compte rendu intégral

Présidence de M. Bernard Frimat

vice-président

Secrétaires :

M. Alain Dufaut,

M. Philippe Nachbar.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le vendredi 1er juillet 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, il a reçu de la Cour de cassation, d’une part, une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-171 QPC), du Conseil d’État, d’autre part, une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-172 QPC).

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

3

 
Dossier législatif : projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs
Discussion générale (suite)

Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs

Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs
Article 1er A

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (texte de la commission n° 683, rapport n° 682).

Dans la discussion générale, la parole est M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, en remplacement de M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte élaboré par la commission mixte paritaire le mercredi 29 juin 2011 au Sénat, sur lequel nous devons nous prononcer, est finalement très proche de celui qu’avait adopté le Sénat.

Je rappellerai rapidement les modifications importantes apportées par le Sénat en première lecture, avant de présenter les apports de l’Assemblée nationale et les conclusions de la commission mixte paritaire.

Saisi en première lecture du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, le Sénat, tout en souscrivant à l’objectif d’une plus grande participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale, avait, sur plusieurs points, modifié les équilibres proposés dans ce texte.

Tout d’abord, il a simplifié le système de sélection des citoyens assesseurs. Les conditions requises pour exercer les fonctions de citoyen assesseur ont été alignées sur celles, objectives, qui sont prévues par le code de procédure pénale pour exercer les fonctions de juré. De même, le questionnaire adressé aux citoyens assesseurs a été remplacé par un « recueil d’informations » destiné à recueillir des éléments purement objectifs.

Le Sénat a, en outre, modifié le périmètre de la compétence du tribunal correctionnel comprenant des citoyens assesseurs en fonction de critères clairs et élargis par rapport à ceux qui avaient été inscrits dans le projet de loi, à savoir les atteintes à la personne humaine punies de cinq ans d’emprisonnement ou plus, ainsi que les infractions au code de l’environnement également passibles d’une peine égale ou supérieure à cinq ans.

De plus, le Sénat a réduit de un mois à huit jours le délai de présentation devant le tribunal correctionnel d’une personne poursuivie dans le cadre de la comparution immédiate, afin d’éviter toute prolongation excessive de la détention provisoire.

Les modifications les plus importantes ont néanmoins porté sur la cour d’assises.

Le Sénat a supprimé les dispositions du projet de loi instituant une cour d’assises composée de trois magistrats et de deux citoyens assesseurs au bénéfice de la simplification du système actuel. En effet, il a ramené l’effectif des jurés de neuf à six en première instance et de douze à neuf en appel, ce qui permet de préserver la prépondérance du jury par rapport aux magistrats et la règle de la majorité qualifiée pour condamner l’accusé.

Notre assemblée a également amélioré les dispositions relatives à la motivation des décisions criminelles, en prévoyant en particulier l’obligation de motivation pour tous les arrêts, y compris les décisions d’acquittement, la signature de la feuille de motivation par le premier juré et la lecture de cette motivation par le président de la cour d’assises lorsque le verdict est rendu.

Par ailleurs, le Sénat a étendu l’exigence d’une évaluation dans un centre national avant toute libération conditionnelle d’une personne condamnée à une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à dix ans pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru.

S’agissant de la justice des mineurs, le Sénat, conscient de la nécessité d’enrayer la délinquance des mineurs et de mieux prendre en charge ceux qui en ont le plus besoin, a approuvé les dispositions du projet de loi portant sur le jugement des mineurs en leur apportant quatre séries de modifications.

En premier lieu, il a renforcé la confidentialité des informations contenues dans le dossier unique de personnalité.

En deuxième lieu, il a exigé des investigations approfondies et récentes sur la personnalité du mineur avant la mise en œuvre des procédures rapides de jugement.

En troisième lieu, il a imposé la présidence du tribunal correctionnel pour mineurs par un juge des enfants, conformément à l’exigence de spécialisation des juridictions chargées de juger les mineurs.

