Sommaire
Présidence de Mme Monique Papon
Secrétaires :
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, M. Philippe Nachbar.
2. Candidature à un organisme extraparlementaire
3. Organisme extraparlementaire
4. Coordination des politiques économiques au sein de l'Union européenne. – Rejet d'une proposition de résolution
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution.
MM. Denis Badré, Jean-Pierre Bel, Jean-Pierre Chevènement, Mme Odette Terrade, M. Pierre Bernard-Reymond, Mme Nicole Bricq, M. Jean-François Humbert.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur.
Rejet, par scrutin public, de la proposition de résolution.
5. Présomption d’intérêt à agir des parlementaires en matière de recours pour excès de pouvoir. – Rejet d'une proposition de loi
Discussion générale : MM. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi ; Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois ; Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Pierre Sueur, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. François Zocchetto, Laurent Béteille, Alain Anziani.
M. le ministre.
Clôture de la discussion générale.
Amendements identiques nos 1 rectifié de M. Yvon Collin et 2 de la commission. – MM. Yvon Collin, le rapporteur, le ministre, Yves Détraigne, vice-président de la commission des lois. – Rejet par scrutin public, après une demande de vote par division, de la première partie des deux amendements.
MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption, par scrutin public, de la seconde partie des deux amendements.
MM. Jean-Pierre Sueur, Philippe Dallier.
Rejet, par scrutin public, de l’ensemble des deux amendements identiques modifiés, et de l’article unique de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
6. Questions d'actualité au Gouvernement
grève des personnels portuaires et situation des ports
MM. André Trillard, Thierry Mariani, secrétaire d'État chargé des transports.
marché eurostar remporté par siemens au détriment d’alstom
MM. Jean-Pierre Chevènement, Thierry Mariani, secrétaire d'État chargé des transports.
MM. Jean Arthuis, Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
réduction de personnel dans les services publics
MM. Yves Krattinger, François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État.
MM. Jean-Claude Danglot, Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique.
restructurations territoriales de la défense
MM. Jacques Gautier, Alain Juppé, ministre d'État, ministre de la défense et des anciens combattants.
Mme Nicole Bricq, M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État.
M. Serge Dassault, Mme Nadine Morano, ministre chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle.
fermeture de services de santé
MM. René-Pierre Signé, Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
utilisation des crédits dépendance par les départements
MM. Philippe Adnot, Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales.
7. Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes
M. le président.
MM. Didier Migaud, Premier président de la Cour des Comptes ; Jean Arthuis, président de la commission des finances ; Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales.
8. Nomination d’un membres d'un organisme extraparlementaire
10. Réforme de l'hôpital. – Discussion d'une proposition de loi (Texte de la commission)
M. le président.
Discussion générale : MM. Jean-Pierre Fourcade, auteur de la proposition de loi ; Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
MM. Gilbert Barbier, Guy Fischer, Mme Roselle Cros, M. Jacky Le Menn, Mme Marie-Thérèse Hermange, MM. Yves Daudigny, Jean-Pierre Michel.
Clôture de la discussion générale.
M. le ministre.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales.
11. Candidatures à un organisme extraparlementaire
12. Candidature à une commission
Suspension et reprise de la séance
13. Réforme de l'hôpital. – Suite de la discussion d'une proposition de loi (Texte de la commission)
M. Jean-Pierre Fourcade, auteur de la proposition de loi.
M. Guy Fischer.
Amendement n° 62 de M. Gilbert Barbier. – MM. Gilbert Barbier, Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé ; Jacky Le Menn, Guy Fischer. – Rejet.
Adoption de l'article.
Article additionnel après l'article 1er
Amendement n° 56 rectifié de Mme Marie-Thérèse Hermange. – Mme Marie-Thérèse Hermange, MM. le rapporteur, le ministre, Jacky Le Menn. – Retrait.
Reprise de l’amendement sous le no 81. – M. Jacky Le Menn. – Rejet.
Amendement n° 76 du Gouvernement. – M. le ministre.
Amendement n° 31 rectifié de Mme Marie-Thérèse Hermange. – Mme Marie-Thérèse Hermange.
MM. le rapporteur, le ministre, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Jean-Pierre Michel. – Retrait de l’amendement no 31 rectifié ; rejet de l’amendement no 76.
Amendement n° 37 rectifié de M. Guy Fischer. – MM. Guy Fischer, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 38 rectifié de M. Guy Fischer. – MM. Guy Fischer, le rapporteur, le ministre, Jean-Pierre Michel. – Rejet.
Adoption de l'article.
M. Guy Fischer.
Amendement n° 4 de M. Jacky Le Menn. – MM. Jacky Le Menn, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 39 de M. Guy Fischer. – MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 72 rectifié de M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – Mme Roselle Cros, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Adoption de l'article.
Articles additionnels après l'article 3
Amendement n° 40 de M. Guy Fischer. – MM. Guy Fischer, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 41 de M. Guy Fischer. – MM. Guy Fischer, le rapporteur, le ministre, Jean-Pierre Michel, Gilbert Barbier, Mme Marie-Thérèse Hermange, M. Jean-Pierre Fourcade. – Rejet.
Amendement n° 42 de M. Guy Fischer. – MM. Guy Fischer, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 46 rectifié bis de M. Guy Fischer. – MM. Guy Fischer, le rapporteur, le ministre, Jean-Pierre Michel. – Rejet.
Amendements identiques nos 23 de M. Jacky Le Menn et 29 rectifié de Mme Marie-Thérèse Hermange. – Mmes Raymonde Le Texier, Marie-Thérèse Hermange, MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption des deux amendements insérant un article additionnel.
MM. le président, Jean-Pierre Michel.
Amendement n° 43 de M. Guy Fischer. – MM. Guy Fischer, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 44 de M. Guy Fischer. – MM. Guy Fischer, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Adoption de l'article.
M. le président, Mme Marie-Thérèse Hermange, M. le ministre,
Renvoi de la suite de la discussion.
MM. Guy Fischer, le président.
15. Débat sur une demande de constitution d’une commission spéciale. – Rejet de la demande
MM. Jean-Pierre Michel, au nom du groupe socialiste, auteur de la demande de constitution d’une commission spéciale ; Alain Milon, au nom du groupe UMP, auteur de l’opposition à la demande de constitution d’une commission spéciale ; Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales.
Rejet, par scrutin public, de la demande de constitution d’une commission spéciale.
16. Nomination de membres d'un organisme extraparlementaire
17. Nomination d'un membre d'une commission
18. Communication du Conseil constitutionnel
19. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Monique Papon
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Monique Cerisier-ben Guiga,
M. Philippe Nachbar.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidature à un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages.
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Ambroise Dupont pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
3
Organisme extraparlementaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé à la Haute Assemblée de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’orientation stratégique de l’Institut français, en application de l’article 5 du décret n° 2010-1695 du 30 décembre 2010.
Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission de la culture, de l’éducation et de la communication à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
3
Coordination des politiques économiques au sein de l'Union européenne
Rejet d'une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution relative à la coordination des politiques économiques au sein de l’Union européenne, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Yvon Collin et certains membres du RDSE (proposition n° 204).
La parole est à M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution.
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis plusieurs générations déjà, l’Europe est un projet politique de premier plan, qui vise à accroître la prospérité des États et des peuples en créant les conditions d’une paix durable et du progrès économique et social pour tous. L’Europe, c’est encore et toujours une volonté politique au service du bonheur des peuples.
Confrontons un instant ce discours à quelques notions.
La démocratie. La souveraineté des peuples est-elle à ce point redoutée que l’on s’efforce par tous les moyens de se passer de la décision des citoyens sur des choix aussi essentiels que ceux qui portent, par exemple, sur les éléments les plus fondamentaux de la politique économique, à savoir les politiques monétaire et budgétaire ?
La solidarité entre les États. La voyons-nous à l’œuvre quand chacun s’emploie, par des politiques d’attractivité insoutenables – sauf à saper les bases économiques de ses partenaires – à attirer sur son territoire le plus de ressources économiques possible ?
L’économie sociale de marché. Les marchés dictent-ils leur loi aux États en les obligeant à une répartition des revenus au bénéfice prioritaire, et même parfois exclusif, des détenteurs du capital ?
La puissance économique. Est-elle réalisée quand l’Europe est la zone du monde, le Japon mis à part, où la croissance est la plus languissante et où la monnaie évolue au gré des seuls intérêts des autres ensembles économiques ?
La justice sociale. La voyons-nous à l’œuvre quand les inégalités augmentent, quand le taux de pauvreté s’accroît, quand les protections sociales sont démantelées au nom d’une compétitivité toujours brandie comme un étendard, mais sans cesse déclinante ?
Je ne voudrais pas alimenter ici l’euroscepticisme en incriminant l’échelon européen plutôt que celui des nations. Je n’ignore pas ce que le bilan plutôt accablant de la Commission européenne doit à une idéologie qui voit dans la dimension politique un mal presque absolu et qui la fait se détourner de sa mission première de défense de l’intérêt général européen. Surtout, je sais que, quoique l’on prétende, hormis dans les domaines très précis où ils ont délégué leur souveraineté, ce sont les États qui sont les ultimes responsables de l’abandon le plus grave de tous : l’oubli des objectifs de l’Europe et, avec lui, le renoncement à l’idéal européen.
Il ne faut pas craindre de l’affirmer : la crise que nous subissons n’est pas seulement une crise de l’Europe ; c’est une crise en Europe – et du politique en Europe.
À ce propos, nous avons tous entendu les discours complaisants sur l’origine transatlantique de la crise économique, ainsi que bien des lamentations sur la perte d’éthique et la morale défaillante des acteurs de la finance. Ces ritournelles, pour sonner parfois justes, me semblent bien loin de ce qu’il faut dire et penser de la crise. En effet, celle-ci ne fut pas seulement le produit délétère des arrière-salles des banques américaines ni la chose de quelques jeunes apprentis sorciers à la cupidité malsaine. Elle ne fut pas non plus le résultat d’un malheureux concours de circonstances où les événements les plus improbables se seraient déclenchés par l’effet d’un funeste hasard.
Non, cette crise fut bien celle d’un système économique dans son ensemble, à savoir le capitalisme court-termiste globalisé et l’ultralibéralisme, avec ses mots d’ordre dérégulateurs – flexibilité, attractivité, compétitivité –, qui reflètent un monde économique fictif et enfantent l’enfer pour de plus en plus d’individus.
En somme, les déséquilibres sur lesquels ce système danse ne sont pas seulement ceux de la finance mondiale. Ce sont aussi des dérèglements économiques, logés dans la sphère réelle elle-même, où la répartition des revenus se déstabilise tellement que l’ensemble est voué à des incohérences qui mettent le danseur à terre.
L’Europe ne fut nullement l’infortunée victime collatérale de l’un de ces tremblements de terre économiques dont la fréquence s’accroît dangereusement depuis quelques années. Elle fut pleinement un acteur de ce séisme. Tout autant que les autres, elle fut touchée par les conséquences des jeux auxquels elle s’est livrée. Tout autant – et même plus – que les autres, les pays européens peinent à se sortir de cette nasse, qui est particulièrement redoutable quand on sait combien leur avenir dépend de leur capacité à s’extraire vite du trou noir qui semble les absorber.
À cet égard, ce n’est pas de moins, mais de plus d’Europe que nous avons besoin, et d’une autre Europe, celle de la croissance, de la justice sociale, de l’équilibre, où le travail trouve toute sa place, donc d’une Europe qui porte un projet politique partagé.
Beaucoup a été fait pour sauver les banques, et je suis de ceux qui, dans cet hémicycle, ont accepté cette politique. Toutefois, ces secours, dont les modalités auraient dû être différentes, devaient avoir des contreparties. Or celles-ci ne sont pas venues. Et ce sont les États, par leur absence de volonté politique, qui sont ici responsables.
Pis encore, aujourd’hui, c’est avec une coupable complaisance que ces États, avec l’active complicité de la Banque centrale européenne, la BCE, autorisent la finance à dégager des marges d’intérêt faramineuses sur les titres de dette publique de pays européens de plus en plus nombreux à être étranglés par les mains auxquelles ils ont tendu les leurs.
M. Jean-Pierre Chevènement. Absolument !
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution. Les conditions de taux faites aux débiteurs excèdent de beaucoup leurs perspectives de croissance économique, et un effet boule de neige de l’endettement est en marche, alors même que l’on prétend avoir comme objectif prioritaire la réduction de la dette publique. Tout cela doit, en bonne logique, mener à un nouveau désastre financier.
M. Jean-Pierre Chevènement. Exact !
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution. La seule façon de l’éviter, ce sont des plans d’austérité budgétaire qui frappent tout particulièrement les ménages européens, salariés, retraités, malades ou chômeurs.
Les rentiers ou les spéculateurs n’ont aucune inquiétude à avoir : la concurrence fiscale en Europe préservera leurs revenus garantis par la Banque centrale. Au fond, rien n’a changé dans la finance européenne. Faute de volonté politique, mais aussi de coopération entre la Banque centrale européenne et les gouvernements, la prédation financière se poursuit sous d’autres formes, mais avec le même résultat : la montée des périls macroéconomiques, l’austérité pour la quasi-totalité des populations d’Europe et le déclin des États et de leur capacité à assurer leurs si nécessaires fonctions.
Alors que la combinaison des politiques économiques devrait s’attacher à mettre en place une coopération entre une politique monétaire accommodante et une politique budgétaire de rétablissement à petits pas des finances publiques sur fond de contribution du capital privé, afin d’en revenir à un sentier de croissance durable, tous les éléments de cet équilibre sont sens dessus dessous.
La BCE assure l’effet boule de neige de la dette qui alourdit les ajustements rendus nécessaires par l’état des finances publiques, délabrées par la crise. Alors que nous sommes en plein choc de demande, nous adoptons des plans d’austérité budgétaire qui pèseront sans doute sur la demande. Déjà, le Royaume-Uni s’enfonce de nouveau dans la récession, et les perspectives de croissance du Portugal, de la Grèce, de l’Irlande mais aussi des autres pays européens se dégradent. Et en France, il n’y a pas plus de relance qu’il n’y eut de baisse du chômage en 2010 !
N’en doutez pas, mes chers collègues, l’austérité budgétaire qui pèse sur la croissance d’aujourd’hui et de demain affectera à long terme la dynamique de l’Europe et détruira encore un peu plus la confiance de nos concitoyens.
Pendant ce temps, aux États-Unis, en Asie – des zones économiques auxquelles, je le note incidemment, les contribuables européens versent de confortables revenus financiers –, on profite qui d’une politique monétaire autrement moins conventionnelle et absurde, qui, sous forme d’investissements directs, des transferts financiers réalisés par les entreprises européennes dans le cadre de la nouvelle division internationale du travail.
Monsieur le secrétaire d'État, je voudrais vous poser une question simple : pourquoi, quand la FED, la Réserve fédérale américaine, rachète directement la dette publique des États-Unis en maintenant des taux d’intérêt très bas, nous offrons-nous le luxe de payer des commissions élevées aux banques commerciales en Europe pour une intermédiation totalement inutile ?
Ne me répondez pas que c’est pour éviter l’inflation, car, si un risque inflationniste existe en Europe, c’est du fait des spéculations financières sur les matières premières ou de la restriction du crédit aux entreprises, certainement pas par la monétisation de dettes publiques qui plus est souvent portées par des capitaux étrangers. Ne me dites pas non plus que nous y risquerions notre réputation, car ce qui compte pour les créanciers, c’est d’être remboursés tout en trouvant une rémunération acceptable. Toutefois, celle-ci doit l’être aussi pour les débiteurs, et pour cela elle doit être compatible avec la survie de ces derniers. Or, en l’état, tel n’est pas le cas, vous le savez, monsieur le secrétaire d'État.
L’Europe des ordo-libéraux manque décidément de la capacité de vouloir sans laquelle il n’est pas de capacité de concevoir. Point de vision ni de stratégie, sinon sur le papier jauni de Conseils européens prompts à avaler la doxa d’une commission européenne convertie aux rêveries de l’école de Chicago.
Ne nous y trompons pas : au lieu de sortir de la crise, nous sommes en train de nous y enliser ! Ce qui est en cause, au-delà de notre capacité, tragiquement inexistante aujourd’hui, à sortir de la crise dramatique que la France et la plupart des Français traversent, c’est le projet européen lui-même, donc l’avenir de l’Europe.
La crise en Europe, c’est surtout cela. Nous pouvons bien écrire sur le papier toutes les stratégies que nous voulons, ces documents ne pèsent rien en pratique, tant ils négligent les conditions d’accomplissement des ambitions qu’ils affichent. Pis encore, ils jettent les bases de leur propre vanité.
L’Europe se construit sur des fictions : celles de la concurrence pure et parfaite et de l’efficience des marchés. Or, si ces paradigmes ne doivent pas être négligés, une telle pensée est porteuse des graves désillusions qu’enfantent à tout coup les utopies mystificatrices.
L’Europe est victime d’un idéologisme qui lui fait prendre des vessies pour des lanternes, pour le plus grand bénéfice des monopoles dominant les marchés. N’est-il pas temps qu’elle redevienne l’Europe de la pensée pratique et des progrès, modestes mais tangibles ?
Nous n’avons qu’un ennemi ici, ce sont les faux-semblants. Est-il acceptable que les États-nations d’Europe se réclament d’une volonté de coopération et se livrent une guerre économique ? Pouvons-nous nous satisfaire du fait qu’ils affichent une priorité de croissance pour tous et qu’ils jettent les bases d’une domination de la rente patrimoniale, malthusienne et prédatrice ?
Mme Nicole Bricq. Il est encore plus radical que moi !
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution. L’Europe peut-elle à la fois prétendre adopter un modèle d’économie sociale de marché et verser dans le néo-libéralisme le plus caricatural ?
Une Europe des politiques économiques coopératives doit se substituer à l’Europe des États mis au service des rentes contreproductives. Ce sont la pérennité du projet européen et la prospérité des nations européennes qui sont en jeu !
Dans l’Europe intégrée, les interdépendances entre nations sont fortes : ce que fait l’une concerne toutes les autres. C’est tout particulièrement le cas pour les grandes économies européennes – France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie –, mais cela l’est tout autant pour les pays de plus petites dimensions. Ainsi, la concurrence fiscale exercée par l’Irlande assèche les ressources de ses partenaires : l’activité économique est localisée chez eux, mais les profits et les recettes de l’imposition des sociétés sont dans la verte Erin. Que n’avons-nous obtenu sur ce point des engagements fermes de l’Irlande ?
Dans le rapport d’information adopté en 2007 et fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification présidée par Joël Bourdin, qui vous prie d’ailleurs d’excuser son absence aujourd'hui, rapport que nous avions intitulé Le Malaise avant la crise – titre prémonitoire ! –, nous avions mis en évidence la réalité des antagonismes économiques en Europe. Nous avions alerté sur l’insoutenabilité économique, financière, sociale et, finalement, politique de la confrontation des trois modèles que nous avions identifiés : d’abord, l’économie d’endettement, d’inflation et de bulles du type espagnol ou britannique ; ensuite, l’économie de la déflation salariale à la mode germanique, tirée par ses partenaires ; enfin, le modèle français qui, non exempt de défauts, paraissait malgré tout le plus équilibré de tous sur le plan macroéconomique.
L’analyse économique n’a pas toujours été aveugle, comme on le prétend parfois trop facilement. Il suffisait d’analyser les externalités produites par chacun de ces modèles sur les pays partenaires.
Ainsi, dans ce rapport d’information, nous avions mis en évidence le caractère insoutenable du concert économique européen, des déficits extérieurs et des finances publiques, mais aussi de la finance privée. Nous avions souligné à la fois le caractère tout aussi insoutenable, du point de vue tant social qu’économique, des modes de répartition à l’œuvre dans les économies européennes et l’impossible coexistence de modèles économiques antagoniques.
Le concert européen nous semblait si discordant que nous évoquions comme une probabilité assez forte le déclenchement d’une crise présentant plusieurs visages – les crises globales le sont toujours –, dont l’un était pour nous la montée des menaces pesant sur l’euro. Tiens, tiens !
Nous savons depuis Robert Mundell qu’il existe des conditions de viabilité d’une zone à monnaie unique, comme l’est la zone euro, et nous savons que ces conditions ne sont réunies en Europe que théoriquement.
L’histoire récente a, sous l’effet de l’urgence, permis d’envisager quelques progrès sur ce point avec la constitution, trop poussive, du Fonds européen de stabilité financière. Je n’ai rien contre ce fonds puisque, avec Joël Bourdin, j’en avais proposé la création dès 2009, dans un autre rapport d’information consacré à la crise de l’Europe. D’ailleurs, il faut impérativement en abonder les moyens ; le plus tôt sera le mieux. Mais ce fonds ne sera pas et ne doit pas être la clef de voûte de l’euro. Si nous cédions à cette tentation minimaliste, nous n’aurions fait qu’installer un petit FMI européen ; en d’autres termes, nous n’aurions fait qu’installer une caserne de pompiers au cœur de l’Europe. Or, si nous aimons tous les pompiers, nous préférons tous aussi, dans cet hémicycle, nous en passer. Comme le dit la sagesse populaire, mieux vaut prévenir que guérir !
Il est symptomatique que, plutôt que de s’accorder sur un renforcement du budget européen, les États soient passés par l’instauration d’une nouvelle institution financière pour traiter le grave problème des dettes souveraines en Europe, dont chacun sait qu’il est aussi – et peut-être avant tout ! – celui des établissements financiers privés opérant en Europe.
Ce n’est pas ainsi que la condition tout à fait essentielle, et pourtant toujours négligée, énoncée par Robert Mundell, celle de la convergence des préférences collectives dans une zone monétaire unique, sera respectée. Pour qu’elle le soit, il faudrait qu’un esprit de coopération bien plus fort anime les partenaires réunis dans le projet européen. Une fois de plus cette condition est clairement ménagée par les traités. Mais, en accord avec l’idéologie sur laquelle se construit l’Europe, elle n’est mise en œuvre avec une certaine vigueur que dans le domaine de la surveillance des positions budgétaires.
La coordination des politiques économiques, la concurrence fiscale, les objectifs sociaux que l’Europe a pourtant entendu consacrer, tout cela est traité par prétérition, comme s’il s’agissait de sujets secondaires.
À cet égard, mes chers collègues, je tiens à vous alerter sur les conséquences proprement régressives de ce qui se prépare dans les cénacles européens autour de la réforme de la gouvernance économique et du prétendu « pacte de compétitivité », c’est-à-dire la généralisation en Europe du malthusianisme allemand. Plutôt que d’inciter l’Allemagne à sortir de ce modèle – vous verrez qu’elle en sortira un jour tant celui-ci est insoutenable –, on nous propose de l’adopter.
Je n’insiste pas sur les aspects économiques des orientations qui nous seront détaillées. On en connaît la logique : déflation salariale, hausse de la rentabilité financière du capital, remise en cause radicale de l’État protecteur. On en sait les impasses : disparition de toute perspective de croissance, montée des inégalités de revenus et des patrimoines, exportation des richesses créées en Europe vers les zones où la rentabilité du capital est maximisée par le dumping social et fiscal.
Où est la cohérence avec l’engagement du Président de la République d’être le président du pouvoir d’achat ? Où retrouver trace de l’important débat ouvert par lui sur le partage de la valeur ajoutée ? Nous y reviendrons sans doute dans des débats futurs.
C’est sur des aspects plus politiques extrêmement préoccupants pour tous les démocrates – je sais que nous le sommes tous ici – que je souhaite m’attarder maintenant. Il entre dans ces projets de faire régner les règles plutôt que les décisions politiques. Ainsi, l’on nous annonce un projet de révision constitutionnelle, qui ne vise rien d’autre qu’à « constitutionnaliser » Maastricht.
En effet, si nous n’y prenons pas garde, notre constitution politique sera remplacée par une constitution économique qui nous aura privés de tout pouvoir pour mieux instaurer la tyrannie de prétendus marchés, c’est-à-dire des intérêts des grands oligopoles qui, aujourd’hui, décident déjà de tout ou presque.
Le Président de la République a fondé une partie de son succès il y a quatre ans sur le thème du retour de la politique. Pourtant, hormis quelques grands discours et certaines petites phrases, on attend toujours que cette thématique trouve un semblant de traduction en actes. Il faut dire que le triomphe accepté de l’ordo-libéralisme que représentent les règlements concoctés par le cabinet d’audit qu’est devenue la Commission européenne sur la coordination des politiques économiques européennes – disons le clairement : c’est en fait la disparition de toute politique économique – implique la défaite d’une ambition qui se sera révélée comme une posture, pour ne pas dire une imposture.
Mes chers collègues il faudra expliquer aux Français qu’ils ne seront plus libres demain, parce que le pouvoir de décider des conditions dans lesquelles leur État ou leurs collectivités locales pourront financer leurs interventions nous aura été retiré. Il faudra les convaincre que la prohibition de tout emprunt public que porte le projet de révision constitutionnelle que l’on nous annonce traduit ce fameux retour du politique. J’entends déjà le sophisme résonner : « Échapper à la dette, c’est échapper à la dépendance des marchés financiers. » Étrange défense venant d’un horizon politique qui, sans s’embarrasser de nuances, accepte – revendique même tous les jours ! – le patronage de l’économie de marché.
C’est parce que ce débat démocratique doit avoir lieu et que le politique doit être respecté qu’il est inacceptable de brader notre souveraineté, ainsi qu’on le projette, à un paradigme abstrait et sans cohérence, qui plus est régressif, qui veut qu’une bonne politique économique soit le renoncement par avance de toute politique économique.
Dans ce qui se prépare, rien ne correspond aux principes de notre souveraineté, rien ne correspond aux valeurs européennes. Pas un mot de la croissance économique, nul élan vers des projets concrets pour relever les défis du xxie siècle, l’oubli de toute ambition sociale et même de tout réalisme social.
Mme Nicole Bricq. Exactement ! Il a raison !
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution. Dans l’état actuel de l’Europe, la diplomatie économique et sociale doit être au centre des stratégies. La France a le choix entre s’aligner et défendre son modèle, qui fut celui des pères fondateurs de l’Europe. C’est évidemment parce que je suis préoccupé de la défense des intérêts de la France et que j’adhère sans arrière-pensée au projet d’une Europe puissante...
M. Denis Badré. Merci !
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution. ... que j’ai déposé cette proposition de résolution avec plusieurs de mes collègues et amis du groupe du RDSE.
Mme Nicole Bricq. Très bien ! C’est une bonne proposition !
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution. J’espère qu’elle trouvera dans cette assemblée mais aussi dans bien d’autres assemblées politiques de l’Europe l’adhésion majoritaire qu’elle appelle et qui traduit le ralliement au vrai projet européen.
Mes chers collègues, avant de conclure cette intervention en vous invitant à soutenir cette proposition de résolution qui, à tout bien considérer, n’est qu’une exhortation à retrouver l’esprit et la lettre des engagements européens du pays, je rappellerai quelques propos inspirés par le projet européen. « Son modèle, » – il s’agit de celui de l’Europe – « c’est l’économie sociale de marché. Son contrat, c’est l’alliance de la liberté et de la solidarité, c’est la puissance publique garante de l’intérêt général. La dignité de l’homme est au cœur de son projet de société. Renoncer à cet idéal, ce serait trahir l’héritage européen. C’est pourquoi la France n’acceptera jamais de voir l’Europe réduite à une simple zone de libre-échange. C’est pourquoi nous devons relancer le projet d’une Europe politique et sociale, fondée sur le principe de la solidarité. »
À l’heure du chômage de masse et au moment où la Cour constitutionnelle allemande juge contraire à la dignité humaine les aspects les plus radicaux des réformes ultralibérales, cet extrait d’une tribune de Jacques Chirac – vous aurez sans doute reconnu l’auteur de la citation que j’ai faite à l’instant (Sourires sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPC) – nous rappelle utilement à notre devoir collectif de faire prévaloir le seul esprit des traités qui vaille, celui qui fonde notre Europe, une Europe non du renoncement régressif, mais bien de la volonté politique de progrès. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sortons progressivement d’une crise économique mondiale de grande ampleur.
Mme Nicole Bricq. Non ! On n’en sort pas !
M. Denis Badré. Cette sortie de crise se fait dans un contexte marqué par le formidable dynamisme des économies de pays émergents ou de puissances qui, comme la Chine, connaissent des taux de croissance à deux chiffres.
Dans cet environnement, on constate que les politiques des États de l’Union européenne ne sont pas toutes aussi efficaces et que leurs économies sont inégalement compétitives. Ainsi, l’Allemagne s’est rapidement relevée de la crise et dope ses exportations, quand d’autres pays peinent à redémarrer.
Nous savons tous ici ce qu’apporte la compétitivité d’une politique économique en termes d’emplois, de croissance, de résorption de la dette. Nous savons aussi combien il est important que cette compétitivité soit recherchée et partagée par l’ensemble des pays qui ont fait le choix de vivre ensemble dans un marché unique où la monnaie, les capitaux, la main-d’œuvre, les produits et les services sont appelés à circuler librement. Pour des pays qui partagent la même monnaie, faire converger les politiques économiques n’a en tout cas rien d’absurde.
Pour commencer, il est parfaitement raisonnable que l’Allemagne et la France, qui totalisent 70 % du PIB de la zone euro, se donnent pour priorité de rapprocher leurs économies et de le faire en visant la meilleure compétitivité. Il est même indispensable et assez naturel qu’il leur soit demandé d’imprimer un même mouvement à la zone euro, alors qu’elles entendent continuer à assumer ensemble une responsabilité politique générale exigeante au service de la construction européenne, ce dont, personnellement, je me félicite.
Monsieur Collin, le groupe de l’Union centriste ne veut pas partager le scepticisme qui marque la proposition de résolution, au demeurant intéressante, que vous venez de présenter. Nous ne pouvons pas non plus reprendre à notre compte les arguments qui la sous-tendent.
Je vous remercie néanmoins de nous donner ainsi l’occasion de traiter ici de ce sujet passionnant. Nous devons analyser en particulier les efforts entrepris par l’Allemagne qui distance la France en termes de compétitivité. Nous devons développer notre réflexion à partir de ce constat.
Évidemment, il nous faut le faire avec la lucidité voulue pour laisser vivre nos différences de culture, ce qui implique un regard critique sur les moyens à mettre en œuvre pour que notre économie, aux côtés de celle de l’Allemagne, contribue elle aussi à la relance de l’Union européenne.
L’objectif est rappelé, mais l’atteindre n’est pas simple. Le rapport établi par l’institut Coe-rexecode sur le thème de la comparaison des situations économiques française et allemande fait apparaître entre 2000 et 2008 un effet ciseau croissant qui oppose une érosion régulière de notre compétitivité à une consolidation constante de celle que connaît l’Allemagne, notamment en matière industrielle.
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas tout à fait sûr !
M. Denis Badré. La perte relative de terrain de la France sur son partenaire préféré concerne même l’agriculture. Elle transparaît à tous les niveaux, qu’il s’agisse du coût du travail, des dépenses de recherche et développement ou encore du niveau des prélèvements obligatoires, qui font la une de l’actualité.
En 2010, la politique économique allemande porte les fruits de réformes économiques et sociales courageuses. Je pense notamment à la loi Hartz IV, qui accroît la flexibilité du travail. L’Allemagne récolte aussi les fruits d’un climat social qui, au plus fort de la crise, est resté plus réaliste et plus constructif que celui qui régnait en France.
