M. le président. L'amendement n° 48, présenté par M. Daudigny, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Avant l’article 63
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au I de l’article 1635 bis Q du code général des impôts, le mot : «, sociale » est supprimé.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Le collectif budgétaire de juillet 2011 a introduit une contribution de 35 euros pour toute procédure judiciaire introduite en matière civile, commerciale, prud’homale, sociale ou rurale. Cette mesure nous paraît particulièrement choquante pour les instances en matière de sécurité sociale ou d’incapacité. Cet amendement a donc pour objet de la supprimer pour l’aide juridique en matière de contentieux de la sécurité sociale.
En effet, depuis la loi de 1946, les procédures contentieuses en matière de sécurité sociale sont gratuites et sans frais. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé une circulaire du ministère de la justice du 30 septembre 2011, aux termes de laquelle ne sont pas concernées par la contribution de 35 euros les procédures devant le tribunal des affaires de sécurité sociale et le tribunal du contentieux de l’incapacité, ainsi que devant les instances d’appel ou de contentieux.
Au travers de cet amendement, la commission propose donc de supprimer explicitement l’assujettissement des contentieux de sécurité sociale à cette contribution, afin d’éviter tout doute dans l’application de la loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. René Teulade, pour explication de vote.
M. René Teulade. Comme vient de l’exposer M. le rapporteur général, il est selon nous indispensable d’éclaircir les dispositions en vigueur en supprimant le mot « sociale » de l’article instituant une contribution de 35 euros pour toute procédure judiciaire, nonobstant sa caducité de fait.
Nous voterons donc en faveur de cet amendement.
Néanmoins, nous souhaitons revenir brièvement sur l’instauration de cette contribution pour les autres procédures, qui avait été votée en catimini, lors d’un collectif budgétaire, en plein mois de juillet. En effet, une fois de plus, sous prétexte de vouloir résorber les déficits publics, c’est toute une partie de la population que l’on pénalisera.
Cette mesure, particulièrement choquante en matière de sécurité sociale et d’incapacité, l’est tout autant en matière prud’homale. L’accès à la justice était déjà difficile pour de nombreux salariés démunis et intimidés par les lourdeurs procédurales, d’ailleurs accentuées par la nouvelle carte judicaire. Dorénavant, ce le sera encore plus, en raison de l’obligation d’acquitter une somme de 35 euros.
Cette contribution aura des conséquences négatives sur l’accès au juge par les citoyens. À ce titre, elle porte atteinte à un certain nombre de droits et principes fondamentaux, tels que le droit d’accès à la justice et au juge, le droit à un recours juridictionnel effectif, le principe constitutionnel d’égalité devant la justice ou encore le principe d’égalité devant l’impôt et les charges publiques.
Inclure un paramètre financier dans l’accès à la justice n’est jamais bénéfique. Il nous faut éviter l’écueil d’une justice à plusieurs vitesses, comme il en existe aux États-Unis. Or cette contribution est exactement le genre de mesure qui ouvre la boîte de Pandore.
Soucieux de respecter la procédure, nous ne déposons évidemment aucun amendement de suppression plus large, qui se révélerait être un cavalier législatif. Néanmoins, nous voulions vivement rappeler que cette contribution n’est pas une bonne solution pour rendre le financement de l’aide juridictionnelle pérenne.
En revanche, je vous informe que nos collègues de la commission des finances s’attelleront à cette question lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2012.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 63.
Article 63
I. – L’article L. 114-17 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;
2° Le sixième alinéa est ainsi modifié :
a) La deuxième phrase est complétée par les mots : « dans un délai fixé par voie réglementaire » ;
b) La dernière phrase est complétée par les mots : « ou les modalités selon lesquelles elle sera récupérée sur les prestations à venir » ;
3° À la fin de la première phrase du huitième alinéa, les mots : « la juridiction administrative » sont remplacés par les mots : « le tribunal des affaires de sécurité sociale » ;
4° La deuxième phrase du neuvième alinéa est supprimée ;
5° Après le neuvième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« La pénalité peut être recouvrée par retenues sur les prestations à venir. Il est fait application, pour les retenues sur les prestations versées par les organismes débiteurs de prestations familiales, des articles L. 553-2 et L. 835-3 du présent code, de l’article L. 262-46 du code de l’action sociale et des familles et de l’article L. 351-11 du code de la construction et de l’habitation et, pour les retenues sur les prestations versées par les organismes d’assurance vieillesse, des articles L. 355-2 et L. 815-10 du présent code.
