Mme Colette Mélot. Absolument !
Mme Anne-Marie Escoffier. Et ce devoir est absolu, incontournable lorsque la science s’intéresse non plus seulement aux choses, à la nature, mais à l’homme dans son essence même.
C’est là tout l’objet de l’éthique, dont la bioéthique n’est que l’une des formes, mais une forme qui touche à un enjeu d’humanité et met en cause, au plus profond de nous, notre conception de la vie. C’est un débat difficile – le plus difficile de tous – auquel nous sommes aujourd’hui confrontés, car, en ce domaine, il n’est pas de vérité.
Chacun des points de vue exprimés dans cette Haute Assemblée est respectable. Il est le reflet de la perception que l’on a du sens de la vie. Il est l’expression de notre conscience. Dès lors, notre devoir de parlementaire n’est-il pas d’inscrire dans une sorte de code de déontologie des principes pour ainsi dire universels, partagés, en faisant abstraction des techniques par définition évolutives, adaptables, qui contraindraient le législateur à un travail récurrent de mise à jour ?
C’est, me semble-t-il, le parti pris avec sagesse depuis la loi de 1994 qui a reconnu la primauté de la personne humaine et « le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».
Le principe de dignité de la personne humaine est le fondement même de la loi de bioéthique, revue une première fois en 2004 et soumise à une nouvelle révision aujourd’hui.
C’est d’ailleurs à ce titre que, fort opportunément, le premier article du texte de la commission – l’article 1er A – autorise la ratification de la convention du Conseil de l’Europe signée à Oviedo en 1997 et protège ainsi l’homme d’une application incontrôlée de la biologie et de la médecine.
Il n’en reste pas moins que se pose le problème grave de la distorsion entre les législations et réglementations des différents pays qui ne partagent ni les mêmes façons de penser ni les mêmes modes d’action. De là les dérives, dont nous avons déjà de trop nombreux exemples, que constituent la marchandisation des organes, voire du corps, le tourisme procréateur. De là, aussi, le risque, souvent évoqué, d’eugénisme lorsque l’homme joue au démiurge.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Eh oui !
Mme Anne-Marie Escoffier. Le texte présenté par le rapporteur de la commission des affaires sociales et par le rapporteur pour avis de la commission des lois s’attache à trouver la voie médiane, juste, entre une attitude par trop conservatrice et une attitude progressiste à l’excès, hardie, répondant à certaines actions appuyées de lobbying, portées par une société qui me paraît parfois en perte de repères. Je n’en examinerai ici que quelques dispositions.
Si, aujourd’hui, le don d’organes et de moelle osseuse ne fait plus débat, assis sur le double principe de gratuité et d’anonymat, en revanche, le don de gamètes et d’ovocytes pose la difficile question, derrière l’aspect génétique, de l’hérédité et de l’héritage. À mon sens, la raison – mais s’agit-il bien là de raison ? – voudrait que ce don restât anonyme, pour que soient protégés tant le receveur que le donneur, mais en évitant au demeurant que, si cet anonymat est levé à la demande du receveur à sa majorité, le nombre des donneurs ne diminue dangereusement, risque que certains ont évoqué.
S’agissant des tests génétiques et de la médecine prédictive, le texte proposé me paraît avoir trouvé un juste équilibre parce qu’il prévoit un encadrement clair et laisse toujours à la personne concernée la liberté de sa décision : savoir ou ne pas savoir, être ou non informée des risques encourus si une anomalie génétique grave devait être décelée.
Juste équilibre, mais équilibre fragilisé par le sens donné aux formules « anomalie génétique grave » et « affection d’une particulière gravité » dans le diagnostic prénatal, selon que l’on se place du point de vue du patient ou de celui du médecin prescripteur. Chacun de nous a vécu ou connu des situations qui ne prenaient ni la même intensité ni la même gravité selon la place ou le rôle occupé. Et comment s’indigner de l’attitude de tel médecin prescripteur qui, soumis à la « mode » de la judiciarisation galopante, prend des précautions pouvant sembler abruptes ? Là encore, aucune vérité absolue : à chacun de se déterminer en conscience, librement.
Tout aussi difficile est le débat sur les cellules souches embryonnaires, qui font actuellement l’objet d’un régime d’interdiction assorti de dérogations.