Le résultat semble sans appel. En 2010, la balance commerciale affiche un excédent de 160 milliards d'euros en Allemagne, alors qu’elle accuse un déficit de 50 milliards d'euros de l’autre côté du Rhin. Le déficit public allemand, en pourcentage du PIB, est deux fois moins important que celui de la France et diminue beaucoup plus rapidement. Le taux de chômage au mois de décembre dernier était de 6,6 % en Allemagne contre 9,7 % en France. La croissance du PIB y est de 3,6 contre 1,6 chez nous. En résumé, après des années d’atonie, la santé de l’économie allemande pourrait paraître insolente si elle n’était pas parfaitement justifiée. Considérons-là simplement comme exemplaire (Mme Nicole Bricq proteste) et essayons d’analyser ce modèle.
Avant de suivre cet exemple, prenons tout de même en compte certaines différences de structures. La recette miracle allemande n’est pas immédiatement transposable en France.
L’économie française colbertiste repose beaucoup moins sur les exportations et bien davantage sur la consommation, elle-même favorisée par une importante redistribution de richesses par l’État ou sur son initiative.
M. Jean-Pierre Chevènement. N’insultez pas Colbert ! Cela n’a rien à voir !
M. Denis Badré. Je révère Colbert, dont la statue se trouve juste derrière moi, mais il faut le révérer avec lucidité et réalisme !
Malheureusement, monsieur le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, le développement de notre consommation enrichit aussi la Chine, et pas seulement à la marge. Cela présente certains avantages, mais aussi des inconvénients. En même temps, notre penchant keynésien a permis de lisser les effets de la crise, quand les économies purement libérales étaient à la dérive. Il faut le dire !
Exportatrice, l’économie allemande est également décentralisée, caractéristique si étrangère à notre culture que, lorsque nous nous « appliquons » à décentraliser, nous le faisons toujours de manière centralisée – il nous est impossible de faire autrement – et uniforme, depuis Paris ! Le principe de subsidiarité reste peu lisible, voire incompréhensible, en France. Selon ce principe, les interventions se font au plus près du « terrain », et l’on accepte de fédérer ses efforts, ses difficultés et ses ambitions, à partir du moment où l’on est sûr de ne pas pouvoir être plus efficace autrement. Cela appelle un effort constant de notre part. Il est dommage que ce principe soit peu lisible en France, car il constitue une belle école de responsabilité pour les citoyens comme pour les dirigeants d’entreprise.
Avec ses atouts, l’Allemagne tire le parti maximum de la croissance des pays émergents, même si elle a subi plus fortement l’arrêt brutal de la demande internationale. On ne peut pas tout avoir !
En outre, les relations sociales en Allemagne sont consensuelles, d’autant plus naturellement qu’elles sont, elles aussi, décentralisées. Dans un État fédéral, la décentralisation est en effet la base de toute chose. Les négociations, enfin, sont globales, puisqu’elles portent à la fois sur le temps de travail, les salaires et l’emploi.
Un point est plus encourageant, tout de même, s’agissant des comparaisons entre nos économies : les deux pays partagent une même approche socio-libérale de l’économie. Cette profonde communauté de sensibilités permet déjà de se comprendre, ce qui est précieux. Sans ignorer les différences, il nous faut rechercher puis valoriser toutes les possibilités de convergence !
Des marges de progrès existent vraiment. C’est dans ce domaine que les propositions du pacte de compétitivité franco-allemand sont évidemment les plus intéressantes. Elles peuvent paraître peu ambitieuses. Il nous reste à miser pragmatiquement, « à l’allemande », sur elles, et à avancer. Elles traduisent surtout une volonté politique commune dont l’affirmation même est déjà essentielle et déjà porteuse d’avenir.
La Cour des comptes va rendre publiques ses conclusions sur les problèmes posés en matière de convergence des fiscalités française et allemande. Ces comparaisons vont nourrir le débat, lancé pour ce semestre, sur l’évolution de notre propre fiscalité. J’ai par ailleurs noté que le Président de la République portait une grande attention à la réalité allemande et à tout ce qui pouvait resserrer cette convergence. Tant mieux !
Nous connaissons donc une conjoncture plutôt favorable pour opérer, au moins à l’échelle franco-allemande, une coordination fiscale, premier pas vers une coordination de nos politiques économiques.
Peut-être une telle initiative entraînera-t-elle d’autres économies de la zone euro à appliquer les « bonnes pratiques », telles que le plafonnement de la dette ou le rapprochement des taux d’impôt sur les sociétés, pour ne citer que ces deux exemples.
À terme – il faut l’espérer et y croire –, cette démarche intergouvernementale pourra être consacrée à l’échelon communautaire. C’est bien la méthode Schuman ! Elle se fait pas à pas, par des avancées concrètes. C’est ainsi que nous pourrons le plus solidement et irréversiblement réduire les tentations de dumping fiscal qui subsistent dans l’Union européenne. La solidarité y gagnera et, avec elle, la croissance et l’emploi de tous, au sein du grand marché européen.
La France doit l’accepter, l’environnement mondial a évolué. Que l’on en pense du bien ou du mal, c’est une réalité incontournable. C’est dans ce contexte, d’abord à l’échelle de l’Eurogroupe, puis de l’Union européenne, que de nouvelles voies doivent être ouvertes.
Parce qu’ils se situent dans cette perspective européenne, les membres du groupe de l’Union centriste ne partagent pas le scepticisme qui nourrit la proposition de résolution qui nous est soumise. Du scepticisme au pessimisme, il n’y a qu’un pas. Nous ne voudrions pas nous retrouver entraînés à le franchir, alors que, pour reprendre une formule connue, « le pessimiste se condamne à être spectateur ». Dans la compétition mondiale qui est engagée, nous entendons bien rester acteurs, avec la France et dans l’Union européenne !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution dont nous débattons aujourd’hui, grâce à l’initiative de notre collègue Yvon Collin, traite d’un sujet capital.
Elle intervient alors que notre continent et le monde traversent l’une des pires crises économiques de l’Histoire moderne et, en tout état de cause, la pire crise que le monde ait connue depuis les années 1920.
Cette crise, d’abord financière, puis économique et sociale, met l’Europe au défi : au défi d’être à la hauteur des enjeux ; au défi de faire face ; au défi d’inventer de nouvelles politiques et de nouveaux instruments de délibération et d’action.
En effet, nous le savons, l’échelon européen est pertinent pour agir et pour obtenir des effets sur l’économie, à condition de le vouloir et de s’en donner les moyens.
Aujourd’hui, la coordination des politiques économiques au sein de l’Union européenne se fait essentiellement – on peut le déplorer – par des interdictions et des sanctions. C’est vrai, en particulier, pour les États membres de la zone euro, soumis au pacte de stabilité et de croissance qui encadre les politiques budgétaires des États et prévoit le déclenchement de sanctions en cas de dépassement des seuils prescrits. Il s’agit d’une sorte de coordination « par défaut ». En effet, la monnaie commune n’est pas accompagnée d’un budget commun ; seules des règles strictes, inscrites dans les textes, fixent un cadre commun pour éviter les tentations de « cavalier seul ».
Cette coordination a fait la preuve de ses limites et de ses insuffisances. Nous l’avons vu au moment de la crise grecque, dont Jean-Pierre Chevènement a écrit dans son dernier ouvrage qu’il s’agissait d’une « répétition générale des crises à venir ». Au moment où cette crise a éclaté, l’Europe était dépourvue de tout moyen de réponse rapide, adéquate et efficace. Nous le voyons chaque jour depuis des années : la coordination, telle qu’elle existe actuellement, ne permet pas à notre vieux continent de tirer le meilleur de lui-même.
Les mécanismes existants ont échoué dans la mise en place de politiques d’avenir. Ils ne permettent pas de conduire, à l’échelle du continent européen, des politiques keynésiennes. Tout le monde reconnaît pourtant aujourd’hui que ces politiques sont les seules capables de surmonter la crise, de soutenir la recherche et l’innovation, et de préparer les emplois de demain !
De nombreuses propositions sont sur la table. Je pense au paquet législatif proposé par la Commission européenne en septembre dernier. Je pense également au rapport du groupe de travail présidé par Herman Van Rompuy et aux propositions du Parlement européen faites en octobre dernier. Je pense aussi aux propositions des socialistes européens qui, sur bien des points, sont proches de l’état d’esprit des mesures proposées aujourd’hui par nos amis du RDSE.
Nous plaidons pour de nouvelles modalités de coordination des politiques économiques au sein de l’Union européenne.
Le premier souci de la nouvelle coordination doit être celui de la démocratie. C’est, me semble-t-il, l’un des messages forts de cette proposition de résolution. Comme je l’ai indiqué, le pacte de stabilité et de croissance encadre fortement les politiques budgétaires nationales.
Le « semestre européen », institué lors du Conseil ECOFIN du 7 septembre dernier, va dans ce sens. Il prévoit en effet une mise en cohérence accrue entre les procédures budgétaires nationales et l’agenda européen.
Indispensable dans son principe, une telle coordination comporte cependant un risque évident : celui de contourner purement et simplement, en fait sinon en droit, comme l’ont dénoncé nos collègues députés européens, le Parlement européen lui-même. Un tel état de fait priverait le « semestre européen » de toute légitimité démocratique et serait, à terme, préjudiciable à sa pérennité. Il faut en conséquence conforter la dimension parlementaire nationale du « semestre européen », et le doter d’une dimension parlementaire européenne clairement assumée.
De cela découle l’importance de la tenue d’une réunion, au moins une fois par an, de représentants des parlements nationaux et du Parlement européen, afin d’avancer ensemble.
Nous devons donc parvenir à concilier deux exigences qui risquent de s’opposer : d’une part, l’exigence de souveraineté, puisque le premier rôle des parlements nationaux est bien de voter le consentement à l’impôt et le budget ; d’autre part, l’exigence d’une coordination des politiques en Europe dans un contexte tendu.
De surcroît, la coordination des politiques économiques doit être, pour nous, un moyen de sortir par le haut de la situation économique actuelle. En effet, la coordination n’est pas une fin en soi. Nous ne la souhaitons pas par simple goût des procédures. Elle doit être mise au service de politiques publiques. Ainsi, la coordination est réussie dès lors qu’elle permet aux Européens de faire face, ensemble, à des défis communs, et de tout mettre en œuvre pour aller de l’avant dans une dynamique collective. À cet égard, plusieurs pistes doivent être explorées.
D’abord, nous devons aller vers la mise en place d’un mécanisme permanent de gestion des crises. Un premier pas a été fait, il faut le reconnaître, avec la mise en place du Fonds européen de stabilité financière. Ses opérations sont encore exclusivement des plans de sauvetage – souvent assortis de contreparties drastiques –, et il ne prévoit pas encore d’instruments de convergence économique.
En outre, la question des investissements d’avenir est essentielle pour notre continent. L’investissement public et le soutien à l’investissement privé, notamment dans les secteurs de la recherche, du développement et de l’innovation, conditionnent la réussite de la stratégie Europe 2020. Leur insuffisance explique, en partie, le relatif échec de la stratégie de Lisbonne.
Pour ces raisons, il nous faut poser clairement la question d’un éventuel emprunt européen. Les États pourraient ainsi procéder collectivement à des emprunts pour financer de grands projets d’investissement d’intérêt européen.
Enfin, nous pouvons imaginer d’aller plus loin encore, en mutualisant les budgets nationaux sur des sujets d’intérêt commun en lien, ici encore, avec la stratégie Europe 2020. De telles mesures ne devraient pas être soumises aux règles du pacte de stabilité.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution aujourd’hui examinée est un marqueur.
Elle acte des principes et des propositions qui nous permettent d’aller de l’avant. À nous de suivre le bon chemin, en démocratisant la gouvernance pour la mettre au service de l’emploi et de la croissance, en remplaçant les procédures de coordination par des politiques publiques ambitieuses, en conciliant souveraineté, démocratie et volontarisme politique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement. (Mme Françoise Laborde et M. Yvon Collin applaudissent.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise de l’euro résulte d’une insuffisance initiale de conception tenant à l’hétérogénéité même de la zone euro. Aucune politique coordonnée de croissance économique n’a été prévue pour y porter remède.
Au contraire, l’orientation qui se dégage à l’approche du sommet de la zone euro, le 11 mars prochain, suivi d’un sommet à vingt-sept à la fin du mois, consiste à assortir la pérennisation du mécanisme de stabilisation financière de l’euro – que les traités, il est vrai, ne prévoyaient pas à l’origine – d’un « pacte de compétitivité », élaboré par le gouvernement de Mme Merkel, enrôlant à sa suite M. Sarkozy et le Gouvernement français pour imposer aux autres gouvernements européens une politique de rigueur profondément réactionnaire. Cette politique ne peut qu’enfoncer les économies européennes dans une stagnation de longue durée.
Au lieu de promouvoir, comme l’avait suggéré en 2007 le rapport d’information de MM. Bourdin et Collin sur la coordination des politiques économiques en Europe, une initiative de croissance à l’échelle européenne, qui desserrerait le carcan pesant sur les pays déficitaires, à travers une politique coordonnée de relance salariale, particulièrement en Allemagne, où la déflation salariale impulsée depuis 2000 a exercé un effet déséquilibrant sur le commerce extérieur de presque tous les pays de la zone euro, le « pacte de compétitivité » réclamé par Mme Merkel, en compensation de son acceptation d’un mécanisme de solidarité financière, vise d’abord à casser l’indexation des salaires sur les prix. L’objectif est, une fois encore, de modifier le partage entre les profits et les salaires, au détriment de ces derniers, dont la part a déjà régressé de douze points entre 1975 et 2006, comme le montrait le rapport d’information de MM. Collin et Bourdin.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. MM. Junker et Leterme eux-mêmes, les premiers ministres luxembourgeois et belge, que l’on ne peut pas qualifier de « gauchistes », s’élèvent contre cette prétention !
Ledit « pacte de compétitivité » prévoit également d’inscrire dans les constitutions l’interdiction de tout déficit budgétaire ! Keynes peut se retourner dans sa tombe ! C’est le triomphe de Milton Friedman
Croyez-vous, monsieur le secrétaire d’État, qu’une majorité des trois cinquièmes du Congrès sera trouvée, à Versailles, pour approuver une telle régression ? Vous comptez sur les socialistes, mais je ne suis pas sûr qu’ils se comportent comme au moment de l’adoption du traité de Lisbonne. Ils pourraient bien vous faire défaut !
M. Jean-Pierre Chevènement. La réglementation de l’euro, imposée en son temps au sein du groupe Delors, par le président de la Buba, Karl Otto Pöhl, était très critiquable. En effet, la Banque centrale européenne, indépendante, s’était vue interdire de racheter des titres d’État sur les marchés, dits secondaires, de la dette.
La Banque centrale européenne a certes été amenée à contourner légèrement cette interdiction en rachetant 60 milliards d’euros – promptement annulés – d’obligations grecques, irlandaises et portugaises.
Mme Nicole Bricq. Ah oui ! Elle l’a fait !
M. Jean-Pierre Chevènement. Mais au lieu d’élargir cette possibilité par une réforme des statuts de la Banque centrale européenne, voilà que Mme Merkel et M. Sarkozy nous proposent que le futur fonds de stabilisation alimenté par les États, c’est-à-dire au premier chef par l’Allemagne et la France, puisse par exemple racheter de la dette grecque ou prêter à la Grèce de quoi le faire elle-même.
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. De toute évidence, il s’agit de préparer la restructuration de la dette grecque plutôt que d’agir en amont sur la croissance et sur la politique de la Banque centrale européenne. J’aimerais être sûr qu’il ne s’agit pas d’un premier pas pour exclure de la zone euro les pays les plus fragiles.
Le pacte de compétitivité prévoit, par ailleurs, un mécanisme automatique de relèvement de l’âge de la retraite fondé sur la démographie, comme si le problème essentiel n’était pas le rétrécissement de la base productive des économies européennes ni la diminution – à hauteur de 600 000 en France pour la période 2008-2009 – du nombre des cotisants.
M. Jean-Pierre Bel. Bien sûr !
Mme Nicole Bricq. C’est un point essentiel !
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le secrétaire d'État, cette prétendue « politique de compétitivité » n’a aucune chance de fonctionner. Visez-vous le modèle chinois ?
Mme Nicole Bricq. Ah non !
M. Jean-Pierre Chevènement. Si oui, à quel horizon ? Préférez-vous le modèle allemand ? Mais croyez-vous que cela ait un sens ? Si tous les autres pays de la zone suivaient l’exemple de l’Allemagne, ce serait le naufrage collectif assuré, et d’abord pour celle-ci. Si tous les pays de la zone euro voulaient, par une politique de rigueur, augmenter leur compétitivité pour gagner des parts de marché à l’exportation, ce serait la récession générale.
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. Quant à la France, elle est doublement pénalisée : non seulement elle est le deuxième pays contributeur juste derrière l’Allemagne, mais elle devra faire un effort de rigueur beaucoup plus important, pour faire passer son déficit de 7 % du PIB à 3 %.
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. La politique inspirée par le gouvernement de nos grands voisins et relayée par la Banque centrale et la Commission européennes, toutes deux prisonnières des dogmes libéraux qui ont présidé à leur fondation, nous conduit droit dans le mur !
Or, aucun exécutif européen ne se sent de taille à contester l’orthodoxie professée par le gouvernement allemand appuyé sur la Commission et sur la Banque centrale européennes Ce serait pourtant le rôle de la France, monsieur le secrétaire d'État : portez ce message à M. Sarkozy ! Mais je passe sur le mystère d’un tel égarement…
À l’évidence, le Conseil a pris la place de la Commission.
Mme Nicole Bricq. C’est vrai !
Mme Odette Terrade. Eh oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. À certains égards, c’était inévitable : la légitimité appartient au Conseil et non à une commission où vingt-sept personnes ne peuvent pas définir l'intérêt général européen.
Dans les faits, c’est le couple franco-allemand qui prend le relais. Mais, au sein de ce dernier, c’est l’Allemagne qui paie, et donc elle qui commande ! Elle entend se servir de la troïka composée du FMI, de la Commission et de la BCE pour imposer une rigueur budgétaire sans faille allant jusqu’au blocage puis à la diminution du traitement des fonctionnaires, au recul de l’âge de la retraite, à des coupes sévères dans les dépenses publiques, à la création de nouveaux impôts, à des programmes drastiques de privatisation comme on le voit déjà en Grèce.
Le gouvernement de Mme Merkel préconise, en cas de manquement, une procédure de sanctions automatiques. Il entend également faire peser sur les créanciers privés, c’est-à-dire les banques, le poids d’éventuelles restructurations de dette, les rendant ainsi inévitables. La Chancelière allemande a fait accepter à M. Sarkozy le principe d’un pacte de compétitivité, sur le contenu duquel il semble, monsieur le secrétaire d'État, que vous manifestiez en catimini quelques réticences. En public, on aimerait vous entendre dire clairement où est l'intérêt de l'Europe, de la France,…
Mme Odette Terrade. Absolument !
M. Jean-Pierre Chevènement. … et même de l’Allemagne.
M. Nicolas Sarkozy a déclaré : « L’euro, c’est l’Europe. » Eh bien non ! L’Europe, ce n’est pas l’euro à n’importe quelle condition : ne vous laissez pas instrumenter !
Il est temps que le Gouvernement français cesse de s’inscrire dans la logique du pacte de compétitivité. Il doit, au contraire, changer de cap et proposer, en liaison avec les autres gouvernements européens, un mémorandum mettant l’accent sur trois points : une initiative de croissance européenne fondée sur la relance salariale ; le lancement de programmes de recherche et d’infrastructure financés par un grand emprunt européen ; des pouvoirs nouveaux donnés à la BCE pour racheter sur les marchés secondaires les titres de dette des États que menacerait la spéculation.
L’émission d’Eurobonds garantis à la fois par l’Allemagne et la France pourrait financer des grands programmes d’investissement. Un plan de relance européen, à l’image de celui qui est mis en œuvre aux États-Unis par l'administration Obama, permettrait une sortie coordonnée de la crise. En effet, on ne pourra résorber la dette que par la croissance.
Monsieur le secrétaire d'État, la gestion de la dette elle-même ne devrait pas être abandonnée à un panel de grandes banques qui peuvent se refinancer à coût nul auprès de la BCE et réaliser de scandaleux bénéfices. Il importe de trouver des solutions nouvelles et hétérodoxes : monétisation de la dette ; émission publique d’obligations du Trésor à durée indéterminée, instaurant ainsi un mécanisme de dette perpétuelle.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de résolution déposée par le groupe du RDSE relative à la coordination des politiques économiques au sein de l'Union européenne incite à l’exigence et à l’audace : l’idée européenne est une belle idée, mais on ne la sauvera que par le haut, en la libérant d’un corset néolibéral étouffant ! (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de résolution présentée par nos collègues du groupe du RDSE fait écho à la tournure prise par le Conseil européen du 4 février dernier : alors qu’il devait se focaliser sur les questions d’énergie et d’innovation, le Conseil a surtout été l’occasion pour la France et l’Allemagne de soumettre aux Vingt-Sept leur projet de « pacte de compétitivité ».
La crise économique a plongé le monde et les peuples dans un gouffre de récession et d’incertitudes quant à l’avenir. Si elle a démontré une chose, c’est bien le besoin de mettre fin au système capitaliste et à sa perversité.
D’ailleurs, de nombreux dirigeants européens, à commencer par le Président de la République française, ont même affirmé, en plein cœur de la crise, vouloir « refonder », « réguler » ou encore « moraliser » le capitalisme.
Mais derrière ces effets d’annonce, malgré la disqualification totale du capitalisme, on ne constate aucune volonté sincère de changer. Pis, la teneur du sommet de Davos et le contenu du pacte de compétitivité franco-allemand attestent que les dirigeants européens sont retournés à leurs fondamentaux, qu’ils n’ont jamais vraiment voulu abandonner.
Pour l’Allemagne, soutenue par la France, il n’est en effet plus question de garantir la stabilité financière de la zone euro ni de participer au sauvetage des États membres de l’Union en difficulté sans que ces derniers acceptent des mesures de rigueur.
Ainsi, aux termes du « pacte d’austérité », les pays de la zone euro doivent viser des objectifs communs concernant, entre autres, les pensions, les salaires, les déficits, la flexibilité du travail, l’imposition sur les sociétés.
C’est ainsi qu’il est proposé de mettre fin à l’indexation des salaires sur l’inflation. Les États qui la pratiquent, comme la Belgique, le Luxembourg ou le Portugal, ont déjà fait part de leur refus. Avec une telle mesure, les salaires réels diminueraient. Faut-il rappeler que les salaires sont déjà en quasi-stagnation pour une grande part des salariés ? Faut-il rappeler aussi que la part des salaires dans la valeur ajoutée est aujourd’hui à un point historiquement bas, alors que celle des revenus versés aux actionnaires atteint des sommets ? Dans le cadre de ses travaux préparatoires, la délégation sénatoriale à la prospective le démontre d’ailleurs sans équivoque.
Le « pacte » Merkel-Sarkozy veut aussi généraliser l’âge légal de départ à la retraite à 67 ans. La réforme des retraites qui vient d’être adoptée en France est déjà marquée par une profonde injustice. Il est encore une fois évident que l’on veut demander aux salariés, au plus grand nombre, de payer les conséquences d’une crise dont la responsabilité pèse sur quelques puissants de ce monde.
Jusqu’où la droite poussera-t-elle ainsi le cynisme ?
Le troisième axe central de ce pacte est l’obligation pour les États membres d’inscrire dans leur Constitution une « règle d’or » sur le respect des règles budgétaires européennes.
Une telle mesure aurait pour conséquence de constitutionnaliser l’austérité. En gravant dans le marbre l’obligation d’une politique d’austérité, on cherche à déterminer, d’avance, les politiques des futurs gouvernements, quels qu’ils soient, rendant de ce fait sans objet le vote des citoyens. C’est une très grave atteinte à notre démocratie, à la souveraineté des parlements nationaux qui votent le budget, et à la souveraineté des peuples.
L’inscription de l’interdiction des déficits dans la Constitution marquerait une nouvelle étape, après la mise en place du « semestre européen », qui s’apparente à une véritable mainmise de la Commission sur les budgets nationaux au nom d’une prétendue meilleure gouvernance économique européenne. En effet, à partir de 2011, les gouvernements nationaux devront soumettre leurs projets de budget et de réforme à un examen collectif et à des recommandations préalables de la Commission européenne.
Le pacte de compétitivité s’appliquerait d’abord aux États membres de la zone euro. Mais des États extérieurs à la zone monétaire ou candidats à l’euro pourraient se joindre à ces mesures s’ils le désirent. De ce fait, l’austérité devient une condition nécessaire à l’adhésion à l’euro.
L’argument répété à l’envi et justifiant toutes les politiques d’austérité est indéfectiblement le même : l’ampleur des déficits.
Monsieur le secrétaire d'État, faut-il de nouveau rappeler à la majorité et au gouvernement qu’eux-mêmes sont les créateurs des déficits abyssaux qu’ils critiquent ? En effet, la majorité a une fâcheuse tendance à oublier toutes les mesures prises pour remplir les poches déjà pleines de quelques-uns.
Il en est ainsi des 73 milliards d’euros d’exonérations sociales dont ont bénéficié les entreprises en 2009, sans effet sur l’emploi d’après la Cour des comptes.
Il en est ainsi des centaines de milliards d’euros perdus par l’État du fait que le capital est moins taxé que le travail.
Il en est ainsi des taux d’imposition favorables aux plus hauts revenus, passés, pour ce qui les concerne, de 60 % à 41 % seulement.
Non seulement c’est cette majorité qui a créé le déficit, mais les mesures qui l’ont occasionné n’ont eu absolument aucun effet en termes d’emploi, de croissance ou de niveau des salaires.
Pis, en faisant le choix dogmatique de l’austérité, non seulement vous ne désendetterez pas les États, mais vous appauvrirez la grande masse de la population, ferez tomber notre pays dans la récession et le chômage massif avec, de surcroît, moins de recettes fiscales et donc plus d’endettement public.
Cette thèse est d’ailleurs soutenue par le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, selon lequel, avec les mesures d’austérité, on court à la catastrophe.
Le pacte de compétitivité choisi comme mode de gouvernance économique européenne est une chasse aveugle aux déficits. Or d’autres logiques doivent prévaloir, d’autant que celles qui ont été mises en œuvre ont démontré leur impuissance.
À l’inverse des politiques de concurrence débridée prônée par les traités européens, la crise économique nous a montré le besoin de mettre en place de nouvelles coopérations et des mécanismes de solidarité.
C’est ainsi que la coopération économique doit se tourner vers l’instauration d’une véritable politique industrielle et de recherche.
À cet effet, la Banque centrale européenne doit jouer tout son rôle ; il convient donc de la réorienter, de la réformer en un outil public propre à venir en aide aux États en difficulté et à financer éventuellement leurs dépenses et investissements sociaux.
En France, les services publics, pourtant malmenés par le Gouvernement, ont joué un rôle d’amortisseur de la crise. La création de services publics européens pourrait ainsi constituer un champ d’action original et efficace.
Même si rien de concret ne devrait être décidé avant une prochaine réunion européenne en mars, laissant le temps au président du Conseil européen de consulter les vingt-sept gouvernements, une chose est certaine : toutes ces mesures inquiétantes seront prises dans un cadre intergouvernemental. Comme cela a déjà été dit, la Commission européenne et, surtout, le Parlement européen sont soigneusement marginalisés.
Dans ce contexte, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au regard des mesures antidémocratiques et antisociales proposées par le couple franco-allemand, la présente proposition de résolution rappelle utilement et à-propos la souveraineté des parlements nationaux en matière de budgets et d’objectifs sociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Bernard-Reymond.
M. Pierre Bernard-Reymond. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les conditions qui ont présidé à la création de l’euro, étape essentielle de la construction européenne, éclairent en partie les problèmes que nous rencontrons aujourd'hui.
Il faut se souvenir de ce que représentait à l’époque, pour nos amis allemands, l’abandon du mark.
À côté de Français qui disposaient d’autres attributs importants de souveraineté et de moyens de rayonnement dans le monde, en particulier un siège au Conseil de sécurité des Nations unies et une force de frappe indépendante, l’Allemagne était sollicitée pour fondre son seul grand moyen de puissance et de reconnaissance internationale – le mark – dans une monnaie communautaire.
On comprend, dans ces conditions, que l’Allemagne ait prioritairement exigé à l’époque que tout ce qui faisait la force du mark puisse se retrouver dans l’euro, en particulier l’indépendance stricte de la Banque centrale et la lutte contre l’inflation qui rappelait les mauvais moments de la République de Weimar.
Le débat s’est donc alors focalisé sur l’aspect purement monétaire du problème. Certes, le volet économique n’a pas été complètement oublié, avec l’instauration du pacte de stabilité, mais la gouvernance économique n’est pas apparue comme une priorité.
C’est le péché originel de l’euro.
Cela ne l’a d’ailleurs pas empêché de devenir la deuxième devise de réserve mondiale, de renforcer l’intégration des économies européennes, de contenir l’inflation et d’obtenir des taux d’intérêt très bas. Je pense toutefois que l’on n’a pas suffisamment perçu, à l’époque, le fait que la monnaie unique allait autoriser ou camoufler provisoirement le laxisme budgétaire, les écarts de compétitivité, autant de dysfonctionnements qui, sans monnaie unique, apparaissent plus clairement et plus rapidement et qu’il est plus facile de redresser par la dévaluation ou l’inflation. Nous en avons eu un exemple dans notre pays au début des années quatre-vingt.
C’est ainsi qu’il a fallu le tsunami de la crise de 2007, venu des États-Unis, pour faire apparaître au grand jour la dissimulation statistique de la Grèce, les bulles, immobilière en Espagne et financière en Irlande.
Il faut avoir l’honnêteté de reconnaître qu’auparavant des libertés avaient été prises par d’autres États, par l’Allemagne et la France en 2003, par exemple, lorsque ces deux pays avaient demandé l’assouplissement du pacte de stabilité.
Ce couple a, depuis, fait acte de contrition puisque c’est lui qui apparaît aujourd’hui le plus dynamique dans la formulation des propositions pour l’avenir.
Tout a été dit sur ce couple indispensable. On est en droit de se demander où en serait l’Europe s’il n’existait pas. En même temps, il doit prendre garde à deux excès : celui de trop réduire le rôle de la Commission et celui d’indisposer les autres partenaires. Il faut trouver les moyens de mieux associer les uns et les autres dès le départ au processus de réflexion franco-allemand.
Le temps où certains ont pu croire que le pouvoir exécutif européen naîtrait de la Commission est révolu. C’est au sein du Conseil européen que se développe le pouvoir exécutif de l’Union. Mais il faut se garder de deux évolutions exagérées : la Commission ne doit pas être réduite au niveau d’un secrétariat permanent et le Conseil européen ne doit pas prendre prétexte de ce qu’il est l’exécutif pour en rester, dans bien des domaines, au niveau de l’intergouvernemental.
Sur ce point, heureusement, la crise est un bon aiguillon et l’on n’aurait jamais osé imaginer, avant qu’elle n’intervienne, que l’on puisse discuter de tout ce qui est sur la table aujourd’hui : l’instauration du semestre européen, qui établira une meilleure transparence entre les États et vis-à-vis des institutions en incitant à un meilleur autocontrôle, la création du Fonds européen de stabilité financière, la conviction qu’il faut en accroître les moyens et le pérenniser au-delà de 2013 à un niveau suffisant.
