Article 6
(Non modifié)
Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixe les modalités d’application de la présente loi. Il définit notamment les modalités et la date de mise en œuvre des fonctions électroniques mentionnées à l’article 3.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 17, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Première phrase
Après les mots :
pris après avis
insérer le mot :
conforme
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Il s’agit d’un amendement de coordination.
Mme la présidente. L'amendement n° 20, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Première phrase
Après le mot :
avis
Insérer le mot :
motivé et publié
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 17.
M. François Pillet, rapporteur. L’amendement n° 20 est également un amendement de coordination.
La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 17.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 17 et un avis favorable sur l’amendement n° 20.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
Les articles 323-1, 323-2 et 323-3 du code pénal sont complétés par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque cette infraction a été commise à l’encontre d’un système de traitement automatisé de données à caractère personnel mis en œuvre par l’État, la peine est portée à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende. »
Mme la présidente. L'amendement n° 5, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le code pénal est ainsi modifié :
1° L’article 323-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les infractions prévues aux deux alinéas précédents ont été commises à l’encontre d’un système de traitement automatisé de données à caractère personnel mis en œuvre par l’État, la peine est portée à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende. »
2° Les articles 323-2 et 323-3 sont complétés par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque cette infraction a été commise à l’encontre d’un système de traitement automatisé de données à caractère personnel mis en œuvre par l’État, la peine est portée à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende. »
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Cet amendement a pour objet de maintenir la cohérence de l’échelle des peines.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’amendement vise à renforcer la répression pénale du piratage des fichiers mis en œuvre par l’État. Ce renforcement des peines encourues semble justifié eu égard à la sensibilité toute particulière des fichiers concernés.
La peine de sept ans est notamment encourue pour les atteintes au secret de la défense nationale ou la constitution de faux aggravé.
Une autre possibilité pour renforcer la répression pénale était d’élever l’amende à 300 000 euros. C’est ce que prévoyait initialement la proposition de loi, s’inspirant en cela des peines habituellement encourues pour non-respect des prescriptions de la CNIL.
Mais il est opportun de réprimer plus sévèrement les atteintes portées aux fichiers mis en œuvre par l’État. C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. En conséquence, l'article 7 est ainsi rédigé.
Article additionnel après l’article 7
Mme la présidente. L'amendement n° 6, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le cinquième alinéa de l’article 9 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – le système de gestion commun aux passeports et aux cartes nationales d’identité ; »
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. L’article 9 de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme autorise les services de police et de gendarmerie spécialisés, désignés par arrêté, à accéder à certains fichiers administratifs pour les besoins de leurs missions administratives ou judiciaires.
Parmi ces fichiers figurent le système de gestion des cartes nationales d’identité et le système de gestion des passeports.
Dans la mesure où la proposition de loi crée une base nouvelle, commune aux cartes d’identité et aux passeports, mais juridiquement distincte des deux bases actuelles, il semble opportun d’ajouter ce nouveau système de gestion à la liste prévue à l’article 9 de la loi du 23 janvier 2006.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Il n’y a aucune difficulté sur ce point.
Cet amendement de coordination vise à donner accès aux services de lutte contre le terrorisme au fichier commun des cartes nationales d’identité et des passeports.
Actuellement, ces services ont accès à chacun des deux fichiers séparés de gestion des cartes nationales d’identité et des passeports sans pouvoir utiliser les empreintes digitales. Or, précisément, le système que vous avez accepté en adoptant le texte de la commission est conforme à cette situation.
Par conséquent, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 7.
Article 7 bis (nouveau)
Toute décision rendue en raison de l’usurpation d’identité dont une personne a fait l’objet et dont la transcription ou la mention sur les registres de l’état civil est ordonnée, doit énoncer ce motif dans son dispositif. – (Adopté.)
Article 8
(Non modifié)
La présente loi est applicable sur l’ensemble du territoire de la République. – (Adopté.)
Article 9
(Non modifié)
Les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 9, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Cet amendement vise à lever le gage sur l’ensemble de la proposition de loi.
Mme la présidente. L'amendement n° 18, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche , est ainsi libellé :
1° Après les mots :
de la présente loi
insérer les mots :
à l’exception des frais engendrés par l’application de l’article 3
2° Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Les taux de l’impôt mentionné au second alinéa de l’article 219 du code général des impôts sont augmentés à due proportion des dépenses engagées en raison de l’application de l’article 3 de la présente loi. Un décret précise les modalités d’application de cet alinéa.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Je retire cet amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 18 est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 9 ?