Comment renoncer à traiter certaines maladies – Parkinson, diabète – grâce à une médecine régénératrice, reconstituant, au moyen de cellules souches, des organes défaillants ou des tissus ayant subi des lésions ? Ne revient-il pas à la recherche médicale d’essayer par tous les moyens de faire reculer ces maladies ?
Les cellules souches embryonnaires ont commencé à révéler leurs potentialités. S’arrêter au milieu du gué, ce serait condamner des avancées médicales dont on a déjà pu mesurer les bienfaits.
Le régime d’autorisation encadré par le texte, même s’il est loin de répondre au problème du statut de l’embryon, apporte des garanties auxquelles je peux adhérer.
J’en viens au douloureux problème de la gestation pour autrui. Douloureux parce que, je ne l’ignore pas, il existe des cas de maladie ou d’accident qui interdisent à des femmes d’être mères, ou plutôt de porter l’enfant du couple qu’elles forment avec leur conjoint.
Pour ces femmes, et sous des conditions strictes, il pourrait paraître légitime – ou du moins ne pas paraître illégitime – d’admettre le principe de la gestation pour autrui. Cependant je ne peux, en conscience, accepter le principe de ce contrat portant location d’utérus à des fins procréatrices, qui remet en cause la dignité de la mère porteuse, qui l’instrumentalise, en fait un outil vivant. Je m’interroge sur les conséquences de cette forme de commercialisation du produit humain, sur les marques, peut-être indélébiles, que pourrait laisser cette pratique dans la conscience de la mère porteuse. Quelles conséquences aussi sur l’enfant lui-même : qui est sa mère ? Quelle est, au juste, sa filiation ?
Je crois sage la position de la commission lorsqu’elle a choisi d’écarter les deux amendements « progressistes » qui auraient permis le recours à cette technique, une technique dont l’utilisation aurait pu être élargie à d’autres bénéficiaires.
Je pense que la commission a aussi été sage en voulant protéger la dignité des personnes et en remettant l’humain au cœur du débat, pour ne pas laisser la place première à la science seule.
Enfin la commission des affaires sociales et la commission des lois ont encore fait preuve de sagesse en faisant en sorte de garantir, dans le texte proposé, le développement intégral de l’homme. Ce développement exige de nous lucidité et responsabilité, deux qualités qui, je n’en doute pas, sont au cœur de notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voter les lois de bioéthique est une grande fierté pour un parlementaire, mais c’est aussi un grand défi.
Voilà maintenant vingt-huit ans que la bioéthique fait partie de notre quotidien, depuis la création du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Toutes nos sociétés sont concernées.
Certaines nations ont fait le choix d’une approche éthique moins exigeante et moins régulatrice que la nôtre. En effet, dans ce domaine, il n’existe pas de consensus international. La France, quant à elle, a pris le parti de respecter certaines valeurs essentielles qui cimentent notre société.
En effet, la bioéthique, la « morale du vivant », touche à l’intime conviction de chacun, et nous nous devons d’être prudents sur des sujets tels que le don croisé d’organes, la recherche sur l’embryon et les cellules souches, le diagnostic prénatal, la levée de l’anonymat, la conservation de gamètes et d’embryons, le transfert post mortem d’embryons ou encore la gestation pour autrui.
Les avancées scientifiques et les développements rapides des techniques médicales fascinent, et ce projet de loi suscite de grandes attentes, parfois contradictoires.
Nous devons donc, à travers notre législation, affirmer un certain nombre de valeurs, qui ne peuvent relever du « moins-disant » éthique, indépendamment de ce qu’autorisent nos voisins étrangers.
La prudence est requise sur tous ces sujets – par exemple, sur celui de l’euthanasie, qui a récemment déclenché de grands débats –, et l’actualité nous le rappelle parfois de façon dramatique.
Prudence, donc ! Mais sachons aussi, pour nos compatriotes, rester audibles.
Dans le temps qui m’est attribué, je ne développerai pas tous les thèmes de cette révision, révision pour laquelle nous serons amenés à nous retrouver de plus en plus fréquemment étant donné les nécessaires ajustements consécutifs aux avancées scientifiques importantes.
En tant que jeune parlementaire, mais aussi en tant que jeune père de famille, je vais m’efforcer de relayer, notamment, les attentes, très souvent fort douloureuses, de tous ces couples en désir d’enfant.
