M. Rémy Pointereau, rapporteur. Vingt-trois amendements ont été déposés sur l’article 14, mais un amendement visant à rédiger l’article nous contraint à les examiner ensemble dans le cadre d’une discussion commune. Aussi, pour la clarté de nos débats, madame la présidente, je demande la disjonction de l’amendement n° 47 déposé par M. Le Cam.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je suis saisie par la commission d’une demande de disjonction de l’amendement n° 47 à l’article 14.
Il n’y a pas d’opposition ?...
M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. Pas de la part du Gouvernement !
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous retrouver ce soir pour l’examen de cette proposition de loi relative aux certificats d’obtention végétale.
La presse s’en est fait l’écho, Paris était, la semaine dernière, la capitale de l’agriculture mondiale. À l’issue de quatorze mois de négociations, nous sommes parvenus, avec mes homologues du G20, à établir un plan d’action historique destiné à relever le défi de l’agriculture et de la sécurité alimentaire mondiales.
Les objectifs sont clairs : il s’agit de réinvestir dans l’agriculture mondiale, de permettre une plus grande transparence s’agissant des stocks et de la production agricole mondiale ainsi que de prévoir une meilleure coopération entre les États membres du G20 en cas de crise et une régulation, à nos yeux indispensable, des marchés agricoles financiers.
Face à la pression croissante de la demande agricole mondiale, nous devons réinvestir dans l’agriculture mondiale, et cela doit se manifester dans notre agriculture nationale. Je suis à la fois très heureux et très fier de pouvoir poursuivre mon travail au ministère de l’agriculture, au service, précisément, de cette agriculture nationale.
Il nous faut produire plus, ce qui impossible sans le développement de la recherche. L’augmentation de la productivité agricole en France se heurte en effet à de nouvelles réalités que vous connaissez, mesdames, messieurs les sénateurs : des crises sanitaires de plus en plus fréquentes, un réchauffement climatique qui fait baisser les rendements et un problème de terres agricoles qui rend d’autant plus nécessaire l’augmentation de la productivité.
La proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui, bien qu’elle puisse paraître technique à certains, est une réponse très concrète pour faire face à l’enjeu.
En France, la recherche agronomique est assise sur un modèle original de protection de la propriété intellectuelle, le certificat d’obtention végétale, que Christian Demuynck a évoqué à l’instant de façon juste et détaillée. Ce modèle permet de défendre un juste équilibre entre protection du propriétaire et intérêt de l’utilisateur.
Avec cette proposition de loi, monsieur le rapporteur, nous avons la possibilité de consolider ce modèle, en créant les conditions de la pérennité de notre recherche agronomique et en clarifiant la situation de nos agriculteurs à l’égard du produit de cette recherche.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement y est favorable. Je m’étais engagé, lors du débat sur le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, à ce que nous examinions ensemble cette proposition de loi. Or j’ai l’habitude de tenir mes engagements et de respecter un certain nombre de valeurs et de principes qui fondent ma vie politique. J’assume donc aujourd’hui la décision qui avait été prise à cette occasion, puisque vous êtes sur le point d’adopter, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi, qui permet d’améliorer encore notre dispositif en matière de recherche agronomique.
Améliorer notre dispositif, c’est d’abord, comme l’a dit tout à l’heure Christian Demuynck, cesser d’opposer l’intérêt des obtenteurs et celui des agriculteurs : la recherche agronomique n’est pas au service de quelques agriculteurs ; elle doit être au service de l’ensemble des agriculteurs.
M. Christian Demuynck. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Une recherche forte, c’est une agriculture forte. Je regrette, à cet égard, que, dans un passé qui n’est pas si lointain, on ait voulu opposer les intérêts de la recherche à ceux de l’agriculture.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. Exactement ! Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. L’agriculture, ce n’est pas le retour au Moyen Âge, à un temps dépassé où il n’y avait ni crise sanitaire, ni crise climatique, ni problème de rendement.
