M. Charles Gautier. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 88.
Mme Éliane Assassi. Cet article est certes important, mais il est surtout redoutable. En effet, n’en déplaise à certains de nos collègues, il réduit à néant les principes essentiels de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante.
Aujourd'hui, le Gouvernement fait fi du principe constitutionnel de spécialisation de la justice des mineurs dans la mesure où le tribunal correctionnel pour mineurs est, en réalité, en tout point identique à celui des majeurs.
Or le principe de spécialisation de la justice des mineurs n’est pas seulement garanti par la Constitution, il l’est aussi, comme l’a rappelé notre collègue Nicole Borvo Cohen-Seat, par un certain nombre de textes internationaux. Il faut citer l’article 40 de la convention relative aux droits de l’enfant, ainsi que par les règles de Pékin sur le traitement des mineurs délinquants, qui garantissent les droits de l’enfant et qui ont été adoptées par les Nations unies.
Pour avoir beaucoup travaillé sur cette question, je rappelle que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 mars 2011, a invalidé plusieurs dispositions relatives à la justice des mineurs insérées dans la LOPPSI 2, rappelant la nécessité de respecter la spécialisation de la justice des mineurs.
Tentant de vous prémunir contre les critiques d’inconstitutionnalité que l’on ne manquera de formuler contre votre texte, et pour cause, vous prévoyez ici une prétendue procédure spécifique qui se résume, en fait, à la seule présidence de ce tribunal par le juge des enfants, aux côtés de deux magistrats non spécialisés, alors que l’on sait parfaitement que le président ne dispose d’aucun pouvoir particulier.
Cette disposition témoigne d’une ignorance totale : la spécificité de la justice des mineurs ne tient pas à la seule présence du juge des enfants. Elle n’est spécialisée que si le mineur est soumis, dès sa prise en charge, durant le jugement et jusqu’au prononcé de la peine, à une procédure spécifique, par une institution consacrée, et avec des mesures adaptées. C’est seulement ainsi que tout le processus fait sens !
Cet article nie donc le travail pédagogique du juge des enfants, et dénigre la phase présentencielle, dont l’importance est primordiale pour l’appréhension et la compréhension par le mineur du jugement et de la peine. Il porte en lui la fin de la justice pour des mineurs qui « ne sont plus les mêmes qu’hier » ; il instaure une marginalisation des tribunaux pour enfants.
Enfin, ce tribunal correctionnel pour mineurs est d’une incohérence totale : il pourra être composé de citoyens assesseurs non spécialisés, alors que siègent aujourd’hui, au sein du tribunal pour enfants, deux assesseurs choisis pour l’intérêt qu’ils portent aux questions de l’enfance et pour leurs compétences en la matière !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 147 rectifié.
M. Jacques Mézard. L’article 29 constitue l’un des points forts de ce texte, avec la création du tribunal correctionnel pour mineurs.
Si l’on en croit l’exposé des motifs, cette création est justifiée par la volonté de « faire comprendre aux intéressés la nécessité de sortir de l’engrenage de la délinquance ».
Passons sur l’angélisme et voyons le postulat : il faut réprimer !
Pour notre part, nous estimons que cet article ouvre une nouvelle brèche dans la spécificité du droit pénal des mineurs. L’oralité des débats, y compris en séance publique dans cette enceinte, c’est bien, mais il est toujours fort intéressant de lire, et de lire en particulier l’étude d’impact d’un projet de loi, où figure, très objectivement exposé, ce que le Gouvernement entend faire.
Or à la page 83 de l’étude d’impact du présent texte, on peut lire, monsieur le garde des sceaux, que la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs « résulte d’une préconisation de la commission de réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 présidée par le recteur Varinard ». Pour expliquer votre objectif, vous poursuivez en ces termes : « à la progressivité des sanctions doit correspondre une même progression dans les formations de jugement compétentes pour connaître des mineurs jusqu’à afficher une plus grande sévérité avec la comparution du mineur devant un tribunal correctionnel, dont la charge symbolique et la solennité apparaissent nécessairement plus fortes. »
Selon vous, cette option est la seule envisageable au regard du principe de spécialisation des juridictions des mineurs. « Aussi […], la composition de la juridiction de droit commun a été adaptée afin de prévoir la présence d’au moins un juge des enfants. »
« Le renvoi de certains mineurs devant cette juridiction présente l’avantage de permettre dans ces cas de juger également les coauteurs et complices majeurs. ». Là encore, c’est tout à fait révélateur !
