M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les lois de bioéthique sont à la frontière du philosophique et du juridique. En effet, la biomédecine permet d’agir sur les fondements mêmes de la vie que sont le génome et l’embryon. Ces matières, qui échappent au tout-modélisable, au tout-conceptualisable, renvoient chacun d’entre nous aux limites de ses propres connaissances à un moment donné. Cette situation impose, plus qu’en toute autre matière, une grande vigilance de chacun afin de ne pas confondre le droit et la morale, l’intime conviction et les règles souhaitables compte tenu de l’état de la société.
Le double diagnostic préimplantatoire est un exemple emblématique de la réflexion que nous avons à mener. La morale – certains diraient l’éthique – commande d’en terminer immédiatement avec l’appellation et avec la pratique des « bébés-médicaments ». Le droit est sans doute plus nuancé : la technique doit pouvoir être permise comme ultime recours, mais uniquement comme tel. Et je me réjouis que, grâce à notre collègue Anne-Marie Payet, cette précision clé ait été apportée lors de l’examen en commission.
Le double diagnostic préimplantatoire n’est qu’un exemple. Plus généralement, pour se livrer à cet exercice à la fois fondamental et malaisé de législation, la France s’est dotée d’outils uniques au monde : les lois de bioéthique, dont voici la troisième génération.
Notre pays apparaît pionnier en la matière et nos lois de bioéthique sont reprises en droit international dans la convention d’Oviedo. Nous ne pouvons que nous réjouir que, sur l’initiative de notre commission des affaires sociales, le Parlement puisse – je l’espère – autoriser la signature de cette convention dans le présent texte.
Avec les lois de bioéthique, la France, contrairement à d’autres pays qui refusent d’approfondir la réflexion, prend le problème à bras-le-corps, ce qui est tout à son honneur, en posant les grands principes avec lesquels nous ne souhaitons pas transiger.
En tant que législateur, notre tâche est d’aider la recherche et la médecine à avancer sans porter atteinte à l’inviolabilité de l’humain, ce qui implique – les orateurs, dans leurs diversités, l’ont tous dit – que l’on ne puisse ni tout faire ni tout laisser faire. Tel est le principe qui gouvernera la façon dont le groupe Union centriste appréhendera le texte.
C’est ainsi que nous nous opposerons, comme 1’a fait la commission, au transfert d’embryons post mortem, ne serait-ce que dans l’intérêt de l’enfant. Après les « bébés-médicaments », nous ne voulons pas voir arriver – disons-le clairement – les « bébés-souvenirs ».
Bien sûr, une fois les grands principes posés, pour savoir exactement où placer le curseur, des divergences peuvent se faire jour au sein de notre groupe, comme au sein d’autres groupes d’ailleurs. En effet, les questions de bioéthique transcendent les clivages politiques traditionnels.
Ainsi en est-il de la question de la levée de l’anonymat du don de gamètes. Au sein de notre groupe, des voix, comme celle de Roselle Cros, s’élèveront pour défendre la position originelle du Gouvernement. D’autres soutiendront celle de l’Assemblée nationale ; d’autres encore celle de la commission des affaires sociales. Pour ma part, je m’exprimerai plutôt en faveur du maintien de l’anonymat.
Les opinions seront également diverses sur des sujets aussi sensibles que la gestation pour autrui ou la recherche sur l’embryon. À titre personnel, je ne suis pas favorable à la gestation pour autrui et je suis enclin à conserver le principe de l’interdiction de la recherche sur l’embryon, assorti d’exceptions. Mais, je le dis à l’intention des membres de mon groupe, en particulier de Mme la présidente de la commission des affaires sociales, cette position n’engage que moi.
Il est en revanche certains sujets importants sur lesquels les centristes parleront d’une seule voix. Ainsi sommes-nous favorables au droit à l’information concrétisé par la procédure d’information de la parentèle. Ainsi sommes-nous favorables, comme je l’ai déjà indiqué, à l’interdiction du transfert d’embryons post mortem.
Nous sommes également favorables à l’élargissement du cercle des donneurs, compte tenu de la pénurie d’organes vitaux, comme nous sommes favorables aux dons croisés. L’élargissement du cercle des donneurs vivants aux personnes qui ont un lien affectif étroit et stable avec le receveur est évidemment plus problématique. Mais, tel qu’il est encadré, il ne devrait cependant pas poser de difficultés.
