M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Ladislas Poniatowski. La France possède probablement des ressources en hydrocarbures de schiste considérables. Pour le gaz de schiste, on évoque le chiffre de 5 000 milliards de mètres cubes, alors que notre pays en consomme 40 milliards de mètres cubes par an. Dans un pays qui importe 98,5 % de son gaz naturel, avec un impact négatif de 10 milliards de dollars sur la facture énergétique nationale, ces chiffres doivent être considérés avec attention.
Le premier intérêt de ces propositions de loi est donc de pousser le Parlement à se saisir de la question de l’approvisionnement en énergie de notre pays, concernant tout particulièrement le gaz naturel. Car le gaz de schiste, c’est avant tout du méthane !
Mes chers collègues, je voudrais appeler votre attention sur quatre points.
En premier lieu, le gaz naturel a vu son importance croître considérablement dans le monde au cours de ces dernières décennies : il représente aujourd’hui 21 % de la consommation mondiale d’énergie, contre 13 % seulement en 1960. Or l’Europe dépend beaucoup pour son approvisionnement des pays de l’ex-Union soviétique et du Moyen-Orient. On a vu les problèmes de sécurité énergétique que pouvait poser cette situation en 2009, lorsqu’un différend entre la Russie et l’Ukraine a privé de gaz plusieurs pays européens.
Une réponse consiste dans le gaz naturel liquéfié, ou GNL, qui circule par bateau. Il permet de diversifier les sources d’approvisionnement. À cet égard, il faut approuver la construction du nouveau terminal méthanier à Dunkerque que vient d’annoncer le Président de la République.
Reste que ces infrastructures ont un coût très élevé. L’idéal serait donc de produire du gaz naturel sur notre propre sol. C’est précisément ce que pourrait permettre le gaz de schiste. Dans une moindre mesure, les huiles de schiste présenteraient le même avantage par rapport aux importations de pétrole.
C’est donc à un enjeu géopolitique aussi bien qu’économique que répondrait cette nouvelle ressource.
En deuxième lieu, nous devons le répéter, il s’agit non pas de remplacer les énergies renouvelables par du gaz de schiste, mais de substituer du gaz extrait de notre sous-sol à du gaz acheté dans des pays lointains et acheminé le plus souvent par gazoduc. Cette ressource ne doit donc pas nuire aux investissements dans les énergies renouvelables. Au contraire – ainsi que vous l’avez rappelé, madame la ministre –, toutes les pistes doivent être explorées pour diversifier et sécuriser le bouquet énergétique français.
Or les capacités hydrauliques n’ont plus qu’une marge de progression limitée dans notre pays et le développement nécessaire de l’électricité éolienne ou photovoltaïque ne peut remplacer à court terme le gaz naturel, qui représente 15 % de la consommation d’énergie primaire.
Reste la biomasse, qui présente des marges de progression importante en France. Je salue à ce propos l’arrêté visant à revaloriser les tarifs d’achat de l’électricité produite par méthanisation, qui a été publié au Journal officiel le 21 mai 2011. Cette source d’énergie est prometteuse, et j’ai regretté que le Grenelle de l’environnement ne lui ait pas fixé des objectifs plus ambitieux.
En troisième lieu, la plupart des critiques à l’encontre des gaz de schiste se fondent – comme cela a été rappelé – sur les excès constatés aux États-Unis, tout particulièrement à travers le film Gasland, qui aligne des images-chocs et des corrélations inquiétantes, mais sans aller véritablement au fond des choses.
Les études scientifiques disponibles sont beaucoup plus mesurées et on ne peut de toute manière pas transposer aussi simplement en France la situation des États-Unis. Tout d’abord, parce que la géologie n’est pas la même.
Mme Évelyne Didier. Bien sûr que si !
M. Ladislas Poniatowski. En France même, il faut distinguer les couches géologiques régulières et peu fissurées du Bassin parisien, pourvues d’huiles de schiste, et celles, plus tourmentées et moins bien connues, qui caractérisent les zones dotées de gaz de schiste dans le sud de la France.
Ensuite, parce que les contrôles permettent de vérifier que les forages sont conduits selon les meilleures techniques possibles. La réglementation française, beaucoup plus rigoureuse, permet de garantir l’étanchéité des puits afin que le méthane ne s’échappe pas en direction des nappes phréatiques. Sans doute faudra-t-il adapter cette réglementation afin, d’une part, de limiter, par exemple, les fuites de méthane dans l’atmosphère lors de la remontée des fluides de fracturation, car le méthane est un puissant agent de réchauffement climatique, et, d’autre part, de mieux associer les élus. Vous serez, je crois, plusieurs à le rappeler, mes chers collègues.
