M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Christian Bourquin. Je vais me diriger vers la conclusion de mon intervention, monsieur le président. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. André Trillard. C’est fini !
M. le président. Le temps qui vous était imparti est écoulé. Il vous faut conclure !
M. Christian Bourquin. Je termine, monsieur le président.
Monsieur le ministre, il nous faut passer de la réforme à la relance. C’est avant tout une affaire d’ambition pour la France. De ce point de vue, les quinze propositions formulées par le groupe de travail nous semblent réalistes et incontournables. Le Gouvernement aura-t-il les moyens financiers de les mettre en œuvre ? J’en doute ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole à M. André Trillard.
M. André Trillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, en premier lieu, à rendre hommage, au nom du groupe UMP, à M. Charles Revet, qui nous a fait un exposé remarquable sur la situation des ports français, le développement portuaire et l’avancement de la réforme.
Comme à son habitude, notre collègue nous a présenté une analyse pertinente et sans concessions. Les conclusions de son rapport d’information, remis au nom du groupe de travail créé par la commission de l’économie, ne peuvent pas rester lettre morte et doivent trouver une traduction concrète.
M. Charles Revet. Très bien !
M. André Trillard. Cet excellent rapport montre combien il reste à faire pour relancer l’activité de nos ports maritimes. Il est important de souligner que son diagnostic et ses recommandations ont fait l’objet d’un large consensus au sein du groupe de travail. On ne peut que s’en féliciter.
En second lieu, je veux rappeler à quel point notre groupe se soucie du développement des ports maritimes. Ce sujet est à nos yeux très important. Le Sénat a voté en 2008 une loi portant réforme portuaire, mais il faut constater aujourd’hui que la situation n’évolue pas tout à fait comme nous pourrions le souhaiter.
S’inspirant du modèle régissant les principaux ports européens, la réforme de 2008 visait à renforcer la compétitivité des sept grands ports français, confrontés, depuis plusieurs années, à une concurrence de plus en plus vive des autres grands ports européens. Leurs parts de marché s’érodent.
Il n’y a pas grand-chose à ajouter à ce qu’a dit Charles Revet…
M. Bruno Sido. Comme toujours !
M. André Trillard. Je me contenterai d’insister sur deux exemples frappants, qui ont d’ailleurs déjà été cités.
Le port de Marseille, premier port de France, n’occupe plus que le cinquième rang européen pour son trafic global, et le treizième pour le trafic de conteneurs.
Le port du Havre n’arrive qu’à la huitième place sur le plan européen pour les conteneurs, loin derrière les grands ports du continent.
Pour être tout à fait complet, je rappelle que le trafic de l’ensemble des ports français est nettement inférieur à celui du seul port de Rotterdam.
La France dispose pourtant d’une vaste zone économique maritime, la seconde par la taille après celle des États-Unis, ainsi que de façades maritimes exceptionnelles. Et je ne parle pas des territoires ultramarins, qui accroissent grandement notre potentiel.
Je voudrais revenir sur une remarque très pertinente de notre collègue Charles Revet, grand spécialiste des questions portuaires. Elle résume, me semble-t-il, le problème que nous avons à résoudre : l’absence de logique commerciale et de culture d’entreprise dans nos ports est à l’origine de la mauvaise performance de nos terminaux. Nombre d’armateurs préfèrent passer par les ports belges et néerlandais, dont la performance est bien meilleure.
La réforme de 2008 comportait quatre axes principaux : recentrer l’activité des grands ports maritimes sur leurs missions régaliennes ; refonder la gouvernance des grands ports maritimes ; organiser la coordination entre les ports d’une même façade ; simplifier et rationaliser l’organisation de la manutention.
La dernière étape, la plus délicate, consistant à transférer les personnels de manutention encore employés par les établissements publics portuaires, a été achevée à la fin du mois de juin dernier. Cela signifie que la loi votée il y a trois ans n’est réellement entrée en application que depuis trois mois. Il est donc difficile d’apprécier aujourd’hui si ses dispositions seront suffisantes ou pas pour atteindre les objectifs visés.
La réforme a été votée, mise en place et achevée dans un contexte de crise économique que nous n’avions pas prévu. Elle est donc d’autant plus essentielle pour la relance économique de nos ports, qui peut entraîner la création de nombreux emplois. Cette réforme, véritable plan de relance des ports français, constitue un enjeu majeur pour notre économie. Ne la jugeons pas trop vite, car elle est à peine en marche.