M. François Pillet, rapporteur. Avis très favorable ! (Sourires.)
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Comme je l’ai indiqué dans la discussion générale, le groupe socialiste est évidemment favorable à la protection de l’identité et à la lutte contre l’usurpation d’identité.
Nous soutenons également les dispositions adoptées dans la présente proposition de loi, à quelques exceptions près, dont une essentielle : nous n’avons pas obtenu ce que nous demandions sur la gestion des données contenues dans la puce « vie quotidienne », cette puce facultative dont pourra être dotée la future carte nationale d’identité électronique.
C’est pourquoi nous nous abstiendrons sur ce texte.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
9
Journée nationale de la laïcité
Suite de la discussion et adoption d'une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de l’examen de la proposition de résolution instituant une « journée nationale de la laïcité », présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Claude Domeizel et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 269).
Je vous rappelle que nous avons entamé la discussion de cette proposition de résolution le 28 avril dernier
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mlle Sophie Joissains.
Mlle Sophie Joissains. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quinze mois, j’ai déposé sur le bureau de notre Haute Assemblée une proposition de résolution instituant une journée nationale de la laïcité et de la cohésion républicaine le 9 décembre, date anniversaire de l’adoption de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.
Si cette proposition a été déposée dans un contexte particulier, sa justification n’était malheureusement pas conjoncturelle. Notre société souffre de l’effritement et de la remise en cause progressive de ses valeurs, du cloisonnement plus concret chaque jour entre les communautés ethniques, religieuses, mais également entre les différents niveaux sociaux.
Égalité des chances, ascenseur social sont des notions en perte de sens. La laïcité est au premier rang des acquis de la Révolution française. C’est l’un des rouages qui permettent l’égalité de chacun face à ses droits et à ses devoirs, un rouage essentiel à la définition d’un espace du « vivre ensemble » où les différences sont symboliquement abolies.
Née de violents conflits anticléricaux, la laïcité, comme la République, toutes deux baignées du sang révolutionnaire, sont aujourd'hui devenues les gardiennes sages et vigilantes des droits et des devoirs fondamentaux de tous et de chacun.
Le principe de l’égalité des droits de l’homme et de ceux de la femme est la problématique majeure, le débat fondamental, qui a ramené la laïcité au cœur de la scène publique. Le port de vêtements vus, vécus, à tort ou à raison, comme des symboles religieux marquant une infériorité de la femme par rapport à son homologue masculin ne pouvait qu’inquiéter nos consciences républicaines.
Liberté religieuse, vestimentaire, d’opinion, égalité des droits et des statuts, le chemin menant à la vérité est difficile à trouver. La laïcité doit être présente pour limiter les excès et imposer un corpus de règles communes à tous.
Une laïcité de fermeté, mais également une laïcité de tolérance, qui soit le bannissement de tous les intégrismes religieux ou laïques, qui permette l’identité jusqu’à la limite du respect de l’autre, de la loi et des principes républicains les plus fondamentaux.
La proposition de résolution qui vous est présentée ce soir, mes chers collègues, a été retravaillée par Claude Domeizel et par moi-même dans un objectif d’épure républicaine. Ce n’est pas habituel : ce texte n’est ni de droite ni de gauche. Nous ne partageons pas les mêmes options politiques, mais nos familles de pensée respectives reposent sur une grande idée qui nous est commune à tous : celle de la France et de la République. C’est de cela qu’il s’agit ici.
Le texte ne prévoit pas d’instituer une journée commémorative, il n’y en a que trop, mais il met en place un symbole républicain vivant qui, l’espace d’une journée, ni fériée ni chômée, au sein des écoles, des ministères, du monde associatif, interroge enfants, professeurs, chercheurs, politiques sur ce qu’est la laïcité, sur ce que doit être et devenir cet espace particulier de respect, de partage, de curiosité, de « vivre ensemble ».
Cette proposition de résolution est un symbole, mais elle se veut aussi une amorce. D’autres mesures d’intérêt général, issues du même esprit de cohésion, concernant tant l’éducation que le service civique, devront prendre place dans notre édifice républicain, pour nos enfants, pour l’avenir de la France, pour son rayonnement philosophique, dans un monde où une mondialisation aveugle et tendant à l’uniformisation se développe. Une mondialisation difficilement évitable et face à laquelle nous devons, en confiance, imposer et défendre un des systèmes les plus beaux qui soit au monde.
Ce système, cette philosophie, mélange de liberté et de fraternité qui a fait le siècle des Lumières, a permis à chacun d’exister en tant que citoyen, de bénéficier de soins et des vertus de l’enseignement en dehors de toutes considérations financières.
