Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. Christian Favier. L’incompréhension, l’inquiétude, la colère de l’immense majorité des élus locaux, face à cette réforme et contre la fragilité financière de leur collectivité, doit donc trouver aujourd’hui un débouché politique.
Ces élus, ces grands électeurs, nous ont demandé de tout faire jusqu’à l’abrogation de cette loi.
Permettez-moi de reprendre les propos du président Bel, en ouverture de son intervention à cette tribune, le 11 octobre dernier : « Le 25 septembre dernier, les grands électeurs nous ont adressé un message fort. Ce message, nous l’avons entendu. À nous, en conséquence, de ne pas décevoir cette attente, de ne pas trahir cet espoir. »
Dans cette perspective, les modifications apportées par cette proposition de loi à la loi du 16 décembre 2010 représentent donc pour nous une première étape utile que nous ne saurions négliger, sans pour autant oublier toutes les autres marches qu’il nous faut encore franchir, comme l’abrogation du conseiller territorial, que nous défendrons devant vous dans quelques jours, pour parvenir à notre objectif commun porté par notre majorité sénatoriale.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Christian Favier. Cet objectif a été rappelé du haut de cette tribune par le président Bel, le 11 octobre dernier. Il déclarait alors : «La réforme territoriale doit être abrogée et entièrement repensée. Une réforme est à l’évidence nécessaire, comme je l’ai entendu dire en bien des endroits. Mais celle-ci est allée, je le crois, dans le mauvais sens. »
Il s’agit pour nous non de tenter de la modifier, de l’aménager, d’en gommer seulement les excès, mais d’agir jusqu’à son abrogation.
Aujourd’hui, avec cette proposition de loi, il s’agit de stopper le rouleau compresseur en cours, avec la mise en place, à la hussarde, des schémas départementaux de coopération intercommunale ; de donner du temps à la réflexion de chaque commune et de chaque intercommunalité sur leur avenir ; enfin, et c’est un point essentiel pour nous, de retirer aux préfets le rôle exorbitant que la loi leur conférait dans ce domaine.
Il y a donc une certaine urgence à légiférer sur ces questions, puisque le terme des délais prévus dans la loi se rapproche dangereusement. Or tout le monde le reconnaît aujourd’hui, y compris le Premier ministre, il est devenu urgent de donner du temps au temps pour mettre en place ces schémas départementaux. Je crois même que François Fillon a déclaré qu’il envisageait d’utiliser un véhicule législatif pour y parvenir.
Eh bien, cette proposition de loi est là, à sa disposition ! Elle peut rapidement, si elle est adoptée par notre assemblée, être présentée devant l’Assemblée nationale pour y être votée.
Ainsi, les dysfonctionnements que chacun reconnaît aujourd’hui seraient alors gommés dans un cadre législatif assurant une assise juridique plus solide que les propos d’un ministre, fût-il Premier ministre, qui ne peut, même par circulaire, remettre en cause les termes de la loi.
Monsieur le ministre, à ce propos, permettez-moi de vous faire une double demande.
Partout dans la presse locale, des échos sont apparus laissant entendre qu’en de très nombreux endroits ces schémas départementaux ont été massivement rejetés lors des votes sur les propositions préfectorales, dans les conseils municipaux, les assemblées intercommunales et les assemblées délibératives des syndicats.
De votre côté, vous avez reconnu, y compris cet après-midi, l’existence de nombreux désaccords, tout en en minimisant globalement le nombre.
Ma première question est donc simple : monsieur le ministre, pour éclairer notre assemblée, pourriez-vous nous transmettre un état récapitulatif, département par département, des situations en nombre d’intercommunalités et de syndicats actuellement en place et, en regard, les propositions actuelles des préfets ?
Par ailleurs, pourriez-vous nous remettre un état complet, département par département, du résultat des consultations qui se sont déroulées sur ces projets ? Nous avons, me semble-t-il, tous besoin d’une telle transparence.
M. Alain Richard, rapporteur. Très juste !
M. Christian Favier. En répondant favorablement à ces demandes, monsieur le ministre, vous éclaireriez nos travaux futurs.
Mais revenons à la proposition de loi qui nous est soumise.
Au début de mon propos, j’ai indiqué que ce texte était symbolique à un double titre pour les membres de notre groupe. Après avoir affirmé notre souhait de voir abroger la loi du 16 décembre 2010, je voudrais maintenant évoquer le chemin qu’il nous reste à parcourir pour parvenir à une nouvelle réforme, démocratique, de nos institutions locales.