M. André Trillard. Au moins 30 000 emplois sont en jeu dans les secteurs du transport et de la logistique. La compétitivité retrouvée grâce à la réforme améliorera également les capacités d’exportation de nos entreprises, car c’est une grande faiblesse, pour notre commerce extérieur, que celles-ci soient obligées de recourir aux services de ports situés au-delà de nos frontières.
Parmi d’autres raisons d’espérer, permettez-moi d’évoquer la capacité d’innovation et d’adaptation, ainsi que la réactivité, dont font montre, en maintes circonstances, tous les partenaires des communautés portuaires.
À ce titre, je m’attarderai quelques instants sur le cas du grand port de Nantes-Saint-Nazaire, qui a su tirer parti des dispositions de la loi portant création des autoroutes de la mer.
Lancée en septembre 2010 avec trois départs par semaine, la ligne Saint-Nazaire-Gijón a vu son trafic passer de 250 poids lourds embarqués par mois à 1 000 véhicules en janvier et à 1 200 en février. Cette progression se poursuit, ce qui a conduit l’armateur à mettre en service un navire de plus grande capacité et à modifier le rythme des rotations.
Dans la foulée, un phénomène imprévu est apparu, qui laisse à penser que les ports seraient enfin devenus un élément à part entière de la vie des habitants de l’hinterland : on constate que des touristes empruntent cette ligne, dont la création a favorisé en outre la mise en place de jumelages ; plus surprenant encore, la voie maritime est utilisée par des pèlerins de retour de Saint-Jacques-de-Compostelle, séduits tant par la traversée du golfe de Gascogne que par la possibilité de prendre ensuite le TGV à Saint-Nazaire ! Je veux insister sur le fait que ce projet a été respecté par tous les acteurs du port, bien qu’il ait été lancé au cœur d’une période difficile sur le plan social.
En ce qui concerne la réforme portuaire, j’ai relevé, dans la presse de Loire-Atlantique du 1er octobre dernier, une déclaration du principal syndicat portuaire. Tout en contestant la réforme portuaire, celui-ci reconnaît que « l’accord signé est une réussite ». Un de ses responsables ajoute même : « On n’y perd pas financièrement, on s’y retrouve. » Voilà qui semble témoigner d’une amélioration des relations professionnelles, dans le respect de l’adage selon lequel un bon commerce est un commerce où tout le monde gagne.
Monsieur le ministre, nous vous savons déterminé à faire en sorte que cette réforme portuaire fonctionne et tienne ses promesses sur le plan économique. Nous sommes persuadés que vous saurez prendre en considération les conclusions du rapport d’information du groupe de travail, dont le titre, « Les ports français : de la réforme à la relance », est tout à fait éloquent.
Mes collègues du groupe UMP et moi-même tenons enfin à rendre hommage à l’ensemble des membres du groupe de travail pour leur implication et l’excellence de leur analyse de la situation des ports français et de l’état de la réforme, ainsi que pour l’esprit constructif dont ils ont fait preuve. Monsieur le ministre, la balle est désormais dans votre camp !
Monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi de vous faire observer que la concision de mon intervention permet de compenser le dépassement de son temps de parole par l’orateur qui m’a précédé ! (Sourires et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet dont nous débattons est loin d’être mineur. Pour tous ceux qui, comme moi, souhaitent que la France porte une volonté maritime forte dans tous les domaines, ce rapport sénatorial apporte la preuve que cela est non seulement possible, mais surtout nécessaire.
Je tiens à saluer à mon tour le travail de M. Revet, dont j’approuve bien entendu les quinze propositions, même si je porterai une appréciation beaucoup plus nuancée que la sienne sur le bilan de la réforme de 2008.
De nombreux facteurs militent pour un engagement en faveur du développement de nos ports. Deux d’entre eux me paraissent particulièrement importants aujourd’hui : l’avenir économique de notre pays et de nos territoires ; le défi de la durabilité pour nos modes de transport.
Dans cet esprit, nous avons formulé des propositions opérationnelles, issues d’une vaste concertation et qui feront l’objet, je l’espère, d’une initiative parlementaire très prochainement.
