Mme Josiane Mathon-Poinat. Vous savez bien que cette réforme est irréaliste !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Être modeste n’a jamais nui à personne : j’essaie pour ma part de l’être, et je ne prétends pas tout connaître.
Je considère également que les citoyens sont toujours respectables. Depuis deux jours, j’entends dire sans arrêt qu’ils n’ont rien demandé, que les matières sont trop techniques, que de simples citoyens ne seront pas capables de rendre la justice. C’est vrai : ce sont de simples citoyens français. En participant à l’œuvre de justice, ils seront un peu plus citoyens…
M. Jean-Jacques Mirassou. Il y a d’autres moyens de mettre en valeur les citoyens !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il est probable que les choses n’en seront pas fondamentalement changées, mais cette évolution n’est toutefois pas négligeable. Elle s’inscrit dans un mouvement de fond, qui changera la vision que les citoyens ont de la justice. Les associer au jugement de près de 40 000 affaires, et peut-être davantage dans quelques années, si l’expérimentation est concluante, c’est un véritable progrès : nous pouvons le rendre possible tous ensemble, sans nous envoyer à la figure des arguments à l’emporte-pièce…
Je reconnais qu’aujourd’hui le service public de la justice ne fonctionne pas parfaitement. J’essaie, modestement, de contribuer à son amélioration. Si chacun avait bien voulu faire le même effort dans le passé, la situation du service public de la justice serait aujourd’hui différente. Depuis 2007, en effet, le budget de la justice a augmenté chaque année : si la même tendance avait toujours existé, ce budget atteindrait peut-être aujourd’hui un niveau supérieur…
J’admets que nous avons connu, au cours des cinquante dernières années, des périodes plus fastes, mais aussi des déclins, puis des rebonds. Soutenir la justice dans ses moyens doit être un effort constant.
La justice revêt toujours un caractère un peu mystérieux pour nos concitoyens, qui lui demandent beaucoup mais n’ont pas l’habitude de lui donner suffisamment. Aussi n’est-ce pas l’une des moindres vertus de cette réforme que de permettre aux citoyens de se rendre compte de ce dont la justice a besoin.
Avec calme et modestie – car les grandes envolées ne sont guère dans mes habitudes –, je vous répète que je crois cette réforme véritablement utile. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, sur certaines travées du RDSE ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Monsieur le garde des sceaux, je n’ai ni le prestige, ni l’expérience, ni la connaissance approfondie du monde de la justice de mon collègue Robert Badinter. Néanmoins, depuis trois ans, j’écoute, j’entends, et je découvre une justice et une magistrature exsangues…
Mme Virginie Klès. … qui ne savent plus comment faire pour remplir correctement leurs missions.
Les postes manquent partout. J’ai lu – je ne sais plus où – que les moyens et les postes étaient largement suffisants pour mettre en œuvre la nouvelle réforme de la garde à vue et de l’aide juridictionnelle.
Tel n’est pas le cas en Bretagne : dans le ressort du tribunal de grande instance de Rennes, il manque aujourd’hui deux juges.
Quoi que vous puissiez dire, et quoi que l’on puisse lire dans certains journaux, les moyens et les postes de magistrats manquent aujourd’hui partout en France.
Pourquoi, dans ces conditions, vous obstinez-vous à compliquer les procédures et à lancer des expérimentations dont nous vous disons, sur les travées de la gauche et du centre, qu’elles sont inutiles et qu’elles aggraveront, à rebours de l’objectif que vous affichez, l’incompréhension des citoyens à l’égard du fonctionnement de la justice ?
Si vraiment vous disposez de moyens supplémentaires, et pouvez financer la création de cent nouveaux postes de magistrats, pourquoi ne pas en faire bénéficier les cours qui en ont besoin aujourd’hui ?
Une seule question se pose : quelle est la nécessité d’une réforme qui coûtera beaucoup d’argent, et que vous dites pouvoir financer, quand les moyens qui l’accompagnent seraient nécessaires au fonctionnement normal de la justice aujourd’hui ?