Le progrès, c’est être capable de concilier recherche et agriculture. Nous sommes, nous, majorité, dans le camp du progrès, car nous assumons le fait qu’il puisse y avoir, d’un côté, une recherche responsable et, de l’autre, une agriculture moderne. Nous refusons les visions caricaturales, idéologiques ou passéistes de l’agriculture, qui ne correspondent aux besoins ni du consommateur français ni de la population mondiale.
Mme Marie-Christine Blandin. Qui visez-vous ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Les récents événements en matière de sécurité sanitaire nous le montrent suffisamment, il faut renoncer à une vision parfois irénique de la production agricole. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) La sécurité sanitaire passe aussi par la recherche et la maîtrise d’un certain nombre de savoirs scientifiques.
Il n’y aura pas d’amélioration des rendements sans recherche agronomique.
M. Daniel Raoul. Mais c’est de la provocation !
M. Bruno Le Maire, ministre. Ce n’est pas de la provocation, monsieur le sénateur, c’est tout simplement du réalisme ! Or ce gouvernement sera toujours du côté du réalisme et de la lucidité, surtout en ce qui concerne la production agricole mondiale et la sécurité alimentaire de nos compatriotes.
M. Daniel Raoul. Contre qui ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Pas contre, monsieur le sénateur, pour... C’est tout l’objet de cette proposition de loi !
Aujourd’hui, la sélection végétale est le seul moyen de maintenir les rendements à un niveau stable. S’il n’y avait pas eu de recherche génétique sur le blé en Europe, les rendements auraient chuté après la Seconde Guerre mondiale, et nous n’aurions pas été en mesure de nourrir correctement notre population.
Tout cela est important non seulement pour la France, mais aussi pour les pays en développement. Je souhaite profiter de cette tribune, mesdames, messieurs les sénateurs, pour vous faire part de mon expérience de cette année de négociations menées au titre du G20.
J’ai pu constater que ces pays demandent avant tout une coopération dans le domaine de la recherche,…
M. Charles Revet. Exactement, et il faut les aider !
M. Bruno Le Maire, ministre. … une amélioration des rendements et de la génétique en matière de semences, les moyens pour pouvoir produire dans des conditions climatiques particulièrement difficiles, notamment en période de sécheresse.
Il est donc aussi de notre devoir de les aider en matière de recherche agricole, d’autant qu’ils nous sollicitent en ce sens.
N’ayons pas une vision trop étroite de l’agriculture française. Les pays d’Afrique, d’Asie du Sud-Est, les pays les plus pauvres de la planète nous demandent non pas la fourniture de blé produit sur notre territoire, mais aide et coopération en matière de recherche pour pouvoir produire chez eux à un coût le moins élevé possible. C’est bien ce que nous sommes décidés à faire.
M. Christian Demuynck. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Il n’y a pas non plus d’agriculture durable sans innovation agronomique.
Pour concilier productivité et respect de l’environnement, le meilleur moyen est de changer de modèle. C’est l’innovation qui nous permettra de faire le saut qualitatif nécessaire en créant des variétés moins consommatrices d’engrais et de pesticides.
Les engagements pris de réduction de 50 % de l’utilisation des produits phytosanitaires d’ici à 2018 doivent être tenus. Ils répondent à la volonté des consommateurs, mais il y va de notre intérêt à tous, car l’agriculture tant en France qu’en Europe doit être un modèle en matière de réduction du recours aux engrais et de consommation de pesticides pour tous les autres pays de la planète.
Je le répète, sans recherche performante, il n’y a pas d’agriculture compétitive, pas d’agriculture durable, pas d’agriculture productive dans le respect des conditions que j’ai indiquées.
Mais la recherche agronomique a un coût. Il suffit de se déplacer au Brésil, aux États-Unis, en Argentine, ou encore en Allemagne - notre grand voisin a investi massivement dans le domaine agricole -, pour constater que toutes les puissances agricoles, anciennes ou émergentes, consacrent des sommes considérables à leur recherche agronomique.