Enfin, il a prévu l’information systématique de la victime sur la date de jugement du mineur afin de lui permettre de se constituer partie civile et de demander réparation du dommage subi.

L’Assemblée nationale a, pour l’essentiel, approuvé ces dispositions, qu’elle a complétées sur plusieurs points.

S’agissant de la participation des citoyens à la justice pénale, les députés ont d’abord renforcé les critères requis pour l’exercice des fonctions de citoyen assesseur : une personne pourra être exclue de la liste annuelle ou récusée avant une audience dès lors que des raisons objectives permettent de contester son impartialité, son honorabilité et sa probité.

L’Assemblée nationale a porté de huit à dix jours la durée pendant laquelle les citoyens assesseurs pourront être appelés à siéger au sein des juridictions correctionnelles et de l’application des peines.

En outre, les députés, reprenant d’ailleurs une disposition proposée par la commission des lois du Sénat mais supprimée en séance publique, ont interdit que les fonctions de juré et de citoyen assesseur soient accessibles à toute personne ayant fait l’objet d’une condamnation pour crime ou délit figurant à son casier judiciaire. Cela me paraît être la moindre des choses !

L’Assemblée nationale a exclu du champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne les infractions prévues par le code de l’environnement.

Pour le reste, elle a assoupli le principe de la rédaction immédiate de la feuille de motivation des arrêts d’assises, en prévoyant la possibilité, en cas de particulière complexité de l’affaire, de différer cette rédaction de trois jours.

Les dispositions relatives à la cour d’assises ont fait l’objet de discussions très animées. La commission des lois de l’Assemblée nationale avait adopté un amendement de son rapporteur visant à créer une formation simplifiée de la cour d’assises, composée de trois magistrats professionnels et de trois jurés, compétente pour juger les crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion criminelle, sous réserve que l’accusé ou le ministère public ne s’y oppose pas.

Cependant, monsieur le garde des sceaux, vous avez obtenu en séance publique que les députés adoptent un amendement du Gouvernement visant à supprimer ce dispositif afin d’en revenir au texte du Sénat.

De même, la commission des lois, contre l’avis du rapporteur et du Gouvernement, avait reconnu à la partie civile le droit d’interjeter appel ou de se pourvoir en cassation en cas d’acquittement. En séance publique, les députés ont fort heureusement supprimé cette innovation, qui remettait en cause certains des principes fondamentaux de notre procédure pénale.

M. Robert Badinter. Le Conseil constitutionnel aurait de toute façon censuré cette disposition !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est évident !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il faut veiller à ne pas donner trop de travail au Conseil constitutionnel ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Les députés ont par ailleurs introduit dans l’article relatif à la cour d’assises les dispositions de la proposition de loi Baroin-Lang, qui prévoit, dans certaines conditions, la publicité des audiences de la cour d’assises des mineurs lorsque l’accusé est devenu majeur le jour de l’ouverture des débats. Ce texte, inspiré très directement par l’affaire dite du « gang des barbares », avait été adopté par l’Assemblée nationale l’an passé mais n’avait jamais été inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée.

S’agissant, d’une manière plus générale, de la justice des mineurs, les députés ont précisé les dispositions relatives au dossier unique de personnalité en renforçant notamment les conditions dans lesquelles les avocats pourront y avoir accès.

Par ailleurs, tout en maintenant le principe selon lequel les procédures de convocation par officier de police judiciaire et de présentation immédiate ne peuvent être engagées que lorsque des investigations complètes sur la personnalité du mineur ont été réalisées au cours de l’année précédente, les députés ont permis que, par exception, ces procédures puissent être mises en œuvre sur la base d’un recueil de renseignements socio-éducatifs, le RRSE, lorsque le mineur a fait échec aux mesures d’investigations ordonnées par le juge des enfants.

L’Assemblée nationale a ouvert la possibilité de prononcer une amende pénale ou d’ordonner un stage de responsabilité parentale à l’encontre des parents ne répondant pas à une convocation judiciaire relative à des faits commis par leur enfant.