En effet, une fois la loi précitée abrogée, il nous faudra bien entendu reconstruire. Nous ne pouvons en rester au statu quo, car le besoin de réforme est réel. Les états généraux des élus locaux en préparation nous permettront, me semble-t-il, d’ouvrir d’autres voies ; nous en serons, pour notre part, des acteurs engagés et responsables, mais aussi exigeants et vigilants.
En attendant, nous voterons en faveur de l’adoption de cette proposition de loi, qui permettra de régler un certain nombre de questions importantes, en reprenant notamment des propositions que nous avons déjà soutenues ; en particulier, le rôle exorbitant des préfets se trouvera restreint. Voilà qui va dans le bon sens et ne peut que nous satisfaire.
Nous tenons, dans le même temps, à réaffirmer notre opposition à l’achèvement autoritaire de la carte de l’intercommunalité, laquelle doit, à nos yeux, être toujours librement consentie et fondée sur un vrai projet de territoire, au service des habitants de celui-ci. Cette question me semble plus importante que le débat quelque peu laborieux sur la date d’adoption de la carte de l’intercommunalité auquel nous avons assisté cet après-midi et qui n’est pas à la hauteur des enjeux, ni des attentes de nos concitoyens.
Mme Marie-France Beaufils. Très bien !
M. Christian Favier. Nous ne pensons toujours pas que les schémas départementaux de la coopération intercommunale doivent avoir pour finalité de supprimer systématiquement tous les syndicats intercommunaux existants ou de réduire drastiquement leur nombre : ils répondent souvent à de réels besoins.
Aussi, afin d’affirmer avec force notre volonté d’abroger l’ensemble de la loi du 16 décembre 2010, soutiendrons-nous un amendement tendant à insérer un article additionnel avant l’article 1er ayant cet objet. Ainsi, la nouvelle majorité de gauche du Sénat mettra ses actes en cohérence avec ses paroles : nos concitoyens attendent de nous un tel courage politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si la loi du 16 décembre 2010 soulevait l’enthousiasme, cela se saurait !
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Jacques Mézard. Si elle n’avait pas besoin d’améliorations, cela se saurait aussi !
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jacques Mézard. D’ailleurs, vous avez reconnu vous-même, monsieur le ministre, la nécessité de l’améliorer.
Comment ne pas se réjouir que le Sénat reprenne son rôle prioritaire s’agissant des collectivités territoriales, prévu à l’article 39 de la Constitution ?
En effet, nous n’oublions pas, mes chers collègues, la manière dont notre assemblée fut mal considérée lors du débat sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales ; en ont témoigné l’épisode relatif au mode de scrutin, le passage en force lors de la réunion de la commission mixte paritaire, de même que les conditions du vote final dans cet hémicycle…
Pourtant, nous sommes de ceux qui souhaitent une réforme des collectivités territoriales, une simplification des mécanismes, davantage de lisibilité pour nos concitoyens et une rationalisation des compétences.
La loi du 16 décembre 2010, conjuguée au remplacement de la taxe professionnelle par une « usine à gaz » dans les tuyaux de laquelle l’État lui-même se perd (Sourires.), aboutit à une complexification et à un non-sens, caractérisé par la création de cet être hybride que serait le conseiller territorial, dont nous souhaitons qu’il trépasse avant d’avoir vécu !
À cet égard, j’avais affirmé que l’architecture de cette loi relevait du « baroque non flamboyant », propos que je maintiens ici, car nous attendons toujours que le projet de loi n° 61 soit examiné, ainsi que l’a opportunément rappelé notre collègue Jacqueline Gourault. Monsieur le ministre, qu’attendez-vous ? Dans quel tuyau ce projet de loi est-il coincé ?
Au passage, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous éclairiez le Sénat sur le découpage cantonal à venir, même si celui-ci relève de la procédure réglementaire.
M. Claude Bérit-Débat. Oui !
M. Jacques Mézard. S’il est un sujet qui nous est apparu non seulement consensuel, mais aussi capital pour l’avenir de nos collectivités, c’est bien celui de l’intercommunalité.
La loi Chevènement fut un succès : comme elle était bien faite, elle a recueilli un véritable consensus. Certes, nous ne l’oublions pas, sa mise en œuvre a été facilitée par l’utilisation de la DGF, la dotation globale de fonctionnement, mais elle fut un réel succès parce que, dans une nation viscéralement attachée au fait communal, elle a fait comprendre, dans ce qui constitue le nouveau bloc communal, les avantages de la coopération intercommunale, levier essentiel du développement local.
