun de ses articles n’établit de hiérarchie entre les projets et les propositions de loi. Ces deux types de textes sont également respectables et sources du droit.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas la question !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Par conséquent, lorsqu’il existe un projet de loi et une proposition de loi traitant du même sujet, rien n’impose que l’on examine d'abord le projet de loi.
M. François Patriat. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Qui plus est, en l’espèce, la proposition de loi est largement antérieure au projet de loi.
En inscrivant cette proposition de loi à l’ordre du jour, monsieur le garde des sceaux – je répète ce que j’ai dit l’autre jour à M. Ollier –, nous ne faisons qu’aller dans le sens de l’application de la Constitution. Je pense que le Gouvernement ne pourra que saluer notre volonté de lui faciliter la tâche, en quelque sorte.
En résumé, rien ne justifie qu’on nous dise que nous ne pouvons pas examiner une proposition de loi au motif qu’il existe un projet de loi abordant le même sujet. Comme nous sommes tous d'accord là-dessus, me semble-t-il, certains développements non seulement inopportuns, mais infondés en droit, nous seront épargnés.
Venons-en maintenant à la proposition de loi qui nous occupe.
Il est permis, je le répète, de critiquer l’article 68, mais, puisqu’il existe, il faut l’appliquer. Nous avons décidé, monsieur le garde des sceaux – vous voyez à quel point nous sommes positifs –, de profiter de l’existence d’un projet de loi pour améliorer encore la proposition de loi de François Patriat et Robert Badinter, qui était pourtant déjà bonne, et même très bonne.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Si nous n’avions pas pris en compte les suggestions utiles que comporte le projet de loi, vous l’auriez regretté, monsieur le garde des sceaux. Vous le voyez, nous œuvrons au bien commun.
L’article 68 prévoit une procédure de destitution du Président de la République en « cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Cette procédure est conduite par la Haute Cour.
Une première question se pose, celle des modalités de saisine de la Haute Cour.
La proposition de loi de François Patriat et Robert Badinter prévoyait que la saisine fût ouverte à soixante députés ou soixante sénateurs. Le projet du Gouvernement prévoit que l’initiative d’un dixième des députés ou des sénateurs serait suffisante.
Nous avons décidé de reprendre à notre compte le texte du Gouvernement, car il est patent – vous serez d'accord, monsieur le garde des sceaux – que ce dernier protège davantage les droits du Parlement que la proposition de loi que nous avions rédigée initialement.
En second lieu, il est question, dans le projet du Gouvernement, d’un filtre des saisines par les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui devraient juger de leur caractère « sérieux ».
Nous avons estimé qu’il ne s’agissait pas d’une bonne voie. En effet, si le nombre requis de parlementaires opère la saisine pour sanctionner un acte très grave du Président de la République – il s’agit de la destitution de ce dernier, je le rappelle –, le caractère sérieux de la saisine nous semble évident. De toute façon, c’est à la Haute Cour qu’il reviendra de statuer in fine.
Aussi n’avons-nous pas suivi ce chemin. Du reste, j’ai quelques raisons de penser que nos collègues députés feront peut-être une analyse similaire… Je suppose que vous pensez la même chose, monsieur le garde des sceaux ; nous avons les mêmes sources.
S'agissant des délais – quinze ou treize jours – de transmission de la saisine d’une assemblée à l’autre, nous avons repris les dispositions du projet de loi.
Pour ce qui est du bureau de la Haute Cour, nous nous sommes également inspirés du projet de loi, en prévoyant une parité totale entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Vous le voyez, nous avons repris ce qui, dans le projet du Gouvernement, nous paraissait aller dans le bon sens.
Concernant la commission instituée en cas de saisine de la Haute Cour, qui jouera un rôle essentiel puisqu’elle procédera en quelque sorte à l’instruction de la saisine, nous avons modifié le texte, pourtant déjà très positif, de François Patriat et Robert Badinter.
En effet, ce texte prévoyait, comme celui du Gouvernement, que cette commission fût composée des vice-présidents des deux assemblées du Parlement. Nous n’avons pas très bien compris pourquoi il faudrait que les membres de la commission soient vice-présidents de l'Assemblée nationale ou du Sénat !
Par conséquent, nous avons proposé, à l’issue de longs débats, que la commission soit distincte du bureau de la Haute Cour et que ses vingt membres soient désignés, dans chaque assemblée, selon la représentation proportionnelle au plus fort reste, dans le respect du pluralisme des groupes. Nous avons pesé chaque mot, afin que cette commission soit totalement indépendante, parfaitement représentative du pluralisme des deux assemblées et de leur parité.
Demeure la question de savoir si le chef de l'État peut être amené à s’exprimer devant la commission, puis devant la Haute Cour.
La position de la commission des lois est la suivante.
Nous pensons que la commission doit pouvoir demander au chef de l'État de venir s’exprimer. Bien entendu, elle ne doit pas pouvoir le contraindre à le faire, car ce serait contraire aux devoirs de sa charge comme à notre conception de la fonction de chef de l'État et à son statut. En revanche, il nous paraît légitime qu’elle puisse demander à l’entendre. Il nous paraît également légitime que le chef de l'État puisse lui-même demander à être entendu.
Il en va de même pour la Haute Cour.
Le chef de l'État peut avoir un conseil. Nous estimons que ce conseil doit pouvoir s’exprimer aussi bien devant la commission que devant la Haute Cour.
Nous considérons en revanche qu’il ne serait pas judicieux qu’il puisse s’exprimer à la place du chef de l'État, mais il peut le faire en sa présence, si toutefois le chef de l'État souhaite venir, ce que, selon notre texte, il peut très bien ne pas faire.
Tels sont les principaux points du texte dont nous allons discuter tout à l’heure.
Mes chers collègues, j’espère vous avoir convaincus et, si tel n’est pas le cas, j’aimerais connaître vos arguments ! (Murmures amusés sur les travées de l’UMP.)
Je rappelle ceux qui, à nos yeux, justifient la discussion de cette proposition de loi.
Premièrement, il n’y a pas de hiérarchie entre proposition de loi et projet de loi. On ne peut donc pas légitimement dire qu’il n’y a pas lieu de débattre de la présente proposition de loi organique, d’autant que celle-ci a déjà été débattue voilà quelque temps ; elle a fait alors l’objet d’un renvoi en commission et revient aujourd'hui tout à fait normalement devant vous.
Deuxièmement, le texte que nous vous proposons retient l’essentiel de la proposition de loi initiale tout en l’enrichissant des apports qui nous semblent positifs du projet de loi. Quelles raisons pourraient donc justifier que vous ne la votiez pas ?
M. François Patriat. Aucune !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Quelles raisons y aurait-il de ne pas profiter de l’occasion qui nous est ainsi donnée de régler, la navette aidant, le plus vite possible cette question ? Ce serait le moyen de mettre fin à la situation bizarre et singulière dont parlait à l’instant François Patriat, situation dans laquelle nous aurions vécu un mandat présidentiel entier sans qu’aucunement la question de la responsabilité juridictionnelle du chef de l'État eût été posée non plus que sa mise en œuvre – indépendamment, évidemment, de toute application éventuelle ou hypothétique d’une procédure dont, clairement, nous espérons tous qu’elle ne s’appliquera jamais.
Si le Constituant a prévu qu’il fallait que cette procédure existât, il nous revient, à nous législateurs, de voter la loi organique.
Je terminerai mon intervention en répétant une fois encore que, comme nous l’avons fait, par exemple lors de l’examen de la réforme territoriale,…
M. Jean-Jacques Hyest. Vous en avez fait un monstre !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. … nous entendons proposer des mesures simples et pratiques pour répondre aux problèmes concrets qui se posent, comme nous l’avons fait d’ailleurs dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale tout récemment pour promouvoir une plus grande justice sociale dans ce pays.
S’agissant du droit, en l’espèce du statut juridictionnel du chef de l'État, nous avons la même volonté d’avancer concrètement.
Mes chers collègues, j’espère donc, non seulement que la présente proposition de loi organique sera votée, mais aussi qu’elle connaîtra une suite, car il serait tout de même bizarre que, pour des raisons de susceptibilité (Protestations sur les travées de l’UMP), l’on prolonge encore et toujours une attente qui n’a que trop duré – cinq ans déjà…– alors que nous vous donnons l’occasion ce soir de commencer à donner un début d’application au nouvel article 68 de notre Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois et rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis ce soir pour examiner la proposition de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution, que nous présente M. Patriat.
Comme cela vient d’être abondamment rappelé, cet article est issu de la révision constitutionnelle du 23 février 2007, qui institue, comme vous le savez, une procédure de destitution du Président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».
Selon la Constitution, le Président de la République assure « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. « Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. » Il assure ainsi, dans la Ve République, la plus haute fonction du pouvoir exécutif ; il est, pour reprendre une expression bien connue mais très juste, la « clé de voûte » de notre système institutionnel.
À ce titre, le chef de l’État bénéficie d’une double protection : d’une part, l’irresponsabilité, en vertu de laquelle il n’a pas à répondre des actes accomplis en sa qualité de Président de la République – ce principe est, je le rappelle, commun à la plupart des démocraties contemporaines ; d’autre part, l’inviolabilité, qui fait l’objet de l’article 67 de la Constitution et protège pendant la durée de son mandat le Président de la République des poursuites judiciaires, de tout acte d’enquête et, bien sûr, de toute mesure privative ou restrictive de liberté.
L’inviolabilité, que votre rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, a justement qualifiée d’immunité de procédure, est absolue, mais temporaire ; l’irresponsabilité, elle, est définitive mais limitée dans son champ.
C’est parce qu’il est le représentant de la nation et qu’il participe directement à l’exercice de la souveraineté que le Président de la République bénéficie des immunités qui s’attachent à cette qualité. Il doit en effet pouvoir exercer le mandat dont il est investi en toute indépendance et en dehors de toute pression ou intimidation qui l’empêcherait de mener à bien sa mission.
A l’appui de ces propos, je reprends les termes du rapport de la commission présidée par le professeur Pierre Avril : « Tout président détient un mandat de représentation nationale, garantit la continuité de l’État et s’inscrit dans la séparation des pouvoirs. À ce triple titre, sa fonction doit être protégée contre ce qui pourrait abusivement l’atteindre, de bonne ou de mauvaise foi ».
M. François Patriat. Nous sommes d’accord !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Entendons-nous bien : ces immunités sont attachées à la fonction et non pas à la personne du Président de la République. C’est ainsi que les éventuelles procédures judiciaires de droit commun ne sont que suspendues le temps de son mandat ; elles reprennent dès lors que cesse la fonction présidentielle.
Suivant, là encore, les recommandations de la commission présidée par le professeur Avril, le Constituant a cependant souhaité assortir ce. régime protecteur d’un dispositif dit de sauvegarde, ou de « soupape », permettant que soit mise en cause la responsabilité du Président de la République dans l’hypothèse absolument exceptionnelle où il aurait manqué à ses devoirs de manière tellement grave et manifeste qu’il se rendrait, par là même, indigne de poursuivre l’exercice du mandat que lui a pourtant confié le peuple français.
C’est à la faveur de cette conception que, à la notion quelque peu surannée, et il est vrai un peu obscure, de « haute trahison », a été substituée, comme critère de saisine de la Haute Cour, celle du « manquement manifestement incompatible avec l’exercice du mandat ».
C’est au Parlement constitué en Haute Cour que l’article 68, qui est donc le pendant de l’article 67, confie le pouvoir de mettre en œuvre la procédure de destitution.
C’est là un choix cohérent dès lors que l’objet de cette procédure n’est en aucun cas, comme l’ont rappelé aussi bien M. Patriat que M. Sueur, de mettre en cause pénalement le chef de l’État, même si la destitution peut, dans un second temps, permettre l’engagement de poursuites pénales dans les conditions redevenues de droit commun.
Son objet est strictement politique, au sens le plus noble qui soit : il s’agit de se prononcer sur la dignité du titulaire de la fonction à exercer celle-ci, et seule la représentation nationale peut légitimement interrompre un mandat directement confié par le peuple à la personne du chef de l’État.
Le dernier alinéa de l’article 68 de la Constitution renvoie à une loi organique la fixation de ses modalités d’application, qu’il s’agisse des conditions de recevabilité des résolutions tendant à la réunion de la Haute Cour, des modalités d’examen de ces propositions ou encore du déroulement des débats devant la Haute Cour.
C’est bien l’objet de la proposition de loi organique que M. Patriat vient de présenter devant le Sénat que de répondre à ces questions.
Comme cela a également été rappelé, ce texte a déjà été débattu au sein de cette assemblée. Il avait alors été renvoyé en commission au motif que le Gouvernement allait présenter un projet de loi organique. C’est ce qu’il a fait le 22 décembre 2010 en adoptant un texte en conseil des ministres et en le déposant sur le bureau de l’Assemblée nationale.
