M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Humbert, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, peut-être l’aurez-vous remarqué : je suis un peu isolé au banc de la commission ! Permettez-moi tout d’abord d’excuser l’absence du président de la commission, Jacques Legendre, retenu dans le département dont il est l’élu par une réunion à Cambrai de la mission commune sur la révision générale des politiques publiques, la RGPP, sur le thème des services publics locaux. En effet, notre séance publique avait été préalablement fixée à un autre moment.
J’ai le plaisir aujourd’hui de vous présenter la présente proposition de loi de nos collègues du RDSE relative à l’éthique du sport et aux droits des sportifs, modifiée par la commission dans un esprit consensuel et avec tout le fair-play que l’on reconnaît à la Haute Assemblée.
On voit bien ce qui a conduit notre collègue Yvon Collin et les membres de son groupe à présenter ce texte. Ces dernières années, les médias ont rapporté autant de turpitudes sportives que d’exploits : des violences dans les stades, le dopage de certains sportifs, la corruption de quelques arbitres, des paris illégaux, des joueurs qui insultent leur entraîneur et d’autres qui se mettent en grève.
Si tout cela n’est probablement que la facette médiatique d’un sport français qui se porte bien, des problèmes de comportement et de respect des règles doivent néanmoins être réglés. Se placer sur le terrain de l’éthique et du rappel aux valeurs est donc une bonne idée. En effet, le sport ne peut être porteur des valeurs positives qu’on lui connaît qu’à la condition de respecter lui-même ses fondamentaux : la solidarité, l’esprit d’équipe, le respect des autres.
La construction de cette proposition de loi repose sur le précepte de Juvénal : Mens sana in corpore sano – « un esprit sain dans un corps sain » –, une formule qu’a déjà citée à juste titre Yvon Collin.
M. Alain Dufaut. Que de latinistes ! (Sourires.)
M. Jean-François Humbert, rapporteur. J’examinerai, tout d’abord, le volet de ce texte relatif à l’éthique et à « l’esprit sain ».
Le titre Ier de la proposition de loi vise à inciter les fédérations sportives, bras armé de notre politique en la matière, à prendre en compte des aspects éthiques, selon des modalités prévues aux articles 1er à 5.
Il s’agit, tout d’abord, de conditionner l’agrément des fédérations à la mise en place d’une charte éthique et, ce qui est encore mieux, à son application. La commission a renvoyé à un décret la mise en œuvre de cet article, afin que le Comité national olympique et sportif puisse jouer, en la matière, un rôle à la fois moteur et d’harmonisation. J’espère que nous pourrons voir fleurir rapidement lesdites chartes après l’adoption définitive de la proposition de loi. Mme la ministre, qui s’est fortement impliquée dans la réflexion menée à l’occasion de ce texte, nous a même promis d’y inclure des éléments obligatoires relatifs à la préservation de l’environnement.
La proposition de loi offre ensuite la possibilité aux fédérations de créer des licences clubs. Il s’agit, en fait, de confier un véritable pouvoir réglementaire applicable aux associations, et, surtout, aux sociétés sportives qui gèrent les clubs professionnels. Elles seront ainsi susceptibles de mettre en place des quotas de joueurs formés localement et un plafond de salaires dans les clubs.
En suivant le même fil rouge – l’éthique –, la commission s’est appuyée sur le texte proposé afin de préciser le pouvoir des directions du contrôle de gestion. Celles-ci mèneront leur mission de contrôle financier de l’équité sportive dans un cadre juridique solide.
J’estime que ces axes de réflexion sont pertinents, car la crédibilité du sport professionnel dépend de sa capacité à démontrer qu’il est fondé sur l’équité entre les participants aux compétitions, ainsi que sur l’intégrité des sportifs et des équipes. Pour résumer, il s’agit de faire respecter l’esprit sportif et de montrer que le sport spectacle n’est pas une activité économique comme les autres.
Je suis ravi, en outre, que la commission ait accepté de me suivre en introduisant un dispositif d’incrimination de la revente illégale des billets sportifs, qui est source de nombreux troubles à l’ordre public dans les stades et aux abords de ces derniers.
