M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si je ne suis pas anti-européen, je suis en revanche très circonspect devant tous ceux qui voudraient soudainement, au vu des difficultés que traverse l’Europe, étendre son rôle et ses attributions, renforcer ses pouvoirs.
De même, si je ne suis pas un farouche opposant à la mondialisation, je crois qu’il faut rester très prudent face à celle-ci. D’ailleurs, si l’on avait été par le passé plus prudent sur cette question, nous n’en serions peut-être pas là où nous en sommes aujourd'hui !
Je déplore que, dans l’effervescence des avis formulés à droite comme à gauche, on persiste à expliquer que l’idéal réside toujours dans la mondialisation et dans encore plus d’Europe. Il me semble que ceux qui ne partagent pas tout à fait cette analyse ont une vision tout aussi respectable, et qu’ils n’ont pas nécessairement à être taxés de populisme !
Je dois d’ailleurs vous dire, monsieur le ministre, que dans « populisme » on retrouve la même racine que dans « populaire » ! À tous ceux qui ricanent et se moquent de la prudence d’élus qui, comme moi, souhaitent agir avec beaucoup de circonspection quand il s’agit d’Europe et de mondialisation, je donne rendez-vous à l’élection présidentielle de l’année prochaine. Il sera alors intéressant d’additionner, d’un côté, les voix obtenues par les candidats – plutôt que par les partis, qui seront peu nombreux –, de droite comme de gauche, à fond « pro-européens » et « pro-mondialisation » et, de l’autre, les voix de ceux qui sont, au contraire, plus réservés sur ces deux domaines. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’au second tour de l’élection présidentielle nous ayons à choisir, non pas entre un « pro-européen » farouche et un « pro-européen » jusqu’au-boutiste, mais plutôt entre un candidat qui désire continuer comme si de rien n’était, sans se rendre compte que tout ce qui a été fait jusqu’à présent n’est pas la bonne solution, et un autre qui considère qu’il est temps de songer à des solutions nouvelles.
Pour ma part, je ne crois pas possible de dire que, quand tout va bien, c’est grâce à l’euro, et que, quand tout va mal, c’est la faute à personne !
M. Jean Bizet. Il a tout compris !
M. Jean Louis Masson. Le problème est beaucoup plus complexe que cela. En la matière, les réponses à apporter ne peuvent arbitrairement présenter comme obligatoire une direction et comme impossibles toutes les autres ! Il est nécessaire, me semble-t-il, de réfléchir plus avant.
Ce n’est pas à l’insuffisance du pouvoir européen de porter la responsabilité des difficultés actuelles, mais plutôt aux fautes commises par les différents États membres. Il faut tout de même être clair : qui est responsable de la situation grecque, sinon d’abord les Grecs eux-mêmes, qui ont trafiqué leurs comptes et sont allés dans le mur tout en sachant très bien qu’ils y allaient ?
Au lieu de nous dire qu’il faut plus d’Europe pour que cela aille mieux, je pense donc qu’il faut d’abord mettre chacun face à ses responsabilités.
En la matière, la stratégie de l’Allemagne est beaucoup plus pertinente que celle de la France. On ne peut pas laisser les États faire n’importe quoi ! Cela vaut pour la Grèce, mais, à bien y réfléchir, on pourrait également l’appliquer à la manière dont la France a été gérée au cours des cinq dernières années, notamment par comparaison avec l’Allemagne.
La situation économique de notre voisin d’outre-Rhin et l’état de ses comptes publics le placent à l’abri de toute dégradation de sa note souveraine et en font un pôle de solidité, un roc, au sein de l’Union européenne.
Si la France ne se trouve pas vraiment dans une situation catastrophique, on ne peut tout de même pas dire qu’elle se porte bien ! Nous sommes, nous aussi, confrontés à une crise de la dette souveraine qui soulève de vives inquiétudes. Et cette situation résulte probablement de la politique qui a été menée au cours des cinq dernières années : si je devais comparer le budget de l’État à une baignoire, je dirais qu’on a fermé le robinet d’arrivée d’eau tout en augmentant le débit de la vidange !