À titre d’exemple, le développement de nouvelles variétés végétales prend en moyenne dix ans et nécessite un effort financier de l’ordre de 100 millions d’euros, somme ô combien élevée pour des agriculteurs.
Il faut donc soutenir l’effort de recherche. C’est l’objet de la présente proposition de loi, qui garantit la juste rémunération de la recherche par le paiement de droits sur les semences protégées.
Avec ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, vous donnez un nouveau signal concret de l’engagement de notre pays aux côtés de la recherche et de l’innovation.
Cette proposition de loi est dans l’intérêt des agriculteurs eux-mêmes, parce qu’elle permet de clarifier et de simplifier les conditions d’utilisation de semences de variétés protégées.
Vous connaissez tous ici la situation actuelle, et vous savez combien elle est ubuesque : un agriculteur ayant acheté des semences n’a pas le droit de ressemer les graines récoltées ; il est dans l’obligation d’acheter au prix fort de nouvelles semences.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Bruno Le Maire, ministre. Les agriculteurs s’étonnent, et il y a de quoi ! C’est tout à fait dommageable du point de vue des coûts de production, et très compliqué à expliquer en droit.
Évidemment, dans les faits, cette interdiction, comme toute interdiction malencontreuse, est largement contournée, étant trop contraignante et trop coûteuse.
Si l’on devait, en cette période de baccalauréat, mener une réflexion philosophique sur l’autorité (Sourires), on constaterait que la meilleure façon de garantir le respect de l’autorité est de poser des règles justes. Lorsque les règles sont injustes, ce qui est le cas à l’heure actuelle, l’autorité est contournée. En l’occurrence, les agriculteurs font comme ils peuvent et ressèment des graines, alors qu’ils devraient acheter de nouvelles semences s’ils voulaient rester en conformité avec le droit.
Cette interdiction pose aussi un problème aux sélectionneurs, qui ne peuvent pas tirer le juste bénéfice de leur travail. Dans des espèces comme les céréales à paille, la pratique du réensemencement concerne 50 % des semences utilisées. Or les sélectionneurs ne perçoivent de droits que sur les semences certifiées, soit un manque à gagner considérable, qui se chiffre à plus de 30 millions d’euros par an, alors qu’ils investissent près de 14 % de leur chiffre d’affaires en recherche et développement.
Grâce au présent texte, nous reconnaissons, pour la première fois, le droit des agriculteurs à sortir de cette situation ubuesque et à ressemer des graines protégées par un certificat d’obtention végétale. Cela relève du bon sens, mais le bon sens n’allant pas toujours de soi, il était temps que le Sénat se saisisse de la question.
Cette faculté sera autorisée moyennant une contribution bien inférieure aux droits complets normalement dus à l’obtenteur.
Pour les « petits agriculteurs » au sens de la PAC – ceux qui produisent moins de 92 tonnes de céréales ou l’équivalent –, ce droit aux semences de ferme sera désormais totalement gratuit.
Pour les autres, et conformément à ce qui se fait pour le blé depuis 2001, le texte prévoit la négociation d’un accord entre obtenteurs et agriculteurs destiné à arrêter ce que vous appelez un « juste niveau de rémunération ».
La proposition de loi que nous examinons permet de consolider le modèle français de protection de la propriété intellectuelle face aux tenants du système du brevet.
Christian Demuynck et Rémy Pointereau l’ont rappelé avant moi, ce qui fait la différence entre le certificat d’obtention végétale et le brevet, c’est la liberté qui est laissée à l’utilisateur de la variété.
Dans le cas du certificat, il existe un équilibre entre les droits du propriétaire et ceux de l’utilisateur.
Dans le cas du brevet, le propriétaire a tous les droits. Voilà qui est évidemment plus simple !
Dans le cas du certificat, la protection est limitée aux usages commerciaux de la variété et de ses dérivés. Il reste cependant possible d’utiliser la variété comme base pour développer de nouvelles variétés.