M. Pierre-Yves Collombat. Il en a fallu du temps !
M. François Patriat. Ce texte n’a pas vu le jour !
M. Pierre-Yves Collombat. Il a été déposé… et bien posé ! (Sourires.)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je constate aujourd’hui votre impatience à débattre de ces sujets, mais rappelons que, grâce au soutien de sa majorité parlementaire, le Gouvernement n’a pas manqué d’agir en matière constitutionnelle et organique et que son bilan n’est pas mince ! Songeons à la question prioritaire de constitutionnalité, au Défenseur des droits, à la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par les justiciables, à la modernisation du travail parlementaire,…
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. …à l’institution d’un nouveau mode de contrôle sur les nominations du Président de la République…
M. François Patriat. Ça, n’en parlons pas trop…
M. Michel Mercier, garde des sceaux. De telles réformes demandent du temps et d’ailleurs, depuis un an, je suis moi-même venu très souvent devant le Sénat défendre des projets de loi.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est vrai !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est bien la preuve que le Gouvernement travaillait et que sa majorité le soutenait.
Vous nous dites qu’il fallait aller plus vite, mais il fallait aussi prendre le temps de la réflexion sur un sujet qui, vous en conviendrez avec moi, n’était pas le plus évidemment urgent et qui soulève des questions fort délicates. En effet, comme cela avait d’ailleurs été relevé au sein de votre Haute Assemblée, notamment par les auteurs de la proposition de loi, les dispositions organiques qui découlent de l’article 68 de la Constitution ne relèvent pas seulement de mécanismes procéduraux ; elles mettent en jeu des équilibres institutionnels justifiant une réflexion approfondie.
Par ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir que la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui s’est saisie du projet de loi que le Gouvernement a déposé sur son bureau, examinera celui-ci lors de sa réunion de demain matin. Son rapporteur, M. Philippe Houillon, présentera son rapport à cette occasion.
En outre, je peux vous confirmer, ce que vous savez parfaitement, qu’ainsi que l’avait très officiellement indiqué le Premier ministre à l’issue du conseil des ministres du 5 octobre dernier, le texte sera inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale dans le courant du mois de janvier et même, si c’est possible, dès le mois de décembre.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le Gouvernement a donc rempli l’obligation que le Constituant lui avait imposée en 2007 et que le Sénat l’avait invité à remplir rapidement.
J’ai bien compris M. le rapporteur, qui vient d’expliquer que, grâce au travail de la commission des lois du Sénat, la proposition de loi de M. Patriat, s’était très sensiblement rapprochée du texte du Gouvernement…
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Enrichie !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. « Enrichie », en effet ! Je n’osais pas le dire, car je ne voulais pas provoquer la majorité sénatoriale,…
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. N’hésitez plus : nous ne sommes pas sectaires !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Ça tombe bien !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Voici donc au moins un point sur lequel nous pouvons être d’accord : la proposition de loi a été « enrichie », améliorée par le texte du Gouvernement.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Alors tout va bien !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il vous reste un dernier effort à faire : accepter de discuter le texte du Gouvernement.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Pourquoi ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il va de soi que la majorité du Sénat prendra ses responsabilités. Je n’ai rien à redire à cela. Pour ma part, je soutiendrai la position du Gouvernement, qui sera identique, qu’il s’agisse du projet de loi ou de la proposition de loi.
Cela étant, tout se passe comme si on faisait tout pour ne pas réussir.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. En effet, il y aura à la fois un texte voté par le Sénat et un autre voté par l'Assemblée nationale.
M. Gaëtan Gorce. C’est la démocratie !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. La démocratie, c’est d’avoir un texte unique voté par le Parlement ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Pierre-Yves Collombat. Prenez le nôtre !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Ils peuvent être en discussion commune !
M. Raymond Vall. On a une journée d’avance !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ces deux textes auront une vie parallèle. Or, si nous voulons parvenir à un résultat, il est préférable d’avoir un seul texte.
M. François Patriat. Et la sagesse du Sénat ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Demain matin, l'Assemblée nationale entamera l’examen du projet de loi organique. Le Gouvernement estime que c’est sur son texte qu’il faut discuter, s’agissant d’une question constitutionnelle et organique aussi importante, et qu’il a aussi un rôle à jouer.
En outre, dès lors que le président de l'Assemblée nationale, en vertu de l'article 68, troisième alinéa de la Constitution, est appelé à présider la Haute Cour, il y a une certaine logique à commencer par l'Assemblée nationale.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Cela n’a rien à voir !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Au contraire !
Mais, très naturellement, le Gouvernement sera très attentif aux observations et remarques du Sénat.
Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il vaut mieux discuter du texte que le Gouvernement a déposé devant l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’article 68 de la Constitution institue une procédure de destitution du chef de l’État. Le dernier alinéa de cet article est très clair : il impose que le législateur adopte une loi organique définissant ses conditions d’application. Aussi la question n’est-elle pas de savoir si nous devons légiférer sur cette question. La Constitution nous l’impose et c’est l’objet de la présente proposition de loi organique.
Cela a été rappelé, ce texte a déjà fait l’objet d’un examen par le Sénat. En effet, notre commission des lois l’avait examinée et son rapporteur, notre collègue Jean-Jacques Hyest, avait conclu que, d’une part, certaines de ses dispositions mettaient en jeu des équilibres délicats justifiant une réflexion approfondie, d’autre part, qu’un texte d’origine gouvernementale était en préparation sur cette question, ce qui justifiait un renvoi de ce texte en commission. Le Sénat avait donc adopté une motion tendant au renvoi à la commission, lors de sa séance publique du 14 janvier 2010.
M. Jean-Jacques Hyest. Absolument !
M. François Zocchetto. Depuis, le contexte a sensiblement évolué.
Conformément à ce qu’avait annoncé votre prédécesseur, monsieur le garde des sceaux, lors du premier examen de la proposition de loi organique de M. Patriat, le conseil des ministres du 22 décembre 2010 a adopté un projet de loi organique relatif à l’application de l’article 68 de la Constitution.
Au risque de répéter des remarques qui ont déjà été formulées, je redirai que ce texte doit être examiné par la commission des lois de l’Assemblée nationale le 16 novembre 2011, c'est-à-dire demain matin, mes chers collègues.
La question est donc simple – et je n’aborde pas le fond : est-il opportun et surtout efficace que le Sénat statue ce soir sur cette proposition de loi organique en parallèle des travaux de l'Assemblée nationale ? Une telle méthode ne saurait en rien constituer un gain de temps, comme certains ont tenté vainement de le démontrer en commission des lois.
M. Charles Revet. C’est exactement l’inverse !
M. François Zocchetto. Dans l’hypothèse où nous adopterions ce texte ce soir – ce n’est pas une illusion –, nous le ferions sans même savoir ce que les députés ont l’intention de proposer, notamment par l’intermédiaire de leur rapporteur, et sans qu’eux-mêmes, de leur coté, aient le temps de prendre connaissance de ce qu’aurait adopté le Sénat en séance publique ce soir.
Vous avez bien compris que nous sommes ici dans une stratégie de la nouvelle majorité que j’ose qualifier de politicienne. C’est très clair ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Pas du tout !
M. Charles Revet. Admettez-le, monsieur Sueur !
M. Gaëtan Gorce. La vôtre ne l’est pas, peut-être ?
M. François Zocchetto. En effet, monsieur le rapporteur, la donne serait tout autre si le Gouvernement n’avait pas tenu ses engagements et s’il ne nous avait pas proposé de projet de loi organique. Tel n’est pas cas, mais certains – pas vous, monsieur le rapporteur – font mine de ne pas comprendre la situation.
M. Gaëtan Gorce. Vous êtes un peu godillot ! Vous serez bientôt pantoufle !
M. François Zocchetto. Les sénateurs centristes ne souhaitent évidemment pas participer à cette initiative. Ils souhaitent que, sur les dispositions de mise en œuvre de l’article 68 de la Constitution, la navette parlementaire permette un examen serein, dans le respect de la procédure législative.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Charles Revet. C’est sérieux !
M. François Zocchetto. Cette initiative est d’autant plus incompréhensible qu’au vu des nouveaux équilibres politiques au sein de la Haute Assemblée chacun sait bien que, quel que soit le texte examiné, qu’il soit ou non d’origine gouvernementale, la majorité de gauche a tous les moyens à sa disposition pour proposer et surtout faire adopter les modifications qu’elle estime nécessaires.
Lorsque le Sénat examinera le texte du Gouvernement, le rapporteur de la commission des lois sera sans doute le même qu’aujourd’hui…
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je ne sais pas !
M. François Zocchetto. On peut le supposer. Il y a tout lieu de penser, monsieur Sueur, que vous serez à nouveau désigné. D’ailleurs, tout le monde le souhaite probablement.
Je disais donc qu’en tant que rapporteur, lorsque le texte du Gouvernement viendra en discussion, vous ne ferez que proposer des modifications similaires à ce qui nous est soumis ce soir.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je pourrai enrichir le texte gouvernemental grâce à notre proposition de loi !
M. François Zocchetto. Mes chers collègues, je vous pose la question sans ambages : à quoi sert notre travail aujourd’hui ? On peut le voir comme une répétition générale, ...
M. Charles Revet. Exactement !
M. François Zocchetto. ... une espèce d’entraînement, pour se mettre en jambes.
M. Jean-Jacques Hyest. Un exercice de style !
M. François Zocchetto. Permettez-moi de vous dire que tout cela me semble bien inutile.
Dans notre esprit, il n’est pas question de poser une hiérarchie entre un projet de loi et une proposition de loi, comme certains l’ont laissé entendre. Le débat n’est pas là.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Justement, vous avez exposé le contraire à l’instant. S’il n’y a pas de hiérarchie, pourquoi refuser d’examiner cette proposition de loi organique ?
M. François Zocchetto. Je vous concède que ce débat sur l’application de l’article 68 de la Constitution a trop tardé. La révision constitutionnelle date du 23 février 2007 : cela fait presque cinq ans. Mais ce n’est certainement pas une raison pour agir dans la confusion des procédures parlementaires.
Aussi, dans l’attente de l’examen conjoint par la Haute Assemblée du texte de notre collègue Patriat, texte auquel nous reconnaissons un intérêt, et du projet de loi organique que nous présentera le garde des sceaux, le groupe de l’Union centriste et républicaine souhaite que le Sénat adopte la motion tendant à opposer la question préalable.
M. Charles Revet. Très bien !
M. François Zocchetto. Je l’ai dit en commençant mon propos : il ne s’agit nullement d’apprécier le fond des propositions formulées dans la proposition de loi organique. Reconnaissez d’ailleurs que ces deux textes ne sont pas très éloignés l’un de l’autre.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Absolument !
M. François Zocchetto. Il s’agit simplement pour nous de réaffirmer notre volonté que le Parlement travaille de la manière la plus efficace possible, surtout sur un sujet aussi important que celui qui concerne l’équilibre de nos institutions. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « nul n’est censé ignorer la loi ». À ce principe qui fonde notre droit devrait être adjoint un autre : « Nul ne peut se situer au-dessus de la loi ».
Aujourd'hui, la crise économique et sociale, voire morale, qui secoue notre pays et l’Europe se double d’une crise de confiance vis-à-vis des dirigeants, qu’ont confortée ceux qui ont confondu leur fonction, leur obligation d’intérêt général et la satisfaction de leurs besoins propres ou de ceux de leurs amis. Cette défiance vis-à-vis des représentants politiques se manifeste, avec raison, d’une manière de plus en plus forte, ici comme chez nos voisins.
Nos concitoyens, confrontés à la violence sociale et à la dureté de la période, veulent une République exemplaire et ils ont raison. Le Président de la République la leur avait promise, parlant de « République irréprochable ». Nous en sommes loin !
Or cette exemplarité doit commencer à la tête de l’État. Comment afficher une rectitude de l’État ? Comment prétendre à la probité de ceux qui gouvernent le pays si le chef de l’État peut échapper à la justice durant son mandat pour des actions commises sans rapport avec sa fonction ?
Cette question de la responsabilité du chef de l’État n’est pas nouvelle.
En 2001, la majorité de l’époque a adopté à l'Assemblée nationale un projet de loi établissant clairement une responsabilité de droit commun pour le Président de la République en dehors de ses fonctions, mais y compris durant son mandat. Ce texte n’a pas eu de suite.
En 2007, quelques semaines avant la fin de son mandat présidentiel, M. Jacques Chirac a fait adopter une modification de la Constitution instaurant une procédure de destitution du chef de l’État par le Parlement, seul moyen aux yeux de la majorité d’alors d’échapper à une irresponsabilité absolue, dont le principe était pourtant réaffirmé. C’est donc la représentation politique qui devait décider de la responsabilité judiciaire d’un homme, parce qu’il était Président de la République. Drôle de conception de la séparation des pouvoirs, en vérité !
Or cette procédure de destitution, même difficile à mettre en œuvre, effrayait visiblement en haut lieu, puisque le projet de loi organique permettant l’application du nouveau dispositif constitutionnel, n’a été déposé que le 22 décembre 2010, trois ans après le vote du nouvel article 68 de la Constitution. Il n’est pas encore officiellement inscrit à l’ordre du jour de l'Assemblée nationale.