Comme à son habitude, le Président de la République a fait très fort et, comme à son habitude, il essaie à présent de s’en tirer par des gesticulations… Ce sera vraisemblablement encore le cas lors du prochain Conseil européen !
Personnellement, je pense que les réponses relèvent avant tout de la responsabilité des États ! Ainsi, je le répète, c’est d’abord aux Grecs d’assumer les conséquences de la situation calamiteuse de leur pays !
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est déjà le cas !
M. Jean Louis Masson. Mais nous devrions sans doute nous interroger nous-mêmes et chercher à améliorer la gestion de notre pays !
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord formuler deux observations.
Premièrement, c’est lundi ou vendredi prochains que nous aurions dû avoir ce débat. En effet, nous sommes aujourd'hui invités à prendre part à un débat préalable au Conseil européen sans connaître les propositions qui seront inscrites à l’ordre du jour : nous avons simplement été informés des grands thèmes qui seront abordés. Vous n’y êtes certes pour rien, monsieur le ministre, mais voilà tout de même une bien curieuse manière de travailler !
M. Roland Courteau. Bonne remarque !
M. Richard Yung. Deuxièmement, notre feuille de route, aujourd'hui, c’est pour l’essentiel l’accord qui a été conclu entre les États le 21 juillet. Or cet accord est en grande partie dépassé : nombre d’événements sont intervenus depuis. Il faudrait donc le réviser.
En outre, nous ne sommes même pas certains qu’il entre un jour en vigueur. La Slovaquie, paraît-il, traîne des pieds pour l’adopter. Qu’adviendra-t-il si elle ne le vote pas ? Existe-t-il un « plan B », pour reprendre une formule désormais consacrée, face à la crise économique et financière, notamment en Grèce ?
Toujours à propos de l’accord du 21 juillet, je souhaite vous poser deux questions, monsieur le ministre.
D’une part, vous avez parlé de gouvernance économique européenne, et je m’en réjouis ; vous avez même employé l’expression de « fédéralisme économique », pourtant désormais bannie du vocabulaire : plus personne n’ose aujourd'hui utiliser le mot « fédéralisme », sauf à risquer d’être condamné à la déportation ! (Sourires.)
Mais, dans les faits, en quoi consistera cette gouvernance économique européenne ? Si j’ai bien compris, les chefs d’État se réuniront deux fois par an pour débattre des questions économiques, sous la direction de M. Van Rompuy. C’est une bonne initiative. Mais quels pouvoirs auront-ils concrètement ?
En d’autres termes, quelle sera la nature du fédéralisme que vous appelez de vos vœux, ce en quoi je vous rejoins ? Il faudrait de nouveaux transferts de souveraineté en matière économique et financière, afin de permettre une prise effective de décisions et de ne plus tergiverser, comme c’est le cas actuellement. Nous voyons bien que le calendrier, les modes de fonctionnement, les procédures et, plus généralement, les institutions en vigueur ne sont pas efficaces. Nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre le bon vouloir du parlement slovaque pour agir alors qu’il y a le feu dans la maison !
Pourriez-vous donc nous donner quelques éclaircissements sur la gouvernance économique ?
D’autre part, j’aimerais que vous nous apportiez également des précisions supplémentaires concernant la taxe sur les transactions financières. Nous nous réjouissions que vous ayez avancé cette idée. Nous l’avons nous-mêmes portée pendant de nombreuses années. Que n’avons-nous entendu lorsque nous plaidions pour la taxe Tobin ! On nous traitait alors de « doux rêveurs »… À présent, tout le monde défend cette proposition. Tant mieux ! Mais comment comptez-vous la mettre en œuvre ? Vous avez raison de dire que l’Europe devrait instituer une telle taxe même si elle était la seule à le faire. Mais quelle en sera l’assiette ? Quel en sera le taux ? Vous avez avancé le chiffre de 0,005 %. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Beaucoup a été dit sur les banques. Je me réjouis du rapprochement des points de vue entre l’Allemagne et notre pays, ce qui n’était pas du tout acquis voilà encore une semaine. La France traînait les pieds, affirmant qu’il n’était pas nécessaire de recapitaliser nos banques. Apparemment, les positions ont évolué. Je ne sais pas s’il faut y voir un « effet Dexia », mais j’observe que la France est aujourd'hui prête à une action forte en matière de recapitalisation.
