M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Virginie Klès, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ce qui me concerne, je ne vois dans le titre du texte que nous examinons aujourd'hui – Instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants – qu’un seul objectif. Or je trouve pourtant dans son contenu deux objets fondamentalement différents et n’ayant pas grand-chose à voir l’un avec l’autre.
Ainsi, les articles 1 à 4 définissent le service citoyen, en fixent les objectifs ainsi que les conditions de création. Ce service citoyen, objet de la proposition de loi, s’effectuerait au sein d’un des centres de l’Établissement public d’insertion de la défense, l’EPIDE, dans le cadre de la composition pénale, de l’ajournement de peine ou du sursis avec mise à l’épreuve.
L'article 6, lui, n’a aucun lien ni avec le titre ni avec l’objet de la proposition de loi. Introduit à la suite de l’adoption d’amendements gouvernementaux au cours de la lecture à l’Assemblée nationale, cet article emporte de nouvelles modifications de la justice pénale des mineurs pour tenir compte de décisions du Conseil constitutionnel rendues l’été dernier.
Pour autant, il n’y avait aucune urgence à inscrire ces dispositions dans la loi puisque le Conseil constitutionnel nous a laissé jusqu’au 1er janvier 2013 pour ce faire.
De surcroît, dans cet article 6, nous retrouvons, porté par M. Ciotti, le dogme de la transposition aux mineurs des principes de fonctionnement de la justice des majeurs, notamment en matière de délais de comparution.
Une fois de plus, l’enfant est considéré comme un adulte miniature et non comme un être en cours de construction, à éduquer.
Cet article 6 est un cavalier législatif. Un certain nombre d’entre nous, en commission des lois, ont même dit qu’il était plus que cavalier. Rédigé sans aucune concertation préalable avec les magistrats, ne revêtant, je le répète, aucun réel caractère d’urgence, venant après une réforme judiciaire qui vient déjà d’éloigner les tribunaux des citoyens, il touche profondément à l'organisation de la justice, au fonctionnement des tribunaux et des greffes, déjà asphyxiés par la surcharge de travail.
Il n’est pas fait état, dans cet article 6, de la façon dont les magistrats appelés à s’occuper de nouveaux dossiers relatifs à des mineurs pourront en prendre connaissance et se concerter entre eux : quid des trajets nécessaires à prévoir dans des emplois du temps, je le répète, déjà surchargés ?
Il n’est pas plus tenu compte, dans le texte, de la complexité de la tâche, au regard des deux principes constitutionnels à faire coexister : d'une part, la primauté de l’éducatif sur le répressif en matière de délinquance des mineurs, qui a pour corollaires la nécessaire connaissance des mineurs et leur non moins nécessaire suivi ; d'autre part, le droit à un procès équitable, rappelé par le Conseil constitutionnel l’été dernier.
Il y avait des propositions du côté des magistrats. En tout cas, il y aurait pu en avoir, mais, puisqu’ils n’ont même pas été interrogés, ils n’ont, a fortiori, pas été entendus ! Aujourd'hui, nous ne pouvons que regretter – une fois de plus – la façon de faire du Gouvernement.
Si le Sénat n’agissait pas énergiquement, l’ordonnance de 1945 se trouverait encore modifiée, par petits morceaux, toujours selon le même procédé – ne serions-nous pas là en état de récidive légale ? – : calquer la justice des mineurs sur celle des majeurs. Quelle ignorance superbe de la psychologie spécifique des mineurs, notamment des mineurs délinquants ! Quel mépris affiché pour des professionnels qui œuvrent contre la délinquance des mineurs ! Surtout que les compétences en la matière ne se trouvent assurément pas du côté du Gouvernement : légiférer coup sur coup ne lui a pour autant pas permis d’obtenir des résultats sur la délinquance des mineurs. C’est M. Ciotti lui-même qui nous le dit, le phénomène ne ferait que s’aggraver et s’amplifier.