Parmi les sujets de discussion figurent aussi la réflexion sur un pacte pour la compétitivité et, ajouterai-je volontiers, pour la convergence, ainsi que la perspective d’inscrire dans la Constitution de chacun de nos États le respect de l’équilibre budgétaire, qui n’est, somme toute, qu’un appel à plus de responsabilité et qui devra tout de même ménager la possibilité d’engager des politiques contracycliques.
Ce sont autant de décisions et de réflexions qui vont dans le bon sens. Elles constituent des acquis que l’on n’aurait jamais obtenus sans la crise.
Certes, des questions importantes restent à régler. Quelles sanctions appliquer ? Quel doit être le montant minimal du Fonds européen de stabilité financière ? L’annonce de son probable doublement me paraît une bonne nouvelle. Dans quels domaines doit s’appliquer le pacte de compétitivité : fiscalité, salaires, retraites, finances publiques ? À quel rythme doit-on faire progresser la convergence ? Je pense que cette question du rythme est aussi importante que celle des domaines à privilégier.
On ne peut pas aider l’Irlande et lui demander, le même jour, de renoncer à son dumping fiscal. Mais, à terme, cette situation devra être revue.
De même, doit-on commencer à interdire l’indexation des salaires chez ceux qui y sont encore très attachés, au point d’en faire un dogme ? Elle est notamment en vigueur dans un pays qui n’a pas de gouvernement depuis de nombreux mois…
Ne faut-il pas aussi que nous balayions devant notre porte en termes de convergence ? À l’intérieur du seul couple franco-allemand, la croissance a été en 2010 de 3,6 % en Allemagne, qui a touché ainsi les dividendes d’une politique de rigueur instaurée par le gouvernement socialiste de M. Schroeder, et de 1,5 % en France. Quant au commerce extérieur, il affiche également de fortes disparités auxquelles nous devons remédier.
Enfin, au-delà des sujets sur la table du prochain sommet, n’y a-t-il pas quelques autres questions à se poser, dont certaines ont d’ailleurs été évoquées par notre collègue Richard Yung et moi, dans le rapport que nous avons publié sur ce sujet ?
Ne faut-il pas élargir les objectifs initialement dédiés à la Banque centrale européenne ? La Cour des comptes européenne ne pourrait-elle pas se voir confier un rôle dans la surveillance du respect du pacte de stabilité ? Ne faut-il pas créer un Observatoire de la compétitivité plus indépendant de toutes les institutions ?
Enfin, d’une manière générale, à un horizon plus large et plus lointain, on peut se demander comment faire vivre l’Europe des trois cercles qui existent de fait – le noyau franco-allemand ; l’Europe communautaire de l’euro, qui représente 65 % de la population et 75 % du PIB de l’Union ; l’Europe des Vingt-sept – et, dans le même temps, simplifier l’architecture extrêmement complexe des institutions européennes. Comment assurer à cet ensemble une croissance solide et durable à l’heure de la mondialisation ?
Dans l’état actuel, il n’y a aucune raison pour que la « Stratégie Europe 2020 » n’aboutisse au même échec que la stratégie de Lisbonne.
Si l’on ne choisit pas quelques secteurs privilégiés tels que l’énergie, les transports, les biotechnologies, l’espace, la communication et les technologies de l’information, auxquels on appliquerait une politique plus intégrée que coordonnée dans le domaine de la recherche et du développement, je crains que l’Europe n’ait du mal, dans les décennies à venir, à jouer sa partition dans les affaires du monde. Dans ce cas, c’en serait fini de son modèle social !
Dans ce contexte, pourra-t-on longtemps se contenter d’un budget européen qui représente 1 % du PIB et qui a vu fondre ses ressources propres comme neige au soleil ? Ne doit-on pas s’interroger également sur la capacité d’emprunt de l’Europe ?
Voilà, me semble-t-il, quelques questions auxquelles l’Europe ne pourra échapper dans les prochaines années et dont les réponses vont être déterminantes pour notre avenir.
Je remercie ceux de nos collègues qui ont pris l’initiative de cette proposition de résolution, laquelle nous a permis ce débat. Ils comprendront toutefois que nous n’approuvions pas leur analyse et leurs conclusions.
Mme Nicole Bricq. Après ce que vous avez dit, vous auriez pu le faire !
M. Jean-Pierre Bel. Vous en étiez très proche !
M. Pierre Bernard-Reymond. En effet, nous croyons, pour notre part, que, sur le plan de la construction de l’Europe, cette crise est un puissant accélérateur, pose les bonnes questions et nous oblige à de vraies réponses.
Elle relativise les solutions ultralibérales, qui, selon moi, ont trop dominé la dernière décennie. Et je suis sûr que plusieurs gouvernements socialistes en Europe adhéreront à la démarche en cours. Au-delà des analyses politiciennes, tous ceux qui croient à la nécessité de l’Europe auront à cœur de transformer cette crise en opportunité pour une nouvelle étape de la construction européenne. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à mon tour je remercierai le président Collin d’avoir pris cette initiative. Dans la proposition de résolution qu’il a fort brillamment défendue, il appelle, en effet, à une construction européenne « au service de la croissance et de la prospérité sociale ».
Il considère que, loin d’aller dans ce sens, les projets actuellement en débat sur la gouvernance accroissent, au contraire, l’incohérence de la coopération économique.
Sur ce deuxième point, je crains – nous craignons – qu’il n’ait raison au vu de la situation critique vécue dans la zone euro et les pays qui, en son sein, sont les plus en difficulté. On ne peut que s’inquiéter plus encore si on prend en considération le surplomb donné à la coordination budgétaire.
À cet égard, monsieur le secrétaire d'État, nous vous envoyons un message que nous vous demandons de bien vouloir transmettre au ministre du budget : dans le cadre du semestre européen, nous souhaitons que le programme de stabilité, qui a été envoyé à Bruxelles et dont le principe a été ratifié dans la loi de programmation des finances publiques – que la gauche n’a pas votée, je le rappelle – nous soit soumis avant la reprise des négociations – il faudra mettre au point un calendrier de telle sorte que cela intervienne avant le 30 avril – et nous soit soumis de nouveau à l’issue des négociations, accompagné de l’avis de la Commission. J’espère que vous avez entendu le message. En effet, pour que le semestre européen ait un sens démocratique, les échéances doivent être respectées à l’égard du Parlement national.
Si on analyse de près ce que recouvre la convergence franco-allemande mise en avant par le Président de la République, en plus du pacte de compétitivité qu’il a proposé de concert avec la Chancelière allemande, nous avons des raisons d’être inquiets.
La réunion des ministres des finances du début de la semaine n’a pas marqué une avancée significative dans la réponse globale de l’Union européenne à la crise. Certes, le futur mécanisme européen de stabilité disposera d’une capacité effective de 500 milliards d’euros, mais les sujets clés comme la participation du secteur privé restent en débat. Une série impressionnante de réunions sont prévues jusqu’au sommet des chefs d’État qui se tiendra les 24 et 25 mars prochain. Nous craignons que, comme souvent, le résultat ne soit pas à la hauteur des questions posées.
Je voudrais surtout insister sur le fait que, pendant ce temps, la crise continue. La reprise dans la zone euro marque le pas, sans accélération notable.
Le Portugal a vu son PIB diminuer au dernier semestre de 0,3 %, alors que le plan d’austérité pèse sur la consommation. Les chiffres de la croissance grecque font ressortir une aggravation de la récession en 2010. À nouveau, les marchés se tendent. L’Institut Bruegel, think thank européen, vient de jeter un pavé dans la mare en déclarant que la Grèce est devenue insolvable et qu’elle ne pourra pas revenir dans l’épure que lui ont fixée les pays de la zone euro.
M. Yvon Collin. On s’en doutait !
Mme Nicole Bricq. Croire que l’on pourra se sortir d’une telle crise en resserrant une discipline budgétaire privilégiée sur tout le reste et en revenant à l’équilibre à marche forcée ne fera que réduire la croissance déjà très molle. Surtout, ce n’est pas avec une telle stratégie qu’on préviendra la prochaine crise !
Certes, la Grèce doit réduire son déficit, mais il lui faut du temps. Et ce temps, les marchés le lui refusent.
Au Portugal, le rendement de la dette a atteint des niveaux inégalés et la prime réclamée par les investisseurs pour détenir le papier portugais ne cesse d’augmenter par rapport au Bund allemand.
Pourquoi refuse-t-on de discuter au fond de la proposition Juncker de mutualisation de la dette au niveau européen ? Cet attentisme, qui est mortifère, donne au marché une avance préjudiciable.
Pourquoi ne pose-t-on pas comme objectif de faire de l’Union une zone de croissance durable alors qu’on remet au goût du jour la notion de gouvernement économique ? L’appellation est, au demeurant, bien trompeuse quand on sait qu’il s’agit, d’abord, de coordination budgétaire, de retour en un temps record au pacte de stabilité et, ensuite, d’avancer vers un « pacte de compétitivité » qui propose, par exemple, d’harmoniser l’âge de départ à la retraite, ce qui ne répond absolument pas au problème posé, quand on veut, de surcroît, imposer une règle d’or d’interdiction des déficits publics. Toute règle, fût-elle inscrite dans le marbre constitutionnel, ne tient pas face à des situations exceptionnelles, comme nous l’avons vu, y compris en Allemagne !
Le « paquet gouvernance » qui est avancé présente le risque réel d’occulter les vrais sujets – l’harmonisation fiscale, la croissance, l’innovation, la recherche, l’emploi.
S’agissant de la convergence tant recherchée avec l’Allemagne, il faudrait avant tout se poser la question de savoir s’il existe un « modèle » allemand durable, quand l’économie de ce pays tire essentiellement sa force du marché intérieur. La meilleure phrase que j’ai trouvée est celle de l’économiste allemand Peter Bofinger, très écouté en Allemagne. Il disait tout dernièrement que « le modèle allemand de l’économie compétitive tournée vers l’exportation n’a fonctionné que parce que les autres nations ne l’ont pas adopté ».
Si gouvernement économique il doit y avoir, c’est celui qui présidera à un choix de relance économique européenne.
Le désendettement des États et la réduction des déficits sont, certes, une ardente obligation. Mais que pèseraient-ils sans un dispositif de convergence des politiques économiques ?
Mme Merkel a raison de déclarer que l’euro relève d’un projet politique. Encore faut-il définir lequel ! Cette question doit faire l’objet d’un débat dans notre pays et ne pas être mise sous le tapis, comme c’est le cas depuis 2005. Il s’agit en effet d’un enjeu démocratique, en France et en Europe.
Nous aurons certainement l’occasion de revenir sur ce point tout au long des mois qui nous séparent de l’échéance majeure de l’élection présidentielle. Je souhaite que ce débat ait lieu, pour la démocratie et pour l’Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Humbert.
M. Jean-François Humbert. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’exposé des motifs de la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd’hui me laisse songeur, surtout lorsque je lis que les « projets de “refondation économique” en cours amplifient globalement les incohérences de la coopération économique entre États ».
Je suis chargé, au sein de la commission des affaires européennes, de suivre les problématiques liées à la crise de la dette souveraine. Je me suis ainsi rendu, ces dernières semaines, à Dublin et à Lisbonne. J’irai, dans les prochains mois, à Madrid et à Athènes. Si les raisons de la crise divergent d’un pays à l’autre, j’ai partout observé une réelle attente des gouvernements, mais aussi des opinions publiques, à l’égard de l’Union européenne afin que, justement, elle mette en œuvre les projets que la proposition de résolution paraît dénoncer.
N’en doutons pas, mes chers collègues, les dispositifs d’aide et de surveillance dont les gouvernements veulent doter la zone euro sont de nature à aider les États concernés à répondre aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer, notamment sur les marchés financiers. Ils viennent pallier l’absence existant jusqu’alors de réelle coopération entre les États membres de la zone euro. L’aide accordée par le Fonds européen de stabilité financière à la Grèce et à l’Irlande leur a ainsi permis de consolider leurs budgets sans avoir à lever des fonds à des taux exorbitants. Le filet de sécurité que représente ce fonds permet aujourd’hui au Portugal et à l’Espagne de bénéficier d’une relative détente des taux sur le marché obligataire.
Je vous invite, à cet égard, à observer l’effet sur les marchés des récentes annonces concernant une redéfinition du périmètre de ce fonds. Lisbonne a pu emprunter, le 12 janvier, à un taux inférieur aux prévisions, les places financières étant pour partie rassurées par la consolidation annoncée du mécanisme de soutien européen qui pourrait, le cas échéant, aider le Portugal.
Ce fonds n’a-t-il pas, dès lors, rempli sa mission ? La révision prévue de son mode de fonctionnement en vue de renforcer sa capacité d’intervention, comme sa pérennisation à l’horizon 2013 me semblent aller dans le bon sens. Je ne comprends donc pas les réserves exprimées à ce sujet par les auteurs de la présente proposition de résolution.
Les mécanismes critiqués dans la proposition de résolution n’apparaissent pas « insusceptibles d’efficacité », pour reprendre la formule tout aussi technocratique que celle des fameux « conclaves fermés » cités dans l’exposé des motifs. Au contraire, ces dispositifs participent plutôt d’une réflexion jusqu’alors inédite sur une véritable gouvernance politique de la zone euro.
Jusqu’à présent, l’Union économique et monétaire ne marchait que sur une jambe, pour reprendre la formule de Jacques Delors. Cette situation instable a permis la poursuite, par certains pays, de stratégies en solitaire, à rebours des impératifs de solidarité qu’impose une zone monétaire unique.
La réponse de l’Union européenne à la crise de la dette souveraine constitue, de fait, une opportunité indéniable pour permettre à la zone euro de fonctionner convenablement, en corrigeant notamment ce que je serais tenté d’appeler « les excès de souverainisme économique ». Celui-ci a revêtu plusieurs formes, de part et d’autre de l’Union européenne, qu’il s’agisse de la dérégulation et de la défiscalisation en Irlande, du mensonge budgétaire grec, de l’absence assumée de réforme de son économie par le Portugal ou de l’investissement, qualifié d’ « insensé » par certains, de l’Espagne dans l’immobilier. Ces aventures économiques ont abouti à des impasses, dont souffrent en premier lieu les peuples concernés, soumis à des politiques d’ajustement drastiques.
Soyons précis, mes chers collègues : ce n’est pas l’Union européenne qui impose l’austérité, mais bien les situations économiques nationales. Dans le cas irlandais, on observera que l’appel à l’aide européenne n’est intervenu qu’après la présentation d’un plan d’austérité. En ce qui concerne le Portugal, comme l’Espagne d’ailleurs, les mesures de rigueur sont accompagnées d’une communication gouvernementale axée sur le refus de l’intervention conjointe de l’Union européenne et du Fonds monétaire international.
Comme l’a dit Pierre Bernard-Reymond, notre groupe ne peut, en conséquence, voter en faveur de cette proposition de résolution, qui semble condamner la plupart des solutions innovantes aujourd’hui sur la table, notamment celles soutenues par le couple franco-allemand.
Certes, les auteurs de ce texte appellent de leurs vœux une meilleure coordination des politiques économiques au sein de l’Union, mais ils se gardent bien d’en préciser les contours ! Cette déclaration de bonnes intentions ne peut masquer des réflexes, pour ne pas dire des crispations, souverainistes, qui empêchent ces mêmes auteurs de déterminer les responsabilités de certains États dans la crise actuelle et les poussent à dénoncer, de façon quasi-pavlovienne, toute initiative de l’Union européenne, fût-elle intergouvernementale.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé du commerce extérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, Christine Lagarde étant retenue à Bercy en raison de la réunion des ministres des finances du G20, le Premier ministre m’a fait l’honneur de me désigner pour présenter devant vous la position du Gouvernement sur la proposition de résolution relative à la coordination des politiques économiques au sein de l’Union européenne.
Même si les arguments développés par le président Collin nous paraissent contestables, et parfois un peu surprenants, pour reprendre la formule de M. Humbert, le sujet soulevé est à l’honneur du Sénat, car il pose des questions essentielles : l’avenir de la zone euro, la nécessité de politiques économiques au service de la croissance, l’impératif du contrôle démocratique...
Permettez-moi de faire, tout d’abord, une remarque d’ordre général.
Bien que l’observation de l’évolution des finances publiques des pays de la zone euro fasse apparaître une situation plutôt moins dégradée en Europe que dans d’autres grandes économies avancées, comme celles des États-Unis et du Japon, l’Europe a dû faire face, depuis janvier 2010, à une crise de défiance à répétition de la part des marchés financiers, qui vise, tour à tour, l’un ou l’autre des États membres, et nous a contraints à réagir vigoureusement.
Bien entendu, nous devons rester vigilants. Les tensions persistent sur les marchés financiers, alors que la zone euro, et notamment la France, présente des fondamentaux solides et s’est placée sur une trajectoire de consolidation de ses finances publiques. Par ailleurs, la stabilité financière de la zone euro continue à être remise en cause, en raison de la crise de liquidités que traversent plusieurs États vulnérables.
Mme Nicole Bricq. Les marchés n’y croient pas !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Face à cette divergence entre la réalité économique et la perception des marchés, nous avons tous un devoir de fermeté absolue pour réaffirmer notre détermination à défendre la stabilité de la zone euro, notre solidarité avec les États membres les plus vulnérables et notre engagement intangible vers la consolidation budgétaire. En effet, le défaut n’est pas une option, tout simplement parce qu’il n’est pas une solution.
Le Président de la République a déclaré à Davos, il y a quelques semaines : « Je peux vous assurer que, aussi bien Mme Merkel que moi-même, jamais, vous m’entendez jamais, nous ne laisserons tomber l’euro. Jamais ».
Je vais maintenant répondre point par point aux questions que vous avez soulevées.
Premièrement, vous indiquez que « la situation économique et sociale de l’Europe ainsi que les mesures prises ou envisagées contreviennent manifestement » aux « engagements des États européens dans les traités convenus entre eux et les actes pris pour leur application dans les domaines économique, social, financier et monétaire ».
Je ne comprends pas très bien cette affirmation. La crise de 2007-2008, importée des États-Unis, s’impose à nous : c’est une réalité ! Je ne vois pas en quoi elle serait contraire aux traités, avec lesquels elle n’a pas grand rapport ; elle a à voir avec la réalité économique du monde.
Nous devons plutôt nous demander, monsieur Collin, si l’Europe s’en est plutôt mieux sortie grâce à la construction européenne, ou non. Le précédent de la crise de 1929, caractérisé par l’éparpillement des ripostes nationales à la crise, montre bien que l’Europe a agi comme un écran de protection pour l’ensemble de nos sociétés.
Grâce à l’Europe, depuis le début de la crise économique et financière survenue il y a trois ans, nos États – et notamment la France, qui était chargée de la présidence de l’Union européenne ! – ont pris, ensemble, des mesures qui nous ont permis d’en limiter les effets sur nos économies, et donc sur la vie de nos concitoyens. En outre, la France a œuvré avec force pour que la réponse mondiale soit coordonnée dans le cadre d’une institution nouvelle, le G20, qui regroupe les grandes puissances établies et émergentes. Je trouve donc votre critique excessive.
Deuxièmement, vous insistez, à juste titre, sur la nécessité de respecter les processus démocratiques. Le vieux parlementaire que je suis ne peut que vous approuver. Cette exigence, loin d’être remise en cause, me semble pourtant largement mise en œuvre.
M. Badré, grand partisan de l’Europe, sait bien que le traité de Lisbonne a largement contribué à une prise de décision plus démocratique dans l’Union européenne ; M. Bel, lui-même, a évoqué les pouvoirs des parlementaires européens.
Tout d’abord, le rôle du Parlement européen, institution élue au suffrage universel direct, a été considérablement renforcé – certains d’ailleurs le déplorent, à l’instar de M. Chevènement ! –, notamment par l’extension de la procédure de codécision législative, qui donne au Parlement des pouvoirs législatifs comparables à ceux du Conseil des ministres, à près de cinquante nouveaux domaines. Par ailleurs, la participation directe des citoyens a été rendue possible par l’introduction dans le droit communautaire d’un droit d’initiative citoyenne. Celui-ci permet à un million de citoyens provenant d’un nombre significatif d’États membres de demander à la Commission de proposer un projet de texte législatif.
Les parlements nationaux sont également de plus en plus impliqués : le Parlement est déjà systématiquement saisi des projets de directives et de règlements européens, mais nous sommes allés encore plus loin.
J’attire votre attention sur une réforme fondamentale qui a été évoquée, à plusieurs reprises, par des orateurs de toutes sensibilités : le « semestre européen ». Le principe est d’informer les parlements en amont des envois à Bruxelles des documents relatifs à la gouvernance économique de l’Union européenne et de la zone euro.
Je précise, pour Mme Bricq, que le conseil pour les affaires économiques et financières, dit conseil ECOFIN, procède ensuite à l’examen des textes. L’ensemble de la procédure se déroule entre les mois d’avril et de juin ou juillet. Ces textes reviennent ensuite au niveau des États et font l’objet d’un vote des Parlements nationaux dans le cadre du projet de loi de finances. Ce vote intervient donc après la consultation en amont et l’examen des textes par les instances communautaires et le Conseil.
La loi de programmation pluriannuelle des finances publiques pour la période 2011à 2014 prévoit ainsi que le projet de programme de stabilité sera adressé au Parlement au moins deux semaines avant sa transmission à la Commission européenne, afin que le Sénat et l’Assemblée nationale puissent porter un regard conjoint sur la coordination des politiques européennes. Le principe est également de permettre une meilleure prise en compte des préconisations européennes, dans le strict respect des compétences de nos parlements respectifs, dans les grands choix de politique économique et budgétaire des États membres, et une meilleure articulation de la surveillance budgétaire avec celle des politiques de croissance, dans le cadre de la stratégie Europe 2020.
Je voudrais également souligner le fait que le plan d’assistance à la Grèce – et je m’en souviens très bien, c’était il y a exactement un an –, de même que la création du Fonds européen de stabilité financière ont été discutés et votés ici même comme à l’Assemblée nationale. Permettez-moi de vous rappeler que c’est le 6 mai 2010, alors que nous célébrions en France le 60e anniversaire de la Déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950, qu’a été voté, à la quasi-unanimité des deux chambres, le plan d’assistance à la Grèce.
Mme Nicole Bricq. C’est pour cela que nous sommes exigeants !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Un mois après, messieurs Collin et Chevènement, vous vous absteniez cette fois de voter le Fonds européen de stabilité financière. Toutefois, monsieur Collin, je note que vous affirmez soutenir ce plan, dont vous avez évoqué la possibilité dès 2009, et que vous en souhaitez aujourd'hui la pérennisation.
Par ailleurs, et c’est bien normal, vous avez auditionné Mme Lagarde voilà quelques semaines sur le plan d’assistance à l’Irlande. Nous sommes donc très loin de la « “pensée unique” imposée par des conclaves fermés à toute critique », comme je l’ai lu dans l’exposé des motifs de votre proposition de résolution ! Une fois encore, je trouve que la réalité est quelque peu différente de ce que vous en faites.
Certes, on peut considérer que de tels mécanismes sont insuffisants, mais tout ce qui concernait la mise à disposition de financements sur la base de la solidarité financière en Europe a été décidé sur la base du vote souverain des parlements nationaux, en particulier du nôtre, ce qui, d’ailleurs, est tout à fait normal. Ces mécanismes seront maintenus.
Troisièmement, vous appelez à poursuivre les travaux en cours sur le mécanisme permanent de résolution de crise. Là encore, c’est précisément ce que nous faisons.
La crise nous a offert une leçon : la nécessité pressante de doter l’Union européenne d’un mécanisme permanent qui permette d’intervenir en cas de difficultés d’un État membre de la zone euro.
Rappelez-vous : en mai 2010, les rendements exigés par les marchés avaient quasiment fermé aux États périphériques l’accès au marché obligataire et les menaçaient littéralement d’étranglement. Or, à l’époque, le traité interdisait à un État membre de venir au secours d’un État menacé à l’intérieur de la zone euro. Qu’a-t-il été fait, sur l’initiative, là encore, du Président de la République et de la France, en liaison avec l’Allemagne ? Un mécanisme de soutien a été littéralement inventé, un mécanisme exigeant et qui met en avant le principe de la solidarité. Là aussi, il me semble que la critique est un peu sévère, car ces mécanismes ont été inventés en réaction à la crise la plus grave qui ait eu lieu depuis les années 1920, ainsi que le rappelait M. Bel.
C’est dans ces conditions que Christine Lagarde et ses homologues ministres des finances de la zone euro ont alors décidé de mettre en place, pour une durée de trois ans – le traité interdisait en effet à ce stade un système pérenne – un Fonds européen de stabilité financière destiné à refinancer des États membres de la zone euro en difficulté, en leur apportant jusqu’à 440 milliards d'euros de financements sous forme de prêts ou de lignes de crédits.
Même si je sais qu’elle est critiquée, je voudrais également souligner le rôle positif qu’a joué la Banque centrale européenne, la BCE, sous l’autorité de son président, M. Trichet, dans la résolution de la crise.
En toute indépendance, la BCE a fait preuve d’un pragmatisme et d’une réactivité exemplaire, notamment en élargissant les actifs financiers éligibles à son refinancement, en maintenant ses guichets de liquidité exceptionnels et en intervenant sur le marché secondaire des titres d’État, ce qui était radicalement nouveau par rapport à ses positions précédentes. Son action a été déterminante dans la résistance de la zone euro aux coups de boutoir des marchés financiers. Telle est la réalité.
Toutefois, une telle action de la BCE ne pouvait être pérenne ni menée de façon isolée : il était nécessaire que l’Union européenne mette en place un mécanisme permanent pour crédibiliser aux yeux des marchés la volonté des États membres de sauvegarder la monnaie unique européenne.
C’est pourquoi les chefs d’État et de gouvernement ont décidé d’instituer un mécanisme européen de stabilité pour les États membres de la zone euro, qui se substituera à compter de la mi-2013 au dispositif mis en place en mai 2010 ; je note d’ailleurs – avec plaisir – que le président du groupe socialiste soutient cette initiative.
Les ministres des finances de la zone euro ont donc reçu comme mandat très clair du Conseil européen du 4 février 2011 de préciser les caractéristiques de ce futur mécanisme d’ici au mois de mars 2011, c’est-à-dire avant le prochain Conseil évoqué voilà quelques instants par Jean-Pierre Chevènement.
Sachez cependant qu’il est d’ores et déjà acquis que l’assistance devra s’inscrire dans un programme d’ajustement rigoureux, établi et suivi par le FMI et la Commission européenne en lien avec la BCE, et que la participation du secteur privé se fera au cas par cas, sans automaticité, en cohérence avec les procédures d’implication du secteur privé définies par le FMI.
Quatrièmement, nous partageons bien entendu votre souci d’une meilleure régulation des institutions responsables de la crise. Le défi aujourd’hui consiste à rétablir la confiance des ménages et des entreprises dans notre système financier. Pour cela, nous devons créer un cadre de supervision et de régulation solide.
Notre première priorité est de faire en sorte que les nouvelles autorités européennes de supervision financière et le nouveau Comité européen du risque systémique, en place depuis le 1er janvier 2011, soient dotés des moyens d’accomplir leur mission. Je signale d’ailleurs que ces institutions ont bien souvent été remodelées à l’initiative de la France, en liaison avec l’Allemagne. Elles ont désormais commencé leur travail.
Je souligne que les candidats à la présidence des autorités européennes de supervision ont été auditionnés par le Parlement européen, qui n’a pas manqué de demander et d’obtenir des assurances sur la parité et l’indépendance des dirigeants.
Notre seconde priorité consiste à fortifier les banques en renforçant notamment la qualité et la quantité de leurs fonds propres, tout en veillant à ne pas les pénaliser sur le plan de la compétitivité.
En tant que ministre du commerce extérieur, permettez-moi de faire une petite parenthèse : nous devons prendre garde à ne pas être les seuls à imposer des règles extrêmement drastiques, car cela nous pénaliserait pour le financement de nos exportations par rapport à d’autres pôles de puissance ; à mon sens, c’est un point important. (M. Yvon Collin fait un signe d’assentiment.)
Mme Nicole Bricq. Nous ne sommes pas les seuls ! L’Allemagne fait plus que nous sur ce plan !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Je souligne par ailleurs que les tests de résistance seront conduits avant l’été 2011 afin de vérifier la solidité de nos banques en cas de choc économique.
Notre dernière priorité sera la mise en œuvre d’un environnement financier plus stable, plus solide et plus transparent. Cela concerne notamment : l’encadrement des ventes à découvert ; la nécessité d’assurer la transparence et la sécurité des marchés dérivés ; la désaccoutumance progressive des acteurs des marchés financiers, des régulateurs et des banques centrales des notations externes ; le fait de favoriser une plus grande concurrence dans l’industrie et de réduire les effets pro-cycliques des notations souveraines.
Il me semble que ces mesures en cours de réalisation satisfont l’une des propositions de votre projet de résolution, monsieur Collin.
Cinquièmement, vous demandez l’instauration d’un cadre macroéconomique favorable à une croissance économique forte et durable. Un certain nombre d’intervenants ont abordé le sujet ce matin, d’ailleurs de façon fort intéressante. Cependant, il s’agit là non pas d’un débat institutionnel européen mais d’un débat politique, au demeurant noble et qui mérite d’être porté devant l’opinion.
Selon nous, un tel objectif est déjà en partie réalisé.
Mme Nicole Bricq. Non ! Ou alors nous ne lisons pas les mêmes statistiques !
Mme Odette Terrade. C’est de l’interprétation !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Permettez-moi de vous rappeler que c’est à l’initiative du Président de la République que le concept de gouvernement économique européen s’est imposé en Europe, et ce auprès non pas de l’ensemble des membres de l’Union européenne mais des seuls membres de la zone euro. Les États membres de l’Union européenne qui bénéficient de la clause de l’opting-out sur la monnaie unique ne sauraient en effet se trouver autour de la table du Conseil lorsqu’il est question de politique économique commune à l’intérieur de la zone monétaire.
Six textes sur le renforcement de la gouvernance économique européenne sont actuellement à l’étude, en étroite coopération avec le Parlement européen. Ils concernent le renforcement de la surveillance budgétaire, la mise en place de règles minimales communes en matière de cadres budgétaires nationaux ou encore la création d’une surveillance des déséquilibres macroéconomiques entre les États de l’Union européenne.
Ce dernier volet permettra de réduire les risques de déséquilibres néfastes pour la viabilité économique de l’Europe. Nous devons remettre nos économies sur la voie de la convergence, condition indispensable au développement d’une croissance harmonieuse, forte et créatrice d’emplois qualifiés.
Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de relever dans les propos de Mme Bricq, de M. Chevènement et de Mme Terrade des appréciations quelque peu erronées.
Ainsi que l’a souligné M. Humbert tout à fait justement, les crises ou les spéculations contre un certain nombre d’États à l’intérieur de la zone euro ont pu avoir pour origine, certes, le manque de cohérence de la zone et l’absence de gouvernement économique – nous nous employons à y remédier –, mais également les politiques nationales menées par certains, des politiques pour le moins contestables, notamment en matière de déficits, surtout lorsqu’il s’est agi de dissimuler des déficits réels.
M. Yvon Collin. C’est sûr !
Mme Nicole Bricq. D’accord ! Nous n’avons pas dit le contraire !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. De tels phénomènes bien évidemment accélèrent les crises. Ce que nous essayons de mettre en place, ce sont des mécanismes de discipline communs permettant d’éviter leur développement. Concernant les causes du problème, il ne faut donc pas se tromper de cible.