« Les faits pouvant donner lieu au prononcé d’une pénalité se prescrivent selon les règles définies à l’article 2224 du code civil. L’action en recouvrement de la pénalité se prescrit par deux ans à compter de la date d’envoi de la notification de la pénalité par le directeur de l’organisme concerné. »
II. – L’article L. 133-4 du même code est ainsi modifié :
1° La dernière phrase du huitième alinéa est supprimée ;
2° L’avant-dernier alinéa est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« Une majoration de 10 % est applicable aux sommes réclamées qui n’ont pas été réglées aux dates d’exigibilité mentionnées dans la mise en demeure. Cette majoration peut faire l’objet d’une remise. »
III. – Le IV de l’article L. 162-1-14 du même code est ainsi modifié :
1° Le b du 3° est ainsi modifié :
a) La première phrase est complétée par les mots : « ou les modalités selon lesquelles elle sera récupérée sur les prestations à venir » ;
b) À la fin de la seconde phrase, le mot : « administratif » est remplacé par les mots : « des affaires de sécurité sociale » ;
2° La deuxième phrase de l’avant-dernier alinéa est supprimée ;
3° Avant le dernier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« La pénalité peut être recouvrée par retenues sur les prestations à venir. Il est fait application pour les assurés sociaux de l’article L. 133-4-1.
« Les faits pouvant donner lieu au prononcé d’une pénalité se prescrivent selon les règles définies à l’article 2224 du code civil. L’action en recouvrement de la pénalité se prescrit par deux ans à compter de la date d’envoi de la notification de la pénalité par le directeur de l’organisme concerné. »
IV. – L’article L. 162-1-14-1 du même code est ainsi modifié :
1° Au neuvième alinéa, après le mot : « récidive », sont insérés les mots : « dans un délai fixé par voie réglementaire » ;
2° Après le onzième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les décisions prononçant les sanctions prévues au présent article peuvent être contestées devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. Quand ces sanctions consistent en des pénalités financières, elles sont recouvrées selon les modalités définies aux septième et neuvième alinéas du IV de l’article L. 162-1-14. »
V. – Le deuxième alinéa de l’article L. 162-1-14-2 du même code est ainsi modifié :
1° Après le mot : « notifiée », sont insérés les mots : « et recouvrée » ;
2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée :
« La pénalité peut être contestée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. »
VI. – À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 262-52 du code de l’action sociale et des familles, les mots : « pour la pénalité prévue à » sont remplacés par les mots : «, en matière de prestations familiales, aux sixième, septième, neuvième et dixième alinéas du I, à la seconde phrase du onzième alinéa du I et au II de ».
VII. – Les juridictions administratives demeurent compétentes pour connaître des recours formés devant elles contre les décisions prononçant les sanctions prévues aux articles L. 114-17 et L. 162-1-14 à L. 162-1-14-2 du code de la sécurité sociale et pendants à la date de promulgation de la présente loi.
VIII (nouveau). – Le premier alinéa des articles L. 355-3 et L. 723-13 et le dernier alinéa de l’article L. 815-11 du code de la sécurité sociale sont complétés par les mots : «, sauf en cas de fraude ou de fausse déclaration ».
M. le président. L’amendement n° 134 rectifié, présenté par Mmes Cohen et David, MM. Watrin, Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Répondant à la frange la plus droitière de la majorité, le Gouvernement a soutenu à l’Assemblée nationale la plupart des amendements de la Droite populaire sur la fraude sociale.
Ainsi, la figure mythique du fraudeur est de nouveau mise en avant. Où se cache-t-il ? Parmi les plus démunis, bien sûr ! Le Gouvernement semble décidé à stigmatiser les plus pauvres, qui seraient la source de tous nos maux. Or toutes les études le prouvent, la majorité des fraudes sont moins le fait des bénéficiaires d’allocations que des employeurs eux-mêmes.
Voyez-vous, mes chers collègues, nous aussi, nous sommes contre la fraude, car elle affaiblit notre pacte social. Toutefois, est-il besoin de le rappeler, la plus grande partie des fraudes sociales détectées, qui représentent au total 458 millions d’euros, porte sur les prestations perçues et non sur les prélèvements.