Espace d’accès privilégié au cœur de l’Europe grâce à ses quatre façades maritimes, deuxième zone économique exclusive au monde grâce aux départements et aux collectivités d’outre-mer, la France apparaît toutefois ridiculement armée aujourd’hui pour faire valoir ses atouts sur le marché très concurrentiel des dispositifs portuaires.
L’histoire nous le prouve : chaque fois que la France s’est tournée vers l’extérieur et a valorisé sa position maritime, elle a connu un fort développement économique. Notre tradition historique trop continentale et la faiblesse de notre culture maritime doivent bien évidemment être prises en considération pour comprendre le sous-dimensionnement chronique de nos ambitions et de nos moyens en faveur du grand large.
À cet égard, je rappellerai que, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le général de Gaulle avait catégoriquement refusé que le port de Brest soit concédé pour quatre-vingt-dix-neuf ans aux Américains. Nous nous étions félicités de cette décision à l’époque, mais, avec le recul, je me demande si la carte économique des ports en Europe et en France n’en aurait pas été changée…
M. Ladislas Poniatowski. C’est intéressant !
Mme Odette Herviaux. Une vision maritime peut toutefois se construire, à condition d’en avoir la volonté politique : c’est son absence que nous déplorons depuis plusieurs années, car elle condamne aujourd’hui l’une des grandes puissances maritimes d’Europe à subir l’éloignement des plateformes du commerce mondial, au détriment de son économie et de sa croissance.
Un certain nombre de chiffres, déjà cités par les orateurs qui m’ont précédée, permettent d’appréhender la gravité de la situation : entre 1989 et 2006, la croissance du trafic des ports français a été de près des deux tiers inférieure à celle des ports de nos voisins européens, et la moitié des conteneurs à destination de la France transitent par des ports étrangers. Notons, à ce propos, que la dernière réforme portuaire, censée aider les ports à reconquérir des parts de marché, ne leur a, pour l’heure – peut-être est-il encore trop tôt pour dresser un bilan définitif –, même pas permis de stabiliser leurs positions.
Néanmoins, certains responsables politiques ont pris conscience du caractère stratégique des mers et des océans. La mondialisation de la production à flux tendus et de la division sociale du travail fragmente en effet les zones de production, tout en les éloignant des centres de consommation.
Pourtant, ne l’oublions pas, le troisième armateur mondial de porte-conteneurs est français et les armements européens contrôlent 41 % de la flotte mondiale. Comment valoriser nos atouts ? L’objectif est non pas uniquement de nous livrer à une concurrence débridée avec nos voisins européens, mais avant tout de sécuriser, dans le respect des normes sociales et environnementales, l’acheminement des produits nécessaires au fonctionnement et au développement de notre économie, à l’import et à l’export.
Sans reprendre ici intégralement l’excellent argumentaire de M. Revet, je centrerai mon propos sur le rôle de l’État. Ce dernier a été le patient édificateur du réseau portuaire, conformément à la tradition française du centralisme interventionniste, qui a eu son temps et ses mérites, mais apparaît aujourd’hui totalement inadapté pour affronter les défis de l’économie mondialisée et du développement territorial durable.
M. Bruno Sido. Il fallait être là pour l’entendre !
Mme Odette Herviaux. Sans nier le rôle des conflits sociaux dans la perte de compétitivité des ports français, singulièrement des grands ports maritimes, il faut noter que les personnels ont désormais tous admis que leur avenir professionnel dépendait avant tout de la bonne santé de leur place portuaire.
Mme Odette Herviaux. De mon point de vue, il s’est avant tout agi d’un « arbre social », habilement mis au premier plan pour cacher la forêt d’une politique de renoncement.
En matière de pilotage stratégique, tout d’abord, il est apparu flagrant que l’État n’assume pas ses responsabilités. L’éclatement et l’instabilité de l’appareil politique et administratif fragilisent grandement la conduite d’une action publique rationnelle en matière maritime et débouchent sur une démarche parfois opportuniste, menée au gré des vagues et des courants par des ministères travaillant difficilement ensemble – la mer étant quelquefois tout simplement ignorée des attributions ministérielles – et des administrations, centrales et déconcentrées, parfois en conflit entre elles et favorisant des glaciations locales…
Cette polyphonie vire parfois à la cacophonie, surtout quand elle s’accompagne d’une réduction drastique des moyens d’investissement et de fonctionnement. Dans ce cadre, l’application uniforme d’une RGPP mécanique risque de s’opposer à la mise en œuvre d’une politique concertée de long terme, seule à même de doter les ports et les acteurs du monde maritime d’outils durables pour qu’ils puissent s’affirmer véritablement à l’échelle européenne et internationale. Ainsi, le démantèlement affligeant de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, la réforme des services des douanes, encore mal connue, et la disparition des services locaux de la direction des affaires maritimes dans des régions à très forte vocation maritime constituent autant de signaux négatifs adressés aux porteurs de projets, et plus spécifiquement aux collectivités.