Mme Nicole Bricq. Le problème, c’est le rythme ! Il n’est pas adapté ! On ne peut pas faire cela en trois ans, ce n’est pas vrai !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Par ailleurs, dans la période de sortie de crise – et M. Chevènement a raison de le souligner –, la solution aux dettes et, plus largement, à la crise, c’est bien sûr la croissance. Mais c’est sur l’interrogation suivante que le débat politique intervient : comment s’organise la croissance ? Nous estimons pour notre part que la croissance doit être raisonnable et qu’elle doit passer par la maîtrise des déficits et une meilleure compétitivité. Je crains que pour certains des orateurs qui se sont exprimés ce matin la critique du « modèle allemand », la critique de l’ultralibéralisme – critique que je partage d’ailleurs sur certains points –,…
M. Yvon Collin. Ah !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. … ne mène à une politique de facilité, de planche à billets, de « dette perpétuelle » – je cite l’expression de M. Chevènement –, de culture permanente des déficits intérieurs et extérieurs,…
Mme Nicole Bricq. Tout dépend de l’endroit où l’on place le curseur !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. … qui n’est pas la solution au problème de compétitivité posé à l’Europe.
Je suis désolé de vous le dire, l’Europe – et singulièrement la France – n’a pas vocation à rester un territoire d’expansion des puissances émergentes pour devenir en bout de course, selon la vision développée par M. Houellebecq dans son dernier roman, un territoire de vacances pour cadres chinois fatigués qui viendraient visiter nos restaurants et nos musées !
M. Yvon Collin. Nous n’avons pas dit cela !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Telle n’est pas notre vision de la France ! Oui à la croissance, mais celle-ci passe par la résorption de nos déficits, une meilleure gestion de nos déficits publics et une politique d’exportation plus dynamique.
Sur ce dernier point, madame Bricq, monsieur Chevènement, monsieur Bel, pardonnez-moi de vous le faire remarquer, la diabolisation du modèle allemand n’est pas la solution !
M. Yvon Collin. Il ne fallait pas s’aligner !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. D’ailleurs – je le note au passage –, ce modèle tel qu’il existe aujourd’hui est le résultat de réformes nécessaires qui ont été menées par des chanceliers socialistes il y a dix ans.
Ce débat – au demeurant très intéressant – sur la politique économique me paraît tout de même assez éloigné de l’objectif de votre résolution : rien dans ce que nous mettons en place actuellement, dans le cadre de négociations franco-allemandes, ne condamne les peuples d’Europe à l’austérité ou à l’appauvrissement. Au contraire, il me semble que c’est la voix raisonnable qui nous permettra d’éviter de nouveaux chocs contre la monnaie commune.
Nous partageons la même monnaie, la même politique monétaire et nous réfléchissons ensemble à la réduction des écarts de compétitivité, à une meilleure coordination des politiques économiques au sein de la zone, afin justement de faire converger nos modèles économiques et sociaux.
Vous souhaitez également une meilleure coordination en matière fiscale, tout en interdisant à l’avance à la France d’inscrire un objectif de maîtrise des déficits dans la Constitution ; M. Chevènement indiquait voilà quelques instants que c’était une régression. Mais en quoi les déficits constituent-ils un progrès ?
M. Jean-Pierre Chevènement. C’est le chômage qui est en progrès !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Au contraire, le progrès consiste justement à contrôler nos dépenses, à faire en sorte de ne pas lester les générations futures des déficits de fonctionnement des générations actuelles !
Pour répondre à la demande formulée par le Président de la République le 21 juillet dernier, un rapport sur la convergence fiscale franco-allemande devrait donc être présenté dans les tout prochains jours par la Cour des comptes. Au-delà de l’Allemagne, la France se bat depuis des années pour améliorer la coordination des politiques fiscales nationales et encourage notamment la Commission européenne à présenter une proposition de directive visant à établir une assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés.
Cela vaut notamment pour l’Irlande, que nous voulons voir converger vers une moyenne européenne. Le projet devrait d’ailleurs être présenté par le commissaire à la fiscalité au mois de mars.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Sur la question des changes, que vous avez eu raison de soulever, je vous répondrai qu’il est en effet dans l’intérêt des États membres de la zone euro d’avoir une devise stable car une volatilité des changes excessive aurait des implications négatives pour nos entreprises, nos agriculteurs, nos consommateurs, nos exportations. Les travaux sur la réforme du système monétaire international – une fois encore il s’agit d’une initiative de la France – débutent aujourd’hui même sous la présidence française du G20, qui en a fait une de ses priorités.
Une solution globale doit être recherchée à un problème qui concerne non seulement l’euro, mais également la plupart des monnaies des économies développées et en développement, dans un monde marqué par des déséquilibres mondiaux importants. Nous devons, en effet, absolument éviter d’entrer dans une logique de surenchère sur les changes qui serait finalement préjudiciable à tous. Nous devons aussi apporter plus de stabilité aux perspectives macroéconomiques, par une croissance plus forte, plus équilibrée et plus durable. La question de la volatilité des changes sera abordée à travers les grands axes de réflexion que nous proposons sur la réforme du système monétaire international, à savoir : accroître la protection face à la volatilité des flux de capitaux, répondre de façon ordonnée au besoin de diversification des réserves de change, améliorer la coordination des politiques macroéconomiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les observations que je voulais formuler sur la présente proposition de résolution. Le Gouvernement se réjouit de l’occasion qui nous a été donnée ce matin de débattre de l’évolution du travail accompli sur la crise, sur la consolidation de la zone euro. Le débat sur la politique économique et les déficits est un débat noble, mais nous ne l’épuiserons pas aujourd'hui.
Pour l’ensemble des raisons invoquées, le Gouvernement se prononce pour le rejet de cette proposition de résolution.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
Proposition de résolution
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu les articles 1er à 6 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,
Vu le chapitre VIII bis du règlement du Sénat,
Considérant les engagements des États européens dans les traités convenus entre eux et les actes pris pour leur application dans les domaines économique, social, financier et monétaire,
Considérant que la situation économique et sociale de l’Europe ainsi que les mesures prises ou envisagées contreviennent manifestement à ces engagements,
Considérant que lesdites mesures insusceptibles d’efficacité sont de nature à aggraver les risques globaux subis par les peuples d’Europe et échappent pour certaines des plus décisives à tout contrôle démocratique,
Rappelle au respect des objectifs de l’Union européenne,
Invite le Gouvernement français à veiller à une stricte application des procédures démocratiques qui, dans la République française, permettent à la souveraineté nationale de se prononcer conformément à la Constitution sur les actes essentiels de la vie de la Nation,
Se félicitant de l’instauration d’un mécanisme européen de gestion de crise appelle à le compléter et à renforcer l’implication des institutions responsables des crises financières subies par les économies européennes,
Formule le vœu que les gouvernements européens adoptent des attitudes coopératives pour instaurer un cadre macroéconomique enfin favorable à une croissance économique forte et durable,
Souhaite particulièrement, à cet effet, qu’ils s’engagent sur des objectifs sociaux précis et contrôlés, notamment dans le domaine salarial, qu’ils exercent l’ensemble des compétences monétaires confiées à eux par les traités, en particulier s’agissant du taux de change de l’euro, qu’ils parviennent à éliminer la concurrence fiscale et qu’ils avancent de concert dans la mise en œuvre de la « Stratégie Europe 2020 ».
Mme la présidente. Mes chers collègues, la conférence des présidents ayant décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote, je mets aux voix l'ensemble de la proposition de résolution.
J'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe du RDSE et, l'autre, du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 162 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 315 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 158 |
Pour l’adoption | 132 |
Contre | 183 |
Le Sénat n'a pas adopté. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
5
Présomption d’intérêt à agir des parlementaires en matière de recours pour excès de pouvoir
Rejet d'une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à reconnaître une présomption d’intérêt à agir des membres de l'Assemblée nationale et du Sénat en matière de recours pour excès de pouvoir (proposition n° 203, rapport n° 278).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous avons déposée s’inscrit dans la continuité du débat du 12 janvier dernier sur l’édiction des mesures réglementaires d’application des lois, débat dont le groupe du RDSE avait pris l’initiative.
Notre groupe a en effet pris au mot l’objectif de revalorisation du rôle du Parlement que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a mis en avant. C’est donc en vue de donner au Parlement et à ses membres les moyens d’exercer pleinement leur double mission de confection de la loi et de contrôle de l’action du Gouvernement que nous avons souhaité que le Sénat débatte aujourd’hui de cette proposition de loi.
Au-delà d’une question de technique juridique assez complexe, il faut bien le dire, les enjeux sont essentiels. L’article 24 de la Constitution prévoit depuis 2008 que le Parlement exerce, notamment, une mission de contrôle de l’action du Gouvernement, mission dont, avouons-le, les deux assemblées n’ont pas encore pris la pleine mesure.
Ce contrôle est informel et revêt donc une nature d’abord politique, qui s’étend, par exemple, au contrôle de l’application des lois, au contrôle budgétaire ou encore à l’analyse des dysfonctionnements des services de l’administration. Pour indispensable qu’il soit, il n’en est pas moins limité, tant dans sa nature que dans sa portée, et le débat que nous avons mené le 12 janvier dernier en a fourni une éclatante illustration.
Aux termes de la Constitution, chacun le sait, le Parlement ne peut enjoindre au Gouvernement de prendre une mesure réglementaire, non plus que lui fixer un délai pour ce faire. Dès lors, si le Parlement vote souverainement la loi et exprime ainsi la volonté générale, il advient beaucoup trop souvent que la mise en œuvre de la loi, qui dépend du pouvoir réglementaire, se retrouve paralysée, pour ne pas dire annihilée, par les retards d’édiction des actes réglementaires, que ces retards soient involontaires ou, ce qui est plus grave, délibérés.
Cette situation n’est naturellement pas acceptable dans notre démocratie. Je ne reviendrai pas sur les éléments dont nous avons longuement débattu le 12 janvier et qui démontrent l’insécurité juridique engendrée par cette situation. Je rappellerai simplement que tous les intervenants s’étaient alors accordés sur ce point essentiel, ce dont je me réjouis, même si les solutions envisagées n’allaient pas dans la même direction, mais cela n’a rien d’étonnant dans le cadre du débat démocratique.
La présente proposition de loi est la réponse des membres du groupe du RDSE au débat du 12 janvier et son champ va même au-delà de la seule carence du pouvoir réglementaire. Elle exprime, en toute hypothèse, notre volonté de ne pas laisser les membres du Parlement dans l’impuissance et, au contraire, de renforcer leur rôle.
C’est pour ces raisons impérieuses que nous souhaitons aujourd’hui que les membres de l’Assemblée nationale et du Sénat puissent, ès qualité, se voir reconnaître un intérêt à agir par la voie du recours pour excès de pouvoir dans les trois hypothèses suivantes : premièrement, lorsque le pourvoir réglementaire empiète sur une matière que la Constitution réserve au pouvoir législatif, violant ainsi une prérogative du Parlement ; deuxièmement, lorsqu’une mesure réglementaire viole une loi et méconnaît, de ce fait, la volonté du législateur ; troisièmement, lorsque le pouvoir réglementaire rend une loi inapplicable en ne prenant pas dans un délai raisonnable les mesures réglementaires qu’impose la loi.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’en ai parfaitement conscience, si nous souscrivons tous à l’idée de revaloriser le rôle du Parlement, le présent texte suscite des réactions contrastées, qui ont, du reste, été très largement exprimées en commission des lois.
Avant d’aller plus loin, je tiens d’ailleurs à saluer l’exceptionnelle qualité du travail accompli par le rapporteur de la commission des lois. Votre analyse, cher collègue Jean-René Lecerf, a réussi à embrasser l’ensemble des enjeux de cette proposition de loi, sans la caricaturer en y voyant un coup politique dirigé contre le Gouvernement ; de fait, ce n’était nullement notre objectif. Vous avez parfaitement cerné notre intention : défendre les prérogatives du Parlement, une préoccupation qui nous anime tous dans cet hémicycle, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons. Votre rapport traduit une recherche d’équilibre et un effort constructif que nous apprécions à leur juste valeur.
Le constat qui nous a conduits à déposer la présente proposition de loi est simple : dès lors que les actuels moyens de contrôle du Parlement sur le Gouvernement ne garantissent pas que la volonté souveraine exprimée au travers du vote de la loi est respectée, ou encore que le domaine propre du Parlement est violé, est-il illégitime de doter les parlementaires de nouveaux outils ? À notre sens, la réponse est non.
Après tout, ce type de dispositif existe déjà depuis 1974, lorsque fut introduite la saisine du Conseil constitutionnel par soixante députés ou soixante sénateurs.
De même, la mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité, depuis le 1er mars 2010, a permis d’étendre considérablement le champ des intérêts pouvant faire l’objet d’une protection juridictionnelle, en l’occurrence au bénéfice de personnes privées et même publiques, ce que nous avions tous salué comme une avancée de l’état de droit.
Alors, ne serait-il pas paradoxal de laisser aussi restreinte la capacité d’agir de ceux-là mêmes qui œuvrent dans l’intérêt général ? C’est pourquoi ne nous paraît pas fondé l’argument selon lequel ouvrir davantage les prétoires à la parole des membres du Parlement reviendrait à dénaturer la fonction parlementaire, argument que vous aviez avancé, monsieur le ministre, lors du débat du 12 janvier dernier. Au contraire, il est du rôle des tribunaux de sanctionner la violation de la loi, en l’espèce l’inaction fautive du pouvoir réglementaire, ou encore l’empiétement non consenti sur le domaine de la loi.
Dans ces conditions, il est tout à fait logique qu’un contrôle de nature politique et informelle puisse se prolonger sur le terrain du droit, au nom de l’intérêt général, mais surtout au nom de la défense des prérogatives du Parlement.
Je rappellerai qu’en l’état actuel du droit l’inaction du Premier ministre lorsqu’il s’agit d’édicter dans un délai raisonnable une mesure réglementaire d’application d’une loi peut être contestée devant le Conseil d’État, qui sanctionne ce refus depuis 1962 et le considère même, depuis 1964, comme engageant sa responsabilité. Il n’y a donc rien d’illégitime à ce que les parlementaires, collectivement auteurs de la loi, puissent dans tous les cas, et bien sûr sans préjuger du fond, demander à ce que soit réparée une faute de l’administration, en l’occurrence celle du Premier ministre.
Mes chers collègues, à la question de savoir si un parlementaire peut en tant que tel agir par la voie du recours pour excès de pouvoir, le Conseil d’État n’a, de façon très surprenante, jamais explicitement répondu. En la matière, la jurisprudence est aussi rare qu’incertaine, ce que le rapporteur public Rémi Keller résumait fort joliment en 2010, dans ses conclusions sur l’arrêt Fédération nationale de la libre pensée, par la formule suivante : « Le parlementaire frappe depuis plusieurs décennies à la porte de votre prétoire ; il ne sait toujours pas si elle lui est ouverte ou fermée. »
Plusieurs de nos collègues ici présents ont frappé à cette porte : Jean-Pierre Sueur l’a trouvé fermée, tandis que Nicole Borvo Cohen-Seat a réussi à la franchir, pour des raisons assez obscures, d’ailleurs, dans chaque cas.
Jusqu’à présent, le Conseil d’État n’a jamais ouvertement apporté de réponse à cette question pourtant essentielle à l’équilibre des pouvoirs.
S’il a accepté d’examiner la recevabilité de l’intérêt à agir, ce n’est qu’en attribuant au parlementaire requérant une autre qualité : président du comité des finances locales pour contester un décret relatif au Fonds de compensation pour la TVA, consommateur de produits pétroliers pour contester le refus de mise en œuvre de la « TIPP flottante », usager du service public de la télévision pour contester la suppression de la publicité sur France Télévisions, actionnaire d’une société d’autoroute pour contester la privatisation d’une concession.
À l’inverse, le Conseil d’État n’a pas hésité à examiner des requêtes directement au fond, sans statuer sur la recevabilité ; j’en ai moi-même fait la cruelle expérience avec certains de mes collègues du RDSE, l’année dernière, à l’occasion du recours que nous avions déposé contre un décret ratifiant un accord passé entre la France et le Saint-Siège concernant la reconnaissance des diplômes universitaires.
Au final, cette situation a fait dire à la doctrine, comme l’écrit le rapporteur, et à juste raison, que le Conseil d’État oscille entre contournement et évitement. De toute évidence, il n’est pas à l’aise.
Mes chers collègues, cette incertitude jurisprudentielle n’a que trop duré. Elle est source d’insécurité juridique, les raisons en étant trop opaques. Je ne me permettrai pas, bien entendu, de donner des leçons de droit aux membres du Conseil d’État, mais je tiens à rappeler que la clarté et la prévisibilité des règles nourrissent notre État de droit, y compris s’agissant de la jurisprudence. À partir du moment où la souplesse de la jurisprudence ne parvient pas à aboutir à une solution claire, et crée même de la confusion, le législateur est fondé à intervenir pour trancher une question aussi sensible dans le sens de la reconnaissance de l’intérêt à agir.
Notre proposition de loi se veut raisonnable et rationnelle. En aucune façon, il n’est question d’ouvrir une boîte de Pandore en déplaçant le débat parlementaire, donc politique, sur le terrain judiciaire.
Il n’est pas non plus question pour nous de créer la possibilité d’un contentieux de masse, qui verrait les parlementaires contester sans retenue les actes du Gouvernement. D’autres exemples permettent, du reste, d’écarter cette éventualité.
L’ouverture de la saisine du Conseil constitutionnel en 1974 n’a jamais, à ma connaissance, abouti à engorger les juges de la rue de Montpensier, mais a au contraire permis au Conseil de consolider sa jurisprudence.
De la même façon, l’admission par le Conseil d’État de la recevabilité à agir d’un conseiller municipal qui conteste un acte du maire, en soutenant que cet acte entre dans le champ des compétences du conseil municipal, n’a pas produit de contentieux abondant.
En tout état de cause, les membres du Parlement sont suffisamment responsables pour ne pas agir en la matière de façon dilatoire et, de toute façon, je doute que puissent surgir chaque année des dizaines de cas susceptibles de justifier une requête.
Parallèlement, je ne crois pas non plus fondées les craintes d’une politisation du Conseil d’État, selon lesquelles celui-ci serait conduit à trancher par le droit des conflits de nature politique entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. D’abord, ce serait oublier la nature du contentieux administratif. Ensuite, par définition, le juge administratif est de toute façon amené tous les jours à connaître de recours à caractère politique puisque, selon l’adage, « juger l’administration, c’est encore administrer ». Nous pouvons donc faire toute confiance aux membres du Conseil d’État pour ne pas se laisser instrumentaliser à d’autres fins.
Et que ne dit-on du Conseil constitutionnel lorsqu’il censure ou ne censure pas telle ou telle disposition, ou du Conseil d’État lorsqu’il statue sur une question politiquement sensible ! Mes chers collègues, ce débat n’est pas prêt de se clore…
Enfin, je ne crois pas qu’il soit possible de soutenir les arguments invoquant le risque de favoriser une action qui se confondrait avec l’action populaire, étant entendu que le parlementaire est le représentant de la nation tout entière. Les parlementaires ne sauraient bénéficier d’un « privilège de recevabilité » en toutes circonstances. Néanmoins, les fonctions particulières qu’ils occupent justifient que, dans certaines hypothèses circonscrites à la défense des prérogatives du Parlement, ils puissent, me semble-t-il, agir ès qualité.
Revenons donc à la définition que donnait déjà Laferrière de l’intérêt à agir en 1888 : un requérant doit justifier d’un intérêt « parce qu’on n’a pas d’action si l’on ne peut retirer aucun effet utile du jugement qu’on sollicite ». L’effet utile que recherche le parlementaire, aux termes de notre proposition de loi, c’est la préservation de ses compétences, le respect de sa volonté, en clair la protection de l’intégrité de l’action du Parlement, au travers du recours objectif, je le souligne, que constitue classiquement le recours pour excès de pouvoir.
Monsieur le rapporteur, j’ai lu très attentivement votre rapport et les analyses qu’il contient. Vous l’avez compris, notre proposition de loi a d’abord, et volontairement, visé très large, de façon à susciter un débat de fond sur une problématique qui dépasse, me semble-t-il, la seule question des techniques contentieuses. Vous avez identifié trois options possibles : écarter par principe toute recevabilité à agir aux parlementaires ès qualité ; reconnaître, comme nous le proposons, un large intérêt à agir aux parlementaires ès qualité ; enfin, restreindre la reconnaissance de l’intérêt à agir à des hypothèses très précises, solution qui a votre préférence et qu’a retenue la commission des lois.
Mes collègues et moi-même avons été très sensibles aux arguments que vous avez développés et nous entendons cheminer avec vous pour aboutir à un texte qui permettra, demain, de doter les parlementaires d’un nouvel outil s’inscrivant dans la logique de revalorisation du Parlement, laquelle était aux fondements de la révision constitutionnelle de 2008 ; en tout cas, c’est ainsi que je l’ai comprise.
Signe de notre volonté d’avancer, nous avons choisi de déposer un amendement reprenant les remarques contenues dans votre excellent rapport. Vous avez déposé, au nom de la commission, un amendement identique. J’en conclus que la commission des lois et nous-mêmes, auteurs de la proposition de loi, nous rejoignons pour écrire ensemble un texte de compromis.
Nos deux amendements visent à restreindre la portée de la proposition de loi en la limitant à deux hypothèses spécifiques, certainement celles qui nous intéressent aujourd’hui le plus en tant que parlementaires : premièrement, la carence du Premier ministre lorsque ne sont pas prises dans un délai raisonnable les mesures d’application d’une loi, étant entendu que seule la décision de refus d’édicter ces mesures est susceptible de recours pour excès de pouvoir ; deuxièmement, l’acte réglementaire autorisant la ratification ou l’approbation d’un accord international, dès lors que le moyen unique soulevé est tiré de ce que cette autorisation relève du domaine de la loi en vertu de l’article 53 de la Constitution. Cette dernière hypothèse englobe, par exemple, le cas de l’arrêt Fédération nationale de la libre pensée, précédemment évoqué.
Dans les autres cas, le juge administratif conserverait sa marge d’interprétation pour apprécier la recevabilité du recours d’un parlementaire au regard de son intérêt à agir, comme il le fait déjà à l’heure actuelle. Sur cette question, notre amendement ne contraint donc pas l’office du juge.
Mes chers collègues, la révision constitutionnelle de 2008 est encore récente. Nous n’avons sans doute pas d’ores et déjà pris toute la mesure des nouvelles opportunités qu’elle peut offrir au Parlement pour rééquilibrer notre architecture institutionnelle.
Toutefois, le renforcement de la position du Président de la République, qui résulte du quinquennat et de la coïncidence de son mandat avec celui des députés, implique nécessairement que le Parlement joue pleinement son rôle de pouvoir constitué à part entière. Et cela est encore plus vrai s’agissant du Sénat, dont le mode d’élection est déconnecté du mandat présidentiel.
Le groupe du RDSE entend prendre toute sa place dans l’indispensable réflexion sur l’évolution de nos moyens d’action, en gardant constamment à l’esprit que nous avons à cœur d’agir pour l’intérêt général.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite avec conviction à adopter les deux amendements identiques qui vont vous être proposés et à poursuivre ainsi sur le chemin du renforcement des droits du Parlement et, par là même, des droits des parlementaires. (MM. Jean-Pierre Sueur et François Zocchetto applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre des relations avec le Parlement, cher Patrick Ollier, mes chers collègues, mon premier sentiment, lorsque j’ai été désigné comme rapporteur de cette proposition de loi tendant à reconnaître une présomption d’intérêt à agir des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat en matière de recours pour excès de pouvoir, me portait à n’accorder à cette initiative qu’un caractère technique, susceptible d’intéresser avant tout les juristes de droit public.
À l’évidence, cette première impression n’était pas la bonne, car cette proposition de loi soulève des questions essentielles en ce qui concerne tant les moyens d’action des députés et des sénateurs pour la défense des prérogatives du Parlement que le rôle et la place du Conseil d’État.
Après avoir retracé l’actuel état du droit en cette matière, je tenterai d’écarter certaines hypothèses retenues par la proposition de loi, avant de vous inviter à donner des limites précises à la possibilité pour un député ou un sénateur de contester devant le juge de l’excès de pouvoir, en sa seule qualité de parlementaire, une mesure réglementaire qu’il considère comme portant atteinte aux prérogatives du Parlement.
La juridiction administrative n’a, paradoxalement, jamais tranché cette question. On connaît pourtant son approche très compréhensive de l’intérêt à agir, qui l’a amenée, dès le début du XXe siècle, à admettre la recevabilité du recours d’un contribuable communal, en cette seule qualité, pour attaquer l’ensemble des délibérations du conseil municipal ou, en 1971, à reconnaître l’intérêt à agir d’un hôtelier contre un arrêté du ministre de l’éducation nationale fixant la durée des congés scolaires.
Pourtant, dans une affaire très récente, qui a donné lieu à l’arrêt Fédération nationale de la libre pensée du 9 juillet 2010, le rapporteur public – nouvelle appellation du commissaire du Gouvernement – Rémi Keller pouvait déclarer, ainsi que notre collègue Yvon Collin l’a rappelé : « Le parlementaire frappe depuis plusieurs décennies à la porte de votre prétoire ; il ne sait toujours pas si elle lui est ouverte ou fermée. »
Deux techniques, que la doctrine qualifie d’attitudes de contournement et d’évitement, ont jusqu’à présent permis au Conseil d’État de pérenniser ces incertitudes jurisprudentielles.
Le contournement consiste, pour le juge administratif, à reconnaître aux députés ou aux sénateurs requérants, une autre qualité que celle de parlementaire, fût-elle fort répandue, pour ne pas dire « abracadabrantesque ».
Les exemples sont légion et nous permettront de croiser nombre de collègues.
Ainsi, au député Patrice Brocas, qui demandait l’annulation des décrets organisant le référendum du 28 octobre 1962, la haute assemblée a admis un intérêt pour agir en sa qualité d’électeur.
Lorsque notre collègue Jean-Pierre Fourcade a contesté un décret relatif au Fonds de compensation pour la TVA, c’est sa qualité de président du Comité des finances locales qui fut prise en compte.
En 2002, c’est en tant que consommateur de produits pétroliers que le député Didier Migaud pouvait, selon le Conseil d’État, contester le refus du ministre du budget de mettre en œuvre le mécanisme de la « TIPP flottante ».
En 2006, ce fut comme actionnaire d’une société d’autoroute que François Bayrou vit reconnaître son intérêt à agir dans une affaire portant sur la privatisation d’une société autoroutière.
Craignant de vous lasser, mes chers collègues, je me contenterai de rappeler enfin que c’est en sa qualité d’usager du service public de la télévision que notre collègue Nicole Borvo Cohen-Seat était recevable à attaquer une lettre du ministre de la culture portant suppression anticipée de la publicité en soirée sur les chaînes télévisées du groupe France Télévisions, alors que la loi prévoyant cette suppression était encore en discussion au Parlement.
Quant à l’attitude de l’évitement, elle consiste, non sans que soit préalablement utilisée la formule expéditive « sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité des requêtes des parlementaires », à examiner les requêtes avant de les rejeter au fond. Malgré des conclusions contraires du rapporteur public, ce fut le cas dans l’affaire Fédération nationale de la libre pensée.
En l’espèce, 57 sénateurs et 14 députés, se prévalant chacun de leur seule qualité de parlementaire, avaient mis en avant la méconnaissance, par le décret du 16 avril 2009 portant publication de l’accord entre la République française et le Saint-Siège, du droit des parlementaires d’exercer leurs compétences dans la mesure où la ratification de l’accord aurait dû, selon eux, être autorisée par une loi. En vain, Rémi Keller invita à l’évolution jurisprudentielle et à ne pas faire du parlementaire « la seule personne privée de tout droit de recours pour excès de pouvoir ».
Certes, on pourrait estimer qu’il reste urgent d’attendre et que, si la haute juridiction a jusqu’à présent constamment éludé cette question, elle ne pourra éternellement « récidiver », si je puis dire : elle aura nécessairement, un jour, à connaître d’un recours de parlementaires qu’elle estimera fondé et qui, sur la forme, ne lui permettra pas de s’appuyer sur une autre qualité que celle de parlementaire.
Nos collègues du RDSE n’ont pas eu cette patience, et on peut les comprendre. La présente proposition de loi consiste à doter les membres du Parlement d’une présomption d’intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir dès lors qu’est en jeu la défense des prérogatives du Parlement. Sont ainsi distinguées trois hypothèses de recevabilité des recours : celle où le pouvoir réglementaire empiéterait sur le domaine de la loi, celle où une mesure réglementaire méconnaîtrait la loi et celle, enfin, où le pouvoir exécutif, à défaut de prendre les mesures réglementaires nécessaires dans des délais raisonnables, rendrait de fait une loi inapplicable.
La commission n’est pas favorable à ce que soient retenues les deux premières hypothèses.
Permettre à un parlementaire d’attaquer toute mesure réglementaire qu’il estime contraire à une disposition législative reviendrait à admettre l’action populaire, ce qui n’apparaît guère souhaitable pour trois raisons essentielles.
Premièrement, la violation de la loi doit demeurer un moyen d’annulation d’un acte administratif et non devenir un critère de recevabilité du recours.
Deuxièmement, le parlementaire risquerait d’être soumis à de fortes pressions pour intenter des recours en lieu et place d’associations, de syndicats, d’administrés.
Troisièmement, l’hypothèse d’un intérêt à agir en cas de mesures réglementaires contraires à la loi semble tellement large qu’elle peut encourir le grief d’inconstitutionnalité.
Il n’en va pas tout à fait de même de la deuxième hypothèse, qui porte sur le cas de mesures réglementaires édictant une disposition relevant du domaine de la loi.
Sur le fond, votre rapporteur considère que l’atteinte alléguée à une compétence du législateur constitutionnellement garantie constitue un cas où la reconnaissance d’un intérêt à agir pourrait être pertinente. La reconnaissance de cet intérêt à agir serait cohérente avec le fait que le Conseil d’État admet, depuis plus d’un siècle, qu’un conseiller municipal est recevable à attaquer un acte du maire dont il soutient qu’il entre dans la compétence du conseil municipal ; notre collègue Yvon Collin y a fait allusion.
Elle établirait également une possibilité pour les membres du Parlement, avec l’aide du Conseil d’État, d’équilibrer la possibilité du Gouvernement de modifier par décret, avec l’aide du Conseil constitutionnel, les textes de forme législative, c’est-à-dire des dispositions adoptées par le Parlement dans le domaine du règlement.
À cet égard, rappelons, mes chers collègues, un souvenir aussi récent qu’amer.
Sur l’initiative du Sénat, la loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne avait prévu la création auprès de Matignon d’un comité consultatif des jeux. Or, quelques mois à peine après le vote de la loi, le Gouvernement a demandé et obtenu du Conseil Constitutionnel de déclasser la disposition concernée afin de placer ce comité sous la responsabilité des ministres du budget et de l’intérieur. Quelques collègues, dont je me rappelle parfaitement les noms, éprouvèrent la désagréable impression d’avoir été floués.
M. Roland Courteau. Oh oui !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Mais il nous faut bien constater que la procédure de déclassement ou de délégalisation est inscrite à l’article 37, deuxième alinéa, de la Constitution. La présence dans la Constitution d’un mécanisme de protection du pouvoir réglementaire peut légitimement laisser supposer que le mécanisme inverse, la protection du pouvoir législatif, ne peut être prévu que par la Constitution elle-même.