Les caractéristiques de la délinquance des mineurs sont effectivement à étudier de près. Il serait bon que ceux qui se disent férus de discipline militaire se montrent tout aussi férus de discipline quant à l’interprétation des statistiques et au choix des termes à employer.
La délinquance des mineurs est ramenée sans arrêt au nombre de faits constatés. Or le fait qu’elle augmente ne veut pas dire qu’il y a davantage de mineurs délinquants : cela n’a rien à voir ! S’il y a de plus en plus de faits recensés, c’est sans doute lié à la façon de les comptabiliser et aux réponses qui y sont apportées.
M. Ciotti nous affirme, dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi, que la part de la délinquance des mineurs dans la délinquance globale augmente plus vite que celle des majeurs. Or, selon les chiffres étudiés, c’est l’inverse. Contrairement à ce qu’il affirme, les mineurs de moins de treize ans impliqués dans des faits de délinquance sont très rares : moins de 2 %.
En revanche, M. Ciotti oublie de nous parler des filles, de ces mineures délinquantes dont le comportement devient aujourd'hui préoccupant.
Il oublie aussi de nous dire que 70 % des mineurs délinquants ne sont traduits qu’une seule fois devant les tribunaux, que seuls 5 % des mineurs délinquants sont responsables de la moitié des faits, que seuls 5 % des mineurs délinquants deviennent, un jour, des adultes délinquants.
Il oublie encore de nous dire que la délinquance du mineur peut passer par plusieurs actes posés sans qu’il faille pour autant désespérer de la rééducation et de la lutte contre la délinquance.
S’agissant du choix des termes, il s’agit, certes, d’une proposition de loi. Sans doute fut-ce le cas initialement, mais elle a été tellement réécrite par des amendements gouvernementaux que je me demande si le texte qui nous est soumis ne serait pas plutôt un projet de loi. Peu importe finalement, sur le plan juridique, c’est bien une proposition de loi : cela évite toute étude d’impact – on se demande bien pourquoi… – et un passage devant le Conseil d'État.
On nous dit que les magistrats sont en demande d’établissements supplémentaires. Non ! Ce qu’ils veulent, c’est davantage de places et de moyens dans les établissements existants, y compris et surtout en milieu ouvert. Ces établissements existent, mais ils ont beaucoup de mal à fonctionner : leurs budgets diminuent, les emplois en équivalents temps plein alloués à la PJJ, la Protection judiciaire de la jeunesse, subissent une baisse régulière, tout comme les moyens de fonctionnement.
Ce sont les places qui font défaut, pas les établissements ni les dispositifs. Que l’on ne vienne pas nous dire le contraire ! Aujourd'hui, 95 % des mesures suivies par la PJJ le sont en milieu ouvert.
Le « service citoyen » nous arrive donc après le service militaire et après le service militaire adapté. Si ceux-ci avaient certainement leurs défauts, au moins savions-nous de quoi il retournait. Aujourd’hui, entre le service civique, le service civil, le service citoyen, nos concitoyens ont de quoi s’y perdre. Effectivement, plus personne ne sait de quoi on parle. Il est même question d’un « contrat de service », nouvelle appellation à la mode, mais notion, qui, sur le plan juridique, brille dans un flou artistique des plus piquants !
Demain, que sais-je, la mode sera peut-être au « service républicain » ou au « service démocratique »…
M. Ciotti, toujours dans l’exposé des motifs, pour montrer à quel point sa proposition de loi est indispensable, indique que 93 % des Français interrogés ont jugé nécessaire la création de ce nouveau dispositif pour les mineurs délinquants. Or, si les Français ont répondu oui, ce n’est pas à cette question-là, mais bien à une autre : faut-il créer un service citoyen pour les mineurs multirécidivistes ? Ce n’est pas tout à fait pareil, d’autant que, monsieur le garde des sceaux, vous nous avez dit vous-même tout à l’heure que le dispositif ne concernait pas les multirécidivistes.