En matière d’investissements portuaires, ensuite, la participation de l’État, à hauteur de 15 %, n’a pas donné l’impulsion nécessaire au redécollage de nos places portuaires. Un rapport de la Cour des comptes, paru dès 2006, reconnaissait ainsi que « la proportion des investissements affectée au domaine portuaire en France est plus limitée que dans plusieurs pays européens, notamment l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne », alors même que notre retard structurel devrait nous imposer des efforts sans précédent.
De surcroît, la diminution chronique du taux de remboursement des frais engagés pour l’entretien des accès maritimes des ports, celui-ci s’établissant à 60 % en 2006, est à cet égard révélatrice des graves défaillances d’un État qui se permet de ne pas respecter les lois qu’il a lui-même édictées.
Encore une fois, les collectivités locales, en particulier les régions et les départements, se trouvent contraintes de pallier les carences d’un État qui leur fait payer le prix de sa propre inconséquence budgétaire et fiscale.
Lors de la discussion, en mai 2009, de la question orale avec débat sur le bilan d’application de la loi portant réforme portuaire, le secrétaire d’État chargé des transports de l’époque se félicitait de ce que 2,4 milliards d’euros doivent être investis entre 2009 et 2013 dans la transformation des infrastructures portuaires, en oubliant de préciser que, sur ce montant, 500 millions d’euros seulement proviendraient de l’État. Au surplus, cet investissement de 2,4 milliards d’euros, sur cinq ans et pour sept ports, est d’un tiers inférieur à celui que les Pays-Bas consacrent au seul port de Rotterdam.
Cette situation dramatique conduit petit à petit à un sous-équipement qui condamne, à court terme, les ports français, car l’on sait à quel point la fiabilité est un critère prépondérant en termes de compétitivité, bien avant même les coûts des prestations.
Tutelle pesante, rigidités réglementaires, désengagement financier : le Gouvernement a peut-être créé les conditions de la disparition de ports français d’ores et déjà relégués dans les profondeurs des palmarès internationaux. Le tonnage traité par le seul port de Rotterdam dépasse ainsi celui de nos sept grands ports maritimes réunis…
Toutes ces incohérences sont d’autant plus regrettables que le Grenelle de l’environnement et, surtout, le Grenelle de la mer avaient fait naître de grandes espérances, notamment en ce qui concerne l’éco-responsabilité portuaire et la formation, laquelle demeure trop souvent négligée lorsque l’on évoque l’avenir des ports.
Les caractéristiques des flux maritimes mondiaux et les limites de la rente pétrolière nous obligent à modifier radicalement notre conception de l’action publique au service du développement des ports français. En l’occurrence, c’est bien l’offre qui crée la demande, et une politique d’investissements massifs et durables s’impose si nous voulons franchir un cap qualitatif et quantitatif.
Il nous faut accroître très sensiblement le trafic de conteneurs afin d’amortir l’achat et le fonctionnement d’outillages et d’infrastructures performants et, ainsi, de nous conformer à l’esprit de la directive européenne du 26 juillet 2000, dont la mise en œuvre a conduit à une dissociation entre activités d’autorité publique ou d’intérêt économique général, d’une part, et activités présentant un caractère concurrentiel, d’autre part. Je rappelle une nouvelle fois que 1 000 conteneurs supplémentaires permettent de créer cinq emplois.
M. Charles Revet. Oui !
Mme Odette Herviaux. La massification des flux doit aussi permettre d’atteindre le seuil de rentabilité économique pour le transport combiné fluvial de conteneurs, encore très dépendant des aides publiques, car handicapé par le coût des ruptures de charge.