Elle a introduit une possibilité de césure de la procédure pour les mineurs délinquants : les juridictions pour mineurs pourront, dans des conditions plus souples qu’aujourd’hui, prononcer la culpabilité du mineur lors d’une première audience et ajourner le prononcé de la sanction à une audience ultérieure, en soumettant dans l’intervalle le mineur à des mesures d’investigations, de contrôle et de placement.

Dès lors que le risque d’un désaccord majeur sur la cour d’assises avait été levé par l’Assemblée nationale en séance publique, demeuraient principalement trois points possibles de divergence.

Le premier d’entre eux portait sur le retrait des infractions au code de l’environnement du champ de compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne. Dans sa majorité, la commission mixte paritaire a estimé que ces infractions – principalement les pollutions maritimes – devaient relever, comme l’avait prévu le Sénat, de la formation citoyenne. Le rapporteur du Sénat a rappelé, à cet égard, que le regard citoyen ne devait pas se limiter aux violences et à la délinquance sexuelle et que, en tout état de cause, le caractère expérimental de ce dispositif permettrait de déterminer s’il faudrait, à l’avenir, aller plus loin.

Le deuxième sujet de désaccord portait sur deux formalités concernant la motivation des arrêts des cours d’assises introduites par le Sénat et supprimées par l’Assemblée nationale : d’une part, l’exigence d’une signature de l’arrêt par le président de la cour d’assises et le premier juré ; d’autre part, l’obligation pour le président de lire la motivation au moment où il rend public le verdict.

La commission mixte paritaire a finalement décidé de dissocier ces deux sujets : elle a accepté, pour les affaires les plus complexes, un délai maximal de trois jours pour rédiger la motivation, tout en revenant au texte du Sénat pour la co-signature de l’arrêt par le président de la cour d’assises et le premier juré. En effet, il est important que ce document reflète l’implication des magistrats professionnels autant que celle des jurés.

La commission mixte paritaire a ensuite débattu de l’introduction, par l’Assemblée nationale, des dispositions relatives à la publicité des audiences de la cour d’assises des mineurs lorsque celle-ci juge un mineur devenu majeur.

Elle a adopté une proposition de rédaction de compromis présentée par Jean-René Lecerf visant deux objectifs.

D’une part, le texte voté par la commission mixte paritaire réserve à l’accusé mineur devenu majeur, à ses co-accusés et au ministère public la possibilité de demander la levée de la publicité restreinte devant la cour d’assises des mineurs, alors que le texte de l’Assemblée nationale ouvrait aussi cette faculté à la partie civile.

Il est apparu en effet à la commission mixte paritaire que si la partie civile peut légitimement chercher la condamnation d’un fait qui lui est préjudiciable, ainsi que la réparation du préjudice, la publicité des débats, comme l’a relevé notre collègue François Pillet, ne lui apportait rien, sinon une forme de vengeance étrangère à l’esprit qui doit inspirer notre procédure pénale. Il faut toujours s’en souvenir !

D’autre part, la rédaction adoptée par la commission mixte paritaire renforce le pouvoir de la cour, seule compétente pour décider la levée de la publicité restreinte.

Enfin, si les sénateurs se sont ralliés au choix des députés de restreindre le champ d’intervention du centre national d’évaluation avant une libération conditionnelle, le rapporteur pour le Sénat, M. Jean-René Lecerf, a souligné l’intérêt de cette évaluation pluridisciplinaire pour éviter la récidive – je vous renvoie à cet égard, mes chers collègues, au rapport de la commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France. Il a souhaité que, sans être obligatoires, ces évaluations deviennent plus systématiques, même pour des condamnations très inférieures à quinze ans.

L’ouverture d’un second centre national d’évaluation à Réau, dans le beau département de Seine-et-Marne, ainsi que deux autres projets en cours, devraient permettre de répondre à ces préoccupations. J’espère, monsieur le garde des sceaux, que vous pourrez confirmer ces objectifs au cours de nos débats.

