M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Quelle horreur !
M. Jean-Jacques Jégou. Nous sommes plusieurs, ici au Sénat, à avoir dénoncé cette situation.
S’agissant des recettes, une augmentation de celles-ci semble indispensable, à côté de la maîtrise des dépenses, pour réussir le redressement des finances publiques. Je pense particulièrement aux finances sociales : nous n’échapperons pas à une hausse de la CSG et de la CRDS, compte tenu des déficits structurels, que la seule évolution de la masse salariale ne permettra pas de résorber. Mais nous serons tous d’accord pour dire que l’effort doit porter en priorité sur les dépenses fiscales et les niches. En matière de dépenses fiscales, nous devons faire mieux.
Les dépenses fiscales s’élèvent à environ 75 milliards d’euros et les niches sociales représentent 40 milliards d’euros, soit un total de quelque 115 milliards d’euros. Si nous ne parvenons pas à dégager 3 milliards d’euros d’économies sur un tel périmètre, c’est que nous manquons vraiment de courage et d’imagination.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Certes !
M. Jean-Jacques Jégou. Comme nous le disons depuis plusieurs années, il faut réduire de 8 milliards à 10 milliards d’euros le bloc des dépenses fiscales et des niches sociales. Ayons le courage de le faire ! Pour les niches fiscales, si l’on progresse, c’est lentement, au rythme de 2 milliards ou de 3 milliards d’euros chaque année, ce qui est notoirement insuffisant. Il faut à peu près doubler cette somme ; à moins de 8 milliards à 10 milliards d’euros d’effort annuel, il n’y aura pas de redressement significatif.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. Jean-Jacques Jégou. La crise financière, le problème de la dette dans la zone euro, l’état de nos comptes publics placent nos finances publiques et sociales au centre des préoccupations. Espérons que cela nous conduira à prendre conscience collectivement des efforts – et des sacrifices – à consentir pour rétablir nos finances publiques au cours des prochaines années.
Le message au Gouvernement est clair : il faut poursuivre et intensifier les efforts, en ne cédant ni à la tentation du relâchement, ni à l’illusion d’une amélioration spontanée des comptes publics grâce à la conjoncture et à la croissance. C’est un message adressé à la veille d’échéances politiques majeures, période propice aux promesses inconsidérées et irréalistes. Dans l’état actuel des finances de notre pays, elles n’en seraient que plus dangereuses. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.
M. Serge Dassault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a souligné notre excellent rapporteur général, la programmation des finances publiques et les objectifs du Gouvernement ne sont pas suffisants.
Le Gouvernement a prévu que le déficit public s’établirait à 5,7 points de PIB en 2011, soit environ 116 milliards d’euros, à 4,6 points en 2012, soit 98 milliards d’euros, à 3 points en 2013, soit 65 milliards d’euros, et à 2 points en 2014, soit 44 milliards d’euros. Or le cumul de ces déficits correspondra à une augmentation de la dette de plus de 260 milliards d’euros à l’horizon de 2014, celle-ci approchant alors 94 % du PIB, ce qui serait nettement trop élevé !
Madame la ministre, il faut aller plus loin : les économies doivent se chiffrer non en millions, mais en milliards ! Dans cette perspective, je voudrais vous suggérer des économies budgétaires substantielles.
En tant que rapporteur spécial du budget de l’emploi, j’ai déjà proposé au Sénat, en 2009 et en 2010, mais sans succès, d’annuler les dépenses inutiles en faveur de l’emploi et de dégager ainsi des économies importantes sur un budget de près de 51 milliards d’euros. En effet, nombre de dépenses ne débouchent sur aucune création d’emplois pour les jeunes, dans la mesure où elles servent surtout à financer des aides sociales diverses.
Par conséquent, en cette période cruciale où le Gouvernement essaie de réaliser les économies nécessaires pour réduire notre déficit budgétaire, il ne serait pas inutile d’étudier de plus près ces dépenses en vue de les supprimer.