En outre – mais c’est sans doute accessoire –, mieux vaut sans doute interroger les Français pour recueillir l’avis favorable de 93 % d’entre eux plutôt que de s’intéresser à l’opinion de quelques magistrats et professionnels de la délinquance juvénile ; ceux-ci n’ont sans doute pas, sur la question, en tout cas aux yeux de M. Ciotti, un avis digne d’être entendu…
Le public de ce « service citoyen » est donc constitué de mineurs délinquants, âgés de seize à dix-huit ans ; c’est en tout cas la seule chose que j’ai comprise. Reste à savoir s’il s’agit de primo-délinquants ou de récidivistes dangereux qui, pour M. Ciotti, doivent être enfermés, moins pour les protéger contre eux-mêmes que pour protéger la société.
En arriver à un tel raisonnement, vouloir protéger la société contre ses propres enfants est, à mon sens, dramatique. (Exclamations sur certaines travées de l’UMP.)
M. Louis Nègre. Il s’agit de protéger la société contre les délinquants !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Je ne fais que reprendre les propos que M. Ciotti a tenus à l’Assemblée nationale ! Celui-ci a soutenu que des enfants devaient être enfermés pour protéger la société : ce sont eux qui, d’après lui, sont visés dans le texte.
Mais ces jeunes sont-ils volontaires ? Être volontaire, est-ce que cela veut dire avoir signé un contrat ou, puisqu’il s’agit de mineurs, avoir fait signer ses parents ?
M. Louis Nègre. Oui, comme pour le travail d'intérêt général !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Et ces « volontaires » auront le choix entre service citoyen volontaire ou prison ?
Il ne s’agit non pas vraiment d’exprimer une volonté, mais plutôt de choisir entre les deux branches d’une alternative, ce qui est très différent. Nous verrons par la suite les raisons pour lesquelles il est si important de peser chacun des termes du texte de loi.
Aujourd'hui, monsieur le garde des sceaux, vous nous dites que le service citoyen n’est pas une peine. À l’Assemblée nationale, vous avez affirmé qu’il consiste à accueillir le jeune mineur dans le cadre d’une sanction, de l’exécution d’une peine, et donc d’une réponse pénale directe.
À en croire la PJJ, il ne s’agit même pas d’une mesure de placement. Quant aux responsables de l’EPIDE, ils sont persuadés que les jeunes appelés à intégrer les centres au travers du nouveau dispositif seront toujours sous la responsabilité de la justice.
Une fois de plus, c’est le grand flou artistique. On s’éloigne un petit peu plus encore de la rigueur militaire.
D’ailleurs, en matière de rigueur et d’encadrement militaires, vous avez vous-même rappelé, monsieur le ministre, que les intervenants dans les centres de l’EPIDE ne sont plus majoritairement des anciens militaires. Cet établissement a su s’adapter et compte désormais nombre d’éducateurs et d’encadrants issus de la société civile.
Aujourd’hui, les jeunes présents dans les centres le sont dans le cadre d’une insertion et non d’une rééducation ou d’une sanction après des actes de délinquance. Alors que l’EPIDE en a la possibilité, il n’accueille pas de mineurs, et ce pour deux raisons : les tutelles ne lui en adressent pas ; il reçoit suffisamment de demandes des majeurs.
Monsieur le ministre, vous avez affirmé à l’Assemblée nationale que, d'ores et déjà, 200 majeurs délinquants avaient été accueillis à l’EPIDE : non, c’est à peine 100. Les majeurs délinquants accueillis à l’EPIDE dans le cadre de mesures post-sentencielles l’ont été sur prescription de la PJJ par le biais d’une convention. Or les résultats obtenus nous laissent très dubitatifs.
Ainsi, au centre de Lanrodec, celui qui enregistre les meilleurs résultats, sur les 20 jeunes majeurs en convention avec la PJJ et accueillis en post-sentenciel, seuls 17 se sont présentés et 2 sont à ce jour insérés : le pourcentage de réussite n’est pas extraordinaire.