En réalité, cette fraude aux prélèvements, c’est-à-dire les cotisations patronales et salariales non versées en raison du travail illégal, serait d’un montant quatre fois supérieur à celui de la fraude aux prestations.
Ainsi, la priorité est véritablement de s’attacher à la lutte contre la fraude aux prélèvements, en particulier au travail dissimulé, qui représente le gisement de fraude le plus important. Ce n’est peut-être pas vendeur électoralement, mais c’est là qu’il faut agir, en proposant des mesures qui ne figurent pas dans cet article. C’est la raison pour laquelle nous proposons de supprimer ce dernier.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Je peux partager les considérations qui viennent d’être formulées sur toutes ces questions relatives à la fraude.
L’article 63, que l’amendement n° 134 rectifié vise à supprimer, contient essentiellement des mesures de simplification technique, notamment à l’égard des justiciables, en harmonisant les règles de contentieux entre les régimes et les caisses.
Il est en effet arrivé qu’une même personne, souhaitant contester une pénalité financière, ait à engager deux actions contentieuses devant deux juridictions différentes. Désormais, tout se fera devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. De même, sont simplifiés et harmonisés les modes de recouvrement des pénalités, des indus, ainsi que les prescriptions.
Au vu de ces différents éléments, je suis amené à solliciter le retrait de l’amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable, même si, je le répète, je comprends le point de vue général présenté par M. Watrin sur ce sujet.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, au moment où s’engage la discussion des articles relatifs à la fraude, je veux vous exposer très clairement ma conviction en la matière. Du reste, j’ai déjà eu l’occasion de le faire, ici même, en réponse à une question d’actualité posée au Gouvernement.
Pour moi, les fraudeurs sont des voleurs. Il n’y a pas d’autre mot. Je rejette toute idée de système D : ce n’est rien d’autre que du vol, dans la poche des Français.
Croyez-le, je m’attaque aux fraudeurs, quels que soient leurs statuts ou leurs situations. Et je mettrai la même énergie – j’y insiste – à m’en prendre à celui qui a un faux arrêt de travail et à celui qui l’a signé, à m’en prendre au faux chômeur et à celui qui le recrute.
L’entrepreneur qui fait tourner son entreprise uniquement avec du travail clandestin mérite la fermeture administrative de cette dernière. Une disposition votée dans le cadre de la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité me donne la possibilité d’agir en ce sens.
Mme Catherine Génisson. Ce n’est pas ce qui se passe aujourd’hui !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je n’hésiterai pas à y recourir aussitôt que les décrets d’application seront publiés.
J’en suis persuadé, les Français nous suivent largement dès lors que notre démarche est juste. La justice, en la matière, c’est de nous en prendre à celui qui fraude, quel que soit, je le répète, sa situation ou son statut.
Je ne me laisserai pas caricaturer. Cela fait suffisamment longtemps que je suis mobilisé sur ce sujet de la lutte contre la fraude – depuis 2004, précisément, quand j’ai fait pour la première fois mon entrée dans un gouvernement en tant que secrétaire d’État à l’assurance maladie.
Tout ce que je sais sur la fraude, ce sont les agents des caisses de sécurité sociale travaillant sur le terrain qui me l’ont expliqué. Je ne connais pas de meilleurs défenseurs de la protection sociale. Ces professionnels ne nous demandent qu’une chose : avoir les moyens de lutter véritablement contre la fraude, car chaque euro récupéré sert à financer la vraie et juste solidarité ; rien de plus, rien de moins. (Mmes Catherine Deroche et Marie-Thérèse Bruguière applaudissent.)
M. Antoine Lefèvre. Très bien !
M. le président. La parole est à M. René Teulade, pour explication de vote.
M. René Teulade. Nous commençons donc là l’étude de la dernière section de ce PLFSS pour 2012 relative au contrôle et à la lutte contre la fraude.
En raison de l’heure tardive et de la longueur de nos débats, dont je veux néanmoins souligner la qualité, j’essayerai d’être le plus bref possible. Néanmoins, je tiens à faire part, au nom du groupe socialiste-EELV, de certaines remarques qui nous paraissent importantes.