Par exemple, la prime pour l’emploi, dont le coût dépassera 3 milliards d’euros, ne crée aucun emploi et ne sert à rien ! Les contrats aidés non marchands, dispositif dont le coût est évalué à près de 2 milliards d’euros, ne permettent pas aux jeunes de s’insérer durablement dans le monde du travail. Il vaudrait mieux supprimer ces mesures et affecter les crédits correspondants, au moins en partie, au financement de formations professionnelles ; ce serait beaucoup plus productif.
Plus important encore, les allégements généraux de cotisations patronales, qui s’élèvent à 24,4 milliards d’euros par an, dont 21,2 milliards d’euros d’allégements de charges liés aux 35 heures, pourraient être supprimés. Il suffirait de revenir aux 39 heures pour permettre à l’État d’économiser près de 25 milliards d’euros par an. Voilà qui faciliterait la résolution de l’équation budgétaire ! Cela devrait être une obligation absolue, quelles que soient les objections des uns ou des autres ; c’est une condition sine qua non pour réduire notre déficit budgétaire et améliorer notre compétitivité. En effet, c’est en France que l’on travaille le moins, facteur qui explique, avec la valeur trop élevée de l’euro, notre manque d’agressivité sur les marchés internationaux.
Il conviendrait aussi de supprimer 3,23 milliards d’euros d’exonérations de cotisations liées aux heures supplémentaires, qui ne servent à rien.
Au total, pour 2011, la politique de l’emploi mobilise 51 milliards d’euros, sur lesquels le Gouvernement pourrait économiser plus de 37 milliards d’euros, ce qui réduirait considérablement nos problèmes budgétaires.
Je rappelle que, depuis 1998, les allégements de charges liés aux 35 heures avoisinent chaque année 20 milliards d’euros. En treize ans, ils ont coûté à l’État plus de 260 milliards d’euros, ce qui représente presque la totalité d’un budget. On consent des dépenses énormes qui ne servent à rien !
Cette dérive n’a que trop duré, il est temps d’y mettre un terme en revenant aux 39 heures. Les 35 heures représentent pour l’État une charge insupportable, qui peut nous plonger dans une situation très difficile.
Madame le ministre, voilà les moyens de réduire nos déficits que je vous suggère. Supprimer ces dépenses est absolument vital pour notre avenir. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le fantôme de la crise grecque hante aujourd’hui tous les débats préparatoires aux lois de finances. Pourtant la dette de la Grèce, qui s’élève à 350 milliards d’euros, est cinq fois moindre que celle de la France !
Fin 2010, notre dette atteignait en effet 1 600 milliards d’euros, soit plus de 80 % du PIB. Le service de ses intérêts nous a coûté 47 milliards d’euros en 2011 : c’est aujourd’hui le deuxième poste de dépenses de l’État. La totalité du produit de l’impôt sur le revenu des personnes physiques ne suffit pas à le couvrir.
Le déficit public, quant à lui, n’a certes pas dépassé le niveau record de 7,5 % du PIB atteint en 2009, mais, à 7,1 % du PIB en 2010, soit 136 milliards d’euros, il sanctionne à nouveau l’incapacité du Gouvernement en matière de gestion, incapacité qui a conduit celui-ci à recourir à la dette plutôt qu’à l’impôt pour financer la hausse de ses dépenses. Or, même en imaginant que le déficit structurel soit réduit de 7 % à 5 % du PIB, ce qui est loin d’être fait, la dette française pourrait atteindre 90 % du PIB en 2012, 100 % en 2016, 110 % en 2020…
De si mauvais chiffres s’expliquent-ils par un effort particulier consenti pour contrebalancer les effets de la crise, par l’accent mis sur les dépenses d’avenir, pourvoyeuses de croissance à long terme, par un soutien indispensable aux plus fragiles d’entre nous ? Non : les déficits sont aux deux tiers structurels, et la justice sociale demeure la grande absente des préoccupations de ce gouvernement.