Je ne connais pas, je me répète, de plus beau système au monde. Cet esprit frondeur, humaniste, généreux et libre-penseur pourrait, demain, disparaître. Le souvenir doit rester vivant. L’histoire s’efface de la mémoire de nos enfants, et c’est alors le sens des choses qui s’enfuit. Pourquoi la fraternité ? Pourquoi l’égalité, la liberté, la laïcité ? À quoi correspondent-elles si en soi rien ne résonne ?
La laïcité est un principe dont le fondement législatif doit, à mon sens, rester inchangé. Toucher à un symbole comporte toujours le risque de l’altérer. C’est dangereux, trop dangereux…
Ce principe doit pénétrer la conscience de nos enfants et la nôtre. Cette journée, sans être une panacée, doit et peut donner du sens à ce qui est, dans notre République, le fondement du « vivre ensemble ». Laïcité ne signifie plus haine du religieux, laïcité ne signifie pas reniement de notre histoire, de notre culture ou négation de notre patrimoine historique. Laïcité signifie, aujourd'hui, transmuer le choc des cultures en richesse des civilisations.
Portons haut cette valeur, ce ciment de la République, et donnons-lui toute sa place dans la reconstitution de notre grand socle républicain. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution.
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la séance du 28 avril dernier, la discussion sur cette proposition de résolution a été interrompue pour respecter notre règlement, ce que je peux comprendre.
Pour autant, je regrette profondément cette interruption, car elle a cassé la dynamique et l’unité du débat sur un sujet aussi sensible que celui de la laïcité. Du 28 avril à aujourd'hui, la coupure fut un peu longue…
Certes, les Français ont d’autres préoccupations, le pouvoir d’achat, la montée des prix des carburants, l’insécurité, la scolarité de leurs enfants... Mais, justement, en période de difficultés économiques, l’histoire a montré que la réaction primaire consiste à chercher un bouc émissaire. Souvent, le responsable désigné, c’est l’autre, celui qui n’a pas la même culture ou la même religion.
C’est bien la preuve que le concept de laïcité, fondement d’un destin commun pour des hommes et des femmes qui ne partagent pas les mêmes croyances, devient très flou dans l’adversité.
Dans ces circonstances, pourquoi ne pas consacrer une journée par an pour rendre ce concept plus vivant et pour mieux l’expliquer aux uns et aux autres. ? Notre pays y gagnerait en tolérance, en acceptation réciproque et donc en paix sociale.
Faut-il laisser aux seules autorités publiques, c'est-à-dire à l’État et aux collectivités territoriales, le soin de veiller au respect de ce principe et de répondre, au cas par cas, aux problèmes posés ? Que ce soit pour l’utilisation des salles, pour la mise à disposition de la piscine ou pour l’offre dans les restaurants scolaires, les solutions oscillent selon les communes entre stigmatisation et laxisme. L’égalité de traitement du citoyen, autre principe républicain, nous oblige donc à apporter une réponse uniforme sur tous ces sujets.
Au cours de la journée de la laïcité, les rencontres, les initiatives, les tables rondes entre citoyens de toutes origines ont plus de chances de déboucher, dans la sérénité, sur des analyses consensuelles et respectueuses, barrant la route à une instrumentalisation haineuse de ces thèmes.
L’objet de cette proposition de résolution n’est pas non plus de raviver des polémiques. Cependant, celles-ci ne se régleront pas toutes seules, et l’on ne fera pas l’économie d’une prise de conscience collective. Organiser une journée sur la laïcité peut permettre d’agir et de prévenir pour endiguer toute dérive.
Il se trouve, d’ailleurs, que les députés de la majorité, ont déposé également une proposition de résolution « sur l’attachement au respect des principes de laïcité, fondement du pacte républicain, et de liberté religieuse », qui a été discutée, par le plus grand des hasards, et le hasard fait bien les choses, hier, à l’Assemblée nationale. Ce 31 mai – et nous sommes encore dans la séance du 31 mai - se trouve donc consacré, en quelque sorte, par le calendrier parlementaire « journée parlementaire sur la laïcité ». (Sourires.)
J’ose espérer que par « liberté religieuse », M. Copé et les cosignataires de ce texte entendent « liberté de conscience ». Sinon, ils commettent une grossière erreur sur le sens de la laïcité. Bien involontairement, sans doute, ils donnent du grain à moudre à notre argumentation.
Que trouve-t-on dans cette proposition ? Une exigence de clarification des règles – jusque-là, nous sommes d’accord –même si nous préférons que cette clarification s’opère au travers d’une journée de sensibilisation, d’échanges et de prise de conscience plutôt qu’en décrétant son caractère obligatoire. Mais, au final, la proposition de M. Copé vise uniquement à mettre en cause les termes de la loi de 1905, ce qui, à mes yeux, est inacceptable.
