M. le président. Monsieur Mézard, l'amendement n° 107 rectifié est-il maintenu ?
M. Jacques Mézard. Je constate que M. le ministre ne souhaite pas que cette référence à la dignité de la personne figure dans l’article 1er du projet de loi, ce qui aurait tout de même été beaucoup plus significatif. Néanmoins, pour ne pas prolonger les débats, j’accepte de retirer mon amendement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quel dommage !
M. le président. L’amendement n° 107 rectifié est retiré.
L'amendement n° 64, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Art... - La garde à vue constitue le support nécessaire du défèrement. »
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il ressort d’une jurisprudence constante que les actes subséquents à la garde à vue annulée ne sont touchés par la nullité que pour autant que la garde à vue en constitue le support nécessaire.
Or si la chambre criminelle considère que l’inobservation des droits énoncés par le code de procédure pénale est susceptible d’entraîner la violation de la garde à vue, elle a une conception restrictive des conséquences de l’annulation sur les autres actes de procédure.
Le projet de loi tend à accorder, en conformité avec les obligations conventionnelles de la France, des droits à la personne placée en garde à vue. Néanmoins, il ne prévoit aucune disposition sur la sanction de la violation de ces droits. La jurisprudence en la matière reste donc la règle.
Il serait utile de donner une cohérence au système en précisant que la garde à vue est le support nécessaire au défèrement.
Comme le note très justement le syndicat de la magistrature, le régime des nullités est très stratégique, car c’est lui qui permet de passer des droits formels aux droits réels. Sans lui, rien n’incite les enquêteurs et les magistrats à se conformer à la loi.
Tel est l’objet de notre amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Votre proposition, madame Borvo Cohen-Seat, n’est pas parfaitement claire et nous avons réellement eu du mal, les uns et les autres, à vous suivre.
Vous proposez, si j’ai bien compris, qu’il ne puisse pas y avoir de défèrement sans qu’une garde à vue ait été effectuée au préalable. Or vous savez qu’un certain nombre de présentations au parquet se font sans garde à vue. On ne peut pas se plaindre du nombre trop important de gardes à vue et, dans le même temps, vouloir rendre cette mesure systématique alors qu’elle n’est pas toujours utile.
Par conséquent, je ne comprends pas très bien votre proposition et ne verrai pas d’inconvénient à ce que vous retiriez cet amendement. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Vous savez très bien que la commission a accepté quelques-uns de vos amendements.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elle en a adopté un seul !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est déjà pas mal !
M. François Zocchetto, rapporteur. Celui-ci, quant à lui, me paraît aller à l’encontre des thèses que vous défendez.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Borvo Cohen-Seat, l'amendement n° 64 est-il maintenu ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Les articles 63 et 63-1 du même code sont ainsi rédigés :
« Art. 63. – I. – Seul un officier de police judiciaire peut, d’office ou sur instruction du procureur de la République, placer une personne en garde à vue.
« Dès le début de la mesure, l’officier de police judiciaire informe le procureur de la République, par tout moyen, du placement de la personne en garde à vue. Il lui donne connaissance des motifs justifiant, en application de l’article 62-3, ce placement et l’avise de la qualification des faits qu’il a notifiée à la personne en application du 2° du I de l’article 63-1. Le procureur de la République peut modifier cette qualification ; dans ce cas, la nouvelle qualification est notifiée à la personne dans les conditions prévues au même article 63-1.
« II. – La durée de la garde à vue ne peut excéder vingt-quatre heures.
« Toutefois, la garde à vue peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus, sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, si l’infraction que la personne est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à un an et si la prolongation de la mesure est l’unique moyen de parvenir à l’un au moins des objectifs mentionnés aux 1° à 6° de l’article 62-3.
« L’autorisation ne peut être accordée qu’après présentation de la personne au procureur de la République. Cette présentation peut être réalisée par l’utilisation d’un moyen de télécommunication audiovisuelle. Elle peut cependant, à titre exceptionnel, être accordée par une décision écrite et motivée, sans présentation préalable.
« III. – L’heure du début de la mesure est fixée, le cas échéant, à l’heure à laquelle la personne a été appréhendée.