Sur la proposition de notre collègue Ambroise Dupont, nous avons mis en place, ensuite, une batterie de dispositions visant à préserver l’intégrité des compétitions sportives face au développement des paris en ligne. Nos axes de travail ont été le renforcement de la prévention en matière de conflits d’intérêt et la mise en place d’un délit de corruption sportive.
La commission s’est ensuite attachée à traiter un sujet qui me tient particulièrement à cœur : la formation des sportifs.
Le texte initial proposait déjà que l’éducation nationale et les universités adaptent leurs enseignements pour les jeunes présents dans les centres de formation. La commission a souhaité favoriser, encore davantage, la poursuite du double projet professionnel et académique des centres de formation, en leur permettant de collecter la part « barème » de la taxe d’apprentissage.
J’en viens à présent au volet relatif au « corps sain ».
S’agissant de la lutte contre le dopage, qui fait l’objet du titre III, les auteurs de la proposition de loi ont adopté un angle de vue original, en considérant que cette action devait également respecter un certain nombre de principes. Ils ont ainsi prévu de mettre en place une commission des sanctions et supprimé le pouvoir disciplinaire des fédérations sportives en matière de dopage.
La commission a considéré que la mise en place d’une commission des sanctions au sein de l’Agence française de lutte contre le dopage, en vue de séparer strictement les organes d’instruction des dossiers de ceux qui prononcent les sanctions, était un choix respectueux des droits de la défense, mais qui risquait d’alourdir considérablement la procédure et de pénaliser la lutte contre le dopage.
En ce qui concerne la suppression du pouvoir disciplinaire des fédérations sportives en matière de dopage, la commission a estimé, là encore, qu’une telle mesure était susceptible d’alourdir le travail de l’Agence. Par ailleurs, les fédérations considèrent qu’elle traduit une défiance à l’égard de leur travail ; nous avons préféré leur faire confiance. La commission a donc adopté, sur ce sujet, un amendement que je vous présenterai au cours de la discussion.
La proposition de loi vise, enfin, à confier à l’Agence des pouvoirs propres en matière de prévention et de recherche, comme c’était auparavant le cas pour le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, le CPLD, ainsi que de nouveaux pouvoirs dans le cadre des contrôles réalisés lors des compétitions françaises se déroulant à l’étranger.
Ainsi, la suppression de certains articles du texte n’a pas été motivée par un désaccord sur le fond avec ses auteurs, bien au contraire ; elle tient à un simple ajustement technique lié à la ratification de l’ordonnance du 14 avril 2010.
Je souhaite aborder, en conclusion, ce qui ne figure pas dans cette proposition de loi, c’est-à-dire le volet relatif au développement du sport, à mon avis inséparable de celui qui concerne l’éthique.
Le sport est aussi une activité économique, et nous devons en tenir compte. Aussi, je suis pleinement favorable, à la fois, à l’article 6 relatif à la limitation de la multipropriété des clubs et à son pendant, l’article 7, qui concerne les prêts et cautionnements entre clubs.
Enfin, la commission a souhaité ouvrir aux clubs professionnels la possibilité de choisir le statut qu’ils souhaitent pour la société sportive mise en place, tout en conservant l’ensemble des dispositifs contraignants et pertinents du code du sport.
Mes chers collègues, la commission vous demande donc d’approuver le texte qu’elle a adopté, sous réserve du vote des amendements qu’elle vous proposera. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Chantal Jouanno, ministre des sports. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, tout d’abord, de rendre hommage au groupe du RDSE, qui a pris l’initiative de déposer la présente proposition de loi.
Je tiens également à saluer le remarquable travail d’approfondissement du texte que vous avez mené, monsieur le rapporteur. Je pense que nous aurons l’occasion, au cours de la navette parlementaire, d’améliorer encore cette proposition de loi.