À mon sens, c’est d’abord sur le bilan des banques qu’il faut agir. Je suis un partisan de la séparation des banques commerciales et des banques d’affaires. Je sais bien qu’une telle idée ne fait pas l’unanimité, mais je pense qu’elle offre beaucoup d’avantages. D’ailleurs, les Britanniques, qui ne sont tout de même pas des enfants en matière de finance, l’ont eux-mêmes retenue. Je crois que nous devrions en faire autant. J’ajoute que, s’il faut faire baisser le bilan des banques, cela doit porter non pas sur le volet « prêts aux entreprises », mais plutôt sur le volet « spéculation et outils dérivés ».
Il faut également accélérer la mise en œuvre – je crois qu’elle est en cours – des normes de Bâle III sur les ratios de solvabilité des banques. Les banques doivent être encouragées à réinjecter leurs bénéfices dans leur capital au lieu de les distribuer très largement. On peut comprendre qu’elles en redistribuent un peu, mais elles doivent prioritairement renforcer leur capital, et peut-être aussi appeler leurs actionnaires à souscrire. Ensuite, et ensuite seulement, on pourra envisager un appel à la puissance publique.
À cet égard, nous défendons – c’est ce que vous avez esquissé – une démarche européenne coordonnée, en vue d’une politique similaire dans les différents pays. Au besoin, cela pourrait passer par le Fonds européen de soutien financier, même si les Allemands ne veulent pas en entendre parler pour l’instant. D’aucuns avancent les chiffres de 200 milliards d’euros ou 300 milliards d’euros ; je pense qu’il faudrait être plus précis.
Par ailleurs, sur la situation économique générale, je suis tout de même assez pessimiste. Il faut avoir bien conscience que nous sommes au bord de la récession. Notre croissance a été nulle au troisième trimestre et sera de 0,2 % au quatrième trimestre !
Et c’est pareil en Allemagne ! On érige souvent les Allemands en modèles. Il est vrai qu’ils ont beaucoup de vertus, malgré quelques menus défauts. (Sourires.) Mais leur situation économique n’est pas si glorieuse qu’on le dit.
M. Roland Courteau. Exact !
M. Richard Yung. Et il n’y a pas lieu de s’en réjouir, car cela signifie que c’est l’ensemble du moteur économique européen qui est en panne !
Le fameux système allemand, fondé sur les exportations de l’Allemagne vers le reste de l’Union européenne, est en fait en train de se gripper. Inutile de dire que, avec cinq points de croissance en moins chaque année, les Grecs n’achèteront plus guère de produits allemands ! Pas besoin de sortir de Polytechnique pour comprendre ça !
Par conséquent, monsieur le ministre, je vous le redis, nous plaidons pour une politique de relance maîtrisée. Certes, et nous en sommes bien conscients, il faut agir sur les déficits, mais il faut aussi relancer la machine économique. D’autant que l’inflation rôde ! Heureusement, la Banque centrale européenne veille. Mais, pour cette année, la prévision d’inflation est de 2,3 %. En clair, avec un taux de croissance de 1,4 % ou de 1,5 %, nous sommes en réalité en croissance négative ! Il faut donc agir.
S’agissant de la Grèce, nous avons beaucoup tardé à prendre des mesures ; d’ailleurs, il faut reconnaître que ce n’est pas essentiellement la faute de la France. En vérité, nous faisons trop peu et trop tard, et c’est bien pourquoi la situation ne fait qu’empirer. Car il faut tout de même imaginer ce que vivent les Grecs ! On peut évidemment les critiquer, mais n’oublions pas la gravité de leur situation et ce qui en résulte sur leurs conditions de vie !