Reste la troisième et dernière hypothèse qui permettrait à un parlementaire d’agir en cette seule qualité dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir. Il s’agit du cas de refus du Premier ministre de prendre dans un délai raisonnable les mesures réglementaires d’application d’une disposition législative. Je suggère d’ajouter le recours contre un acte réglementaire ayant autorisé la ratification ou l’approbation d’un traité alors que cette autorisation aurait dû être accordée par la loi en vertu de l’article 53 de la Constitution.
J’estime en effet que, dans ces deux hypothèses, il existe une atteinte réelle, directe et certaine à l’activité du Parlement et que, en conséquence, le parlementaire doit pouvoir, s’il le souhaite, intervenir de plein droit dans l’intérêt du Parlement.
Je considère que ce dispositif offre de sérieuses garanties de conformité à la Constitution, et ce pour trois raisons principales.
Tout d’abord, le champ de l’intérêt à agir des parlementaires serait très restreint, limité à deux hypothèses peu fréquentes.
Ensuite, il n’existe pas, pour ces deux cas de figure, de procédures comparables ou voisines dans la Constitution laissant penser que le dispositif devrait trouver sa place dans notre loi fondamentale.
Enfin, dans les deux cas visés, le parlementaire ne peut pas reprendre sa compétence violée par le pouvoir réglementaire. Ce point mérite que l’on s’y attarde.
Lorsqu’un acte réglementaire porte atteinte au domaine de la loi, le législateur peut généralement récupérer sa compétence par le vote d’une loi, surtout depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a prévu le partage de l’ordre du jour entre le Parlement et le Gouvernement. Tel n’est pas le cas dans les deux hypothèses que je viens d’évoquer.
En particulier, j’estime qu’un parlementaire justifie d’un intérêt à agir pour contester un décret autorisant la ratification d’un traité alors qu’il est convaincu qu’une loi était nécessaire pour une telle autorisation. En effet, dans un tel cas de figure, l’intérêt à agir des parlementaires est justifié par une double atteinte aux prérogatives du Parlement.
D’une part, si l’accord modifie des dispositions de nature législative, il aurait dû être soumis au Parlement en application de l’article 53 de la Constitution, qui dresse la liste des traités qui « ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi ».
D’autre part, et surtout, un décret autorisant, en lieu et place d’une loi, la ratification d’un traité a pour effet d’introduire dans l’ordre juridique national une norme qui s’imposera au législateur en vertu de l’article 55 de la Constitution. Le Parlement se retrouve donc alors, en quelque sorte, pieds et poings liés.
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Le législateur ne pourra donc pas reprendre sa compétence par le vote d’une loi, ce qu’ont reconnu toutes les personnes entendues par votre rapporteur.
De même, l’inaction du pouvoir réglementaire revient à faire échec à la volonté du Parlement, d’autant qu’elle peut être parfois volontaire, si le texte adopté par les assemblées vient à déplaire au Gouvernement, ce qui l’amène, pour reprendre l’expression qu’a utilisée le doyen Gélard lors du débat du 12 janvier dernier, à « traîner un peu les pieds avant de publier les règlements adéquats ».
Sans doute le Parlement dispose-t-il d’autres moyens sur le terrain politique pour défendre ses droits, depuis la motion de censure – en l’occurrence, ce serait le marteau-pilon pour écraser une mouche ! – à la question écrite, dont l’efficacité s’avère souvent aléatoire.
M. Jean-Pierre Sueur. Oui, c’est bien dit !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Mais contrôle politique et contrôle judiciaire ne peuvent-ils se révéler constituer deux modalités complémentaires, et non concurrentes, de la fonction parlementaire, dans l’esprit que soutient l’exposé des motifs de la proposition de loi ?
Nous aurons l’occasion de rouvrir ce débat lors de l’examen des amendements, mais notre commission a estimé que la proposition de loi soulevait trop de difficultés pour être, en l’état, acceptable. Elle a donc décidé de ne pas adopter de texte, afin que la discussion en séance publique porte sur le texte de la proposition de loi, en application de l’article 42 de la Constitution. (MM. André Reichardt, Yvon Collin et Jean-Pierre Sueur applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi nous donne une nouvelle fois l’occasion d’évoquer la question de l’application des lois, dont le Sénat a débattu une première fois le 12 janvier dernier, déjà sur l’initiative de M. Collin.
La question soulevée est de savoir s’il serait judicieux d’ajouter aux outils de contrôle parlementaire de l’application des lois inscrits dans la Constitution un nouveau mécanisme de contrôle juridictionnel.
À la suite de l’exposé très argumenté du président Collin, M. le rapporteur a fait une brillante plaidoirie ; pour autant, depuis le précédent débat, ma position n’a pas varié.
M. Jean-Pierre Sueur. Hélas !
M. Yvon Collin. Je le regrette !
M. Patrick Ollier, ministre. Je me félicite de la qualité des discussions que nous avons eues en commission. J’observe d’ailleurs au passage que les membres de la commission ne se sont pas prononcés unanimement en faveur cette proposition de loi.
Vous soulevez, monsieur Collin, la question des pouvoirs du Parlement. Le Gouvernement défend les pouvoirs du Parlement, mais il défend aussi le respect de la Constitution. Or se pose ici, outre le problème de l’opportunité, celui de la constitutionnalité.
Que faut-il entendre par « contrôle de l’application des lois » ?
Les pouvoirs de contrôle du Parlement ont été renforcés, ne l’oublions pas, par la révision constitutionnelle de 2008 et sont dorénavant consacrés de manière claire par l’article 24 de la Constitution : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. »
De plus, il ne faut pas non plus l’oublier, la moitié de l’ordre du jour du Parlement est consacrée à l’initiative et au contrôle parlementaires. Ainsi, non seulement la Constitution donne le pouvoir au Parlement de contrôler l’action du Gouvernement, mais elle prévoit que, dans chaque assemblée, une semaine de séance par mois est réservée par priorité à ce contrôle et à l’évaluation des politiques publiques.
Concrètement, comment ce contrôle peut-il s’exercer ? J’aimerais, cher Yvon Collin, que, au-delà de ce débat sur l’application des lois, nous puissions en discuter, car c’est bien là que se situe le problème.
Chaque assemblée organise ce contrôle librement, comme elle l’entend : vous en avez le pouvoir, mesdames, messieurs les sénateurs, et ce pouvoir, vous devez l’exercer !
Le contrôle de l’application des lois comprend, me semble-t-il, deux aspects : d’une part, la vérification de l’adoption des décrets d’application dans des délais raisonnables – il a été admis qu’un délai de six mois est raisonnable, mais nous aurons l’occasion d’y revenir – et, d’autre part, le contrôle de la bonne exécution des lois sur le terrain. Or, ce deuxième aspect, vous n’en avez soufflé mot !
Dès 2005, en tant président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale – pardon de reprendre un instant cette casquette ! –, j’ai eu à cœur de faire en sorte que les contrôleurs de l’exécution de la loi, constitués de binômes majorité-opposition – cela figure maintenant à l’article 145 du règlement de l’Assemblée nationale –, se rendent sur le terrain pour voir comment la loi est appliquée en différents points du territoire.
En effet, l’application de la loi, ce n’est pas qu’une question de parution des décrets ! Car la loi peut s’appliquer de manière différente d’un département à l’autre en fonction des personnes qui sont chargées de la mettre en œuvre.
Le contrôle de l’application des lois relève des prérogatives des commissions, selon des règles propres à chacune des deux assemblées.
Le Sénat et l’Assemblée nationale ont, ces dernières années, perfectionné leurs méthodes de contrôle. Ainsi, l’article 22 du règlement du Sénat dispose explicitement que les commissions permanentes assurent, entre autres missions, « le suivi de l'application des lois ». Alors, mesdames, messieurs les sénateurs, exercez donc les pouvoirs qui vous sont donnés !
Le rapporteur d’un texte me paraît être, à l’évidence, le mieux placé pour exercer le contrôle de son application, pour en vérifier la bonne exécution.
Quoi qu'il en soit, ensemble, nous avons accompli des progrès dans la façon de contrôler l’application des lois.
Je mentionnerai également l’obligation faite au Gouvernement par l’article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit – j’aurais aimé qu’on en parlât ! – de transmettre au Parlement, six mois après la publication de la loi, un rapport sur l’adoption de ses décrets d’application.
Monsieur le président Collin, c’est à cette obligation que je me suis référé lorsque j’ai pris devant vous l’engagement selon lequel, dorénavant, le Gouvernement prendrait chaque année l’initiative, au Sénat et à l’Assemblée nationale, d’organiser un débat sur l’exécution des lois votées au cours de la session précédente.
Il faut encore ajouter les questions écrites et orales adressées aux ministres sur le sort de tel ou tel texte ou les rapports annuels que le Sénat consacre depuis plus de trente ans à l’application des lois.
Je rends d’ailleurs hommage à votre assemblée, qui a beaucoup plus œuvré dans ce cadre-là que l’Assemblée nationale. Dans ce domaine, vous avez accompli un travail considérable, au service de l’ensemble de l’institution parlementaire.
Tous ces efforts ont contribué à une franche amélioration de la situation. Certes, il reste encore des marges de progrès, et je l’ai reconnu dernièrement devant vous. Personne ne saurait prétendre qu’il n’est pas possible de faire mieux à cet égard.
Nul ne peut contester non plus le fait que le Gouvernement a mis en place, en juillet 2008, suivant les instructions du Premier ministre, une nouvelle procédure dont les effets commencent à porter leurs fruits. Sans la détailler, je rappellerai simplement que, dans chaque ministère, un haut fonctionnaire est chargé de veiller à l’application des lois. Cela induit nécessairement, pour les parlementaires, une manière nouvelle d’organiser pratiquement le contrôle de cette application.
Ce sont quatre décrets sur cinq qui sont désormais pris dans un délai de six mois suivant la publication des lois, ce qui est certainement inédit dans l’histoire de la Ve République. Je crois d’ailleurs, monsieur Collin, que nous devrions nous mettre d’accord sur les méthodes de calcul…
Vous avez demandé que la volonté souveraine du Parlement soit respectée. Il est certain qu’elle doit l’être, mais, pardonnez-moi de le répéter, c’est au Parlement lui-même qu’il revient de vérifier si tel est bien le cas. Il en a le pouvoir et ne doit pas le transférer au juge pour que celui-ci décide à sa place ! Dans ce domaine, c’est donc à vous et à vous seuls d’agir. Telle est, du reste, la volonté que vous avez exprimée dans l’hémicycle, là où tout se décide !
Monsieur le président Collin, vous avez certainement eu raison de citer le propos que tenait Édouard Laferrière, vice-président du Conseil d’État, en 1888. Pour ma part, je me référerai au propos d’un autre membre éminent du Conseil d’État, Christian Vigouroux, qui expliquait en 1987 – c’est plus récent ! – que « le recours pour excès de pouvoir [...] n’a pas pour finalité la continuation, par d’autres moyens, du débat parlementaire ».
Vous avez fait un parallèle avec le droit de recours des parlementaires devant le Conseil constitutionnel. Si l’on adoptait cette manière de voir, ce serait au constituant d’agir, car il n’est pas possible de le faire par le biais d’une simple proposition de loi ordinaire.
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué le cas de l’hôtelier qui peut avoir un intérêt à agir pour justifier de ses droits. Vous avez raison, mais a-t-il d’autres moyens d’intervenir que celui-là ? S’il était sénateur ou député, il pourrait, avec la commission à laquelle il appartient, convoquer le ministre à une audition à huis clos – donc hors la présence de la presse – pour lui demander des comptes et exiger que tel ou tel décret paraisse dans les délais voulus.
Face au recours introduit par M. Didier Migaud, avant qu’il ne devienne Premier président de la Cour des comptes, le Conseil d’État a vu non le député, mais le consommateur de produits pétroliers. Autrement dit, il a considéré que, sur la question ainsi soulevée, l’intérêt à agir était lié à la qualité de citoyen.
Le Parlement n’a nul besoin de pouvoirs supplémentaires pour interpeller le Gouvernement et vérifier la mise en œuvre des textes d’application des lois. Ceux dont il dispose déjà sont suffisants ; à lui de les exercer !
Monsieur le président Collin, avec cette proposition de loi, vous allez jusqu’à transférer des pouvoirs à la juridiction administrative. Je ne veux pas me montrer provocateur, mais, me rappelant que j’ai moi-même été parlementaire, je vous pose la question : n’est-ce pas un renoncement ? Le ministre que je suis ne devrait pas vous poser la question, mais j’aime trop le Parlement pour le voir renoncer à une partie de ses pouvoirs, fût-ce au bénéfice d’une juridiction aussi éminente que le Conseil d’État !
Finalement, qu’apporterait de plus la proposition de loi qui est aujourd’hui soumise à votre examen ? En quoi la saisine du juge serait-elle plus efficace que tous ces moyens dont disposent déjà les parlementaires pour interpeller directement les membres du Gouvernement ?
La responsabilité suprême qui vous est donnée par la Constitution vous place, vous parlementaires, au-dessus de toute juridiction ! Et vous disposez seuls des pouvoirs nécessaires pour agir. Par conséquent, personne ne pourra vous reprocher de le faire.
Le mécanisme proposé créerait un détour bien étrange par rapport à l’exercice de la prérogative politique qu’a aujourd’hui le Parlement d’interpeller le Gouvernement.
Je l’ai dit, je suis convaincu que nul n’est mieux placé que le rapporteur de la loi pour en contrôler la bonne application. Il consacre à la loi tant de travail et de temps que, pour veiller à son exécution, il est infiniment plus qualifié qu’une juridiction, qui doit se pénétrer d’un texte dont elle n’a pas, a priori, nécessairement connaissance.
De plus, au-delà du jugement proprement dit, quel pourrait être son rôle ? Prononcer une condamnation ? Se substituer au Gouvernement ? Quelle serait la porte de sortie ? Ces questions restent en suspens.
Selon moi, il serait préférable d’agir mieux, puisque, vous avez eu raison de le dire, il existe des marges de progrès. Pour ma part, je suis prêt à faire les efforts nécessaires de façon que soit encore amélioré ce qui peut l’être. Je vous le confirme, le Gouvernement est disposé à poursuivre sa coopération avec le Parlement et à intensifier cette interaction. Nous devons améliorer encore les résultats considérables qui ont été obtenus grâce aux instructions de François Fillon.
Dans un premier temps, mettons-nous d’accord sur la méthode de suivi. Comment apprécier la sortie des textes d’application des lois pour exercer un contrôle ?
J’en reviens à ce que je disais, monsieur Collin : nous devons être dans les mêmes conditions, disposer des mêmes critères et des mêmes curseurs. Or je n’ai pas le sentiment que tel était le cas lors du débat du 12 janvier !
Vous avez vos méthodes, qui sont tout à fait respectables. Le Gouvernement en a d’autres. Je suis à votre disposition pour imaginer une méthode de calcul commune permettant d’apprécier la publication des textes d’application des lois dans les six mois.
Je renouvelle donc ma proposition d’œuvrer à l’harmonisation de nos procédures de suivi et je suggère en outre aux assemblées d’organiser, lors de l’une de leurs semaines de contrôle, un débat annuel sur la façon dont les lois sont appliquées.
Monsieur le président Collin, l’honneur revient à votre groupe, puisque c’est lui qui est à l’origine du débat du 12 janvier. Le résultat est très positif. Cependant, bien qu’abondant dans votre sens, le Gouvernement ne peut accepter cette proposition de loi.
Mais je suis décidé à aller plus loin. Après avoir longuement réfléchi avec le secrétaire général du Gouvernement et le Premier ministre, je présenterai, au plus tard dans une quinzaine de jours, les initiatives nouvelles que je prendrai en tant que ministre chargé des relations avec le Parlement pour améliorer encore l’application des lois. Je souhaite que vous y soyez étroitement associés.
À partir de cet engagement que je suis en mesure de prendre devant vous et d’une impulsion politique forte, nous pourrons sérieusement progresser dans ce domaine.
À la question de l’opportunité, à la volonté du Parlement d’accomplir ou non une partie du travail qui lui revient, il convient d’ajouter les sérieuses interrogations juridiques que soulève l’examen tant de la proposition de loi que des amendements identiques que vous avez déposés, monsieur Collin, monsieur le rapporteur.
Ainsi que vous l’avez démontré dans votre rapport, monsieur Lecerf, et comme votre commission l’a très largement admis, me semble-t-il, il existe de bonnes raisons de penser qu’en instituant une présomption d’intérêt à agir des parlementaires pour saisir le juge de la contrariété d’un décret à la loi ou d’un empiètement du décret sur le domaine de la loi, la proposition de loi se heurterait au principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, défini par l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. » Or nous avons une Constitution...
Malgré la solution subsidiaire présentée dans les amendements et qui consisterait à ne consacrer de présomption d’intérêt à agir des parlementaires qu’à raison de la carence à prendre un décret d’application, je ne peux manquer de dire que, comme cela a été relevé par plusieurs membres de la commission des lois, tant de la majorité que de l’opposition, le risque de contrariété à la Constitution ne peut être écarté. C’est pourquoi je le relève.
De plus, un texte organisant un mécanisme spécifique de recours juridictionnel pour permettre aux représentants du pouvoir législatif de faire pression sur le pouvoir exécutif ressortit nécessairement, je l’ai dit au début de mon intervention, à un niveau de norme supérieur à la loi ordinaire.
Au cas où il serait décidé d’opérer un vote par division sur les deux amendements identiques, vous devez bien avoir à l’esprit, mesdames, messieurs les sénateurs, que, dans le cas particulier des décrets de publication des accords internationaux, le même problème constitutionnel se pose.
Je souhaite également souligner, toujours à propos du 2° du texte proposé par ces amendements pour l’article 4 ter de l’ordonnance du 17 novembre 1958, le risque de remise en cause systématique des engagements internationaux souscrits par la France. Le fait qu’une disposition législative confère un très large intérêt à agir pour attaquer les décrets de publication des accords internationaux serait source d’une grande insécurité juridique, je suis sûr que vous en conviendrez.
Permettez-moi de relever aussi l’étrangeté de la solution qui consisterait à admettre une fragmentation de la représentation nationale devant le prétoire. En conférant aux parlementaires le droit de déférer la loi devant le Conseil constitutionnel, en vertu de l’article 61 de la Constitution, ou de saisir la Cour de justice de l’Union européenne pour méconnaissance du principe de subsidiarité, aux termes de l’article 88-6 de la Constitution, le constituant a prévu que le recours doit réunir la signature d’au moins soixante députés ou soixante sénateurs. Ce n’est donc pas un hasard si le Conseil d’État a toujours été réticent à admettre l’intérêt à agir devant son prétoire d’un parlementaire isolé.
À ce sujet, l’incertitude invoquée par l’auteur de la proposition de loi et le rapporteur au sujet de la jurisprudence du Conseil d’État est tout à fait contestable. Alors qu’il en a eu maintes fois l’occasion, le Conseil d’État n’a jamais accepté de reconnaître l’intérêt à agir pour des parlementaires ès qualité.
M. Jean-Pierre Sueur. Justement ! C’est pour cette raison qu’il faut légiférer !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Disons plutôt qu’il ne s’est jamais prononcé !
M. Patrick Ollier, ministre. Donc, il ne l’a jamais reconnu !
Par conséquent, le texte a bien pour objet, contrairement à ce qui est indiqué, d’infléchir la jurisprudence sur ce point.
Par ailleurs, si le texte parle de « présomption », il s’agit en fait d’une présomption irréfragable puisque le Conseil d’État ne pourra pas en écarter l’application. Je vous demande de bien y réfléchir.
Ce que le Conseil d’État admet de la part d’un conseiller municipal ne va pas de soi s’agissant d’un parlementaire, sauf à admettre que celui-ci, en s’emparant du cas singulier d’un décret d’application, se fasse le porte-parole d’une catégorie particulière d’intérêts.
Avant d’adopter une telle disposition, il convient d’envisager ses effets collatéraux. Comment ne pas craindre que les parlementaires ne soient harcelés par toutes sortes d’intérêts catégoriels ? Comment éviter les pressions auxquelles se livreront ceux qui défendent des intérêts catégoriels – les élus locaux savent de quoi je parle ! – pour qu’un parlementaire défère devant le Conseil d’État une supposée carence du Gouvernement dans l’adoption de mesures réglementaires ?
Pour l’ensemble de ces raisons, je vous fais part de nouveau de ma conviction très profonde, qui est également celle du Gouvernement : s’il y a matière, du point de vue des parlementaires, à progresser encore en matière de contrôle de l’application des lois, cette amélioration passe certainement beaucoup plus par l’exercice de leurs prérogatives constitutionnelles que par leur recours au juge.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement ne peut pas accepter cette proposition de loi en l’état. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)
Mme la présidente. J’invite chacun des orateurs inscrits à respecter le temps de parole qui lui a été accordé, faute de quoi nous ne pourrons pas achever la présente discussion dans les délais prévus, c'est-à-dire à treize heures au plus tard.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, vous aurez beau dire et beau faire, il existe aujourd’hui un droit exorbitant de tout gouvernement à ne pas appliquer la loi. Vous le savez très bien, il suffit à un gouvernement de s’abstenir de publier les textes d’application pour que la loi ne s’applique pas.
M. Jean-Pierre Sueur. Permettez-moi, monsieur le ministre, d’évoquer ce point en détail, en vous fournissant des exemples concrets.
Certes, nous pouvons poser des questions écrites ou orales, intervenir au cours des débats qui se déroulent ici. Pour autant, si le Gouvernement ne publie pas les décrets, nous n’avons aucune capacité de l’y contraindre. Telle est la vérité !
M. Roland Courteau. Vous avez raison, monsieur Sueur !
M. Jean-Pierre Sueur. Si vous pensez le contraire, monsieur le ministre, expliquez-moi en quoi je me trompe !
Ce premier point, parfaitement clair, me permet d’ailleurs de répondre aux trois quarts de votre intervention, de plus de vingt minutes. Vous pouvez constater, madame la présidente, que je ne gaspille pas le temps qui m’est accordé !
Par ailleurs, je souhaite remercier M. Yvon Collin, ainsi que M. Jean-René Lecerf, de leur travail. Nous voterons en effet avec beaucoup d’enthousiasme et de détermination les amendements identiques qu’ils ont déposés, lesquels, grâce à une rédaction parfaitement ajustée, prévoient que les parlementaires pourront intervenir non pas sur tout sujet, mais uniquement sur la question centrale de la mise en œuvre de la loi votée.
Monsieur le ministre, vous avez cité je ne sais plus qui, en prétendant qu’il disait, en 1987, je ne sais plus quoi.
M. Jean-Pierre Sueur. Pour ma part, je vous citerai les propos tenus par M. Daniel Labetoulle,…
M. Jean-Pierre Sueur. … ancien président de la section du contentieux du Conseil d’État. C’est pourquoi, monsieur le ministre, votre question me paraît inappropriée.
Il a publié, dans le numéro de mai 2010 de la Revue juridique de l’économie publique, un article qui, j’en suis sûr, n’aura pas manqué de retenir votre attention et dont voici un extrait
« On connaît l’objection mise en avant par Jacques Massot et souvent reprise depuis : “… représentant la nation tout entière […], [le parlementaire] fait partie d’un cercle d’intérêt trop vaste pour que son action ne se confonde pas avec l’action populaire.”
« Mais y a-t-il là de quoi écarter autre chose qu’une vision d’une recevabilité “tous azimuts” d’un parlementaire qui tiendrait de son mandat le privilège de pouvoir attaquer tout acte susceptible de recours ? Ce qui ne paraît envisagé par personne et en tout cas ne l’est pas ici, où l’on se borne à suggérer que la réponse à la question de la recevabilité du parlementaire ne passe pas plus par le : “jamais” que par le : “toujours” mais seulement par le : “quand ?” »
C’est exactement ce à quoi M. Collin et M. Lecerf apportent une réponse pertinente.
M. Labetoulle expose ensuite ce que vous avez rappelé, et qui est bien connu, monsieur le ministre : jusqu’à ce jour, le Conseil d’État a pratiqué l’évitement ou le contournement. Nous connaissons tous la fameuse formule : « sans qu’il soit utile de statuer sur la recevabilité des parlementaires »…
Le Conseil d’État s’est appuyé soit sur le fait qu’il y avait d’autres requérants qui n’étaient pas parlementaires, soit sur le fait que le parlementaire requérant possédait une qualité autre. Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’est ainsi vue reconnaître la qualité de téléspectatrice et M. François Bayrou, celle d’abonné au gaz ou plutôt, en l’espèce, d’« actionnaire d’une société d’autoroute ».
Bref, tout cela est proprement ridicule !
D’ailleurs, ce n’est pas moi qui le dis ! M. Daniel Labetoulle, dont nous connaissons l’autorité, rappelle également, en soulignant l’absurdité de la situation, qu’a été reconnue à M. Didier Migaud la qualité de « consommateur de produits pétroliers ». En tant que tel, sa requête avait été déclarée recevable ! Et M. Labetoulle de conclure par ces mots : « Non, décidément, la jurisprudence sur la recevabilité du parlementaire ne peut être aujourd’hui ce qu’on a trop cru qu’elle était. »
Voulez-vous que je vous cite la remarquable analyse conduite par Mme Véronique Bertile dans le numéro daté de 2006 de La Revue française de droit constitutionnel ? « La reconnaissance d’un intérêt pour agir aux membres du Parlement à l’encontre des actes administratifs portant atteinte à leurs prérogatives est indéniablement une étape – et, qui plus est, une étape nécessaire – de l’affermissement du recours pour excès de pouvoir comme véritable recours objectif, destiné à assurer le respect de la légalité par l’administration. »
Monsieur le ministre, je souhaite maintenant évoquer deux affaires concrètes.
Figurez-vous qu’il m’est arrivé de me trouver devant le Conseil d’État porteur d’un recours engagé par 70 sénateurs concernant une ordonnance. Nous avions adopté un texte qui autorisait le Gouvernement à légiférer par ce biais. L’ordonnance fut prise, mais plusieurs de ses dispositions étaient contraires à la loi.
Or l’ordonnance est un texte à caractère administratif tant qu’elle n’a pas été ratifiée. En tant que parlementaires, nous étions donc confrontés à ce texte censé répondre à l’autorisation donnée par la loi, mais contraire, pour plusieurs de ses dispositions, à celle-ci.
Je me suis donc rendu, une après-midi durant, devant le Conseil d’État, ce dont je garde un souvenir… mémorable. Vous savez en effet, monsieur le ministre, que, dans cette assemblée, on ne peut pas parler, ce qui est extrêmement frustrant ! (Sourires.) J’ai donc respectueusement écouté son rapporteur, qui nous a donné raison sur un grand nombre de points, nous permettant ainsi de saisir par la suite le Conseil constitutionnel.
Nous avons appris, d’une part, que nous n’étions pas recevables en tant que parlementaires et, d’autre part, que l’ordonnance était ratifiée de fait, l’un de nos collègues l’ayant mentionnée dans un amendement. Aux yeux du Conseil d’État, elle était dès lors revêtue de l’aura législative, alors qu’aucun parlementaire, pas plus que le Gouvernement lui-même, n’avait considéré qu’il en était ainsi.
Nous étions donc dans une position absurde. Je vous renvoie à l’arrêt du 29 octobre 2004 du Conseil d’État, qui mérite d’être lu, car il montre clairement que notre recours était fondé et qu’il eût été préférable que la loi fût différente. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous sommes ici réunis à l’instigation d’Yvon Collin.
J’évoquerai un second cas très concret, en demandant à Mme la présidente de faire preuve d’un peu d’indulgence à mon égard en ce qui concerne mon temps de parole.
Monsieur le ministre, vous savez que, en 2004, le Sénat et l’Assemblée nationale ont adopté à l’unanimité une disposition permettant aux femmes dont la mère s’était vu prescrire du Distilbène de bénéficier d’un congé de maternité aménagé.
Je tiens à votre disposition toutes les questions écrites et orales, toutes les lettres, l’inventaire de nos rendez-vous au ministère et de nos déclarations auprès de Mme Bachelot-Narquin, laquelle, indignée de la situation, s’était mise en colère ici même. Toujours est-il qu’il a fallu cinq ans, six mois et quatorze jours pour obtenir la parution des deux décrets nécessaires !
Monsieur le ministre, si vous trouvez cela normal, dites-le-moi ! Vous nous avez aujourd'hui invités, à d’innombrables reprises, à exercer notre pouvoir de contrôle. Eh bien, c’est ce que je me suis efforcé de faire de multiples fois et de toutes les manières possibles pour ces femmes. Pourtant, alors que certaines d’entre elles auraient pu bénéficier de cette mesure durant leur grossesse, cela n’a pas été le cas pendant cinq ans, six mois et quatorze jours. J’ai même demandé si l’on attendait, pour prendre le décret, qu’elles ne soient plus en âge de procréer !
Le Conseil d’État ayant le pouvoir de condamner le Gouvernement pour non-application de la loi, nous demandons qu’une présomption d’intérêt à agir soit reconnue aux parlementaires, parce qu’il n’existe pas d’autre moyen coercitif. Vous-même, dans votre discours, n’avez pas réussi à nous en citer un seul.
M. Jean-Pierre Sueur. Je vous dis, monsieur le ministre, qu’il n’existe pas d’autre moyen.
On peut, certes, tenter de persuader et poser des questions. Mais, à la fin des fins, si le Gouvernement ne publie pas le décret, nous ne pouvons pas le publier à sa place !
Par conséquent, cette proposition de loi, le cas échéant modifiée par les amendements déposés par M. le rapporteur et par M. Collin, permettra, en tant que de besoin, une application effective des textes que nous votons, et c’est absolument nécessaire. Du reste, j’en suis convaincu, cette disposition aura un effet dissuasif.
C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous ne partageons pas votre sentiment.
M. Jean-Pierre Sueur. Lundi, vous vous étiez montré rétif à une autre initiative parlementaire. Aussi pensais-je que vous auriez entre-temps réfléchi et fait évoluer votre position. Malheureusement, force est de constater que tel n’est pas le cas.
En ce qui nous concerne, nous soutenons avec enthousiasme cette initiative salutaire de nos collègues du RDSE. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par Yvon Collin et certains de ses collègues du groupe RDSE est intéressante et nous la voterons. Elle participe d’une amélioration des moyens de contrôle du Parlement sur l’exécutif, aujourd’hui bien limités, quoi que vous en pensiez, monsieur le ministre, fidèle en cela à une opinion que vous avez déjà eu l’occasion d’exprimer.
Certes, l’article 24 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la révision de juillet 2008, confère expressément au Parlement la mission de contrôle de l’action du Gouvernement. Néanmoins, le débat que nous avons eu ici même le 12 janvier dernier, sur l’initiative de nos collègues du RDSE, a bien montré les limites d’un tel mécanisme de contrôle, et le fait de répéter à l’envi le contraire n’y change rien !
Les rapports annuels successifs consacrés à cette question dressent, l’un après l’autre, le même bilan préoccupant.
Certains d’entre nous ont dénoncé la frénésie législative du Gouvernement depuis 2007, les nombreuses mesures d’affichage, de même que le recours fréquent à la procédure accélérée. Il en résulte une dégradation de la qualité du droit et, contrairement à ce qu’affirment certains au mépris de la réalité, du rôle du Parlement, ainsi qu’une remise en cause de l’égalité des citoyens devant la loi.