« Si une personne a déjà été placée en garde à vue pour les mêmes faits, la durée des précédentes périodes de garde à vue s’impute sur la durée de la mesure.
« Art. 63-1. – I. – La personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu’elle comprend, le cas échéant au moyen de formulaires écrits :
« 1° De son placement en garde à vue ainsi que de la durée de la mesure et de la ou des prolongations dont celle-ci peut faire l’objet ;
« 2° De la nature et de la date présumée de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;
« 3° Du fait qu’elle bénéficie :
« – du droit de faire prévenir un proche et son employeur, conformément à l’article 63-2 ;
« – du droit d’être examinée par un médecin, conformément à l’article 63-3 ;
« – du droit d’être assistée par un avocat, conformément aux articles 63-3-1 à 63-4-3 ;
« – du droit, lors des auditions, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.
« Si la personne est atteinte de surdité et qu’elle ne sait ni lire, ni écrire, elle doit être assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec elle. Il peut également être recouru à tout dispositif technique permettant de communiquer avec une personne atteinte de surdité.
« Si la personne ne comprend pas le français, ses droits doivent lui être notifiés par un interprète, le cas échéant après qu’un formulaire lui a été remis pour son information immédiate.
« Mention de l’information donnée en application du présent article est portée au procès-verbal de déroulement de la garde à vue et émargée par la personne gardée à vue. En cas de refus d’émargement, il en est fait mention.
« II. – (Supprimé) »
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, sur l'article.
Mme Josiane Mathon-Poinat. En faisant du droit au silence une exigence à valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision du 30 juillet 2010, imposé un revirement législatif. Dès lors, le projet de loi qui nous est soumis tend naturellement à rétablir ce droit.
L’histoire chaotique du droit au silence au cours de la garde à vue est à l’image de la conception française consistant à rendre antinomiques les impératifs de préservation de l’efficacité de l’enquête et les impératifs de protection de la présomption d’innocence et des droits de la défense. Cette conception doit aujourd’hui être dépassée.
Le rétablissement du droit au silence constitue une petite avancée dans ce sens, bien que nous regrettions – une fois n’est pas coutume – que le Gouvernement n’envisage pas cette fois-ci de suivre son « modèle » d’outre-Atlantique. Celui-ci conçoit effectivement le droit au silence, droit érigé en principe constitutionnel, de manière beaucoup plus large, cette notion comprenant non seulement le droit de se taire, mais également celui de ne pas être interrogé.
Par ailleurs, il est consternant de voir, à la lecture de cet article 2, les pouvoirs qui sont dévolus à l’officier de police judiciaire.
L’officier de police judiciaire décide seul du placement en garde à vue et celle-ci est prolongée à sa seule demande, certes sous le contrôle théorique du parquet – cela nous a été dit et redit au moment de l’examen de l’article 1er –, mais un parquet dont l’information est assurée par le même officier de police judiciaire. Ainsi, le placement en garde à vue, pour vingt-quatre heures ou plus, se fait sur l’initiative et sous le contrôle quasi-exclusif de la police, le parquet ne portant sur l’affaire qu’un regard lointain.
Cette remarque ne doit pas nous amener à voir de la défiance systématique envers les forces de l’ordre. Il s’agit uniquement de nous interroger sur la place réelle qui est accordée, dans notre société, à un principe aussi fondamental que celui du droit à la sûreté, entendu comme le droit d’aller et venir sans être détenu arbitrairement.
Une prise en compte réelle de ce principe impliquerait idéalement que le gardé à vue soit interrogé par un magistrat. Toutefois, au vu du contenu du projet de loi que vous nous soumettez, monsieur le ministre, je crois que ce souhait est aujourd’hui proche de l’utopie.
Cet article 2 est également consternant en ce qu’il n’intègre pas réellement tous les enseignements de la décision rendue par le Conseil constitutionnel. Selon celle-ci, les textes en vigueur violent effectivement la Constitution dans la mesure où la prolongation de la garde à vue n’est pas réservée aux « infractions présentant une certaine gravité ».