Une fois de plus, vous répondez à une commande du Président de la République, que nous avons suffisamment entendu s’exprimer sur le sujet ; reconnaissez-le au moins !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Ne nous enfermez pas, monsieur le garde des sceaux, dans un dialogue de sourds, car vous avez très bien entendu ce qu’ont dit Robert Badinter et beaucoup d’entre nous depuis le début de l’examen de ce projet de loi.
Vous nous avez renvoyés à l’histoire assez sombre du service public de la justice ; soyez assuré que, sur nos territoires, nous touchons tous du doigt les manques dont souffrent l’organisation de la justice et le système pénitentiaire.
Nous vous demandons seulement de réfléchir à la simplification du travail de la justice. Or le projet que vous défendez, peut-être à votre corps défendant (M. le garde des sceaux s’en défend.), ne fait qu’aggraver le dramatique blocage actuel.
Les cours, quelles qu’elles soient, ne suffisent plus à répondre aux attentes des justiciables ; elles sont débordées. Or le seul secours que vous leur offrez est un projet de loi qui complique encore les procédures et introduit un artifice, que j’appelais hier un leurre : la présence des citoyens assesseurs.
Le jour où la justice disposera de tous les moyens qui lui sont nécessaires, il sera temps de se livrer à des expériences pédagogiques – tout un travail pourrait d’ailleurs être conçu sur ce plan, en particulier pour permettre au public scolaire de pénétrer les arcanes du fonctionnement de la justice. Mais il est auparavant nécessaire que l’appareil de la justice ait été remis à flot, et que les moyens de fonctionner lui aient été donnés.
Compliquer les procédures, monsieur le garde des sceaux, c’est rendre un mauvais service à la justice, aux professionnels qui la font vivre, aux justiciables et à l’ensemble des citoyens, qu’ils soient ou non assesseurs.
Aussi, plutôt que de nous renvoyer aux impérities des politiques publiques successives s’agissant des moyens de la justice, entendez ce que nous vous disons et posez-vous sérieusement la question de la simplification des procédures : ainsi la justice ira-t-elle plus vite et plus droit, et les attentes des justiciables seront-elles mieux satisfaites.
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Monsieur le garde des sceaux, nous nous trouvons à un moment clé, qui permet à un certain nombre de groupes de faire entendre leur position sur votre projet de loi.
La nôtre s’explique, au-delà du projet de loi lui-même, par un ensemble d’événements.
Vous avez déclaré tout à l’heure que vous faisiez preuve de modestie. Je vous en sais gré, car c’est une vertu précieuse ; je pense que vous la possédez en effet. Mais vous possédez aussi l’art de ne pas répondre aux questions que l’on vous pose… (Sourires.)
Robert Badinter vous a posé une question extrêmement simple, que l’on peut résumer par la métaphore suivante : il nous a expliqué, en substance, que, bien que le bateau soit en train de couler, vous continuiez à le surcharger, de telle sorte qu’il coulera encore plus vite !
Mme Catherine Tasca. Voilà !
M. Alain Anziani. Face à cette situation de détresse, que répondez-vous ? Que vous n’êtes pas responsable des avaries que le bateau subissait depuis si longtemps ! Ce n’est pas la bonne réponse ! Nous aurions voulu que vous nous expliquiez, monsieur le garde des sceaux, comment vous comptez vous y prendre pour sauver l’équipage et le bateau et que vous nous détailliez les moyens que vous allez mettre en œuvre pour permettre à celui-ci d’achever sa croisière. Là est le débat ! Au lieu de régler les vraies questions, au lieu de donner des moyens à la justice, vous la surchargez de lois inutiles et à grand spectacle. Évidemment, nous ne pouvons qu’être opposés à cette politique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. Comment peut-on prétendre promouvoir l’appareil judiciaire et œuvrer en faveur d’un meilleur fonctionnement de la justice de notre pays, quand on sait les conditions dans lesquelles a été menée la refonte de la carte judiciaire, refonte dont l’immense majorité de nos collègues ici présents ont fait la malheureuse expérience dans leurs départements respectifs ?
Allez donc expliquer à un habitant de Haute-Garonne, surtout s’il réside dans le sud du département – qui a vu la suppression d’un tribunal de grande instance – ou à la périphérie de Toulouse – dont la population réclame depuis très longtemps, en vain, la création de maisons de justice et du droit –, que la situation va s’améliorer soudainement grâce au présent projet de loi ! Vous êtes en dehors de la réalité !