Le recours à la dette a permis de payer les cadeaux fiscaux aux plus riches. Les 70 milliards d’euros d’allégements fiscaux réalisés depuis 2002 ont été financés à crédit et n’ont eu d’effets notables ni sur l’emploi, ni sur le pouvoir d’achat, ni en matière de lutte contre les inégalités.
C’est ainsi que la fameuse antienne du non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux nous coûte très cher en matière d’accès au service public. Elle se traduit par une diminution du nombre de professeurs, d’infirmières et de policiers. Dès la maternelle, la norme, en matière d’effectifs, est de trente élèves par classe, les résultats des évaluations scolaires ne cessent de se dégrader, l’insécurité de progresser et l’accès aux soins de se restreindre, tandis que se détériorent de manière inquiétante les conditions de travail des personnels soignants, y compris des médecins.
Or la Cour des comptes l’indique clairement : les économies résultant de la mise en œuvre pendant huit ans de la politique de non-remplacement d’un fonctionnaire de l’État partant à la retraite sur deux équivalent au coût annuel de la baisse de la TVA dans le secteur de la restauration…
Ainsi, pour servir son électorat, le Gouvernement organise des coupes claires dans ce qui constitue notre patrimoine commun, le service public, et il fait financer le service de ses intérêts personnels par les générations futures. Cette attitude pourrait se résumer d’une formule lapidaire : « après moi, le déluge ». Au vu de la situation de notre pays, les premières averses ne sont peut-être pas loin…
L’année dernière, le Premier président de la Cour des comptes nous avait alertés sur la sérieuse dégradation de la situation des finances publiques en 2009, susceptible d’hypothéquer, à terme, notre indépendance et notre souveraineté. Lors de sa récente audition par la commission des affaires sociales, il a enfoncé le clou : « Même si les déficits ont légèrement diminué cette année, ils restent beaucoup trop élevés pour prévenir l’emballement de la dette et souffrent de la comparaison avec ceux de bien d’autres pays européens. Notre ratio de dette par rapport au PIB s’approche de la zone dangereuse. » C’est la Cour des comptes qui parle !
Or, si la loi de programmation des finances publiques et le programme de stabilité envisagent un ambitieux effort de redressement, le chemin à parcourir pour atteindre l’objectif n’est pas explicitement indiqué et le chiffrage des coûts est insuffisamment fiable. En la matière, pourtant, si les efforts à fournir ne sont pas équitablement répartis, c’est tout l’équilibre de notre société qui risque d’être remis en cause.
La situation de nos finances sociales en témoigne : en 2010, le déficit du régime général, auquel il faut ajouter celui du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, dépasse 28 milliards d’euros. Toutes les branches sont touchées, et en premier lieu l’assurance maladie, dont le déficit atteint 11,6 milliards d’euros, bien que l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, ait été respecté et que la croissance des prestations sociales ait marqué un ralentissement notable.
En 2011, le déficit cumulé des régimes de base et du FSV devrait atteindre 25 milliards d’euros, dont 19,5 milliards d’euros pour le seul régime général. Si la branche accidents du travail-maladies professionnelles devrait revenir à l’équilibre, la branche maladie resterait fortement déficitaire, à hauteur de 10,3 milliards d’euros. Quant au FSV, son besoin de financement devrait de nouveau dépasser 4 milliards d’euros.
La dette sociale, quant à elle, s’élevait à 176 milliards d’euros fin 2010. Si l’investissement d’aujourd’hui contient la promesse des développements futurs, cette dette n’est malheureusement pas constituée de dépenses d’avenir : elle ne résulte que de l’accumulation de déficits courants, et est ainsi structurellement injuste.
Enfin, les hypothèses sur lesquelles a été construit le programme de stabilité relèvent à la fois de la méthode Coué et d’un optimisme exubérant. Pour sa part, la Cour des comptes a calculé que, en l’absence de mesures de grande ampleur, « les risques pesant sur les branches maladie, retraite et famille pourraient nécessiter, à l’horizon de 2020, un nouveau transfert de 100 à 120 milliards d’euros à la caisse d’amortissement de la dette sociale, en plus des 130 milliards déjà prévus ».