Certes, étant des opposants résolus à la politique menée actuellement, nous ne regrettons pas forcément que des mesures législatives votées par la majorité ne fassent pas l’objet de mesures d’application, surtout quand elles ne sont pas applicables. Mais c’est bien souvent dans d’autres hypothèses que le Gouvernement rechigne à appliquer la loi...
De fait, le rôle premier du Parlement, qui est de voter la loi, est remis en cause.
De quels droits et pouvoirs peuvent se prévaloir les parlementaires pour contraindre le Gouvernement à appliquer la loi ? D’aucun ! Ils ne peuvent que dresser un constat, dénoncer, poser des questions, rédiger des rapports, etc. Ils peuvent trépigner dans l’hémicycle, mais, en réalité, ils ne disposent que de l’information de nature politique que vous considérez comme bien suffisante, monsieur le ministre.
M. Roland Courteau. C’est sans effet !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Parlement ne peut se prévaloir d’aucun pouvoir de coercition à l’égard du Gouvernement. Aujourd'hui, la motion de censure est tout de même très difficile à mettre en œuvre ! Ni par le vote d’une nouvelle loi ni par l’adoption d’une résolution, le Parlement ne peut contraindre le Gouvernement à prendre les mesures réglementaires requises par une disposition législative, de surcroît dans un délai qu’il pourrait lui-même fixer.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le cas échéant, il serait sanctionné par le Conseil constitutionnel.
Quant aux parlementaires pris individuellement, ils n’ont pas le pouvoir de s’assurer que les mesures prises par le Gouvernement sont bien conformes à la loi et respectent les limites fixées par la Constitution. Ils ne disposent pas non plus du droit d’engager un recours juridictionnel pour demander que soit ordonnée l’édiction des mesures réglementaires exigées par la mise en œuvre d’un texte législatif.
Pour l’heure, la seule voie qui leur est ouverte est celle du droit commun : le recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État. Mais encore ce pouvoir est-il limité à deux situations : décret du Président de la République ou acte réglementaire d’un ministre. Il ne s’applique pas aux mesures d’application d’une loi ou à leur non-édiction dans un délai raisonnable. Or c’est bien l’absence de publication d’une mesure réglementaire dans des délais normaux qui pose essentiellement problème.
Jusqu’à présent, la jurisprudence administrative a déduit l’intérêt à agir des parlementaires en matière de recours pour excès de pouvoir sans que ce droit de saisine leur ait été officiellement et légalement reconnu.
Certains objecteront, avec raison, que le Conseil d’État a trouvé des subterfuges. À cet égard, vous me permettrez de me référer à la requête que j’avais introduite auprès du Conseil d’État à la suite de la décision de supprimer la publicité sur les chaînes du groupe France Télévisions avant même le vote de la loi. Pour mémoire, je rappelle que le Président de la République avait, en décembre 2008, imposé au conseil d’administration de France Télévisions la suppression de la publicité de 20 heures à 6 heures dès le 5 janvier 2009, alors que le Sénat n’en avait pas encore délibéré.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Suivant les conclusions du rapporteur public, qui dénonçait « la piètre gestion d’un dossier sensible qui mettait en cause l’avenir du service public de l’audiovisuel », l’arrêt du Conseil d’État a sanctionné l’incompétence de l’exécutif, l’atteinte à notre droit d’amendement et le détournement de pouvoir dont ce dernier s’était rendu coupable.
Pour faire droit à ma requête, le Conseil d’État a usé d’un subterfuge en excipant de ma qualité d’usager du service public de la télévision. Cela étant, il est évident qu’il a voulu montrer combien la résistance institutionnelle, en particulier parlementaire, peut se révéler nécessaire et possible face aux dérives de l’exécutif. En l’espèce, il s’agissait de sanctionner non pas l’absence d’un décret d’application, mais un excès de pouvoir par lequel l’exécutif appliquait une loi avant qu’elle n’ait été votée.
Si la proposition de loi qui nous est soumise ce matin n’est pas susceptible de régler tous les problèmes que pose l’absence d’équilibre entre les pouvoirs de l’exécutif et ceux du Parlement, elle va néanmoins dans le bon sens et c’est pourquoi nous la voterons, le cas échéant amendée.
Aujourd’hui, la primauté de l’exécutif sur le Parlement est sans cesse confirmée, la légitimité des assemblées parlementaires est mise en cause, quoi que vous en disiez, monsieur le ministre, et les attributions de leurs membres sont rognées.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Redonner quelques pouvoirs institutionnels, y compris de nature juridictionnelle, aux parlementaires que nous sommes est de la plus grande utilité.
M. le rapporteur, avec l’accord de l’auteur de cette proposition de loi, a déposé un amendement visant à en réduire le champ d’application. S’agissant du vote sur l’ensemble, il s’en remet à la sagesse du Sénat. Pour notre part, nous considérons que l’adoption de cet amendement rendrait moins pertinent ce texte en en limitant par trop la portée. De fait, nous laissons au juge un pouvoir d’interprétation qui évoluera à mesure que la jurisprudence entendra, de façon plus large, la notion d’excès de pouvoir de l’exécutif.
Cela étant, je le répète, nous voterons cette proposition de loi, même si l’amendement de la commission est adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi présentée par Yvon Collin et certains de ses collègues du groupe RDSE soulève de vraies questions et suscite un réel débat, comme l’attestent les propos des différents orateurs qui se sont succédé à la tribune.
Même si, il faut bien le reconnaître, ce débat peut paraître très technique à la plupart de nos concitoyens, ses termes sont très concrets.
Le Conseil d’État ne s’est jamais prononcé en faveur de l’intérêt à agir d’un parlementaire invoquant une atteinte aux prérogatives du Parlement. C’est pourquoi les auteurs de la proposition de loi proposent d’apporter une réponse législative aux incertitudes jurisprudentielles. Cela mérite débat, j’en conviens.
Si j’ai bien compris, nos collègues du RDSE nous proposent de doter les parlementaires d’une présomption d’intérêt à agir dans trois hypothèses : celle où le pouvoir réglementaire empiéterait sur une matière constitutionnellement réservée au pouvoir législatif ; celle où une mesure réglementaire méconnaîtrait la loi ; celle, enfin, où le pouvoir réglementaire ne prendrait pas dans un délai raisonnable les mesures d’application d’une loi.
J’ai beaucoup apprécié le travail mené par M. le rapporteur et les débats qui ont eu lieu au sein de la commission des lois. Trois options ont été mises en évidence : soit, comme le proposent les auteurs de la proposition de loi, les parlementaires se voient reconnaître un très large intérêt à agir ; soit, par principe, il leur est dénié tout intérêt à agir du seul fait de leur qualité ; soit cette qualité leur est reconnue dans un nombre limité de cas. C’est cette dernière voie qu’a choisie M. le rapporteur en retenant deux hypothèses où un intérêt à agir pourrait être reconnu aux parlementaires.
La première hypothèse est celle où le Premier ministre refuserait de prendre dans un délai raisonnable les mesures réglementaires d’application d’une loi.
Si cette disposition devait être adoptée, elle aurait des conséquences particulièrement importantes. À cet égard, les exemples qu’a cités notre collègue Jean-Pierre Sueur sont éloquents. Chacun d’entre nous a été au moins une fois rapporteur d’un texte et a pu faire l’expérience de la frustration qu’on peut éprouver quand, six mois, un an, deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans après son adoption, les décrets d’application ne sont toujours pas pris, si tant est qu’ils le soient jamais. Me vient à l’esprit le cas d’une loi de procédure pénale, promulguée voilà maintenant sept ans, dont tous les décrets d’application n’ont pas encore été pris…
Certes, ces mesures réglementaires restant en souffrance sont peu nombreuses, mais le Parlement s’étant prononcé clairement et souverainement, cette situation est problématique.
C’est pourquoi l’approche de M. le rapporteur me paraît très intéressante.
La seconde hypothèse dans laquelle l’intérêt à agir pourrait être reconnu aux parlementaires, qui prête sans doute moins à discussion, est celle où un acte réglementaire autorisant la ratification ou l’approbation d’un traité aurait été pris alors que cette autorisation devait être accordée par une loi.
L’approche retenue par la commission peut paraître séduisante. Néanmoins, comme j’ai eu l’occasion de le dire en commission, je ne suis pas totalement convaincu par la nécessité d’adopter ce dispositif.
À mon sens, trois interrogations subsistent, lesquelles, n’en doutons pas, ne seront pas tranchées par le débat d’aujourd’hui.
Premièrement, je m’interroge sur la constitutionnalité du dispositif proposé. En effet, la proposition de loi évoque une forme de nouvelle régulation juridictionnelle de la relation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Certes, je ne suis pas constitutionnaliste, mais, intuitivement, au regard du principe de séparation des pouvoirs, qu’on nous enseigne dès l’école primaire en cours d’instruction civique, j’ai tendance à penser que cette évolution peut difficilement se passer d’une base constitutionnelle.
Deuxièmement, je m’interroge sur les conséquences qu’aurait cette évolution sur le bon fonctionnement de nos institutions.
À mon sens, on ne peut être que réservé sur le sens et l’utilité d’une forme de juridictionnalisation du contrôle exercé par les assemblées sur l’action du Gouvernement. Les parlementaires, fussent-ils juristes, pourraient éprouver un certain dépit à devoir privilégier l’action devant les tribunaux, en lieu et place du débat parlementaire et politique. J’ai le sentiment que, si nous nous engagions dans cette voie, nous nous dessaisirions, nous, parlementaires, de nos prérogatives constitutionnelles en matière de contrôle de l’action gouvernementale.
Les actions que nous pourrions engager devant le Conseil d’État, en tant que parlementaires, concernant l’application des lois, ne pourraient que troubler nos concitoyens : pourquoi, se demanderaient-ils, des députés ou des sénateurs emprunteraient la même voie que nous en saisissant la juridiction administrative alors qu’ils ont théoriquement des prérogatives que nous n’avons pas ?
Cela provoquerait également des interrogations au regard du fonctionnement de la justice. En effet, le texte proposé reviendrait indirectement à créer une forme d’action populaire, et Jean-René Lecerf a évoqué ce risque dans son rapport. Or le Conseil d’État a toujours pris soin d’éviter toute forme d’action populaire.
Je rappelle que, en matière pénale, en France, on refuse qu’il y ait des procureurs privés : nous sommes attachés à ce que l’action publique soit exercée par des magistrats, les magistrats du parquet.
En outre, je ne suis pas convaincu que le recours aux juges serait plus efficace que le dialogue politique sur l’adoption des décrets.
Je remercie M. Yvon Collin et ses collègues de nous entraîner dans une réflexion qui, de prime abord, ne m’apparaissait pas essentielle. Mais, plus on y songe, plus on s’aperçoit qu’il y a quelque chose à faire. Toutefois, je me demande si le travail à accomplir n’est pas de plus grande envergure. Dans une République modernisée, où les pouvoirs seraient rééquilibrés en faveur du Parlement – même le Président de la République s’est exprimé en ce sens –, ne faut-il pas envisager des adaptations et des innovations institutionnelles ?
Monsieur Collin, vous ouvrez la voie à une réflexion bien plus approfondie, qui devrait se nourrir de propositions de juristes que nous ne sommes pas forcément, du moins que je ne suis pas.
Vous aurez compris, cher collègue, mes réticences importantes à l’égard de votre proposition de loi, quel que soit l’intérêt que j’y porte.
Mes collègues de l’Union centriste et moi-même sommes prêts à vous accompagner dans la réflexion d’innovation constitutionnelle qui pourrait être proposée dans les mois ou les années à venir. Cela apparaît, en effet, comme une nécessité, au moins en ce qui concerne les retards pris par le pouvoir exécutif dans la publication des textes d’application des lois. (Applaudissements sur le banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le recours pour excès de pouvoir est un recours contentieux tendant à l’annulation d’une décision administrative et fondé sur la violation par cette décision d’une règle de droit. Cela résulte de la jurisprudence du Conseil d’État. Ainsi est assuré, conformément aux principes généraux du droit, le respect de la légalité : si l’autorité administrative ne respecte pas les limites qui lui ont été assignées par la Constitution ou par la loi, elle commet un excès de pouvoir.
Vous nous proposez, cher collègue Yvon Collin, de trancher aujourd’hui une question importante à laquelle le Conseil d’État s’est toujours soustrait volontairement : un parlementaire peut-il jouir, ès qualité, d’un intérêt pour agir ou d’une possibilité d’agir en matière de recours pour excès de pouvoir lorsque la défense des prérogatives du Parlement est en jeu ?
Notre rapporteur, Jean-René Lecerf, qui a réalisé un travail dont je tiens à saluer la qualité, nous a rappelé que cette proposition soulevait des questions essentielles en ce qui concerne tant les moyens d’action des parlementaires pour la défense des prérogatives du Parlement que le rôle et la place de la haute juridiction.
D’abord, la proposition de loi s’inscrit-elle dans le droit fil de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, dont l’ambition – et le résultat – est de rééquilibrer les institutions en faveur du Parlement ?
Ensuite, le parlementaire a-t-il vocation à agir sur le terrain judiciaire pour défendre les droits du Parlement ?
Enfin, le Conseil d’État peut-il ou doit-il devenir l’arbitre de conflits entre les assemblées et le Gouvernement ?
Le texte qui nous est soumis tend à apporter une réponse aux incertitudes jurisprudentielles et à trancher ainsi une question importante à laquelle, on l’a dit, le Conseil d’État s’est toujours soustrait, invoquant, à juste titre selon moi, une atteinte aux prérogatives du Parlement.
Lorsque cette proposition de loi a été déposée, j’ai regretté que le Conseil d’État n’ait pas lui-même tranché cette question, ce qui nous aurait épargné ce débat !
Toutefois, le Conseil d’État n’a fait que démontrer sa finesse d’analyse juridique en décidant de ne pas trancher ce débat parce que celui-ci est, en réalité, de niveau constitutionnel. Il porte, en effet, sur l’équilibre des pouvoirs puisqu’il s’agit de doter les parlementaires de prérogatives qui ne sont prévues nulle part.
Nous savons que le recours pour excès de pouvoir suppose, pour être recevable, un intérêt personnel à agir, défini dans la jurisprudence, comme le rappelait le président Hyest lors de nos débats en commission des lois.
Le parlementaire n’a pas un intérêt particulier à faire valoir en tant qu’individu pour introduire un recours pour excès de pouvoir. Par conséquent, si l’on va dans le sens de la proposition de loi, on crée un nouveau cas de recevabilité du recours pour excès de pouvoir, distinct de celui qui existe actuellement et qui est fondé sur l’intérêt personnel à agir. Ce faisant, on donne un pouvoir nouveau aux parlementaires et on touche donc à l’équilibre des pouvoirs, qui est un principe purement constitutionnel.
Dès lors, il n’est pas concevable de toucher à cet équilibre par une voie ordinaire. C’est une des raisons pour lesquelles on ne peut pas suivre la direction proposée.
Il s’agit d’autant plus d’un changement d’équilibre entre les pouvoirs au sein de la République que l’on confère finalement au juge un rôle nouveau : en cas de désaccord entre le Gouvernement et le Parlement, il reviendra au juge de trancher. On crée ainsi un véritable gouvernement des juges, ce qui n’est pas imaginable dans le cadre d’une simple proposition de loi ordinaire. Il faut peut-être y regarder à deux fois avant de se lancer dans une telle entreprise !
Par conséquent, même si j’admire le travail effectué par notre rapporteur, je considère que nous ne pouvons pas aller dans ce sens ; je n’y vois pas de progrès pour la démocratie.
Il nous appartient, au titre des pouvoirs qui nous sont donnés par la Constitution, de nous engager dans un contrôle exigeant de l’application des lois. La disposition introduite par la révision constitutionnelle de 2008 concernant le contrôle exercé par le Parlement est récente et n’a pas encore produit tous ses effets. Il nous appartient de prendre des initiatives et d’appréhender la totalité des possibilités que nous offre la Constitution.
Le dispositif qui nous est proposé aujourd'hui allant bien au-delà des dispositifs constitutionnels actuels, le groupe UMP ne le votera pas. (M. René Garrec applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par M. Yvon Collin, et qui sera sans doute amendée par le rapporteur, me paraît essentielle. En effet, elle a pour but de rétablir l’équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
Monsieur Collin, vous avez eu le mérite de poser le problème avec beaucoup de netteté : ce rééquilibrage des pouvoirs doit-il conduire à recourir au juge ?
J’aborderai ce débat sous deux angles, le premier étant celui de la légalité.
On a dit que ce texte posait un problème de légalité et de constitutionnalité. Ce n’est pas mon sentiment. Le droit est complexe, nous le savons tous, mais il l’est encore davantage en la matière. La jurisprudence du Conseil d’État est elle-même assez composite.
Un arrêt Schwartz de 1981, repris dans ses grandes lignes par un arrêt de 1987 concernant M. Michel Noir, précise qu’il n’existe pas d’intérêt à agir du parlementaire ; je le concède volontiers. Cependant, un arrêt de 1978 avait affirmé qu’un parlementaire peut agir contre un acte réglementaire qui limiterait les pouvoirs du Parlement. Autrement dit, dès lors que l’on porte atteinte aux pouvoirs du Parlement, le parlementaire se voit reconnaître un droit à agir.
En vérité, nous sommes, sinon dans l’hypocrisie, car il y a tout de même derrière la position du Conseil D’État un raisonnement juridique assez charpenté, mais au moins dans une situation paradoxale puisque, dès l’instant que le parlementaire se dépouille de ses attributs de parlementaire, il se trouve en droit d’agir.
Je reprends deux des exemples qui ont été cités. En tant que parlementaire, M. François Bayrou ne peut pas agir, mais en tant qu’actionnaire d’une société d’autoroute, il le peut ! En tant que parlementaire, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ne peut pas agir, mais en tant qu’usager du service public de la télévision, elle le peut !
Reconnaissons que, au-delà des solides soubassements juridiques du raisonnement, c’est tout de même à une forme de schizophrénie que nous conduit la jurisprudence du Conseil d’État !
Pour en revenir à la légalité, je reprendrai les excellents propos de Jean-Pierre Sueur. Quels sont les grands juristes à avoir considéré cette question ? M. Daniel Labetoulle, qui est indiscutablement un grand juriste, qui a une expérience considérable et qui a exercé de très hautes responsabilités au sein du Conseil d’État, affirme que cette question ne présente pas de difficulté constitutionnelle.
Il est quelque peu paradoxal de nous opposer l’atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. En vérité, le problème se pose en sens inverse : c’est le pouvoir exécutif qui limite le pouvoir du Parlement s’il ne prend pas les mesures réglementaires ! Le principe de la séparation des pouvoirs exige que le pouvoir législatif exerce la totalité de ses prérogatives et, donc, qu’il dise au pouvoir exécutif que celui-ci n’a pas à le limiter dans son action.
J’en viens au second angle sous lequel j’aborde ce débat, et je me montrerai là un peu plus polémique.
Monsieur le ministre, j’ai bien entendu votre argumentation, reprise par Laurent Béteille, qui consiste à nous dire : « Vous ne vous rendez pas compte que vous allez renoncer à vos prérogatives parlementaires, et peut-être même dénaturer un peu la fonction de parlementaire si, demain, vous formez un recours pour excès de pouvoir devant les tribunaux au lieu d’exercer ce que la loi vous reconnaît. » Honnêtement, je ne vois pas à quoi nous renonçons !
Aujourd'hui, nos droits consistent à publier tous les ans un excellent rapport sur l’application des lois, ce qui est une très bonne avancée, à poser des questions, sans doute remarquables. En quoi ce texte, si nous le votons, nous privera-t-il de ces droits ? En rien !
Non seulement nous ne renonçons à rien, mais nous souhaitons avoir une prérogative supplémentaire. Nous allons au bout de nos droits.
À cet égard, l’argument qui a été opposé est un peu paradoxal car, dans une démocratie, aller au bout de ses droits implique d’aller devant le juge. Je ne comprends pas le raisonnement qui est tenu. Le problème ne se poserait pas dans un autre pays démocratique. Exercer ses pouvoirs dans un État de droit, c’est, à un moment donné, s’adresser au juge pour qu’il arbitre un litige. Je ne vois là rien de scandaleux, d’anticonstitutionnel ou propre à limiter les libertés du Parlement.
Monsieur le ministre, pardonnez-moi, sauf erreur de ma part, j’ai cru vous entendre dire, dans votre volonté de démontrer, que, de toute façon, le Parlement se situait au-dessus de la justice et qu’il n’avait pas à se mettre en dessous en s’adressant à un juge.
M. Alain Anziani. Si vous ne l’avez pas dit, veuillez m’excuser. Mais si vous avez prononcé ces mots, j’estime que c’est assez maladroit de votre part, parce que nous sommes évidemment tous en dessous du pouvoir judiciaire, c’est-à-dire des décisions de justice. Nous vérifierons, mais il me semble bien avoir entendu cela.
Pour terminer, je partage totalement la philosophie qui sous-tend la proposition de loi et j’approuve les amendements présentés par Yvon Collin et Jean-René Lecerf. Ensemble, ils permettent de parvenir à un excellent équilibre et de réaliser une avancée, qui, si elle n’est pas majeure, favorisera tout de même le respect du travail parlementaire. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre. Madame la présidente, j’indique d’ores et déjà que le Gouvernement est contre la présente proposition de loi et les amendements qui ont été déposés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la qualité du débat. J’ai entendu les différents arguments invoqués en faveur de la proposition de loi. Ils sont tous parfaitement légitimes et il est normal que vous puissiez les développer, mais je ne les partage pas car je n’accepte pas leur logique.
Monsieur Sueur, vous dites qu’il n’existe aucun moyen de contraindre le Gouvernement à publier des décrets, c’est faux !
M. Jean-Pierre Sueur. Quels sont ces moyens ?
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur le sénateur, il est très gênant pour moi de vous expliquer cela, parce que je donne l’impression que, dans un autre temps, j’ai pu recourir à des moyens qui ne sont pas utilisés aujourd’hui.
Je vais néanmoins répondre à votre question : le pouvoir de contrôle de l’exécution de la loi est donné aux commissions, qui l’exercent par l’intermédiaire de leurs présidents, et non à n’importe quel parlementaire, qu’il soit député ou sénateur.
À partir du moment où un rapport sur l’exécution de la loi est rédigé conjointement par le rapporteur de la loi et un rapporteur de l’opposition – c’est ce qui se fait à l’Assemblée nationale –, il doit évidemment avoir une suite.
De plus, lorsqu’un ministre est convoqué devant une commission par le président de celle-ci, sans la presse – la présence de journalistes risquerait de dénaturer la réalité des échanges –, j’imagine mal que, face aux sénateurs ou aux députés qui décortiquent la mauvaise qualité de l’application de la loi en raison de l’absence de décrets, ce membre du Gouvernement se contente de répondre : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »
Chaque fois que nous l’avons fait à l’Assemblée nationale, les résultats ont été immédiats. Je vous citerai un seul exemple, celui de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008. En quarante-huit heures, M. Chatel a rapporté une circulaire d’août 2008 – je le dis afin que cela figure au Journal officiel – qui remettait en cause ce que nous avions voté sur l’urbanisme commercial. Il l’a fait parce que nous l’avons convoqué et lui avons expliqué que la circulaire ne correspondait pas à l’esprit de la loi.
M. Jean-Pierre Sueur. Lisez le rapport du Sénat !
M. Patrick Ollier, ministre. Il est donc possible d’établir des dialogues constructifs.
Monsieur Sueur, vous avez évoqué la loi de 2004 relative, notamment, au congé de maternité. Le ministre a-t-il été interpellé par la commission des affaires sociales du Sénat sur l’application de ce texte ? Je ne sais ce qu’il en est, je ne suis pas sénateur. Simplement, il est faux de dire qu’il n’y a aucun moyen de contraindre le Gouvernement à prendre des décrets.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes intervenus dix fois en séance publique !
M. Jean-Pierre Sueur. Je me permets de solliciter la possibilité de vous interrompre, monsieur le ministre !
M. Patrick Ollier, ministre. Je ne vous ai pas interrompu lors de votre démonstration !
Je le répète, quand vous dites qu’il n’existe aucun moyen d’obliger l’exécutif à publier des décrets, je vous réponds que c’est faux ! Il suffit que les présidents de commission le fassent, et ils s’en acquittent aussi bien au Sénat qu’à l’Assemblée nationale.
M. Labetoulle que vous citez, dont je ne remets pas en cause les qualités, n’a jamais été président de commission, ni ici ni au Palais-Bourbon, n’a jamais exercé la fonction de parlementaire et n’a pu être investi à ce titre d’une mission de contrôle de l’exécution des lois.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est un membre éminent du Conseil d’État !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est le seul point sur lequel nous sommes d’accord !
M. Patrick Ollier, ministre. Je suis certes ignorant en ce qui concerne le Conseil d’État, mais au moins je connais M. Massot !
On pourrait poursuivre le débat, mais je ne souhaite pas le cantonner autour d’intentions politiques. J’essaie de l’orienter sur les questions de fond.
Même si j’appartiens au Gouvernement, j’aime trop le Parlement,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour !
M. Patrick Ollier, ministre. …. je suis trop attaché à l’exercice de ses prérogatives pour accepter qu’il se « dépouille », comme l’a dit M. Anziani, ou se départisse de celles qui lui reviennent.
Nous parlons ici de l’équilibre des pouvoirs choisi par le constituant en 2008, voilà un peu plus de deux ans. L’article 24 de la Constitution a été modifié dans le sens d’un renforcement du rôle du Parlement, notamment pour le contrôle de l’exécution des lois.
Le Gouvernement est prêt à aider au maximum ceux qui souhaiteront s’investir dans cette mission, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.
La séparation des pouvoirs, monsieur Sueur, est affirmée depuis bien plus longtemps que vous n’êtes sénateur et que je n’ai été député.
Si un parlementaire agit en son seul nom, pourquoi son action serait-elle forcément recevable, alors qu’il ne peut faire état d’aucun intérêt personnel ? Cela pose aussi un problème de fond : les rapporteurs des lois sont-ils dans la même situation que tous les autres parlementaires ? La réponse est non, et j’en reviens à la démonstration que j’ai faite tout à l’heure.
Enfin, monsieur Sueur, vous évoquez la volonté de coercition à l’égard du Gouvernement. Tel est bien le fond du problème. Un instrument de coercition entrant dans le cadre des relations entre les pouvoirs ne peut trouver sa place que dans la Constitution. Dès lors, proposez-nous une réforme constitutionnelle, ce serait légitime !
Monsieur le rapporteur, vous en conviendrez avec moi, ce n’est pas une simple loi qui peut modifier ce qui est de nature constitutionnelle et concerne notamment la séparation des pouvoirs.
Du travail reste à faire. Si vous le voulez, nous pouvons œuvrer ensemble, mais je suis obligé de vous dire que cette proposition de loi ne répond pas aux principes qui vous incitent tous à agir.
Madame Borvo Cohen-Seat, vous regrettez une dégradation de la qualité de la loi. L’initiative de la loi appartient au Gouvernement, mais c’est le Parlement qui vote la loi. Il revient donc à ce dernier d’en améliorer la qualité. Quand vous passez des heures et des heures dans cette enceinte, comme je l’ai fait à l’Assemblée nationale, c’est bien pour faire votre travail de parlementaire. Les amendements sont destinés à améliorer la qualité de la loi. Cela relève du fonctionnement normal du Parlement. Par conséquent, si la qualité du travail est dégradée, ce n’est pas le Gouvernement qui peut vous répondre, madame Borvo Cohen-Seat.
Vous avez dit tout à l’heure que les parlementaires trépignaient dans l’hémicycle. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat rit.) La formule est amusante, et je veux bien rire avec vous ; mais permettez-moi d’en revenir à l’exemple que j’ai cité concernant la loi de modernisation de l’économie en 2008 : en deux heures, les modifications ont été introduites. Il s’agit donc non pas de trépigner, mais de travailler ; il s’agit non pas de lancer des invectives, mais d’organiser des actions de conviction, qui sont aussi des moyens de contrainte à l’égard du Gouvernement. On peut effectivement l’obliger à avancer et à prendre des décrets d’application. À cet égard, je prendrai des initiatives et j’espère, madame la sénatrice, que vous les soutiendrez.
Monsieur Zocchetto, je vous remercie de vos propos que j’ai appréciés car, malgré nos quelques divergences, nous sommes sur la même ligne.
Vous avez souhaité, comme M. Béteille, que nous continuions à travailler ensemble pour que le Gouvernement s’engage dans la voie d’un meilleur contrôle de l’application des lois. Je réponds par l’affirmative et, je l’ai dit, je prendrai des initiatives en ce sens. Je souhaite que vous soyez des gardiens vigilants de la manière dont le Gouvernement envisage les choses dans ce domaine. J’ai évoqué tout à l’heure les débats que nous organiserions dans cette enceinte. Ils seront la conclusion de tout ce que je souhaite que nous puissions faire d’ici là.
Vous avez insisté sur le fait qu’un recours des parlementaires devant le Conseil d’État risquait de troubler l’opinion et d’entretenir une certaine confusion. Je suis sensible à cet argument.
Le Gouvernement ne dit pas que la question posée par la proposition de loi n’a pas de réponse. Il considère que ce texte n’est pas la bonne réponse. Nous pourrons en rediscuter.
Monsieur Béteille, je partage votre analyse et vos arguments. Je le redis à vous et à celles et ceux qui veulent poursuivre la réflexion avec nous, le Gouvernement est à votre disposition pour mettre en commun des moyens, des actions, et améliorer encore l’application des lois par le pouvoir exécutif. J’y suis tout à fait favorable et je vous remercie de vos propositions.
Monsieur Anziani, d’un côté, vous vous demandez à quels droits vous renonceriez en votant cette proposition de loi et, de l’autre, vous ne comprenez pas que le Sénat veuille se dépouiller de ses prérogatives. Cela me paraît quelque peu contradictoire.
Par ailleurs, si des obstacles doivent être levés, c’est dans le cadre du contrôle exercé non par un parlementaire isolé, comme vous l’avez évoqué, mais par les commissions et leurs présidents. Un dialogue constructif doit avoir lieu en permanence entre le Parlement – la majorité et l’opposition – et le Gouvernement.
Je n’ai pas dit que le Parlement était au-dessus de l’autorité judiciaire. C’est une mauvaise interprétation de mes propos. J’ai affirmé que vous étiez souverains et que l’on ne peut pas vous retirer cette qualité. De ce fait, vous pouvez exercer la plénitude de tous vos pouvoirs, y compris celui qui consiste à contrôler l’application des lois.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi initiale.
Article unique
Après l’article 4 bis de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. 4 ter. – Les membres de l’Assemblée nationale et du Sénat sont réputés justifier d’une qualité leur donnant intérêt à agir par la voie du recours pour excès de pouvoir contre une mesure réglementaire édictant une disposition relevant du domaine de la loi, une mesure réglementaire contraire à une disposition législative, ou contre le refus du Premier ministre de prendre dans un délai raisonnable les mesures réglementaires d’application d’une disposition législative. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 1 rectifié est présenté par M. Collin.
L'amendement n° 2 est présenté par M. Lecerf, au nom de la commission.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. - Rédiger ainsi cet article :
Après l'article 4 bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. 4 ter. - Les membres de l'Assemblée nationale et du Sénat ont intérêt à agir en cette seule qualité, par la voie du recours pour excès de pouvoir :
« 1° Contre le refus du Premier ministre de prendre dans un délai raisonnable les mesures réglementaires d'application d'une disposition législative ;
« 2° Contre un acte réglementaire autorisant la ratification ou l'approbation d'un traité lorsque le moyen unique soulevé est tiré de ce que cette autorisation aurait dû être accordée par la loi en vertu de l'article 53 de la Constitution. »
II. - En conséquence, rédiger ainsi l'intitulé de la proposition de loi :
Proposition de loi tendant à reconnaître aux membres de l'Assemblée nationale et du Sénat un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir
La parole est à M. Yvon Collin, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié.