La proposition de loi organique, initialement déposée par François Patriat et Robert Badinter, tend donc à remédier à cette lenteur a priori incompréhensible. En fait, un sénateur UMP, éminent juriste, en a fourni l’explication : le Président de la République ne voulait surtout pas que cette procédure puisse être utilisée contre lui, non seulement au cas où son nom serait cité dans une chronique judiciaire, ce qui fut le cas fréquemment durant cette durée, mais surtout si les évocations devenaient des implications directes et concrètes.
Je comprends donc que les sénateurs du groupe socialiste soient agacés par cette course de lenteur et souhaitent la mise en application de la Constitution dans sa plénitude. Il est d’ailleurs de bonne politique que la Constitution s’applique, même si on n’est pas d’accord sur l’ensemble de ses articles.
Au demeurant, nous regrettons que, même dans le cadre limité de l’application de ces dispositions, une nouvelle fois les groupes politiques soient écartés du processus, comme ils le sont pour le déclenchement de la saisine du Conseil Constitutionnel.
Je souhaite rappeler que le Sénat, dans son ancienne configuration politique, avait adopté un amendement que j’avais présenté au nom de mon groupe, lors de la révision constitutionnelle de juillet 2008, visant à conférer ce droit de saisine aux groupes politiques. Cette proposition n’a pas eu de suite à l’Assemblée nationale. Il n’empêche qu’elle fut brièvement acceptée au Sénat.
Ces groupes sont en effet clairement reconnus par la Constitution et l’argument invoqué en commission d’un risque d’utilisation politique, voire politicienne, de ce droit par les groupes n’est pas acceptable. En quoi le fait d’accorder ce droit de saisine à un dixième des parlementaires éviterait une telle manœuvre ?
Les groupes les plus importants de l’opposition ou de la majorité seraient-ils dotés d’une vertu que les groupes minoritaires, irresponsables par nature, n’auraient pas ? Ces dernières décennies ont pourtant montré que la vertu n’était pas toujours l’apanage des partis dominants.
Nous avons également critiqué la restriction de l’effectif de la commission d’instruction au sein du Parlement constitué en Haute Cour. Alors que le bureau chargé de l’organisation comprend vingt-deux membres, la commission ne devrait en comprendre que douze. Là encore, la défiance à l’égard des groupes minoritaires n’était pas acceptable et nous avons demandé que cette tentative bipartiste soit abandonnée.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Et vous avez obtenu satisfaction !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En effet, la commission des lois a approuvé cette remarque, puisque l’effectif de la commission a été porté à vingt. Nous nous félicitons de cette avancée.
Mais, je le répète, notre gêne est plus profonde, car nous aurions souhaité un autre affichage. Nous devons en finir avec ces années d’hyper-présidence, rompre avec une domination de chaque instant de la présidence sur les institutions et réformer en profondeur le rôle du Président de la République dans notre système politique, ce qui implique aussi une refonte de son régime de responsabilité, en dehors de sa fonction, bien évidemment. Est-il possible de revendiquer une présidence « normale » sans choisir cette voie de la révision ?
À cet égard, le groupe CRC avait déposé, le 21 septembre 2011, une proposition de loi constitutionnelle n° 798, qui visait à établir cette responsabilité de droit commun, tout en garantissant, bien entendu, au chef de l’État les protections exigées par son exposition. Nous rappelions, dans l’exposé des motifs, cet anachronisme qui maintient le président français dans le confort du roi constitutionnel de 1791, époque où la Constitution affirmait que « la personne du Roi est inviolable et sacrée. »
M. Jean-Jacques Hyest. Le confort a été de courte durée !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous en sommes pratiquement toujours là !
Face à cette forme de présidence monarchique, nous pensons qu’une rupture sur le plan institutionnel est nécessaire. Nous n’avons d’ailleurs pas voté les articles 67 et 68 de la Constitution.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le groupe CRC a bien conscience que le seul changement de majorité au Sénat n’est pas suffisant pour nous engager dans une telle rupture institutionnelle. La proposition de loi déposée par notre collègue François Patriat, largement modifiée en commission des lois, au point de reproduire à peu de chose près le projet gouvernemental,…
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Il y a tout de même des différences importantes !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … déposé sur le bureau l’Assemblée nationale, mais pas encore inscrit à l’ordre du jour, a le mérite de permettre l’application de la Constitution, sans laisser l’article 68 encore en suspens pendant un temps indéterminé. C’est le seul moyen actuel de sortir du système d’irresponsabilité absolue du chef de l’État, qui est très critiquable. Nous n’allons donc pas nous y opposer. Je tenais néanmoins à vous faire part, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, de notre façon un peu différente d’appréhender cette question par rapport à nos partenaires de la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, non seulement la définition extensive de l’irresponsabilité du chef de l’État résultant de la révision constitutionnelle de 2007 n’est pas digne d’une démocratie, mais la seule disposition permettant d’en atténuer la portée – la possibilité de destituer un Président de la République ayant manifestement manqué aux devoirs de sa charge, prévue par l’article 68 – est toujours inopérante à défaut de la loi organique nécessaire à sa mise en œuvre.
Cinq ans après, les amis de l’Élysée nous expliquent qu’« il n’y a pas le feu au lac », le projet de loi organique déposé depuis un an sur le bureau de l’Assemblée nationale étant prioritaire. La preuve en est qu’il sera examiné demain matin par nos collègues députés, selon M. le garde des sceaux… On peut donc se demander ce qui est le plus politicien dans l’affaire : la colombe que le garde des sceaux vient de tirer de sa manche avec brio, ce soir, ou la présente proposition de loi organique, que je qualifierai de « stimulus législatif » ?
Mes chers collègues, une proposition de loi valant un projet de loi, autant voter le présent texte, cela nous fera gagner du temps !
Chacun, cependant, aura compris que, le minimum du minimum étant assuré – je veux parler de l’adoption du texte permettant d’appliquer la Constitution –, les problèmes de fond restent entiers. Permettez-moi d’y revenir brièvement.
Le premier problème est la confusion entre la personne publique et la personne privée du chef de l’État, ayant pour conséquence une interprétation de plus en plus extensive de l’irresponsabilité pénale du Président de la République.
Ainsi, Jean Foyer, l’un des rédacteurs de l’article 68 de la Constitution, peut-il écrire, quelques semaines après la décision du Conseil Constitutionnel du 22 janvier 1999 : « En tant que personne privée, le Président de la République ne bénéficie d’aucune immunité ni d’aucun privilège de juridiction. Il est pénalement et civilement responsable, comme tout citoyen, des actes commis avant le début de ses fonctions. L’affirmation paraît être remise en question par certains de nos jours, elle est pourtant juridiquement indiscutable. »
M. Jean-Pierre Michel. Bravo !
M. Pierre-Yves Collombat. Le Conseil constitutionnel, alors présidé par Roland Dumas, avait conclu, chacun s’en souvient, que la responsabilité pénale du chef de l’État ne pouvait être engagée que devant la Haute Cour, pour crime de haute trahison.
Le deuxième problème est que l’inviolabilité du chef de l’État s’est progressivement étendue à ses collaborateurs et à ses proches, comme on l’a vu dans l’affaire dite des « sondages de l’Élysée », évoquée tout à l’heure, ou dans celle, que j’aime beaucoup, des « infirmières bulgares ».
Mme Cécilia Sarkozy avait alors refusé de déférer à la convocation de la commission parlementaire chargée d’éclairer cet épisode de nos relations, alors amicales, avec feu Mouammar Kadhafi. Le porte-parole de l’Élysée avait jugé que, puisque Nicolas Sarkozy ne pouvait répondre à une convocation parlementaire, « par extension, Mme Sarkozy, puisqu’elle était son envoyée personnelle, tomb[ait] sous la même règle. »
Le troisième problème tient au fait que le principe d’égalité de tous devant la loi est remis en cause en matière pénale, mais aussi en matière civile et administrative.
Comme l’a fait remarquer Robert Badinter, lors de la révision de 2007, « le conjoint du chef de l’État ne pourra demander le divorce en justice, son propriétaire lui réclamer des loyers impayés, le fisc des impôts. Le [la] Président[e] s’acquittera de ses obligations s’il le veut, quand il veut. C’est le bon plaisir ressuscité ! »
Que le Président puisse divorcer par consentement mutuel ou à sa demande, mais pas à celle de son conjoint, rappelle des codes de la famille pas vraiment républicains…
« A-t-on bien mesuré, se demandait alors Pierre Fauchon, la portée d’une telle mesure qui fait payer à des tiers le prix d’une immunité totale du Président pendant au moins dix ans, si on en juge par l’expérience des deux derniers présidents. A-t-on bien mesuré la gravité du préjudice ainsi causé et qui peut être irréparable, en particulier dans les affaires à caractère familial ? »
Tout cela n’a rien de théorique, car c’est au moment où l’hôte de l’Élysée est élevé au rang d’intouchable qu’il se fait procédurier. Si François Mitterrand et Jacques Chirac se sont interdit de saisir la justice, leur successeur a rompu avec leur hauteur de vue.
Mes chers collègues, essayons de faire l’inventaire : recours contre Ryanair pour « atteinte au droit à l’image hors consentement et à des fins publicitaires » ; plainte contre Le Nouvel Observateur pour « faux, usage de faux et recel », à l’occasion de la publication d’un SMS attribué à Cécilia Sarkozy – la plainte sera retirée ; constitution de partie civile dans une affaire de tee-shirt détournant l’image de Nicolas Sarkozy ; affaire de la poupée vaudou ; plainte contre l’ex-patron des renseignements généraux, Yves Bertrand, pour « atteinte à la vie privée » et « dénonciation calomnieuse » ; constitution de partie civile dans l’affaire Clearstream ; plainte pour « escroquerie » à la carte bleue. Peut-être en ai-je oublié…
Et je ne parle que des actions directement engagées par le Président de la République lui-même, sans évoquer les actions diligentées par le parquet ou les préfets pour « offense au chef de l’État », « à l’insu du plein gré » de ce dernier, bien évidemment !
Le représentant du parquet général près la Cour de cassation, lors de l’examen de la plainte pour escroquerie à la carte bleue, a bien résumé l’impasse dans laquelle nous a placés la révision constitutionnelle de 2007 : « L'exercice de l'action civile par le président de la République devant une juridiction pénale [...] paraît incompatible avec l'exercice de ses pouvoirs institutionnels : le fait qu'une autorité soumette à ceux-là mêmes qui relèvent de son pouvoir de nomination le soin de trancher un litige qui concerne ses intérêts privés, est de nature à donner l'apparence aux autres parties, comme au public, que le procès n'obéit pas aux règles d'un procès équitable. »
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, si nous ne pouvons malheureusement pas revenir là-dessus ce soir, faisons au moins en sorte que puissent être appliquées les règles qui ont été adoptées et qui modèrent, certes de manière insuffisante, les privilèges dont bénéficie le chef de l’État. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la responsabilité du chef de l’État, ou du chef de l’exécutif, a toujours constitué un problème, au regard aussi bien de la séparation des pouvoirs que de la définition de la démocratie.
En effet, il faut faire en sorte que le chef de l’État puisse exercer la plénitude de ses prérogatives sans toutefois être gêné dans son rôle de représentant de la nation et de l’État.
À l’origine, ce sont les Britanniques qui ont inventé la notion de responsabilité de l’exécutif, mettant en place une procédure qui ne touchait pas directement le chef de l’État, en l’occurrence le roi ou la reine, mais qui concernait ses ministres. Cette procédure, l’impeachment, a donné naissance, par glissement à partir de la responsabilité pénale des ministres, – qui risquaient tout de même, chaque fois, de se faire couper la tête ! –, à la responsabilité devant le Parlement et, partant, au régime parlementaire.
Il en a été différemment aux États-Unis, où la procédure d’impeachment a été mise en place selon des modalités autres que celles qui étaient pratiquées en Grande-Bretagne. La raison en est que, aux États-Unis, il n’y a pas réellement de ministres : le président est en quelque sorte l’exécutif à lui tout seul. Ainsi, Abraham Lincoln disait, en parlant d’une décision prise par lui et ses secrétaires d’État : « sept non, un oui, le oui l’emporte ! » (Sourires.) C’est bien la démonstration que, dans ce pays, le président est moins le chef de l’exécutif que l’exécutif lui-même et que les secrétaires d’État ne sont que des exécutants.
Aux États-Unis, la procédure d’impeachment, destinée à mettre en cause le président directement, n’a pas abouti les trois fois où elle a été engagée. Il n’y a eu aucun cas de condamnation, soit qu’un arrangement ait été trouvé préalablement, soit que le président ait démissionné avant, mettant un terme à la procédure.
