M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout d’abord, il convient de rappeler que l’avocat joue un rôle limité au cours de la garde à vue.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il pourrait être très dangereux de modifier complètement son rôle de telle sorte que certains avocats puissent en profiter pour paralyser la garde à vue et l’enquête. Je ne vais pas citer de noms, mais on en connaît qui ficheraient la pagaille assez vite ! Bien entendu, je ne vise personne ici ! (Sourires.) En revanche, certains, parmi nous, qui pourraient devenir avocat, ficheraient, eux, volontiers la pagaille ! Là encore, je ne citerai aucun nom. (Nouveaux sourires.)
Mme Josiane Mathon-Poinat. Vous êtes suspicieux ! (Mêmes mouvements.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur le garde des sceaux, il vaudrait mieux, me semble-t-il, préciser un certain nombre de points.
Imaginez qu’un officier de police judiciaire interdise à un avocat de prendre des notes. Vous savez, on trouve tous les genres d’individu dans la nature ! Cette disposition est d’ordre non pas réglementaire, mais législative, car nous sommes dans le domaine de la procédure pénale. Les circulaires d’application, quant à elles, n’ont pas de caractère réglementaire : elles n’ont d’autre objet que d’expliciter des dispositions. Peut-être une circulaire suffirait-elle,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. ... mais, je le répète, elle n’aurait de toute façon aucun caractère réglementaire.
Sur le fond, monsieur le garde des sceaux, je partage votre analyse. Mais, puisque nous avons déjà décidé tout à l’heure d’autoriser une première fois la prise de notes, je suis, comme la commission, favorable à ce que le code de procédure pénale autorise explicitement l’avocat à prendre des notes au cours des auditions ou confrontations.
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Je tiens à rassurer M. le garde des sceaux : les avocats ont parfaitement la capacité d’écrire et de s’exprimer en même temps ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Là, ils n’ont pas le doit de parler !
M. Alain Anziani. L’esprit du projet de loi est clair : autoriser la présence de l’avocat tout en définissant précisément et rigoureusement son rôle. Or la rédaction de la dernière phrase de l’alinéa 2 pose problème : « Il ne peut en demander ou en prendre une quelconque copie. » C’est la raison pour laquelle nous avons déposé ces amendements.
À cet égard, je souscris aux propos pleins de sagesse du président de la commission. Imaginons, par exemple, que, au cours d’une garde à vue, un officier de police judiciaire objecte à l’avocat que, prendre des notes, c’est prendre copie, et lui interdise par conséquent de poursuivre ! Voilà la difficulté que nous souhaitons prévenir.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 83 rectifié.
(L'amendement est adopté à l'unanimité des présents.)
M. le président. L'amendement n° 163, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3, seconde phrase
Après les mots :
la première audition
insérer les mots :
, sauf si elle porte uniquement sur les éléments de personnalité,
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Après tous les efforts que j’ai consentis, j’espère que la commission acceptera mes amendements aussi facilement que d’autres. (Sourires.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas sûr ! (Mêmes mouvements.)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Cet amendement de précision vise à apporter une solution pragmatique destinée à concilier les nécessités de l’enquête et la préservation des droits de la défense. Le Gouvernement propose ainsi que la présence de l’avocat ne soit pas obligatoire lorsque la première audition porte uniquement sur les éléments de personnalité. Les services de police et de gendarmerie pourraient ainsi entendre la personne gardée à vue durant les deux premières heures de la mesure, y compris sans avocat, à condition que cette audition ne porte que sur des éléments de personnalité. Notre objectif est clair : il s’agit de consacrer utilement le temps de la garde à vue aux questions de fond en évacuant préalablement les questions liées à la personnalité de la personne mise en cause.