Ces 130 milliards d’euros étaient censés servir à éponger le déficit cumulé de la sécurité sociale pour les années 2009 à 2011, à hauteur de 68 milliards d’euros, et les futurs déficits des régimes de retraite jusqu’en 2018, à concurrence de 62 milliards d’euros. Or, en se fondant sur une croissance maîtrisée de l’ONDAM de 2,8 % et sur une progression de la masse salariale de 3,5 %, la Cour des comptes a calculé que le déficit de la branche maladie serait encore de 5 milliards d’euros en 2020, le déficit cumulé à partir de 2012 devant atteindre 60 milliards d’euros.
À cela s’ajoutent de sombres pronostics sur l’équilibre de nos régimes de retraite. Les postulats de référence – niveau de chômage, projections démographiques, transfert de charges vers le RSA, l’assurance chômage ou l’invalidité – s’avérant peu réalistes à l’horizon de 2020, le besoin de financement de nos comptes sociaux pourrait rapidement atteindre 100 milliards d’euros, ce qu’aucune projection gouvernementale ne prend en considération. Autant dire que le terme de 2025, fixé pour le remboursement de la dette, risque fort d’être repoussé aux calendes grecques ! Dans ces conditions, les générations futures n’auront pour tout héritage que la dette et l’injustice sociale.
Coluche disait : « Je partage en deux, les riches auront de la nourriture, les pauvres de l’appétit. » Si nous ne voulons pas que la société de demain considère ce bon mot comme une parole prophétique, c’est à un effort important de maîtrise des dépenses et de rééquilibrage des comptes que nous devons nous consacrer.
Je ne poursuivrai pas l’énumération des chiffres. Un tel constat nous accable tous et, que nous le voulions ou non, il engage déjà notre avenir. Mais vous en portez la plus grande responsabilité. La dette sociale préempte déjà l’avenir de nos enfants ; nous en sommes comptables. Mais les chiffres ne sont pas des faits, ils n’en sont que la mesure. Comment élaborer les réformes nécessaires ? Comment faire en sorte que le service public redevienne notre patrimoine commun ?
L’assurance maladie, la retraite, la famille sont les socles de notre pacte social. S’il faut aujourd’hui repenser leur financement, c’est d’abord en désignant clairement les valeurs à faire vivre, les objectifs à atteindre, les publics à protéger. C’est en redonnant un sens à l’action collective que l’on peut mobiliser les citoyens pour en faire des acteurs du changement, et non de simples variables d’ajustement de logiques comptables.
Ne toucher qu’à la marge aux rentes de situation que constituent nombre de niches fiscales, réduire les dépenses en faveur des plus modestes pour limiter la participation des plus privilégiés à l’effort national, protéger les plus forts et accuser les plus précaires d’être responsables de leur pauvreté ne résout aucun problème, mais détruit ces liens entre les hommes qui font les sociétés apaisées et construisent les civilisations.
Les réformes que vous avez menées n’avaient pas pour objectif de répondre aux exigences du réel en préparant l’avenir. Elles visaient simplement à permettre de présenter un budget acceptable pour les agences de notation. Madame la ministre, derrière vos chiffres il n’y a ni chair ni esprit ; il n’y a même plus de volonté ou de politique. Le budget n’est plus un outil ni un cadre, mais votre seul horizon, d’ailleurs bouché.
Au-delà des chiffres que vous nous assénez, où est votre politique de l’emploi ? Où est votre politique de santé publique ? Où est votre politique de lutte contre les inégalités ? Oui, les grands chantiers sont devant nous. Toutefois, ils ne se réduisent pas à une addition d’économies, à une compilation de déremboursements, à une stratification de la dette et à une collection de transferts de charges.