Dans le cadre de l’actuelle réforme, une large majorité s’était dessinée sur la question de l’achèvement de la carte intercommunale et de sa rationalisation. Oui, l’avenir du bloc communal passe par le renforcement de l’intercommunalité : si la commune est le lieu de proximité par excellence, l’intercommunalité est le moteur du développement. Ceux qui opposent commune et EPCI s’égarent, car l’intercommunalité est le seul moyen efficace de préserver le maillage communal.
La réforme devrait être l’occasion de conforter les pôles de centralité autour des bassins de vie, ainsi que de passer, il faut le dire, à l’offensive contre les intercommunalités défensives. Une vision prospective doit partir de la constatation que, pour faire du développement local, pour avoir les moyens de mener une politique d’investissement, pour éviter les implantations anarchiques d’équipements, il est impératif que les intercommunalités disposent d’une taille critique, celle qui donne les moyens d’agir.
Cependant, nous le savons sur le terrain, il est des fusions ou des extensions de périmètre souhaitables qui sont freinées ou bloquées par des conflits personnels, certes respectables, par des querelles de clochers, voire, tout simplement, par la méconnaissance des avantages à en attendre. L’alchimie des relations entre ville-centre, bourg-centre et communes périphériques est délicate ; souvent la peur de la ville-centre engendre des réticences. Il faut donc faire preuve de patience, de tolérance, de clarté, tout en se calant sur les échéances électorales : cela impose beaucoup de concertation, de dialogue, d’études financières.
Disons-le, la manière dont est conduite cette réforme est détestable parce qu’elle est diverse, voire contradictoire, selon les départements et les préfets, parce que le travail préparatoire technique et politique fut insuffisant, parce que, de ce fait, nombre d’élus ont eu une réaction de repli, sinon de rejet. Pourquoi ne pas le dire ? Souvent, la noria incessante des préfets n’a pas donné à ceux-ci le temps d’acquérir une bonne connaissance des hommes et des territoires. Il était donc inadéquat de leur donner tant de pouvoir, concentré sur si peu de temps !
D’ailleurs, le Gouvernement lui-même s’en est rendu compte, grâce d’abord aux récentes élections sénatoriales. Vous avez ainsi fait la déclaration suivante devant le Sénat, monsieur le ministre : « la date butoir du 31 décembre 2011 devra être respectée autant que possible, mais elle pourra être dépassée si cela se révèle nécessaire » !
Certes, il n’y a pas de sanction prévue en cas de dépassement, mais avouez que ce n’est pas très sérieux ! On n’applique pas la loi « si c’est nécessaire »… Est-ce vous le juge de la nécessité, par le canal de chacun des préfets ?
Voilà, en tout cas, la démonstration par l’absurde que la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur était indispensable pour remettre le dispositif dans le sens de la marche : sans modifier la date butoir du 1er juin 2013, le texte de la commission apporte la souplesse nécessaire, prévoit le temps indispensable pour mener la concertation, la poursuite des mandats en cours des élus communautaires, le renforcement de la place des suppléants, auquel nous tenions beaucoup pour les petites communes, une marge de manœuvre pour les présidents d’EPCI quant au transfert partiel des pouvoirs de police, l’obligation de conseil pour l’État en matière financière et fiscale…
En revanche, je suis plus réservé s’agissant des dispositions relatives au seuil minimal de 5 000 habitants pour les intercommunalités : les « spécificités géographiques locales » peuvent tout permettre, monsieur le rapporteur, en particulier le maintien ou la création d’EPCI à vocation défensive ; les zones de montagne et les « îles » présentent des spécificités qu’il conviendrait d’encadrer, au lieu de généraliser le dispositif.
De la même manière, je considère que les dispositions relatives au choix des compétences optionnelles transférées d’un EPCI créé ont été intégrées trop rapidement dans le texte qui nous est soumis. Cette question mériterait un débat plus approfondi ; l’avenir le montrera.
Sous ces réserves, notre groupe votera très majoritairement en faveur de l’adoption de cette proposition de loi, car elle est légalement indispensable et souhaitée par la grande majorité des élus locaux, confrontés aux réalités du terrain. Il conviendra ensuite de veiller à supprimer le conseiller territorial, mais c’est une autre histoire… (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger.