Enfin, outre plusieurs modifications à caractère rédactionnel, la commission mixte paritaire a autorisé les directeurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, à accéder au bulletin n° 1 du casier judiciaire, afin de pouvoir mieux apprécier, avant la libération d’une personne faisant l’objet d’un sursis avec mise à l’épreuve, les modalités de son suivi. Cette disposition s’inscrit dans le prolongement de la détermination du délai dans lequel les personnes condamnées à une peine assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve doivent être convoquées, avant leur sortie de prison, devant le service d’insertion ou de probation.

Telles sont, mes chers collègues, les conclusions de la commission mixte paritaire que je vous propose d’adopter, l’amendement déposé par le Gouvernement visant simplement à corriger une erreur de référence. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois et rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous arrivons au terme de la navette parlementaire sur le projet de loi sur la participation des citoyens à la justice pénale et le jugement des mineurs. Ce texte marque une nouvelle étape dans la mise en œuvre de la volonté du Gouvernement, plusieurs fois manifestée au cours de cette législature, de définir une justice pénale plus ouverte, plus proche et plus réactive, afin, notamment, de répondre à l’attente quotidienne de nos concitoyens à l’égard de leur justice.

Grâce à l’accord trouvé en commission mixte paritaire, la participation des citoyens à la justice pénale va être accrue, avec l’introduction de citoyens assesseurs pour le jugement des délits les plus graves et pour le suivi de l’application des peines. Le fonctionnement des assises sera amélioré – le sera-t-il suffisamment, c’est une question que l’on peut se poser –, ce qui devrait limiter le développement du phénomène de correctionnalisation. Enfin, la justice des mineurs connaîtra d’importantes avancées.

Le Parlement, tout en souscrivant aux objectifs visés par le Gouvernement, a enrichi le texte initial ; je veux souligner, à cet égard, l’apport majeur du Sénat et de sa commission des lois sur chacun des volets de la réforme. Je remercie le rapporteur, M. Jean-René Lecerf, et le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, de la qualité de leur travail. La rédaction issue des travaux du Sénat a été largement approuvée par l’Assemblée nationale, et il ne restait que peu de points à débattre en commission mixte paritaire.

Le premier objectif du texte consiste à faire participer les citoyens au fonctionnement de la justice pénale, conformément à l’engagement pris par le Président de la République dans son programme de campagne de 2007.

Participant à l’acte de juger, les citoyens accompliront un acte civique fort, alors qu’ils n’ont que rarement l’occasion de s’engager au service de la collectivité. Je crois profondément aux vertus pédagogiques de cette réforme, qui permettra à nos concitoyens de mieux comprendre la difficulté de rendre la justice.

Le texte ouvre aux Français les formations de jugement en correctionnelle ainsi que celles de l’application des peines : deux citoyens assesseurs siégeront désormais aux côtés des trois magistrats professionnels. Cette composition a été retenue afin de répondre à une exigence du Conseil constitutionnel.

Rapprocher les citoyens de notre justice, leur permettre de mieux appréhender le rôle des magistrats et la difficulté de leur tâche, modifier les pratiques des magistrats professionnels dans le sens d’une justice plus intelligible : ce sont là des objectifs auxquels nous pouvons tous souscrire.

Le Sénat a permis d’accroître encore le champ de cette participation, en élargissant le périmètre des affaires relevant de la compétence des nouvelles formations de jugement en correctionnelle : les citoyens participeront donc au jugement des délits les plus graves portant atteinte à la tranquillité et à la sécurité des personnes. Vous avez maintenu et même renforcé la logique du projet de loi par cet élargissement de compétence. La commission mixte paritaire a, selon le souhait de votre assemblée, rétabli les délits environnementaux dans le champ de compétence de cette nouvelle juridiction.