Premièrement, je le répète avec force, nous sommes évidemment tous d’accord pour combattre la fraude, non seulement en raison des pertes financières qui en résultent, et je reviendrai sur ce point, mais aussi au nom de l’égalité devant les charges et de la justice sociale.
Cessez donc de faire croire que la gauche se montrerait irresponsable et laxiste envers les fraudeurs alors que la droite serait, elle, vertueuse en s’emparant du problème à bras-le-corps !
Ce qui est vrai, force est de le constater, c’est que cette lutte s’apparente pour le Gouvernement et sa majorité à une véritable antienne : « fraude massive », « assistanat » et même « cancer de la société », voilà autant d’images qui correspondent, en effet, à une vision conflictuelle de la société, que nous sommes très loin de partager ! Cela n’est pas à la hauteur de la responsabilité qui nous incombe, d’autant plus que nous connaissons des temps difficiles.
Deuxièmement, je tiens à resituer le contexte : quels sont les montants en jeu ?
Pour répondre à cette question, il convient d’effectuer deux distinctions.
D’une part, la fraude estimée – notion imprécise, convenez-en, et aux frontières assez floues – n’est pas la fraude constatée. La fraude estimée oscille, selon les calculs de la Cour des comptes, entre 10 milliards d’euros et 19 milliards d’euros. Quant à la fraude détectée, elle est évaluée à 458 millions d’euros en 2010.
Les ordres de grandeur sont donc totalement différents et restent de toute façon faibles, comparés à la totalité des dépenses annuelles et du déficit, qui s’élèvent à 420 milliards d’euros.
D’autre part, il faut différencier la fraude aux prestations et la fraude aux prélèvements, plus couramment appelée « travail au noir » : la première représenterait entre 2 milliards d’euros et 3 milliards d’euros par an, la seconde, entre 8 milliards d’euros et 16 milliards d’euros par an.
Vous le voyez, c’est donc au travail illégal qu’il faudrait s’attaquer en priorité. Or le présent projet de loi ne s’y attelle que très peu et se concentre en grande partie sur ce que je qualifierai de « petite fraude ».
Troisièmement, je rappelle simplement que la part de la fraude, par nature, reste stable. Autrement dit, elle n’est responsable en rien du creusement du déficit.
Quatrièmement, je souligne que la fraude d’en haut, c’est-à-dire des riches, notamment au travers de l’évasion fiscale ou de la fraude aux prélèvements obligatoires, représente, elle, bien plus que celle des plus démunis !
Cinquièmement, et enfin, je mets en garde contre toutes les dérives qui découlent souvent d’un même discours et auxquelles d’aucuns voudraient nous habituer.
Certaines propositions, heureusement non reprises par le rapport de la MECSS, la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, telle que la carte Vitale biométrique, sont lourdes de conséquences.
Pour toutes ces raisons, il y a selon nous une forme de malhonnêteté à vouloir faire croire que la lutte contre la fraude sociale serait susceptible de résorber les déficits des comptes sociaux. Il faut plutôt regarder du côté de ceux qui profitent des cadeaux fiscaux accordés durant ce quinquennat ou qui peuvent s’allouer les services de conseillers fiscaux dans le but de payer toujours moins d’impôts !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, notre position est claire : oui à la lutte contre la fraude, et ce à tous les niveaux ; mais non à une politique stigmatisante, qui vise toujours les mêmes ! (M. Ronan Kerdraon et Mme Laurence Cohen applaudissent.)
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Je ne pourrai pas voter l’amendement présenté par nos camarades communistes (Sourires.), et cela pour les raisons avancées par M. le rapporteur général, même si la vision politique qui nous a été exposée est intéressante.
C’est à vous, monsieur le ministre, que mon intervention s’adresse en premier lieu. Votre discours fut brillant, vibrant même, surtout quand vous avez dit votre détermination à vous attaquer au faux chômeur comme à celui qui l’emploie ! Il donnait envie de vous applaudir !
Maintenant, la vraie question est là : vous donnez-vous les moyens de vos ambitions ?
Mme Catherine Génisson. Voilà !
M. Jean Desessard. Prenons les inspecteurs du travail : leurs effectifs diminuent.
M. Jean Desessard. Mais si !
M. Jean Desessard. Répondez-moi de façon précise : les moyens octroyés aux contrôleurs de l’URSSAF enregistrent-ils une augmentation ou une diminution ?