Pour conclure, j’aborderai un point beaucoup moins éthique et plus technique : l’ordonnance relative à la biologie médicale,…
M. Guy Fischer. C’est d’actualité !
M. François Zocchetto. … qui n’a été que peu évoquée jusqu’à présent. Notre groupe soutient la démarche de la commission des affaires sociales du Sénat, laquelle a supprimé l’article qui en portait abrogation.
En effet, même si l’ordonnance pose certains problèmes réels, mais également bien identifiés, elle ne mérite pas d’être abrogée dans son entier. D’ailleurs, le Gouvernement s’est engagé – j’espère, madame la secrétaire d'État, que vous nous le confirmerez – à répondre, dans les plus brefs délais à toutes les questions que cette ordonnance a fait naître.
Nous voulons éviter la financiarisation et la concentration excessive des laboratoires entre les mains de certains groupes intéressés.
M. Guy Fischer. Cela fait plaisir à entendre !
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. François Zocchetto. Sur ce sujet, nous voulons obtenir des assurances du Gouvernement.
Il ne me reste plus qu’à rendre hommage au remarquable travail fourni par la commission des affaires sociales, qui a préparé ce débat fondamental très en amont en y associant tous les parlementaires dans leur diversité. La présidente de la commission, Muguette Dini, et le rapporteur, Alain Milon, ont su, au-delà de leurs propres convictions, faire vivre un débat dans lequel chacun semble avoir trouvé sa place. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Au moment où le pacte entre l’homme, la nature et la technique est brisé à l’autre bout du monde, nous voilà, monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, convoqués pour nous prononcer sur la maîtrise du vivant. Convoqués moins par vous, monsieur le président, que par la science, comme si celle-ci avait besoin de scribes exigeant des prescriptions légales et se retranchant derrière l’autorité des textes pour réaliser la matérialité des pratiques biomédicales actuelles, obérant bien souvent les déplacements anthropologiques que nous opérons au fil des années.
Car, en réalité, il est demandé au législateur de fixer des limites à des pratiques médicales et, du même coup, de consacrer, en les rendant licites, celles qui sont techniquement possibles pour opérer le passage du « tout est possible » au « tout doit être possible ». Or je crains, mes chers collègues, que, quel que soit notre vote, les scientifiques nous disent : « Vous avez juridiquement tort parce que nous avons scientifiquement raison. »
Tort, parce que nombre de scientifiques partagent les propos de Gaston Bachelard selon lesquels l’opinion, que nous représentons, « pense mal » tandis que la science a toujours raison.
Tort, parce que nous ne sommes pas des sachants et qu’en conséquence nous ne pouvons comprendre ce qui se cache et s’exprime sous les termes très savants de méiose, pluripotence, totipotence, cellules souches, cellules germinales ou somatiques… Tort donc, parce que, ne les comprenant pas, nous ne pouvons prendre la mesure de toutes ces techniques. Celles-ci peuvent être facteurs d’amélioration de vie, ce que nous ne pouvons nier, comme nous ne pouvons nier qu’il nous faudra toujours des Pasteur ou des Fleming pour espérer nous arracher à la fatalité de la maladie. Soit, mais jusqu’à quel prix ?
Ce prix, c’est la dignité de l’homme, qui n’est pas négociable. Or, que l’on approuve ou que l’on réprouve ces évolutions, les banaliser et les entériner comme un fait accompli serait, à mon sens, une erreur, car elles instaurent une rupture de sens et d’égalité par rapport à notre condition humaine. Une rupture de sens, puisqu’il s’agit d’opérer une nouvelle conception de l’homme en le confectionnant. Une rupture d’égalité, puisque la science, qui est la servante de la vie et doit l’aider sans la manipuler, sans l’anéantir et sans la détruire, peut aujourd’hui opérer l’inverse. En effet, elle a la capacité de sélectionner l’homme, de le stocker hors du temps et de le détruire.
Elle a la possibilité de sélectionner l’homme, d’abord.