Agir concrètement sur les dépenses d’assurance maladie, c’est dresser le constat d’une économie largement socialisée en la matière et demander à tous les acteurs d’en tirer les conclusions qui s’imposent quant aux modes d’exercice et de rémunération, c’est mettre en œuvre une véritable politique de prévention, c’est veiller à l’égalité d’accès aux soins, promouvoir la formation des professionnels de santé, prendre en compte la dimension de l’aménagement du territoire… Agir sur les finances sociales, c’est avant tout élaborer une politique en matière de santé, et non redécouper le budget au gré des déficits.
La réforme des retraites que nous venons d’adopter n’est pas à la hauteur des enjeux. À peine votée, elle est déjà dépassée, et la manière dont vous traitez ce dossier complique lourdement le travail qui reste à faire.
Vous vous bornez à manipuler des indicateurs financiers et vous jouez sur les peurs pour faire avaler aux salariés des couleuvres pompeusement baptisées « mesures de bon sens ». Toutefois, en la matière, le bon sens eût voulu que l’avenir des régimes de retraite ne soit pas déconnecté des politiques de l’emploi, et que votre réforme tienne compte de l’entrée des jeunes sur le marché du travail et du maintien des seniors dans l’entreprise. Bref, il eût fallu que l’organisation du travail, la gestion des âges et des carrières soient une dimension de la réforme : faute de quoi on impose des restrictions sévères à une population tétanisée, au nom de nécessités comptables. Cela permet de présenter un budget, mais non de juguler la crise, ni de changer le présent ou de préparer l’avenir. Le rabotage des droits ne fait pas une réforme et ne donne pas un sens à l’action publique.
Plus que jamais, nous avons besoin de penser ensemble l’avenir de notre protection sociale. En effet, l’exercice de solidarités concrètes fait de nous des citoyens et non de simples consommateurs de prestations ; c’est sur cette dimension citoyenne qu’il nous faut appuyer nos réformes.
Rien de tout cela dans le débat que vous engagez ! Rien de tout cela dans les politiques que vous avez menées ! À l’absence d’imagination, de sens et de vision à long terme, vous ajoutez une gestion calamiteuse. C’est dire si un changement de cap s’impose ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme de ce débat d’orientation des finances publiques pour 2012.
Alors que vous venez de prendre vos importantes fonctions, madame Pécresse, je crois pouvoir dire que le décor est planté.
La séquence qui a débuté avec l’année civile et qui se clôt aujourd’hui est la première à s’inscrire dans le cadre du nouveau semestre européen. Elle a permis l’examen du programme de stabilité de la France et des observations de la Commission européenne, utile innovation que la commission des finances s’honore d’avoir inscrite au calendrier du Parlement. Elle a culminé dans le débat autour de la révision constitutionnelle et de l’inscription dans notre loi fondamentale du principe de cohérence entre l’objectif de retour à l’indispensable équilibre des comptes publics et le contenu des lois financières. Elle a été complétée par le collectif consacré à une révision de notre fiscalité du patrimoine. Autant dire que les finances publiques ont été, plus que jamais, au centre des discours, des réflexions et des votes du Parlement.
Au terme de ces six mois de paroles et d’arguments échangés, quel bilan faut-il retenir ? Sommes-nous devenus plus sages en matière budgétaire ?
J’ai prêté la plus grande attention aux propos des représentants du Gouvernement et aux vôtres, mes chers collègues. Je reconnais les avancées réalisées ces derniers mois, à la faveur de la crise la plus grave que nous ayons connue depuis la Seconde Guerre mondiale, dans le sens d’une meilleure prise en compte des contraintes qui pèsent sur notre économie et nos finances publiques. Mais, autant l’avouer d’emblée, j’ai parfois l’impression, à entendre les discours tenus autour de moi, que je ne vis pas dans le même monde que certains de mes interlocuteurs et néanmoins amis. Les mots sonnent juste, l’intonation est parfaite, mais les actes ne sont pas là !