Ces hauts niveaux de financement – mais pas à fonds perdus –, sous maîtrise d’ouvrage publique, doivent par ailleurs s’accompagner de la mise en œuvre d’une gouvernance territorialisée des espaces portuaires et de l’inversion de la charge opérationnelle entre l’État et les collectivités. De la tutelle d’un État réglementairement omnipotent mais stratégiquement absent et financièrement désengagé, nous devons passer à une relation de confiance entre, d’une part, un État stratège, facilitateur et péréquateur, et, d’autre part, des collectivités chargées du développement économique, de l’animation territoriale et de la cohérence organisationnelle, s’appuyant sur un droit à l’expérimentation.
Dans l’intérêt de leur territoire, tant de la façade littorale que de l’arrière-pays, les collectivités pourront s’impliquer pleinement si elles sont assurées de pouvoir en retirer des bénéfices, qu’ils soient matériels ou stratégiques, notamment dans l’articulation des différents schémas d’aménagement du territoire et le pilotage de la concertation avec les représentants de toutes les structures pertinentes.
Après le transfert des ports d’intérêt national aux collectivités territoriales par la loi de 2004, il nous semble donc indispensable de poursuivre le mouvement de décentralisation en proposant un troisième acte, qui concernera aussi les grands ports maritimes. En somme, avec ce rapport et ces propositions très concrètes, nous voulons changer le regard sur les ports maritimes, en abandonnant l’approche statique en termes d’infrastructures, au profit d’une vision dynamique et globalisée pour des stratégies de développement conquérantes et mobilisatrices, au service d’une croissance économique durable et de l’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, très chères et trop rares collègues sénatrices (Sourires.), chers collègues sénateurs, c’est avec beaucoup d’émotion que j’ai fait mon entrée, voilà quelques jours, dans cette grande maison si chargée d’histoire. M’est alors venue à l’esprit une musique portant ces mots très forts : « For the times they are a-changin’ », tirés d’une chanson des années soixante de Bob Dylan. À la même époque commençaient les travaux du Club de Rome. Cinquante ans après, les changements survenus n’ont répondu ni à l’interpellation du poète visionnaire ni à la mise en garde d’éminents scientifiques sur les limites de la croissance.
Au contraire, tout reste à faire, toutes les dérives dénoncées se sont accélérées. Nous sommes aujourd’hui dans une situation d’urgence, et il est de notre responsabilité collective, en tant que représentants du peuple français, d’avoir le courage de prendre toutes les mesures qui s’imposeront. Rappelons-nous Corneille : « Nous partîmes cinq cents mais, par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en arrivant au port. » On voit que c’est souvent une minorité audacieuse et éclairée qui ouvre le chemin ! Pour l’heure, nous voici donc arrivés au port, le sujet du jour !
Au nom des sénateurs écologistes, j’évoquerai le fond de la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire, texte ciblé sur les sept ports autonomes maritimes.
Je suis d’accord avec notre collègue Charles Revet, auteur du rapport d’information, quand il déplore la trop faible prise en compte de l’intérêt fondamental que représente le développement des ports dans notre pays, qu’il s’agisse des grands ports maritimes ou de ceux dits secondaires – je pense notamment au port de Lorient, dans notre Morbihan.
Or, le développement du transport de marchandises par voie maritime est une nécessité si l’on veut lutter efficacement contre le réchauffement climatique. Ce mode de transport émet cinquante fois moins de CO2 que le transport aérien et douze fois moins que le transport routier !
L’analyse de ce rapport inspire une question simple : à quoi doivent servir le transport maritime et ses dessertes aériennes, terrestres et fluviales ?
L’un des premiers objectifs est bien l’acheminement des ressources nécessaires au fonctionnement de notre société, en affectant le moins possible notre environnement. Aujourd’hui, la majeure partie de nos importations sont débarquées dans les ports du nord de l’Europe. Il s’agit donc de rééquilibrer l’activité portuaire. L’enjeu est aussi de relier efficacement les ports à leur arrière-pays. La loi dite « Grenelle 1 » a fixé comme objectif le doublement de la part de marché du fret non routier pour les acheminements à destination et en provenance des ports d’ici à 2015. Nous en sommes loin !
Là est bien l’enjeu : investir dans le transport de fret ferroviaire et fluvial en tant qu’alternative à la route, afin de relever le défi, bien réel, du réchauffement climatique. Dans cette perspective, il est absolument nécessaire de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Les effets d’annonce ne suffisent pas !