Dans le cas du brevet, toutes les utilisations d’une variété brevetée ou de ses fruits sont suspendues à l’accord du propriétaire et au versement de droits. L’inventeur a des droits sur tous les produits développés à partir de son invention, même s’ils sont différents.
Pour parler simplement, le brevet met tous les droits du côté du propriétaire privé, au détriment des utilisations futures, tandis que le certificat d’obtention végétale empêche cette privatisation des ressources naturelles par un petit nombre de firmes, grâce à un concept de dérivation essentielle introduit dans la proposition de loi.
Ainsi, si une entreprise privée comme Monsanto décide de breveter quelques gènes bien placés sur des variétés qui font l’identité de notre agriculture, nous serons incapables de continuer à développer ces variétés, car nous ne pourrons pas régler la facture. Le certificat évite cette issue tout en permettant de défendre la variété de l’agriculture française.
J’aimerais à cet instant remercier les membres de la commission, en particulier son rapporteur, Rémi Pointereau, des améliorations apportées au texte, notamment deux d’entre elles.
Premièrement, l’insertion de l’article 15 bis permet de favoriser la conservation des collections de variétés anciennes, point très important. Ce qui fait la force de notre agriculture, ce sont la diversité et la qualité de ses produits.
M. Daniel Raoul. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. Il faut continuer à la défendre, comme l’attendent d’ailleurs les consommateurs. Grâce à cet article, la bonnotte de Noirmoutier sera défendue comme elle le mérite, même si, pour ma part, j’ai une petite préférence pour la ratte du Touquet (Sourires.)
M. Rémy Pointereau, rapporteur. Je préfère, quant à moi, la belle de Fontenay ! (Nouveaux sourires.)
M. Bruno Le Maire, ministre. Deuxièmement, alors que, dans l’intitulé initial proposé par l’article 14, la section 2 bis du code de la propriété intellectuelle faisait de la pratique des semences de ferme une « dérogation en faveur des agriculteurs », elle est désormais intitulée « Semences de ferme ». C’est un message fort en faveur du monde agricole, car il s’agit d’une reconnaissance du droit des agriculteurs à utiliser des semences de ferme, ce qui me paraît une excellente chose. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui est un texte ancien, qui traite d’une question importante.
Ancien, ce texte reprend, en effet, un texte déposé sur le bureau du Sénat le 11 décembre 1996 et adopté par la Haute Assemblée le 2 février 2006, soit dix ans plus tard, mais qui n’a jamais abouti. De 1996 à 2011, nous avons donc pu bénéficier d’un certain délai de réflexion pour améliorer, perfectionner et actualiser le dispositif.
La question est importante, puisqu’elle concerne les obtentions végétales, qui, certes, présentent quelques aspects techniques, mais constituent en fait un enjeu essentiel pour notre agriculture et pour bien des territoires ruraux et agricoles, à commencer par le mien !
Pendant des millénaires, les semences ont été exclues du système marchand : les agriculteurs se les échangeaient. Cette pratique a permis l’évolution des variétés agricoles, leur sélection au regard des besoins du terrain, ainsi que, plus récemment, la sauvegarde de nombreuses variétés anciennes jugées sans intérêt par l’industrie semencière.
Avec l’arrivée de nouvelles techniques de sélections variétales, un nouvel acteur est apparu dans le monde agricole : le semencier.
Celui-ci a voulu protéger ses innovations ; ainsi est né le certificat d’obtention végétale, version « soft » du brevet, et qui s’en distingue, d’une part, par la procédure de reconnaissance d’une variété nouvelle expérimentée en plein champ, et, d’autre part, par la possibilité offerte à des tiers d’utiliser la variété pour en créer de nouvelles, ce que l’on appelle l’« exception du sélectionneur ».
La présente proposition de loi vise à adapter notre droit national et à permettre ainsi la ratification par la France de la convention UPOV de 1991, qui a apporté des modifications substantielles à la convention initiale de 1961.