La loi de 1905 n’a pas à être modifiée, car elle répond à tous les cas de figure.
Je le répète, la laïcité n’a pas à être débattue, elle se vit et s’applique en tant que principe fondateur de la République, et qui lui est consubstantiel.
Avec mes collègues socialistes, nous proposons de prendre le temps d’expliquer le concept de laïcité, plus particulièrement au cours d’une journée qui lui serait dédiée.
Bien sûr, certains diront qu’il s’agit encore d’une journée à thème, d’autant qu’il y en a déjà beaucoup. Je leur répondrai que de telles journées, comme les jours de fête, prouvent leur utilité... Au vu de l’écho favorable suscité par notre proposition et des nombreux encouragements que nous avons reçus, je ne doute pas un instant qu’une journée de la laïcité provoquera l’engouement et l’adhésion de nombre de nos concitoyens, qui, à leur niveau, voudront participer à cet élan et apporter leur pierre à la consolidation de la laïcité.
Mes chers collègues, je vous demande de nouveau de réfléchir aux bénéfices considérables que peut nous apporter, en termes de cohésion républicaine, une journée dédiée à la laïcité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mlle Sophie Joissains applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec grand plaisir que j’ai entendu à l’instant Mme Joissains et M. Domeizel s’exprimer dans le même sens. Je ne doute pas que M. Signé fera de même.
La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État est, assurément, un texte fondateur de la République. Or, comme vous le savez, mes chers collègues, le mot « laïcité » n’y figure pas, même si l’article 1er de ce texte en définit l’esprit : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » Notez bien, mes chers collègues, qu’il s’agit d’une loi de séparation « des Églises » et de l’État…
La Constitution de 1958 a repris cette formulation : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
Le mot « laïcité », si important pour nous, se suffit à lui-même. Ici ou là, j’ai pu entendre parler de « laïcité positive » ; mais si la laïcité est vécue dans l’esprit qui est le sien, elle est nécessairement positive : elle ne peut pas être négative.
J’ai également entendu parler de « laïcité ouverte » ; mais si la laïcité est vécue dans l’esprit qui est le sien, elle ne saurait être fermée.
Aussi bien, mes chers collègues, ne parle-t-on jamais de la République « positive » ou de la République « ouverte » ; on dit simplement « la République ». On ne parle pas non plus de l’égalité « positive » ou de l’égalité « ouverte » ; on dit simplement « l’égalité ». Idem pour la liberté.
Oui, la notion de « laïcité » se suffit à elle-même.
J’entends que certains veulent revenir sur la loi de 1905, Claude Domeizel y a fait allusion à l’instant. Tel n’est pas notre souhait, car ce texte est devenu un symbole, au même titre que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946.
La loi de 1905 fait partie des textes fondateurs de la République, elle est le symbole d’une République fraternelle, où tous les enfants apprennent les uns à côté des autres, dans la même école, quelles que soient les convictions de leurs parents. Chacun a sa place dans la République laïque, fraternelle, avec ses certitudes, ses incertitudes, ses croyances ou ses absences de croyances, ses doutes, ses convictions, ses recherches, sa quête intime, profonde, solitaire ou partagée avec d’autres, du sens, de la vérité, de sa part de vérité, de ce qu’il pense être le vrai.
Nous sommes tous là, dans le respect de l’humaine fraternité.
Cette laïcité n’est pas forcément majoritaire dans le monde, et de nombreux systèmes ne s’en réclament pas. Pourtant, nous pouvons voir en France combien ce principe emporte de bienfaits, si bien que nous avons raison de proclamer qu’il a valeur universelle, qu’il vaut pour le monde.
Nous ne sommes pas forcément, les uns et les autres, des adeptes de la multiplication des commémorations. Mais ce que nous voulons instaurer ici est, me semble-t-il, autre chose qu’une commémoration un peu rituelle. Il s’agit en effet que le 9 décembre, jour de la promulgation de cette loi de séparation des églises et de l’État, dans tous les établissements scolaires de la République française, on appelle à la réflexion sur ce principe de laïcité si important pour notre pays et au-delà, ce principe qui définit les règles du « vivre ensemble », dans le respect de chaque être humain, ce principe qui est pour nous une source profonde d’humanisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la laïcité a permis à la France d’entrer dans la modernité et en démocratie. Elle marque la séparation du civil et du religieux dans l’État. L’adjectif « laïc » s’oppose au mot « clérical » pour désigner l’indépendance par rapport à toute autorité religieuse, ce qui, pour les républicains de la IIIe République, renvoyait à la prétention du personnel religieux à régir un État au nom de Dieu.