François Fortassin m’avait habituée à ses propos pleins de bon sens lors de l’examen des projets de loi sur le Grenelle de l’environnement. C’est aujourd’hui le président de son groupe, Yvon Collin, « très récent » ancien sportif de haut niveau (Sourires) et grand connaisseur du sujet dont nous débattons qui nous invite, fort opportunément, à réaffirmer les valeurs du sport en France.
Le Gouvernement considère que cette proposition de loi visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs est nécessaire et qu’elle rejoint ses propres priorités d’actions.
Il n’est pas anodin que le Président de la République et le Premier ministre aient souhaité rétablir un ministère des sports de plein exercice. Cela signifie que le sport constitue un enjeu régalien et l’un des éléments de réponse face aux enjeux que sont la cohésion sociale, la santé publique et, bien entendu, l’éducation, qui passe ici par le jeu.
Il appartient à l’État, donc au Parlement, de veiller au respect des valeurs et de l’éthique du sport. Nous devons être intransigeants sur ce point. En effet, contrairement à ce que l’on peut entendre parfois, le sport ne saurait être assimilé à un simple loisir, et encore moins à un spectacle. Il n’est pas un objet de spéculation, mais un formidable outil d’éducation et d’intégration. Il n’apprend pas seulement à jouer, mais aussi à être beau joueur.
M. Yvon Collin. Très bien !
Mme Chantal Jouanno, ministre. Être sportif, on l’oublie trop souvent, c’est aussi apprendre à se comporter en société.
Bien sûr, le sport n’est pas à l’abri des dérives de notre temps. Il est, comme notre société, confronté aux violences, à l’exclusion, aux discriminations, à la drogue, aux excès de l’argent. Toutefois, nous devons toutefois nous sortir de l’esprit que le sport, comme la société, serait condamné à ces dérives. Ou alors, cessons de croire à la politique...
Ni la mutinerie, ni les quotas, ni la drogue, ni la spéculation ne sont du sport ! Celui-ci doit rester cet espace de découverte de l’autre, l’un des derniers qui existent, dans lequel nous apprenons à partager, quels que soient nos convictions, notre niveau social et notre origine. Il doit demeurer une école de la citoyenneté par le jeu.
Les premiers espaces de transmission des valeurs du sport, ce sont les clubs. J’ai donc voulu instaurer un principe de civi-conditionnalité – pardonnez-moi ce terme peu heureux, mesdames, messieurs les sénateurs – dans l’attribution des subventions et financements publics de l’État.
L’idée est très simple : désormais, pour pouvoir percevoir de l’argent public, les fédérations devront respecter dix axes obligatoires, parmi lesquels figurent la lutte contre le dopage, le combat contre la corruption et la lutte contre les discriminations.
D’autres actions, plus ciblées, ont également été mises en place. J’ai notamment installé deux comités.
Le comité du supportérisme, présidé par le député Éric Berdoati, a pour mission de poser les bases d’une politique globale dans ce domaine. Quant au comité de lutte contre les discriminations, présidé par Laura Flessel, il est chargé de renforcer la lutte contre toutes les discriminations, y compris l’homophobie et le sexisme, que l’on oublie trop souvent dans le sport.
Enfin, nous renforcerons bien sûr nos actions en matière de prévention et de lutte contre le dopage.
Nous disposons aujourd’hui d’un dispositif performant en la matière, auquel votre collègue Alain Dufaut a beaucoup contribué d’ailleurs. Il nous faut désormais œuvrer dans le domaine de la prévention.
Dans le Plan national 2011-2014, trois axes ont été définis.
Le premier concerne l’information du grand public. Nous mènerons ainsi des campagnes de communication en collaboration avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel et la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Je suis très attachée, pour ma part, à ce parallélisme entre ces deux types de lutte.
Le deuxième axe concerne les fédérations. Il s’agit d’obliger ces dernières à adopter, dans le cadre de la civi-conditionnalité, un plan de prévention du dopage.
Enfin, et c’est le troisième axe de notre action, nous collaborerons à l’échelon régional avec l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, l’OCLAESP. Cet organisme, qui a pour mission de combattre le trafic de produits dopants et qui accomplit un travail remarquable, doit en effet pouvoir s’appuyer sur des cellules régionales.