Le dépistage systématique de la trisomie 21, dont le coût est de 100 millions d’euros pour la sécurité sociale, qu’aucun autre pays ne pratique avec un tel souci de performance et qui aboutit de surcroît à la disparition de 700 enfants sains par an en raison de faux positifs, finit par introduire une discrimination entre des êtres humains sur des critères biologiques. Si la décision prise appartient à chacun et est infiniment respectable, il en va tout autrement lorsque médecine et société considèrent d’un même élan qu’une telle pathologie fait partie de ce que l’on ne veut plus voir. C'est la raison pour laquelle je m’étonne, monsieur le rapporteur, que l’on puisse parler de balance bénéfices–risques à ce sujet. Je soutiendrai donc les amendements de Bernadette Dupont.
Le principe de sélection opéré par le diagnostic prénatal est manifeste à travers la technique de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, comme avec celle du diagnostic préimplantatoire. Dans le premier cas, le généticien choisit de sélectionner le donneur pour l’appareiller au receveur ; dans le deuxième cas, il choisit quel embryon réimplanter.
Aujourd’hui, nous allons passer du diagnostic préimplantatoire à la pérennisation du « bébé-médicament », ce que le Conseil d’État considère comme une double transgression. C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement en la matière.
N’opérons-nous pas, dans toutes ces situations, le passage d’une logique aléatoire à une logique de détermination, passage aussi de la réalité du mystère de l’homme à cet homme défini biologiquement à partir d’un certain barème vital et fonctionnel ?
À quoi servent nos belles lois sur l’accessibilité pour les handicapés ? Ce qui constitue l’homme, n’est-ce pas sa capacité d’accueillir et d’aimer, éventuellement au prix de sa propre vie, pour que le plus vulnérable puisse vivre pleinement ?
À partir du moment où le souci de sécurité et le désir démesuré de tout connaître dominent la vie, n’aboutit-on pas à l’inverse, à ce qu’elle soit réduite et dévitalisée, à penser la vie moins comme un don que comme une réalité objectivable, jusqu’à vouloir maîtriser le temps ?
En effet, via la technique, le corps est désormais considéré comme un gisement précieux. Il fait l’objet d’un stockage, avec la cryoconservation du sperme, d’embryons et, demain, d’ovocytes. Nous sommes prêts à autoriser, sans contrepartie éthique, la vitrification ovocytaire alors qu’elle constitue un pas de plus vers une offre de fécondation in vitro qui dépassera de loin les seules indications médicales pour répondre aux demandes individuelles de femmes ménopausées, mais aussi pour la constitution, demain – les chercheurs le savent –, d’embryons anonymes.
De plus, comme le souligne Sylviane Agacinski, dans bon nombre de techniques, c’est toujours le corps de la femme qui se trouve instrumentalisé : un corps qui devient laboratoire, expérimentation, médicament, au profit des laboratoires, voire pour permettre la gestation pour autrui qui conduirait à la légalisation de l’abandon d’enfant.
Un homme est stocké hors du temps puisque la congélation d’embryons à moins 196 degrés a pour effet de suspendre le temps entre la conception et la venue au monde. Ainsi de cette femme de quarante-deux ans donnant naissance en 2010 à un enfant issu d’un embryon congelé depuis vingt ans, donné ensuite pour adoption à un autre couple !
Quelles limites fabriquons-nous ? Pour qui ? Pour quoi ? Pourquoi ces 150 000 embryons surnuméraires ? Ils sont en réalité destinés à la recherche, qui déroge à l’interdiction de créer des embryons pour les travaux des scientifiques en confiant aux seuls parents la responsabilité de fournir les embryons comme objets de recherche. Étrange conception, au regard de nos responsabilités, qui fait des parents soit les promoteurs soit les censeurs de la recherche !
Mais alors, l’embryon humain perdrait-il son droit à la dignité, faute de projet parental ? La personne âgée le perdrait-elle sans un projet filial porté par ses enfants ? Pourquoi, demain, ne pas retirer sa dignité à une personne isolée parce qu’elle n’aurait pas de projet fraternel porté par ses frères en humanité ?
La pratique du surnuméraire, qui va perdurer puisque le projet de loi la pérennise, validera une autorisation systématique de la recherche sur l’embryon, occultant les autres possibilités offertes par la science.
La science nous demande donc de ratifier un débat qu’elle estime avoir tranché. Sachons éviter cet écueil ! C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement tendant à limiter le nombre d’embryons surnuméraires.
Enfin, je veux évoquer la capacité de détruire l’être humain pour la recherche.