Je pense à l’absence de plus en plus criante de compétitivité de notre fiscalité, véritable accélérateur de délocalisations. Je pense également à la lenteur avec laquelle nous nous hâtons sur le chemin du retour à l’équilibre budgétaire. Sans vouloir lasser à l’excès mon auditoire à jouer les Cassandre, je me vois une nouvelle fois contraint de regretter un manque de courage collectif auquel je refuse de me résigner.
Jusqu’à quand ce véritable déni de réalité va-t-il affliger notre pays ? Quand saisirons-nous enfin la juste mesure des choses ? J’avoue parfois me prendre à désespérer lorsque je vois un Gouvernement, que je soutiens par ailleurs, persister à faire comme si notre croissance pouvait retrouver un taux pérenne de 2,5 % l’an et une opposition tenir peu ou prou un discours similaire lorsqu’elle fait des projections budgétaires (M. le rapporteur général de la commission des finances marque son approbation.), même si je reconnais que le premier a adopté depuis quelques mois une attitude plus prudente.
Oui, je soutiens sans réserve ce Gouvernement et le Président de la République lorsqu’ils mettent en avant l’absolue nécessité pour la France de conserver sa note triple A ! Oui, notre crédibilité sur les marchés financiers doit, plus que jamais, être un thème central de la campagne qui s’annonce au premier semestre de 2012 ! Car il y va de la sauvegarde de notre souveraineté et de notre aptitude à rester maîtres de nos choix. Le premier rôle du Président de la République n’est-il d’ailleurs pas, comme l’affirme l’article 5 de la Constitution, d’être « le garant de l’indépendance nationale » ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Mais pourrons-nous encore longtemps faire illusion ?
Nous ne le pourrons certainement pas auprès de nos partenaires, en tout cas ! Sur ce point, je vous renvoie, mes chers collègues, à l’analyse concise et tellement juste que la Commission européenne a faite de notre programme de stabilité, reprenant d’ailleurs à son compte bien des constats de la commission des finances. Concernant la compétitivité, que nous dit-elle que nous ne sachions déjà ? Que « la France est l’un des pays de l’Union européenne où les impôts et les charges sociales sur le travail sont les plus élevés, tandis que la consommation y est relativement peu taxée ». Mais aussi qu’« un rééquilibrage du système fiscal par le déplacement de la charge fiscale du travail vers la consommation […] aurait probablement des effets bénéfiques sur l’emploi […] ».
Las ! Les quelques retouches que nous venons d’apporter à la fiscalité du patrimoine sont une réforme a minima, qui a permis de mettre un terme à la monstruosité du « bouclier fiscal » au prix du maintien d’une singularité néfaste, l’ISF. Alors répétons-le une nouvelle fois : l’ISF doit disparaître, totalement !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. En lieu et place des prélèvements qui frappent les facteurs de production, il faut privilégier les impôts de consommation,…
M. Serge Dassault. Bravo !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … comme la TVA, qui place sur un pied d’égalité les importations et les produits nationaux.
M. Roland du Luart. Tout à fait !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ceux qui ne consomment que des produits importés ne participent pas au financement de la protection sociale à laquelle ils aspirent. En revanche, ceux qui consomment des produits et des services issus du travail réalisé ici, en France, participent, en tant que citoyens, au financement de notre protection sociale.
Affranchissons-nous de nos archaïsmes et osons, enfin, les vraies réformes ! Nous voulons vraiment une économie plus compétitive : en même temps que nous imposerions la « TVA anti-délocalisations » ou la « TVA emploi », je ne verrais aucun inconvénient à supprimer les 35 heures, ce « boulet » que notre pays traîne lamentablement depuis plus d’une décennie.
« TVA anti-délocalisations », 35 heures : j’apprécie, croyez-le bien, le débat sans tabous que certains de nos partenaires dans la majorité ont lancé ces derniers jours et je les rejoins pleinement sur leurs constats et leurs propositions. Mais il est temps de passer aux actes !