Quant aux jeunes majeurs qui étaient dans le centre en pré-sentenciel, en attente de jugement ou en alternative à une peine, sur prescription de la mission locale, l’EPIDE ne connaissait même pas leur situation : pour eux, cela s’est systématiquement mal passé et ce sont des groupes entiers de jeunes qui ont ainsi été « détruits ».
Vous soutenez que les moyens financiers sont prévus. Certes, un « bleu » de Matignon existe, mais l’EPIDE a malheureusement déjà la triste expérience de ces documents auxquels Bercy ne donne pas les effets attendus. À ce jour, je n’ai vu aucun crédit inscrit au projet de loi de finances en matière de service citoyen.
L’une des vraies questions est peut-être aussi de savoir ce que représente l’EPIDE pour le Gouvernement.
Si on en fait un tout petit peu l’historique, l’EPIDE est, depuis sa naissance, un outil de communication et d’affichage régulièrement utilisé par le Gouvernement.
En 2005, il est créé dans un contexte d’urgence sociale. L’ouverture du premier centre a lieu en septembre 2005, annoncée dans un grand battage médiatique, mais se fait dans des conditions matérielles, financières et immobilières périlleuses, selon l’avis même de la Cour des comptes.
En décembre 2005, le Président de la République de l’époque annonce, toujours à grand bruit médiatique, la création du service civil volontaire, dispositif auquel est intégré l’EPIDE, censé accueillir 50 000 jeunes par an à l’horizon 2008, dont 20 000 à l’EPIDE, pour un budget annuel de 450 millions d'euros.
En 2007, 22 centres sont ouverts, extrêmement rapidement donc, dans un contexte difficile sur le plan tant du budget que des négociations avec les tutelles. Comme la Cour des comptes l’a souligné, l’État n’a pas doté l’Établissement des moyens à la hauteur des objectifs et des ambitions affichés.
Le 8 février 2008, le nouveau Président de la République, M. Sarkozy, annonce un grand plan Banlieues avec nombre de dispositifs dits « de deuxième chance », mais sans y intégrer l’EPIDE : cherchez l’erreur !
À la fin de 2008, l’EPIDE fonctionne avec un budget inférieur à 80 millions d'euros, contrairement au début, mais accueille 2 200 jeunes par an, dans 20 centres, au lieu de 22, et toujours sans aucun budget d’investissement.
En novembre 2009, l’EPIDE voit son habilitation étendue pour lui permettre d’accueillir des jeunes de seize à vingt-cinq ans, et non plus de dix-huit à vingt-deux ans, comme initialement. Une telle décision est prise non pas pour le plaisir d’accueillir des mineurs, mais pour se calquer sur le public des missions locales, qui sont ses principaux prescripteurs. Les missions locales, soit dit entre parenthèses, s’occupent d’insertion, pas de délinquance.
Il s’agit, pour l’essentiel, d’élargir la tranche des publics les plus âgés, pour que les jeunes entrés en insertion puissent finir leur parcours d’insertion au-delà de vingt-deux ans. Auparavant, nombreux étaient ceux qui intégraient l’EPIDE entre dix-huit et vingt ans : le temps qu’ils arrivent à trouver un travail, une formation correcte, ils avaient plus de vingt-deux ans. Dès lors, si l’accueil n’avait pas été étendu aux vingt-cinq ans, ces jeunes n’auraient pas pu aller correctement au bout de leur parcours d’insertion.
On arrive à l’automne 2011 : il faut faire de l’affichage, taper du poing sur la table pour montrer sa volonté de lutter contre la délinquance, rapidement, avant l’élection présidentielle de 2012. Alors, vite, on ressort l’EPIDE des cartons et on l’agite devant les caméras !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’EPIDE mérite mieux ! Pour vous décrire ce qu’il est vraiment, je vais reprendre les termes d’un élu, qui compte un centre EPIDE sur son territoire. Voici ce qu’il écrit : « L’EPIDE est un centre de la deuxième chance, pas une sanction, pas une punition, pas une prison. Le succès de ces établissements encore récents se fonde sur leur image positive auprès des jeunes et des familles. Ce regard bienveillant, voire chaleureux, risquerait de disparaître si de tels errements connaissaient un début de concrétisation. »
M. Jean-Jacques Hyest. Vous avez critiqué ces centres à l’origine !
M. Louis Nègre. Vous vouliez les supprimer !
M. Alain Anziani. Laissez parler Mme le rapporteur !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Les jeunes que l’on éduque à l’EPIDE laissent parler les autres, eux !
