M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Monsieur le garde des sceaux, tout à l’heure, vous nous avez indiqué que nous partagions le constat suivant : la justice va mal. J’en suis d’accord. Mais un fossé d’incompréhension se creuse ensuite. Malgré vos conclusions, vous ne voulez rien entreprendre.
Permettez-moi d’utiliser une métaphore employée dans le monde médical, milieu que je connais mieux que celui de la justice. J’arriverai peut-être ainsi à vous faire comprendre ce que nous ressentons à propos du présent projet de loi.
La justice va mal, très mal même. Elle est exsangue, en état de choc.
En matière médicale, lorsqu’une personne est en état de choc, on ne fait pas rien, mais, en tout cas, on ne la bouge surtout pas. Sur place, le cas échéant, on arrête l’hémorragie, on rétablit sa volémie en lui injectant par perfusion du sang, des sérums hyperglucosés, on la met sous oxygène. Une fois son état stabilisé et passé l’état de choc, on la transporte alors à l’hôpital. Éventuellement, on tente la greffe de foie, de rein, de cœur, on met en place une thérapie expérimentale si on la pense utile.
Aujourd’hui, je le répète, la justice va très mal ; elle est en état de choc. Ne tentons pas une greffe sans avoir réalisé au préalable les tests nécessaires. Une telle intervention se prépare et ne se fait pas sur un sujet en état de choc. Mettons la justice sous perfusion. Donnons-lui les moyens permettant de stabiliser son état. Après, oui, monsieur le garde des sceaux, on peut envisager des réformes, mais en prenant le temps d’organiser la concertation, d’avancer avec précaution, et en s’assurant que les mesures retenues soient réellement efficaces et bénéfiques.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Madame Klès, je vous aime bien, mais ça commence à bien faire ! Selon vous, tout était parfait lorsque vous étiez au pouvoir,…
Mme Virginie Klès. Je n’y ai jamais été !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … alors que maintenant, rien ne va ! Si vous aviez fait votre travail,…
Mme Virginie Klès. Je n’étais pas née ! (Sourires.)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … la justice ne serait pas dans cet état ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) À force de me chercher, on me trouve !
En 1982, le nombre de magistrats s’élevait à 5 000. (Mme Virginie Klès s’exclame.) Il a fallu attendre 2002 pour qu’il soit supérieur à 7 000. Depuis lors, chaque année, il a augmenté ; il atteint aujourd’hui 8 617.
Les magistrats n’ont jamais été aussi nombreux dans notre pays qu’à ce jour. Vous pourriez au moins le reconnaître ! (Mme Michèle André s’exclame.) Cela signifierait que le débat intellectuel se déroule avec honnêteté.
Cette année, pour la première fois, le budget de la justice a dépassé 7 milliards d’euros. Vous auriez pu le porter à ce niveau-là voilà bien longtemps…
Mme Virginie Klès. Pas moi, monsieur le garde des sceaux !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … et vous ne l’avez pas fait ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) Si vous n’avez rien fait, vous avez raison !
Quoi qu’il en soit, tous ces efforts ont été fournis.
Depuis deux jours, vous ne cessez de me répéter que rien n’est fait, que la situation est catastrophique…
M. Alain Anziani. Les mesures sont insuffisantes !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous disons que la situation n’est pas satisfaisante !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Vous êtes restés au pouvoir très longtemps. Vous n’avez pas fait, bien que personne ne vous ait empêché d’agir.
Mme Virginie Klès. Si !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Aujourd’hui, nous essayons d’avancer. Je le reconnais, nous n’allons pas assez vite.
Nous avons régulièrement droit à de grandes envolées, qui commencent à être lassantes ! Je suis capable de supporter beaucoup. Mais, à un moment donné, chacun doit reconnaître sa part de responsabilité. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
J’ai bien compris que vous n’étiez responsables de rien. Néanmoins, la situation actuelle nous est, en quelque sorte, donnée.