La Haute Assemblée a également réduit d’un mois à huit jours le délai de présentation devant le tribunal correctionnel en matière de comparution immédiate. Il est vrai que prévoir un délai d’un mois était quelque peu contradictoire avec ce caractère d’immédiateté ! Il s’agit d’un point d’équilibre entre la nécessité de pouvoir conserver les modes rapides de poursuites pour ces délits et celle d’éviter un accroissement du nombre des cas de détention provisoire.

Le deuxième grand volet du projet de loi vise à limiter la correctionnalisation des crimes, dont nous estimons tous qu’elle pose de réelles difficultés. On estime qu’environ 70 % des crimes ne sont pas jugés comme tels. C’est pour lutter contre ce phénomène que nous avons inscrit, dans le projet de loi, une réforme des assises. Il est en effet de notre responsabilité de faire juger les infractions selon les qualifications et les régimes qui ont été définis par le législateur.

Cette disposition a fait l’objet de nombreux débats. La « cour d’assises simplifiée » proposée par le Gouvernement n’a pas été retenue par le Sénat : tant pis ! Vous avez choisi de réduire le nombre de jurés aux assises de neuf à six en première instance, et de douze à neuf en appel. L’Assemblée nationale, après en avoir longuement discuté, s’est rangée à votre proposition, dont la mise en œuvre permettra, je le souhaite, une augmentation importante du nombre d’affaires jugées par an.

S’agissant du volet de l’exécution des peines et du suivi des condamnés dangereux, le Sénat a introduit des dispositions qui ont été enrichies par l’Assemblée nationale, puis précisées en commission mixte paritaire.

Ainsi, le texte assouplit les modalités de mise en œuvre du placement sous surveillance électronique mobile dans le cadre d’une libération conditionnelle ou d’un suivi socio-judiciaire. Il assouplit aussi la procédure d’inscription des décisions de condamnation dans le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le FIJAIS.

Le projet de loi améliore le suivi des condamnés par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, en prévoyant qu’ils reçoivent leur convocation avant leur libération et qu’ils soient reçus dans un délai de huit jours à un mois, selon la gravité des faits commis. La commission mixte paritaire a précisé que les directeurs des SPIP devront avoir accès au bulletin n° 1 du casier judiciaire, ce qui n’était pas systématique jusqu’à présent, d’où certains dysfonctionnements.

En outre, nous disposons d’un cadre renforcé pour le prononcé des décisions de libération conditionnelle, avec l’extension des évaluations pluridisciplinaires. Pour permettre la mise en œuvre de ces nouvelles évaluations, nous avons prévu l’ouverture de trois nouveaux centres d’évaluation, devant s’ajouter à celui déjà existant de Fresnes. Celui de Réau, en Seine-et-Marne, ouvrira en octobre prochain. Un autre sera créé dans la région lilloise, dans les locaux de l’ancienne prison, que nous devons conserver pour des raisons historiques. L’évaluation de la dangerosité des détenus est essentielle en matière de prévention de la récidive.

Enfin, le texte tend à améliorer la justice pénale des mineurs.

Depuis les travaux conduits sous l’égide du recteur Varinard, la chancellerie a élaboré, dans un cadre concerté, un projet de code de justice des mineurs, quasiment achevé à ce jour. Cependant, ce projet ayant été envisagé dans le cadre plus global de la réforme de la procédure pénale, la fin toute proche de la législature ne nous permettait pas de l’adopter avant avril 2012.

Néanmoins, la situation, toujours préoccupante, de la délinquance des mineurs, notamment s’agissant des violences aux personnes, justifiait que nous mettions en œuvre dès à présent certaines mesures, aussi bien pour améliorer la connaissance de la personnalité des mineurs, avec la création du dossier unique de personnalité, que pour apporter des réponses mieux adaptées, avec l’extension des centres éducatifs fermés ou la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs.

Je le redis, nous avons veillé à ce que cette réforme respecte les principes propres à la justice des mineurs, tels qu’ils sont définis par la loi de 1912 et l’ordonnance de 1945 et rappelés par le Conseil constitutionnel dans ses décisions de 2002 et 2011.