Loin de là, le projet de loi tend à réserver le placement en garde à vue à tous les crimes et aux délits punis d’une peine d’emprisonnement. Quant à la prolongation de la garde à vue, elle concernerait ceux qui sont punis d’une peine de prison supérieure ou égale à un an, puisque – hélas ! les amendements déposés à ce sujet n’ont pas été adoptés.
Vous devez prendre conscience, monsieur le ministre, que, comme l’écrit très justement l’un des auteurs ayant porté un regard critique sur votre projet, les mots ont un sens. Lorsqu’il est précisé que la prolongation doit être réservée aux « infractions présentant une certaine gravité », vous vous devez tout de même de respecter ces exigences.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 18, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
procureur de la République
Insérer les mots :
après autorisation du juge des libertés et de la détention
Cet amendement n’a plus d’objet.
L'amendement n° 19, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 3, première phrase :
Remplacer les mots :
, du placement de la personne en garde à vue.
par les mots et une phrase ainsi rédigée :
garantissant l'information réelle et personnelle de ce magistrat, du placement de la personne en garde à vue. Il procède également à un premier compte rendu téléphonique d'étape auprès du procureur de la République entre la huitième et la douzième heure de la garde à vue.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Nous avons déjà eu l’occasion de le dire à de nombreuses reprises depuis le début de ce débat, le nombre de gardes à vue n’a cessé d’augmenter, tout comme leur durée ! Voilà qui a créé un surplus de travail considérable pour les OPJ et a entraîné un allongement de la durée des enquêtes.
Le temps de la garde à vue est également lié aux interventions du directeur d’enquête, c'est-à-dire du procureur de la République. Certaines décisions pourraient intervenir plus rapidement si ce magistrat était effectivement informé de la mise en œuvre de cette procédure. Depuis la loi sur le renforcement de la présomption d’innocence, les OPJ doivent prévenir le parquet immédiatement et non plus sans délai lorsqu’ils placent un suspect en garde à vue. Cette précision avait été apportée afin que la notification du placement en garde à vue n’arrive plus dans un bureau vide sur un télécopieur qui n’est relevé que le matin. Or, il semblerait que ce soit, hélas ! encore le cas.
Par notre amendement, nous demandons que les moyens mis en place soient utilisés de manière immédiate – c’est déjà le cas – et qu’ils aboutissent à une information réelle et personnelle du parquetier.
Nous proposons qu’il soit procédé à un compte rendu téléphonique d’étape entre la huitième et la douzième heure de la garde à vue, afin d’inciter les enquêteurs à terminer dans ce délai les enquêtes les plus simples.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Madame Mathon-Poinat, le projet de loi présente d’ores et déjà des avancées concernant le contenu de l’information qui doit être transmise par l’OPJ au parquet. C’est ainsi que l’OPJ devra désormais préciser les motifs justifiant la garde à vue, ainsi que la qualification des faits notifiée à la personne.
Vous souhaitez également une information « réelle et personnelle » du procureur. M. Michel a rappelé tout à l’heure, à juste titre, que le parquet était indivisible. Nul ne peut contester que l’information du substitut vaut information du procureur.
Le compte rendu téléphonique d’étape, lui, est établi presque systématiquement en cas de difficulté ou lorsque l’OPJ est désemparé quant aux suites à donner à un dossier. Je l’ai souvent constaté lors des stages ou des visites que j’ai effectuées dans les services du parquet : les OPJ téléphonent souvent plusieurs fois au parquetier de permanence pour échanger avec lui des informations. La pratique va donc bien au-delà de ce que vous proposez.
Dans ces conditions, je vous suggère, ma chère collègue, de retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Madame la sénatrice, je comprends votre souci de faire en sorte que le procureur soit le mieux informé possible. Mais l’amendement tel qu’il est rédigé n’ajoute rien à l’état actuel du droit.
La possibilité d’un avis par télécopie, y compris la nuit, a été validée par la Cour de cassation dans un arrêt du 23 mai 2001. Cette possibilité a été rappelée par la circulaire du 4 décembre 2000 de Mme Guigou et dans celle du 10 janvier 2002 de Mme Lebranchu.
Ces deux circulaires précisent qu’il ne peut être recouru à la télécopie que dans les procédures ne posant pas de difficultés et qu’une information téléphonique doit intervenir. Vous avez donc déjà entièrement satisfaction.