Sous la pression médiatique, les effets d’annonce occultent bien souvent les réelles avancées de la recherche et de la thérapie cellulaire. Pourquoi cette omerta sur les cellules souches issues du sang de cordon ombilical, alors que nous avons fait la première mondiale en 1987 et que, sans l’impulsion du Sénat, les cellules souches issues du sang de cordon seraient toujours considérées comme un déchet opératoire ?
Pourquoi invoquer toujours la difficulté de les stocker ? Pourquoi ne pas mettre en avant les travaux de nos médecins militaires qui offrent des applications thérapeutiques en cas de risque nucléaire, alors que les cellules souches embryonnaires ne permettent aujourd’hui – les médecins qui sont parmi nous le savent bien – que la modélisation de pathologies réalisables avec des cellules animales et des cellules souches pluripotentes induites ? Pourrions-nous faire comme si celles-ci n’avaient jamais existé ?
Pourrions-nous aussi omettre la récente révolution de nature juridique énoncée le 10 mars par le procureur de la Cour de justice de l’Union européenne ? Celui-ci indique : premièrement, que la notion d’embryon humain s’applique dès le stade de la fécondation à toutes les cellules souches embryonnaires totipotentes, dans la mesure où la caractéristique essentielle de celles-ci est de pouvoir évoluer en un être humain complet ; deuxièmement, qu’une invention doit être exclue de la brevetabilité lorsque la mise en œuvre du procédé technique soumis au brevet utilise des cellules souches embryonnaires dont le prélèvement a impliqué la destruction ou même l’altération de l’embryon.
Allons-nous nous mettre en porte-à-faux avec le droit européen en encourageant le criblage et la modélisation sur les cellules souches embryonnaires, alors que ces techniques, d’une part, n’ont qu’un but industriel et, d’autre part, peuvent être aussi bien faites sur des cellules souches pluripotentes induites ?
C’est la raison pour laquelle je vous proposerai de maintenir l’interdiction de la recherche quand celle-ci porte atteinte à la viabilité et à l’intégrité de l’embryon, car c’est bien ce qui fait une différence fondamentale.
On le voit, mes chers collègues, les développements biomédicaux confèrent à notre responsabilité des dimensions inouïes d’ambiguïté. Par les choix que nous ferons, nous traduirons une vision de l’humanité : soit nous considérons que c’est la science qui crée la vie, et donc que l’homme peut être un produit fabriqué par la science, soit nous considérons que c’est la vie qui crée la science et que la vie est un mystère qui nous dépasse, qui nous est donné et qui se donne, mais que nous voulons, avec notre raison, sans cesse maîtriser en la confectionnant nous-mêmes.
Oui, les avancées de la science doivent être souhaitées et saluées lorsqu’elles servent les êtres humains. Mais oui, ces avancées doivent être combattues lorsqu’elles se servent des êtres humains. C’est sur cette distinction et sur elle seule, mes chers collègues, que nous devons concentrer notre attention pour être parfaitement dans notre rôle de législateur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mmes Anne-Marie Payet et Anne-Marie Escoffier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, au sein des commissions, que ce soit au cours des débats ou lors des auditions, le travail autour de ce projet de loi sur la bioéthique a été passionnant, riche et déstabilisant.
Nombreux sont ceux qui ont vu, au fil des discussions, leur avis se préciser ou, au contraire, les doutes surgir. Une chose est sûre : de telles interrogations appellent non pas tant des avis tranchés qu’un travail de raison, parfois ardu, quelquefois insatisfaisant mais toujours stimulant.
Le débat est passionnel parce qu’il touche à la vie et à sa transmission, parce qu’il parle à l’individu autant qu’il renvoie à la notion d’espèce.
Préserver la dignité de l’individu, tout en permettant le progrès médical, c’est accepter de gérer une tension permanente entre des valeurs à affirmer et un inconnu à déchiffrer.
La manipulation du vivant fait peur. Elle heurte la notion de sacré chez certains, mais fascine les hommes depuis très longtemps. Elle porte aussi en elle nombre de promesses et répond à nombre de détresses. Les couples qui ont fait appel à la procréation médicalement assistée peuvent en témoigner, ceux en attente d’un avenir possible pour un enfant aujourd’hui condamné également.
Vouloir donner la vie ou vouloir la sauver est toujours noble. Ce qui l’est moins, c’est la tentation d’en faire un commerce et de réduire l’humain à une marchandise. Cet écueil, les lois bioéthiques ont été mises en place pour l’éviter et elles y sont parvenues.