Je considère que les entreprises américaines n’ont pas pris toutes les précautions nécessaires. Elles ont manqué d’un cadre de régulation suffisant, dans un pays où cinquante États peuvent fixer cinquante règles différentes.
Pour toutes ces raisons, il faut approuver l’interdiction générale de la fracturation hydraulique. Si nous ne sommes pas certains de maîtriser les conditions de mise en œuvre de cette technique, celle-ci ne peut être utilisée sur une grande échelle.
Mme Nicole Bricq. Ni sur une petite !
M. Ladislas Poniatowski. C’est précisément pour la même raison que la recherche dans ce domaine est indispensable. En effet, certains toxicologues critiquent la présence de benzène dans les fluides utilisés pour la fracturation. Faut-il le traiter ? Faut-il l’interdire ?
Il est facile de dresser des listes impressionnantes d’agents chimiques et de les publier sur internet. Mais leur toxicité dépend des quantités utilisées, de la manière dont ils sont diffusés et des conditions d’exposition des hommes ou des animaux. Tout cela doit être étudié et mieux compris.
En quatrième lieu, la France devrait-elle se passer d’une nouvelle ressource telle que les hydrocarbures de schiste sans chercher à la comprendre ?
Nous serions les seuls à faire ce choix. Les autres pays savent pourtant aussi bien que nous, et souvent mieux, les risques qu’a représentés l’exploitation du gaz de schiste telle qu’elle a été pratiquée aux États-Unis. Les Américains eux-mêmes le reconnaissent : le président Barack Obama exige l’utilisation de méthodes plus propres, mais il ne remet pas en cause l’exploitation de cette ressource. Il l’a encore dit lors de sa visite en Pologne la semaine dernière. La Pologne, qui a probablement encore plus de ressources que la France, compte beaucoup sur le gaz de schiste pour réduire sa dépendance envers le gaz russe.
À l’échelle de l’Union européenne, qui sera bientôt présidée par la Pologne, le professeur Dieter Helm, qui préside le groupe consultatif sur la feuille de route 2050 pour la politique énergétique européenne, plaide pour l’exploitation des gaz de schiste en remplacement du charbon. Les Allemands, bien qu’ils soient très en avance sur nous dans le domaine des énergies renouvelables, ont décidé de développer la filière des hydrocarbures de schiste au moment où ils choisissent d’arrêter le nucléaire.
Mme Nicole Bricq. Avec beaucoup de contestations !
M. Ladislas Poniatowski. Sans oublier la décision prise la semaine dernière par le Royaume-Uni d’explorer cette filière. Faut-il également citer la Suède ou encore la Norvège, qui exploite déjà les gaz de schiste en mer ? Ces pays ne s’y lancent pas à corps perdu.
Au Québec, où la contestation concernant le gaz de schiste a commencé bien avant chez nous, un moratoire a été déclaré en attendant les résultats d’une évaluation environnementale stratégique des méthodes d’extraction.
Mais nulle part on envisage d’interdire purement et définitivement toute exploration, toute recherche, toute expérimentation concernant les gaz et huiles de schiste, alors même qu’on n’a pas encore conduit d’étude scientifique sérieuse et adaptée au contexte français.
Dans ces conditions, le groupe de l’UMP soutiendra le texte qui est soumis à notre examen et qui a été excellemment présenté par Michel Houel.
Mme Nicole Bricq. On avait compris !
M. Ladislas Poniatowski. Ce texte vise en effet à stopper tous les projets de fracturation hydraulique en cours et à empêcher que de nouveaux forages utilisant cette technique soient mis en œuvre, au besoin en abrogeant des permis déjà accordés.
Mme Dominique Voynet. Ce n’est pas ce que dit le texte !
Mme Nicole Bricq. On n’a pas lu la même chose !
M. Ladislas Poniatowski. Il vise en outre à prévoir une procédure expérimentale, sous contrôle public, bénéficiant de meilleures conditions de transparence que celles prévues actuellement par le code minier. Cette procédure nous permettra de mieux connaître l’état de notre sous-sol, d’évaluer les techniques d’extraction, de définir un cadre réglementaire.