Cette ratification s’est heurtée au conflit entre obtenteurs et agriculteurs sur les semences fermières. L’accord interprofessionnel sur les semences de blé tendre, conclu en 2001, a ouvert des perspectives plus favorables, sans pour autant régler le problème en son entier. Encore aujourd’hui, des agriculteurs sont menacés de poursuites en contrefaçon devant les tribunaux pour avoir ressemé leur propre récolte, ce qui est inacceptable, comme M. le ministre vient de le rappeler. En 2010, le plan protéine, découlant du bilan de santé de la PAC, n’aurait pu atteindre ses objectifs sans le concours des trieurs et de la semence de ferme.
Faut-il rappeler que la totalité des semences industrielles sont issues des variétés sélectionnées par des centaines de générations de paysans sans que la moindre rémunération leur ait jamais été versée ? La multiplication d’une partie de la récolte à la ferme est aussi le seul moyen de pouvoir adapter les variétés à la diversité des terroirs et aux changements climatiques de plus en plus brutaux ; elle permet de répondre aux nécessités de l’agriculture locale.
Les membres du groupe du RDSE sont, bien entendu, favorables à certaines des évolutions proposées par la présente proposition de loi.
Le certificat d’obtention végétale protège la propriété intellectuelle et rend possible la rémunération du travail des chercheurs, ce qui est à la fois tout à fait légitime et nécessaire, dans un pays en pointe sur les obtentions végétales.
La place qu’occupe la recherche française dans le secteur « semences et plants » est très dynamique et remarquable. Je pense notamment à l’INRA, l’Institut national de la recherche agronomique, aux instituts techniques, au pôle de compétitivité du végétal spécialisé d’Angers.
La recherche a permis d’élaborer des variétés végétales nouvelles favorisant la hausse des rendements agricoles, tout en réduisant la consommation d’intrants, tels que les engrais, les produits phytosanitaires ou l’eau, grâce à une résistance accrue aux maladies et à une meilleure adaptation à l’environnement.
En reconnaissant les efforts fournis par les entreprises pour créer ces variétés, le présent texte leur ouvre de nouvelles perspectives de marché. Nos entreprises, présentes dans le monde entier, doivent disposer des mêmes droits que leurs concurrents. C’est tout à fait normal.
Néanmoins, plusieurs questions se posent. Quelle recherche voulons-nous ? Dans quel but ? Et par qui ? Les conditions de l’équilibre entre obtenteurs et agriculteurs sont-elles réunies dans le présent texte ?
Il est clair que l’obtention doit sanctionner un réel travail de recherche, en d’autres termes, l’innovation.
Aujourd’hui, le secteur semencier, en raison de ses bons résultats, assure le financement de la recherche. Mais l’orientation de cette dernière ne répond pas toujours aux besoins des agriculteurs. Une telle profusion de variétés de blé génétiquement très proches est-elle réellement nécessaire pour satisfaire les besoins des réseaux commerciaux, alors que les rendements plafonnent depuis quinze ans ?
De surcroît, la recherche se dirige vers le verrouillage des semences par la sélection de variétés hybrides ou modifiées. Récemment, certaines grandes firmes ont décidé d’orienter 100 % de leurs programmes de recherche sur des variétés hybrides, non reproductibles à la ferme. Va-t-on assister au contrôle de la totalité des semences et de la nourriture par une poignée de multinationales ?
La contribution volontaire obligatoire prélevée sur le blé tendre des agriculteurs qui reproduisent leurs semences à la ferme rapporte entre 7 et 10 millions d’euros chaque année. Or cette rente ne garantit en rien le réinvestissement dans la recherche. En tout cas, il y a de quoi alimenter une recherche axée sur l’amélioration des variétés au profit des agriculteurs et de l’environnement !
Nous nous interrogeons également sur la durée de protection. Il est proposé, dans le texte que nous examinons, de la porter à vingt-cinq ans, et à trente ans pour certaines espèces. Un tel laps de temps est énorme eu égard à la durée de vie actuelle d’une variété, qui s’établit entre cinq et six ans ! De surcroît, il n’existe que très peu de variétés « génériques » libres de droits sur le marché.