La présente proposition de loi apporte un complément juridique important à la politique que nous menons.
Le Gouvernement est très favorable à l’obligation imposée à chaque fédération sportive d’adopter une charte éthique qui n’oublie pas les principes du développement durable.
Nous sommes également très favorables aux bases juridiques de la licence club, du fair-play financier, ou encore à la règle de la formation locale des joueurs.
Nous sommes favorables, aussi, au renforcement des organes de contrôle au sein des fédérations et à l’élargissement de leur indépendance.
Nous sommes extrêmement favorables à la possibilité pour les fédérations sportives de diminuer le plafond des commissions des agents sportifs, en vertu du principe selon lequel le sport ne saurait être un objet de spéculation.
De la même façon, nous approuvons tout à fait le principe d’un meilleur encadrement des paris sportifs en ligne, dans le cadre de la lutte – qui n’en est qu’à ses balbutiements ! – contre les tentatives de corruption liées à ces paris.
Enfin, nous sommes favorables, bien évidemment, à l’aménagement de la scolarité pour les jeunes sportifs ayant signé une convention avec un centre de formation, qui doivent pouvoir bénéficier de ce dispositif au même titre que les sportifs de haut niveau.
Je pourrai poursuivre la liste de nos points d’accord, qui, comme on a pu le constater lors des travaux menés en commission sous la présidence de M. Legendre, est très longue.
Nous avons aussi, certes, quelques points de désaccord, mais ils sont infimes.
Ainsi, sur le dopage, j’essaierai de montrer que non seulement l’article 25 de la proposition de loi n’est pas nécessaire, mais qu’il pourrait conduire à une déresponsabilisation des fédérations.
De même, s’agissant de l’article 32, qui vise à valider le contrat du Consortium du Stade de France, les risques d’inconstitutionnalité devraient vous inciter, mesdames, messieurs les sénateurs, à le supprimer.
Sous réserve de quelques modifications minimes, le Gouvernement soutient donc fortement la présente proposition de loi.
Le consensus qui, je l’espère, s’exprimera au sein de la Haute Assemblée favorisera la poursuite de l’examen à l’Assemblée nationale de ce texte, que nous pourrons enrichir au fil de la navette, grâce, par exemple, aux conclusions de l’Assemblée du sport.
Comme les précédents orateurs, je ne manquerai pas de rappeler que les valeurs sont la raison d’être d’une politique des sports : nous avons créé un ministère des sports parce que nous pensions que le sport contribue à la vie de la cité.
L’éthique et l’éducation vont de pair en matière de sport, et c’est pour donner à nos enfants une bonne image de la société que nous allons leur laisser que nous devons constamment adapter la loi et la réglementation aux évolutions de l’époque, donc à celles du sport. Cela contribuera d’ailleurs à rendre un peu de sens à cette fameuse notion de « mission de service public », une mission que nous confions, comme vous l’avez rappelé, monsieur Collin, aux différentes fédérations. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.
M. Jean-Jacques Lozach. Enfin ! Tel est le mot qui m’est venu à l’esprit, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lorsque j’ai constaté qu’allait être soumis à la Haute Assemblée un texte abordant de manière large les enjeux du sport.
Je serai direct : je ne crois pas que la proposition de loi de mes collègues du groupe du RDSE révolutionnera la gouvernance et la pratique du sport en France ; néanmoins, elle procède à de nécessaires adaptations, que nous attendions depuis longtemps.
Vous me permettrez, madame la ministre, de regretter que votre administration n’ait toujours pas proposé depuis 2007 de grand projet de loi sur le sport, contrairement à ce qu’avaient promis vos prédécesseurs Bernard Laporte et Rama Yade.
M. Alain Dufaut. On y travaille !
M. Jean-Jacques Lozach. On a beaucoup colloqué, on a commandé beaucoup de rapports et d’études, on nous a souvent parlé d’avant-projets de loi, mais la réflexion n’a, semble-t-il, pas dépassé ce stade et nous avons dû jusqu’ici nous contenter de textes purement circonstanciels – j’aurai l’occasion d’y revenir.