Pour la première fois cette année, j’y insiste, le budget de la justice a dépassé 7 milliards d’euros. Si, en 1986, vous aviez fait voter une telle somme, il atteindrait peut-être 9 milliards d’euros aujourd’hui. Or vous ne l’avez pas fait. Vous êtes donc responsables, autant que les autres, du retard et de l’état actuel de la justice ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – Mme Virginie Klès s’exclame.)
M. François Trucy. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le garde des sceaux, on a assez polémiqué sur cette question. Je le reconnais, nous sommes tous responsables de l’état actuel de la justice (Enfin ! sur plusieurs travées de l’UMP.), qui est totalement exsangue, comme nous l’indiquent nos différents interlocuteurs. Mais le présent projet de loi va aggraver cette situation. Et vous ne disposez pas, de surcroît, des moyens financiers nécessaires pour le mettre en œuvre. Voilà qui est dit. Vous avez répondu. Terminons-en là !
J’en viens à la motivation de la décision. En la matière, je pense que le mieux est l’ennemi du bien. Au moment du vote de l’appel des décisions des cours d’assises – point positif – à l'Assemblée nationale – à l’époque, j’étais député – s’est longuement posée la question de la motivation tant en commission des lois qu’en séance. Finalement, ce point a été abandonné, même si l’absence de motivation d’une décision de cour d’assises pose des problèmes, notamment en cas d’appel.
En réalité, la motivation n’a pas été retenue parce qu’elle fait fi de ce qui se passe au moment du délibéré et des raisons très différentes des jurés – ils ne les expriment pas forcément – qui justifient leur vote sur chacune des questions posées. Ensuite, le président de la cour devra faire la synthèse d’avis qu’il ne connaît pas nécessairement. Est-il prévu que la feuille de motivation qu’il va rédiger soit validée au moins par le premier jury ? Non !
Je le reconnais, il faudrait tendre à une motivation. Pour les personnes favorables à un tribunal criminel départemental, la question est réglée. Mais je ne pense pas que l’on soit prêt, en France, à supprimer les jurés en cour d’assises. En effet, la procédure criminelle a constitué une avancée démocratique, et même révolutionnaire, en matière de justice.
On demande aux jurés de réagir en fonction de leur intime conviction. On disait avant « en leur âme et conscience ». Tout le monde ne croyant pas à l’âme, cette référence a été supprimée. (Sourires.) Or elle avait bel et bien une signification : en réalité, les jurés réagissent avec leurs tripes – je vous prie d’excuser cette expression quelque peu familière, mes chers collègues – sans qu’il leur soit demandé de rendre compte de leurs motivations.
En l’espèce, il faudra bien que le président de la cour rende compte de motivations qu’il ne connaîtra pas forcément.
Monsieur le garde des sceaux, la mesure proposée va bien sûr dans le bon sens, mais elle mériterait d’être approfondie. C’est la raison du dépôt des amendements identiques que nous examinons. Je rejoins sur ce point mon collègue Jacques Mézard.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 17, 52 et 128 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 53, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéas 3 à 7
Remplacer ces alinéas par deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. 365–1. – Tout au long de l’audience, le président établit une liste de questions précises et non équivoques validées par les jurés.
« Cette liste de questions prend en compte les éléments de droits et de faits et sert de fondement au verdict. »
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet amendement devrait vous séduire, monsieur le garde des sceaux : je vous propose un autre mode de motivation des arrêts, qui correspond à la pratique de certaines cours d’assises étrangères.
Il s’agit de procéder à l’élaboration d’une liste de questions portant sur des éléments de fait comme de droit tout au long de l’audience. Ces questions sont validées par le jury ; elles sont assorties de réponses ; elles servent de fondement au verdict. Elles permettent de comprendre sur quels éléments repose la décision des jurés en retraçant les étapes par lesquelles la cour et le jury passent pour arriver à se forger ce que l’on appelle « l’intime conviction ».
Grâce à cet exercice, le rendu des décisions connaîtra une certaine transparence.