La tradition juridique française est tout à fait différente. Nous avons d’abord eu l’expérience de la Révolution française, qu’a rappelée Mme Borvo tout à l'heure. La Constitution de 1791 avait prévu une procédure de suspension du roi, chef de l’État, dans l’hypothèse où celui-ci ne respecterait pas la Constitution. Mais, comme vous le savez, la Convention ne va pas se comporter conformément aux règles constitutionnelles. Elle sera tiraillée entre une application erronée du tyrannicide et une conception faussée de la souveraineté nationale ou populaire.
Il faudra attendre encore quelque temps pour que soit reconnue une véritable responsabilité du chef de l’État dans le cadre de nos institutions, avant d’en arriver à la pratique républicaine qui est maintenant la nôtre.
Il convient de le rappeler, il y a quatre hypothèses dans lesquelles la responsabilité du chef de l’État est susceptible d’être, dans une certaine mesure, mise en cause.
La première, qui a tendance à être quelque peu oubliée, est prévue à l’article 7 de la Constitution : c’est celle dans laquelle le chef de l’État n’est plus en mesure d’exercer physiquement ses fonctions, soit parce qu’il est décédé, soit parce que des raisons médicales l’en empêchent, soit parce qu’il ne donne plus de ses nouvelles... Pour ce dernier cas, toutes les suppositions étant permises et je ne donnerai que deux exemples : il est pris en otage ou il a disparu dans un pays lointain pour se livrer à la chasse ou à je ne sais quelle autre activité ! (Sourires.)
Aux termes de la Constitution, c’est le Conseil constitutionnel, saisi par le conseil des ministres, qui organise soit, en cas de décès ou de disparition définitive, un intérim définitif, suivi alors d’une élection, soit un intérim provisoire.
Je dois le dire, notre Constitution est insuffisamment précise sur ce point. Imaginons que le Président de la République soit injoignable, du fait d’une prise en otage ou d’un isolement : que se passerait-il ? Combien de temps durerait l’intérim provisoire ? La question n’est pas résolue dans la Constitution. Or elle mériterait de l’être.
La deuxième hypothèse est celle qui est évoquée l’article 53-2 de la Constitution, auquel renvoie d’ailleurs l’article 67 : il s’agit de la responsabilité du chef de l’État dans le domaine très particulier des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Là encore, je ne suis pas convaincu de la bonne rédaction de la Constitution. En effet, il existe une certaine contradiction entre les deux articles que je viens de mentionner : l'article 67 protège, pendant la durée de son mandat, le chef de l’État de tout acte de procédure, alors que l’application de l’article 53-2 supposerait la coopération des organes juridictionnels français, qui seraient ainsi amenés à exercer les contraintes qu’exclut l’article 67. Je ne vois pas comment tout cela pourrait s’harmoniser et il y a manifestement là une lacune supplémentaire du texte constitutionnel.
Je souligne au passage que le professeur Badinter n’est pas non plus étranger à cette affaire de responsabilité devant la Cour pénale internationale.
J’en viens à la troisième hypothèse, qui se fonde sur les articles 67 et 68 de la Constitution.
À cet égard, il est faux de dire que le Président de la République échappait auparavant à toute responsabilité.
Dans les Constitutions des IIIe et IVe Républiques, figurait une disposition relative à la responsabilité, disposition qui s’est retrouvée, dans une certaine mesure, dans celle de la Ve République, mais qui posait des problèmes d’interprétation. Cette disposition a donné lieu, sous la Ve République, à deux analyses.
La première, cela a été rappelé tout à l’heure, a été fournie par le Conseil constitutionnel, présidé à l’époque par Roland Dumas : pour mettre en cause la responsabilité pénale du chef de l’État, il fallait mettre en place la structure prévue par la Constitution en cas de mise en accusation pour haute trahison. C’est sur cette interprétation que s’est appuyé, avec raison, d’ailleurs, le député Arnaud Montebourg lorsqu’il a voulu lancer la procédure de saisine de la Haute Cour.
Cette analyse du Conseil constitutionnel a été contredite par la Cour de cassation. Dans un arrêt, celle-ci a estimé que, si le Président de la République ne peut être poursuivi pendant la durée de son mandat, du même coup, la prescription est suspendue et l'ensemble des procédures peuvent être reprises à la fin de son mandat. C’est peu ou prou cette formule qui, à la suite des propositions de la commission Avril, a été reprise dans l’article 67 de la Constitution, et que l’on trouve dans la plupart des démocraties voisines. Cela étant, je ne suis pas convaincu qu’elle soit tout à fait satisfaisante.
La quatrième hypothèse à considérer est tout à fait nouvelle puisqu’elle résulte de l’actuelle rédaction de l’article 68, qui fait l’objet de la présente proposition de loi organique.
Son premier intérêt est de mettre fin à cette anomalie juridique qu’était la haute trahison.
À l’époque de la Monarchie ou de l’Empire, tout était plus clair : la haute trahison consistait à voler dans les caisses de l’État, car l’argent se trouvait physiquement dans des cassettes, à se rendre coupable d’intelligences avec tel ou tel ennemi, ou à fuir ses responsabilités en partant à l’étranger.
L’inconvénient, c’était que la haute trahison n’était pas mentionnée dans le code pénal et que nul ne savait quelles sanctions il convenait de lui appliquer. En définitive, elle n’a jamais été invoquée. Lorsque des chefs de l’État ont été poursuivis, on a utilisé d’autres procédures que celles qui étaient prévues par le texte constitutionnel de l’époque.
Faute d’invoquer la haute trahison, la responsabilité du chef de l’État n’était pas mise en cause en France. Cela nous rapprochait un peu du modèle américain, où le président est pratiquement à l’abri l’impeachment, eu égard à la très grande complexité de sa mise en œuvre.
Ce fut donc une tout autre procédure, désormais inscrite à l’article 68 de la Constitution, qui fut inventée. Après avoir fait quelques recherches dans les démocraties voisines, je dois dire que la France a fait preuve d’une originalité intéressante, car je n’ai pas retrouvé l’équivalent ailleurs ! (M. Pierre-Yves Collombat s’esclaffe.)
Ainsi fut introduite la fameuse formule « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice » des fonctions présidentielles. Mais qu’est-ce donc qu’un manquement manifestement incompatible ? J’aimerais bien qu’on me l’explique ! Faut-il comprendre qu’il s’agit de l’affichage de certaines convictions métaphysiques ou philosophiques, ou bien d’un certain comportement physique ? (Sourires.)
En tout cas, nous quittons là le domaine juridictionnel, comme M. le rapporteur l’a souligné, pour entrer dans la sphère purement politique.
La Haute Cour porte d’ailleurs bien mal son nom,…
M. Pierre-Yves Collombat. Basse-cour ?
M. Patrice Gélard. … car elle n’est pas une cour : elle n’applique pas le droit pénal ni les dispositions prévues par le code de procédure pénale. Il s’agit d’autre chose : il est question de responsabilité politique ou morale, et la décision relève de la représentation nationale. Nous sommes donc dans un domaine tout à fait différent de ce que nous avons pu connaître jusqu’à maintenant.
Or, tant dans le projet de loi organique que dans la proposition de loi organique, a été maintenue une procédure quasi juridictionnelle. Je le déplore. Mieux aurait valu innover et nous inspirer de l’impeachment à l’américaine, qui exclut toute procédure juridictionnelle et laisse, en fin de compte, les deux chambres se partager la charge d’organiser la mise en cause de la responsabilité.
L’instauration d’une commission de l’instruction relève, en fin de compte, du juridictionnel.
En outre, il y a, dans ce dispositif, une certaine incompatibilité avec l’article 18 de la Constitution, qui prévoit désormais que le chef de l’État peut prendre la parole devant le Congrès. Le Président de la République peut-il donc être convoqué pour s’exprimer devant le Parlement tout entier ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Il n’est pas obligé de venir !
M. Patrice Gélard. Je le sais bien. Il n’en demeure pas moins que les articles 18 et 68 de la Constitution sont, à mes yeux, incompatibles, car c’est le chef de l’État, et lui seul, qui décide s’il y a lieu, ou non, de venir se présenter devant ce qui constitue la Haute Cour.
Le système que nous avons mis en place se révèle compliqué et n’est pas forcément fondé sur le plan juridique. Il ne manquera pas de poser des problèmes. Je pense, en vérité, qu’il ne pourra jamais être mis en œuvre, d’autant que la majorité des deux tiers est requise. Je vois donc mal comment il pourrait trouver, un jour, un aboutissement, si ce n’est dans une période particulièrement troublée.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Vous l’avez pourtant voté !
M. Patrice Gélard. Oui, mais pas vous !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Absolument !
M. Patrice Gélard. Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’en viens à ma conclusion, qui prendra la forme d’une question toute simple : à quoi sert le débat d’aujourd’hui ?
M. Charles Revet. À rien !
M. Patrice Gélard. M. le garde des sceaux nous l’a rappelé tout à l’heure, la commission des lois de l’Assemblée nationale s’apprête à examiner, dès demain, le projet de loi organique.
Monsieur le rapporteur, à votre place, j’aurais annoncé le retrait pur et simple de la proposition de loi organique, en attendant la transmission du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je n’ai pas ce pouvoir : je rends compte de ce que décide la commission !
M. Patrice Gélard. En réalité, ce que vous êtes en train de faire s’apparente à un détournement de procédure.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Non !
M. Jean-Jacques Hyest. Mais si, tout à fait !
M. Patrice Gélard. Certes, c’est votre droit le plus absolu que de faire discuter une proposition de loi organique. Mais vous n’avez pas réellement l’intention d’aboutir, car, vous le savez, ce texte ne sera, à l’évidence, pas inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale : ni le Gouvernement ni la majorité de l’Assemblée nationale ne l’accepteront.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Pourquoi pas ?
M. Patrice Gélard. Par conséquent, le travail que nous faisons ne sert strictement à rien !
M. Jean Bizet. C’est de l’affichage !
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est vous qui nous avez appris à procéder ainsi !
M. Patrice Gélard. Peut-être, mais, en tout cas, vous répétez les mêmes errements, et ce n’est pas forcément à votre honneur…
Nous perdons donc notre temps.
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. Patrice Gélard. Attendons donc le texte qui nous parviendra de l’Assemblée nationale, respectons la logique qui prévaut en matière d’adoption d’un texte de loi organique. Je tiens à le rappeler, aucune proposition de loi organique n’a jamais été adoptée par le Parlement.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Il faut innover !
M. Patrice Gélard. Si toutes les lois organiques sont issues de projets de loi, c’est qu’elles doivent résulter d’un consensus entre l’exécutif et le législatif. Or ce n’est pas du tout ce que vous recherchez en l’espèce. Vous souhaitez, en fin de compte, faire une action de communication.
C’est la raison pour laquelle, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe UMP votera la motion tendant à opposer la question préalable ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. François Patriat. Ce n’était pas brillant !
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je viens d’entendre le doyen Gélard nous poser une question que je qualifierai de « vive » : à quoi sert le débat d’aujourd’hui ?
Monsieur Gérard, je veux vous répondre immédiatement : ce débat sert, justement, à provoquer un débat,…
M. Patrice Gélard. Ah !
M. Alain Anziani. … celui qui aurait dû avoir lieu voilà des années, parce que nous ne voulons pas qu’il soit purement et simplement enterré.
Chacun d’entre nous s’en souvient sûrement, c’est le Président de la République lui-même qui, avec sa vigueur habituelle, avait souligné dès le début de son mandat qu’il s’agissait d’un texte concernant, pour reprendre exactement ses propos, les fondements mêmes de la République. Et pourtant, ce texte si important, le Président de la République n’a pas voulu qu’il puisse lui être appliqué puisque, à ce jour, aucun projet de loi organique n’a été adopté. D’ailleurs, je n’ai toujours pas entendu, dans vos rangs, la moindre explication ou justification de ce retard.
Ainsi, pendant quasiment tout un quinquennat, le Président de la République aura bénéficié de l’immunité de l’article 67 de la Constitution sans s’exposer à sa contrepartie, inscrite à l’article 68, qui est la destitution. Au fond, il a fait son tri dans la réforme constitutionnelle, prenant d’un côté ce qui lui convenait, écartant de l’autre ce qui lui apparaissait moins profitable.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, une telle façon de procéder n’est guère convenable.
Je salue donc, pour ma part, la proposition de loi organique déposée par François Patriat et Robert Badinter et je considère que, contrairement à tout ce qui vient d’être dit, elle s’inscrit tout à fait dans l’esprit de notre Constitution.
Le rôle du Parlement, donc le rôle du Sénat, c’est bien de veiller à ce que la Constitution s’applique. Lorsque tel n’est pas le cas, du fait du Gouvernement, nous nous devons, en tant que législateur, de combler une telle carence : c’est l’objet même de cette proposition de loi organique.
Monsieur Gélard, comment pouvez-vous sérieusement affirmer qu’elle n’est qu’une manœuvre ? Mais enfin ! Regardez simplement le calendrier : elle a été déposée en octobre 2009, voilà plus de deux ans, donc bien avant que le Sénat ait changé de majorité.
Depuis octobre 2009, on nous invite à la patience, on nous prie de ne pas nous précipiter, on nous dit qu’un texte va venir… Mais il n’est jamais venu !