Malgré les avancées qu’elle permet, il nous faudra aller bien au-delà de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui. Je souhaite que, à terme, soit déposé devant la représentation nationale un texte fondateur sur le sport, qui définirait un véritable statut du sportif de haut niveau, qui, surtout, restaurerait une politique sportive exigeante et qui saurait équilibrer les exigences du sport de haut niveau et les besoins du sport pour tous.
En somme, j’attends un texte inspirateur d’une ambition majeure pour le sport français et générateur des moyens indispensables à une telle priorité.
Tout cela m’apparaît cependant bien illusoire, dans la mesure où le budget du sport se trouve réduit à portion congrue : il est certain que les crédits accordés pour l’année 2011 ne laissent pas beaucoup de place au rêve !
J’en viens au contenu du texte qu’il nous est proposé d’examiner. Celui-ci est globalement satisfaisant.
L’objectif de l’article 1er est tout à fait louable, et nous ne pouvons qu’y souscrire. Les récents événements qui ont touché la Fédération française de football ont montré à quel point l’éthique sportive pouvait parfois être mise à mal.
Je voudrais toutefois souligner deux points.
Tout d’abord, on a excessivement mis en cause la gestion du football par le monde amateur. Je pense, pour ma part, que les tristes événements que je viens de citer de façon elliptique auraient très bien pu se produire dans le cadre d’une gestion professionnelle du football français. Cessons d’accuser le monde amateur de tous les maux ! Il est la base de notre système sportif.
Certains appellent à une véritable gestion managériale du football. Je leur rappellerai simplement que le monde de l’entreprise n’est pas toujours, en matière d’éthique et de respect des autres, le meilleur modèle à suivre, loin s’en faut ! Il est toujours possible de professionnaliser une gouvernance sans en exclure la représentativité de sa base, faite du bénévolat de ses militants et de ses acteurs.
Ensuite, je souhaite que la critique ne se porte pas uniquement sur le football. C’est un sport qui a les défauts de ses qualités. Il est immensément populaire partout dans le monde, pratiqué en masse et regardé par des milliards de spectateurs et téléspectateurs. Il est somme toute logique que le monde de l’argent et du business s’intéresse d’abord à lui. Il est également logique, mais néanmoins regrettable, que ce soit dans ce sport que l’on observe, de la part des joueurs, des dirigeants ou des supporters, des comportements parfois inacceptables, tout simplement à l’image de certaines conduites individuelles au sein d’une société souvent en perte de sens et de repères.
Le football n’a pas le monopole de ce type d’agissements. Les récentes déclarations d’un rugbyman international à propos de l’arbitrage sont venues rappeler que, dans toutes les disciplines, il importe de s’adonner à un effort de prévention et de sensibilisation.
À cet égard, les dispositions prévues à l’article 1er me semblent tout à fait honorables. Nous souhaitons que soit confirmé le vote de la commission, qui, comme nous le proposions au travers de notre amendement, a établi que la charte éthique élaborée par chaque fédération sportive, délégataire – rappelons-le – de service public, serait soumise à l’avis du Comité national olympique et sportif français, seul garant de l’unité et de l’autonomie du mouvement sportif.
Je regrette en revanche que les dispositions relatives au respect du développement durable initialement prévues à l’article 2 n’aient pas été conservées. Madame la ministre, vous vous êtes engagée à réintégrer dans le texte réglementaire d’application des chartes éthiques une référence à ces principes. Au-delà de l’affichage, il faudrait surtout que, dans ce domaine, les décrets soient publiés et les financements à la hauteur. On « déshabille » chaque jour un peu plus le Grenelle de l’environnement et on ne donne pas aux dispositions existantes les moyens de produire leurs effets !
Au risque de me répéter, j’insisterai encore sur le caractère essentiel du lien qui unit le monde amateur aux professionnels. Le haut niveau résulte de ces fondations constituées par les clubs et les trois millions de bénévoles qui les animent.