Cette forme de motivation semble davantage traduire la réalité de l’élaboration d’un verdict que l’exercice artificiel de rédaction a posteriori prévu à l’article 7 et qui confie au seul président de la cour la responsabilité de justifier une décision collective, dont il n’est pas le seul responsable.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Le présent débat est différent du précédent. Nous discutons non plus du principe de la motivation, mais des modes de motivation. Cet amendement, intéressant, soulève un vrai problème.
Dès lors que le principe de la motivation est admis, deux systèmes sont possibles.
Le premier d’entre eux, qui vient d’être présenté, tend à compléter la liste des questions prévues par le code de procédure pénale afin de les rattacher aux faits de l’espèce sans prévoir une motivation formalisée. Une telle solution a parfois été retenue par des cours d’assises. À titre d’exemple, le président de la cour d’assises du département du Pas-de-Calais a indiqué, lors de son audition, « que les questions préparées par lui et dont il a été donné lecture [étaient] précises de manière à permettre la compréhension du verdict, tel que l’exige l’article 6 de la Cour européenne des droits de l’homme ».
Cette formule, quoique très séduisante intellectuellement, n’a pas été retenue dans le présent projet de loi, car elle peut, en fonction des réponses apportées aux questions, conduire mécaniquement, et donc sans nuances, à une réponse sur la culpabilité qui n’est pas alors conforme à l’esprit de l’intime conviction. On se situe à la frontière entre deux objectifs.
Le Gouvernement a fait le choix d’une motivation expresse, formalisée de manière distincte, les réponses aux questions ne dispensant pas de justifier la décision finale de culpabilité au vu des faits de l’espèce.
Au nom de la commission des lois, j’émets un avis défavorable, tout en reconnaissant que se pose un problème de méthode. Peut-être le mode de motivation retenu pourra-t-il être modifié ultérieurement s’il ne donne pas toute satisfaction
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je partage l’avis de la commission.
On peut essayer de rechercher comment motiver les arrêts de cour d’assises – question que posaient MM. Michel et Mézard précédemment –, tout en respectant à la fois le système des questions, le rôle des jurés et leur intime conviction.
Je reconnais que c’est extrêmement difficile. C’est d’ailleurs peut-être l’une des raisons pour lesquelles cette question, très fréquemment abordée, n’a guère progressé.
Le Gouvernement a choisi de suivre la méthode indiquée par un praticien, M. Huyette, conseiller à la cour d’appel de Toulouse et président de cour d’assises. Pour autant, cela ne signifie pas que les autres sont mauvaises.
Comme l’a dit M. le rapporteur, si ce choix devait être remis en cause, le Gouvernement le ferait. Je n’ai pas de dogme en la matière. Je sais simplement que motiver les arrêts de cour d’assises, faire comprendre à la victime, au condamné et à l’ensemble de la population le cheminement et les raisons qui ont conduit à la condamnation ou à l’acquittement, le raisonnement du jury, constitue un réel progrès.
Comme il est impossible de faire deux choix, je reste fidèle au nôtre et je suis défavorable à l’amendement n° 53.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Nous sommes très sensibles à l’amendement du groupe CRC-SPG. Il est vrai, comme l’a dit M. le rapporteur, que cette mesure est déjà expérimentée dans certaines cours d’assises, par exemple à Douai, à Créteil dans le Val-de-Marne ou dans d’autres départements de la périphérie parisienne, et qu’elle donne plutôt de bons résultats, quoiqu’elle soit très contraignante pour les présidents d’assises.
Je souhaite simplement faire une remarque, monsieur le garde des sceaux. Un article comme celui-là justifierait à lui seul que la procédure ne soit pas accélérée. (Mme Virginie Klès opine.) En effet, la navette permettrait certainement d’arriver à une solution satisfaisante sur un point qui nous met tous d’accord, à savoir qu’il est bon, et je dirai progressiste, que les arrêts de cours d’assises soient motivés, ne serait-ce que parce que cela éviterait d’avoir à tout recommencer lorsqu’il y a appel, comme c’est le cas aujourd'hui dans la mesure où l’on ignore, en principe, les raisons qui ont motivé la décision de première instance.