Pour autant, les progrès de la médecine comme l’avancée de la société impliquent que cet équilibre puisse être régulièrement « interrogé », à l’aune de l’évolution de la science, mais aussi de celle des mentalités. Voilà pourquoi nous trouvons dommage que la clause de révision ait été abandonnée.
Certes, la loi a pour vocation de tracer des cadres durables, au sein desquels peuvent s’inscrire des changements. Mais les questions de bioéthique que posent les avancées scientifiques en sont encore à leurs prémisses et il serait prématuré de trancher un débat alors que l’objet même de nos discussions est en pleine mutation et que notre société entame à peine son processus de réflexion.
J’en veux pour preuve la situation dans laquelle se retrouvent tous les groupes politiques. Les lignes de fracture traversent, en effet, l’ensemble des courants politiques, au point que, sur nombre de sujets que nous allons aborder, le vote sera individuel.
Si, au sein du groupe socialiste, nous pensons tous que la recherche sur l’embryon ou les cellules souches embryonnaires doit être soumise au régime de l’autorisation encadrée, nous sommes partagés dès que nous abordons la question de l’anonymat des dons de gamètes, la gestation pour autrui ou encore l’implantation post mortem.
S’agissant de la recherche embryonnaire, si nous sommes favorables à un régime d’autorisation encadrée, c’est d’abord parce que la situation actuelle, faite d’interdiction assortie de dérogations temporaires ou permanentes, est illisible pour les citoyens et ingérable pour les chercheurs. De fait, elle assimile ainsi la recherche à une transgression et dévalorise une approche scientifique en la transformant en une démarche sulfureuse. Cette situation a une incidence sur l’investissement nécessaire à la recherche, car les autres pays ne comprennent pas ce choix, et nos médecins, nos chercheurs, nos laboratoires s’interrogent sur la pérennité des travaux qu’ils pourraient entreprendre.
Une telle attitude nous a déjà fait prendre beaucoup de retard puisque, ailleurs, ces recherches avancent. Or je crois vraiment qu’il vaut mieux favoriser la recherche dans les pays où l’encadrement éthique est réel, comme le nôtre, plutôt que se réfugier dans une posture d’interdiction et laisser ainsi le champ libre à des pays moins scrupuleux et moins attachés à la notion de dignité humaine.
C’est pourquoi je tenais à saluer le travail effectué en commission et l’implication de notre rapporteur, qui nous a fait sortir de l’hypocrisie d’une vraie-fausse interdiction pour enfin mettre en place ce régime d’autorisation encadrée que les praticiens attendent tous.
M. Guy Fischer. Très bien !
Mme Catherine Tasca. Très juste !
Mme Raymonde Le Texier. Je ne doute pas que, sur ce point, notre assemblée confirmera l’avancée réalisée par la commission des affaires sociales et reconnaîtra ainsi l’investissement remarquable des chercheurs de renom que nous avons auditionnés.
En ce qui concerne le don de gamètes, la levée de l’anonymat a fait l’objet de débats particulièrement intéressants sur la question des origines. Ceux qui veulent préserver l’anonymat s’inscrivent souvent dans une démarche où le projet parental suffit à établir l’origine. Ils privilégient la notion d’histoire à écrire par rapport à l’origine biologique. Pour eux, l’intérêt de l’enfant réside dans l’amour qu’il peut recevoir, l’éducation qu’on lui dispense, l’avenir.
Tout en partageant ce point de vue, ceux pour qui l’anonymat doit être levé considèrent néanmoins que nul n’a le droit d’empêcher un enfant d’avoir accès à ses origines.
M. Charles Revet. C’est vrai !
Mme Raymonde Le Texier. Voilà pourquoi, après avoir longtemps hésité, j’ai décidé, pour ma part, de me prononcer en faveur de la levée de l’anonymat.
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Raymonde Le Texier. Pour autant, je comprends fort bien la position de mes amis socialistes qui ont signé un amendement en sens contraire. Les observations qu’ils font sont pertinentes : pour un couple qui a un projet parental, il est plus facile de s’approprier le don de gamètes si celui-ci est désincarné ; les risques de baisse des dons et l’éventuelle augmentation du secret au sein des familles méritent également d’être pris en compte.
Toutes ces raisons, je les entends. Pour autant, peut-on refuser à une personne l’accès à l’intégralité de son histoire ?