M. Yves Krattinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai envie de dire, en préambule, que ce qui devait arriver arriva ! Le pouvoir recentralisateur n’a pas suffisamment écouté les élus locaux.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste-EELV. C’est vrai !
M. Yves Krattinger. Pourtant, ils ont été nombreux, toutes sensibilités politiques confondues, à exprimer leur préoccupation et leurs réserves sur la méthode employée pour achever et rationaliser la carte de l’intercommunalité.
Plutôt que de renforcer le rôle des élus locaux et celui des membres des commissions départementales de la coopération intercommunale dans la définition de périmètres pertinents pour les intercommunalités de demain, le Gouvernement, nous nous en souvenons tous, força – oui, c’est bien le mot ! –…
M. Claude Bérit-Débat. Tout à fait !
M. Yves Krattinger. … l’adoption, ici même au Sénat, le « temple des territoires », de règles tendant à octroyer des pouvoirs ressentis comme excessifs et exceptionnels aux préfets, ses représentants, la réforme s’inscrivant en outre dans un calendrier qui s’avère aujourd’hui intenable dans un très grand nombre de départements.
Avec la loi telle qu’elle a été votée, seule une « jacquerie » au sein même de la CDCI peut amener le préfet à modifier ses propositions : en effet, il faut que les deux tiers des membres de la CDCI entrent collectivement en conflit avec le préfet pour qu’il soit obligé de revoir sa copie. Vu le caractère improbable de cette hypothèse, le Gouvernement croyait avoir la main ! Or, en pratique, ce ne fut pas le cas !
Il n’y a pas eu de révolution, mais une grogne sévère, de plus en plus forte, a gagné les territoires. Le pouvoir recentralisateur croyait avoir muselé les élus locaux. Or la fronde grondait, et elle s’est exprimée, monsieur le ministre, dans les urnes lors des élections sénatoriales ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Dès lors, comment aborder désormais ce chantier qui nous préoccupe tous ?
En ce qui concerne l’intercommunalité, les objectifs généraux sont très largement partagés, mais, faute de méthode, d’écoute, de dialogue approfondi, d’études suffisamment poussées, même une assez bonne cartographie préfectorale peut ne pas convaincre ! C’est trop souvent ce que l’on constate aujourd'hui.
Combien de fois avons-nous dit qu’il fallait, en bonne logique, définir d’abord les missions relevant de chacun des niveaux de collectivités, notamment de la coopération intercommunale, puis les compétences à attribuer, enfin les moyens humains et financiers affectés à leur mise en œuvre ? Or le Gouvernement, en commençant par la réforme de la taxe professionnelle, a pris le chemin exactement inverse, suscitant ainsi un doute général sur ses intentions et ses objectifs. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Monsieur le ministre, le Gouvernement porte donc une lourde responsabilité dans les difficultés rencontrées !
Si nous partagions les principaux objectifs de la réforme, nous étions en désaccord avec la méthode retenue. Comment, dans ces conditions, rebondir et remettre le train de l’intercommunalité sur les rails ? Aujourd’hui, monsieur le ministre, il fait du surplace dans les territoires !
Je souhaite d’abord rappeler que, au sein de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, nous étions parvenus, sur ce chapitre de la réforme, à harmoniser nos visions respectives, grâce à un travail long et approfondi, à un dialogue entretenu par des échanges nombreux, tant ici même, au Sénat, que dans les territoires, où nous nous sommes souvent déplacés. Ces échanges ont réuni des représentants de toutes les sensibilités politiques et de tous les niveaux de collectivités.
À cette occasion, je me suis rendu, comme d’autres, à l’invitation d’élus tant de droite que de gauche, dans plus d’une trentaine de départements. J’ai pris la parole, j’ai écouté… J’ai entendu le message des territoires : ils veulent être respectés et rejettent toute stigmatisation des élus et de leurs collectivités, qui veulent continuer à marcher librement dans le sens du progrès.
Ce progrès, nous le savons, passe par plus d’intercommunalité, mais cette évolution doit être librement consentie et décidée par les élus, qui, dans leur sagesse, demandent à disposer d’un temps suffisant d’échange et de réflexion pour fixer collectivement les objectifs et ensuite, patiemment, les mettre en œuvre. Ils demandent à être mieux informés, monsieur le ministre. Ils expriment un besoin d’expertise préalable plus approfondie sur les sujets en débat, en ce qui concerne tant les compétences que les questions fiscales et financières. En effet, après la suppression de la taxe professionnelle, plus personne ne sait comment seront élaborés demain les budgets !