Le Gouvernement peut donc à tout moment lever la procédure accélérée, et permettre ainsi que la discussion entre les deux assemblées se poursuive. Du reste, M. le rapporteur lui-même a dit que, compte tenu du temps limité dont il a disposé, il n’a peut-être pas été en mesure de saisir toutes les implications du texte ni toutes les améliorations que l’on pourrait lui apporter.
Pourquoi alors tant de précipitation ? Je ne vous demande pas de répondre, monsieur le garde des sceaux, vous l’avez déjà fait : vous avez dit ne pas être un fanatique de la procédure accélérée. (M. le garde des sceaux acquiesce.) Demandez donc au Gouvernement de lever la procédure accélérée, afin que l’examen de ce texte poursuive un cours normal, ce qui conduira certainement à des améliorations, ne serait-ce que d’un point de vue technique, quand bien même nous ne tomberions pas d’accord.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La proposition de M. Jean-Pierre Michel est excellente, mais je souhaite plutôt réagir à la réponse faite tant par M. le rapporteur que par M. le garde des sceaux.
Vous nous dites tous deux que la proposition contenue dans cet amendement est intéressante, mais que vous avez fait un autre choix. Cela me choque, dans la mesure où cette proposition fait suite à des auditions de personnes mettant en avant ce qui est déjà expérimenté dans des cours d'assises.
Ce que vous dites est tout à fait audible, certes : cela représente en effet un travail supplémentaire. Par ailleurs, il est vrai que cela « cerne » davantage les motifs que les jurés peuvent avoir de décider ceci ou cela. Mais, en tout cas, cela met au jour les bases réelles, tangibles à partir desquelles les jurés se sont prononcés. Rien n’est parfait en ce bas monde, vous le savez, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur.
Vous nous dites que vous avez choisi autre chose. Toutefois, cette autre chose pose énormément de problèmes. Vous voulez en effet que le président explique a posteriori l’intime conviction. Vous conviendrez que l’on peut faire plus facile et plus précis ! Non seulement c’est très complexe, mais cette interprétation de l’intime conviction pourrait s’écarter sensiblement de ce que pensent réellement les jurés.
On peut considérer qu’il n’y a pas de raison que les jugements en matière criminelle ne soient pas motivés, ne serait-ce que pour la suite éventuelle de la procédure. Toutefois, encore faut-il que l’on introduise des éléments qui puissent être reconnus par les jurés, et dont ils puissent constater qu’ils reflètent leur cheminement vers l’établissement d’une majorité. On peut imaginer un certain nombre de questions sur le déroulement du procès, qui leur permettront non seulement de se forger une opinion, mais d’exposer les motivations de cette dernière.
Je suis donc très étonnée de la réponse qui m’a été faite, car elle n’est absolument pas convaincante. Je veux bien que l’on y réfléchisse plus avant, que vous essayiez de trouver autre chose, mais il me semble que, dans la mesure où les présidents de cour d'assises ont expérimenté un système qui paraît fonctionner correctement, et qui existe également à l’étranger, il serait préférable de s’en tenir à cela plutôt que de chercher à inventer un système dans lequel le président interpréterait l’intime conviction des jurés.
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote sur l'article.
Mme Virginie Klès. Monsieur le garde des sceaux, j’espère ne pas vous énerver de nouveau en reprenant la parole, car tel n’est pas mon objectif.
Il me semble que je n’exprime rien d’autre que ce qu’ont également souligné mes collègues, à savoir notre incompréhension quant à cette précipitation, alors que nous ne nous opposons pas à certains principes mais ne faisons que demander pourquoi vous les appliquez de cette manière. Il nous semble en effet que ce n’est pas la bonne manière, ni le bon tempo.
Vous avez répondu sans vous énerver à mes collègues, et j’ai donc du mal à comprendre pourquoi vous vous êtes énervé contre moi, d’autant que je n’ai jamais affirmé que c’est votre Gouvernement qui est responsable de la situation actuelle.