Le dernier paragraphe se termine de la façon suivante : « Il paraissait donc assez justifié que ces mineurs, qui peuvent se voir infliger des peines suivant le régime applicable aux majeurs, comparaissent également devant une juridiction propre aux majeurs. ».
Les mineurs de plus de seize ans ont une situation particulière dans notre ordre juridique. En effet, pour eux, l’excuse de minorité peut être écartée à titre exceptionnel. Mais on vous fait confiance pour que, dérive aidant, l’exceptionnel devienne l’habituel !
Aux pages 83 et 84 de l’étude d’impact, on trouve donc la caractérisation des objectifs réels qui sont les vôtres, puisque c’est vous qui les avez écrites.
Voilà la réalité !
Le tribunal correctionnel pour mineurs ne comptera donc qu’un seul juge des enfants, les deux juges qui étaient des personnes d’expérience dans le domaine des enfants étant remplacés par deux juges professionnels. Mais on comprend mal l’objectif. Dans certains cas, vous ajoutez deux citoyens assesseurs qui, eux, sauf cas exceptionnel, n’auront bien évidemment strictement aucune compétence particulière dans ce domaine particulier !
Pour couronner le tout, le douzième alinéa de l’article 29 précise : « Le service de la protection judiciaire de la jeunesse est consulté ». Malheureusement, nous connaissons l’état de la protection judiciaire de la jeunesse et le grand manque de moyens qui la caractérise aujourd’hui !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. L’article 29 crée une nouvelle juridiction spécialisée, le tribunal correctionnel pour mineurs, compétente pour juger les mineurs récidivistes âgés de plus de seize ans.
L’objectif est de montrer de façon plus solennelle à des mineurs ancrés dans la délinquance la nécessité de sortir de cette spirale et d’engager une démarche de réinsertion.
Quels sont-ils, ces mineurs ancrés dans la délinquance ?
Même si les chiffres ne sont pas parfaitement exacts, il est néanmoins intéressant d’en citer quelques-uns.
Actuellement, 200 000 mineurs sont mis en cause chaque année par les services de police et de gendarmerie. Plus de la moitié d’entre eux, vraisemblablement entre 54 % et 55 %, font l’objet de mesures alternatives aux poursuites ; 75 000 sont renvoyés devant la justice des mineurs, qu’il s’agisse du juge des enfants, du tribunal pour enfants ou, pour un petit nombre d’entre eux, de la cour d’assises des mineurs. Enfin, 30 000 font l’objet de condamnations par le tribunal pour enfants ou, encore une fois pour un petit nombre d’entre eux, par la cour d’assises des mineurs.
Sont donc susceptibles d’être concernés par la création de ce tribunal correctionnel pour mineurs entre 600 et 700 mineurs, soit une petite partie des 5 % de mineurs délinquants qui, à eux seuls, réalisent plus de 50 % des infractions commises par les mineurs.
Les dispositions créant cette nouvelle juridiction respectent pleinement les principes constitutionnels qui fondent le droit pénal des mineurs : publicité restreinte des débats, primauté des mesures éducatives sur les sanctions et les peines, présidence de la juridiction par un juge des enfants, ainsi que l’a souhaité la commission des lois.
J’attire votre attention sur le fait que, comme la cour d’assises des mineurs, et à la différence du tribunal pour enfants, cette nouvelle juridiction sera compétente pour juger les coauteurs ou complices majeurs du mineur poursuivi pour des faits commis en état de récidive légale.
Cette possibilité pourrait notamment être utile dans le jugement de délits impliquant des « bandes » composées à la fois de mineurs et de majeurs. Dans ce cas, en effet, l’ensemble de l’affaire pourrait être jugée par la même juridiction, sans qu’il soit nécessaire de disjoindre les procédures. Cette disposition constitue incontestablement une mesure de bonne administration de la justice.
Aussi la commission est-elle défavorable à ces amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Très naturellement, je suis, comme le rapporteur, défavorable aux amendements de suppression. Mais permettez-moi de compléter son propos.