Prenons donc nos responsabilités ! Monsieur Hyest, n’est-ce pas vous qui, pendant toutes les années où vous avez présidé la commission des lois, nous avez sans cesse répété que le Sénat ne devait pas être à la remorque de l’Assemblée nationale, qu’il devait prendre ses responsabilités ? (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)
Alors, au moment où une initiative sénatoriale vous est proposée, vous devriez la soutenir avec force !
Vous devriez la soutenir avec d’autant plus d’ardeur que, sur le fond, nous sommes sans doute largement d’accord.
M. Jean Bizet. Ce n’est pas sûr !
M. Alain Anziani. Sur le fond, personne ne remet en cause la nécessité de l’immunité du chef de l’État pendant la durée de son mandat. Cette irresponsabilité et cette inviolabilité existent d’ailleurs sous différentes formes dans la plupart des démocraties, en tout cas dans la plupart des démocraties occidentales, sous réserve – cela a été rappelé tout à l’heure – des cas de haute trahison ou de crime contre l’humanité.
Je préciserai tout de même que la tradition française comporte quelques différences avec d’autres démocraties. J’en vois au moins deux.
Tout d’abord, je relève que, à la différence de l’impeachment américain, par exemple, ce que la Constitution prévoit n’est pas une peine. Le dispositif qui existe et que notre proposition va rendre applicable, c’est une procédure qui va, au fond, exposer à terme le Président de la République à une sanction lorsque les juridictions redeviendront compétentes.
M. Jean-Jacques Hyest. Pas forcément !
M. Alain Anziani. Cela une conséquence tout à fait inattendue, et qui me paraît d’ailleurs insuffisamment soulignée.
Aux États-Unis, l’impeachment entraîne la destitution du président américain, et le vice-président prend immédiatement sa place. Dans le système que nous sommes en train de fabriquer, la conséquence sera évidemment autre. Le Président sera destitué et, dans les trente-cinq jours, nous dit la Constitution, une élection présidentielle sera organisée. Or rien n’empêchera le Président destitué de se représenter, faisant ainsi appel au peuple. Il pourra même être éventuellement réélu, auquel cas toutes les procédures qui ont pu être engagées contre lui se trouveront de nouveau suspendues, et l’on reviendra à la situation initiale. On peut d’ailleurs se demander si, de nouveau, le Parlement devra se réunir en Haute Cour pour prononcer la destitution et ce qu’il se passera ensuite. Rien n’est prévu dans le texte sur cette mécanique infernale qui pourrait s’enclencher.
M. Antoine Lefèvre. Cas d’école !
M. Alain Anziani. La deuxième exception française qui distingue notre système de celui des démocraties comparables relève, selon moi, d’une inspiration monarchique. Il y avait, dans notre droit ancien, une devise selon laquelle « le roi ne peut mal faire ». J’ai l’impression qu’on retrouve cette idée dans le texte.
Et c’est bien en toute matière que « le roi ne peut mal faire ». Robert Badinter l’a d’ailleurs magnifiquement démontré en expliquant que, dans notre système, l’épouse du chef de l’État est la seule femme de France à ne pas pouvoir divorcer sans le consentement de son mari ! Nous le savons, l’immunité judiciaire du chef de l’État s’étend aux procédures civiles, y compris le divorce. Le souhaitons-nous vraiment ? Souhaitons-nous maintenir un système aussi archaïque ou voulons-nous avancer ?
Ainsi, non seulement l’épouse du Président de la République ne peut pas engager une procédure contre son mari, mais, de surcroît, si le chef de l’État, demain, causait un accident de la circulation,...
M. Jean-Pierre Michel. En percutant le camion d’un laitier, par exemple !
M. Alain Anziani. … la victime de l’accident ne pourrait pas être dédommagée, faute d’avoir le droit d’engager une procédure contre le Président de la République.
Évidemment, en matière de diffamation et d’injure, nous sommes face au même paradoxe de cette immunité que je qualifierai d’universelle.
En fait, cette protection absolue conduit à deux dérives.
La première va s’illustrer dans quelques jours : la Cour de cassation va rendre un arrêt dans l’affaire de la carte bleue du chef de l’État qui, vous le savez, avait été piratée. Nous ne connaissons pas encore les termes de cet arrêt, mais nous connaissons déjà les conclusions de l’avocat général, qu’il a énoncées le 14 mars dernier. Il a souligné avec force que nous avions un Président intouchable : personne ne peut agir contre lui, mais lui peut agir contre les autres ; de fait, François Patriat l’a dit tout à l’heure, le Président de la République peut se constituer partie civile, ce qu’il a fait en l’occurrence.
Et l’avocat général, qui n’est pas un parlementaire, qui n’est pas un homme politique, mais qui est un juriste éminent, d’expliquer : « Le fait qu’une autorité soumette à ceux-là mêmes qui relèvent de son pouvoir de nomination le soin de trancher un litige qui concerne ses intérêts privés est de nature à donner l’apparence aux autres parties comme au public que le procès n’obéit pas aux règles d’un procès équitable, qu’il n’est pas tenu dans le respect de l’indépendance du tribunal et que ne sont pas assurées les conditions objectives d’un fonctionnement impartial. »
Voilà l’impasse – un procès qui n’est pas équitable – où nous conduit le système actuel.
Évidemment, il y aurait une solution ; M. le garde des sceaux la connaît bien, mais il ne cesse de la laisser de côté. Cette solution consisterait à avoir un parquet indépendant ; cela réglerait au moins la question que nous soulevons. Mais ce n’est pas le choix qui a été fait par le gouvernement actuel.
La deuxième dérive, notre rapporteur et président de la commission des lois l’a évoquée tout à l’heure avec beaucoup de pertinence. Elle s’est manifestée avec l’affaire des sondages commandés par l’Élysée. Que l’immunité concerne le Président est une chose. Que l’immunité, tout d’un coup, s’étende à l’ensemble de ses collaborateurs en est une autre !
Souhaitons-nous vraiment que cette affaire de sondages commandée par les collaborateurs du Président de la République, qui ont bénéficié par extension de son immunité, passe finalement par pertes et profits ? « Désolé, il n’y a rien à voir ! Vous ne pouvez pas enquêter sur cette question-là ni sur tous les manquements qui ont été faits aux règles du code des marchés publics ! Veuillez passer à autre chose ! »
Oui, il y a eu infraction au code des marchés publics, nous le savons, mais nous ne pouvons pas la sanctionner parce que ce sont des collaborateurs du Président qui l’ont commise. Je ne crois pas que ce soit la volonté du Parlement.
Nous avons donc quelques critiques à formuler sur le texte constitutionnel, car il ne nous semble absolument pas parfait. Pour autant, nous soutenons évidemment la proposition de loi de MM. Patriat et Badinter, ainsi que les améliorations apportées par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission, mes chers collègues, notre Constitution repose depuis une cinquantaine d’années sur une ambigüité, voire un paradoxe : celui qui détient l’essentiel des pouvoirs dans la République n’a à supporter, en réalité, aucune forme de responsabilité.
La ligne, le général de Gaulle l’avait fixée avec son talent, son caractère, mais elle a tout de même suscité quelques contestations. Au cours de la conférence de presse du 31 janvier 1964, il livrait une forme d’interprétation de la Constitution qui était de nature à faire se dresser les cheveux des doyens des facultés ! (Sourires.) Il expliquait en effet que l’autorité indivisible de l’État appartient au Président, lequel la tient du peuple qui l’a élu, et qu’il n’existe aucune autre autorité, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui puisse être conférée ou maintenue autrement que par lui. C’est dire qu’il assumait la totalité de la responsabilité politique !
Le paradoxe que j’évoquais tout à l’heure résulte de ce que cette responsabilité politique assumée, affichée, conséquence de l’élection du Président de la République au suffrage universel, ne se trouve équilibrée, compensée, contrebalancée par rien.
Vous m’objecterez que, dans un régime parlementaire, c’est le Premier ministre et la mise en cause de la responsabilité de ce dernier qui, d’une certaine manière, servent d’exutoire. Mais notre Parlement n’a saisi cette opportunité qu’une seule fois, en 1962, justement pour protester contre l’élection au suffrage universel du Président de la République introduite par référendum sur la base de l’article 11 de la Constitution. Et ceux qui ont voté cette censure en ont été pour leurs frais puisque la plupart d’entre eux n’ont pas été réélus lors des élections législatives qui ont suivi la dissolution consécutive à la censure…
Autrement dit, cette censure politique a servi de leçon pour leurs successeurs, de sorte qu’elle ne fut plus ensuite utilisée autrement qu’avec la plus grande sagesse.
Jusqu’en 2007, les décisions prises par le Président de la République ne pouvaient être mises en cause, sauf à invoquer la haute trahison. Il s’y ajoute heureusement, depuis la réforme de 2007, un dispositif nouveau qui, tout en garantissant l’inviolabilité du chef de l’État en matière pénale et civile, organise sa responsabilité sur le plan politique.
On peut discuter cette réforme, et cela a été fait dans cet hémicycle. Robert Badinter a notamment argué que le chef de l’État se voyait, par l’article 67 de la Constitution, protégé contre toute forme d’action civile, y compris en matière de divorce. Encore que, s’agissant du divorce d’avec les Français, j’ai le sentiment que la procédure est plutôt bien engagée… (Sourires sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
À l’article 68, la réforme de 2007 a apporté aussi une avancée intéressante, mais tout de même discutable puisqu’elle pose les formes d’une responsabilité politique sans trancher véritablement sur sa nature, juridictionnelle ou non.
Le texte qui nous est soumis prévoit précisément la création d’une commission compétente pour examiner les conditions dans lesquelles cette responsabilité pourrait être mise en cause. Cet élément mérite incontestablement discussion.
Le débat ne porte pas tant sur la question de savoir s’il faut discuter d’une proposition de loi ou d’un projet de loi que sur la nécessité d’aller au bout de la réforme qui a été engagée. En effet, si cette réforme a le mérite d’exister, elle n’a jamais été concrétisée par la loi organique.
Mme Catherine Troendle. Vous n’aviez même pas voté la réforme !
M. Gaëtan Gorce. Le projet de loi organique, il a fallu attendre décembre 2010 pour qu’il soit déposé.
Il est quand même curieux que ce soit seulement au moment où la majorité sénatoriale a « réveillé » cette question à travers l’excellente proposition de loi de François Patriat et de Robert Badinter que, brusquement, le projet de loi a retrouvé à vos yeux suffisamment d’intérêt pour mériter d’être examiné par la commission des lois de l’Assemblée nationale.
M. François Patriat. Voilà !
M. Gaëtan Gorce. N’y avait-il pas suffisamment de place dans le calendrier parlementaire pour que, depuis 2007, vous ne puissiez pas nous faire examiner une question aussi « mince » qu’une réforme constitutionnelle, aussi « secondaire » que la mise en cause de la responsabilité du chef de l’État,…
Mme Catherine Troendle. Dans le contexte de la crise, oui, nous avons d’autres priorités !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les soirées étudiantes, par exemple ?
M. Gaëtan Gorce. … alors que vous avez trouvé, pendant cette période, le temps de légiférer sur les chiens dangereux, de légiférer plusieurs fois sur la récidive, et je passe sur la totalité des textes de loi à l’intérêt manifeste dont nous avons eu à discuter depuis quatre ans et demi ?
S’il ne s’agit pas d’un vrai retard, on pourrait penser qu’il s’agit d’une négligence. Mais, dans ce cas-là, monsieur le garde des sceaux, permettez-moi de penser qu’elle serait de taille ! Comme je ne saurais imaginer qu’une telle négligence puisse être imputée au Gouvernement, je suppose que ce n’était pas pour vous une priorité. Il s’agit donc d’un choix politique.
Mme Catherine Troendle. La priorité, c’est la crise !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est pourquoi vous avez souhaité l’examen de la proposition de loi Ciotti !
Mme Catherine Troendle. Nous n’avons pas les mêmes priorités !
M. Gaëtan Gorce. Je ne suis d’ailleurs pas certain qu’en ayant fixé ces priorités et établi cette chronologie vous ayez véritablement rendu service au Président de la République, car les mauvais esprits – dont je ne suis pas ! – risquent d’être conduits à penser que, s’il n’était pas très enclin à mettre en place une telle réforme, c’est parce qu’il pouvait en redouter les effets. Mais je veux écarter cet argument, qui serait polémique…
On nous dit qu’il existe un projet de loi, qu’il a été déposé et qu’il a, par définition, la primauté. La Constitution ne dit rien de tel, et j’ai du mal à croire, monsieur le garde des sceaux, que vous qui avez été sénateur puissiez adhérer à l’argumentation selon laquelle un projet de loi primerait sur une proposition de loi et qu’un texte déposé sur le bureau l’Assemblée nationale primerait sur un texte déposé sur le bureau du Sénat, alors que notre assemblée ne fait qu’exercer ses prérogatives les plus élémentaires.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Très bien !