Je m’attacherai tout d’abord à la question de la procréation médicalement assistée. Actuellement, 20 000 enfants sur 800 000 naissent grâce à cette technique. Cela est loin d’être négligeable. Il peut s’agir d’insémination ou de fécondation in vitro, éventuellement avec don de sperme ou d’ovocytes. J’insisterai sur la possibilité d’autoriser – dans des limites temporelles très précises – le transfert d’embryon après le décès brutal du père, dès lors que celui-ci avait préalablement donné son consentement et qu’un processus de transfert, correspondant à un véritable projet parental d’assistance médicale à la procréation, était entamé.
Certains objecteront qu’une telle mesure conduit à « faire naître des orphelins », des enfants sans père. Reconnaissez néanmoins que ces enfants ne seraient pas seuls à être élevés dans une famille monoparentale et que bien d’autres enfants se retrouvent sans père.
Un enfant né dans de telles conditions reste l’enfant de l’amour de la mère et du père décédé, et un enfant peut se construire autour d’un père absent. Un père décédé est encore un père et il demeure une référence pour l’enfant.
Dans un avis très récent, le Comité consultatif national d’éthique affirme que « dans le cas du transfert d’un embryon conçu du vivant du père, le futur enfant a déjà une forme d’existence procédant des deux membres du couple ». Cette forme d’existence est bien différente de celle d’un enfant à naître dont la conception procéderait de l’utilisation post mortem du sperme d’un père mort depuis plus ou moins longtemps.
Enfin, lors des états généraux de la bioéthique, nos concitoyens ont qualifié l’actuelle impossibilité de transfert de « violence », estimant que « l’autorisation donnée à une femme de poursuivre une grossesse est apparue comme une évidence ».
La commission spéciale de l’Assemblée nationale a proposé d’ouvrir cette possibilité et elle a été suivie par les députés en première lecture. Je soutiendrai donc un amendement tendant à rétablir l’article 20 bis.
Je souhaite également insister sur le principe du maintien de l’anonymat relatif au don de gamètes, anonymat qui prévaut également pour les dons d’organes.
À ce jour, 50 000 personnes sont nées à partir de gamètes provenant de donneurs. Il ne faudrait pas, en revenant sur l’anonymat, même de façon partielle comme cela est aujourd’hui proposé, installer une sorte de discrimination entre les enfants ayant accès au nom de leur donneur et ceux qui, du fait du refus de ce dernier, n’y auraient pas accès.
Les conséquences de la levée de l’anonymat ne se résument pas à une chute prévisible du nombre donneurs. En effet, la préoccupante question du secret demeure. Alors que, dans le système actuel, moins d’un quart des enfants conçus à partir d’un don de gamètes sont informés de leur mode conception, on peut présumer que, dans le cas d’une levée de l’anonymat, les parents renonceront à livrer cette information à leur enfant.
Si le principe de l’anonymat est sans doute imparfait, il permet d’éviter des dérives et des conduites non éthiques. Je salue donc la position de la commission des lois sur le maintien de la suppression des articles 14 à 18, relatifs à la levée partielle de l’anonymat des donneurs de gamètes. Je proposerai également des amendements en ce sens puisque la commission des affaires sociales, saisie au fond, s’est prononcée dans un sens différent.
S’agissant du don d’organes, force est de constater le manque récurent de greffons. Ainsi, en 2010, faute de greffe, 277 patients sont décédés alors que seulement 28 % des Français ont spécifiquement exprimé leur refus de prélèvement.
La loi autorisant le don n’est pas bien appliquée, notre population n’est pas suffisamment informée, alors même que le principe de la transplantation est largement accepté.
Comme l’a signalé notre collègue député le professeur Jean-Louis Touraine, par ailleurs président de France transplant, qui n’a pas le souvenir d’un seul patient ayant opposé une réflexion philosophique lorsqu’une greffe lui a été proposée, nul n’est contre la transplantation quand il s’agit d’en bénéficier !
Or les circonstances dramatiques dans lesquelles la famille est appelée à faire éventuellement part d’un refus de don – exprimé de son vivant par la personne décédée – la conduisent souvent à prononcer un refus, et cela, parfois, sans doute, en contradiction avec la volonté du donneur potentiel.
Faciliter les dons croisés d’organes entre personnes vivantes et encourager le don d’organes reste donc une priorité.