À mon sens, il faut demander aux banques de prendre leur part du fardeau. Le Conseil européen avait négocié un accord autour de 20 % pour la prise en charge de la dette grecque. Si vous me demandez mon avis, monsieur le ministre, je vous dirai qu’il faudrait sans doute porter ce chiffre à 50 %. (Sourires.)
En outre, il faut envisager que le Fonds européen puisse aussi servir pour la Grèce, même si cela implique sans doute quelques changements. Certains évoquaient tout à l’heure la possibilité de l’utiliser comme banque ; mais, comme ce n’est pas une banque, il faudra probablement modifier ses statuts. D’autres solutions existent, mais je n’entrerai pas dans les détails. Je dirai simplement qu’il est urgent d’agir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste–EELV et sur quelques travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Leonetti, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de souligner, et ce n’est pas une clause de style, que nous venons d’assister à un débat de grande qualité, riche et approfondi. Il est de bon augure pour l’action de la France que les parlementaires soient aussi intéressés par le débat européen et qu’ils s’expriment avec autant de compétence sur les dispositifs à mettre en place !
Je sais que nous allons avoir un débat interactif et spontané, et j’ai cru comprendre que nombre d’entre vous avaient l’intention d’y prendre part : ma réponse pourra donc être relativement brève. Néanmoins, je voudrais insister sur quelques points, même si certains ont déjà été soulignés.
D’abord, ce qui est en cause, ce n’est pas l’euro en tant que monnaie, non plus que l’Europe en tant que construction politique ; ce qui est en cause, c’est la crise de la dette souveraine d’un certain nombre de pays de la zone euro.
Depuis ma jeunesse – donc depuis un certain temps (Sourires.) –, j’entends parler de « pays émergents » ! Eh bien, je constate que ces pays ont désormais émergé et qu’ils se sont placés dans une situation de compétition vis-à-vis de nous sans que nous nous soyons dotés des instruments et des armes nécessaires pour y faire face.
Pour lutter contre un tel phénomène, nombre de démocraties – je serais tenté de dire « de vieilles démocraties » – ont cherché à alimenter la croissance par la dette, dans une démarche relavant de la fuite en avant. Aujourd'hui, cette dette n’est plus soutenable. À l’origine, la crise était essentiellement bancaire ; à présent, nous sommes face à la menace de faillite d’État.
En outre, et plusieurs d’entre vous l’ont relevé, le temps de la finance n’est pas celui de la politique. Le temps de la spéculation se mesure en secondes. Le temps de la politique, c’est le temps du débat public, le temps du choix du peuple souverain et le temps de la discussion parlementaire. En plus, comme le système démocratique est « morcelé » – il y a plusieurs États –, il est logique que la réponse démocratique tarde parfois à venir.
Par ailleurs, de toute évidence, le couple franco-allemand, qui n’est pas illégitime historiquement et est légitime économiquement puisqu’il représente 55 % du PIB de la zone euro, est à même d’apporter une réponse coordonnée à la situation actuelle. D’ailleurs, lorsque ce couple ne se réunit pas, on le lui reproche, et quand il le fait on lui demande pourquoi il n’a pas convoqué les vingt-cinq autres pays de l’Union européenne pour prendre leur avis !
Vos interventions l’ont souligné, nous nous trouvons à la croisée des chemins. Nous n’avons pas le droit de reculer : l’histoire ne « se rembobine » pas. Nous n’avons pas non plus le droit de rester immobiles. Nous sommes obligés d’avancer. Le tout est de savoir dans quelle direction, en franchissant quelles étapes et en nous fixant quels objectifs.
Mme Morin-Desailly a évoqué le déficit de la balance commerciale française et les problèmes de change. Le déficit commercial n’est pas une fatalité en soi : il dépend de notre compétitivité.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Exact !