M. Gaëtan Gorce. Je me permets donc de vous demander pourquoi vous en arrivez à une telle situation, pourquoi on organise un débat en commission à l’Assemblée demain, presque au dernier moment. Pourquoi organise-t-on cette espèce de pantomime institutionnelle, sinon pour des raisons qui n’ont rien de juridique et qui, malheureusement, sont strictement politiques ?
Mme Catherine Troendle. Votre démarche est effectivement très politique !
M. Gaëtan Gorce. En fait, le problème, c’est que ce gouvernement a du mal à se faire à la situation nouvelle qui a été créée voilà quelques semaines par le vote des grands électeurs. Vous avez du mal à considérer qu’il existe une nouvelle majorité sénatoriale, avec laquelle vous devez pouvoir engager un dialogue et dont vous devez respecter les initiatives.
M. Gaëtan Gorce. Je crois que, s’agissant de la responsabilité du chef de l’État, puisque nous sommes d’accord sur le fond, nous aurions pu faire l’économie de cette polémique sur la question de savoir quelle est la chronologie qui devrait s’imposer pour faire avancer la réforme et rendre tout simplement enfin applicable l’article 68 tel qu’il a été modifié.
Mme Catherine Troendle. Mais vous ne l’avez même pas voté !
M. Gaëtan Gorce. À travers ce texte, nous vous offrons l’opportunité d’agir dans le sens que nous souhaitons tous. Saisissez-la ! Entrez dans le débat ! Amendez les propositions que nous faisons, pour que l’Assemblée nationale puisse ensuite en discuter !
Nous apporterons ainsi à nos concitoyens, qui éprouvent aujourd'hui un manque de confiance évident dans le fonctionnement de nos institutions, une réponse qui sera de nature à les remobiliser. Nous leur montrerons que personne ne cherche à organiser une impunité et que, bien au contraire, les parlementaires ont le souci d’appliquer les textes qu’ils ont votés, a fortiori quand il s’agit d’un sujet grave entre tous : faire en sorte que, tel la femme de César, celui qui est à la tête de l’État ne puisse inspirer le moindre soupçon !
M. Alain Fouché. Comme sous Mitterrand ?
M. Gaëtan Gorce. Tout à l'heure, notre collègue Patrice Gélard se demandait comment définir la notion de « manquement aux devoirs du Président de la République manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».
Je ne citerai qu’un exemple, qui montre bien, d’ailleurs, que nous nous trouvons dans une situation de blocage et qu’il faut la corriger : la réglementation du financement des campagnes électorales.
Personne n’imagine que l’on puisse empêcher un Président de la République d’entrer en fonctions au motif qu’il n’aurait pas appliqué les règles s’appliquant au financement des campagnes électorales ; un président du Conseil constitutionnel l’a même affirmé explicitement. Or nous savons que cela est arrivé, et nous connaissons la conclusion qui en a été tirée... Personne ne peut s’en satisfaire !
Si nous adoptons les dispositions organiques permettant la mise en œuvre de l’article 68 de la Constitution, chacun saura que, si la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et le Conseil constitutionnel établissent que le Président de la République a financé sa campagne dans des conditions irrégulières, celui-ci pourra alors être destitué et renvoyé devant les juges compétents pour juger des infractions d’une telle nature.
M. François Patriat. Très bien !
M. Gaëtan Gorce. Nous prouverions ainsi que l’impunité n’existe pas et que le manquement du Président de la République à ses devoirs est bien constitué. Voilà donc une raison supplémentaire d’engager ce débat et de voter ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Moi, j’adore recevoir des leçons et je dois avouer que, si M. Anziani n’a pas démérité dans l’exercice consistant à m’en adresser, M. Gorce y a excellé !
M. Alain Néri. Il a été très bon, Gorce !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Oui, aussi bon qu’un chou farci, monsieur Néri ! (Sourires sur les travées de l’UCR et de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Gaëtan Gorce. Monsieur le ministre, je ne vous suivrai pas sur ce terrain. Vous devriez élever le niveau !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ne vous inquiétez pas, je vais l’élever ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Nicole Bricq. Le chou farci lui reste sur l’estomac !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Voulez-vous bien me laisser parler ? (Brouhaha sur les mêmes travées.)
M. le président. Mes chers collègues, veuillez laisser M. le ministre s’exprimer !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Pour élever le débat, justement, permettez-moi de revenir à la Constitution de 1958. La question du statut juridictionnel du chef de l’État se pose au moins depuis 1958.
Personne ne vous a empêchés, lorsque vous déteniez la totalité du pouvoir,…
M. François Patriat. Nous n’étions pas majoritaires au Sénat !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … de réviser la Constitution pour régler cette question. Or vous n’avez rien fait ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)
M. Pierre-Yves Collombat. En 1958, le problème restait théorique ! Il ne s’est posé en pratique qu’à partir de la fin des années 1990 !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Comme d’habitude, monsieur Collombat, vous polémiquez et vous mélangez tout ! Très honnêtement, ce soir, vous vous êtes révélé être un polémiste médiocre !
M. Pierre-Yves Collombat. J’essayais de m’adapter à votre niveau !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je ne fais que constater cette vérité : depuis 1958 jusqu’à aujourd’hui, rien n’a été fait, alors que beaucoup aurait pu être fait ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Néri. Eh bien, rattrapons le temps perdu !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Si cela avait été fait, ce ne serait plus à faire.
Qui nous aura fait progresser sur cette question, même si ce fut peut-être de façon maladroite ou insuffisante, car je ne prétends pas que la situation actuelle soit parfaite ? Qui ? Mon rôle ne consiste pas à dénigrer les parlementaires qui siègent à gauche ni à vanter la perfection de ceux qui siègent à droite…
M. Alain Néri. D’autant que ce serait une erreur !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … – telle n’a jamais été ma façon de faire, monsieur Néri, et je ne vais pas commencer ce soir, quelles que soient vos provocations, dont je reconnais parfois l’efficacité –, mais force est de reconnaître que vous n’avez rien fait, que vous n’avez rien changé. Ceux qui ont agi, peut-être de façon un peu lente ou incomplète, ce sont les membres de la majorité. Car, si la majorité est devenue minorité au Sénat, elle reste la majorité présidentielle. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Catherine Troendle. Eh oui !
M. Charles Revet. Et elle sera la majorité demain !
M. Daniel Raoul. Parlons-en !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Sûrement pas vous !
On peut parler de la décision rendue en 1999 par le Conseil constitutionnel, présidé alors par M. Roland Dumas. C’est bien elle qui a suscité beaucoup de réactions, en raison des énormités qu’elle contenait et qui ont bien montré qu’il fallait agir. Cela, il faut aussi le dire aussi ! Parce que vous avez beaucoup parlé de M. Badinter, pour lequel j’éprouve un immense respect, mais quand on remplace Badinter par Dumas, ça en dit long sur l’idée que l’on se fait du droit ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV. – Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Ça, c’est nul !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Parlons des ministres de votre gouvernement, si vous voulez !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je suis prêt à tout entendre, mais il ne faut pas non plus exagérer !
M. Daniel Raoul. Pas d’attaques ad hominem !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ce que je viens de dire correspond à la réalité ! J’accepte de recevoir des leçons et je l’ai fait tout au long de ce débat, mais je vous réponds simplement que rien n’a été fait lorsque vous aviez la possibilité d’agir.
Aujourd’hui, nous essayons, nous, d’agir, parce que c’est nécessaire, et j’espère que nous trouverons, avec la majorité nouvelle du Sénat, le moyen de parvenir à la rédaction d’un texte organique. En effet, nos positions respectives ne sont pas si éloignées et je souhaite que, au terme de la procédure, nous obtenions un texte de loi organique à la rédaction duquel chacun aura pris sa part et qui rendra applicable l’article 68 de la Constitution.
Je ne peux cependant pas accepter qu’on reproche à notre majorité de ne rien faire tout en prétendant que la gauche ferait tout toute seule, et cela tout simplement parce que c’est faux ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Ce n’est pas une raison pour s’en prendre aux absents !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Nous connaissons le calendrier parlementaire. Demain, la commission des lois de l’Assemblée nationale examinera le projet de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution, mais aucune inscription de ce texte à l’ordre du jour n’est encore prévue. Or nous savons que la session s’achèvera en février et que de très nombreux textes attendent d’être inscrits.
Vous savez très bien, monsieur le ministre, qu’il est possible d’organiser la discussion conjointe de plusieurs textes. Ainsi, demain, notre commission des lois examinera trois propositions de loi portant sur la question des armes à feu, qui émanent toutes trois du groupe UMP et qui ont toutes trois été inscrites à l’ordre du jour.
De même, en ce qui concerne les collectivités territoriales, il serait tout à fait possible d’examiner en même temps la proposition de loi que le Sénat vient d’adopter et celle qu’a présentée par M. Pélissard, car elles sont convergentes.
M. Jean-Jacques Hyest. Non ! Il ne faut pas exagérer !
M. Pierre Hérisson. Pas si vite !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est un autre débat, je vous l’accorde !
Je vous demande simplement, monsieur le ministre, si vous envisagez – ce qui serait judicieux ! – d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale la discussion conjointe de la présente proposition de loi et du projet de loi organique, de manière à gagner du temps. Ainsi, il y aurait une lecture au Sénat, ce soir, puis une à l’Assemblée nationale, et nous pourrions nous acheminer enfin vers l’adoption de cette loi organique. J’ai cru comprendre que cela ne vous paraissait pas impossible, monsieur le garde des sceaux… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Hyest et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, M. Zocchetto et les membres du groupe UCR, d’une motion n°5 rectifiée.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution (n° 85, 2011-2012)
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour la motion.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, même pour ceux qui sont rompus depuis longtemps à la procédure parlementaire, l’examen, ce soir, de la proposition de loi organique présentée par M. Patriat et certains de ses collègues constitue sans doute – mais c’est normal, puisque le Sénat a changé de majorité –, …
M. Jean-Jacques Mirassou. Il faudra bien vous y habituer !
M. Jean-Jacques Hyest. … une novation…
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Non, une « innovation » !
M. Jean-Jacques Hyest. … une novation – je le maintiens – dans nos rapports avec l’Assemblée nationale et avec le Gouvernement, qui s’apparentent plus à une « course à l’échalote » qu’au dialogue nécessaire pour aboutir à un texte commun.
Monsieur le président Sueur, il n’existe effectivement pas de hiérarchie entre les propositions de loi et les projets de loi ; en revanche, une différence fondamentale demeure : une assemblée ne peut pas obliger l’autre à examiner les propositions de loi qu’elle a adoptées, alors que le Gouvernement est maître de l’ordre du jour.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Le Gouvernement peut donc inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour !
M. Jean-Jacques Hyest. À partir du moment où le Gouvernement a déposé un projet de loi organique devant l’Assemblée nationale – on vous a expliqué pourquoi –, je ne vois pas au nom de quoi il changerait d’avis et chercherait à faire plaisir à la nouvelle majorité du Sénat, car, jusqu’à preuve du contraire, il n’a aucune raison de lui faire plaisir !
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Jean-Jacques Hyest. Mes chers collègues, certes, nous avions déjà examiné cette proposition de loi, …
M. Pierre-Yves Collombat. De loin ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest. … et décidé de la renvoyer à la commission des lois, dans l’espoir, compte tenu de l’engagement du Gouvernement, de voir déposer un projet de loi ; sinon, le Sénat aurait repris son examen. Tel était le cadre dans lequel nous nous trouvions.
Le caractère paradoxal de la séance de ce soir tient au fait que, depuis la fin de 2010, un projet de loi a bien été déposé par le Gouvernement, et il doit être examiné dans les prochains jours par l’Assemblée nationale.
M. Charles Revet. Demain !
M. Jean-Jacques Hyest. Il sera examiné demain par la commission des lois de l’Assemblée nationale, mais c’est la séance publique qui est importante !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Sur ce point, nous ne sommes pas fixés !
M. François Patriat. Elle ne sera pas inscrite avant l’été !
M. Jean-Jacques Hyest. Je souhaite donc, monsieur le ministre, que vous insistiez auprès de qui de droit pour que nous sortions de cette incongruité inconstitutionnelle qui fait que des lois organiques d’application de la Constitution ne sont toujours pas votées après plus de quatre ans !
M. Gaëtan Gorce. Mais que faisait la commission des lois pendant tout ce temps ?
M. Jean-Jacques Hyest. Nous, nous pouvons nous plaindre de cette situation, mais pas ceux qui n’ont pas voté la révision constitutionnelle de 2007 !
Je pense que nous aurons à examiner prochainement le texte de ce projet de loi organique, tel qu’il sortira des débats de l’Assemblée nationale. Autrement dit, si nous votons ce soir la proposition de loi qui nous est soumise, elle restera « en l’air » et nous devrons reprendre nos travaux.