Pour cette raison, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
M. le président. Madame Mathon-Poinat, l'amendement n° 19 est-il maintenu ?
Mme Josiane Mathon-Poinat. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 149 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Sous peine de nullité de la mesure, le juge des libertés et de la détention rend, avant l'expiration des six premières heures de garde à vue, une décision écrite confirmant la garde à vue.
Cet amendement n’a plus d’objet.
L'amendement n° 109 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Sous peine de nullité de la mesure, le procureur de la République rend, avant l'expiration des six premières heures de garde à vue, une décision écrite confirmant la garde à vue.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Nombreux sont ceux qui évoquent des « avancées » en parlant de ce projet de loi. Mais cela signifie qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, sinon vous auriez dit que le résultat était atteint, ce qui – nous en sommes tous conscients – n’est pas le cas !
Il s’agit d’un amendement de repli. Si le JLD ne peut intervenir pour apprécier la légalité du placement en garde à vue, il est indispensable que le procureur de la République puisse exercer un véritable contrôle.
Contrairement à ce qui a été affirmé à plusieurs reprises au cours de ce débat, le contrôle est aujourd'hui extrêmement difficile et rare. Il est vrai que certains procureurs de la République procèdent par sondages et se déplacent dans les commissariats et dans les gendarmeries. Mais avec 800 000 gardes à vue, il est évident qu’ils ne peuvent pas effectuer un contrôle digne de ce nom de manière systématique. La situation est en réalité très variable selon les territoires et la personnalité des parquetiers.
En instituant une décision écrite de confirmation de la garde à vue, cet amendement va dans le bon sens : il devrait permettre de contribuer à limiter le nombre de gardes à vue, ce qui est notre souhait commun.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Monsieur Mézard, l’amendement n° 70 rectifié présenté à l’article 1er par M. Anziani était d’inspiration similaire au vôtre, si ce n’est qu’il faisait référence aux quatre premières heures, au lieu des six premières heures. C'est la raison pour laquelle votre amendement n’est pas devenu sans objet du fait du rejet de celui de M. Anziani, mais vous comprendrez que mon avis soit là aussi défavorable, pour les raisons que j’ai développées tout à l’heure à propos de l’amendement n° 70 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de onze amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 110 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Toutefois, la garde à vue peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus, sur décision motivée du juge des libertés et de la détention à la requête du procureur de la République ou du juge d’instruction, si la prolongation de la détention est l’unique moyen de parvenir à l'un au moins des objectifs mentionnés aux 1° à 6° de l’article 62-3. Cette décision est motivée au regard de la légalité de la mesure et des circonstances de l’affaire.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Avec cet amendement, nous considérons que la prolongation de la garde à vue, plus encore que la décision initiale de mise en garde à vue, est une mesure de privation de liberté qui doit relever de la compétence du procureur de la République. Dans ce cas, vingt-quatre heures seront déjà passées, qui auront permis de faire avancer l’enquête. Au-delà de ce délai, une prolongation de la garde à vue constitue une privation encore plus grande de liberté : il est donc normal qu’elle relève de la compétence du JLD.
Les statistiques qui sont en notre possession – mais je ne pense pas qu’elles soient différentes de celles de M. le garde des sceaux –, indiquent qu’il y a environ 100 000 prolongations de gardes à vue.
M. Jacques Mézard. En tout cas, elles se comptent plus en dizaines de milliers qu’en centaines de milliers, ce qui est une bonne chose ! Cela étant, ces chiffres montrent que la prolongation de la garde à vue doit relever de la compétence du JLD, comme l’exige d’ailleurs la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH.
La décision de prolongation doit non seulement satisfaire à la finalité de la garde à vue, mais être également motivée au regard du principe de proportionnalité et des circonstances de l’espèce. Nous sommes là au cœur du débat.
M. le président. L'amendement n° 21, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéas 5 et 6
Remplacer les mots :
procureur de la République
par les mots :
juge des libertés et de la détention
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Rappelons, une fois encore, que, aux termes de la décision de la CEDH du 23 novembre 2010, le procureur de la République, qui est un magistrat, ne remplit pas les conditions d’indépendance nécessaires pour être qualifié de juge, en raison de sa soumission hiérarchique à l’exécutif et, donc, de l’absence de garanties réelles d’impartialité.