Le texte de la commission, renforcé notamment par les amendements de Claude Biwer, est particulièrement équilibré, compte tenu des délais fort courts qui ont été laissés à l’Assemblée nationale comme au Sénat pour l’examiner. Il répond à une situation d’urgence sans compromettre l’avenir.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski. Après l’accident de Fukushima, la France a refusé à juste titre toute décision précipitée concernant l’avenir de l’énergie nucléaire. Elle s’est donné le temps et les moyens d’évaluer avec soin la sûreté de ses centrales, grâce au travail de l’Autorité de sûreté nucléaire. Le Parlement s’est également saisi de la question. Des décisions seront prises, le moment venu, en toute connaissance de cause.
Souhaitons que les débats relatifs aux gaz et huiles de schiste, dont l’exploitation industrielle ne serait de toute manière techniquement pas possible avant plusieurs années, puissent se dérouler dans la même sérénité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues – je salue également les personnes qui assistent à notre débat –, à la fin de l’année 2010, la découverte de la délivrance par le Gouvernement de permis exclusifs de recherches de gaz et huiles de schiste a suscité une très forte mobilisation citoyenne sur les territoires concernés. Les manifestations ont été et sont toujours très nombreuses – c’est encore le cas aujourd’hui devant le Sénat – avec, en particulier, celle du 26 février 2011 à Villeneuve-de-Berg en Ardèche, qui a rassemblé plus de 20 000 personnes.
En effet, le retour d’expérience des États où se pratique l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels a fait prendre conscience des dangers de la technique utilisée, c'est-à-dire celle de la fracturation hydraulique. Cette technique est énormément consommatrice d’eau et fait courir le risque d’une pollution de la nappe phréatique par les adjuvants chimiques utilisés dans le processus.
Pris, en quelque sorte, la main dans le sac, le Gouvernement a décidé de mettre en place une mission et de suspendre les recherches et les travaux dans l’attente du rapport de ladite mission.
En outre, après s’être précipité pour accorder, en mars 2010, les permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux, le Gouvernement a fait inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale la proposition de loi déposée par Christian Jacob. Ainsi, nous devons nous prononcer, qui plus est en procédure accélérée, sur cette proposition de loi, qui a été modifiée par l’Assemblée nationale. Ce texte est inacceptable en l’état, puisqu’il se caractérise par des ambiguïtés majeures venant s’ajouter au manque de transparence du Gouvernement dans la conduite de ce dossier.
Mme Nicole Bricq. C’est exact !
M. Michel Teston. Le premier point que je souhaite aborder porte précisément sur le manque de transparence dont a fait preuve le Gouvernement.
Depuis le départ, le dossier a été conduit dans la précipitation et l’opacité.
Tout d’abord, les arrêtés du 1er mars 2010 concernant les permis exclusifs de recherches, dits de « Villeneuve-de-Berg », de « Montélimar » et de « Nant », ont été pris en catimini,…
M. Roland Courteau. En cachette !
M. Michel Teston. … sans en informer quiconque, en particulier les maires des communes concernées, et ce tout de suite après le vote des lois dites « Grenelle 1 » et « Grenelle 2 ».
Ensuite, le Gouvernement a décidé d’apporter des modifications au code minier en utilisant la procédure des ordonnances. Certes, le Gouvernement a rédigé depuis un projet de loi de ratification de l’ordonnance du 20 janvier 2011 portant codification de la partie législative du code minier. Cependant, il n’en demeure pas moins que ce projet de loi n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour du Parlement !
En outre, les documents, pourtant publics, concernant les permis exclusifs de recherches délivrés n’ont été rendus accessibles que très récemment, parce que des citoyens ont saisi la Commission d’accès aux documents administratifs.
Mme Dominique Voynet. Et quels citoyens ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Michel Teston. Je trouve cette procédure tout à fait anormale.
Comment croire que tout cela n’est qu’un concours de circonstances, alors que des informations concernant les dégâts environnementaux et sanitaires causés par les exploitations en Amérique du nord étaient dans le même temps diffusées sur internet ?
La seconde partie de mon intervention porte sur les ambiguïtés du texte qui a été adopté à l’Assemblée nationale.
Les députés ont profondément modifié le texte initial sur des points essentiels. Les arguments de sécurité juridique invoqués au cours de la discussion à l’Assemblée nationale pour justifier de telles modifications ne nous semblent pas fondés. En tout cas, le texte actuel comporte de nombreuses ambiguïtés.