Je parlerai rapidement de la gestation pour autrui, interdite en France. Le rapport publié en 2009 par le Conseil d’État insistait sur les dérives contraires aux droits de l’enfant qu’elle sous-tend.
Le 10 mars 2009, l’Académie de médecine s’est prononcée contre la législation des mères porteuses, alors qu’un rapport d’information du Sénat, établi en 2008, s’y déclarait favorable, sous réserve d’un encadrement très strict, et que le Comité consultatif national d’éthique estimait, en mai 2010, que la gestation pour autrui comportait des risques éthiques qui ne seraient abolis par aucun garde-fou législatif.
Je me félicite donc que cette disposition, pour des raisons évidentes de non-marchandisation du corps de la femme, ne figure pas dans le texte de la commission. Vous l’avez rappelé tout à l’heure, madame le secrétaire d’État.
Toutefois, cette interdiction française n’empêche pas les dérives et pousse à une sorte de « délocalisation procréative » qui n’est pas exempte de risques
La décision qui sera rendue demain par la Cour de cassation sur la retranscription de l’acte de naissance de deux petites filles nées d’une mère porteuse aux États-Unis est donc très attendue. Il faudra bien un jour trouver un cadre juridique pour les enfants nés de cette manière, car ils sont bel et bien là ! Quid de leur état civil ?
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Antoine Lefèvre. S’il est vrai que les questions de bioéthique font appel à des principes et des convictions qui dépassent les clivages partisans, abordons cette révision dans le respect de l’avis de l’autre, avis qui se nourrit souvent des expériences humaines de chacun.
Pour ma part, je souhaite que ce texte puisse réunir le plus large des consensus. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique, que le Sénat entame cet après-midi, nous place loin des divisions politiques classiques qui opposent, sur de nombreux sujets, une droite conservatrice et une gauche moderniste. Il ne s’agit pas, ici, de raisonner par réflexe idéologique ou tradition partisane. Le débat qui nous anime est d’une tout autre nature : il s’agit de nous interroger sur la conception que nous nous faisons de l’homme et, en premier lieu, du fragile embryon humain.
Le texte qui nous est soumis appelle d’abord une réflexion générale. Depuis 1994, le législateur ne s’est pas départi d’une conception utilitariste de l’embryon humain. Cette conception le conduit à distinguer entre les embryons qui répondent à un projet parental et ceux que n’accompagne pas un tel projet, vulgairement appelés « embryons surnuméraires », comme s’ils étaient « en trop » pour l’humanité. Les uns, destinés à voir le jour, sont considérés comme des êtres humains, alors que les autres vont devenir, demain plus encore qu’en 2004, des matériaux de recherche pour les scientifiques. Dans les deux cas, pourtant, il s’agit bien, à la base, d’un même embryon humain.
Le critère de distinction entre ces deux catégories d’embryons est purement subjectif et tient au projet que leurs parents conçoivent pour eux. Est-il acceptable, dans une démocratie digne de ce nom, que l’humanité d’un être dépende d’un regard subjectif autorisé par le bon vouloir du législateur ? Au nom de quel principe un être humain, fût-il législateur, peut-il décider de nier l’humanité et les droits élémentaires de toute une catégorie d’êtres, sous prétexte que ce sont des embryons et ne répondent pas, ou plus, à un projet parental ?
La grandeur de la civilisation ne consiste-t-elle pas, au contraire, à reconnaître la dignité inaliénable et intangible de chaque être humain, quel que soit le «projet » que d’autres ont formé pour lui ?
Je ne peux, à cet égard, m’empêcher d’évoquer un rapprochement qui me vient à l’esprit. Il s’agit de la chosification, dans nos anciennes colonies, jusqu’en 1848, d’une autre catégorie d’êtres humains, du fait du «projet social » que d’autres avaient conçu pour eux et malgré eux.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Très bien !
Mme Anne-Marie Payet. Comme le soulignait à l’époque Victor Schœlcher à propos de l’abolition de l’esclavage, « la République n’entend plus faire de distinction dans la famille humaine. Elle ne croit pas qu’il suffise, – pour se glorifier d’être un peuple libre –, de passer sous silence toute une classe d’hommes tenue hors du droit commun de l’humanité. Elle a pris au sérieux son principe… Par là, elle témoigne assez hautement qu’elle n’exclut personne de son éternelle devise : Liberté, Égalité, Fraternité. »
Ces phrases auraient-elles perdu de leur actualité ? On pourrait être conduit à le penser !