Je n’ai pas fini d’égrener les constats. Je cite, une nouvelle fois, la recommandation de la Commission européenne : « Les exonérations fiscales et sociales – notamment les “niches fiscales” – en France sont très élevées – environ 11 % du PIB – et font peser un risque sur l’assainissement des finances publiques. De plus, pour comprendre et exploiter les avantages du système, les ménages et les entreprises doivent s’attacher les services d’experts. Les dépenses fiscales sont utilisées pour mettre en œuvre une politique économique précise, mais aucune évaluation systématique n’est réalisée pour déterminer si les objectifs visés ont été atteints. »
Madame la ministre, on peut créer des niches fiscales pour encourager l’investissement des sommes dues au titre de l’impôt sur le revenu ou de l’ISF, notamment dans les PME. Mais il est vain de multiplier ainsi les encouragements à l’investissement si les conditions de la compétitivité française ne sont pas réunies.
Le Gouvernement devait restituer aux assemblées, au plus tard le 30 juin dernier, une évaluation de l’efficacité et du coût des « niches fiscales » en vigueur au 1er janvier 2009. Je regrette que cette étude tant attendue n’ait pas été disponible pour le débat d’aujourd’hui et, plus encore, qu’un extrait s’en soit trouvé reproduit, en début de semaine, dans les colonnes d’un journal économique généralement bien informé, souvent même informé avant le Parlement !
Que dit cet article de presse ? Que les quarante-six dépenses fiscales et les neuf dépenses sociales bénéficiant à l’outre-mer coûtent 1 milliard d’euros de plus que ce que l’on pensait, soit 5,5 milliards d’euros, pour une efficacité particulièrement faible. Le « rabot » de la loi de finances initiale a eu un impact très limité dans ce cas d’espèce. Surtout, pour ne s’en tenir qu’aux mesures les plus emblématiques, la défiscalisation augmente d’environ un tiers le coût d’une opération de logement social et conduit trop souvent à des programmes de construction en inadéquation avec les besoins. Par ailleurs, les avantages fiscaux sont toujours captés par les ménages les plus aisés de métropole.
Le constat est accablant, mais qu’avons-nous fait dans le dernier collectif budgétaire, sinon créer une nouvelle « niche » avec les fonds d’investissement de proximité dans les DOM ? Cela montre notre profonde addiction à la dépense publique et, à défaut, à la dépense fiscale. Je veux croire que la proximité de l’élection présidentielle ne viendra pas l’accentuer, mais qu’elle permettra, au contraire, de remettre de l’ordre dans ces aventures particulièrement périlleuses et quelquefois scandaleuses.
Nous parlions tout à l’heure de la campagne publicitaire du CNFPT. Mais que dire des annonces particulièrement agressives destinées à capter des fonds dans le cadre de la défiscalisation ? Quel gâchis d’argent public ! Sans compter que, dans la plupart des cas, ces défiscalisations faussent les mécanismes de fixation des prix. À l’heure où vous prenez vos fonctions, madame la ministre, je vous en supplie, demandez-vous qui sont les intermédiaires et les monteurs d’opérations et osez gommer ces niches fiscales !
Nous voici renvoyés aux doutes exprimés par la Commission européenne sur le second défi à relever avec l’amélioration de notre compétitivité : l’assainissement de nos finances publiques.
La Commission juge pudiquement que « la France doit préciser davantage sa stratégie d’assainissement budgétaire, notamment pour 2012 et les années suivantes, afin de corriger son déficit excessif en 2013 au plus tard et de ramener sa dette sur une trajectoire descendante ». Le rapport de Philippe Marini distille avec une précision d’orfèvre sa vision des écueils et des épreuves qui nous attendent sur le long chemin du retour à l’équilibre. Il me permettra de synthétiser, sans doute à l’excès, son analyse : nous n’échapperons pas à plus de prélèvements obligatoires et à une réduction drastique des dépenses publiques.