M. Jean Leonetti, ministre. Nous nous rendons bien compte que la Chine, en vingt ans, a déséquilibré la balance commerciale de la zone euro de 2 500 milliards d’euros. Et comment accepter un système – c’est là l’autre erreur – qui prévoit la mise en place d’une monnaie unique sans prévoir le pilotage économique de celle-ci ?
M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. Eh oui !
M. Jean Leonetti, ministre. Nous pouvons toujours battre notre coulpe et regretter nos fautes, mais nous pouvons aussi chercher à corriger nos erreurs. Oui, l’Europe doit cesser d’être naïve et devenir plus réaliste. Oui, l’Europe à la monnaie unique doit se doter d’un outil qui pilote cette monnaie. Oui, l’équilibre est l’élément essentiel. Le juste milieu – je ne le dis pas en raison de mon positionnement politique (Sourires.) – est nécessaire, car trop de rigueur engendre de la récession et trop de générosité ou de solidarité crée de la dette.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. Eh oui !
M. Jean Leonetti, ministre. En n’alliant pas la discipline à la solidarité, on manque l’objectif et on aboutit à la misère pour les peuples.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Exact : c’est la mise au placard !
M. Jean Leonetti, ministre. La solidarité sans la discipline conduit à la faillite des États.
Il est donc indispensable de garder à l’esprit un double objectif : à la fois un objectif de croissance – vous avez raison, madame, la croissance doit être obligatoire – et un objectif de rigueur. Comment organiser un « paquet » qui efface l’impression d’indécision politique et de retard permanent qu’un certain nombre d’entre vous ont justement dénoncée ? Comment éviter que l’action menée ne soit immédiatement détruite ou que la décision pourtant prise à l’unanimité ne devienne obsolète ? Effectivement, la Slovaquie ne s’est pas encore décidée et se prononcera aujourd’hui.
Permettez-moi d’être un brin optimiste : en l’espace de quelques semaines, nous sommes parvenus à parler de gouvernement économique européen. Nous sommes arrivés de façon presque consensuelle à évoquer la taxation des transactions financières. Nous avons pu, sans risquer le goulag, parler de fédéralisme économique. (Sourires.)
Bref, la construction européenne avance et un certain nombre d’idées ont acquis droit de cité, même si elles ne font pas toujours l’unanimité. S’il y a ici et là du populisme, il n’est pas nécessairement populaire, et s’il y a beaucoup d’euroscepticisme, chaque citoyen a bien compris que soit nous avançons vers une organisation économique européenne, soit nous serons détruits par les marchés.
Qui est le plus souverain aujourd’hui ? La France, avec un triple A, qui cherche à mettre en place un gouvernement économique européen, ou la Grèce, qui se trouve obligée de prendre des mesures sans passer par un débat démocratique ? La Grèce n’a pas le choix, comme je l’ai entendu dire, entre la démocratie ou l’Europe. Elle a le choix entre l’Europe et la misère ! Ne vous y trompez pas, si la Grèce sortait demain de la zone euro, sa monnaie serait dévaluée de 40 % et le niveau de vie des Grecs s’affaisserait jusqu’à les réduire à la misère.
Il y va de notre devoir de solidarité d’aider la Grèce, mais il y va aussi de notre intérêt : si nous n’aidons pas ce pays à rester dans la zone euro, si nous le laissons sur le bord du chemin, la crise pourrait, par effet de domino, gagner progressivement l’Espagne, le Portugal et peut-être même la France…
M. Roland Courteau. Oui !
M. Jean Leonetti, ministre. … ou l’Allemagne, qui ne sont pas non plus à l’abri de ce genre de péril.
Un sénateur de l’UMP. Très bien !
M. Jean Leonetti, ministre. Après cette réponse globale, je vais avoir quelques difficultés à vous répondre individuellement. (Sourires.)
J’ai entendu parler du problème du « levier », mais je ne sais pas ce qu’est, en l’occurrence, un levier ! S’agit-il de la possibilité de créer, avec 440 milliards d’euros, un fonds supplémentaire grâce aux marchés annexes privés ou à un mécanisme particulier qui assimilerait le Fonds européen de stabilité financière à une institution bancaire ?