C’est justement pour cette raison que l’article 4 de la proposition de loi ne nous convenait pas dans sa rédaction originelle. Nous nous félicitons de la suppression de cette disposition à l’issue des travaux de la commission. Les termes employés semblaient, en effet, rendre possible la création de championnats professionnels fermés, sur le modèle du championnat de basket américain, avec une liste d’équipes fixe. On serait entré là dans un monde différent, celui du sport purement « business », dans lequel toute la dimension aléatoire consubstantielle à la compétition sportive aurait été dénaturée.
L’article 5, au contraire, nous semblait tout à fait audacieux et innovant dans sa rédaction originelle. L’instauration d’un salary cap, c’est-à-dire la fixation d’un montant maximum pour la part des salaires dans le budget d’un club professionnel, allait dans le bon sens. À notre plus grand regret, la commission a édulcoré considérablement la portée de cette disposition particulièrement novatrice et facteur de régulation, en lui retirant son aspect obligatoire.
J’ai tout à fait conscience qu’un tel système risquerait d’être préjudiciable à plusieurs niveaux. Les clubs de football craignent – et cela nous ramène au débat sur le droit à l’image collectif – la fuite des talents vers les clubs étrangers. Les responsables des sports moins « aisés » rappellent, de leur côté, que leurs pratiquants sont déjà assez faiblement rémunérés.
Oui, nous avons conscience de tout cela, mais nous estimons néanmoins qu’il faut s’engager vers une telle évolution afin qu’il y ait une adéquation entre le financement du sport et l’économie réelle. Le rugby français a montré qu’un tel système pouvait fonctionner ; aux autres sports de s’en inspirer, à partir de leurs spécificités.
Les dérives financières du sport le minent de l’intérieur, chaque jour un peu plus. Instaurer un salary cap, ce serait aller vers plus de moralité dans le sport. Cette mesure contribuera surtout à assainir les comptes de nombreux clubs professionnels, qui se sont laissé prendre dans une dérive salariale inflationniste sans fin.
Gardons cependant à l’esprit qu’un salary cap ne sera utile que si une réflexion est engagée à l’échelle du continent européen dans son ensemble. Le niveau pertinent est là, en raison d’une concurrence fiscale déloyale. Les mêmes règles du jeu doivent s’appliquer à tous. Il en va de l’équité de la pratique.
Nous examinerons donc un article 3 banalisé, mais un article 6 plus qu’étiré : celui-ci traite désormais, notamment, de la rémunération des agents sportifs, mais également des jeux en ligne et de la fraude sportive. C’est surprenant !
Nous sommes étonnés, car quelques sénateurs, dont j’étais, avaient alerté votre prédécesseur, madame la ministre, sur les risques des projets de loi relatifs à l’ouverture du marché des jeux en ligne et au statut des agents sportifs. Nos remarques n’avaient pas été prises en compte, car, à l’évidence, l’important était ailleurs : aller vite pour que tout soit prêt pour la Coupe du monde de football de 2010. Nous voyons aujourd’hui les défenseurs de ces projets qui viennent admettre à demi-mots que, oui, peut-être, ces textes ont fait entrer le loup dans la bergerie ! Pourquoi ne pas avoir donné la possibilité aux fédérations, voilà un an, d’abaisser la rémunération des agents sportifs ? En quoi la situation a-t-elle vraiment changé depuis lors ?
De la même façon, j’observe que l’on n’aura même pas attendu l’examen d’une « clause de revoyure » envisagée dans la loi pour chercher à moraliser davantage le marché des jeux en ligne. Tout cela justifie a posteriori les inquiétudes que nous avions exprimées en séance l’an passé et confirme également que, à vouloir sans cesse légiférer dans l’urgence, on prend le risque de devoir adapter la politique sportive au jour le jour, au fil des événements et des contraintes.