En outre, il existe une formidable distorsion entre votre conception de la citoyenneté et la nôtre. Arriver à faire croire ou tenter de faire croire que l’on va promouvoir la citoyenneté dans notre République en créant, de manière artificielle et hâtive, des assesseurs citoyens, c’est vraiment, comme l’a dit à l’instant Robert Badinter, s’en tenir à des slogans et spéculer outrageusement sur des réflexes démagogiques, qui, par définition, sont à l’opposé de la conception que nous nous faisons de l’esprit critique et du rôle de citoyen.
Notre différend est réel, monsieur le garde des sceaux, et je doute fort que votre discours minimaliste et presque compassionnel nous fasse changer d’avis.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 14, 48 et 124 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Article 5
I. – Après l’article 510 du code de procédure pénale, il est inséré un article 510-1 ainsi rédigé :
« Art. 510-1. – Lorsque l’appel porte sur des infractions relevant des dispositions de l’article 399-2 ou 399-3, la chambre des appels correctionnels est composée, outre de son président et des deux conseillers, de deux citoyens assesseurs désignés conformément aux dispositions des articles 10-1 à 10-13.
« Les articles 399-4 et 399-5 sont alors applicables.
« Ne peuvent examiner une affaire en appel les citoyens assesseurs qui ont connu du dossier devant le tribunal correctionnel citoyen.
II. – (Non modifié) Après l’article 512 du même code, il est inséré un article 512-1 ainsi rédigé :
« Art. 512-1. – Lorsque la chambre des appels correctionnels comprend des citoyens assesseurs, les articles 461-1 à 461-5 et 486-1 à 486-4 sont applicables. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 15 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L’amendement n° 49 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche.
L’amendement n° 125 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l’amendement n° 15.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet article a pour objet d’assurer la présence de citoyens assesseurs au sein de la chambre des appels correctionnels.
Alors que la commission Léger s’était expressément prononcée contre l’introduction d’échevins en appel, compte tenu du travail d’unification du droit devant être réalisé par les juridictions du second degré, le présent projet de loi prévoit que deux citoyens assesseurs siégeront dans les chambres des appels correctionnels.
Or les dossiers qui sont examinés en appel sont souvent d’une nature beaucoup plus complexe. Ils nécessitent des connaissances juridiques solides. Les arrêts soumis au contrôle éventuel de la Cour de cassation en cas de pourvoi doivent être motivés tant en fait qu’en droit, ce qui constitue à l’évidence une tâche impossible pour des jurés populaires.
C’est pourquoi nous ne pouvons que demander la suppression de cette disposition.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l’amendement n° 49.
Mme Josiane Mathon-Poinat. En cohérence avec l’opposition que nous avons manifestée à la présence de citoyens dans les tribunaux correctionnels, nous nous opposons également – car vous connaissez notre constance ! – à leur présence au sein de la chambre des appels correctionnels.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 125 rectifié.
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, vous voulez introduire des citoyens assesseurs non seulement dans les tribunaux correctionnels, en première instance, mais également dans les cours d’appel. Nous savons tous quelle situation connaissent, aujourd’hui, les cours d’appel : les délais d’audiencement y sont généralement longs, en raison de l’accumulation des dossiers que les moyens humains et matériels ne permettent pas de résorber comme il le faudrait.
L’introduction des citoyens assesseurs au sein des chambres des appels correctionnels allongera le délai de traitement des dossiers et la durée des audiences. Et nul n’ignore comment se déroulent les audiences devant une cour d’appel !
J’ai bien peur que cette nouvelle procédure ne soit difficile à mettre en œuvre. Là encore, les présidents des chambres des appels correctionnels devront se livrer à un exercice pédagogique particulièrement difficile, long et délicat.
Nous ne cessons de vous répéter la même chose depuis deux jours. Certains ont parlé de dialogue de sourds. Je ne vous fais pas un procès d’intention, monsieur le garde des sceaux, mais vous nous avez vous-même déclaré que les problèmes auxquels la justice est confrontée ne datent ni de cette année ni de l’année dernière, ajoutant que, en la matière, la responsabilité était collective – même si nous pensons, pour notre part, que la situation s’est aggravée, à bien des égards, ces derniers temps. Or le seul traitement que vous nous proposez est cette innovation législative qui laisse tout le monde dubitatif, y compris dans les rangs de votre majorité, où elle ne suscite pas un enthousiasme débordant.
Vous introduisez les citoyens assesseurs dans la chambre des appels correctionnels ; je ne pense pas, tout de même, que vous fassiez de même pour la Cour de cassation ! Tout le monde vous dit que cette mesure est négative, et même nocive, pour le fonctionnement de notre justice.
Tous les arguments sont respectables et recevables, monsieur le garde des sceaux, mais prétendre que l’opposition contesterait la création des citoyens assesseurs au motif que nous les considérerions comme insuffisamment formés et intelligents pour siéger dans les juridictions relève de la pure démagogie. Le problème n’est pas là ! Les citoyens assesseurs ne seront pas meilleurs que les étudiants en droit ou que les professionnels de la justice et il n’est pas sérieux d’attendre d’eux qu’ils en sachent autant, en vingt-quatre heures, sur un certain nombre de questions judiciaires et juridiques, que ceux qui y ont consacré plusieurs années.
Nous vous l’avons dit parfois avec humour, parfois avec gravité, Robert Badinter vous l’a dit avec toute la conviction et l’expérience qui sont les siennes. Pour ma part, mes trente-sept années de pratique m’autorisent, en toute humilité, à vous dire que vous faites fausse route, que vous n’allez pas dans le bon sens. La présence des citoyens assesseurs dans la chambre des appels correctionnels introduira une complexité supplémentaire et allongera les délais, elle sera extrêmement nocive. Vous rendriez service à la justice en y renonçant.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission des lois a émis un avis défavorable sur ces trois amendements identiques pour des raisons que je prendrai quelques instants à détailler.
On aurait pu éventuellement imaginer que les citoyens assesseurs ne soient présents que dans les chambres des appels correctionnels, dans la mesure où les procès en appel provoquent moins de stress, moins de précipitation et sont empreints d’une plus grande sérénité. Quand bien même cette solution aurait permis de diviser par plus de dix le nombre d’hypothèses visées – on compte annuellement 600 000 décisions de première instance et entre 40 000 et 50 000 décisions d’appel –, nous n’y avons pas donné suite, estimant que limiter la présence des citoyens assesseurs aux procédures d’appel aurait très largement restreint la participation des citoyens à l’expression de la justice pénale.
Il me paraît quelque peu paradoxal que l’on puisse envisager la présence des citoyens assesseurs en première instance, et non pas en appel. Mes chers collègues, comme l’a démontré l’affaire d’Outreau, les décisions des cours d’assises peuvent désormais fort heureusement faire l’objet d’un appel. Imaginez-vous un seul instant que ne siègent que des magistrats professionnels dans les cours d’assises de second ressort ? Rien ne le justifierait. Pareillement, puisque des citoyens assesseurs siégeront en première instance, il faut absolument qu’ils siègent en appel pour connaître des mêmes affaires.
La présence des citoyens assesseurs introduit une solennité supplémentaire et il n’y aurait aucun sens à considérer que, de ce point de vue, la première instance mérite davantage de considération que l’appel.
La question de fond est la suivante : sommes-nous favorables ou défavorables à la présence des citoyens assesseurs ? L’opposition a dit et répété qu’elle y était hostile, cependant que la majorité s’y montre favorable. Nous sommes sur ce point en désaccord. Mais puisque nous avons décidé que ces citoyens assesseurs seraient présents en première instance, bien évidemment ils doivent l’être aussi en appel. Le contraire n’aurait aucun sens.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. M. le rapporteur se livre à un louable exercice pour tenter de nous convaincre, mais je tiens à lui dire que cette question ne relève pas d’un affrontement entre la droite et la gauche ; il s’agit d’une affaire de bon sens.
Monsieur le rapporteur, votre argument consiste à dire que, puisque les citoyens assesseurs vont siéger en première instance, il faut également qu’ils siègent en appel.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Sur les mêmes affaires !
M. Jacques Mézard. Certes, mais pourquoi n’appliquez-vous pas ce raisonnement aux procédures engagées devant les conseils de prud’hommes, les tribunaux de commerce ou les tribunaux paritaires des baux ruraux ? Les représentants professionnels qui siègent dans les formations de première instance siègent-ils également en appel ? Non !
Je disais tout à l’heure que vous « ramiez », mais c’était un compliment Si vous étiez logique, il faudrait engager d’autres réformes, par exemple prévoir la présence de magistrats professionnels au sein des tribunaux de commerce. Ce ne serait pas nécessairement une mauvaise chose… Force est de constater que vous ne voulez surtout pas entendre parler de certaines réformes, cependant que vous en engagez d’autres pour des raisons qui n’ont strictement rien à voir avec le bon fonctionnement de la justice.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 15, 49 et 125 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 est adopté.)
Chapitre III
Participation des citoyens au jugement des crimes et amélioration de la procédure devant la cour d’assises
Section 1
Dispositions relatives au déroulement de l’audience et à la motivation des décisions
Article 6
(Non modifié)
L’article 327 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 327. – Le président de la cour d’assises expose, de façon concise, les faits reprochés à l’accusé et les éléments à charge et à décharge figurant dans le dossier, tels qu’ils résultent de la décision de renvoi. Lorsque la cour d’assises statue en appel, il donne, en outre, connaissance du sens de la décision rendue en premier ressort et, le cas échéant, de la condamnation prononcée.
« Dans son rapport oral, le président ne doit pas manifester son opinion sur la culpabilité de l’accusé.
« À l’issue de son rapport, le président donne lecture de la qualification légale des faits objets de l’accusation. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 16 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L’amendement n° 50 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche.
L’amendement n° 126 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour présenter l’amendement n° 16.
M. Jean-Pierre Michel. L’amendement n° 16 modifie profondément l’article 327 du code de procédure pénale en ce qui concerne le déroulement du procès d’assises.
L’actuel article 327 dispose que le procès d’assises s’ouvre par la lecture de la décision de renvoi – pièce objective – ainsi que, lorsque la cour d’assises statue en appel, des questions posées à la cour d’assises ayant statué en premier ressort, des réponses et de la condamnation prononcée.
Pour des raisons que je comprends mal, l’article 6 tend à remplacer la lecture d’un document objectif par la présentation – « concise », nous dit-on –, du rapport du président de la cour d’assises, rapport qui doit exposer les faits reprochés à l’accusé, les éléments à charge et à décharge tels qu’ils résultent de l’arrêt de renvoi. Lorsque la cour d’assises statue en appel, il expose également le sens de la décision rendue en premier ressort.
Il est précisé que le président ne doit pas manifester son opinion sur la culpabilité de l’accusé. Permettez-moi de souligner que lorsque la cour statue en appel, la culpabilité de l’accusé a déjà été reconnue. Est-ce une opinion ? Je n’en sais rien…
Il est vrai que la lecture de l’arrêt de renvoi, qui comprend beaucoup d’éléments à charge, place souvent l’accusé dans une position très défavorable. On lui assène, dans une lecture monocorde, toutes les charges retenues contre lui.
On peut penser que les dispositions qui nous sont présentées visent à remédier à cette situation. Il était en effet souhaitable d’engager une réflexion sur l’actuel article 327, mais je considère toutefois que cette réflexion n’est pas encore aboutie.
En effet, le président sera placé dans une position très délicate. Ce qui est vrai en correctionnelle le sera plus encore aux assises : les avocats créeront des incidents d’audience en contestant le rapport du président.
Monsieur le garde des sceaux, il ne s’agit en aucun cas de mettre en cause l’impartialité des magistrats. L’impartialité d’un magistrat s’évalue au moment où il rend sa décision. Lorsque le président rédigera son rapport, ses opinions personnelles transparaîtront – il serait difficile qu’il en aille autrement – ne serait-ce que par la présentation qu’il fera du dossier, la manière dont il le traitera, les éléments à charge ou a décharge qu’il retiendra. Il ne s’agit pas de dire que le président n’est pas impartial, il s’agit de reconnaître que son rapport va être contesté.
Nous nous opposons donc à la présentation d’un rapport du président en cour d’assises, comme nous l’avons fait tout à l’heure pour le procès en correctionnelle. Je comprends bien le souhait d’alléger les dispositions actuelles, de ne pas infliger à l’accusé et aux membres de la cour la lecture de l’arrêt de renvoi. Nous considérons toutefois que ce sujet doit donner lieu à de plus amples réflexions, et c’est pourquoi proposons la suppression de l’article 6.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l’amendement n° 50.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cette procédure ne paraît pas adaptée aux assises, où siègent des magistrats professionnels mais aussi des jurés citoyens.
La lecture du rapport peut donner l’impression, voire le soupçon, d’une partialité du président, car le juge d’instruction dans son acte d’accusation, lui, prend parti et motive ses choix.
S’il est vrai que la lecture de l’arrêt de renvoi par le greffier peut placer l’accusé dans une position défavorable dès l’ouverture de l’audience, la nouvelle procédure ne résout en rien cette difficulté. Elle place le président dans une situation fort complexe et ouvre la possibilité, pour chacune des parties, de contester son impartialité dès l’ouverture de l’audience. Le rapporteur a évoqué cette question dans son rapport, qui reprend les propos du président de l’Union syndicale des magistrats mettant en garde contre les risques que comporte la solution proposée.
Monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, je ne peux que vous inviter à revenir sur cette disposition très contestable, et qui sera sans doute très contestée.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 126 rectifié.
M. Jacques Mézard. L’actuel article 327 du code de procédure pénale dispose que, devant la cour d’assises, le président invite l’accusé et les jurés à écouter la lecture intégrale de la décision de renvoi, en d’autres termes, de l’arrêt de renvoi devant la cour d’assises.
Depuis le début de la discussion de ce projet de loi, on n’a de cesse de nous rappeler l’importance de l’oralité des débats. Tous ceux qui ont assisté à une audience de cour d’assises, ou qui ont été jurés, savent que l’oralité est une donnée fondamentale. (M. le garde des sceaux s’exclame.)
Monsieur le garde des sceaux, vous le savez mieux que personne, les jurés ne disposent pas du dossier, mais ils peuvent demander qu’une pièce leur soit lue. L’arrêt de renvoi est parfois très long, certains pouvant atteindre trois cents pages. Les jurés doivent donc faire preuve d’une grande attention.
Avec l’article 6, on propose que la lecture de l’arrêt de renvoi soit remplacée par la présentation d’un rapport oral rédigé par le président de la cour d’assises. Or, la rédaction d’un tel rapport soulève des difficultés, que M. Lecerf expose de manière très objective à la page 72 de son excellent rapport. Permettez-moi d’en citer quelques extraits : « Le rapport oral ne doit pas donner lieu à la manifestation d’une opinion sur la culpabilité de la personne. […] Plusieurs des interlocuteurs de votre rapporteur ont souligné la difficulté de l’exercice auquel devrait se livrer le président afin de ne manifester aucun présupposé sur la culpabilité de l’accusé. [Le] président de l’USM, a fait remarquer que ce rapport exposera le président aux soupçons de partialité de la même manière que l’ancien résumé avant délibération, abrogé en 1881. » Et c’est exact.
Le système actuel n’est certes pas la panacée, il est critiquable, mais le dispositif que vous nous proposez engendrera des difficultés procédurales considérables. Il donnera lieu à de multiples contestations, à juste titre d’ailleurs, de même que la formulation des questions posées au jury.
Nous sommes, ne l’oublions pas, dans le domaine de l’oralité. Les jurés, et c’est bien normal, n’ont pas accès aux pièces écrites du dossier. Dès lors, le rapport oral aura une influence fondamentale sur la première opinion des jurés.
La première chose que regarde un juré d’assises, il faut le reconnaître, c’est la tête de l’accusé, l’impression qu’il donne. Ensuite, vient la lecture de l’arrêt de renvoi. Vous la remplacez par la présentation d’un rapport oral, lequel aura une influence considérable sur la suite des débats. Je ne dis pas que cette influence sera bonne ou mauvaise, je dis simplement qu’elle sera considérable.
Monsieur le garde des sceaux, je me suis efforcé de vous présenter, simplement et objectivement, les risques que peut engendrer votre dispositif.