Puisque chacun se réfère, pour ses citations, à des ouvrages particuliers, mon texte de référence sera l’ordonnance du 2 février 1945. Il faut bien que j’en aie un moi aussi ! (Sourires.) Sans en faire un étendard, je suis, comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, attaché à ce texte qui marque un moment important de notre histoire et qui est signé du garde des sceaux, ministre de la justice du général de Gaulle, Francois de Menthon. Ce dernier a travaillé à l’élaboration de cette ordonnance avec le comité juridique de la France combattante, lequel faisait alors office de Conseil d’État et était présidé par René Cassin.
Un certain nombre de mesures paraîtraient un peu sévères aujourd’hui ; c’est normal, car on n’est plus en 1945 et les choses ont changé. Mais la question est de savoir si mes propositions sont ou non en contradiction avec les principes contenus dans ce texte et qui ont été rappelés par le Conseil constitutionnel dans les deux décisions déjà citées à plusieurs reprises.
Voyons ce qu’il en est de ce tribunal correctionnel pour mineurs que vous avez couvert d’opprobre.
Je vous rappelle l’article 1er de l’ordonnance de 1945 : « Les mineurs auxquels est imputée une infraction qualifiée crime ou délit [...] ne seront justiciables que des tribunaux pour enfants ou des cours d’assises des mineurs. » Vous remarquerez qu’il est question non du tribunal pour enfants mais des tribunaux pour enfants, c'est-à-dire de tribunaux spécialement composés pour juger des enfants, ce qu’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2002.
Or le tribunal correctionnel pour mineurs est un tribunal spécialement constitué pour juger les enfants ; il faut en avoir pleinement conscience. Le texte qui vous est proposé répond donc parfaitement à la définition de l’ordonnance de 1945.
Voyons maintenant le dispositif sous l’angle de la présence de magistrats professionnels.
Il n’est visiblement pas facile de rester toujours sur la même ligne, mesdames, messieurs les sénateurs ! Depuis deux jours, en effet, on m’explique que la présence de magistrats professionnels est absolument indispensable et qu’elle conditionne la bonne marche de la justice.
Le tribunal pour enfants de 1945 comportait un seul magistrat professionnel : le président. La commission propose que le tribunal correctionnel pour mineurs soit présidé par un juge des enfants.
Au sein du tribunal de 1945 siégeaient deux assesseurs nommés par le ministre de la justice. On vous propose aujourd’hui qu’il y ait deux magistrats professionnels aux côtés du juge des enfants.
Vous ne cessez de m’expliquer que ce tribunal correctionnel pour mineurs est une affreuse régression et que je mets à bas les grands principes. C’est totalement faux, car là où il n’y avait qu’un magistrat professionnel, il y en aura désormais trois. La vérité est donc que nous renforçons la présence des magistrats professionnels au sein du tribunal correctionnel pour mineurs.
Il est tout à fait normal que vous ne soyez pas d’accord et je ne critiquerai personne de ce point de vue, mais soyez cohérents ! Si vous pensez qu’il ne faut pas trop de magistrats professionnels pour juger les enfants, c’est le moment de le dire. Nous, nous pensons qu’il en faut. Je comprends parfaitement la position contraire de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est son choix et il est différent du nôtre. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Le tribunal correctionnel pour mineurs est parfaitement conforme non seulement à l’article 1er de l’ordonnance de 1945, car il est spécifique, mais aussi à la décision du Conseil constitutionnel de 2002.
De plus, nous ne changeons pas la procédure d’un iota !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Encore une fois, j’admets tout à fait que l’on soit contre, mais je n’accepte pas que l’on tente d’accréditer le contraire de ce qui est la réalité. La procédure spéciale, celle du tribunal pour enfants, est maintenue. Là encore, nous sommes en conformité avec les principes de l’ordonnance de 1945 et la décision du Conseil constitutionnel.
Je tiens d’ailleurs à la disposition de tout un chacun cet exemplaire du texte initial de l’ordonnance que j’ai fait chercher, car il est toujours intéressant de se référer au texte lui-même plutôt qu’à l’idée que l’on s’en fait !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, je me référais au projet de loi. C’est également une excellente lecture !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Vous aviez tout à l’heure une lecture d’un texte datant de 1809 qui n’était pas mal…
M. Jacques Mézard. Je crois que vous feriez bien de vous en inspirer plus souvent ! Il y aurait là une vraie cohérence, monsieur le ministre !