On nous reproche d’aller lentement et de céder à la complexité. Ne pouvons-nous pas essayer de trouver des solutions dans le cadre du traité de Lisbonne et de la décision qui a été prise le 21 juillet dernier, puis ratifiée par tous les parlements, même si ce fut parfois au prix de quelques difficultés ? Voyez les complications qu’il y a eu au Bundestag. Trouvez-vous logique de revenir sur ce qui vient d’être décidé si péniblement par l’ensemble des Vingt-sept au motif que le dispositif serait incomplet ?
Dans la période que nous traversons, nous devons faire preuve de beaucoup de sang-froid et nous montrer réactifs. Le sang-froid, cela consiste à dire : oui, nous voulons aller vers une intégration plus forte, oui, nous voulons trouver des mécanismes de solidarité qui ne soient pas mis en péril par une banque ni à plus forte raison par un État, même si les dirigeants de celui-ci ont commis des erreurs, car ce qui est en jeu, c’est l’épargne européenne et la stabilité monétaire européenne.
Rappelez-vous Lehman Brothers. Parce que cette banque a fauté, le gouvernement américain a estimé qu’il fallait la laisser couler, pour l’exemple. Puis la contamination a gagné le monde. Si vous avez aimé Lehman Brothers, vous allez adorer l’abandon de la Grèce ! Cet abandon sera celui de tous les pays de la zone euro, puis l’abandon de l’Europe, puis la livraison au marché spéculatif de tous les États démunis. C’est pourquoi nous devons faire preuve de rigueur et de solidarité.
J’approuve l’idée d’accélérer le mouvement : nous devons aller plus vite et plus loin. Il ne faut pas plus d’Europe, il faut une Europe qui fonctionne mieux. L’Europe s’est élargie lorsque sont tombés les totalitarismes marxistes et fascistes. Lorsque la Grèce, le Portugal et l’Espagne ont pris le chemin de la démocratie, nous avons pensé qu’il suffisait que ces pays entrent dans l’Europe pour qu’ils connaissent la croissance. Idem pour les pays de l’Est. Comment aurions-nous pu envisager de leur dire : « Vous avez subi le totalitarisme pendant des années ; maintenant vous allez attendre aux portes de l’Europe à la fois la démocratie et la croissance, car vous n’êtes pas prêts » ?
Aujourd’hui, nous devons assumer nos choix, car ils se résument au choix de la démocratie. Il convient néanmoins d’apporter quelques modifications pour que la zone euro soit un véritable pendant de la zone dollar, que l’euro soit un pendant du yuan et que l’Europe puisse avoir une politique économique spécifique. L’Europe n’a pas à donner aux autres un modèle à copier, mais elle n’a pas non plus à renier le modèle de solidarité et de liberté qu’elle a construit. Nous avons choisi un capitalisme d’entrepreneurs et non un capitalisme de spéculateurs.
Nous devons donc trouver les outils pour corriger nos erreurs : il y va non seulement de l’avenir de l’Europe, mais également des valeurs auxquelles nous sommes attachés. C’est la raison pour laquelle nous devons effectivement, monsieur Humbert, défendre la Grèce autant avec le cœur qu’avec la raison.
M. Baylet a évoqué les eurobonds. Lorsque la situation sera stabilisée, il sera légitime de faire converger l’ensemble des économies et des fiscalités. Si nos économies et nos fiscalités convergent, si nous nous dotons d’un pacte de stabilité et d’un outil comme le Fonds européen de stabilité financière, et si nous instaurons un pilotage, alors oui, à ce moment-là, nous pourrons sans crainte envisager les eurobonds puisqu’ils ne pourront pas susceptibles d’entraîner la dégradation de la note des pays les plus forts. Aujourd’hui, de toute évidence, proposer de mutualiser une dette qui n’est pas stabilisée, c’est mettre la charrue devant les bœufs. Cependant, dès que la dette sera stabilisée, on pourra passer à l’étape suivante.