Cette mesure est essentielle si l’on veut que la garde à vue se déroule dans de bonnes conditions et ne se prolonge pas. En effet, si ces questions d’état civil ne sont pas abordées au cours de cette première phase, elles devront l’être ensuite, ce qui entraînera la prolongation de la garde à vue. Est-ce là le but visé ? Si l’on considère que la garde à vue doit être aussi courte que possible, l’adoption de l’amendement du Gouvernement devrait permettre de satisfaire cet objectif, d’autant – et nous l’avons tous souligné – que la question demeure de savoir quelle autorité judiciaire doit décider cette prolongation.
Espérant avoir convaincu la commission du bien-fondé de cet amendement, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à le voter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, quitte à vous contrarier une nouvelle fois – d’autant que ce n’est peut-être pas la dernière (Sourires) –, je suis au regret de vous informer que la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. François Zocchetto, rapporteur. Nous pensons qu’il n’est pas si aisé de distinguer entre l’interrogatoire de personnalité et l’interrogatoire portant sur les éléments de l’enquête.
À l’appui de ma démonstration, je vous rapporterai cet exemple d’interrogatoire, cité en commission.
Question : « Où habitez-vous ? ». Réponse : « À tel endroit. » « Pourquoi ? » « Êtes-vous marié ? » « Non. » « Vivez-vous seul ? » « Non. » « Alors expliquez-nous ! » « Quelles sont vos ressources ? » La personne indique ou non ses ressources. « Comment les justifiez-vous ? »
Comme vous pouvez le constater, il est assez difficile, au cours de l’interrogatoire de personnalité, de s’en tenir à des questions et à des réponses simples.
Monsieur le garde des sceaux, nous attirons votre attention sur le fait que l’adoption de cet amendement risquerait de fragiliser les procédures en favorisant les nullités. Je rappelle que, aux termes de l’article 1er A du projet de loi, qui complète l’article préliminaire du code de procédure pénale, les déclarations faites hors la présence d’un avocat n’ont pas la même valeur que celles qui sont faites en sa présence.
La commission est unanimement convaincue qu’il vaut mieux prévoir deux cas de figure très simples : soit le gardé à vue veut bénéficier de l’assistance d’un avocat et les questions ne peuvent lui être posées qu’à compter de l’arrivée de ce dernier, soit il ne le désire pas et, dans ce cas, le flot des questions peut immédiatement commencer.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je souscris entièrement au point de vue de la commission. Ce n’est qu’a posteriori, à l’issue de l’interrogatoire, qu’on sait si celui-ci a porté strictement sur les éléments de personnalité ou si, comme l’a dit le rapporteur, les questions ont concerné d’autres sujets.
Monsieur le garde des sceaux, votre idée est excellente, mais en théorie, car, en pratique, son application sera source de problèmes et pourrait même contrevenir à l’objectif du présent texte, à savoir l’assistance par un avocat.
Je le répète, la commission a adopté une position sage.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, vous savez faire preuve d’un certain humour dans vos interventions, mais, comme je vous disais ce matin : perseverare diabolicum. Et, dans le cas présent, l’enfer n’est pas pavé de bonnes intentions… (Sourires.)
Cet amendement est la démonstration de la résistance qui peut être opposée, par philosophie, aux évolutions prévues pour la garde à vue.
Monsieur le garde des sceaux, il faut avoir assisté, au cours de sa vie professionnelle, à des interrogatoires de personnalité pour savoir ce que recouvrent en réalité les mots « éléments de personnalité ». Il n’est pas raisonnable d’écrire, comme on peut le lire dans l’objet de l’amendement, qu’il s’agit par exemple de l’identité, des charges et des ressources de la personne. Voici le genre de questions qui peuvent être posées : « Monsieur, avez-vous l’habitude de boire ? » – C’est une question de personnalité ! – « Avez-vous l’habitude de vous adonner à la consommation de produits stupéfiants ? »
Nous l’avons tous compris, c’est avec de telles questions qu’on commence à « cuisiner » le gardé à vue. Cela, nous devons l’éviter, et c’est pourquoi je partage entièrement l’avis de la commission.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Mézard, nous n’avons aucune volonté d’aller contre la réforme, au contraire, et j’entends bien le prouver dès maintenant, et plus tard lors de sa mise en œuvre ! Néanmoins, il ne faut pas tout paralyser en confondant tout.