Vous ne nous expliquez pas en quoi vos propositions constituent un progrès. Peut-être n’avons-nous pas les mêmes capacités intellectuelles que vous,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je crois que c’est cela !
M. Jacques Mézard. ... mais je vous avoue que nous n’avons pas encore compris l’intérêt de ce changement.
Le tribunal pour enfants était composé d’un magistrat professionnel, juge des enfants, assisté de deux assesseurs choisis en fonction de leurs compétences et de leur intérêt particulier pour les questions de l’enfance.
Vous ne nous avez pas dit que le système fonctionnait mal et qu’il convenait donc d’en changer. C’est un discours que nous aurions pu entendre s’il était véritablement fondé sur des éléments concrets démontrant que, effectivement, ces juridictions ne donnaient pas de bons résultats, qu’elles étaient trop lentes, que les jugements n’étaient pas assez sévères.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le problème est bien là : ce n’était pas assez sévère !
M. Jacques Mézard. Je reprends le rapport. Il ne date pas de 1809, monsieur le garde des sceaux,…
M. Jacques Mézard. … et sa rédaction est bien plus lourde !
On lit ceci à la page 130 : « Elles s’inscrivent par ailleurs dans le prolongement de l’adoption d’une série de dispositions tendant à rapprocher le droit pénal applicable aux mineurs âgés de seize à dix-huit ans de celui applicable aux majeurs : placement sous contrôle judiciaire dans les mêmes conditions que les majeurs, possibilité – dans certains cas – de faire l’objet de gardes à vue dans le cadre des régimes dérogatoires, possibilité de déroger à la règle de l’atténuation de responsabilité ».
Je m’arrête là, mais voilà la vérité, monsieur le garde des sceaux ! (M. le garde des sceaux proteste.) C’est bien écrit dans le rapport et je fais confiance au rapporteur.
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Permettez-moi de revenir sur un argument que nous avons souvent entendu depuis le début du débat : les enfants d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que ceux de 1945. Certes, ils ne sont pas les mêmes, et heureusement ! Ils ne vivent pas dans le même milieu, ni dans le même environnement.
En 1945, on sortait de la guerre. Aujourd’hui, on vit dans la société de consommation, dans la culture de l’immédiateté. Alors, évidemment, les enfants d’aujourd’hui sont différents de ceux d’hier !
Pour autant, ils se construisent de la même façon, avec les valeurs d’exemplarité que leur donnent leur famille et la société. Ils passent toujours de l’enfance à une longue période d’adolescence. Ils ne sont pas, d’un seul coup, par miracle ou par je ne sais quelle mutation génétique, devenus des espèces de zombies, enfants jusqu’à treize ans et tout à coup adultes à seize ans, en tout cas adultes responsables de leurs actes devant la loi et devant la justice.
Un autre argument m’a fait sursauter : aujourd’hui, les enfants seraient adultes beaucoup plus tôt du fait que, sur le plan physique, ils sont aussi formés plus tôt. Je crois rêver ! On n’est pas adulte uniquement en raison de sa maturité physique. Il faut aussi l’être dans sa tête, dans ses actes, avoir atteint une certaine maturité intellectuelle pour devenir responsable !
Je conclus de ce raisonnement qu’une gamine réglée à dix ans, et donc capable de devenir mère, est adulte à cet âge ! Il y a bien là un critère physique, et il est vrai qu’aujourd’hui les jeunes filles sont, en moyenne, réglées de plus en plus tôt.
Eh bien, non ! Les enfants ne sont pas adultes plus tôt. Au contraire, ils sont adultes beaucoup plus tard qu’en 1945, en raison de l’environnement qui est le leur et de la société dans laquelle ils vivent aujourd’hui.
Outre l’argumentation de notre collègue Mézard, je constate aussi que le tribunal correctionnel pour mineurs est destiné aux cas un peu plus difficiles,...
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. C’est sûr !
Mme Virginie Klès. ... à savoir les enfants qui ont causé des soucis...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Un peu plus que des soucis !