En inscrivant au frontispice de cette proposition de loi, ou plutôt de ce texte d’affichage, le « service citoyen pour les mineurs délinquants », on ne porte pas seulement au charnier une belle idée, celle des centres EPIDE, on dégrade dans le même temps l’idée du service civil, assimilé, en effet, à une contrainte et à une punition, alors, qu’il faudrait, au contraire, travailler le concept et le faire accepter par l’opinion.
Oui, les centres EPIDE marchent, mais parce que les jeunes qui y entrent sont volontaires ! Ce n’est pas une alternative qu’on leur impose : ce sont eux qui ont décidé de s’en sortir !
Cela marche parce que les jeunes sont volontaires sur un parcours d’insertion, parce que les centres EPIDE ont su évoluer et s’adapter au public qu’ils accueillent, parce que l’image renvoyée aux jeunes est celle d’une valorisation et non pas celle, dégradante, d’une délinquance dont ils se sont précisément extraits.
Cela marche parce que le projet est global, parce que l’on apprend aussi à ces jeunes à gérer un budget, chose que vous avez allègrement oubliée ! Car les jeunes des centres EPIDE, en tout cas, ceux qui y sont accueillis aujourd’hui, ont un budget à gérer. Tous les mois, en effet, ils perçoivent de l’argent qui leur sert à payer les allers et retours dans leur famille, le week-end. Cet aspect-là est « zappé » pour les mineurs délinquants, qui n’auront pas d’argent. Et ils ne seraient pas stigmatisés ? Mais ce seront les seuls à ne pas pouvoir se payer les navettes de fin de semaine pour se rendre dans leur famille !
L’EPIDE, cela marche parce que le projet est, encore une fois, global. Son champ couvre l’hygiène, les problèmes sanitaires, les soins médicaux et paramédicaux. (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.)
Cela marche, et pourtant nous sommes très loin des 83 % d’insertion annoncés par M. Ciotti pour son département, sans parler des 100 % avancés par M. Bénisti pour le sien ! De quoi bien faire rire tous ceux qui s’occupent réellement d’insertion !
Cela marche, mais à peu près à 40 %, voire à 50 % dans certains centres. De tous les jeunes qui ont franchi un jour la porte d’un centre EPIDE, ils sont 40 % à 50 % à s’en sortir, mais pas 83 %, et encore moins 100 % ! (M. Louis Nègre s’exclame.) C’est ridicule que de prétendre atteindre de tels taux de réussite !
Cela marche, mais c’est délicat ! Cela marche, mais on s’adresse à des jeunes fragiles !
Mais pourquoi ce « service citoyen » ne marchera-t-il pas lui aussi et pourquoi faut-il lutter contre ? Parce que nous sommes devant un texte qui n’a pas été suffisamment réfléchi, un texte d’affichage, un texte de communication !
Cela ne marchera pas parce que les conditions minimales ne sont pas réunies. Cela ne marchera pas parce que l’EPIDE n’aura pas les finances nécessaires. On nous parle de 8 millions d’euros, mais cette somme n’est inscrite dans aucun projet de loi !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Dans aucun projet de loi de finances ! Dans aucun projet de loi de finances rectificative !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Cela ne marchera pas parce que rien n’est garanti en matière d’équivalent temps plein !
Cela ne marchera pas parce que vous voulez aller beaucoup trop vite.
Cela ne marchera pas parce que l’EPIDE n’est pas associé au choix des mineurs.