Monsieur Masson, vous avez tenu à préciser que vous n’étiez pas anti-européen. Ça tombe bien, moi non plus ! Mais le choix ne peut pas être entre le populisme, de droite ou de gauche, et ceux selon qui il faudrait toujours aller vers plus d’Europe. En réalité, nous avons besoin d’outils européens plus performants et qui aient du sens. L’Europe doit se construire sur la stabilité économique parce que c’est elle qui garantit la pérennité de nos valeurs.
M. Yung a évoqué le fédéralisme. Je serai probablement déporté avec lui ! (Sourires.) Cela étant, nous serons en bonne compagnie puisque Jacques Chirac a également, un jour, me semble-t-il, évoqué cette idée, tout comme l’actuel Président de la République, Nicolas Sarkozy. Nous pourrons donc discuter ensemble, dans des terres lointaines et isolées, du fédéralisme économique… (Nouveaux sourires.)
Quoi qu’il en soit, la situation actuelle peut être l’occasion de réfléchir à des outils.
S’agissant de la taxation sur les transactions financières, ne me demandez pas de me prononcer sur un taux, car je ne veux pas qu’on dise un peu partout que le ministre chargé des affaires européennes a affirmé que le taux serait de tant. Vous ne me ferez pas non plus me prononcer sur l’assiette de cette taxe. Je dirai seulement que nous ne sommes pas restreints. En dehors des règles européennes qui empêchent le passage des liquidités, aucune restriction ne vient limiter l’assiette de la taxation sur les transactions financières.
Cela dit, si la France seule décidait d’instaurer une telle taxe, non seulement elle se trouverait isolée, par définition, mais cela entamerait l’idée que nous nous faisons de l’Europe. Je ne doute pas que la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et un certain nombre de pays soient capables de s’entendre en fixant un taux suffisamment bas pour éviter les déplacements de nos marchés financiers.
Je veux dire un mot de la réforme institutionnelle. Comment mettre en place le fédéralisme économique ? En organisant deux fois par an des rencontres entre chefs d’État et de gouvernement, mais c’est insuffisant. En donnant plus de pouvoir à Écofin ; c’est déjà mieux. En instaurant un pilotage du Fonds européen de stabilité financière qui, en coordination avec la BCE, soit capable d’intervenir plus rapidement et indépendamment des décisions de chaque État ; ce serait une étape supplémentaire. À terme, bien sûr, il faudrait que cette organisation puisse agir de façon autonome à partir de directives politiques tracées de manière consensuelle par l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro.
Tels sont les éléments de réponse, bien modestes, que je peux apporter aux questions que vous m’avez posées.
Vous m’avez dit, madame, que je n’avais pas réponse à tout. En effet, et j’oserai dire que c’est heureux ! Mais j’ai l’intime conviction que l’Europe est en train de franchir une étape décisive.
On peut imaginer le chaos : une destruction générale, nos économies à terre et, de propagation en contamination, la chute dans la récession.
On peut aussi imaginer que de ces difficultés naîtra quelque chose de nouveau, une autre Europe, une Europe avec des frontières, une Europe qui arrête de s’étendre et qui s’approfondit, une Europe qui retrouve ses valeurs et son sens, une Europe qui décide de ce qu’est son économie : non pas seulement des marchés financiers, mais aussi un socle de solidarité et une croissance au service de l’emploi.
Je suis persuadé que la plupart d’entre vous, sur l’ensemble des travées, partagez ma conviction.
Le Conseil européen va se réunir le 23 octobre : je ne doute pas qu’il ait l’ardente obligation de décider. C’est cette obligation de décider qui a toujours fait avancer l’Europe.
On dit souvent que l’Europe avance étape par étape, presque de crise en crise. Avec la crise que nous avons subie et que nous subissons encore, nous pouvons franchir une grande étape. Et nous pouvons peut-être la franchir ensemble. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
(M. Jean-Léonce Dupont remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)