Mme Virginie Klès. ... et pour lesquels on n’est pas parvenu à trouver de bonne réponse.
Et que fait-on pour améliorer la situation ? On remplace les assesseurs qui, sur le plan professionnel, exerçaient des responsabilités dans le monde de l’enfance, dans le monde de l’éducation, bref des personnes qui connaissaient ces milieux-là, par des assesseurs tirés au sort qui n’ont absolument aucune compétence en la matière !
On affaiblit donc la structure qui, placée en face de l’enfant, est destinée à le juger et à l’amener à prendre ses responsabilités.
On a évoqué une plus grande solennité du jugement. Pour ma part, je ne vois pas ce que ce tribunal correctionnel pour mineurs apportera en termes de « solennité » ou de « mieux », pour reprendre les termes de notre collègue Jacques Mézard.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le garde des sceaux, vos propos soulèvent un certain nombre de questions. Vous nous dites en effet que vous n’aviez aucune raison, au fond, de créer ce tribunal correctionnel pour mineurs, qui serait, selon vous, en tout point conforme au tribunal pour enfants.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À moins d’être atteints de surdité, nous ne pouvons pas faire abstraction de toutes les raisons invoquées pour justifier les coups de canif qui ont déjà été portés à la justice des mineurs. Je pense notamment aux comparutions de plus en plus rapides et à l’assimilation des récidivistes mineurs aux récidivistes majeurs.
Nous avons tous compris que vous vouliez rapprocher la justice des mineurs de celle des majeurs, les raisons invoquées tenant notamment à la lenteur de la première. Mais n’est-ce pas la conséquence nécessaire de la spécificité de la justice des mineurs ? Et certaines procédures concernant des majeurs peuvent être fort longues aussi…
Il faudrait en outre poser le problème des moyens consacrés à la mise en œuvre de la palette des mesures disponibles. Je rappelle en effet que la réponse pénale est sinon toujours plus rapide en tout cas plus nombreuse s’agissant des mineurs.
Nous avons même entendu des propos fort peu agréables concernant les magistrats spécialisés dans la justice des mineurs. Il avait même été dit que l’un des juges des enfants de Bobigny – tout le monde le connaît - était appelé « le père Noël » par les délinquants eux-mêmes !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il s’agit d’un très bon magistrat, qui fait un excellent travail !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Certes ! Quoi qu’il en soit, cela fait dix ans que nous entendons en permanence ce discours.
Vous essayez, au fond, de disqualifier les juges des enfants. Pourtant, leur mission est loin d’être aisée, compte tenu des moyens dont ils disposent, non seulement pour prendre des mesures, mais surtout pour que celles-ci soient suivies d’effet.
Telle est donc votre position sur ce sujet. Pour notre part, nous pensons que vous avez tort. Et n’essayez pas de nous faire admettre – ce serait d’ailleurs illogique – que vous voulez améliorer la justice pour mineurs en cassant son unité et en essayant de la rapprocher un peu plus de celle des majeurs. Dites-nous la vérité sur vos intentions ! Ne nous prenez pas pour des amnésiques ou, pire encore, pour des idiots !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 41, 88 et 147 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 29.
(L'article 29 est adopté.)
Chapitre Ier
Dispositions générales
Article 10
(Non modifié)
Au premier alinéa de l’article 1er de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, après les mots : « tribunaux pour enfants », sont insérés les mots : «, des tribunaux correctionnels pour mineurs ».
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 21 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 59 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
L'amendement n° 130 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Charles Gautier, pour présenter l’amendement n° 21.
M. Charles Gautier. « Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. » Ainsi commence l’exposé des motifs de l’ordonnance du 2 février 1945.
Avec ce projet de loi, nous sommes très loin de cette préoccupation et de cette volonté de protection des mineurs, ce qui soulève bien entendu de nombreuses questions de notre part : quel est le sens de ce nouveau texte relatif à la justice des mineurs ? À quelle urgence répond-il ? Pourquoi ne pas attendre le projet de code de la justice pénale des mineurs ?
Sur la forme, rien ne justifie une telle précipitation, alors qu’un code de la justice pénale des mineurs est en cours d’élaboration à la Chancellerie. Cette surenchère législative résonne comme un aveu d’impuissance des pouvoirs publics à apporter des réponses adaptées à la délinquance juvénile et remet en cause l’efficacité des dernières réformes. Ce texte tend à introduire un certain désordre au sein de l’ordonnance du 2 février 1945, toujours en vigueur et retouchée à maintes reprises, je le disais tout à l’heure.