Au regard de cet enjeu, le cadeau fait à certains lobbies agricoles, notamment celui des céréaliers, est un non-sens et un scandale, monsieur le ministre. En autorisant la circulation de camions à cinq essieux de quarante-quatre tonnes…
M. Bruno Sido. Quarante-deux !
M. Joël Labbé. … au lieu de quarante actuellement et en promettant, comme l’a fait le Président de la République, d’étendre cette mesure à tous les autres secteurs avant la fin de l’année 2012, on porte un nouveau coup aux quelques avancées permises par le Grenelle de l’environnement. Où est la cohérence ?
M. Jean Desessard. Très bien !
M. Joël Labbé. Il est primordial d’encourager le transport fluvial, qui ne représente aujourd’hui qu’une très faible part de la desserte des ports. Le projet initial d’autoroute de la mer entre Nantes-Saint-Nazaire et Gijón a permis de décongestionner quelque peu les routes saturées de camions. Cet effort doit être prolongé en créant des connexions maritimes à l’échelle européenne. Nous en sommes encore loin, et le risque est bien réel que, après cinq ans de subventionnement, la rentabilité soit jugée trop faible pour que l’on poursuive ce type de projets.
M. Jean Besson. C’est vrai !
M. Joël Labbé. Depuis la nuit des temps, un port est un élément structurant d’un territoire. Le renforcement du rôle des acteurs locaux dans la gestion portuaire est donc une étape essentielle en matière de développement, en vue de parvenir à un aménagement concerté de ces espaces.
Il faut poursuivre le mouvement de décentralisation. Les ports dits secondaires sont un atout pour les économies régionales, mais ils pourraient l’être davantage encore grâce à des mises en réseau efficaces. Il faut repenser la coopération et le poids des régions, notamment en associant les ports dits secondaires aux grands ports maritimes, afin d’éviter des concurrences malsaines entre les régions et entre les ports.
Avec cette réforme, la concurrence interportuaire va continuer, ainsi que la réalisation d’investissements colossaux pour des résultats bien souvent trop faibles. Ces mises en concurrence malsaines sont aussi, pour une part, responsables du manque de fiabilité de nos ports. Ce manque de fiabilité, qui est bien réel, a des causes multiples. Or le rapport met injustement l’accent sur la responsabilité des salariés grévistes, en passant sous silence celle des entreprises de manutention, pourtant évidente. Il manque, dans ce pays, une véritable culture du dialogue social. Il faudra bien que les choses évoluent à cet égard ; l’impulsion doit venir de l’État. (M. le ministre s’étonne.)
Si l’association des collectivités territoriales au développement de l’activité portuaire est un élément important en termes d’aménagement du territoire, elle doit avoir aussi pour finalité d’aboutir à des aménagements concertés et acceptés par le plus grand nombre. Or de récentes évolutions ne vont pas dans ce sens, monsieur le ministre.
Ainsi, le code de l’urbanisme permet de qualifier ces grands projets de projets d’intérêt général. De ce fait, les préfets peuvent prendre la main, au détriment des élus et de la population. Par ailleurs, le rapport plaide pour un assouplissement de l’application de la directive Natura 2000 : c’est tout simplement inenvisageable ! Il évoque également une explosion des recours formés par les associations environnementales et la nécessité de les sanctionner pénalement. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Un tel discours inquiète ! Il est fondamental que les associations, notamment locales, puissent être parties prenantes à la concertation.
J’évoquais tout à l’heure le dialogue social, mais il faut aussi créer, dans ce pays, une culture du dialogue sociétal.
Penser de manière durable le développement des ports engendrera en outre un gisement d’emplois et d’activités nouvelles. Il pourrait notamment être envisagé de créer une filière de préservation et de gestion nouvelle de l’écosystème marin, ainsi qu’une véritable filière de déconstruction et de recyclage des navires civils et militaires. La réforme de 2008 passe à côté de cet enjeu.
Pour conclure, il est nécessaire de concevoir une autre politique maritime, de penser les ports comme des outils d’un développement maîtrisé, durable et solidaire de nos territoires.
Solidarité, complémentarité : les mots sont lâchés. Il faut remettre en cause le gigantisme qui prévaut aujourd’hui, réguler le marché mondial, engager une véritable transformation écologique de notre économie, à l’échelle française, certes, mais aussi à l’échelle mondiale.