Ce que vous avez évoqué, monsieur Mézard, ressemble plus à l’enquête de personnalité faite par le juge d’instruction qu’au procès-verbal de personnalité fait dans le cadre de la garde à vue. Je rappelle que le procès-verbal de personnalité porte uniquement sur des questions d’état civil et sur rien d’autre.
Dans le cadre de la garde à vue, il s’agit de préparer l’enquête et de ne pas retarder indéfiniment le moment où l’on commencera à interroger sur le fond la personne gardée à vue. Sinon, on ne fera que prolonger la garde à vue, c’est-à-dire l’inverse de ce que l’on voulait obtenir, puisque nous voulons réduire le nombre de garde à vues et en limiter la durée.
C’est la raison pour laquelle cet amendement me semble de bon sens. Il ne s’agit pas du tout d’établir un procès-verbal de fond sur la personnalité mais de relever son état civil.
Mme Virginie Klès. Cela demande cinq minutes !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Peut-être, mais je rappelle que vingt-quatre heures, c’est très court.
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.
M. Yves Détraigne. Je me demande si l’on ne pourrait pas mettre tout le monde d’accord en remplaçant l’expression « éléments de personnalité » par l’expression « éléments d’identité » ou « éléments d’identité de la personne ».
Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est exactement ce que je voulais dire !
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est exactement ce que je voulais dire. Je voulais demander à M. le ministre de rectifier son amendement en indiquant « éléments d’identité », puisque le terme « personnalité » inclut également le comportement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur. L’idée de notre collègue Yves Détraigne me semble excellente !
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Il me semble que le terme « identité » n’est pas celui qui convient ; il serait préférable de parler d’ « éléments d’état civil ».
La notion d’ « identité » est mal définie, on ne sait pas très bien ce qu’elle recouvre. À l’inverse la notion d’ « état civil » est claire, on sait ce que c’est.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. Qu’en pensez-vous, monsieur le garde des sceaux ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je préfère le terme « identité » proposé par M. Détraigne et je rectifie l’amendement du Gouvernement dans ce sens.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 163 rectifié, présenté par le Gouvernement, et ainsi libellé :
Alinéa 3, seconde phrase
Après les mots :
la première audition
insérer les mots :
, sauf si elle porte uniquement sur les éléments d'identité,
Je le mets aux voix.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 164 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3, seconde phrase
Remplacer les mots :
de deux heures
par les mots :
d'une heure
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Cet amendement vise à réduire le délai durant lequel les services de police ne peuvent commencer le premier interrogatoire de la personne gardée à vue sans la présence d'un avocat, lorsqu'une telle assistance a été sollicitée.
Le texte de la commission prévoit un délai d’attente – je préfère, d’ailleurs, le terme « attente » à tout autre mot – de deux heures. L’amendement que je soutiens, au nom du Gouvernement, a pour objet de réduire ce délai à une heure.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas praticable !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Et en cas d’embouteillages ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. L'existence d'un délai d'attente, qui court à compter du moment où l'avis à l’avocat a été adressé, paraît nécessaire pour permettre à celui-ci de se présenter. Toutefois, il ne peut être occulté que ce délai contribuera à ralentir les investigations des services de police et allongera d'autant les mesures de garde à vue.
C'est pourquoi le présent amendement limite à une heure la durée de ce délai. Une telle durée permet de concilier l'effectivité de l'assistance de l'avocat et l'efficience de la garde à vue.
C’est pourquoi le Sénat devrait adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. L’Assemblée nationale a eu une excellente idée en instaurant ce délai de carence, et elle n’a pas fixé le délai de deux heures par hasard.
Monsieur le garde des sceaux, ce délai répond à des considérations pratiques. Il faut prendre en compte, en particulier dans les départements ruraux, le délai d’accès aux brigades de gendarmerie où peuvent se dérouler les gardes à vue.