Le concept de laïcité, au sens de laos, « du peuple », est ancien. Il est apparu au XIIIe siècle mais surtout au XVIe siècle, par opposition aux institutions proprement religieuses.
Il trouve ses racines dans les écrits des philosophes grecs et romains tels que Marc-Aurèle et Épicure, ceux des penseurs des Lumières comme Diderot et Voltaire, ou Thomas Jefferson et Thomas Paine aux États-Unis, et en France à travers les lois de Jules Ferry ainsi que les écrits des libres penseurs modernes, agnostiques ou athées. Pour eux, le triomphe du théologico-politique, c’est l’étouffement de la liberté de conscience et le retour des procès d’intention avec la traque du passé non conforme.
Le principe de laïcité affirme donc que le politique et le religieux n’ont rien de commun. Les tables de la loi religieuse ne doivent pas peser sur l’organisation de la vie de la cité qui correspond à une certaine conception du « vivre ensemble » – la chose a déjà été dite –, dans le respect des droits humains auxquels chacun peut prétendre. Selon ce principe, la croyance religieuse relève de l’intimité de l’individu.
La laïcité permet la sanctuarisation de l’espace public. Elle est soucieuse que les croyants puissent se faire entendre dans un esprit de tolérance et d’humanité.
Pour reprendre la formule de Jean Baubérot, la laïcité se définit par la sécularisation de l’État, la liberté des cultes et l’égalité des croyances entre elles.
Ce principe est simple. Il n’a pas pour objet de concevoir un discours spécifiquement pensé pour, ou plutôt à l’encontre de telle ou telle catégorie de population, de telle ou telle religion. Il rejette tout processus qui menace ou séduit les pouvoirs temporels ou spirituels sans pour autant organiser une déshumanisation qui aboutirait au refus de laisser les croyants et leurs institutions s’exprimer sereinement.
Radicale dans son principe, la conception française n’est pas totale. Le système éducatif français, construit autour de l’école laïque, gratuite et obligatoire, souligne que la formation religieuse ne fait pas partie du cursus des élèves, mais que les établissements peuvent disposer d’aumôneries et que des groupes de pratiquants actifs peuvent être créés – ils le sont d’ailleurs dans certaines écoles.
Aujourd’hui, cette loi acquiert une nouvelle actualité et invite à ouvrir un débat qui serait pour le moins surprenant si, monsieur le ministre, l’objectif électoral n’était pas évident. On parle de laïcité comme si on venait de la découvrir ! On évoque les difficultés rencontrées par les pratiques religieuses islamiques, comme les prières dans la rue, alors que la construction de mosquées est passée en dix ans de 1 000 à 2 000 ! Le débat sur les signes ostentatoires religieux portés dans les lieux publics, l’habillement, l’alimentation, la date des examens adaptée au calendrier des fêtes juives ou islamiques, ont ou vont trouver solution.
En vérité, la question tient à la place réservée à l’islam au sein de la société française. Le débat ne doit pas être prétexte à créer une tension qui, en filigrane, aurait pour objet de récupérer les thèmes sécuritaires et identitaires, alors qu’il pourrait être engagé, s’il doit l’être, dans des perspectives de réflexion, de proposition et de confiance.
Il semble que cet objectif soit oublié pour se résumer à une opposition à la montée de l’islamisme.
Par principe, la laïcité est un concept étroitement lié à celui de la liberté d’expression et d’opinion où l’État s’affirme areligieux et non pas antireligieux. Y voir une sorte d’hostilité de principe à la religion serait le plus grand contresens que l’on puisse faire à propos de la laïcité.
Que chercher de plus ? La laïcité est un principe intangible. C’est le socle de la République et de la démocratie, c’est un bien commun. Le mouvement de laïcisation et de sécularisation engagé en 1789 a connu, le 9 décembre 1905, sa dernière étape.
C’est donc une date capitale qui met fin au concordat napoléonien et à l’union entre l’Église catholique et le pouvoir politique. Les écoles doivent en faire un enseignement prioritaire dès l’école primaire.
Instituer une journée de la laïcité, ni fériée ni chômée, affichant la cohésion républicaine et affirmant que la préservation et l’approfondissement de notre démocratie doivent nous soucier quotidiennement n’est donc pas inutile.
Ce n’est pas commémorer dans le vide un reliquat poussiéreux des antiques luttes pour construire notre démocratie. C’est dire que l’on mesure le danger de l’emprise du religieux sur le politique et du politique sur le religieux, emprise qui peut s’imposer aux esprits et violer l’intimité des individus. Telle est la raison de notre demande quelque peu insistante quant à cette journée de la laïcité.