Prenons, par exemple, le cas du « bébé médicament », qui n’est plus voulu pour lui-même, mais pour sa compatibilité génétique avec un frère ou une sœur malade déjà né. Imaginez les réactions psychologiques d’un enfant à qui l’on annoncerait que son patrimoine génétique ne doit rien au hasard, mais tient au fait que son cordon ombilical était recherché pour soigner son frère !
L’interrogation demeure aujourd’hui ! L’être humain ne peut être voulu que pour lui-même, et non d’abord parce qu’il répondait hier à un « projet social » et qu’il répond aujourd’hui à un « projet parental » ou à un « projet » de guérison d’un frère ou d’une sœur !
Venons-en maintenant au cœur du projet de loi.
Deux dispositions, modifiées par la commission des affaires sociales du Sénat, ont particulièrement retenu mon attention. Il s’agit, d’une part, de l’extension de la proposition du diagnostic prénatal et, d’autre part, de l’autorisation de la recherche sur les embryons.
La commission des affaires sociales du Sénat a rejeté l’amendement sur le dépistage prénatal voté par l’Assemblée nationale, qui dispose que les médecins proposent le dépistage prénatal aux femmes enceintes « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». Supprimer cette dernière limite revient à soutenir que les médecins sont tenus de proposer ce dépistage prénatal à toutes les femmes enceintes, de façon systématique.
Juridiquement, cela instaure un eugénisme d’État ! En effet, on inscrit dans la loi un élément de contrainte qui s’imposera aux médecins à une étape déterminante du dispositif. Il est important d’avoir à l’esprit que 96 % des fœtus diagnostiqués porteurs de trisomie 21 donnent lieu à une interruption médicale de grossesse et que le prélèvement du liquide amniotique à travers l’abdomen provoque deux fausses-couches d’enfants « normaux » pour une trisomie dépistée !
L’obligation, pour les médecins, d’organiser un dépistage prénatal induit une problématique d’eugénisme particulièrement aiguë, après quinze ans de pratique pour la trisomie et, aujourd’hui, en raison de la mise au point permanente de nouveaux tests ainsi que de la volonté de prévenir tout risque.
La trisomie 21 est particulièrement visée par ce dépistage. On signifie donc aux futures mères et à toute la société qu’il serait insupportable d’assumer la maternité d’un enfant atteint de trisomie 21 ! Quel signal envoyons-nous alors aux familles qui ont fait le choix d’accueillir un enfant trisomique ! Cette évolution pourrait être la source d’une tragique stigmatisation de ces personnes !
Imaginez que le dépistage prénatal existe depuis longtemps et que l’on ait ainsi pratiqué au cours des siècles passés cette sélection de l’enfant sans maladie. De grands génies comme Mozart, atteint du syndrome de la Tourette, Beethoven, atteint de la maladie de Paget, ou encore Lincoln et Mendelssohn, victimes du syndrome de Marfan, et bien d’autres auraient été éliminés avant même de voir le jour ! Aujourd’hui, à chaque jour qui passe, c’est Mozart qu’on assassine, non pas musicalement mais physiquement !
Imagine-t-on parvenir à ce « meilleur des mondes » que dépeint si bien Aldous Huxley sans nous amputer d’une grande part de notre humanité, du génie de certains et de l’apport considérable d’autres ? Et tout cela au nom de l’efficacité économique, du refus de la faiblesse ou, pis, du confort ?
Je ne peux pas ne pas vous renvoyer à l’article 16-4 du code civil, aux termes duquel « toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite ».
S’agissant de la recherche sur les embryons, la commission a voté le passage d’un régime d’interdiction avec dérogations à un régime d’autorisation. Ce choix signe une rupture radicale avec le choix de la France de respecter la vie et la dignité de l’embryon humain dès le commencement de son développement. L’article 16 du code civil dispose que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».
Si l’on veut prendre les problèmes à leur source, il faut réduire le nombre d’embryons « surnuméraires », car les chercheurs justifient leur utilisation à des fins de recherche en arguant de l’inutilité de ces embryons dans les congélateurs des CECOS dès lors qu’ils ne répondent plus à aucun «projet parental ». N’effectuer aucune congélation et réimplanter immédiatement les embryons artificiellement fécondés me paraît constituer la solution la plus sage. J’ai déposé des amendements en ce sens.