Un certain nombre d’entre nous sont issus de départements ruraux. Ils connaissent le temps qu’il faut pour rejoindre la brigade de gendarmerie la plus éloignée.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Surtout qu’on a supprimé quelques tribunaux !
M. François Zocchetto, rapporteur. Je sais ce qu’il en est dans le département de la Mayenne, mais dans le Cantal, dans l’Orne, dans les Alpes-Maritimes, dans l’Ille-et-Vilaine, en Gironde…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et même dans le Rhône !
M. François Zocchetto, rapporteur. … oui, même dans le Rhône (Sourires), j’imagine qu’il est nécessaire de prévoir entre une et deux heures pour arriver à la brigade de gendarmerie la plus éloignée de la ville principale où siègent les barreaux et où sont installés la plupart des avocats.
Si l’on réduit ce délai, on regroupera inévitablement les lieux de garde à vue dans chaque département sur trois ou quatre sites. Or cela, le Sénat ne le veut pas !
Vous l’avez dit vous-même, monsieur le garde des sceaux, il n’est pas question d’instaurer deux catégories de brigades de gendarmerie, celles où l’on trouverait des OPJ et des avocats et celles qui en seraient privées parce que moins accessibles.
On devine déjà ce qui pourrait advenir assez rapidement de ces brigades de gendarmerie …
Le texte élaboré par l’Assemblée nationale est un bon texte, sur ce point comme sur les autres. Le directeur général de la gendarmerie nationale et les représentants des organisations syndicales de policiers à qui nous avons posé la question nous ont répondu qu’il fallait maintenir ce délai de deux heures. Les représentants des organisations de policiers nous ont même dit que c’était une bonne idée, puisque ce délai correspondait à peu près au temps nécessaire pour procéder aux formalités d’accueil du gardé à vue, lui notifier ses droits, procéder éventuellement à l’examen médical et prévenir un proche. Si cela permet en outre de donner à l’avocat le temps d’arriver, c'est parfait !
À tout cela, nous venons d’ajouter d’ailleurs, à votre demande, monsieur le garde des sceaux, la possibilité pour les enquêteurs de procéder à des questions concernant l’identité de la personne.
C’est pourquoi la commission, à l’unanimité, a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Vous avez dit, monsieur le rapporteur, que deux heures peuvent être nécessaires à l’avocat pour arriver, mais encore faut-il savoir d’où l’on part ! Tout dépend d’où l’on part et où l’on va !
Ce délai de deux heures ne sera pas nécessaire partout. Dans certains cas, peut-être faudra-t-il deux heures, dans d’autres cas, beaucoup moins. Pour apprécier ce délai, M. le rapporteur a pris l’avis du directeur général de la gendarmerie ainsi que des organisations syndicales de policiers. Ces renseignements, monsieur le rapporteur, m’ont semblé particulièrement intéressants.
Je suis bien persuadé que la mise en œuvre de ce texte posera un certain nombre de problèmes pratiques, notamment aux avocats.
Aussi, je souhaiterais rechercher, avec les barreaux, les mesures techniques qui permettront de diminuer ce délai. Si l’on peut trouver une solution pour que l’avocat soit présent dans un délai de vingt minutes, il n’y a pas de raison d’y renoncer.
Permettez-moi de vous citer un exemple. J’habite un petit village, dans un canton rural. Il s’y trouve une gendarmerie, siège d’une communauté de brigades. Il nous a fallu vingt ans pour obtenir un officier de gendarmerie ; maintenant, cela fonctionne plutôt bien. Moi non plus, je ne veux pas de regroupement ; comme vous tous, je veux conserver, sur mon territoire, tous les services publics qui s’y trouvent.
Mon village est situé à plus de cinquante kilomètres de la ville siège du tribunal de grande instance, mais à seulement dix-sept kilomètres d’une autre ville, située dans un autre département, qui dispose, elle aussi, d’un tribunal de grande instance et où se trouvent également des avocats.