Le Sénat a renforcé la formation de jugement du tribunal correctionnel pour mineurs, car elle sera présidée par le juge des enfants. La commission mixte paritaire a retenu cette configuration, qui préserve la spécificité des tribunaux pour mineurs. Il y aura donc un tribunal correctionnel spécialement constitué, présidé par un juge des enfants et qui appliquera la procédure du tribunal pour enfants.

En ce qui concerne le dossier unique de personnalité, les deux chambres ont apporté des garanties de confidentialité des données collectées, notamment pour limiter l’utilisation du dossier à la majorité du mineur.

Le projet de loi donne au parquet la possibilité de convoquer directement le mineur devant le tribunal pour enfants, par voie d’une convocation par officier de police judiciaire. Le Sénat a encadré ce dispositif en limitant son champ aux mineurs connus de la justice.

Je me félicite de ce que la commission mixte paritaire se soit accordée sur le dispositif de césure : celui-ci permettra de concilier décision rapide sur la déclaration de culpabilité et réponse pénale adaptée en fonction des éléments de personnalité recueillis.

La commission mixte paritaire a trouvé une solution de compromis sur la levée du huis clos pour le jugement des majeurs qui étaient mineurs au moment des faits. Celle-ci ne pourra être demandée que par le ministère public ou un autre accusé, mais ne pourra l’être par la partie civile. Je crois que nous partageons tous le même sentiment sur ce sujet. La partie civile a droit à réparation pour le préjudice subi, mais c’est à l’État qu’il revient de mener le procès pénal en vue de réparer l’atteinte portée au pacte social.

Depuis maintenant quatre ans, nous avons profondément rénové la justice pénale de notre pays, désormais plus protectrice des droits et libertés de nos concitoyens, notamment avec la réforme de la garde à vue ou la mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité, la QPC. Le texte, tel qu’il est issu des travaux de la commission mixte paritaire, permet d’aller encore plus loin, en associant véritablement les citoyens à la justice. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, session extraordinaire, procédure accélérée : un citoyen présumé raisonnable pourrait penser que le fonctionnement catastrophique de la justice dans notre pays imposait le vote d’un texte fondateur propre à redonner confiance tant aux professionnels qu’aux justiciables.

Eh bien non ! Bon sens et raison ne sont point au rendez-vous, lequel sera une fois de plus manqué parce que le seul objectif de ce texte est de répondre à la commande présidentielle : comment faire de la justice un instrument médiatique à usage électoral…

Certes, grâce au Sénat, nous avons échappé à certains excès, en particulier concernant la cour d’assises et la place de la partie civile.

En quoi la création expérimentale de jurés populaires au sein des tribunaux correctionnels peut-elle améliorer le fonctionnement de notre justice ? Qui peut être dupe de la fallacieuse argumentation, abondamment développée pour soutenir ce projet de loi, selon laquelle ce serait le moyen miraculeux de rapprocher les citoyens de la justice ? (M. Robert Badinter sourit.)

Balivernes que tout cela ! Comme je le soulignais en exposant une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité ici même le 17 mai dernier, « les citoyens ne demandent pas à rendre la justice, ils veulent qu’on la leur rende ! »

La justice aujourd’hui souffre de maux que nous connaissons tous et qui sont très majoritairement reconnus au-delà des clivages politiques traditionnels. J’en relèverai trois.

Premièrement, la justice souffre d’un manque de moyens et de personnels. Cette réalité est de plus en plus prégnante.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Une nouvelle présidente à Aurillac, tout de même !

M. Jacques Mézard. Nous en reparlerons, monsieur le garde des sceaux !

Deuxièmement, la justice souffre d’une insécurité juridique due à l’accumulation constante de réformes sans cohérence et parfois contradictoires, autour du leitmotiv d’un discours sécuritaire : il faut aggraver les sanctions, sans se donner d’ailleurs les moyens de les appliquer.