Chacun s’accorde à reconnaître que notre justice est exsangue, que ce n’était peut-être pas le moment de se lancer dans des expérimentations et que le recours à la procédure accélérée n’était pas judicieux pour ce texte.
Je n’exprime rien de plus que cela. Je ne comprends donc pas votre énervement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 est adopté.)
Section 2
Dispositions relatives à la composition de la cour d’assises
Article 8
I. – Après l’article 264 du code de procédure pénale, il est inséré un article 264–1 ainsi rédigé :
« Art. 264–1. – Par dérogation au dernier alinéa de l’article 260, aux premier et deuxième alinéas de l’article 261–1 et au premier alinéa de l’article 263, le calendrier des opérations nécessaires à l’établissement de la liste annuelle des jurés est fixé par décret en Conseil d’État. »
II. – Le premier alinéa de l’article 296 du même code est ainsi rédigé :
« Le jury de jugement est composé de six jurés lorsque la cour statue en premier ressort et de neuf jurés lorsqu’elle statue en appel. »
III. – Au troisième alinéa de l’article 297 du même code, les mots : « neuf » et « douze » sont remplacés par les mots : « six » et « neuf ».
IV. – L’article 298 du même code est ainsi rédigé :
« Art. 298. – Lorsque la cour d’assises statue en premier ressort, l’accusé ne peut récuser plus de quatre jurés et le ministère public plus de trois. Lorsqu’elle statue en appel, l’accusé ne peut récuser plus de cinq jurés et le ministère public plus de quatre. »
V. – L’article 359 du même code est ainsi rédigé :
« Art. 359. – Toute décision défavorable à l’accusé se forme à la majorité de six voix au moins lorsque la cour d’assises statue en premier ressort et à la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d’assises statue en appel. »
VI (nouveau). – La deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article 362 du même code est ainsi rédigée :
« Toutefois, le maximum de la peine privative de liberté encouru ne peut être prononcé qu’à la majorité de six voix au moins lorsque la cour d’assises statue en premier ressort et qu’à la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d’assises statue en appel. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 18 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 54 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Alain Anziani, pour présenter l'amendement n° 18.
M. Alain Anziani. Cet amendement vise à maintenir la composition actuelle de la cour d’assises.
Je pense que vous en comprendrez le sens, puisque vous avez vous-mêmes beaucoup hésité au sujet de cette composition. Mme Alliot-Marie avait un temps voulu supprimer, dans certaines circonstances, la cour d'assises. La Chancellerie a ensuite proposé de créer, selon l’expression de notre rapporteur, une « cour d’assises light ». Ce système a enfin été modifié par la commission des lois, qui a fait passer le nombre de jurés de neuf à six en première instance, et de douze à neuf en appel.
Il y a tout de même un paradoxe : vous présentez un texte visant à donner davantage de place aux citoyens, mais vous commencez par réduire leur nombre là où ils se trouvent...
Vous considérez sans doute que le fonctionnement de la cour d'assises n’est pas satisfaisant, que celle-ci est trop lourde, trop onéreuse. Toutefois, si telles sont les raisons de cette réduction – nous pouvons d’ailleurs les comprendre –, vous vous trouvez devant une difficulté. Il y a – je m’excuse de le souligner à nouveau – un problème de moyens, que vous espérez résoudre par un système de vases communicants, en diminuant le nombre des jurés dans les cours d'assises afin de pouvoir les augmenter ailleurs. Tout cela n’a guère à voir avec des principes, mais relève plutôt de contraintes budgétaires.
Il nous semble qu’il faudrait une meilleure évaluation des conséquences de la diminution du nombre de jurés dans les cours d'assises. Nous ne savons pas, en effet, comment elles fonctionneront avec moins de jurés. Tout cela demanderait sans doute, comme le faisait observer Jean-Pierre Michel, davantage de concertation et de réflexion. Dans l’attente d’une telle démarche, il est préférable d’en rester à la composition actuelle.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l'amendement n° 54.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je défendrai l'amendement n° 54 mais aussi l'amendement n° 55, qui constitue un amendement de « suggestion » ou de « repli » que, me semble-t-il, vous pourriez accepter.