Des débats de cette nature montrent bien que certaines questions ont besoin d’être revisitées, car nous ne pouvons pas aujourd’hui en mesurer toutes les conséquences. Se revoir dans cinq ans ne serait pas inutile, d’autant que nous n’avons pu dégager un consensus clair. Qui sait si, dans cinq ans, mes positions, ou les vôtres, n’auront pas évolué ! Et je choisis le terme de « position » à dessein, tant celui de « conviction » me semble, en la matière, inapproprié !
Autre point sur lequel les avis sont partagés, même si le groupe socialiste a clairement choisi de ne pas opérer de distinction entre stérilité médicale et stérilité sociale : la question de l’accès à la procréation médicalement assistée pour les couples homosexuels.
À partir du moment où nous nous accordons à dire que la filiation réside dans le projet parental et non dans la capacité biologique, pourquoi refuser l’accès à la procréation médicalement assistée – ou à l’adoption, d’ailleurs – à des couples homosexuels ?
Certes, si l’autorisation encadrée de la recherche sur l’embryon est finalement adoptée, nous aurons réglé des problèmes essentiels. Mais je considère que nous ne pouvons pas trancher définitivement les questions de nature sociétale. Elles méritent que l’on y revienne régulièrement, tant qu’un véritable consensus ne se fait pas jour.
La loi n’est pas un éteignoir ni un couvercle posé sur ce qui nous bouscule le plus. Sur ces thèmes-là, elle doit aussi faire confiance à l’évolution de sa société. Le débat sur la gestation pour autrui en est la preuve. L’amendement que certains membres du groupe socialiste présenteront sur ce sujet a pour objet d’ouvrir le débat. Cet amendement, qui émane d’une proposition de loi déposée par Michèle André, vise à autoriser la gestation pour autrui, tout en en définissant strictement le cadre : la gestation pour autrui ne concernerait notamment que les couples hétérosexuels dont la femme, faute d’utérus, ne peut porter un enfant.
La multiplication de ces pratiques à l’étranger et leurs conséquences en France s’imposent déjà à nous de manière très concrète. Nous connaissons tous le cas d’enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger et dont l’état civil fait l’objet d’une bataille juridique. Des dizaines d’enfants se retrouvent aujourd’hui ainsi apatrides. Or, en privant ces enfants d’état civil, est-ce que l’on agit vraiment dans leur intérêt ?
Je ne crois pas qu’il soit possible d’apporter une réponse, quelle qu’elle soit, à cette question au détour d’un amendement, même si, en l’occurrence, j’en suis signataire. Je n’en regrette que plus l’absence d’une clause de révision ; mais peut-être n’est-il pas trop tard pour revenir sur ce point. C’est tout le sens d’un autre amendement du groupe socialiste. N’ayons pas peur d’assumer notre part d’incertitude en rétablissant l’obligation d’organiser de nouveaux rendez-vous législatifs autour des lois de bioéthique, et, surtout, acceptons la nécessité de laisser du temps au temps.
Souvent mauvaise conseillère, l’urgence n’est jamais un bon maître. À ce titre, la future loi ne prendra tout son sens qu’à la condition de ne pas constituer le cadre définitif que certains espèrent. L’immobilisme en la matière serait délétère.
À partir du texte frileux issu de l’Assemblée nationale, le travail réalisé au sein de la commission des affaires sociales a permis de proposer une rédaction à la hauteur des enjeux de notre recherche.
Soutenir le passage d’un principe d’interdiction des recherches sur les cellules souches embryonnaires à une autorisation encadrée serait tout à l’honneur des sénateurs. Le maintien de l’interdiction a certes ses partisans, mais nous souhaitons ardemment trouver ici une majorité afin que la future loi relative à la bioéthique ne soit pas un rendez-vous manqué. C’est donc avec autant d’espoirs que d’inquiétudes que le groupe socialiste aborde la discussion du présent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » : comment, en cet instant, ne pas nous remémorer cette sentence de Rabelais, homme de science, médecin et humaniste qui, déjà à la Renaissance, alertait les hommes sur le difficile équilibre entre le progrès scientifique et le respect des valeurs essentielles des vertus aristotéliciennes ?
Aujourd’hui, au milieu des grands cataclysmes que nous vivons, et dont certains ont été fabriqués par la main de l’homme, nous avons le devoir de nous interroger.