En ce qui concerne la formation des sportifs, là encore, le texte affiche de louables intentions, mais appelle des efforts de la part du Gouvernement. Certes, il semble important de proposer aux jeunes inscrits dans les centres de formation des aménagements horaires semblables à ceux dont bénéficient les sportifs de haut niveau, mais, plus largement, c’est à un véritable statut du sportif de haut niveau qu’il convient de réfléchir.
Il est urgent, notamment, d’assurer une meilleure protection sociale à tous ceux qui, parce que leur talent et leur travail leur permettent de briller dans les disciplines sportives, n’ont pas toujours le temps ou la possibilité de gagner leur vie tout en pratiquant leur passion.
Au-delà, je m’étonne aussi que l’on évoque une territorialisation de la formation des jeunes sportifs, alors que, dans le même temps, on a partiellement démantelé le réseau régional des CREPS, les centres régionaux d’éducation et de sport ! J’ai eu l’occasion de montrer dans un récent rapport que la RGPP, la révision générale des politiques publiques, avait été appliquée sans grand discernement à ces centres. Mais restons cohérents : on veut consolider le double projet. Fort bien ! Nous veillerons à la mise en œuvre de cette louable intention.
L’état de nos finances est ce qu’il est, me répondrez-vous sans doute, madame la ministre... C’est la réponse qui avait été faite à Pierre Bordry avant qu’il ne quitte la présidence de l’Agence française de lutte contre le dopage.
L’AFLD est un organe puissant et essentiel, mais qui doit batailler chaque année pour disposer des crédits nécessaires à son activité. Dans ce contexte, il me semble bien difficile de transférer l’intégralité des pouvoirs de sanction détenus par les fédérations à l’agence ! Avec quels moyens l’Agence assurerait-elle cette mission ?
Ce n’est pas faisable, mais ce n’est pas non plus souhaitable. Les fédérations estiment, et cela me semble légitime, qu’on les déresponsabiliserait en leur enlevant ce pouvoir de sanction en matière de dopage. Après tout, l’AFLD a déjà la possibilité d’intervenir si la sanction prononcée par une fédération ne lui convient pas.
En la matière, le droit existant me semble donc plus pertinent que les propositions contenues dans le présent texte ; je sais que le point de vue du groupe socialiste est partagé par nombre de nos collègues, et j’espère qu’il sera entendu.
J’en profite également pour saluer la volonté de prévoir des efforts supplémentaires en matière de lutte contre le dopage, via les chaînes de télévision publique. Pourquoi, en effet, ne pas profiter de la retransmission de compétitions pour rappeler les dangers du dopage et sensibiliser les sportifs ? Le dopage touche de plus en plus les amateurs, et ceux-ci n’ont pas forcément conscience de la portée de leurs actes. Nous sommes là au cœur d’une problématique de santé publique.
En définitive, j’aimerais remercier nos collègues du groupe RDSE de leur initiative : alors qu’il constitue un incontestable phénomène de société, voire le symbole même de la mondialisation, le sport n’est malheureusement que peu traité dans cette assemblée. Leur texte nous donne l’occasion d’évoquer des enjeux essentiels.
Le groupe socialiste est a priori favorable à ce texte. Nous nous réservons néanmoins le droit d’adapter notre vote final en fonction de son évolution au cours des prochaines heures.
Je m’inquiète, notamment, de l’amendement déposé par M. le rapporteur tendant à insérer un article additionnel après l’article 6 et visant à donner aux clubs sportifs la possibilité de choisir leur statut – société à responsabilité limitée, société anonyme ou société par actions simplifiée. Cette évolution ne me semble pas souhaitable. Ce serait rompre avec les principes actuels du sport et aller encore plus vers une financiarisation que nous ne souhaitons pas. Si cet amendement recevait un vote favorable, nous nous verrions dans l’obligation de nous abstenir sur l’ensemble du texte.
Enfin, j’espère que cette proposition de loi sera suivie des aménagements qu’elle appelle. La politique sportive française exige des idéaux, des finalités de grande portée, des efforts supplémentaires, financiers, bien sûr, mais pas seulement. Je compte sur vous, madame la ministre, pour agir de façon à défendre les valeurs du sport et les intérêts des sportifs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)