Les élus revendiquent le droit de décider librement, d’où la réforme proposée du mode de décision en commission départementale de la coopération intercommunale. Pour être solide, pour durer et prospérer, l’intercommunalité doit se construire sur la confiance. Cette proposition de loi, renforcée par l’adoption d’amendements, tant en commission que peut-être ici dans l’hémicycle, tout à l’heure ou demain, vient donc fort à propos pour éteindre les feux qui couvent et atténuer les craintes, sans détruire les maisons de l’intercommunalité.
Il s’agit d’abord de desserrer l’étau jacobin et d’insuffler davantage de dialogue et de démocratie dans la démarche engagée, monsieur le ministre. Oui, il faut donner aux élus un peu plus de temps pour débattre, pour expertiser, pour décider, car un maire ne peut pas toujours convaincre instantanément son conseil municipal ; il a besoin de temps pour cela.
M. Claude Bérit-Débat. Exactement !
M. Yves Krattinger. Oui, il faut croire en la responsabilité locale, ne pas avoir peur de la démocratie, permettre aux élus de décider ensemble de l’avenir des territoires. Il ne suffit pas de quelques voix arrachées au Sénat en décembre 2010 pour avoir le droit d’imposer ses vues.
Je terminerai en évoquant le rôle du Sénat dans la situation actuelle. Que peut apporter notre assemblée ? L’occasion est bonne, pour elle, de reprendre toute sa place, une place très légitime, dans le débat sur l’avenir des collectivités territoriales. Le Sénat doit le faire sans complexes, en écartant le procès en conservatisme qui lui avait été intenté à tort.
Au sein de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, nous avons, tous ensemble, ouvert de nombreuses pistes, en nous fondant sur l’expérience accumulée, partagée par tous les membres de la mission, et sur la diversité enrichissante de nos parcours.
Bien sûr, il n’est pas nécessaire de revenir au point de départ. Beaucoup de travaux ont été conduits, qui sont la matière première de nos délibérations. Il est indispensable de poursuivre la marche en avant. L’intercommunalité est la grande aventure des vingt dernières années. Il est impératif de lui permettre de continuer à orienter l’avenir des territoires.
Toutefois, à ce stade, il nous faut montrer, tous ensemble, que nous avons entendu les élus locaux, car c’est à nous tous qu’ils s’adressent, quelle que soit leur sensibilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Le président du Sénat a, fort à propos, annoncé un moment d’écoute : les états généraux des élus locaux. Les élus du peuple ne sont pas des révolutionnaires ; ils sont à l’écoute de leurs concitoyens et ils les représentent.
Notre assemblée doit continuer à écrire un texte qui permette de débloquer la situation sans tout mettre par terre, de donner de la souplesse sans tout décomposer, de conserver et de renforcer les perspectives de l’intercommunalité tout en diversifiant les chemins menant vers elles, afin de les adapter à chacune des situations locales.
Nous devons élaborer un texte qui permette de rétablir la confiance. Plus que jamais, nous devons nous écouter, nous entendre les uns les autres, et continuer à faire confiance à l’intelligence territoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est un bon texte. Je remercie M. Jean-Pierre Sueur et M. Alain Richard de leur initiative. Ils ont entendu les élus locaux, que la loi du 16 décembre 2010 ne satisfait pas.
Cette proposition de loi est pragmatique, cohérente et efficace. Elle tient compte des problèmes de délais et, en prévoyant un report de trois mois de la date butoir pour l’adoption des SDCI, elle vise à donner une traduction législative aux propos tenus par M. le ministre et par M. le Premier ministre. Elle ne modifie en rien le calendrier prévu par la loi de 2010, puisqu’il ne s’agit que de le réorganiser, en donnant la main, si je puis m’exprimer ainsi, aux élus locaux membres des commissions départementales de la coopération intercommunale. En effet, la loi de 2010 accorde aux préfets le rôle primordial au sein de ces commissions, puisque, in fine, ils peuvent imposer les SDCI et les dispositions afférentes.
En cas d’extension ou de fusion d’EPCI, le présent texte tend à permettre de conserver, au moins jusqu’aux prochaines élections municipales, des dispositifs existants. En fait, il place au centre du débat la question des compétences et celle des ressources fiscales, lesquelles ont été mises à bas par la suppression de la taxe professionnelle.