Ainsi, nous sommes passés de l’interdiction générale de l’exploration et de l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère à l’interdiction de la seule technique dite « de fracturation hydraulique », ce qui est loin d’être la même chose. Cette technique n’étant pas définie dans le texte, les entreprises titulaires des permis pourraient vouloir contourner l’interdiction en y ayant recours, mais en la nommant autrement.
Mme Nicole Bricq. Ils le font déjà !
M. Michel Teston. Quant à l’abrogation inconditionnelle des permis exclusifs déjà délivrés, elle est désormais soumise à un processus déclaratif, au « bon vouloir », des titulaires des permis. Cette disposition crée une véritable insécurité, puisque les entreprises pourraient également, autre hypothèse, déclarer ne pas utiliser la technique de la fracturation hydraulique, afin de conserver leur permis, de prendre pied sur le terrain et de commencer des recherches en se limitant à des forages.
Cette dernière hypothèse me semble corroborée par les recours formulés par les titulaires des permis exclusifs de recherches contre les arrêtés municipaux interdisant l’exploration et l’exploitation des gaz et huiles de schiste.
Mme Nicole Bricq. C’est un comble !
M. Michel Teston. Finalement, ce texte se caractérise par le « ni-ni » : ni véritable interdiction ni abrogation !
Ces ambiguïtés paraissent avoir pour seul objectif de ne pas mécontenter les entreprises concernées, en ne fermant pas la porte à la poursuite de la recherche, voire à l’expérimentation de la fracturation hydraulique, une expérimentation rendue désormais possible par l’adoption d’un amendement allant dans ce sens lors de la réunion, mercredi dernier, de la commission de l’économie du Sénat. Pour notre part, nous nous sommes fortement opposés à l’adoption de cet amendement, mais il a été voté par la majorité sénatoriale.
À l’évidence, le Gouvernement veut éviter le risque éventuel de devoir payer des indemnités aux entreprises titulaires de permis.
Ce constat conduit notre groupe à demander une remise à plat complète de ce texte en préalable à la révision du code minier et à un débat sur la politique énergétique de la France.
Nos amendements ont donc pour objet de faire reconnaître la distinction entre hydrocarbures dits « conventionnels » et hydrocarbures dits « non conventionnels », d’obtenir l’abrogation avec effet rétroactif des permis exclusifs de recherches et de conditionner la délivrance d’un permis au respect de certaines règles, en l’occurrence la réalisation d’une enquête publique préalable et d’une étude d’impact, ainsi que la consultation du public. Ces amendements nous paraissent rendre parfaitement compte du souhait d’une large majorité de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis maintenant plusieurs mois, une très forte mobilisation citoyenne, appuyée par une très large majorité d’élus, se fait entendre, exprimant non seulement ses inquiétudes quant à l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste, mais également sa colère d’avoir découvert les autorisations d’exploration et d’exploitation accordées par le Gouvernement.
Madame la ministre, même si vous avez reconnu que les permis n’avaient pas été accordés dans de bonnes conditions, avec des procédures suffisantes, cette faute avouée n’est pas pour autant pardonnée.
En effet, ce texte, qui a fait l’objet d’une discussion à l’Assemblée nationale les 10 et 11 mai derniers, arrive devant notre assemblée sans apporter les garanties indispensables quant à la volonté d’interdire l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste et d’abroger les permis de recherches.
Alors que différents textes ont été déposés par l’opposition parlementaire pour abroger les permis exclusifs d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels, l’arrivée rapide de l’examen de cette proposition de loi issue de votre majorité ne cherchait-elle pas avant tout à calmer une colère grandissante à la veille d’une échéance électorale ?
M. Jean-Jacques Mirassou. Bien sûr !
M. Robert Tropeano. Avant d’aborder la question sur le fond, je souhaite en préambule soulever un point de principe qui me semble fondamental dans une démocratie, celui de l’information et de la concertation.
C’est ainsi que, sans concertation locale préalable avec les élus des territoires concernés et encore moins avec les populations, le Gouvernement a accordé à différents groupes industriels des permis de recherches concernant les huiles et gaz de schiste, et ce en totale opposition avec l’application du principe de précaution inscrit à l’article 5 de la Charte de l’environnement, ajoutant de fait une énième contradiction avec les objectifs affichés du Grenelle de l’environnement.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Robert Tropeano. Madame la ministre, je vous le confirme, le mouvement citoyen qui s’est mis en place est très fort. Et vous pourrez compter sur la mobilisation des élus comme des populations sur ce sujet !