Le législateur ne se donne-t-il pas un pouvoir illimité sur l’être vivant ? Le philosophe Jürgen Habermas, dans son ouvrage L’Avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral, met solennellement en garde l’Occident contre une telle dérive : « Doit-on laisser les sociétés réguler notre destin génétique ? »
Pour ma part, mes chers collègues, je vous invite à réfléchir en conscience aux enjeux éthiques que recèle un tel projet. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, mes chers collègues, comme l’ont dit tous les intervenants qui m’ont précédé, ce débat est difficile, car le parlementaire doit à la fois concilier des impératifs souvent contradictoires et trancher. Le choix sera peut-être douloureux pour tel ou tel d’entre nous, mais notre devoir est de nous abstraire des conditionnements aliénants que notre vie, notre éducation, nos convictions religieuses ou nos origines nous imposent souvent, pour appréhender l’intérêt général.
En l’occurrence, la recherche de l’intérêt général par le législateur trouve son origine, me semble-t-il, dans le progrès scientifique et médical qui nous épouvante souvent, mais aussi dans l’évolution de la société, au sein de laquelle des demandes nouvelles, des débats inédits, liés à ce progrès, surgissent et nous interpellent vivement.
La question de savoir si le progrès technique en matière médicale est synonyme de progrès humain a été tranchée depuis longtemps : par la négative.
Il nous appartient donc d’encadrer, en tenant compte des attentes de la société, des possibilités nouvelles qui s’offrent à nous et de nos valeurs communes, notamment l’intérêt de l’enfant à naître.
Pour ma part, je pense qu’il n’existe pas un droit à l’enfant, mais plutôt le droit pour des enfants d’avoir une famille, et il me semble que l’adoption peut être une réponse pour de nombreux couples en détresse. (Mme Bernadette Dupont applaudit.)
Mme Marie-Thérèse Hermange. Très bien !
M. Jean-Pierre Michel. Je me bornerai ici à évoquer des questions tournant autour de la procréation médicalement assistée au sens large, c’est-à-dire la venue au monde d’enfants par des voies qui ne sont pas considérées comme naturelles.
Mes positions suivront un double fil conducteur.
Tout d’abord, j’ai toujours pensé que ce qui différenciait essentiellement l’homme, l’homo sapiens, des autres animaux, c’est qu’il s’inscrit dans une lignée, qu’il connaît ses origines : il doit donc pouvoir les connaître. Je suis par conséquent favorable à la levée de l’anonymat en ce qui concerne le don de gamètes.
J’entends bien les objections mais, pour moi, elles se heurtent au principe fondamental que je viens d’énoncer. Je ne crois pas, contrairement à Mme Françoise Héritier, que l’éducation seule peut structurer la personne. La filiation n’est pas seulement un acte de reconnaissance sociale, c’est aussi un acte biologique.
Soyons francs : si une grande majorité de personnes se prononcent contre la levée de l’anonymat, c’est peut-être parce que celui-ci est le principe pervers sur lequel repose l’ensemble des lois de bioéthique, (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)…
Mme Marie-Thérèse Hermange. Exactement ! Bravo !
M. Jean-Pierre Michel. … notamment les dispositions concernant la procréation médicalement assistée.
Je n’accepte pas le postulat de l’anonymat. J’entends les demandes angoissées de ceux qui, sans pour autant vouloir transformer leur cercle familial, cherchent à savoir d’où ils viennent et je suis convaincu que l’on ne peut construire une société sur le mensonge et la dissimulation.
À cet égard, le Conseil d’État, dans son avis de 2009, a dit mieux que moi ce qu’il fallait en penser. Il s’agit principalement d’une démarche tendant à mieux se construire personnellement et psychologiquement, non dans le but d’avoir un autre père ou une autre mère, mais pour ne pas vivre dans l’ignorance ou le mensonge. Je crois que l’on peut souscrire à cet avis.
Ma position sur la procréation médicalement assistée a été dictée en grande partie par ce que je viens de dire. D’ailleurs, lors du vote sur la première loi de bioéthique, à l’Assemblée nationale, j’avais déjà voté contre la procréation médicalement assistée avec un tiers donneur.