Bien entendu, et selon l’usage en vigueur au Sénat, nous serons favorables, lorsque nous examinerons le projet de loi, à l’idée de joindre la présente proposition de loi au débat. Mais je m’interroge vraiment sur vos intentions, chers collègues de la majorité ! Je note d’ailleurs, que le rapporteur et président de la commission des lois s’est bien aperçu de l’absurdité de la situation puisqu’il a intégré lui-même dans le texte de la proposition de loi plusieurs dispositions du projet de loi organique,…
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Nous avons simplement fait preuve d’ouverture d’esprit !
M. Jean-Jacques Hyest. … même si le rapport cite ce projet de loi au passé – « comme le proposait le texte gouvernemental » –, alors qu’il fallait bien évidemment employer le présent ! Pour un grammairien, vous avouerez que ce n’est pas très fort ! (M. Alain Néri s’exclame vivement.)
M. François Patriat. Vous avez perdu toute objectivité !
M. Jean-Jacques Hyest. C’est un fait, mon cher collègue : le rapport de la commission des lois évoque le projet de loi organique au passé !
Par ailleurs, le rapporteur a aussi supprimé toutes les dispositions de la proposition de loi qui étaient redondantes avec le texte de la Constitution.
Certains propos que j’ai entendus – pas ceux de M. Patriat, qui étaient parfaitement mesurés, mais, par la suite, le discours a franchement déraillé ! – ont révélé une confusion totale entre la responsabilité pénale du chef de l’État, visée à l’article 67 de la Constitution – même si vous ne l’avez pas approuvé, il a été voté par une majorité au Congrès et il fait désormais partie du texte de la Constitution, mais cet article n’est pas en cause aujourd'hui puisqu’il s’applique de lui-même – et la destitution, visée à l’article 68 de la Constitution, en cas de manquement du Président de la République « à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».
Nous avons pu bénéficier du cours de droit du doyen Gélard, qui a démontré la nécessité de créer cette procédure exceptionnelle et extraordinaire,…
M. Jean-Jacques Mirassou. Encore heureux !
M. Jean-Jacques Hyest. … de nature politique.
Mais je ne sais pas à quels cas elle pourrait s’appliquer. Peut-être à certains cas de priapisme aggravé… (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. Jean Bizet. Ça peut !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Étrange…
M. Jean-Jacques Hyest. Ceux qui veulent comprendre comprendront !
M. Gaëtan Gorce. Belle preuve d’élégance !
M. Jean-Jacques Hyest. Il faut que cette procédure reste exceptionnelle, pour ne pas déstabiliser en permanence nos institutions.
Certains amendements qui ont été déposés – mais la commission des lois les a rejetés – sont dangereux, car ils n’ont pour objet que de mettre en cause en permanence, politiquement et surtout médiatiquement, le Président de la République. Nous en avons eu ce soir l’illustration à de nombreuses reprises. Si c’est cela que vous voulez et si c’est la raison pour laquelle vous avez inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour, nous vous mettons en garde !
En tout état de cause, même si les motions de procédure sont parfois utilisées pour allonger les débats ou retarder le vote des textes… (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Oh, vous conviendrez, chers collègues de la majorité sénatoriale, que vous avez à cet égard largement déployé, par le passé, l’éventail de votre imagination ! Nous ne pourrons que difficilement nous élever à votre niveau !
Quoi qu'il en soit, la motion que je défends au nom du groupe UMP et du groupe Union centriste et républicaine, et tendant à opposer la question préalable, se justifie parfaitement, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer. Puisque nous serons amenés à discuter du projet de loi en cours d’examen à l’Assemblée nationale, auquel sera jointe la présente proposition de loi déjà fortement amendée par la commission, il n’y a pas lieu de délibérer ce soir.
M. Gaëtan Gorce. Quels engagements avez-vous obtenus en termes de calendrier de la part du Gouvernement !
M. Jean-Jacques Hyest. Méfiez-vous, mes chers collègues ! Nous refusons que notre ordre du jour soit instrumentalisé : alors qu’une excellente proposition de loi consensuelle sur la contrefaçon, sur laquelle avait notamment travaillé nos collègues Richard Yung et Laurent Béteille, aurait pu être discutée ce soir…
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Il fallait l’examiner cet après-midi ! Nous avons perdu deux heures !
M. Jean-Jacques Hyest. Vous deviez inscrire cette proposition de loi au nom de la commission, mais vous avez préféré la proposition de loi organique !
Mme Catherine Troendle. Exactement !
M. Jean-Jacques Hyest. En fait, vous instrumentalisez l’ordre du jour ! La plupart du temps, vous voulez détricoter toutes les lois qui ont été votées précédemment…
M. Alain Anziani. Nous voulons surtout respecter la Constitution !
M. Jean-Jacques Hyest. … pour tenter de faire croire que vous détenez seuls la vérité.
En fait, le débat de ce soir ne sera qu’un exercice de style politicien assez dérisoire : nous n’y participerons pas ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, contre la motion.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur Hyest, votre question préalable est une question dilatoire, vous le savez bien.
Pour ce qui est de la proposition de loi relative à la contrefaçon, je tiens à vous rassurer, mon cher collègue, nous pourrons l’introduire dans la proposition de loi Warsmann 4…
Je ne reviendrai pas sur le calendrier ni sur les cinq ans qui se sont écoulés. Durant cette période, monsieur le garde des sceaux, vous l’avez dit, mais sans en tirer les vraies conséquences, la « substantifique moelle » en quelque sorte, le Gouvernement a présenté cinq projets de loi organique destinés à rendre applicable la réforme constitutionnelle de 2008 – ne manque plus que celle qui a trait au référendum dit « d’initiative populaire ». Pourquoi ne pas avoir fait les choses dans l’ordre et permis d’abord l’application de la réforme constitutionnelle de 2007 ?
Cette réforme est intervenue dans une atmosphère de fin de règne, un règne « assiégé » par les procédures judiciaires. Le Président de la République de l’époque, avec, il faut bien le dire, la complicité active du président du Conseil constitutionnel et de quelques professeurs de droit, a fait voter une réforme qui n’a aucun sens.
L’article 67 de la Constitution, tout le monde l’a dit, notamment M. Collombat, est très critiquable en ce qu’il confond la personne du chef de l’État et la personne privée. Les procédures civiles, notamment en matière de droit de la famille, les procédures commerciales et administratives concernent évidemment la personne privée.
M. Jean-Jacques Hyest. Cela n’a rien à voir avec le sujet !
M. Jean-Pierre Michel. Si des problèmes de garde d’enfant surviennent entre le chef de l’État et ses deux ex-épouses, cela ne concerne pas ses fonctions de chef de l’État. L’article 67 est, par conséquent, mauvais.
Quant à l’article 68, qui était une sorte de compensation, il serait inconstitutionnel s’il n’était dans la Constitution ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Car enfin, comment peut-on accepter, dans l’esprit de la Constitution de la Ve République, que la responsabilité politique – car il ne s’agit pas d’un jugement pénal – du Président de la République soit mise en cause par le Parlement constitué en Haute Cour, autrement dit, comme l’a fort justement souligné le doyen Gélard, par le Congrès ? Comment peut-on accepter que le Parlement, sur une question déterminée par un pourcentage de députés et de sénateurs, destitue le chef de l’État, mais que celui-ci puisse faire appel devant le peuple en se portant à nouveau candidat pour être élu au suffrage universel. Au reste, même s’il ne fait pas appel devant le peuple, il pourra, même après avoir été destitué, siéger au Conseil constitutionnel…
Cet article n’a donc aucun sens au regard de l’édifice constitutionnel !
Si l’actuel Président de la République n’avait pas l’intention de l’appliquer, il pouvait très facilement modifier l’article 68 en 2008. Il était parfaitement possible de réfléchir à un autre dispositif. Or il ne l’a pas fait ! On a préféré laisser le temps s’écouler, avant que, en toute fin de mandature, pressé d’agir par la commission des lois du Sénat et par vous-même, monsieur Hyest – il suffit de reprendre vos propos –,…
M. Jean-Jacques Hyest. Je ne retire rien à ce que j’ai dit !
M. Jean-Pierre Michel. … le Gouvernement dépose dans la précipitation un projet de loi organique, qui méritera certainement d’être revu.
Votre prédécesseur, monsieur le garde des sceaux, avait demandé que la présente proposition de loi soit renvoyée en commission et la majorité sénatoriale avait naturellement suivi le Gouvernement, ce qui est au demeurant tout à fait normal – j’ai souvent agi de même. Le texte a donc été renvoyé à la commission des lois. Au bout d’un an, elle a considéré qu’elle avait assez travaillé, assez attendu le projet de loi organique promis, et elle a décidé de présenter un texte, celui que nous examinons en cet instant et qui a d’ailleurs fait l’objet d’ajustements jusqu’à ce matin même.
Mais vous nous dites une fois de plus que le vote de ce texte n’est pas opportun parce que la commission des lois de l’Assemblée nationale va examiner demain le projet de loi organique du Gouvernement ! Au demeurant, nous ne savons pas quand ce projet de loi viendra en séance publique ! Je note d’ailleurs que M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, qui a fait une courte apparition dans l’hémicycle, est déjà parti. Je le regrette, car s’il était resté, je n’aurais pas manqué de lui demander quand il comptait l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. C’est sans doute la raison pour laquelle il n’a pas souhaité s’attarder… Courage, fuyons ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Ce soir, il est de notre responsabilité de voter un texte qui, après son passage en commission, est devenu assez consensuel.
M. Jean Bizet. Pas tout à fait !
M. Jean-Pierre Michel. Ainsi, le Gouvernement pourra joindre les deux textes. À l’issue des deux lectures, la loi organique pourra être adoptée rapidement, afin d’être applicable au prochain chef de l’État, quel qu’il soit.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, nous nous opposons à la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Il va de soi, monsieur le président, que la commission souhaite le rejet de cette motion.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Je formulerai brièvement deux remarques.
Je dirai d’abord à M. le garde des sceaux que le problème se pose effectivement depuis 1958. Cependant, jadis, c’était un problème juridique, certes excitant, mais purement théorique. C’est devenu un problème pratique à la fin des années 1990, quand les affaires de la mairie de Paris sont arrivées sur le devant de la scène. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Mme Sophie Primas. Et Mitterrand ?
M. Pierre-Yves Collombat. Le problème pratique s’est-il posé avant cette date ? Non !
M. Alain Fouché. Et comment cela se passait-il à l’époque du Président Mitterrand ?
M. Pierre-Yves Collombat. En outre, jusqu’à l’actuel chef de l’État, je n’ai pas connaissance que des Présidents de la République aient agi en justice dans des affaires privées. Ce n’est plus le cas, ainsi que je l’ai dit tout à l'heure en vous livrant un petit échantillonnage.
Ce n’est donc plus seulement un problème de droit que l’on peut laisser à l’analyse des spécialistes dans les rayons d’une bibliothèque : c’est devenu un véritable problème de morale publique. Nous sommes, par conséquent, obligés d’y apporter une réponse. (Mme Colette Giudicelli et plusieurs autres membres du groupe UMP s’exclament.)
Ensuite, trouvez-vous particulièrement satisfaisante la façon dont se déroulent – ou essayent de se dérouler – les procès intentés à l’ancien Président de la République, sur des faits qui remontent à loin ? La méthode adoptée vous paraît-elle bonne ? À mon sens, elle ne l’est pas !
La discussion de ce soir aura au moins le mérite, si nous parvenons à nous écouter, de poser le problème et de mettre en évidence que la solution votée par le Congrès en 2007 n’est pas bonne !
M. Christophe Béchu. Il n’est pas nécessaire de discuter une proposition de loi organique pour cela !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle, pour explication de vote.
Mme Catherine Troendle. Nous avons bien compris l’importance particulière que revêtait ce texte pour la nouvelle majorité sénatoriale. Il est heureux, cependant, que le scrutin public ordinaire soit de droit, car si nous devions procéder aujourd'hui à un vote à main levée, je crois que vous ne seriez plus majoritaires, chers collègues de gauche…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Voilà une remarque qui fait vraiment avancer le débat !
Mme Catherine Troendle. Je m’interroge donc sur le manque de mobilisation dans vos rangs !
Cela étant dit, bien entendu, nous voterons pour la motion défendue par Jean-Jacques Hyest. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quand on songe au nombre de fois où, dans le passé, la droite a dû recourir à des scrutins publics pour avoir la majorité !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 5 rectifiée, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Je rappelle que la commission demande le rejet de cette motion, tandis que le Gouvernement en souhaite l’adoption.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 38 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 345 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 173 |
Pour l’adoption | 169 |
Contre | 176 |
Le Sénat n'a pas adopté.
(Mmes et MM. les sénateurs de l’UMP et de l’UCR quittent l’hémicycle.)
M. le président. Nous passons à la discussion des articles.
M. Alain Néri. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé…
Article 1er
Une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour doit être signée par au moins un dixième des membres de l'assemblée devant laquelle elle est déposée.
Elle est motivée.
Un député ou un sénateur ne peut être signataire de plus d'une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour au cours du même mandat présidentiel.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
au moins un dixième des membres de l’assemblée devant laquelle elle est déposée
par les mots :
un groupe politique de l’assemblée devant laquelle elle est déposée ou par un dixième des membres de celle-ci
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement a été repoussé en commission des lois, mais je tiens à le défendre malgré tout.