J’en viens à présent à la question de fond.
Nous sommes là pour enrichir ce texte. Il est donc important que nous regardions la réalité en face. Ainsi, quelques améliorations ont pu être apportées, notamment à l’article 1er, avec l’introduction d’une référence à l’ensemble des principes, des exigences et des obligations contenus dans tous les articles de la Charte de l’environnement. Voilà une précision qui méritait tout de même de figurer dans cette proposition de loi !
En tant qu’élu du département de l’Hérault, je tiens à vous alerter sur les conséquences catastrophiques d’un tel projet d’exploration et d’exploitation des gaz de schiste. La zone du Larzac, qui est concernée en l’occurrence, est un réservoir hydrique pour toute notre région. Le système hydrologique est celui non pas des nappes phréatiques, mais des eaux de résurgence.
Que fait-on du risque encouru par les réseaux hydrogéologiques des eaux profondes contenues dans le sous-sol de l’Hérault et, plus généralement, du sud de la France ? Ces réseaux d’une forte densité et d’une extrême fragilité constituent des réserves d’eau précieuses pour les départements qui doivent affronter, comme en ce moment, des épisodes de sécheresse très rude.
Ainsi que l’a souligné notre collègue Yvon Collin, ce territoire développe le projet de classement au patrimoine mondial de l’humanité de l’espace « Causses-Cévennes ». Un tel classement se verrait fortement remis en cause par l’UNESCO. La préservation de l’environnement de nos territoires est un élément essentiel au maintien des équilibres économiques. L’exemple de ce territoire en est une bonne illustration.
La rédaction initiale de l’article 2 de la proposition de loi visait à abroger les « permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux non conventionnels ». Le texte s’est transformé en « proposition de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique ». Cela signifie clairement que les titulaires de permis de recherches pourront, dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la loi, préciser « les techniques employées pour exploiter leurs gisements ».
Nous savons que nous pouvons faire confiance à l’inventivité sémantique des groupes industriels, surtout quand on leur laisse une telle porte ouverte !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Robert Tropeano. Je crois que la sémantique a de beaux jours devant elle.
Par la modification qui est apportée, on comprend que le Gouvernement n’entend pas renoncer au gaz de schiste. On est passé d’une interdiction de l’exploration et de l’exploitation des huiles et gaz de schiste à l’interdiction de la fracturation hydraulique.
Chacun d’entre nous le sait, une telle fracturation n’est pas le seul risque avéré. Que fait-on des conséquences sur le climat, de la destruction des paysages ou encore de l’importance de l’emprise foncière d’une telle exploitation ?
Madame la ministre, vous le savez, la destruction des réseaux et la pollution des nappes phréatiques ne sont qu’une infime partie des conséquences désastreuses que ce texte va provoquer. Il serait fort regrettable que l’objectif non avoué de l’examen de cette proposition de loi soit de calmer les nombreuses protestations tout à fait légitimes de nos concitoyens. Le texte doit répondre aux questions énergétiques et environnementales qui se poseront à moyen terme.
Aux termes de l’article 6 de la Charte de l’environnement, « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. » À mon sens, nous en sommes encore très loin !
L’enjeu n’est-il pas de réduire notre dépendance aux énergies fossiles et de poursuivre et d’accélérer le développement des énergies renouvelables ?
Alors que les principes élémentaires de transparence et de participation des citoyens affichés par le Gouvernement dans le projet de loi portant engagement national pour l’environnement, le Grenelle 2, ont été écartés, il est de notre devoir collectif de répondre aux exigences environnementales et de santé publique qu’attendent nos concitoyens. Réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 20 % en 2020 doit être la ligne directrice de notre démarche politique.
Aussi, madame la ministre, dans ces conditions, et devant le refus de revenir à la rédaction initiale de l’article 2, il m’est impossible de voter, comme d’ailleurs la majorité de mes collègues du groupe du RDSE, en faveur de cette proposition de loi. Alors que notre action politique doit être guidée par une réduction de notre dépendance énergétique, une réduction des émissions de gaz à effet de serre, le Gouvernement a décidé de sacrifier ses engagements issus du Grenelle 2 de l’environnement, qui devait favoriser le développement des énergies renouvelables. Voilà une contradiction supplémentaire à ajouter à votre bilan !