La présente proposition de loi met fin à une situation choquante : l’utilisation illégale, mais tolérée, des semences de ferme. Comme je l’ai déjà indiqué, la semence de ferme est une pratique incontournable pour faire face aux défis futurs et doit être reconnue comme un droit inaliénable de tous les agriculteurs ! Soit dit en passant, le démantèlement des aides de la PAC et les réglementations européennes en matière d’environnement ne sont pas étrangères au recours accru à ce type de semences.
Les agriculteurs qui produisent du blé, du soja et assurent une couverture végétale de tous les sols pendant la période hivernale doivent également faire des marges ! Or, quand le prix des céréales baisse, le prix des semences certifiées, lui, ne diminue pas.
Entre une semence de ferme à 20 euros par hectare et une semence certifiée à 120 euros, vous l’aurez compris, l’arbitrage est vite fait !
De prime abord, le texte paraît équilibré, puisqu’il reconnaît aux agriculteurs le droit de ressemer leur récolte et organise les modalités d’une indemnisation équitable des obtenteurs.
Toutefois, à y regarder de plus près, je ne suis pas tout à fait sûr qu’il soit si équilibré... Qu’en est-il exactement de l’autoconsommation et de l’alimentation du bétail ? Quelles seront les espèces autorisées ? À défaut de prendre en compte toutes les espèces, il faudrait se fonder au minimum sur les vingt et une que comprend la liste communautaire.
Quel sera le montant de la rémunération ? Ce sera certes aux acteurs d’en décider dans le cadre d’accords interprofessionnels, mais encore faut-il donner une indication... Comment s’assurer que les cotisations volontaires obligatoires prélevées sur les agriculteurs servent bien à financer la recherche ?
Nous sommes tentés de voter ce texte, à condition, toutefois, que ces questions trouvent des réponses. À cette fin, il serait judicieux que soient adoptés au moins certains des amendements de notre collègue Daniel Raoul.
M. Charles Revet. Ah, c’est une condition !
M. Yvon Collin. Le certificat d’obtention végétale ne doit pas être le premier pas vers la brevetabilité de la nature. Or l’orientation prise par la Commission européenne en matière de droit de la propriété intellectuelle et de brevets nous inquiète.
Plusieurs pays en développement s’interrogent également sur les mérites respectifs du brevet et du COV.
Vous me répondrez sans doute que la France pourra agir plus efficacement, au sein de l’Union européenne et des instances internationales, contre la brevetabilité des variétés végétales, si notre législation nationale est conforme à notre message. Je peux vous l’accorder, surtout s’il s’agit de lutter contre des prédateurs qui veulent s’approprier ce patrimoine commun qu’est la nature. Toutefois, j’aimerais que vous me rassuriez sur les points que j’ai évoqués. (MM. Daniel Raoul et Charles Revet applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative aux certificats d’obtention végétale dont nous débattons aujourd’hui aborde un sujet complexe, tant dans son volet scientifique que dans son volet juridique. Par exemple, la référence aux notions de taxon botanique, de transgénèse, de mutagénèse, d’homogénéité, de stabilité ou encore de variété, implique un examen attentif du texte.
Au-delà de sa technicité, ce sujet nous rappelle qu’il existe un principe, largement remis en cause au niveau international, que nous devons pourtant toujours défendre : l’interdiction de la brevetabilité du vivant. C’est d’ailleurs au nom de ce principe que vous défendez le certificat d’obtention végétale, un COV que vous présentez comme l’alternative vertueuse au brevet.
Toutefois, en l’absence d’une réflexion plus globale sur le droit des brevets, le système du COV risque d’avoir des effets pervers et de porter atteinte aux droits des agriculteurs et des obtenteurs. C’est là notre premier grief contre la proposition de loi.