La Constitution reconnaissant explicitement les groupes politiques, il paraît logique de leur conférer le droit de déposer une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour. Je m’en suis expliquée lors de mon intervention dans la discussion générale.
En quoi le fait, pour un groupe politique parlementaire, d’engager une telle procédure relèverait-il ou risquerait-il de relever d’une manœuvre politicienne, alors que ce ne serait pas le cas dès lors que cette procédure serait engagée par une trentaine ou une cinquantaine de parlementaires, sans qu’il soit fait référence à leur appartenance à un groupe ? J’avoue que l’argumentation que l’on nous oppose ne me convainc absolument pas.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement et je tiens à exposer publiquement les raisons de cette position.
Nous n’avons évidemment aucune prévention à l’égard de la politique. Nous en faisons tous et nous sommes fiers d’en faire. L’acte politique est un acte citoyen et républicain. Il ne s’agit donc pas du tout de porter atteinte à la politique.
Nous sommes en revanche en désaccord avec le fait qu’un groupe politique puisse, en tant que tel, demander la saisine de la Haute Cour, car nous considérons que, si un parlementaire demande la saisine de la Haute Cour, c’est parce qu’il a l’intime conviction qu’il faut procéder à cet acte grave pour le bien de la République. Une telle démarche doit aller au-delà des clivages politiques existant au sein d’une assemblée.
Parmi les parlementaires qui demanderont la saisine, il pourra y avoir des représentants de groupes très divers, de la majorité ou de l’opposition. Il s’agit en effet d’une question morale lourde – les intérêts de la République sont en jeux –, celle de l’incapacité du chef de l’État à exercer ses fonctions en raison de ses manquements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
La Conférence des présidents de l’assemblée concernée se réunit dans un délai de six jours à compter du dépôt sur le bureau de celle-ci de la proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour.
Si la proposition de résolution satisfait aux conditions de recevabilité, elle est inscrite de droit à l’ordre du jour de l’assemblée concernée dans un délai qui ne peut excéder quinze jours à compter du dépôt de cette proposition.
La proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l’autre assemblée. Elle est inscrite de droit à son ordre du jour, au plus tard le treizième jour suivant cette transmission. Le vote intervient de droit, au plus tard, le quinzième jour.
Le vote des assemblées sur la proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour fait l’objet d’un scrutin public.
Le rejet de la proposition de résolution par l’une des deux assemblées met un terme à la procédure. – (Adopté.)
Article 3
Le président de l’Assemblée nationale préside la Haute Cour.
En cas de saisine de la Haute Cour, le bureau de celle-ci se réunit aussitôt. Il est composé de vingt-deux membres désignés, en leur sein et en nombre égal, par le bureau de l'Assemblée nationale et par celui du Sénat. Son président est celui de la Haute Cour.
Le bureau organise les conditions du débat et du vote, prend toute décision qu’il juge utile à l’application de l’article 68 de la Constitution.
Ses décisions s’appliquent de plein droit et ne sont susceptibles d’aucun recours. – (Adopté.)
Article 4
En cas de saisine de la Haute Cour, il est institué une commission, chargée de recueillir toute information nécessaire à l'accomplissement de sa mission par la Haute Cour. La commission comprend douze membres élus, selon la représentation proportionnelle au plus fort reste des groupes, en leur sein et en nombre égal, par l'Assemblée nationale et par le Sénat après chaque renouvellement total ou partiel de ces assemblées. Elle élit parmi ses membres son président et désigne un rapporteur.
Elle dispose des mêmes prérogatives que celles reconnues aux commissions d’enquête. Le Président de la République peut être entendu soit à sa demande, soit à la demande de la commission. Dans les deux cas, il peut se faire assister d’un conseil de son choix.
Le rapporteur établit un rapport écrit qu’il soumet à la commission. Ce rapport est transmis à la Haute Cour après son approbation par la commission.
La commission dispose d’un délai de quinze jours à compter de l'adoption de la résolution pour mener à bien ses travaux.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Monsieur le président, trois amendements ont été déposés sur cet article et font l’objet d’une discussion commune. Je demande que, parmi ces amendements, l’amendement n° 6, qui émane de la commission, soit examiné par priorité.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
M. le président. La priorité est de droit.
Je suis donc saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 6, présenté par M. Sueur, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 1, deuxième phrase
1° Remplacer le mot :
douze
par le mot :
vingt
2° Après les mots :
plus fort reste
Insérer les mots :
, dans le respect du pluralisme
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Si j’ai sollicité l’examen en priorité de l’amendement n° 6, qui a été élaboré ce matin en commission à l’issue d’une longue discussion, c’est parce qu’il prend en compte une partie des préoccupations à la fois de M. Collombat et de Mme Borvo, auteurs des deux autres amendements de cette discussion commune.
Mme Borvo souhaitait que les groupes politiques soient représentés au sein de la commission chargée de procéder à l’instruction de la demande de destitution. Nous avons proposé d’inscrire que la composition de la commission se ferait à parité entre l’Assemblée nationale et le Sénat « dans le respect du pluralisme des groupes ». Cette formule est tout à fait claire.
Afin d’atteindre cet objectif, eu égard au fait que nous examinerons bientôt la demande de réduire à dix le nombre de parlementaires nécessaires à la formation d’un groupe, il nous est apparu nécessaire d’augmenter le nombre de membres de la commission et de le porter de douze à vingt. On peut penser que ce nombre permettra, d’une part, le respect du pluralisme des groupes et, d’autre part, celui de la proportionnalité entre les groupes.
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 1, deuxième phrase
Remplacer cette phrase par trois phrases ainsi rédigées :
La commission comprend vingt-deux membres. Chaque groupe politique des deux assemblées est représenté par au moins un siège. Les sièges restant sont répartis à la représentation proportionnelle au plus fort reste des groupes en leur sein en veillant au respect d’une représentation égale de l’Assemblée et du Sénat au sein de la commission.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je n’ai rien à ajouter, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Chevènement, Collin et Fortassin, Mme Laborde et MM. Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 1, deuxième phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
La commission comprend seize membres élus à la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat, en leur sein et en nombre égal par chaque assemblée après chaque renouvellement total ou partiel de ces assemblées. Lorsque la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée nationale ou du Sénat n’a pas été acquise au premier ou au deuxième tour de scrutin, les membres de la commission sont élus au troisième tour selon la représentation proportionnelle au plus fort reste des groupes.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Bien sûr, j’apprécie la volonté de synthèse du président et rapporteur de la commission des lois.
Je souhaite néanmoins dire que, compte tenu de la mission de la Haute Cour, il est souhaitable que la composition de la commission soit aussi peu contestable que possible. À cet effet, cet amendement vise à prévoir, pour la désignation des membres de cette commission, un vote à la majorité qualifiée des deux tiers, susceptible de traduire un certain consensus.
Telle était d’ailleurs la conclusion à laquelle mes collègues et moi étions arrivés à l’issue d’une discussion sur des questions de déontologie et de conflits d’intérêts après que nous nous fussions demandé comment faire pour que ceux qui sont appelés à juger soient le plus possible objectifs, le moins possible partisans.
L’avis de Jean-Pierre Sueur sur l’amendement n° 3 de Mme Borvo allait d’ailleurs dans ce sens : le problème n’est pas d’ordre politique au sens banal du terme.
L’amendement n° 1 rectifié vise donc à rechercher, dans un premier temps, un quasi-consensus. Si cela n’est pas possible, il prévoit une élection à la proportionnelle.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, les amendements nos 4 et 1 rectifié n'ont plus d'objet.
Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
Les débats de la Haute Cour sont publics.
Seuls peuvent y prendre la parole le Président de la République et son conseil, le Gouvernement et les membres de la Haute Cour. Le Président de la République et son conseil peuvent reprendre la parole en dernier avant la clôture des débats.
Le vote sur la destitution intervient dans un délai d’un mois à compter de l’adoption par les deux assemblées de la proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour.
La Haute Cour est dessaisie si elle n'a pas statué dans le délai d'un mois fixé au troisième alinéa de l'article 68 de la Constitution.
M. le président. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Chevènement, Collin et Fortassin, Mme Laborde et MM. Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
La Haute Cour statue impérativement sur la destitution dans un délai d’un mois à compter de l’adoption par les deux assemblées de la proposition de résolution tendant à sa réunion.
II. – Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Je suis très intrigué par le quatrième alinéa de l’article 4, qui prévoit que la Haute Cour est dessaisie si elle n’a pas statué dans le délai d’un mois fixé au troisième alinéa de l’article 68 de la Constitution.
La Haute Cour a une mission et tranche impérativement dans un délai d’un mois. Il n’est tout de même pas bien difficile de voter dans un sens ou dans un autre ! Je ne vois donc pas pourquoi elle serait dessaisie ! J’ai un peu de mal à comprendre le sens de cet article, mais peut-être son auteur va-t-il me l’expliquer…
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement.
Il faut tout de même imaginer quelle serait la situation de notre pays dans le cas où se poserait la question de savoir si le chef de l’État doit ou non être destitué… Il me semble que, dans l’intérêt de la République, un tel débat ne devrait pas s’éterniser. C’est pourquoi la Constitution a prévu un délai d’un mois.
Il n’y a pas contradiction, monsieur Collombat, entre l’obligation pour la Haute Cour de statuer, conformément à la Constitution, dans un délai d’un mois et la conséquence que prévoit le texte de la commission des lois en cas de dépassement de ce délai, à savoir le dessaisissement de la Haute Cour.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique, je donne la parole à M. François Patriat, pour explication de vote.
M. François Patriat. Lorsque Robert Badinter et moi-même avons déposé ce texte, j’en ai conçu une fierté en tant qu’élu, mais également une fierté démocratique.
En effet, même si je ne suis pas juriste, même si je ne suis pas constitutionnaliste, il m’était apparu, comme d’ailleurs à un certain nombre de parlementaires de droite, qu’il y avait un vide et qu’il convenait d’agir pour rétablir un équilibre dans notre Constitution.
Lorsque j’ai déposé cette proposition de loi organique, je l’ai fait sans esprit partisan – et je crois que, ce soir, tous ceux qui sont présents dans l’hémicycle sont dans les mêmes dispositions. Car cette proposition de loi n’a rien de politique au sens partisan du terme.
Ce soir, ce n’est pas une victoire d’un camp sur l’autre, de la gauche sur la droite. Ce n’est pas une victoire clanique. C’est une victoire de la démocratie, et elle est à l’honneur de la majorité sénatoriale.
Celle-ci a porté ce texte avec, je le crois, une volonté d’ouverture et de respect. Elle a considéré qu’il y avait là une chance de régler cette question avant la fin de la législature, afin que le prochain Président de la République, quel qu’il soit, puisse bénéficier d’un statut juridiquement solide, qui le protège tout en maintenant sa responsabilité.
Je suis également convaincu que cette proposition de loi organique aura servi d’accélérateur à la mise en application de l’article 68 de la Constitution, puisque le projet de loi organique déposé le 22 décembre 2010 à l’Assemblée nationale voit son examen enfin hâté, la commission des lois de l’Assemblée nationale étant appelé à l’examiner ce mercredi matin.
Je souhaite vivement, comme Jean-Pierre Sueur, que soit saisie l’occasion de discuter les deux textes, proposition de loi du Sénat et projet de loi, en même temps.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Bien sûr !
M. François Patriat. Ne pourrions-nous pas, dans un même élan démocratique,…
M. Jean-Pierre Michel. Et républicain !
M. François Patriat. … nous efforcer d’aboutir à un texte qui permettrait de clore ce dossier ? Ce serait à l’honneur de tous et nous aurions fait œuvre utile.
Le doyen Gélard se demandait tout à l’heure ce que nous faisions ici. Eh bien, nous faisons notre travail de parlementaires, et je crois que, ce soir, nous l’avons fait avec honneur et dignité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 39 :
Nombre de votants | 177 |
Nombre de suffrages exprimés | 177 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 89 |
Pour l’adoption | 176 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
9
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 15 novembre 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-214 et 2011-215 QPC).
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 16 novembre 2011 :
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
1. Proposition de loi garantissant le droit au repos dominical (n° 794 rectifié, 2010-2011).
Rapport de Mme Annie David, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 89, 2011 2012).
Texte de la commission (n° 90, 2011-2012).
2. Proposition de loi visant à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d’art de rétablissement des voies (n° 745 rectifié, 2010-2011).
Rapport de M. Christian Favier, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (n° 71, 2011-2012).
Texte de la commission (n° 72, 2011-2012).
À dix-huit heures trente, le soir et la nuit, jusqu’à zéro heure trente :
3. Proposition de loi relative à l’abrogation du conseiller territorial (n° 800, 2010-2011).
Rapport de M. Gaëtan Gorce, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (n° 87, 2011 2012).
Texte de la commission (n° 88, 2011-2012).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 16 novembre 2011, à zéro heure cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART