compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaire :

M. Bernard Saugey.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Organisme extraparlementaire

M. le président. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du Comité de suivi du niveau et de l’évolution des taux d’intérêt des prêts aux particuliers, créé en application de l’article L. 313-3 du code de la consommation.

Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission des finances à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

3

Dépôt d’un document

M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 8 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, l’avenant à la convention passée avec l’Agence nationale de la recherche et relative à l’action « Laboratoires d’excellence », qui a été publiée au Journal officiel du 5 août 2010.

Acte est donné du dépôt de ce document.

Il a été transmis à la commission des finances, à la commission de l’économie ainsi qu’à la commission de la culture. Il sera disponible au bureau de la distribution.

4

Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 29 avril 2011, quatre décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité (nos 2011-121, 2011-122, 2011-123 et 2011-124 QPC).

Acte est donné de ces communications.

5

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le vendredi 29 avril 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-146 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer une gestion effective du risque de submersion marine (deux propositions de loi)
Discussion générale (suite)

Gestion effective du risque de submersion marine

Discussion de deux propositions de loi dans le texte de la commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Bruno Retailleau et de plusieurs de ses collègues et de la proposition de loi de M. Alain Anziani et de plusieurs de ses collègues tendant à assurer une gestion effective du risque de submersion marine (propositions nos 172 et 173, texte de la commission n° 455, rapport no 454, avis n° 423).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi n° 172.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer une gestion effective du risque de submersion marine (deux propositions de loi)
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi n° 172. Monsieur le président, si vous le permettez, je m’exprimerai également en tant que rapporteur de la commission de l'économie, ce qui nous fera gagner du temps.

M. le président. J’accède bien volontiers à votre demande, monsieur l’auteur et rapporteur !

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi n° 172, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Xynthia, malgré son nom à consonance féminine, a été violente, brutale, soudaine. Dans cette nuit du 27 au 28 février 2010, elle a tué une cinquantaine de personnes.

Quand on est Vendéen ou Charentais, et plus généralement, sans doute, quand on est Français, on reste à jamais marqué par ces événements dans son cœur et sa mémoire.

À l’évidence, il y aura un avant et un après Xynthia.

Dans cette triste nuit, la tempête a fait de nombreuses victimes ; des familles ont vu leur vie basculer. Il y a eu aussi des dégâts matériels importants, mais ceux-ci sont réparables. De fait, la reconstruction est en bonne voie, grâce notamment à un formidable élan de solidarité auquel se sont très largement associés l’État – je souhaite le souligner pour l’en remercier –, nombre de personnes physiques et de collectivités territoriales.

Mais rien ne peut remplacer la perte d’une vie humaine, la disparition d’un être cher, car chaque être humain est unique et irremplaçable dans sa singularité irréductible.

Depuis cette nuit de février 2010, nous savons que la France était très mal préparée au risque de submersion marine et que la culture du risque est très largement défaillante dans notre pays. Sans doute est-ce dû au fait que nous vivons, depuis trop longtemps, avec cette fausse idée d’un risque zéro ; fausse, parce que le risque est toujours présent. Nous avons certes pu éliminer la conscience du risque, mais, ce faisant, nous avons porté atteinte à la culture du risque, ce qui est plus grave.

Mes chers collègues, un tel manque de culture du risque s’explique aussi parce que nos sociétés modernes, depuis plusieurs décennies, se sont construites sur cette volonté prométhéenne de domestiquer, à tout prix, la nature. Or cette dernière, vous le savez, bien souvent reprend ses droits.

De cette triste nuit, nous avons reçu des leçons négatives, mais aussi positives. Xynthia a ainsi mis en lumière, si j’ose dire, la remarquable organisation de la chaîne des secours, qui a formidablement bien fonctionné.

Je voudrais, dans cet hémicycle, rendre un hommage tout particulier à ces centaines de femmes et d’hommes sapeurs-pompiers qui ont porté secours et sauvé des vies humaines en mettant en péril leur propre vie.

Pour ce qui concerne la Vendée, il est normal de s’attarder sur le triste bilan de 29 morts. Mais n’oublions pas, si je puis me permettre, dans le cadre de cette comptabilité funeste, les 765 victimes qui auraient pu mourir ou être gravement blessées et qui ont été sauvées par nos sapeurs-pompiers sans qu’un seul d’entre eux ait été touché, alors que tous intervenaient dans des conditions extrêmement difficiles.

Ces femmes et ces hommes ont mis en évidence, voire rappelé, le sens profond du mot qui est sans doute le plus beau et le plus exigeant de notre devise républicaine : je veux parler du mot « fraternité ». Ils lui ont donné un contenu, une signification concrète en allant au secours de leurs concitoyens.

Monsieur le secrétaire d'État, je ne suis pas pompier, vous non plus – même si j’imagine que, au quotidien, vous avez quelques départs de feu à éteindre (Sourires) –, je suis législateur. À ce titre, je me dois d’apporter une contribution en lien avec ma responsabilité.

J’ai toujours considéré que celle-ci était, plutôt que de faire de longs discours d’hommages aux victimes et à leurs familles, de prendre les bonnes décisions pour faire en sorte que les choses bougent. En l’espèce, il importe de veiller à ce que, à l’avenir, Xynthia et ses conséquences dramatiques ne puissent se reproduire en France.

Il doit donc y avoir un avant et un après Xynthia.

C’est en ce sens que le Sénat a agi, sous votre impulsion, monsieur le président. Je veux d’ailleurs vous rendre hommage, car, quelques jours seulement après la tempête, vous nous avez proposé de constituer une mission commune d’information sur le sujet. C’est dans ce cadre que nous avons travaillé, beaucoup travaillé, en menant plus de cent soixante-dix auditions et en nous rendant sur le terrain. Très vite, nous avons rendu public un pré-rapport avec ses premières conclusions, puis, un mois après, dès juillet, publié le rapport définitif, en formulant quatre-vingt-douze propositions.

Le texte qui nous est soumis aujourd'hui est le fruit de ce travail. Il s’agit, je tiens à le souligner, d’un travail d’équipe. Je remercie à cette occasion ceux qui y ont participé – la plupart sont présents dans cet hémicycle cet après-midi –, tout spécialement le rapporteur de la mission, Alain Anziani, qui a lui-même déposé une proposition de loi identique. Ce travail lui appartient tout autant qu’à l'ensemble des membres de la mission. J’espère, en le saluant, ne pas le compromettre auprès des collègues de son groupe !

M. Bruno Retailleau, rapporteur. De temps en temps, il est plutôt rassurant que notre assemblée sache transcender les clivages traditionnels et les différences en termes de géographie politique ou territoriale pour s’unir et avancer dans le bon sens.

M. Roland Courteau. Heureusement !

M. Gérard César. Très bien ! C’est ce qu’on fait pour le vin !

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Bruno Retailleau, rapporteur. Le texte de la commission se fixe deux objectifs, que nous avons articulés autour de quatre axes.

Le premier objectif n’est certainement pas d’ajouter des règles aux règles, car il y en a déjà suffisamment en France. Il s’agit simplement de privilégier une vision plus cohérente et plus globale, pour faire en sorte de mieux combiner les règles de fonctionnement du fameux triptyque – prévention, prévision, protection – et d’aboutir, enfin, à une approche intégrée du risque de submersion marine.

Le second objectif est de faire progresser, en France, la culture du risque. Les mesures prévues, loin d’avoir un caractère purement administratif ou théorique, sont très concrètes et doivent, à terme, du moins je l’espère, changer certains comportements.

J’en viens maintenant aux quatre axes que j’évoquais.

Le premier vise à mieux prendre en compte les risques d’inondation spécifiques au littoral.

Afin d’éviter la multiplication des documents de planification et d’encourager une gestion globale du risque, le texte adopté par la commission intègre la prise en compte des risques littoraux, qui comprennent à la fois les risques de submersion marine et les risques d’érosion, au sein même des documents déjà existants, à savoir les schémas directeurs de prévision des crues, les plans de gestion des risques d’inondation et les plans de prévention des risques, ou PPR.

Le deuxième axe consiste à affirmer très clairement et, si j’ose dire, définitivement, l’existence d’une hiérarchie du risque par rapport à l’urbanisme.

Le texte consacre ainsi pour la première fois dans le code de l’urbanisme la protection des vies humaines comme un objectif général.

Par ailleurs, mes chers collègues, il est prévu de faire coïncider très précisément la carte du risque avec celle de l’urbanisme.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Bruno Retailleau, rapporteur. On l’a vu, un certain nombre de victimes ont pâti d’une urbanisation mal maîtrisée.

Chaque maire aura donc un an pour mettre en conformité stricte les documents d’urbanisme, notamment le plan local d’urbanisme, le PLU, ou encore la carte communale, avec la carte du risque telle qu’elle résulte du plan de prévention des risques.

En outre, la délivrance de permis tacites dans les zones délimitées comme présentant un risque sérieux est interdite. Nous souhaitons aussi donner au préfet les leviers pour faire respecter cette nouvelle hiérarchie : pouvoir de suspension d’un projet de plan local d’urbanisme qui comporterait des dispositions contraires à un plan de prévention des risques approuvé ; pouvoir de substitution à la commune si cette dernière ne modifie pas son plan local d’urbanisme dans le délai d’une année que j’ai mentionné.

On ne peut plus tergiverser et maintenir un angle mort entre le risque et l’urbanisme. Face à la pression foncière et immobilière croissante sur le littoral, il nous faut des outils puissants.

Le troisième axe concerne la problématique des digues, qu’Éric Doligé, ici présent, connaît bien.

Pour aboutir à une gestion efficace des digues, le texte comprend plusieurs dispositions.

Il s’agit d’abord de clarifier le régime de propriété pour envisager, en cas de carence manifeste dans l’entretien des digues, un transfert de propriété publique.

Il s’agit ensuite de prendre exemple sur ce que nous avons vu aux Pays-Bas, où la culture du risque est très développée. Cela suppose de renforcer les moyens de contrôle des ouvrages de défense contre la mer et de rendre obligatoire la remise d’un rapport d’évaluation sur lesdits ouvrages, rapport qui servira de base aux plans d’investissement.

Il s’agit enfin de créer un mécanisme de financement pérenne des lourds investissements effectués dans ce domaine. Le dispositif s’articule aussi bien sur un mécanisme national, grâce au fonds Barnier, que local, grâce à la nouvelle taxe d’aménagement, que vous avez contribué à créer, monsieur le secrétaire d'État, et qui devrait voir le jour l’an prochain.

Le quatrième axe concerne la culture du risque pour sensibiliser les populations.

L’objet de ce texte est simple : il s’agit de faire en sorte que la culture du risque se diffuse du sommet à la base, c'est-à-dire de l’État, des fonctionnaires, des élus, des collectivités territoriales jusqu’à la population.

M. Roland Courteau. Absolument !

M. Bruno Retailleau, rapporteur. Il faut en effet que nos concitoyens puissent adopter les réflexes qui permettront demain, je l’espère, de sauver encore plus de vies humaines.

À cette fin, nous prévoyons plusieurs dispositifs. J’en citerai trois.

En premier lieu, dès lors qu’un plan de prévention des risques est prescrit, et pas seulement approuvé, il est important que la commune mette en place un plan communal de sauvegarde.

En deuxième lieu, il importe d’imposer la tenue régulière d’exercices de simulation dans le cadre des plans communaux de sauvegarde. Si les PCS sont simplement des dossiers rangés sur les étagères et oubliés par les maires, ils ne serviront à rien, si ce n’est à répondre à des impératifs législatifs ou réglementaires.

M. Roland Courteau. C’est sûr !

M. Bruno Retailleau, rapporteur. Nous avons besoin de plans communaux de sauvegarde qui vivent et qui puissent développer leurs effets, notamment en termes de réflexes. Il faut donc prévoir très régulièrement, par exemple, des exercices d’évacuation des zones fortement inondables.

M. Roland Courteau. Absolument !

M. Bruno Retailleau, rapporteur. En troisième lieu, nous proposons d’instaurer une journée nationale de prévention des risques naturels. Cette idée nous est venue lors de la visite d’une délégation japonaise, avant la catastrophe survenue dans ce pays.

Le Japon est en effet l’un des pays, avec les Pays-Bas, qui développe une culture du risque de façon extraordinaire. Nous avons encore pu le constater lors des moments difficiles qu’il a vécus après la triple catastrophe, même si des dizaines de milliers de morts sont à déplorer.

Cette journée de prévention du risque est inscrite dans le calendrier national du Japon depuis le grand séisme du 1er septembre 1923, qui a fait plus de 140 000 morts. Elle est l’occasion de développer une pédagogie vis-à-vis des jeunes, de faire des exercices de prévention et d’évacuation. Sachez qu’elle a porté ses fruits auprès de la population.

Tels sont, mes chers collègues, brossés à grands traits, les quatre axes du texte qui vous est soumis. Je tiens à rappeler que celui-ci est largement le résultat d’un travail d’équipe.

Depuis Xynthia, de nombreuses catastrophes naturelles se sont produites : des inondations meurtrières dans le Var, le 25 juin 2010, de multiples ouragans aux États-Unis et, voilà quelques semaines, le 11 mars 2011, la triple catastrophe au Japon.

Notre société est extrêmement ingénieuse. Il faut en effet se féliciter chaque jour de l’avancée constante des progrès scientifiques. Toutefois, nous devons faire preuve d’humilité face aux transformations que nous imposons trop souvent à la nature.

C’est une certitude : d’autres Xynthia, de nouvelles catastrophes naturelles frapperont le territoire national. Le Centre de recherche sur l’épidémiologie des catastrophes, le CRED, de l’université de Louvain a montré que, pendant ces vingt dernières années, ce type d’événement de phénomène paroxystique avait plus que doublé par rapport aux périodes précédentes.

Nos amis scientifiques néerlandais nous ont montré que, lorsque l’élévation du niveau de la mer était de cinquante centimètres en un siècle – c’est ce qui est prévu pour le XXIe siècle –, les périodes de retour s’accéléraient et qu’un événement centennal avait une période de retour décennale.

Quelques semaines après l’ouragan Katrina aux États-Unis, Barack Obama déclarait : c’était une catastrophe naturelle, mais l’homme en était le complice ! Nous devons donc nous préparer afin de n’avoir jamais plus à prononcer de telles paroles. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, auteur de la proposition de loi n° 173.

M. Alain Anziani, auteur de la proposition de loi n° 173. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette double proposition de loi – je préfère l’appeler ainsi plutôt que de parler de deux propositions de loi – tendant à assurer une gestion effective du risque de submersion marine a d’abord un grand mérite, loin d’être anodin : lutter contre l’oubli ou contre une forme d’oubli, qui s’appelle la banalisation.

Nous sommes toujours menacés par l’oubli. Ce qui nous semblait essentiel à la fin du mois de février 2010, nous avons déjà tendance à en relativiser l’importance au début du mois de mai 2011. Nous prenons en effet en compte le coût des mesures à prendre, la rareté de l’argent public, les sacrifices à consentir, y compris pour ceux qui doivent abandonner leur habitation. Voyant toutes ces contraintes s’accumuler, nous nous concentrons sur les difficultés du moment pour oublier finalement le risque de tempêtes futures en nous disant « nous avons le temps ».

Pourtant, le temps presse !

La tempête Xynthia nous a rappelé avec cruauté, comme Bruno Retailleau l’a souligné, que nos sociétés, même si elles possèdent une technologie hautement développée, restent d’une très grande fragilité face aux catastrophes naturelles.

Selon les chiffres qui viennent de nous être communiqués par le cabinet Ubyrisk, de 2001 à 2010, six cent soixante-dix catastrophes naturelles ont frappé notre pays, soit soixante-sept par an. Parmi elles, nous trouvons non seulement la canicule, notamment celle de 2003, responsable d’un nombre considérable de morts, mais aussi les avalanches, les tempêtes, les inondations, en particulier cette forme spécifique que constituent les submersions marines. Au total, ces événements ont causé la mort de plus de 15 000 personnes pendant cette période.

Ces catastrophes ont également un coût économique considérable : 30 milliards d’euros depuis 2001. J’appelle l’attention de chacun sur le fait que ce coût est nettement supérieur à celui de l’ensemble des mesures de prévention que nous devons envisager de prendre.

Cependant, même s’ils sont déjà considérables, tous ces chiffres sont marginaux si nous les comparons à ceux de l’ensemble des dommages causés dans le monde par des catastrophes naturelles. Pour la seule année 2010, 304 000 morts ont été recensés, et ce sans compter le séisme au Japon. Le coût économique s’est élevé, selon l’assureur Swiss Re, à 218 milliards de dollars pour la même période.

En outre, cela vient d’être dit, ces catastrophes majeures ont tendance à s’accélérer. L’une des causes est bien identifiée : le dérèglement climatique. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, a noté que le niveau moyen de la mer devrait augmenter de neuf à quatre-vingt-huit centimètres entre 1990 et 2100. La fourchette est un peu large, mais la tendance, on le voit bien, est probablement supérieure à un demi-mètre. Les scientifiques néerlandais ont calculé qu’une telle augmentation multipliera les phénomènes météorologiques extrêmes. Selon le chiffre qui nous a été communiqué aux Pays-Bas, une simple élévation de cinquante centimètres du niveau de la mer pourra entraîner dix fois plus d’événements de ce type, le risque centennal devenant un risque décennal.

Nous savons donc que le risque de voir se former une nouvelle tempête Xynthia s’accroîtra dans les années à venir. Un tel phénomène provoquera des dommages de plus en plus importants. La raison, que nous avons soulignée dans le rapport, est simple : le nombre de personnes vivant le long du littoral augmente. Aujourd'hui, près de 40 % de la population mondiale vit à moins de cinquante kilomètres des côtes. En France, le littoral a absorbé un quart de la croissance de la population française, soit deux millions d’habitants, entre 1936 et 1968. Cette tendance va s’accélérer.

Le risque d’inondation est d’ores et déjà le premier risque de catastrophe naturelle en France. Il concerne une commune sur trois, dont mille communes du littoral.

Mes chers collègues, Xynthia, ses dizaines de morts, ses milliers de sinistrés, sa désolation ont provoqué une émotion intense dans notre pays. À mon tour, je tiens à saluer les familles des victimes et à m’associer aux paroles qui ont été prononcées tout à l'heure à l’intention de tous ceux qui ont porté secours à cette population en détresse.

À la demande de M. le président Larcher et du Sénat unanime, notre commission a créé une mission d’information. Je tiens à saluer une nouvelle fois l’esprit dans lequel cette mission a été conduite, à remercier en particulier son président, Bruno Retailleau, qui a déployé une énergie fantastique pour mener à bien des tâches particulièrement difficiles.

M. le président. Tout à fait !

M. Alain Anziani. Je vous rappelle que nous avons abouti à un accord, chose rare, ce qui montre notre sens de l’intérêt général.

Notre rapport dénonce les insuffisances du système d’alerte, la prévision météorologique pas toujours à la hauteur des attentes, la prévention, le droit des sols sans doute pas non plus tout à fait fiable, la gestion des digues méritant certainement une vigilance croissante.

Nous les dénonçons pour une raison simple : si, à l’évidence, nous n’éviterons jamais les catastrophes naturelles, nous avons, nous, la responsabilité, politique dirais-je, de faire en sorte que les dommages causés par ce fléau naturel et ses conséquences puissent être de moins en moins importants.

Notre mission de parlementaires ne doit pas se limiter à rédiger rapports ; elle nous oblige à tirer des conclusions législatives d’une situation. C’est ce que nous faisons aujourd’hui au travers de cette double proposition de loi.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Alain Anziani. À cet égard, je tiens à remercier les deux commissions qui les ont enrichies, la commission de l’économie, que vous présidez, monsieur Emorine, et la commission des lois – j’ai une pensée pour son président, M. Hyest – ainsi que nos deux rapporteurs.

Qu’avons-nous constaté et quelles leçons en tirons-nous aujourd’hui ?

Tout d’abord, un premier constat laisse presque pantois : nous sommes aveugles devant l’évidence. Le risque d’inondation, le premier des risques naturels avons-nous dit, est ignoré dans notre droit. C’est stupéfiant ! Nous avons tellement sous-estimé le risque d’inondation qu’il n’apparaît pas de façon explicite dans notre droit.

Pourtant, la France compte huit cent soixante-quatre communes qui se situent entre zéro et deux mètres au-dessus du niveau de la mer. Dans ces communes, nous n’avons trouvé que quarante-six plans de prévention des risques naturels approuvés, alors que 235 000 maisons y ont été construites.

De même, nous avons été frappés, dans les zones les plus exposées, par la quasi-inexistence des plans communaux de sauvegarde et, s’ils existaient, par la faiblesse parfois de leur contenu, il faut l’avouer.

Nos propositions de loi remédient, je l’espère, à cette déficience de la prévention. Le risque de submersion est enfin intégré dans les différents documents de prévention. Les plans de prévention des risques d’inondation, les PPRI, deviennent obligatoires, de même que les plans communaux de sauvegarde, avec des exercices de simulation.

Ensuite, tout au long de notre mission, nous avons également constaté le développement d’une urbanisation, que je me permettrai de qualifier de complaisance.

Ici ou là, des lotissements ont été construits dans des zones manifestement dangereuses. Dans la cuvette de La Faute-sur-Mer, un plan d'occupation des sols, ou POS, élaboré voilà vingt-cinq ans, classait en zone NA, c'est-à-dire urbanisable à court terme, le secteur qui a connu le plus grand nombre de victimes.

Ailleurs, des maisons ont été édifiées sans permis ou, dans quelques cas, sur le domaine public maritime de l’État, toujours directement en front de mer, c’est-à-dire dans la zone la plus exposée au risque. Cent cinquante maisons ont été ainsi illégalement construites dans le secteur de la Pointe sur la commune de L’Aiguillon-sur-Mer.

L’article 4 du texte rompt avec un droit de l’urbanisme aveugle sur l’essentiel. La protection des vies humaines devient une condition du droit de construire.

Cet objectif s’accompagne de mesures simples : plus de permis tacites dans les zones à risque ; mise en conformité des plans locaux d’urbanisme, des cartes communales et des schémas de cohérence territoriale, les SCOT, avec les plans de prévention des risques d’inondation, qui occupent désormais une place primordiale dans la hiérarchie des normes ; pouvoirs donnés au préfet pour faire appliquer ces règles en cas d’inaction des responsables locaux.

L’État devra toutefois se donner les moyens d’assurer un contrôle de légalité, lequel est souvent devenu, pour des raisons budgétaires, une véritable « passoire », pour reprendre une expression qu’il nous est arrivé d’entendre. La vérité est là : entre 2000 et 2009, les représentants de l’État en Vendée et en Charente-Maritime n’ont effectué que quarante-neuf recours devant le juge administratif, c’est-à-dire moins de 0,01 % de la totalité des cas de recours.

Notre troisième grande proposition porte sur les ouvrages de protection.

Nous connaissons tous le débat sur les digues. Selon nous, la digue n’est pas une protection absolue.

M. Roland Courteau. C’est bien de le rappeler !

M. Alain Anziani. Ce serait une erreur de penser que, à elle seule, elle annulerait tout risque. Elle n’est pas davantage un moyen d’échapper à la délimitation de zones non constructibles ou même à la destruction d’habitations exposées à un risque mortel. La digue, comme les dunes, sont pour nous des solutions nécessaires, mais non suffisantes.

La mise en œuvre de cette solution nécessite d’identifier qui est propriétaire de l’ouvrage, car nous savons qu’il existe des digues orphelines, qui le gère et selon quelles normes – des normes qu’il nous appartiendra de définir ! –, qui le contrôle et, comme toujours, qui finance.

Je crois que nos deux propositions de loi comportent sur tous ces points des avancées significatives, notamment en favorisant les mécanismes de transferts de propriété des digues abandonnées.

Reste la question primordiale du financement. Selon nos estimations, un kilomètre de digue nécessite 1 million à 2 millions d’euros.

Nous avons proposé d’accroître les ressources du fonds Barnier. Le Gouvernement vient de nous opposer, au travers d’un amendement, que ces ressources étaient suffisantes. J’espère qu’elles le seront durablement et qu’elles éviteront de recourir aux contributions locales, ce qui a été le cas au cours des dernières années. Sans doute nous fournirez-vous toutes les précisions nécessaires à cet égard, monsieur le secrétaire d’État.

De même, je constate que l’idée de moduler le taux de la future taxe d’aménagement en fonction de l’exposition au risque a fait l’objet de critiques, dont je comprends le sens. Selon ses détracteurs, elle ne serait pas en accord avec le principe de solidarité.

Je rappelle que cette idée nous vient des Pays-Bas, où cette modulation des ressources, et donc des prélèvements, en fonction des risques est appliquée de façon bien plus systématique que ce que nous proposons.