Chacun peut choisir librement son avocat. Le gardé à vue qui paiera lui-même les honoraires de son avocat peut donc choisir celui-ci dans une ville ou dans une autre.
Certes, un problème se pose dans le cas de l’aide juridictionnelle. Mais je suis tout prêt à rechercher avec les barreaux, s’ils en sont d’accord, la mesure technique qui permettra d’ouvrir le dispositif et de donner à chacun la possibilité de choisir librement son avocat, même en cas d’aide juridictionnelle.
Dans ces conditions, mon amendement prend tout son sens. La diminution du délai que je propose ne doit pas être considérée comme une entrave puisque je l’assortis de mesures techniques permettant de limiter les déplacements à une heure.
Cela dit, quelle que soit la décision du Sénat, ma proposition de « décadenasser » les règles techniques du paiement de l’aide juridictionnelle restera d’actualité !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Certes, il est souhaitable que l’on passe avec les barreaux et le parquet des contrats d’objectifs visant à diminuer au maximum le temps mis par les avocats pour se rendre dans les locaux de garde à vue ; cela va de soi.
Si l’avocat arrive dans la demi-heure, bien entendu, les auditions commenceront dès son arrivée. Mais, vous savez aussi bien que nous, monsieur le garde des sceaux, que sur notre beau territoire certains lieux sont éloignés de tout.
Et, mes chers collègues, n’oublions pas qu’il y a toujours des projets de réorganisation des services. Si l’avocat ne peut pas arriver dans le délai d’une heure, très vite on s’interrogera sur l’opportunité de conduire le gardé à vue dans les lieux difficiles d’accès. La tentation sera grande de regrouper les lieux de garde à vue le plus près possible du tribunal, si bien qu’à terme les brigades territoriales n’auront plus d’officier de police judiciaire. C’est pour cette raison que nous sommes fermement attachés au maintien du délai de deux heures.
Pour la grande criminalité, les enquêtes sont rapidement confiées aux brigades ou aux sections de recherche. Dans le monde de la gendarmerie, les choses se passent différemment. L’officier de police judiciaire travaille dans son environnement et conduit son enquête sur place. Le maintien du délai de deux heures est donc nécessaire. Cela n’empêche pas de tout faire pour que l’avocat puisse arriver le plus rapidement possible. C’est dans l’intérêt de la personne gardée à vue, certes, mais aussi dans celui de l’avocat lui-même, qui ne tire aucun avantage à faire « mariner » ses clients.
S’il est souhaitable de prendre toutes dispositions utiles pour faciliter la présence rapide de l’avocat, il me paraît en revanche risqué de limiter le délai à une heure, car, je le répète, on tirera alors prétexte de l’impossibilité de l’avocat d’être présent pour regrouper les lieux de garde à vue.
Monsieur le garde des sceaux, bien que nous souhaitions vous être agréables, parce que nous connaissons les difficultés de gestion de la nouvelle procédure, nous restons fermes sur le maintien du délai de deux heures, qui a d’ailleurs recueilli l’approbation unanime de la commission.
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Monsieur le garde des sceaux, j’ai un peu de mal à suivre votre raisonnement. Tout à l’heure, lorsqu’il était question de préciser que l’avocat pouvait prendre des notes pendant les auditions et les confrontations, vous nous rétorquiez que l’avocat était libre. Pour ce qui nous occupe actuellement, on peut aussi considérer qu’il est libre d’arriver le plus vite possible, et pourtant, vous voulez lui imposer un délai d’une heure.
Même si l’avocat dispose de deux heures pour se rendre auprès de la personne gardée à vue, il est bien évident que, s’il peut arriver plus tôt, il le fera. Pourquoi vouloir ramener ce délai à une heure sous prétexte que, parfois, il peut être là plus tôt ?
Je considère qu’il faut faire confiance aux avocats. Ce qui n’exclut pas les procédures de simplification. Si elles peuvent permettre à des avocats d’une autre juridiction d’intervenir, pourquoi pas ? Mais cela n’impose pas d’inscrire le délai d’une heure dans le projet de loi.