En effet, si les droits conférés par les articles L. 613-2-2 et L. 613-2-3 du code de la propriété intellectuelle, issus de la loi du 8 décembre 2004 relative à la protection des inventions biotechnologiques, ne s’étendent pas aux actes accomplis en vue de créer ou de découvrir et de développer d’autres variétés végétales – c’est une bonne chose –, la protection associée au dépôt d’un brevet s’étend en revanche à tout acte de commercialisation.
Cela signifie que, si un obtenteur peut librement utiliser une variété contenant un gène breveté pour la recherche ou la sélection, il doit, avant de commercialiser des semences d’une nouvelle variété ainsi obtenue, demander l’accord du détenteur du brevet et lui verser des droits de licence, ou extraire les gènes brevetés de sa nouvelle variété.
Le brevet sur le gène limite donc l’accès des agriculteurs à l’exception de sélection.
En outre, la coexistence du brevet et du COV, combinée aux dispositions du texte relatives à la contrefaçon, est susceptible d’entraîner des sanctions disproportionnées pour les agriculteurs. C’est notre deuxième grief.
Il est vrai que l’article L. 613-5-1 du code de la propriété intellectuelle accorde aux agriculteurs le droit d’utiliser des semences de ferme d’une variété contenant un gène breveté, à condition de payer des royalties au détenteur du COV, et non au détenteur du brevet. Toutefois, le gène breveté est facilement identifiable par marquage moléculaire dans la récolte de l’agriculteur.
Ainsi, un gène qui ne produit plus d’effet juridique au regard de la propriété intellectuelle n’en constitue pas moins un outil pour faire naître une présomption de contrefaçon. Je rappelle que, en cas de contrefaçon, le COV s’étend également à la récolte et aux produits issus de la récolte.
Enfin, dans l’hypothèse de la contamination de sa récolte, l’agriculteur n’est pas concerné par la dérogation de l’article L. 613-5-1. En effet, si l’agriculteur ne prend pas les mesures nécessaires après avoir été informé de l’existence de cette contamination, on considère qu’il a, de manière intentionnelle, mal utilisé des semences de ferme, ce qui entraîne encore la qualification de contrefaçon. L’agriculteur ne peut donc plus utiliser ses semences de ferme si elles sont contaminées.
Cela n’est pas une hypothèse d’école : deux agriculteurs du Missouri ont récemment poursuivi le géant des produits pharmaceutiques et chimiques Bayer AG, l’accusant d’avoir contaminé leurs cultures par les gènes modifiés d’une souche expérimentale de riz transformée pour être résistante à l’herbicide de marque Liberty, produite par la même entreprise. Celle-ci a été condamnée à payer 2 millions de dollars aux agriculteurs. Lors du procès, ses avocats eux-mêmes ont admis qu’il n’existait aucun moyen d’arrêter la propagation incontrôlée des cultures génétiquement modifiées.
Notre troisième grief concerne les semences de ferme : nous ne sommes pas favorables au dispositif prévu à l’article 14.
Les agriculteurs, les paysans jouent un rôle essentiel dans la préservation de la biodiversité et la garantie de l’indépendance alimentaire. À travers les échanges de semences, la transmission de savoirs et la diversification des cultures, les agriculteurs ont permis la conservation et l’utilisation durable des semences et des sols.
En commission, les sénateurs de la majorité ont largement évoqué les problèmes de rendement. Toutefois, nous ne partageons pas leur opinion quant aux causes du phénomène constaté. À notre sens, l’érosion, l’épuisement des sols en est l’une des causes majeures, davantage que l’utilisation d’engrais ou de produits phytosanitaires, qui est désormais encadrée.
La politique menée aujourd'hui vise à homogénéiser les sols et les plantes, avec la tentation grandissante de recourir aux plantes génétiquement modifiés, les PGM. Par exemple, contrairement à ce qu’il nous a été répondu en commission, certaines aides européennes demeurent conditionnées et subordonnées à l’utilisation de semences certifiées. Je pense notamment à l’aide à la qualité pour le blé dur : pour qu’un agriculteur y ait droit, les semences certifiées doivent représenter au moins 110 kilogrammes par hectare.