Il ne suffit pas de venir sur le mont Lozère et d’affirmer que « Le gaz de schiste, c’est fini » pour que les inquiétudes légitimes soient levées.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Robert Tropeano. Nos concitoyens sont beaucoup plus attentifs que vous ne semblez le penser, et ils sauront vous le rappeler en temps voulu, car l’heure n’est pas à la démobilisation sur ce sujet, bien au contraire. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’avenir énergétique passe-t-il par l’exploitation des huiles et des gaz de schiste ? Telle est la question qui nous est aujourd'hui posée.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Évelyne Didier. Vifs et passionnés, les débats à l’Assemblée nationale ont été à la hauteur de l’indignation et de l’exaspération des élus et des populations sur l’octroi, dans une opacité totale, de permis exclusifs de recherches de gaz et huiles de schiste couvrant une superficie non négligeable du territoire. Au moins vingt-trois départements sont concernés.
En effet, loin des discours consensuels entendus lors de l’adoption de la Charte de l’environnement ou à l’occasion des débats du Grenelle de l’environnement, au moment même où ces permis étaient octroyés, nous voyons bien que le Gouvernement est pris dans des contradictions qu’il n’arrive pas à résoudre. On pourrait même parler de « double langage » !
Alors que le principe de précaution, principe à valeur constitutionnelle qui figure à l’article 5 de la Charte de l’environnement, devrait prévaloir sur tout autre intérêt, le précédent ministre de l’environnement, sans doute saisi par une faiblesse coupable, n’a pas pu ou n’a pas su résister aux sirènes des industriels voyant dans l’exploitation des huiles et gaz de schiste un nouvel « Eldorado » énergétique, une nouvelle source de profit.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Évelyne Didier. C’est regrettable !
Pourtant, nous savons tous que cette activité a des conséquences particulièrement néfastes sur l’environnement, notamment du fait de la pratique spécifique de la fracturation hydraulique, seule technique existante aujourd’hui – faut-il le rappeler ? – permettant l’exploitation de ces hydrocarbures.
Celle-ci, en effet, met gravement en péril la préservation de la ressource aquatique, et ce alors même que la loi sur l’eau a fait de cette question une priorité de l’action publique. Elle conduit également à la pollution de l’air, sans parler de l’impact sur les paysages ou du bilan carbone, qui, selon l’étude de l’université Cornell de New York, serait équivalent à celui de l’exploitation du charbon. Ce point a été souligné par notre collègue rapporteur, M. Houel, dans l’exposé des motifs, preuve que nous étions tous d’accord au départ.
Cependant, n’oublions pas que le premier obstacle à l’exploitation de ces hydrocarbures est la nature même de la ressource. Est-il, en effet, opportun d’ouvrir un nouvel âge de l’énergie fossile au nom de la sécurité d’approvisionnement, alors même que ces ressources sont, par définition, en voie d’épuisement et génératrices de gaz à effet de serre, autre gros problème à l’échelle planétaire ?
Conformément aux engagements pris, l’heure est plutôt au développement de la recherche, non sur la fracturation de la roche, mais prioritairement dans le domaine des énergies renouvelables. Dans ce cadre, notons que le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, a rendu un rapport le 9 mai dernier indiquant qu’en 2050 la part des énergies renouvelables pourrait, sous réserve d’une politique volontariste, atteindre 80 % dans la composition du bouquet énergétique. Voilà quelle devrait être notre ambition !
La politique énergétique demande une vision de long terme incompatible avec l’instauration d’un marché totalement libéral soutenu par des sociétés d’investissement souvent américaines faisant prévaloir les critères de rentabilité immédiate sur ceux de durabilité. Nous en avons là un nouvel exemple !
Les événements dramatiques de Fukushima ont également démontré, s’il en était besoin, que la transparence et l’information exhaustive étaient absolument nécessaires dans le nucléaire comme dans les autres domaines.
Il aura pourtant fallu attendre la diffusion du film Gasland et la popularisation des recherches sur les inconvénients de ces hydrocarbures pour que nos concitoyens et les élus locaux soient correctement informés. Il s’agit d’une violation manifeste de l’article 7 de la Charte de l’environnement, charte à valeur constitutionnelle, qui prévoit que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». Une telle attitude gouvernementale a conforté la crise de confiance avec les élus, qui ne supportent plus d’être traités comme quantité négligeable, pire d’être traînés, comme c’est le cas aujourd'hui, devant les tribunaux par des compagnies américaines.