Cela ne marchera pas parce que ce sont des mineurs contraints qui entreront dans le dispositif aujourd’hui imaginé par M. Ciotti ou par je ne sais quel autre en mal de publicité ou de communication !
Cela ne marchera pas parce que, tout à l’heure, vous nous avez dit, monsieur le ministre, que l’EPIDE serait prêt à les accueillir dès février 2012. Mais s’occuper de jeunes mineurs délinquants, c’est un métier ! Or, tel n’est pas aujourd’hui le métier des personnes qui travaillent à l’EPIDE. Et, en février 2012, elles ne seront toujours pas formées pour les accueillir, ces mineurs délinquants !
Cela ne marchera pas parce que, aujourd’hui, il n’y a même pas de mineurs non délinquants au sein des centres EPIDE ; alors, les mineurs délinquants… L’Établissement ne dispose ni des structures, ni du personnel suffisant et pourvu de la formation adéquate, pour accueillir des mineurs, a fortiori des mineurs délinquants.
Mais me faut-il poursuivre la charge plus longtemps ?
Mme Virginie Klès, rapporteur. Vous aurez maintenant compris que, faute de réflexion, vous allez détruire un dispositif qui fonctionne et qui permet l’insertion de jeunes.
Il y avait pourtant bien des choses à faire avec l’EPIDE !
Il faudrait commencer par consolider son budget et ses emplois. Peut-être faudrait-il aussi respecter a minima la direction de l’EPIDE en mettant un terme à la valse des directeurs généraux, qui arrivent et repartent, remerciés sans qu’on sache réellement pourquoi, en tout cas, pas pour un dysfonctionnement dans leur manière d’assurer leurs missions.
Sans doute aurait-il fallu penser aussi à associer, outre le ministère de la justice, le ministère de l’éducation nationale.
Oui, il aurait fallu prendre les bonnes idées de l’EPIDE, car il y en a ! Oui, certaines sont applicables aux mineurs, fussent-ils délinquants, mais à la condition de consacrer à ces jeunes un dispositif qui leur soit dédié.
Oui, sans doute y avait-il matière à réfléchir. Peut-être était-il possible de construire, avec les lycées militaires, un deuxième système de type EPIDE, en empruntant les bonnes idées de la formule, mais adaptées à la psychologie particulière des mineurs, de ces adolescents dont je rappelle ici qu’ils sont des personnes en construction.
Oui, sans doute faut-il s’intéresser aux mineurs, mais c’est dès l’âge de quatorze ans qu’il faut le faire, monsieur le ministre, sans attendre qu’ils aient seize ans ! C’est à quatorze ans que les mineurs décrochent. Alors, si nous voulons vraiment être efficaces, commençons à nous occuper des mineurs dés l’âge de quatorze ans !
Et n’allez pas mélanger des gamins de quatorze ans avec d’autres de dix-huit ans ! Créons un dispositif spécifique !
Utilisons tous nos moyens, à commencer par l’éducation nationale, qui est quand même l’un des premiers éducateurs ! Au lieu de la tuer en supprimant des postes, utilisons-la !
Croyons dans notre jeunesse ! Créons un réel dispositif qui s’occupera des jeunes de quatorze à dix-huit ans et, en lien avec l’EPIDE, des jeunes de seize ans à dix-huit ans. En préservant cette petite plage entre les deux, on rendra possible l’adaptation nécessaire pour assurer une réelle éducation, une éducation au cas par cas pour ces enfants – je dis bien ces enfants, car même à dix-huit ans, ils sont encore des enfants ! – qui sont en déshérence, qui sont en souffrance.
Avant de terminer, laissez-moi vous citer quelques jeunes que j’ai rencontrés en centre EPIDE. Ils nous ont dit avoir trouvé à l’EPIDE la communauté et le respect de ceux qui les encadrent. À l’EPIDE, ils ont trouvé une écoute, une famille et les exigences dont ils avaient besoin pour se reconstruire. À l’EPIDE, on leur a fait confiance, en les laissant gérer leurs budgets. Et si la discipline y est parfois difficile à respecter, du moins ont-ils l’assurance de trouver, à la sortie, un métier.