Vous prétendez que le libre choix de l’avocat permettra de réduire le temps d’attente ; permettez-moi d’en douter. Ce n’est pas parce que la personne gardée à vue peut choisir librement son avocat qu’elle optera pour celui qui est le plus proche : elle choisit un avocat, pas une distance.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le garde des sceaux, je suis favorable à votre souhait de concilier assistance de la personne gardée à vue et efficience de la garde à vue. Vous n’oubliez pas que vous avez été ministre de l’espace rural et vous savez combien il est difficile d’organiser les territoires, parfois même entre des départements limitrophes.
Toutefois, une garde à vue peut avoir lieu la nuit ou hors des heures de travail habituelles. C’est pourquoi – et je n’ai pas participé aux travaux de la commission des lois – le délai de deux heures me semble tout à fait raisonnable.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, je suis étonné par votre amendement, pour deux raisons.
Tout d’abord, il semble me souvenir – mais il se peut que ma mémoire commence à flancher – qu’en matière d’aide juridictionnelle on peut désigner un avocat qui n’est pas du barreau concerné.
M. Jacques Mézard. Méfiez-vous de ce que vous disent les avocats. (Sourires.)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vous remercie de dire cela, maître Mézard. (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Mézard. Je savais ce sentiment ancré au fond de vous, c’est pourquoi j’ai préféré prendre les devants. (Mêmes mouvements.) Cet amendement constitue donc une erreur, me semble-t-il, par rapport aux dispositions légales et réglementaires concernant l’aide juridictionnelle.
Ensuite, le délai d’une heure est incompatible avec la réalité du terrain. Je prendrai un seul exemple.
Monsieur le garde des sceaux vous connaissez Massiac, le canton de M. Alain Marleix.
M. Jacques Mézard. Une très belle compagnie de gendarmerie, en effet, proche de la petite portion d’autoroute qui existe dans ce pauvre département !
M. Jacques Mézard. La majorité des avocats résident à Aurillac. Pour rejoindre Massiac, il leur faut une heure et quart, et encore quand tout va bien, c’est-à-dire quand il n’y a pas eu d’effondrements. De toute façon, la vitesse reste limitée à trente kilomètres à l’heure sur plusieurs tronçons, malgré les efforts de l’excellent député de la circonscription.
Même si l’avocat se lève sitôt prévenu, part sans délai, il ne peut éviter le trajet d’une heure et quart. S’il arrive trop tard, il sera fondé à présenter des recours au motif qu’il n’a pu exercer les droits de la défense. Et il ne fait aucun doute que la procédure sera annulée.
Monsieur le garde des sceaux, je suis encore plus surpris par l’exposé des motifs de l'amendement.
On peut en effet y lire que le délai de deux heures « contribuera à ralentir les investigations des services de police et allongera d’autant les mesures de garde à vue ». Reconnaissez que c’est un peu fort ! Mais ce n’est pas tout. Les deux arguments suivants sont pour tout dire extraordinaires.
Le quatrième alinéa de l’objet précise : « Par ailleurs, il doit être rappelé que la personne gardée à vue pourra toujours, comme cela devra désormais lui être notifié, choisir de ne pas répondre aux questions tant que l’avocat ne sera pas présent. » Voilà un beau moyen d’accélérer la procédure !
Et, pour aller au terme de ce merveilleux raisonnement, le dernier alinéa de l’objet ajoute : « Au surplus, ainsi que le prévoit également le projet de loi, les déclarations faites par la personne sans la présence de son avocat ne pourront servir de seul fondement à sa condamnation. »
Monsieur le garde des sceaux, avec le cumul du droit au silence et la réserve émise sur les déclarations faites par le gardé à vue en dehors de la présence de son avocat, vous faites tout pour que les procédures que vous instituez ne tiennent pas la route. Je ne doute pas que nombre d’entre elles aboutiront à des relaxes,… ce dont je ne peux que vous féliciter ! (Sourires.)