En ce qui concerne les PGM, que la majorité parlementaire a largement défendues en commission, il faut être extrêmement prudent, même en termes de conséquences économiques. Savez-vous que, si Limagrain souhaite vendre des semences de maïs de ses propres variétés aux États-Unis, il est obligé d’y intégrer les gènes RR et/ou Bt de Monsanto ? Le résultat est simple : Limagrain reverse à Monsanto, sous forme de droits de licence, près de 50 % du produit de ses ventes aux États-Unis. Sinon, il ne vendrait rien !
Ce modèle agricole, qui repose sur une monoculture intensive et l’introduction de PGM, qui met notre agriculture aux mains de l’agrobusiness, ne nous convient pas. Or la proposition de loi s’inscrit dans cette logique, ou, du moins, ne donne pas aux agriculteurs et aux obtenteurs les armes suffisantes pour défendre leurs droits.
Nos craintes sont cependant légèrement apaisées par l’article 15 bis de la proposition de loi. En effet, les travaux de la commission ont finalement permis d’introduire dans le texte, en application de nos engagements internationaux, l’enjeu premier que constitue la diversité biologique.
En 1992, la Convention sur la diversité biologique a défini les principes du consentement préalable et du partage des bénéfices issus des exploitations des agriculteurs. Le traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, le TIRPAA, approuvé par l’Union Européenne en 2004 et dont la ratification a été autorisée par le Parlement français en 2005, a mis en place un système multilatéral d’accès qui permet à chaque partie d’avoir un accès facilité aux ressources des autres parties, sous réserve de réciprocité. Ces échanges constituent une véritable richesse.
Il est fondamental de prendre en compte les droits garantis par ces traités dans la législation tant européenne que nationale. Or l’autorisation très encadrée des semences de ferme ne nous semble précisément pas conforme à nos engagements internationaux.
En outre, la généralisation de la cotisation volontaire obligatoire, la CVO, risque d’augmenter les charges, déjà lourdes, des agriculteurs ; le prix d’achat élevé des semences certifiées devrait largement suffire. Au vu des services que rendent les agriculteurs en produisant des semences de ferme, cette pratique comportant des avantages tant du point de vue environnemental – absence de transport, diversité cultivée, traitements phytosanitaires non systématiques – qu’en termes d’indépendance alimentaire, nous défendons le principe de la gratuité de l’utilisation des semences de ferme.
Enfin, notre quatrième et dernier grief tient au fait que le système mis en place ne permet pas de garantir que la recherche se fera au service de l’intérêt public.
Il est tout à fait acceptable que les recherches menées par les obtenteurs soient protégées et rémunérées ; ce peut être le cas lors de l’achat de la semence certifiée. Cependant, les sommes fléchées par les obtenteurs vers les postes de recherche ne sont pas connues avec précision, et, d’autre part, l’objectif premier de l’obtenteur est non pas de faire de « la » recherche mais de faire « des » recherches qui lui permettront d’optimiser son activité commerciale.
C’est pourquoi il est essentiel de donner à la recherche publique les moyens nécessaires à l’exercice de ses missions. Or c’est loin d’être le cas : à cause de la révision générale des politiques publiques, qui s’est traduite, pour l’INRA, par le gel de 40 postes en 2011 et la baisse très importante du soutien de base alloué aux départements de recherche, ainsi que l’ont dénoncé les quatre syndicats de l’organisme au début de l’année, l’Institut national de la recherche agronomique n’est plus en mesure d’assumer ses missions de recherche agronomique publique.
Enfin, nous sommes sceptiques quant à l’utilité de légiférer en urgence, alors que de nouvelles règles seront bientôt proposées par la Commission européenne. À ce titre, l’amendement n° 57 rectifié, déposé par le Gouvernement, qui est censé préfigurer ces évolutions potentielles, actuellement en discussion dans le cadre de la révision de la réglementation européenne sur les semences et plants, nous paraît inopportun en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)