Puisque vous affichez votre volonté de lutter contre la fraude, en particulier contre le travail clandestin, il est légitime de vous demander si le Gouvernement consacre véritablement les moyens pour mettre en application le discours que vous venez de prononcer, avec brio d’ailleurs. En d’autres termes, les actes suivent-ils ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Monsieur Desessard, ce que demandent prioritairement les agents de terrain, ce sont des moyens juridiques et informatiques, car la principale difficulté à laquelle ils sont confrontés réside dans le cloisonnement des informations. Ils pâtissent de ne pouvoir accéder à l’ensemble des renseignements concernant les prestations, ignorant même parfois le train de vie des bénéficiaires.
Je l’ai dit et je le répète très clairement, avec tout le respect que je porte à mes collaborateurs : tout cela, je l’ai appris des contrôleurs. S’ils souhaitent bien sûr être plus nombreux, ils insistent surtout sur l’absolue nécessité d’avoir accès aux informations.
À mon sens, la manière dont sont pratiqués les contrôles en France n’est pas la meilleure. C’est là le vrai sujet. On contrôle quasiment tout le monde de la même façon – je caricature à peine –, alors qu’il faudrait davantage s’intéresser, par exemple, aux très gros prescripteurs.
Le médecin qui prescrit cinq fois plus d’arrêts de travail n’abuse pas forcément de la situation. Néanmoins, il est légitime de lui demander des explications. Peut-être soutiendra-il que sa patientèle comprend plus de salariés que de retraités, contrairement à ce que connaît son confrère installé à un autre endroit.
Mesdames, messieurs les sénateurs, personne n’est fraudeur par principe. J’affirme simplement que certains comportements requièrent plus d’informations que d’autres.
Or c’est l’informatique qui est l’outil le plus à même d’assurer le meilleur ciblage.
Mme Catherine Génisson. Pas seulement.
M. Xavier Bertrand, ministre. Tout doit se faire, bien sûr, dans le respect des préconisations de la CNIL.
Ce n’est pas une question d’argent ou de recrutements supplémentaires. J’y insiste, les agents ont avant tout besoin de moyens informatiques, pour décloisonner les sources d’information, et juridiques.
Je rappelle qu’un amendement relatif à l’isolement a été voté à l’Assemblée nationale, sur l’initiative du député Dominique Tian. En effet, l’une des fraudes les plus constatées, qui n’est pas forcément la plus importante en volumes et en sommes déboursées, porte sur ce que l’on appelle le « faux isolement ».
Il arrive ainsi qu’une personne déclare vivre seule avec des enfants alors qu’elle est en concubinage ou en couple. Cette fraude ne représente, me direz-vous, que quelques centaines d’euros par mois, mais elle constitue une forme de désincitation à la reprise d’activité.
Voilà pourquoi la fraude est aussi l’ennemie de la valeur travail. Tant que la notion d’isolement économique n’est pas mieux définie, les contrôleurs ne peuvent pas intervenir dans les meilleures conditions. Ce sont eux qui me l’ont dit en m’exposant les difficultés auxquelles ils sont confrontés.
Au-delà des moyens informatiques et juridiques, il faut une volonté politique, et j’en viens à votre intervention, monsieur Teulade.
Pour ma part, je crois à la politique par la preuve. Vous vous dites favorable à la lutte contre la fraude ? Nous verrons bien quels sont les amendements que vous voterez et quelle attitude vous adopterez.
Vous n’aviez même pas fini votre démonstration qu’aussitôt vous nous avez fait votre grande sortie sur les cadeaux fiscaux ! C’est mon ami Éric Woerth qui, avec moi, s’est le plus engagé sur toutes les questions relatives à la lutte contre la fraude, notamment sur l’évasion fiscale.
Pourquoi chercher à minorer les actions menées, sous prétexte que les sommes récupérées ne sont pas énormes ? La fraude, quel que soit son montant, c’est du vol.
Les gens acceptent de faire des efforts, mais souhaitent que tout le monde en fasse de même. J’étais en Haute-Saône jeudi dernier et je me suis rendu dans une usine, comme cela m’arrive toutes les semaines. Or le premier sujet à être venu en discussion, c’est le travail, la valeur travail, et tous ceux que j’ai rencontrés m’ont tenu le même discours : « Nous savons pertinemment, et vous aussi, monsieur le ministre, qu’il y a des situations dans lesquelles les gens fraudent. Que faites-vous pour y remédier ? »
Voilà pourquoi, monsieur Teulade, dans notre système de protection sociale, que vous connaissez bien, il n’est pas possible d’accepter que certains, quels que soient leurs statuts, dérogent aux règles du jeu. C’est aussi simple que cela.