Lorsque la réforme nous a été présentée, il était question que, en première instance, le jury ne soit conservé que pour les crimes les plus graves. Le motif fallacieux alors invoqué était que, les cours d'assises n’étant pas des juridictions permanentes – puisqu’elles siègent par session –, elles rendent la justice de manière trop lente. Il est vrai que les procédures criminelles sont bien souvent très longues, mais les raisons s’en trouvent ailleurs et les solutions à ce problème sont à rechercher dans l’augmentation du nombre d’experts et d’enquêteurs, la réduction de la durée des instructions, l’instauration de délais butoir de détention provisoire, ou encore le renforcement des effectifs des cours d'assises. Tout cela fait partie du paquet « moyens » de la justice.
Le texte établissait donc une distinction entre les crimes les plus graves et les autres, qui, au second degré, relèvent pourtant comme les premiers des cours d'assises d’appel. Ainsi, l’on en venait presque à créer une nouvelle catégorie d’infractions en plus des trois déjà existantes, les « petits crimes » étant désormais distingués des « grands crimes ». Du reste, notre rapporteur évoquait des « cours d'assises light » et des « cours d'assises hard ».
Étrangement, le projet de loi ne revenait pas sur la composition de la cour d'assises statuant en matière de criminalité organisée, dont, je vous le rappelle, les citoyens sont exclus. Voilà encore une chose sur laquelle ils ne peuvent pas se prononcer.
Cette contradiction entre l’affirmation du besoin des citoyens et leur éviction a été relevée par notre rapporteur, qui, de manière plus sage, a choisi de ne pas distinguer deux cours d'assises, une petite et une grande.
Je considère néanmoins que le passage, pour des raisons d’économie, de neuf à six jurés est absolument inacceptable. En contradiction avec les principes que vous professez, vous réduisez le nombre de citoyens dans les jurys d’assises, c'est-à-dire là où le citoyen est véritablement juge. C’est extravagant ! Dans ces jurys, le nombre et la diversité des citoyens sont précisément les garants de la qualité de la justice rendue.
Je propose donc, en guise de solution de repli, d’en rester à neuf jurés dans les cours d'assises de première instance et de ramener au même nombre les jurés des cours d'assises d’appel. En effet, il n’y a pas de justification particulière au fait que ces derniers soient douze, dans la mesure où l’appel consiste à refaire le procès devant une autre cour d’assises.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ces deux amendements suppriment l’article du projet de loi qui vise à réduire le nombre de jurés des cours d’assises en première instance et en appel.
Cet article a été complètement modifié par la commission afin de préserver l’organisation actuelle des cours d'assises tout en allégeant les effectifs du jury. Les dispositions proposées marquent donc une avancée par rapport au texte initial du projet de loi, qui, je le rappelle, prévoyait de remplacer la cour d'assises en première instance par une formation composée des trois magistrats et de deux citoyens assesseurs.
La réduction de l’effectif du jury de neuf à six en première instance et de douze à neuf en appel permet, d’une part, de garantir la prépondérance indiscutable des jurés par rapport aux magistrats et, d’autre part, de préserver la règle de la nécessité d’une majorité qualifiée pour obtenir la condamnation de l’accusé, puisque cette dernière doit recueillir au moins six voix en première instance.
La diminution du nombre des jurés ne portera donc pas réellement à conséquence, me semble-t-il, puisque tous les principes resteront saufs.
En revanche, combinée avec l’assouplissement du régime des sessions des cours d’assises, la modification proposée par la commission devrait permettre de simplifier l’organisation de ces juridictions, afin de favoriser un meilleur audiencement, ce qui devrait réduire les durées de détention provisoire, aujourd’hui trop souvent excessives. Or un tel avantage ne me paraît pas mince.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?