M. Yvon Collin. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, cet amendement a pour objet de réécrire l’article unique de la proposition de loi en tenant compte des observations de M. le rapporteur, et donc de la commission des lois.
Le texte que nous vous avons initialement soumis visait un champ d’application particulièrement large, puisqu’un parlementaire aurait justifié d’un intérêt à agir dans des hypothèses si vastes que certains ont même posé la question de la constitutionnalité du dispositif visant, par exemple, le cas de la mesure réglementaire déférée devant le juge administratif comme contraire à une disposition législative.
Pour autant, sans entrer dans un débat juridique approfondi, je ne suis pas sûr que l’inconstitutionnalité ainsi avancée soit certaine, car la mesure que nous proposions était proportionnée au but recherché, à savoir garantir l’intégrité des prérogatives du Parlement et, en l’occurrence, s’assurer que la volonté du législateur est respectée.
Néanmoins, après avoir entendu les observations des uns et des autres, notre réflexion a évolué. C’est pourquoi nous vous proposons, par cet amendement, de restreindre le champ d’application de la proposition de loi à deux hypothèses plus précises.
En premier lieu, il vise, comme dans le texte initial, les cas dans lesquels le refus du Premier ministre d’édicter dans un délai raisonnable les mesures d’application d’une loi serait susceptible de constituer une faute.
Cette hypothèse se situe, pour nous, au cœur de l’objectif que nous nous étions fixé en déposant cette proposition de loi, à savoir permettre à des parlementaires, en tant que tels, de mettre, non pas l’administration, mais bien le pouvoir exécutif, au sens constitutionnel du terme, devant ses propres responsabilités, dans le cas où il n’aurait pas respecté ses obligations, en l’occurrence celle d’assurer l’applicabilité de la loi souverainement votée.
En aucun cas il ne s’agit, dans notre esprit, de prolonger devant le Conseil d’État le débat tenu dans une enceinte politique, au risque de dénaturer la fonction juridictionnelle de la haute juridiction administrative. Le contrôle politique et le contrôle judiciaire sont bien deux modalités complémentaires d’exercice de la fonction parlementaire, et non deux dispositifs concurrents.
Enfin, on aurait tort de croire que l’opposition, quelle qu’elle soit d’ailleurs, s’emparera d’un tel moyen pour inonder le Conseil d’État de recours en cascade. Nous souhaitons simplement que les parlementaires, auteurs de la loi, puissent s’assurer ès qualités de la pleine application de la norme qu’ils ont créée.
En second lieu, notre amendement vise le recours dirigé contre un acte réglementaire autorisant la ratification ou l’approbation d’un accord international, dès lors que le moyen unique soulevé est tiré de ce que cette autorisation relèverait du domaine de la loi en vertu de l’article 53 de la Constitution.
Encore une fois, il est à notre sens légitime que les parlementaires puissent défendre les prérogatives du Parlement, en l’occurrence le domaine de la loi, à partir du moment où l’auteur d’un acte réglementaire viole son champ de compétence. Incontestablement, ce type d’acte réglementaire « fait grief » aux parlementaires, puisqu’il les prive de l’exercice d’une compétence que la Constitution leur a attribuée.
De plus, le Conseil d’État ne paraît pas avoir explicitement écarté l’intérêt à agir des parlementaires en tant que tels dans une telle hypothèse. C’est l’interprétation que l’on pourrait donner de l’arrêt Fédération nationale de la libre pensée et autres, même si la doctrine ne s’accorde pas sur ce point. Il n’en reste pas moins vrai que cette hypothèse est légitime du point de vue des droits du Parlement, et qu’il convient de mettre un terme au flou de la jurisprudence.
Je vous invite donc tous, mes chers collègues, à adopter cet amendement ou, si vous préférez, l’amendement identique de notre rapporteur.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 2.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Madame la présidente, je précise d’emblée que la commission ne peut qu’être favorable à l’amendement n° 1 rectifié, puisque l’amendement que j’ai déposé est identique.
D’abord, je dois dire que le juriste de droit public que je suis a pris beaucoup de plaisir à assister à ce débat.
Ensuite, permettez-moi d’apporter quelques précisions complémentaires. Ce texte pose, d’une part, un problème d’opportunité, d’autre part, un problème constitutionnel.
Sur le premier point, je laisse à chacun le soin d’apprécier l’opportunité de ce texte.
En ce qui concerne le second point, parmi les conseillers d’État et les professeurs de droit que j’ai auditionnés, aucun n’a jugé insurmontable le problème d’inconstitutionnalité. La majorité d’entre eux considéraient même que la proposition de loi d’origine était constitutionnelle.
Je ne peux donc pas laisser certains de nos collègues, comme Laurent Béteille, affirmer qu’il s’agit de demander au juge de trancher un différend entre le Gouvernement et le Parlement. Il ne saurait y avoir de différend en la matière, puisque le Gouvernement a l’obligation de prendre les décrets d’application des lois. Ce n’est pas pour l’exécutif une simple faculté, sans quoi la séparation des pouvoirs n’existerait plus.
Sur cet aspect strictement constitutionnel, je ne partage pas les opinions de M. le ministre. On peut certes considérer que ce texte a une incidence sur les rapports entre le Gouvernement et le Parlement, bien que ce soient plutôt les rapports entre le Parlement et le juge qu’il tendrait à modifier.
Quoi qu’il en soit, j’observe que de nombreuses structures ayant une incidence sur les rapports entre le Gouvernement et le Parlement ont été créées, alors même que leur existence n’était nullement prévue par le texte de la Constitution. Ce fut le cas des commissions d’enquête pendant très longtemps, avant que la révision de 2008 ne leur confère une existence constitutionnelle, mais aussi des différents offices et délégations qui ont été instaurés.
Sur la question de savoir si la reconnaissance d’un intérêt à agir des parlementaires pourrait être considérée comme une injonction du Parlement à l’égard du juge, je fais remarquer que de très nombreux textes contiennent des dispositions similaires, notamment le code de l’environnement ou le code de la propriété intellectuelle. Ainsi, l’article L. 211-2 de ce dernier code donne au ministre chargé de la culture intérêt à agir en matière de droits d’auteur.
Les arguments en faveur de l’inconstitutionnalité de ce texte méritent donc, à tout le moins, d’être relativisés.
Je précise enfin que, si le 1° de l’amendement n’a été adopté qu’à une seule voix de majorité par la commission des lois, le 2° l’a été à la quasi-unanimité de ses membres, aucune voix ne s’étant élevée contre cette disposition.
Mme la présidente. Le Gouvernement a exprimé son opposition à ces amendements.
La parole est à M. le vice-président de la commission des lois.
M. Yves Détraigne, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Pour les raisons que vient d’exposer à l’instant M. le rapporteur, je demande qu’il soit procédé à un vote par division sur cet amendement, en distinguant les deux cas pour lesquels l’intérêt à agir des parlementaires pourrait être reconnu.
Tout d’abord, ces cas soulèvent des questions sensiblement différentes, comme nous l’avons vu au cours du débat.
Ensuite, comme l’a précisé M. le rapporteur, il apparaît que, si le second cas n’a pas posé de problèmes en commission, le premier a soulevé davantage de difficultés.
Mme la présidente. Je suis saisie d’une demande de vote par division sur les amendements identiques nos 1 rectifié et 2.
Je vais donc mettre aux voix le 1° du I de ces amendements.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 163 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 158 |
Contre | 181 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Quel est donc l’avis de la commission sur le 2° du I des amendements identiques nos°1 rectifié et 2 ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Comme je l’ai indiqué tout à l'heure, la commission est à l’évidence totalement favorable à l’adoption de cette disposition qui a recueilli l’unanimité des suffrages exprimés au sein de la commission des lois.
J’ajoute que si vous votiez ce second point, mes chers collègues, vous permettriez à la proposition de loi de suivre son cours. Il me semble important que le débat passionnant qui s’est engagé dans cette assemblée puisse se poursuivre dans le cadre de la procédure législative.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Ollier, ministre. Très clairement, l’avis du Gouvernement est défavorable.
Je vous invite à faire preuve de cohérence dans vos votes, mesdames, messieurs les sénateurs. Je ne vois pas au nom de quoi le Sénat, après avoir rejeté le 1°, approuverait le 2°.
En outre, l’adoption de cette disposition risquerait, en rendant plus difficile l’application des accords internationaux, de gêner la conduite de la politique étrangère de la France.
Mme la présidente. Je mets aux voix le 2° du I des amendements identiques nos 1 rectifié et 2.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 164 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 188 |
Contre | 151 |
Le Sénat a adopté.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 1 rectifié et 2.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, mon explication de vote vaudra à la fois pour ces deux amendements identiques et pour l’article unique de la proposition de loi.
Monsieur Collin, au nom du groupe socialiste, je veux vous remercier de nouveau, car vous avez posé une véritable question et proposé, avec M. le rapporteur, une très bonne solution. Nous pensons que, de toute façon, il faudra revenir sur le sujet, car nous ne pouvons accepter que le législateur soit ainsi constamment bafoué par des gouvernements qui omettent de publier les textes d’application des lois.
Je le répète, la seule façon de régler ce problème est que le Conseil d'État condamne le Gouvernement pour la non-application de la loi et le préjudice qui est ainsi porté aux citoyens de ce pays.
Je le redis également, la jurisprudence est en train de changer. Ce qu’a écrit à cet égard le président Labetoulle n’est absolument pas anodin. Celui-ci a pris position clairement pour indiquer que le Conseil d'État ne pourrait éternellement considérer qu’il n’est pas opportun de statuer sur la recevabilité des recours des parlementaires pour excès de pouvoir.
La présente initiative était donc nécessaire et salutaire, et j'espère qu’elle sera reprise. L’histoire est un long chemin, monsieur Collin !
Monsieur Dallier, je me permettrai, à votre attention particulière, une remarque complémentaire sur le mode de scrutin dans notre hémicycle.
Je sais que le vote est libre, et évidemment nous sommes tous très attachés à ce principe. Je sais également qu’entre le débat en commission et le vote en séance publique les esprits peuvent évoluer et qu’il peut se produire une maturation intellectuelle, voire idéologique.
Néanmoins je constate que, en commission, l’ensemble des membres du groupe UMP, pour parler franchement, avaient voté dans un sens…
M. René Garrec. L’ensemble des membres présents !
M. Laurent Béteille. Il ne faut pas tout mélanger !
M. Jean-Pierre Sueur. En effet ! Je vous en donne acte, monsieur Garrec, monsieur Béteille, puisque vous n’étiez pas présents, pour de très bonnes raisons d'ailleurs, au moment du vote en commission. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
L’ensemble des membres du groupe UMP présents en commission, disais-je, avaient approuvé la seconde partie de ces amendements identiques, qui d'ailleurs vient d’être votée par le Sénat, ce dont je me réjouis.
Or la réflexion ultérieure et les efforts d’argumentation déployés par M. Dallier pour convaincre ses collègues, sur le plan intellectuel et par la force des idées (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.), ont conduit les membres du groupe UMP à prendre une position contraire à celle qu’ils avaient adoptée il y a peu de temps en commission.
Je me permets de le noter, à toutes fins utiles, car cela ne me paraît pas totalement anodin. En tout cas, monsieur Dallier, je vous félicite de votre force de conviction.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Monsieur Sueur, en cet instant deux représentants du groupe socialiste sont présents dans cet hémicycle, et je ne sais pas s’ils peuvent s’exprimer au nom de l’ensemble de leurs collègues. Dès lors, de grâce, ne me prenez pas à partie !
S’il faut changer un jour le mode de scrutin de cette assemblée pour faire en sorte que seuls les présents votent, nous le ferons. Nous serons dès lors certains de l’opinion des uns et des autres. En attendant, je le répète, ne me prenez pas à partie sur ce sujet, de grâce, car à bien d’autres occasions nous aurions pu vous retourner le compliment.
M. Jean-Pierre Sueur. Mais j’ai loué votre force de conviction ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Philippe Dallier. N’en rajoutez pas !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié et 2.
Je rappelle que le rejet de ces deux amendements identiques vaudrait rejet de la proposition de loi.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 165 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 162 |
Contre | 177 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, l’article unique constituant la proposition de loi est rejeté.
M. Jean-Pierre Sueur. Ce vote est contradictoire avec le précédent. C’est complètement illogique !
Mme la présidente. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Roland du Luart.)
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que l’auteur de la question de même que la ou le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes trente.
grève des personnels portuaires et situation des ports
M. le président. La parole est à M. André Trillard.
M. André Trillard. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé des transports, et porte sur la récente grève qui a secoué les ports de notre pays.
Monsieur le secrétaire d’État, comme l’a souligné avec justesse et gravité notre collègue Louis Nègre, mardi dernier, au cours du débat sur le schéma national des infrastructures de transport, aujourd’hui, le premier port français n’est ni Marseille ni Le Havre, c’est Anvers.
La modernisation des ports français, qui doivent faire face à la concurrence acharnée des ports européens et mondiaux, est un enjeu essentiel du développement économique futur de notre pays.
Ce constat est à l’origine d’une réforme profonde de notre système portuaire qui a abouti à l’adoption de la loi du 4 juillet 2008, saluée dans son rapport public annuel par la Cour des comptes présidée par M. Didier Migaud. Auparavant les ports français étaient soumis à un régime datant de 1967.
Aujourd’hui, ce processus de modernisation est dangereusement remis en cause par une série de grèves de la part des personnels portuaires. Ce conflit social, né du refus de certains de contribuer équitablement à l’effort national en matière de retraite, met en péril des centaines de milliers d’entreprises, soit 215 000 sur les seuls départements d’implantation des ports. Ces entreprises font face à des difficultés d’approvisionnement, ainsi qu’à des augmentations de coût de transport et de stockage dramatiques en ces temps de reprise fragile de l’activité économique.
Dans mon département de la Loire-Atlantique, le terminal fruitier a déploré, au mois de janvier, une diminution de son trafic de 93 % par rapport à l’année dernière. Une baisse du trafic conventionnel de l’ordre de 30 000 tonnes a également été observée sur la même période dans les autres secteurs.
Malgré l’annonce récente d’une suspension de la grève, les dommages causés à notre économie par ces interruptions de travail font craindre une dégradation irréversible de l’image de nos ports et, in fine, un détournement des trafics vers des ports concurrents plus fiables, ce qui est d’ores et déjà le cas pour le Grand Port de Marseille.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question porte sur trois points précis.
Pouvez-vous nous assurer que la réforme portuaire sera bien menée à son terme ?
Quelle est la position du Gouvernement sur l’accord du 27 novembre dernier qui devait permettre aux 5 000 agents portuaires de partir à la retraite jusqu’à quatre ans avant l’âge légal en raison de la pénibilité des tâches qu’ils accomplissent ?
Qu’en est-il réellement de cette pénibilité au moment où un rapport de la Cour des comptes évoque les conditions particulièrement avantageuses dont bénéficient certains de ces salariés ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des transports.
M. Thierry Mariani, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé des transports. Monsieur Trillard, vous connaissez bien ce sujet. En tant que sénateur de la Loire-Atlantique, vous constatez, comme vos collègues des Bouches-du-Rhône et d’autres départements, ...
M. Charles Revet. La Seine-Maritime !
M. Thierry Mariani, secrétaire d'État. ... les effets de cette grève sur l’image des ports et de notre pays.
Je répondrai précisément à votre question.
Premièrement, nous mènerons à son terme cette réforme portuaire, qui a été décidée dans l’intérêt de notre pays, afin que nos ports retrouvent une réelle compétitivité. Nous en sommes à la dernière étape.
Deuxièmement, je rappelle que, avant le 27 octobre dernier, les organisations professionnelles et le patronat avaient commencé à discuter des questions relatives à la prise en compte de la pénibilité. Entre-temps, la loi portant réforme des retraites a été votée par le Sénat et par l'Assemblée nationale. Elle s’applique donc à tous les Français, travailleurs portuaires, agriculteurs, etc. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Odette Terrade. Ce n’est pas ce qui a été dit pendant le débat !
M. Thierry Mariani, secrétaire d'État. La loi est très claire : la pénibilité peut être prise en compte, mais elle se traduit par un départ à la retraite anticipé de deux ans par rapport à l’âge légal.
MM. Jean-Claude Danglot et Guy Fischer. C’est une trahison de la parole donnée !
M. Thierry Mariani, secrétaire d'État. Quelle est la position du Gouvernement ? L’accord que vous évoquez du 27 octobre dernier a-t-il été signé ? La réponse est non, et je mets au défi quiconque dans cet hémicycle d’apporter la preuve contraire.
Certes, des discussions ont eu lieu entre les partenaires sociaux et une partie des employeurs. Cependant, il manquait un troisième partenaire qui n’avait pas donné son accord : excusez du peu, c’est l'État, qui payait à hauteur de 140 millions d’euros.
Par conséquent, si des discussions ont bien eu lieu, aucun accord n’a été signé.
Quel est l’enjeu aujourd'hui ? Faut-il permettre aux travailleurs portuaires de partir à la retraite à 58 ans, alors que l’on vient de proposer à tous les Français de porter l’âge de départ à la retraite à 62 ans ?
La réponse est claire : oui à la prise en compte de la pénibilité, mais dans le cadre de la loi ; oui à une application de la loi égale pour tous les Français. Nous avons tendu la main en proposant de tenir compte de la pénibilité par un départ à la retraite anticipé de deux ans, conformément à la loi.
Des négociations se déroulent en ce moment. Je pense, et j’espère, que nous parviendrons à un accord. C’est l’intérêt des ports français, c’est l’intérêt de notre pays et c’est l’intérêt des travailleurs portuaires ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
marché eurostar remporté par siemens au détriment d’alstom
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement. (M. Yvon Collin et Mme Bariza Khiari applaudissent.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé des transports.
Le 3 décembre 2010, Eurostar a commandé à Siemens dix rames ICE de quatre cents mètres à motorisation répartie. Ce contrat contrevient aux règles de sécurité qui prévalent dans le tunnel sous la Manche et qui imposent des motrices à chaque extrémité des trains pour permettre, en cas d’incendie de transformateurs, l’évacuation certaine des passagers par des portes ménagées à cet effet à l’intérieur du tunnel tous les quatre cents mètres.
Le choix d’Eurostar est d’autant plus étonnant que cette entreprise est à 55 % une filiale de la SNCF.
M. Guy Fischer. Scandaleux !
M. Jean-Pierre Chevènement. Alstom a déposé un recours devant la Commission intergouvernementale franco-britannique et devant la Commission européenne.
Monsieur le secrétaire d'État, mes questions sont les suivantes :
Premièrement, pourquoi a-t-on laissé Eurostar commander un train non autorisé par la réglementation en vigueur ? Pouvez-vous confirmer que les règles de sécurité ne seront pas modifiées sans que des études préalables aient attesté que les trains dont les moteurs sont placés sous les voitures passagers, que l’on appelle trains à motorisation répartie, n’entraînent aucune dégradation des conditions de sécurité dans le tunnel ?
Deuxièmement, avons-nous mesuré les conséquences industrielles pour Alstom et ses sous-traitants du contrat confié à Siemens, dans des conditions qui font d’ailleurs l’objet de recours devant la Commission européenne et la justice britannique ?
Selon mes informations, la commande d’Eurostar représenterait pour Alstom Transport une perte d’un an et demi de production, soit 1 300 emplois sur un total de 8 800 en France, sans compter les 4 200 entreprises françaises sous-traitantes qui emploient 27 000 personnes dans cette filière. L’ouverture du marché français à la concurrence s’est traduite par une baisse significative de la production réalisée en France, de 79 % voilà dix ans à 62 % aujourd'hui. La concurrence implique le respect de certaines règles, en particulier dans le domaine de la sécurité.
Troisièmement, quelles sont les chances de voir le marché allemand de la très grande vitesse s’ouvrir à la filière ferroviaire française ?
Enfin, quatrièmement, quel signe fort du point de vue de la politique industrielle le gouvernement français entend-il donner pour assurer au secteur ferroviaire français, l’une des rares industries à dégager encore un solde commercial excédentaire, des conditions de concurrence normales et équitables ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Robert Hue. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des transports.
M. Thierry Mariani, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé des transports. Monsieur le sénateur, j’avoue que la situation est un peu paradoxale. Vous êtes tous des élus. Que se passerait-il si, après avoir lancé un appel d’offres et sélectionné une entreprise, une commune décidait de vérifier après-coup si les règles avaient été respectées ? C’est un peu ce que vous décrivez dans l’affaire que vous dénoncez.
La société Eurostar a fait part de son intention de signer un contrat avec Siemens pour l’achat de rames à grande vitesse afin de renouveler une partie des trains empruntant le tunnel sous la Manche. Comme vous l’indiquez, les rames commandées, dotées d’une technologie à motorisation répartie, ne sont actuellement pas autorisées à emprunter le tunnel sous la Manche.
En effet, lors de la mise en service du tunnel sous la Manche, cette technologie n’a pas été prévue, en particulier au regard des risques d’incendie. Aujourd'hui, des interrogations demeurent. Le 11 septembre 2008, un incendie s’est déclaré dans le tunnel sous la Manche, dont chacun se rappelle les conséquences. Tirant les enseignements d’accidents parfois dramatiques, notamment celui-ci, le gouvernement français est particulièrement attentif et exigeant quant aux conditions de sécurité, afin que les transports ferroviaires restent, dans le tunnel sous la Manche comme ailleurs, particulièrement exemplaires.
C’est pourquoi la France a officiellement demandé que des études de sécurité portant notamment sur l’aptitude des trains à motorisation répartie à circuler dans le tunnel sous la Manche soient engagées préalablement à toute évolution des règles de sécurité. Ces études sont actuellement pilotées par la Commission intergouvernementale franco-britannique, autorité qui est responsable de la sécurité dans le tunnel sous la Manche. Un avis technique a été demandé aux experts pour savoir si les trains allemands qui ont été choisis répondaient aux normes de sécurité.
Ce n’est que lorsque nous recevrons les réponses, qui devraient nous parvenir dans le courant du mois de mars, que nous serons en mesure de statuer sur la possibilité d’autoriser ces nouveaux matériels.
Il ne faut pas s’interdire de faire évoluer les règles de sécurité en vigueur dans le tunnel sous la Manche, en particulier pour tenir compte des améliorations permises par les progrès techniques. Cependant, l’objectif de toute évolution des règles doit être de maintenir ou accroître le niveau de sécurité existant.
Nos amis allemands parlent de protectionnisme, mais il s’agit avant tout, comme je l’ai dit au ministre allemand, de faire en sorte que, dans le tunnel sous la Manche, les règles de sécurité que nous avions émises en commun soient respectées par l’ensemble des partenaires. Si le train Siemens les respecte, nous ne nous opposerons pas au marché. En revanche, si tel n’est pas le cas, je ne vois pas comment ce dernier pourrait être conclu. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
installation des médecins
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis.
M. Jean Arthuis. Ma question s'adresse à M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
Monsieur le ministre, la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires s’efforce de répondre à l’insuffisance de présence médicale dans un certain nombre de départements.
M. Guy Fischer. C’est ce que l’on dit !
M. Jean Arthuis. À cette fin, un contrat d’engagement de service public a été imaginé aux termes duquel des étudiants en médecine, à partir de la deuxième année, peuvent percevoir une indemnité mensuelle de 1 200 euros, à condition d’accepter d’exercer dans une zone où la présence médicale est manifestement insuffisante.
Cependant, ce dispositif a du mal à s’enclencher en raison de deux inquiétudes.
D’une part, la régulation s’opère à l’échelon national. Par exemple, un étudiant inscrit à la faculté d’Angers et souhaitant exercer dans le département de la Mayenne, ne signera pas la convention par crainte d’être nommé dans un autre département, hors de sa région. Manifestement, une meilleure communication s’impose pour dissiper ce malentendu.
D’autre part, à l’intérieur même de chaque région un doute subsiste sur l’affectation qui sera décidée au moment où l’étudiant obtiendra son diplôme de médecin.
À mon sens, ce jeune devrait être orienté au moment de la conclusion du contrat, c’est-à-dire dès la deuxième année, vers le territoire qu’il a choisi, faute de quoi – je vous mets en garde, monsieur le ministre – il risque d’y avoir des ratés dans l’enclenchement du dispositif.
Je souhaite donc que de tels engagements soient territorialisés, pour faire le pari de la réussite et permettre à un jeune de connaître, dès la deuxième année, s’il en a fait le choix, le territoire au sein duquel il exercera une fois diplômé. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé. Monsieur le sénateur, je crois à l’incitation pour relever le défi de la démographie médicale.
M. René-Pierre Signé. Cela ne suffit pas !
M. Xavier Bertrand, ministre. Tous ceux qui voudraient mettre en place une forme de coercition ou d’obligation se heurteraient au principe de l’exercice libéral de la médecine. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut des règles !
M. René-Pierre Signé. Des contraintes !
M. Xavier Bertrand, ministre. Cela étant, il importe de donner véritablement toutes ses chances à l’incitation et d’éviter des dysfonctionnements comme ceux que vous évoquez.
On n’interdit à personne de faire preuve de bon sens sur le terrain ! Les outils existent. Il faut tout simplement les utiliser le plus judicieusement possible, à la recherche de l’efficacité et du résultat. C’est le rôle notamment des directeurs généraux des ARS, les agences régionales de santé.
M. René-Pierre Signé. Ils ne font rien !
M. Xavier Bertrand, ministre. Il est anormal, dans une région comme la vôtre, qu’aucun contrat n’ait pu être signé, alors qu’il existe une demande locale émanant non seulement des élus, mais également de jeunes souhaitant très logiquement bénéficier de ce dispositif qui est fondé, je le rappelle, sur le volontariat ; personne ne les oblige à signer.
Un certain nombre de moyens sont mis sur la table, en application des textes, de nature à répondre à l’enjeu, sans pour autant compliquer la vie de ces étudiants. Le dispositif ne doit pas souffrir d’une absence de lisibilité : les jeunes veulent pouvoir s’installer à tel ou tel endroit et ne pas être déplacés.
M. René-Pierre Signé. Pourquoi les pharmaciens peuvent-ils s’installer où ils veulent !
M. Xavier Bertrand, ministre. Cette responsabilité revient, je l’ai dit, aux directeurs généraux des ARS. J’aurai l’occasion, avant la fin du mois, de les revoir en compagnie de Nora Berra pour leur repasser des consignes très claires.
Monsieur Arthuis, vous citez le cas de votre département. Je suis moi-même élu d’une région, coincée entre l’Île-de-France et le Nord-Pas-de-Calais, qui connaît le plus faible taux de médecins généralistes de France. Votre collègue Antoine Lefèvre ne me démentira pas.
Mme Nicole Bricq. Et la Seine-et-Marne ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Le problème auquel vous faites référence ne concerne pas seulement certains départements, plus souvent évoqués que d’autres. Il est beaucoup plus général.
Nous avons mis en place des outils.
M. Robert Hue. Ils ne fonctionnent pas !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je le répète, employons-les avec discernement et bon sens. C’est la consigne que je vais répéter.
M. Jean-Pierre Sueur. Les consignes ne servent à rien s’il n’y a pas de règles !
M. René-Pierre Signé. Il faut des contraintes !
M. Xavier Bertrand, ministre. La démographie médicale constitue un défi : nous le relevons. Il ne sert à rien de s’enfermer dans des positions idéologiques. Je veux agir avec pragmatisme : c’est ce que nous allons faire ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger.
M. Yves Krattinger. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Depuis 2007, nous constatons un affaissement des services publics de l’État dans les territoires. Je donnerai trois exemples.
Le premier exemple concerne l’éducation nationale. Il y aura cette année 16 000 suppressions de postes malgré une augmentation de 62 000 élèves !
M. Guy Fischer. Scandaleux !
M. Yves Krattinger. Cette politique provoque une dégradation sans précédent des conditions de formation des jeunes, tout particulièrement pour ceux qui rencontrent des difficultés.
M. Guy Fischer. Voilà la vérité dans les quartiers populaires !
M. Jacques Mahéas. C’est du jamais vu !
M. Yves Krattinger. Dans une note alarmante, le Centre d’analyse stratégique classe la France en dernière position pour le taux d’encadrement parmi les trente-quatre pays de l’OCDE.
M. Guy Fischer. C’est une honte !
M. Yves Krattinger. Nous avons seulement 6,1 enseignants pour 100 jeunes en formation, de la maternelle à l’université. Et encore, ce sont des chiffres de 2007 !
La situation est très alarmante à l’école primaire, pour l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul. Il est impossible, dans ces conditions, de personnaliser les parcours et de tenir compte de la diversité des élèves.
C’est l’avenir de la jeunesse de France qui se trouve hypothéqué.
Le deuxième exemple a trait aux hôpitaux. Les réductions budgétaires entraînent des suppressions de postes, qui provoquent la saturation des urgences, les difficultés d’entretien des locaux et du matériel, la médecine à plusieurs vitesses.
M. Robert Hue. On ferme des services !
M. Yves Krattinger. La qualité des services hospitaliers et l’égal accès aux soins pâtissent lourdement de vos orientations.
Le monde hospitalier tire la sonnette d’alarme, mais vous ignorez le ressenti des soignants, des patients et des familles.
M. Jean-Luc Fichet. C’est vrai !
M. Yves Krattinger. C’est la santé des Français qui est en danger.
Le troisième exemple porte sur la sécurité. Citoyens, policiers et gendarmes partagent la même inquiétude quant à la diminution des effectifs.
Vos ruses sur les statistiques de la délinquance ne peuvent masquer les suppressions de postes et de brigades, et leur conséquence : l’éloignement de la police et de la gendarmerie des populations qu’elles sont censées protéger.
M. Guy Fischer. C’est de la triche !
M. Yves Krattinger. Monsieur le Premier ministre, c’est la sécurité des citoyens qui n’est plus assurée.
Les élections cantonales des 20 et 27 mars suscitent, dans les territoires, de nombreux débats sur ces problèmes. C’est une échéance que vous escamotez !
Les enseignants, les personnels hospitaliers, les gendarmes sont, avec d’autres, les soldats de la République.
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Yves Krattinger. Ils sont au service de l’égalité.
Devant la gravité de la situation, acceptez-vous un moratoire sur le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite dans ces services essentiels à la vie de nos concitoyens ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du budget. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Krattinger, à votre question : « acceptez-vous un moratoire ? », la réponse est non. La révision générale des politiques publiques a un sens, un objectif, une méthode et s’inscrit dans un calendrier.
Le sens – nous l’assumons –, c’est d’avoir moins de fonctionnaires, mais mieux payés. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Parlons-en ! À combien s’élève la hausse de leurs rémunérations, monsieur le ministre ?
M. François Baroin, ministre. L’application du principe de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a pour corollaire la redistribution, sous la forme de bonifications indiciaires, des économies réalisées.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y aura de grosses primes pour les chefs qui seront performants dans la réduction de la dépense publique !
M. François Baroin, ministre. Cela a permis de redistribuer près de 2 milliards d’euros à l’ensemble des fonctionnaires de notre pays, soit, en moyenne, 800 euros par agent. Permettez-moi de vous dire que, dans un pays comme le nôtre, si cette réforme n’avait pas été acceptée, cette redistribution n’aurait jamais eu lieu.