En la matière, personne n’a de leçons à donner, je le concède bien volontiers. Nous sommes tous d’accord pour afficher notre volonté de lutter contre la fraude. Soit, mais nous verrons bien à la fin qui a voté quoi : rien de plus, rien de moins !
Cela permettra à chacun d’être comptable de ses actes et de ses votes. Il ne faut pas être gêné, car, vous savez, sur ce sujet, il n’y a pas, aux yeux de la population, de clivage gauche-droite.
M. Jean Desessard. Cela dépend qui l’on contrôle, monsieur le ministre !
M. Xavier Bertrand, ministre. Tous ceux dont le comportement le nécessite doivent être contrôlés.
Si ce clivage existe parmi les élus, je suis curieux de voir qui est connecté avec la réalité et qui ne l’est pas.
M. le président. Monsieur Watrin, l'amendement n° 134 rectifié est-il maintenu ?
M. Dominique Watrin. Je prends en considération les arguments selon lesquels la suppression de l’article ne serait pas tout à fait conforme à notre proposition. Pour autant, je pense que nous avons porté un débat, certes limité à cette heure avancée de la nuit, mais qui est véritablement utile et qui devrait, d’ailleurs, être poursuivi à d’autres occasions.
En effet, il a quand même été démontré, chiffres à l’appui, que ce n’est pas la fraude qui réglera le problème des déficits. Nous avons également entendu des chiffres montrant que le travail dissimulé et la fraude aux cotisations patronales, pour autant qu’on puisse les connaître, pèsent beaucoup plus lourd que les fraudes sur les prestations.
Or il ne me semble pas que M. le ministre ait répondu à cette question.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Dominique Watrin. Alors qu’il a systématiquement évoqué les prestations des allocataires, il n’a jamais donné de réponse sur le travail dissimulé, ni sur les cotisations patronales.
Si l’on veut mener le combat contre la fraude, il faut, me semble-t-il, lutter contre toutes les fraudes, en particulier contre celles qui causent le plus de mal à nos comptes sociaux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
Cela dit, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. Xavier Bertrand, ministre. Depuis que j’ai pris mes fonctions dans ce ministère, j’ai moi-même présidé des comités de lutte contre la fraude, et ceux-ci ont bien évidemment porté sur le travail dissimulé par les employeurs et sur la fraude aux cotisations. Leur champ ne se limitait pas aux prestations !
Parmi les députés très impliqués sur le sujet, Dominique Tian lui-même rappelle que, dans l’estimation de 4 milliards d’euros réalisée par la Cour des comptes, il y a, au-delà de la question des prestations, celle des cotisations, lesquelles peuvent monter à 20 milliards d’euros.
Par ailleurs, j’ai été choqué, monsieur Teulade, de vous entendre affirmer que la fraude aux prestations ne jouerait pas sur les déficits, au motif que la somme en cause serait assez constante. Non, monsieur le sénateur, ce n’est pas une fatalité ! Ou alors, il faut reconnaître que la réalité est connue mais qu’on ne s’y attaque pas !
Pour ma part, je ne fais pas de la politique pour avoir ce genre de comportement. Je ne détourne pas les yeux ! Je ne dis pas que cela a toujours existé et qu’on va continuer de la même façon, en veillant simplement à ce que le problème ne s’aggrave pas !
Un sujet fait d'ailleurs débat aujourd'hui. Regardez ce qui se passe en matière d’arrêts de travail. Celui dont l’arrêt de travail est considéré comme abusif et qui a perçu des indemnités indûment reprend le travail, et c’est tout. Naturellement, ce n’est pas moi qui me prononce sur le caractère abusif, ou non, de cet arrêt de travail : c’est le médecin conseil de la sécurité sociale, au vu de critères qui sont connus et applicables à tout le monde.
La personne concernée reprend donc le travail sans qu’on ne lui demande rien. Mesdames, Messieurs les sénateurs de gauche, trouvez-vous cela normal ? Moi, non ! Je trouve cela choquant.