Troisièmement, la justice souffre d’un refus de trancher la question pourtant cardinale du statut du parquet. Faudra-t-il, comme pour la garde à vue ou la psychiatrie, que les décisions du Conseil constitutionnel et la jurisprudence européenne vous obligent à avancer, en produisant au dernier moment un texte mal préparé, à l’application difficile, pour ne point dire chaotique ?

Comment avez-vous justifié votre démarche ? Je cite l’étude d’impact de votre projet de loi : « Les citoyens peuvent estimer que les décisions de justice ne prennent pas suffisamment en compte les évolutions de la société. » Est-ce ainsi que vous pensez remédier au malaise de la justice, au sentiment d’abandon de la magistrature ? Non seulement les magistrats n’obtiennent pas les moyens d’accomplir sérieusement leur mission, mais ils ont été sévèrement et injustement critiqués, certes pas par vous, monsieur le garde des sceaux, mais par de hauts responsables de la majorité. Au lieu de simplifier leur tâche, vous la compliquez. Ils n’ont pas besoin du concours de citoyens assesseurs pour faire face à leurs obligations ; ils ont besoin du concours de l’État.

Sont-ils, ces magistrats, si peu compétents qu’il convienne de les faire assister, dans les matières dites les plus simples, par des citoyens assesseurs ?

En réalité, ce que vous recherchez, nous l’avons tous compris, c’est l’effet médiatique, et la lecture du nouvel article 399-2 du code de procédure pénale est à cet égard révélatrice : compétence est donnée au citoyen assesseur pour les homicides involontaires routiers, ainsi que pour les homicides résultant d’agressions commises par des chiens… On peut se demander si TF1 et quelques quotidiens du matin ne seraient pas les inspirateurs de la nouvelle politique pénale !

En revanche, les citoyens assesseurs ne seront pas compétents pour les infractions économiques et financières ou le trafic de stupéfiants…

Depuis trois ans, monsieur le garde des sceaux, vos prédécesseurs ont martelé que la justice était trop lente et que, dans l’intérêt prioritaire du citoyen justiciable, il convenait de la réformer pour accélérer son cours.

Aujourd’hui, par l’instauration de cette procédure dont personne, en particulier dans le monde judiciaire, n’a réellement demandé la création, vous reconnaissez vous-même que la justice sera rendue plus lentement pour les affaires concernées, que les tribunaux correctionnels comportant des citoyens assesseurs ne pourront examiner qu’un nombre plus limité de dossiers à chaque audience. La vérité d’un jour n’est plus celle du lendemain !

Au passage, monsieur le garde des sceaux, j’imagine quelles auraient été votre réaction et celle de nos collègues de la majorité si un gouvernement d’une autre tendance avait proposé une telle réforme !

Cela étant, à ce moment de mon propos, je voudrais remercier le rapporteur, M. Jean-René Lecerf, le président de la commission de lois, M. Jean-Jacques Hyest, et vous-même, monsieur le garde des sceaux, d’avoir évité que ce très mauvais projet de loi ne devienne encore pire, notamment lors du débat à l’Assemblée nationale.

Nous avons ainsi échappé à la cour d’assises dite simplifiée, à l’appel de la partie civile en matière criminelle. Sur ce dernier point, je fais miennes les observations que M. le président Hyest a formulées devant la commission des lois.

Je vous remercie donc tous les trois d’avoir freiné les ardeurs de certains députés, dont le zèle sécuritaire se traduit trop souvent par un réquisitoire malsain contre la justice, d’autant que ceux qui donnent des leçons ne les appliquent pas forcément au quotidien : une récente émission de TF1 réalisée à Nice a donné une illustration malheureuse de ce fait…

Monsieur le garde des sceaux, la politique du Gouvernement donne le tournis, et c’est un euphémisme ! On supprime à grands frais les avoués, que, selon Mme Dati, on devait retrouver nombreux dans la magistrature, tandis que leurs collaborateurs devaient intégrer les greffes : verba volant