Et je conclurai sur les mots d’une jeune fille que l’EPIDE a fait « grandir et mûrir ». Ne cassez pas cette famille des jeunes en déshérence ! Ils n’ont pas besoin de cela ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je partage, pour beaucoup, les propos exprimés par notre rapporteur, Virginie Klès, au nom de la commission des lois. Et je me réjouis que la proposition formulée par mon amie Nicole Borvo Cohen-Seat d’opposer la question préalable au texte de M. Ciotti ait recueilli un soutien majoritaire au sein de cette commission.
La proposition de loi de M. Ciotti, adoptée par l’Assemblée nationale, est issue d’un rapport commandé par le Président de la République. Il s’agissait, selon la lettre de mission, de « renforcer notre capacité à exécuter efficacement les peines prononcées ».
Parmi les propositions de M. Ciotti – très largement puisées dans celles de M. Bénisti, auteur de l’idée fallacieuse et très controversée du dépistage dès la crèche des bébés agités pour, selon lui, prévenir la délinquance – parmi donc ces propositions, figurait « une peine de service civique pour les mineurs délinquants récidivistes ».
Dans son rapport devant la commission des lois à l’Assemblée nationale, Éric Ciotti indique qu’il s’agit de créer le « chaînon manquant dans la gradation de la réponse pénale » ! À l’évidence, la délinquance est, pour la droite, un puits sans fond où elle puise de quoi justifier l’injustifiable !
Mes chers collègues, il est temps de mettre fin à cette escalade inutile.
Le 13 septembre, le Président de la République s’est rendu au centre éducatif fermé de Combs-la- Ville, puis, au centre pénitentiaire de Réau. Dans son discours, il reprenait l’une de ses litanies préférées et dont il a le secret : « Le mineur délinquant de 2011 n’a rien à voir avec le mineur délinquant de 1945 ». Ou encore : « Le mineur de 2011 est plus violent que le mineur de 1945 ».
Fort de ses certitudes dont chacune et chacun ici relèvera la pertinence, il apportait donc un soutien très explicite à la proposition de loi d’Éric Ciotti, ajoutant que le Gouvernement allait la reprendre.
Effectivement, monsieur le ministre, vous avez fait vôtre cette proposition de loi, puisque, non content d’engager la procédure accélérée, vous en avez profité pour ajouter des dispositions qui n’ont rien à voir avec le service citoyen, autrement dit, des cavaliers législatifs.
M. Jean-Pierre Michel. Très bien !
Mme Éliane Assassi. De surcroît, dans cet article 6 que vous avez donc ajouté, vous avez fait fi des décisions du Conseil constitutionnel, auxquelles vous prétendez pourtant vous conformer !
En effet, l’une concerne l’organisation des tribunaux et le rôle du juge des enfants et exige de recueillir l’avis de ces magistrats et, donc, un temps de réflexion. Ce temps, le Conseil constitutionnel vous l’a précisément accordé. Pour ce qui est de l’autre cas, vous tentez de contourner, une nouvelle fois, les limites posées par le Conseil en matière de comparution immédiate des mineurs.
Utiliser une proposition de loi en lieu et place d’un projet de loi vous permet d’éviter les réponses contenues dans toute étude d’impact et un « retoquage » par le Conseil d’État ! Rien que cela suffirait à rendre ce texte irrecevable.
Les motifs exposés par M. Ciotti pour justifier sa proposition de loi reposent sur le postulat de l’augmentation incessante de la délinquance des mineurs. Pourquoi s’évertue-t-il à masquer la réalité, à savoir que la part des mineurs stagne à 18 % ou 19 % de l’ensemble de la délinquance et baisse même légèrement, si ce n’est pour nous proposer un texte d’affichage qui joue, une nouvelle fois, avec les peurs ?
Mais, imaginons - un très bref instant - que je sois d’accord avec M. Ciotti,…