Enfin, la proposition de loi revient sur le problème de la gouvernance, en permettant que l’on ne s’en tienne pas au nombre de vice-présidences et de conseillers communautaires prévu dans la loi.
Par ailleurs, je m’étonne des propos de M. le ministre et de M. Hyest, qui se sont opposés au texte qui nous occupe.
M. Jean-Jacques Hyest. Non !
M. Claude Bérit-Débat. Selon eux, celui-ci remet en cause une loi qui a été votée par le Sénat et il relèverait d’une logique du tout ou rien. Ils oublient que cette proposition de loi ne remet nullement en cause ce qui a été fait ;…
M. Claude Bérit-Débat. … elle apporte simplement des améliorations, en tenant compte des réalités des territoires. À ce sujet, je tiens à dire que nos collègues maires et présidents d’établissement public de coopération intercommunale sont demandeurs d’une telle révision de la loi.
Lors de la dernière convention nationale de l’Assemblée des communautés de France, qui s’est tenue à Rennes et à laquelle j’ai pris part, les participants ont demandé que ne soit pas remise en cause la loi de décembre 2010 ; ils souhaitent seulement qu’elle soit améliorée, or tel est bien l’objet de la présente proposition de loi ! C’est la raison pour laquelle nous voterons en faveur de son adoption ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je pense que nous sommes tous d’accord sur un point : il faut achever la carte de l’intercommunalité. Nous sommes même d’accord sur les délais, à condition de dépasser la question confuse des dates évoquée tout à l’heure.
Le mérite de la loi de décembre 2010 et de la réforme qu’elle porte est d’avoir touché les plus petites communes de France et tous les maires, et cela à un moment privilégié, celui des élections sénatoriales.
Nous avons indéniablement pu entendre s’exprimer, à cette occasion, une contestation portant sur la méthode – il est inutile d’y insister davantage – et sur l’esprit de la réforme.
L’idéal de la décentralisation est devenu une réalité. Or les élus ont senti souffler un vent contraire à l’esprit de la décentralisation.
En effet, la décentralisation, c’est l’intercommunalité, mais c’est aussi la concertation, la proximité et la responsabilité des élus. Ces derniers veulent être responsables, et ils le sont !
La décentralisation, c’est encore le partenariat financier et la contractualisation, volet essentiel que nous aborderons en une autre occasion.
L’intercommunalité a fait ses preuves et a « sanctuarisé » – le mot est un peu fort, je le reconnais – l’existence des 36 000 communes de notre pays. Cependant, celles-ci perdureront-elles au sein de l’intercommunalité telle que la redessine la loi de 2010 ? Nous devons lever les doutes sur ce point, d’autant que l’utilisation de mots tels que « fusion », « évaporation », a suscité des interrogations, qui se sont exprimées au cours du débat.
En ce qui concerne la définition du périmètre pertinent, encore faut-il savoir à quoi correspond exactement la notion de « bassin de vie », si souvent invoquée. Elle ne s’identifie pas à celle de bassin géographique : la géographie humaine et économique est plus importante que la géographie physique.
S’agissant du seuil minimal de population, fixé par la loi à 5 000 habitants, il est heureux que ce soit un objectif, mais pas forcément un impératif. Mon département, les Hautes-Pyrénées, comptant 10 % des plus petites communes de France, je m’attacherai surtout aux petits problèmes, d’autant que ce sont eux qui bloquent déjà le débat au sein de la commission départementale de la coopération intercommunale.
Je parle ici non seulement des zones de montagne, mais aussi des petites intercommunalités qui ont su satisfaire les demandes de leur population : petits services quotidiens, entretien des chemins communaux, déneigement, débroussaillage. Elles vont disparaître, mais qui assumera les compétences qu’elles exerçaient ? La nouvelle intercommunalité qui les englobera ne voudra pas reprendre leurs missions. Cela représentera une régression : il faut en avoir conscience, car de nombreuses petites collectivités sont concernées.
Pour les départements ruraux comptant un grand nombre de petites communes, le seuil minimal de 5 000 habitants prévu par la loi est élevé. Cela représente des intercommunalités regroupant une cinquantaine de communes au moins, avec un périmètre très large.
Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir insisté sur la question des enclaves historiques, ces « îles » que le législateur a oublié de prendre en compte. Dans mon département, des communes béarnaises, relevant du département des Pyrénées-Atlantiques, sont ainsi enclavées en Bigorre depuis dix siècles. Or la loi leur assigne de rejoindre une intercommunalité ! (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.)