Sur le fond, il porte atteinte à cette ordonnance, témoigne d’un dangereux glissement de la justice des mineurs vers celle des adultes et stigmatise le juge des enfants, considéré comme trop laxiste, alors que le taux de réponse pénale de la justice des mineurs est de 92,9 %, donc supérieur à celui qui concerne les majeurs, qui n’atteint que 87,7 %.
Pour autant, la délinquance des mineurs semble s’intensifier depuis 2002, en dépit du durcissement des mesures provisoires et des peines pouvant être prononcées à l’encontre des mineurs. Elle a connu une hausse de 7,94 %, alors que celle des majeurs a augmenté de 12,04 %. Plusieurs fois, ce différentiel a été évoqué au cours de la discussion : il était important de citer les chiffres exacts !
Alors que nous nous écartons de la philosophie de l’ordonnance de 1945, les autres pays européens, eux – je le disais tout à l’heure –, s’en inspirent. L’Espagne comme l’Allemagne prévoient même de juger les 18-21 ans selon les règles de la justice des mineurs ! Notre collègue Alain Anziani a tout à l’heure fait référence à d’autres pays qui s’engagent sur la même voie.
Le projet de loi reprend, en les toilettant superficiellement, certaines des dispositions de la loi dite « LOPPSI 2 » qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Il vise à instaurer un tribunal correctionnel pour mineurs, pourtant écarté, après arbitrage du Gouvernement, du projet de nouveau code de justice pénale des mineurs. D’autres mesures relèvent d’a priori non vérifiés et ne reposent sur aucune analyse des besoins, aucune évaluation des dernières réformes adoptées.
En vidant de leur sens les principes de priorité éducative et de spécialisation de la procédure applicable aux mineurs, ce projet de loi achève la déconstruction de l’ordonnance de 1945 et la consécration d’une justice des mineurs ne s’intéressant plus qu’aux actes commis et non à l’évolution d’une personnalité en construction.
Une fois de plus, la réforme de la justice des mineurs est utilisée comme un moyen de communication politique partisan, sans aucune volonté de dessiner un projet ambitieux pour l’enfance en difficulté.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 59.
Mme Éliane Assassi. Nous estimons, et ce pour plusieurs raisons, que la présence du juge des enfants au sein de la formation du nouveau tribunal correctionnel pour mineurs n’est qu’un écran de fumée.
Tout d’abord, la spécialisation du juge des enfants tient à la spécificité de son mode d’intervention. Dès lors, sa seule présence ne garantit absolument pas la spécialisation du tribunal. Par ailleurs, le fait qu’il soit président de la formation de jugement ne constitue nullement une garantie, puisqu’il ne disposera pas d’une voix prépondérante.
De plus, les magistrats effectuent un roulement dans le cadre d’un tour de service. Un juge des enfants peut, en tout état de cause, se retrouver, s’il est sollicité, dans n’importe quelle formation de jugement, ce qui n’a jamais suffi à emporter spécialisation du tribunal.
Le tribunal correctionnel pour mineurs ne répond donc pas à l’exigence constitutionnelle de composition spécifique du tribunal en matière de justice des mineurs.
De plus, l’article 3 de la convention relative aux droits de l’enfant, dont notre pays, je vous le rappelle, mes chers collègues, est signataire, précise que, « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »
Cet intérêt supérieur de l’enfant, le Conseil constitutionnel l’a pris en compte pour rendre sa décision du 10 mars 2011, dans laquelle il s’est opposé, entre autres choses, à l’application aux mineurs de peines planchers, « considérant que l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du XXe siècle. »
Par ailleurs, le Conseil d’État a récemment admis l’application directe des dispositions ne nécessitant aucun aménagement de notre droit, ce qu’il a confirmé dans un arrêt du 26 juin 2008, Mme Fatima E. contre le ministère des affaires étrangères et européennes.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, nous voyons que l’institution de ce tribunal correctionnel pour mineurs contrevient non seulement à la Constitution, mais aussi à nos engagements internationaux. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article.