Or, tels qu’ils sont rédigés, les alinéas 5 et 6 de l’article 2 maintiennent les prérogatives du parquet dans la prolongation de la garde à vue. Le procureur est ainsi à la fois partie poursuivante – l’accusateur – et juge de la légalité et de la nécessité de prolonger la privation de liberté. Il existe donc bien une confusion des rôles et une mise en cause de l’égalité des armes entre les parties.
Mme Mireille Delmas-Marty estime que c’est « comme si renforcer les garanties d’un côté amenait à créer des procédures parallèles sans garanties ». Dans la mesure où vous laissez au parquet la maîtrise de la garde à vue pendant les premières vingt-quatre heures, il est encore plus essentiel d’instituer une sorte de droit de recours devant un juge du siège, en l’occurrence le JLD. Une telle mesure me paraît être un minimum.
En outre, l’alinéa 5 exige la commission d’une infraction passible d’au moins un an de prison. Il ne s’agit que d’une toute petite avancée. En effet, le nombre de délits punis d’une peine autre que l’emprisonnement ou d’une peine inférieure à un an d’emprisonnement est très faible.
La privation de liberté est tout de même un acte grave, qui doit rester exceptionnel, pour reprendre les termes employés par le Premier ministre en juillet dernier lorsqu’il évoquait la question de la garde à vue devant la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
Ce caractère de gravité de la garde à vue est encore renforcé en cas de prolongation : l’intervention du JLD est donc plus que nécessaire, au moins à cette phase de la procédure.
M. le président. L'amendement n° 73, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
procureur de la République
par les mots :
juge des libertés et de la détention
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. La prolongation de la garde à vue au-delà des vingt-quatre premières heures nous semble effectivement devoir relever de la compétence du JLD, et non de celle de l’OPJ sous contrôle du procureur. Mon argumentation vaut également pour l'amendement n° 75.
M. le président. L'amendement n° 75, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 6, première phrase
Remplacer les mots :
procureur de la République
par les mots :
juge des libertés et de la détention
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Cet amendement est défendu.
M. le président. L'amendement n° 74, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après les mots :
supérieure ou égale
Insérer les mots :
à trois ans d'emprisonnement ou, en cas de flagrant délit,
Cet amendement n’a plus d’objet.
L'amendement n° 20, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
L'autorisation et les raisons qui la motivent sont immédiatement communiquées à la personne dont la garde à vue est prolongée et à son conseil.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. L’article 2 du projet de loi détaille les conditions d’exécution de la garde à vue, sa durée et les modalités d’une prolongation de la mesure.
Le projet de loi encadre trop partiellement la prolongation de la garde à vue au regard du préjudice qui en résulte pour la personne qui, je le rappelle, est présumée innocente.
Les conséquences psychologiques sur l’individu qui vient déjà de passer vingt-quatre heures enfermé ne doivent pas être sous-estimées.
C’est pourquoi nous proposons non seulement qu’une telle décision soit prise après autorisation du juge des libertés et de la détention, mais également que la présentation de la personne ne se fasse pas par vidéoconférence. Il est en effet important que le gardé à vue puisse bénéficier d’un entretien judiciaire de qualité et s’exprimer librement sur les conditions de sa détention.
Il est vrai que ce principe se heurte aux restrictions budgétaires imposées par le Gouvernement à la justice. Ainsi, on sait que la quasi-totalité des prolongations de garde à vue dans le cadre de l’enquête préliminaire se font sans présentation en raison de l’importance de la charge de travail des magistrats.
Compte tenu de ces remarques, nous demandons par notre amendement que soit expressément inscrit dans la loi le droit pour le gardé à vue et son conseil d’avoir communication de l’autorisation de prolongation et les raisons qui la motivent, et ce de manière immédiate. Cette demande est d’autant plus importante que le projet de loi entend réserver cette décision au procureur de la République.
La personne placée en garde à vue doit être en mesure de pouvoir constater cette prolongation. À ce titre, il est important qu’elle possède les éléments qui la fondent.