La première vague de la RGPP a entraîné la suppression de 100 000 postes. La deuxième permettra d’en supprimer 100 000 autres.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Guy Fischer. Allez, 200 000 postes, qui dit mieux ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Supprimons plus de postes d’enseignants !
M. Guy Fischer. Quelle honte !
M. François Baroin, ministre. D’ici à la fin de la législature, nous ramènerons le nombre de fonctionnaires à celui de 1990.
M. François Marc. Avec 16 % de précaires !
M. François Baroin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, qui de sérieux parmi vous peut soutenir que le pays ne fonctionnait pas bien à l’époque puisque c’est vous qui étiez aux affaires ? Je vous retourne le compliment et vous renvoie à votre responsabilité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez été souvent aux affaires depuis !
M. François Baroin, ministre. Monsieur Krattinger, les exemples que vous avez pris ne sont pas forcément pertinents en raison de l’effet de ciseaux lié à l’évolution démographique, et tout cela est maîtrisé.
Pour ma part, je vous citerai deux autres exemples.
Le premier, que vous devez connaître en votre qualité local, …
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quelle arrogance !
M. François Baroin, ministre. … c’est la mutualisation des moyens au sein des services de contrôle de légalité des préfectures. Elle a permis des suppressions de postes tout en renforçant ce service public rendu aux collectivités territoriales.
M. Guy Fischer. C’est faux !
M. Jean-Pierre Sueur. Cela s’est fait dans la précipitation !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est une vue de l’esprit !
M. Simon Sutour. L’essentiel est d’y croire !
M. Bernard Vera. Mais personne n’y croit !
M. François Baroin, ministre. Le second exemple vous fera peut-être encore moins sourire, parce qu’il est encore plus spectaculaire.
La direction générale des douanes et droits indirects, placée sous mon autorité et la tutelle du ministère, a vu le nombre de ses agents se réduire pour atteindre 18 000. Elle pratique le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux à plus de 60 %. Autrement dit, c’est l’une des directions qui apporte la plus grande contribution dans ce domaine.
Or le bilan de l’action douanière qu’en tant que ministre du budget j’ai eu l’occasion de présenter cette année n’a jamais affiché d’aussi bons résultats depuis quinze ans !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Soyez donc plus performants dans la collecte des impôts, cela vous permettra de payer les personnels !
M. François Baroin, ministre. Cela montre que l’on peut tout à la fois réduire la voilure et le périmètre, augmenter le traitement des agents et obtenir de meilleurs résultats dans le cadre des missions de service public qui leur sont confiées ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Payet et M. Yves Pozzo di Borgo applaudissent également.)
la poste
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Danglot. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Claude Danglot. Ma question s’adresse à M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique.
Monsieur le ministre, voilà plus d’un an, les sénateurs de gauche menaient une bataille parlementaire historique pour sauver le service public postal. Dans tout le pays, des voix se sont élevées, les manifestations d’usagers et de salariés se sont multipliées contre le projet de privatisation de l’entreprise publique, le peuple a demandé un référendum et plus de deux millions de personnes ont exprimé leur opposition à votre projet.
Vous avez, avec votre majorité, insulté les organisateurs de la votation citoyenne et les nombreux élus locaux qui les ont soutenus. Vous avez nié la portée de ce mouvement et vous l’avez méprisé en parlant de « manipulations ».
Vous avez manœuvré jusqu’au bout pour arracher une majorité au Sénat. Pour cela, vous avez tenté de rassurer sur les conséquences du changement de statut. Votre prédécesseur, M. Estrosi, a même sorti de son chapeau le concept d’entreprise « imprivatisable ».
Aujourd’hui, les craintes d’hier se confirment.
M. Bernard Vera. Hélas !
M. Jean-Claude Danglot. Le précédent contrat de présence postale, signé pour la période 2007-2010, a validé plus de 6 000 fermetures de bureaux de poste et 6 600 suppressions d’emplois.
Vous nous avez illusionnés avec les 17 000 « points contact ». En réalité, dans mon département du Pas-de-Calais, entre 2005 et 2010, 816 emplois ont été supprimés.
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
M. Jean-Claude Danglot. Pour 2011, on prévoit déjà, en termes de postes, 100 facteurs et 59 guichetiers en moins.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. Jean-Claude Danglot. Alors qu’en 2008 on comptait 115 remplaçants, aujourd’hui, on en compte 23 pour tout mon département !
Le rythme effréné des suppressions de bureaux de poste ou leur transformation en simples « points contact » laissent orphelins des pans entiers de territoires sans même que les élus locaux soient consultés ou avertis.
Pis, le Président de la République a tenu, dans le Cher, à des propos véritablement insultants envers les maires ruraux, …
M. Jean-Claude Carle. Mais non !
M. Pierre Hérisson. Les maires l’ont soutenu !
M. Jean-Claude Danglot. … allant jusqu’à leur proposer de distribuer le courrier eux-mêmes s’ils n’étaient pas contents !
M. Guy Fischer. Scandaleux !
M. Jean-Claude Danglot. Les usagers ne sont pas les seules victimes de cette politique assassine. Les coupes claires dans les effectifs, les restructurations tous azimuts, les pressions de la direction…
M. Jean-Claude Carle. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Claude Danglot. … entraînent une souffrance au travail inacceptable.
Les soixante-dix suicides enregistrés témoignent du véritable drame humain qui se déroule sous vos yeux. Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas quant aux conséquences délétères de la privatisation de France Télécom.
MM. Alain Gournac et Pierre Hérisson. La question !
M. Jean-Claude Danglot. Monsieur le ministre, nous vous demandons donc de convoquer dans les plus brefs délais le P-DG de La Poste, Jean-Paul Bailly, …
M. Pierre Hérisson. Très bon P-DG !
M. Jean-Claude Danglot. … à qui vous avez renouvelé votre confiance, car il doit rendre des comptes et s’engager à revenir à une conception digne du service public, des personnels et des usagers ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie.
M. Éric Besson, ministre auprès de la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. Monsieur Danglot, contrairement à ce que vous suggérez, nous n’avons pas affaibli La Poste ; nous l’avons consolidée, …
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela se voit !
M. Éric Besson, ministre. … en lui donnant les moyens de s’adapter à deux évolutions que vous connaissez.
Il s’agit, premièrement, de la concurrence d’internet.
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Éric Besson, ministre. Celle-ci est réelle et n’est pas le fait du Gouvernement.
Il s’agit, deuxièmement, de l’ouverture à la concurrence.
La loi du 9 février 2010, qui a porté changement du statut de La Poste, a renforcé cette dernière en tant que grande entreprise publique. Il est prévu que son capital doit obligatoirement être détenu par des personnes publiques. Ce principe est figé dans la loi ! Il n’y a donc pas de prétendue privatisation, comme vous le suggérez, puisque aucun actionnaire privé ne peut entrer au capital.
Par ailleurs, et de façon concomitante, la loi permet de procéder à une augmentation de capital. Nous allons ainsi apporter 2,7 milliards d’euros d’argent public à La Poste.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À La Banque postale !
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Éric Besson, ministre. Par ailleurs, la loi sanctuarise les quatre missions de service public exercées par La Poste, auxquelles nous sommes tous très attachés : la distribution du courrier, le transport de la presse, la collecte du livret A et l’aménagement du territoire.
En ce qui concerne cette dernière mission, vous y avez fait allusion, il est expressément indiqué, et c’est la toute première fois, que La Poste doit maintenir ses 17 000 points de contact sur le territoire. Ce n’est pas une illusion, c’est une réalité. Où est la prétendue disparition du service public ?
M. Jean-Claude Danglot. Je vous ai donné des chiffres !
M. Éric Besson, ministre. Enfin, nous sommes particulièrement attentifs à ce que La Poste tiennent les engagements que l’on attend d’une grande entreprise publique.
La Poste respecte, d’abord, ses engagements envers ses agents. Chaque année, elle recrute près de 4 000 personnes, ce qui n’est pas rien. Son P-DG suit personnellement, avec le soutien d’une petite équipe qu’il a constituée à cet effet, les questions relatives aux conditions de travail, notamment au stress, …
M. Jean-Claude Danglot. Alors c’est encore plus grave !
M. Éric Besson, ministre. … eu égard aux drames individuels que avez rappelés à juste titre et que nous suivons tous avec beaucoup d’attention.
La Poste respecte, ensuite, ses engagements envers ses clients. Elle continue à moderniser ses bureaux de poste et à améliorer la qualité de service, par exemple en réduisant les files d’attente.
La Poste respecte, enfin, ses engagements envers les territoires. Le Sénat est très vigilant à juste raison sur ce point. Les 170 millions d’euros que l’État apporte dans le cadre du prochain contrat de présence postale territoriale vont contribuer à cette mission.
Monsieur le sénateur, nous sommes tous très attachés au service public postal. Le Gouvernement et la majorité entendent donner à La Poste les moyens de son développement et de sa modernisation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors, tout va bien…
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jacques Gautier. Ma question s'adresse à M. le ministre d'État, ministre de la défense et des anciens combattants.
En 2008, le stationnement en métropole de nos forces armées était principalement orienté vers le nord-est du territoire et s’étendait sur 471 communes différentes, avec des déploiements diversifiés et hétérogènes des formations militaires, qui disposaient chacune de soutien individualisé.
En application des conclusions du Livre blanc sur la défense nationale et la sécurité et dans le cadre de la loi de programmation militaire, le Gouvernement a donc engagé une profonde réforme de notre politique de défense, ambitieuse et difficile, car elle touche au cœur des hommes et des femmes de votre ministère, mais aussi au cœur de nos territoires.
Rappelons-le, la révision du format des armées, la mutualisation des services et la création des bases de défense génèrent des économies qui bénéficient directement à la revalorisation de la condition des personnels, mais aussi à l’équipement de nos forces.
M. Didier Boulaud. Ce n’est pas encore fait !
M. Jacques Gautier. Ces restructurations de la défense concernent aussi, naturellement, la réduction des emprises. Il est, en effet, prévu que plusieurs centaines de terrains et bâtiments seront cédés sur la période 2009-2014 dans le cadre d’une réflexion globale adaptée à chaque territoire, avec un effort particulier d’accompagnement pour les zones concernées.
Chacun de nous ici sait combien l’implantation d’une unité militaire rime avec bassins de vie pour nos villes, nos départements et nos régions.
Monsieur le ministre d’État, vous étiez la semaine dernière à Cambrai pour la fermeture de la base aérienne. Pourriez-vous nous préciser quels accompagnements de reconversion et de redynamisation économique sont prévus en vue de limiter l’impact de ces fermetures sur nos collectivités locales et de préserver l’avenir de nos communes ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Didier Boulaud. L’avenir, elles n’en ont pas !
M. le président. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre de la défense et des anciens combattants. Monsieur le sénateur, comme vous venez de le rappeler, nos armées se sont engagées depuis 2009 dans une transformation radicale. Cette réforme, la plus importante accomplie depuis plusieurs décennies, aboutira, d’ici à 2015, à la fermeture de 82 unités, …
M. René-Pierre Signé. Ah ça !
M. Alain Juppé, ministre d'État. … 22 régiments, 11 bases aériennes, 1 base aéronavale et 6 centres de la Délégation générale pour l’armement, la DGA.
M. Simon Sutour. Massacre à la tronçonneuse !
M. Alain Juppé, ministre d'État. Ces fermetures ne sont pas une fin en soi. Elles visent, bien évidemment, à rendre notre outil de défense plus compact, plus réactif et plus opérationnel. Vous l’avez dit, la plus grande partie des économies réalisées sera redéployée au profit de l’équipement de nos troupes. On peut déjà constater en Afghanistan, comme vous l’avez fait vous-même, me semble-t-il, que cet équipement s’est beaucoup amélioré depuis quelques années.
M. René-Pierre Signé. Nous sommes une nation guerrière !
M. Alain Juppé, ministre d'État. Parfaitement conscients que la fermeture d’une unité sur un territoire peut être un véritable traumatisme économique et social, nous avons prévu un budget de 320 millions d’euros sur la période 2009-2014 pour accompagner ces transformations.
Vous avez cité la base de Cambrai. Je m’y suis rendu la semaine dernière, répondant à l’invitation du sénateur Jacques Legendre et du député-maire de Cambrai. Nous avons signé un contrat de redynamisation de sites de défense dans lequel l’État apporte 14 millions d’euros et les collectivités territoriales à peu près la même somme. Cela va nous permettre de créer un outil de formation pour 170 apprentis et un centre de liquidation des factures qui emploiera 420 personnes.
Je pourrais donner d’autres exemples de ces reconversions. C’est ainsi qu’à Toulouse-Francazal est mis en place un aérodrome civil pour compenser la fermeture de l’aérodrome militaire, tandis que des internats d’excellence sont créés à Sourdun, Noyant ou Montpellier.
Vous le voyez, nous avons prévu un accompagnement qui revêt une forme particulière dans les bassins d’emploi les plus fragiles.
Le ministère de la défense, vous le savez, cède ses emprises aux communes pour un euro symbolique. Sur les 200 emprises qui seront concernées sur la période de 2009 à 2014, à peu près la moitié d’entre elles seront éligibles à cette procédure de gratuité.
Je termine en signalant qu’au-delà des territoires, il faut aussi accompagner les personnels. Nous sommes très vigilants pour faciliter les mutations des personnels militaires et civils qui doivent changer d’affectation – on dénombre 50 000 mutations entre 2009 et aujourd’hui – ou pour faciliter leur reconversion.
J’ai fait de la réussite de cette réforme ma priorité. Je n’y parviendrai que si l’ensemble de la communauté de défense se mobilise. C’est la raison pour laquelle je suis présent sur le terrain, à la rencontre de nos militaires, comme je le serai demain, à Toulon, par exemple, pour la marine nationale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
conflits d'intérêts
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Le 26 janvier dernier, la commission « Sauvé » a remis un rapport au Président de la République, intitulé « Pour une nouvelle déontologie de la vie publique ».
Aussitôt connu, ce rapport a été vivement critiqué par la majorité. Le Premier ministre lui-même n’a pas été le moins sévère. Relevant l’une des propositions, qui consiste à interdire à un membre de Gouvernement d’être « responsable d’un parti politique », il a déclaré : « C’est juste le contraire de la démocratie ».
Cette proposition fait, il est vrai, explicitement référence au cas de l’ancien ministre du budget qui cumulait sa fonction avec celle de trésorier de l’UMP. Je rappelle que c’est tout de même ce précédent qui avait motivé la demande du Président de la République à la commission « Sauvé ».
La mise en cause récente d’une autre ministre de la République semble précipiter les choses. Lors du Conseil des ministres du 9 février, le Premier ministre a présenté les premières orientations de ce qui pourrait être un texte de loi. Sur les vingt-neuf mesures que compte le rapport, il a mentionné celle qui vise la déclaration d’intérêts applicable aux membres du Gouvernement et aux conseillers des cabinets ministériels.
Le chef du Gouvernement a, du reste, indiqué que cette mesure pourrait être mise en œuvre sans attendre le projet de loi. Elle est en effet urgente compte tenu du rythme précipité, à l’approche de l’élection présidentielle, des départs des membres des cabinets ministériels, souvent vers le secteur privé.
Nous craignons qu’il ne s’agisse que d’un contre-feu à une actualité pressante. De plus, la méthode qui consiste à sélectionner une mesure pour décrédibiliser les autres est une vieille ficelle politicienne.
L’annonce faite le 9 février doit se traduire vite et pleinement dans un texte sans qu’on écarte a priori les pistes qui gênent. S’il s’agit d’un texte de loi, sa rapide mise en débat au Parlement sera un gage de transparence démocratique. La République en a grand besoin.
Le Gouvernement est-il prêt à cet exercice et dans quels délais ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du budget.
M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement. Madame le sénateur, c’est le Président de la République qui a sollicité le vice-président du Conseil d’État pour rédiger un rapport sur la définition des frontières concernant les conflits d’intérêts.
Voilà quelques jours, le Premier ministre a annoncé au Conseil des ministres son intention de déposer, dans les toutes prochaines semaines, un texte. Ce dernier permettra à la représentation nationale, s’agissant des conflits d’intérêts, de bien faire la part des choses dans l’exercice des responsabilités publiques. Au-delà des fonctions ministérielles, sont concernés les postes occupés dans les cabinets ministériels, l’ensemble de la haute fonction publique et la magistrature.
Il n’est pas douteux que la représentation nationale s’intéressera à son propre cas, qu’à l’Assemblée nationale, le groupe animé par Mme Grosskost et M. Balligand formulera des propositions concernant les députés et qu’au Sénat, M. Hyest, accompagné par des membres de l’opposition, en émettra à son tour.
Cela permettra de dégager une possibilité de consensus pour promouvoir une plus grande transparence. Nous irons dans la bonne direction, tirant les leçons des besoins de la société et de la nécessité de l’absence définitive de porosité entre le milieu privé et le milieu public.
L’une de vos remarques portait sur la situation d’un membre du Gouvernement, chef de parti. Je voudrais l’étendre à celle d’un membre de Gouvernement responsable d’exécutif. Il est aussi de la responsabilité des politiques, élus au suffrage universel, qui incarnent la nation, d’exprimer nos souhaits en matière démocratique.
Il n’appartient pas au vice-président du Conseil d’État de dire qu’il y a conflit d’intérêts privés lorsque quelqu’un cumule la responsabilité d’un exécutif local et celle d’une mission publique nationale. Dans ce cas de figure, nous sommes dans le public-public.
Je vous réponds donc oui, madame le sénateur, nous ferons des choix. Contrairement à Gide pour qui « Choisir, c’est renoncer », nous ne renoncerons pas à aller vers une plus grande transparence.
M. Simon Sutour. Ce n’est pas grand-chose !
M. François Baroin, ministre. Nous ne renoncerons pas à déposer un texte que nous souhaitons le plus consensuel possible. Nous ne renoncerons pas à avoir une démocratie vivante dans laquelle tout le monde pourra participer aux affaires de notre pays ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
contrats en alternance
M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.
M. Serge Dassault. Ma question s'adresse à Mme la ministre auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle.
Madame la ministre, je suis heureux de constater que vous allez développer les formations en alternance massivement, avec l’apprentissage.
M. Guy Fischer. L’apprentissage à douze ans !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et même à huit ans !
M. Serge Dassault. C’est pourquoi je voudrais savoir comment vous allez procéder sur le plan budgétaire.
En effet, l’alternance nécessite, d’une part, des centres de formation, CFA, dont le nombre est insuffisant, surtout dans le bâtiment, d’autre part, des entreprises qui veulent des apprentis.
Or, pour diverses raisons, les entreprises qui acceptent des apprentis sont malheureusement très peu nombreuses aujourd’hui.
Il est aussi question d’un accompagnement intensif des chômeurs, ce qui est bien. Encore faudrait-il savoir par qui et comment ? En effet, les effectifs de Pôle emploi et des missions locales sont déjà insuffisants.
M. Didier Boulaud. On pourrait reverser certains bénéfices aux centres d’apprentissage !
M. Serge Dassault. Il faudrait augmenter les budgets de ces deux organismes dans l’intérêt à la fois de leur personnel et des formations proposées.
Je souhaite que les 500 millions d’euros annoncés par M. le Président de la République aillent le moins possible au financement des contrats aidés non marchands, car ils sont d’une efficacité très relative. Je préfère qu’une partie de cette somme soit affectée aux CFA, aux entreprises prenant des apprentis, à Pôle emploi et aux maisons de l’emploi, avec les formations associées.
En tant que rapporteur spécial du budget de l’emploi, vous comprendrez que ces questions me préoccupent particulièrement. J’aimerais savoir combien l’ensemble des moyens nécessaires pour ces opérations va coûter à mon budget.
Je tiens à vous rappeler que le meilleur moyen de réduire le chômage serait de flexibiliser les emplois intérimaires et les contrats de mission, ce qui ne coûterait rien à l’État. Qu’en pensez-vous ?
Enfin, ne pensez-vous pas que si le service militaire n’avait pas été supprimé, tous ces problèmes seraient beaucoup moins critiques ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Didier Boulaud. Demandez à Chirac !
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle.
Mme Nadine Morano, ministre auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Monsieur le sénateur, vous avez raison de dire que notre pays doit développer les formations en alternance et l’apprentissage.
Il suffit de regarder de l’autre côté de la frontière pour s’en convaincre. En Allemagne, le taux de chômage des jeunes est faible, soit 10 % (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.), et le taux des entreprises qui utilisent des apprentis…
M. Didier Boulaud. Il vaudrait mieux dire « emploient » plutôt que « utilisent » ! Ils s’en servent comme des kleenex, alors que ce sont des hommes et des femmes
Mme Nadine Morano, ministre. … est supérieur à 60 %, contre seulement 33 % en France.
À l’évidence, le décalage est énorme. L’Allemagne fonctionne depuis des décennies avec une mentalité qui privilégie la formation duale. Or, cette mentalité, nous ne l’avons pas en France, parce que nous nous sommes trompés de stratégie ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Pendant des années, la majorité – qui était à l’époque de gauche (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) – nous tenait le discours selon lequel il fallait amener 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat.
M. Didier Boulaud. Cela va être dur pour vous quand vous retournerez dans l’opposition !
Mme Nadine Morano, ministre. Ce discours était une erreur gigantesque, puisque 100 % des jeunes ont besoin d’être formés, dans toutes les filières.
Vous avez aussi raison de le dire, nous atteignons régulièrement un total de 250 000 emplois non pourvus, faute de trouver du personnel formé pour occuper ces emplois.
Nous disposons, monsieur le sénateur, de plusieurs leviers pour agir.
Premier levier, les 500 millions d’euros du grand emprunt permettront d’investir massivement dans les centres de formation adaptés. Nous aurons des CFA modernisés, des CFA dans lesquels nous mutualiserons les moyens. De plus, si nous voulons former de jeunes apprentis, il est important de pouvoir les héberger sur notre territoire. Nous allons créer pour eux 15 000 places supplémentaires d’hébergement.
Deuxième levier, nous allons, avec Xavier Bertrand, négocier les prochains contrats d’objectifs et de moyens avec les régions. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Didier Boulaud. On se demande avec quoi !
Mme Nadine Morano, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, l’emploi des jeunes, c’est un objectif national partagé ! Chaque année, l’État va investir dans ce domaine 350 millions d’euros en moyenne. Face à un euro engagé par l’État, nous souhaitons que les régions engagent aussi un euro.
Que chacun prenne sa part de responsabilité ! (Bravo ! sur les travées de l’UMP.) Que chacun s’engage pour l’emploi ! C’est une nécessité absolue, attendue par tous nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
fermeture de services de santé
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. René-Pierre Signé. Ma question s'adresse à M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé.
Monsieur le ministre, les militants du planning familial s’inquiètent de la menace qui pèse pour les femmes sur l’accès à l’avortement dans de bonnes conditions. Elle apparaît comme une remise en cause non avouée d’un droit acquis de haute lutte.
Aujourd’hui, les délais augmentent de façon considérable : les femmes doivent attendre plus de trois semaines pour accéder à ces services et sont renvoyées d’hôpital en hôpital en raison des restructurations liées à la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi « Bachelot », qui a réduit le nombre de services, mais aussi le nombre de médecins pratiquant cet acte.
En outre, le désengagement du secteur privé a fait passer la part du secteur public de 64 % à 70 %, concentrant ainsi les actes et allongeant le temps d’attente. Mises de ce fait hors délais, ces femmes, du moins celles qui le peuvent, sont contraintes d’aller avorter à l’étranger.
La revendication porte sur l’application totale de la loi « Aubry » de 2001, qui dépénalise l’interruption volontaire de grossesse, l’IVG, repousse le délai légal d’avortement de dix à douze semaines, et autorise, en outre, les mineures à se faire avorter sans autorisation parentale.
La protestation, qui prend aujourd’hui beaucoup d’ampleur, est liée à une régression indiscutable causée, d’abord, par la restructuration des hôpitaux et, ensuite, par le peu de mobilisation du personnel médical pour un acte souvent mal accepté, mal perçu et mal rémunéré.
Or l’IVG est un acte médical à part entière, même si de nombreux médecins refusent de l’appliquer après sept semaines de grossesse pour des raisons d’éthique ou parce qu’une fois passé ce délai, l’IVG médicamenteuse – pourtant, mal encadrée et douloureuse –, devient plus chirurgicale. Ces médecins se distancient ainsi de leur responsabilité, mais ce faisant ils enfreignent la loi. Or l’IVG est un acte gynécologique ordinaire.
Par ailleurs, la faiblesse du forfait payé par la sécurité sociale rend son accès difficile pour certaines femmes. Le forfait hospitalier devait être augmenté de 50 %, comme Mme Bachelot s’y était engagée. Il est à espérer que cette promesse a été tenue, mais je n’en suis pas certain.
Ma question repose sur trois points essentiels : quid de l’accueil élargi, y compris aux mineures sans autorisation parentale, dans des services plus nombreux ? Qu’en est-il de l’acceptation d’un délai d’intervention de douze semaines ? À quand la mise en œuvre de l’augmentation promise du forfait hospitalier versé par la sécurité sociale ?
On est en droit d’attendre une réponse claire et précise à une question aussi simple ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. Monsieur le sénateur, vous avez oublié l’IVG médicamenteuse ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Plusieurs sénateurs socialistes. Il en a parlé !
Mme Nicole Bricq. Il faut écouter !
M. Xavier Bertrand, ministre. Si nous constatons aujourd’hui un recul du nombre d’interventions chirurgicales, c’est aussi grâce à l’IVG médicamenteuse, qui a trouvé toute sa place.
M. René-Pierre Signé. Elle est dangereuse et douloureuse !
M. Xavier Bertrand, ministre. Sur un tel sujet, il faut faire preuve de clarté. Or vous avez expliqué l’évolution de la situation de façon partielle ! (Protestations sur les mêmes travées.)
Mme Odette Terrade. Il a très bien expliqué !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je ne comprends pas pourquoi vous êtes gênés par mes arguments ; je ne les ai pas encore développés !
Vous avez tenté d’expliquer la situation en invoquant la restructuration induite par la loi « Bachelot ». Vous savez pertinemment que ce n’est pas la raison du recul des interventions chirurgicales ! Dans notre pays, 5 % des établissements pratiquent 23 % des IVG. Au vu de la bonne tenue de votre exposé, monsieur Signé, je suis certain que vous le savez.
Les fermetures de services étaient justifiées par des motifs liés à la sécurité des patients. En effet, lorsque le nombre des actes médicaux effectués au sein d’un service est inférieur à un certain seuil, cela signifie que le nombre de praticiens y est faible. Or moins les médecins sont nombreux dans un service, et moins les conditions de sécurité sont bonnes pour les patients.
Les raisons de ces fermetures ne répondent pas à un objectif de rentabilité. Au contraire, la proximité en matière sanitaire permettrait à la sécurité sociale de réaliser des économies. Or la fermeture d’un service justifiée par la faiblesse de son effectif de praticiens oblige certains patients à parcourir cinquante ou quatre-vingts kilomètres pour se faire opérer.
M. Guy Fischer. Cela va se généraliser !
M. Xavier Bertrand, ministre. Il faut bien alors payer les transports sanitaires. C’est bien la preuve que nous n’avons pas raisonné en termes d’économies à réaliser, mais de sécurité des actes !
Monsieur le sénateur, Nora Berra et moi-même veillons attentivement, comme Roselyne Bachelot-Narquin l’a fait avant nous, à ce que ce droit – il s’agit bien d’un droit – soit garanti pour toutes les femmes sur l’ensemble du territoire français.
S’agissant des forfaits, la tarification à l’activité doit prendre en compte la juste rémunération de l’acte. J’aurai à cœur de veiller, à l’occasion de la campagne tarifaire, à ce que les missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation, les MIGAC, soient bel et bien garanties. L’hôpital ne peut marcher que sur deux jambes : la tarification à l’activité et les MIGAC. Cela n’a pas toujours été le cas par le passé.
Il ne sert à rien de faire croire que le droit régresse et que nous procédons à des restructurations pour réaliser des économies. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Nous restructurons uniquement pour des raisons de sécurité : c’est notre seule ligne directrice. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
utilisation des crédits dépendance par les départements
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Ma question s’adresse à M. le ministre auprès du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, chargé des collectivités territoriales.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous éclairer sur la méthode employée pour attribuer les dotations de l’État concernant la prestation de compensation du handicap, la PCH, le revenu de solidarité active, le RSA et l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA ?
L’écart entre les dotations de l’État concernant les trois prestations obligatoires et la dépense réelle supportée par les départements ne cesse de se creuser et constitue une équation impossible. Dans l’attente d’une réforme qui devra faire une plus grande place à la solidarité nationale, ...
M. Didier Boulaud. Ce n’est pas demain la veille !
M. Philippe Adnot. ... vous avez prévu de répartir une première dotation de 75 millions d’euros, attribuée à trente départements dont j’ai la liste sous les yeux.
Intrigué par l’absence ou la présence sur cette liste de certains départements, j’ai procédé à une analyse comparative avec un document qui vient d’être publié par Dexia, établi à partir des comptes administratifs de l’ensemble des départements pour l’année 2009.
Ma surprise a été grande de constater que le reste à charge par habitant variait beaucoup d’un département à l’autre, selon la prestation fournie.
Certains départements ont ainsi reçu, pour le RSA, des crédits d’un montant excédant leurs dépenses. La différence peut aller de moins 15 euros à plus 50 euros.
Dans d’autres départements, une personne sur deux âgée de plus de 75 ans relève du dispositif de l’APA, au lieu d’une sur quatre ou cinq selon la moyenne nationale. Peut-être faut-il attribuer ce phénomène à l’existence de microclimats ?
Monsieur le ministre, le fait que les restes à charge par habitant sont à ce point différents selon les départements signifie-t-il que la règle d’attribution n’est pas la même partout ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Boulaud. À la tête du client !
M. Simon Sutour. C’est gênant !
M. Philippe Adnot. La solidarité suppose la transparence : pourriez-vous, d’une part, nous communiquer les éléments de calcul qui ont servi de base à l’attribution des 75 millions d’euros et, d’autre part, nous éclairer sur la méthode employée pour attribuer les trois dotations de l’État correspondant aux prestations sociales obligatoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean Arthuis applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des collectivités territoriales.
M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, chargé des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir posé cette question, car vous me donnez l’occasion d’apporter une réponse très précise sur l’évolution des relations entre l’Etat et les départements.
Ces relations, vous le savez, sont soumises à un effet de ciseaux, notamment du fait de l’évolution des dépenses sociales.
M. Didier Boulaud. À qui la faute ?
M. Philippe Richert, ministre. Ces relations ont beaucoup évolué, ces deniers temps, à la suite de la mise en place de quatre mécanismes.
Le premier de ces mécanismes, que vous avez évoqué, prévoit l’attribution de 75 millions d’euros aux départements les plus fragiles. Les critères de répartition de cette somme figurent explicitement dans la loi. Il s’agit du revenu par habitant, du potentiel financier et de la proportion de personnes âgées de plus de 75 ans dans le département. Sur la base de ces critères très spécifiques, nous avons dressé une liste de trente départements, sur laquelle l’Aube ne figure malheureusement pas. Cette liste a été établie de façon claire et transparente !
Le deuxième mécanisme, que vous connaissez pour avoir contribué à sa création au sein du Sénat, vise à mettre en place une péréquation des droits de mutation à titre onéreux, les DMTO. Il s’agit en l’occurrence de mieux répartir la prise en charge de la part sociale des départements. Avec la crise, les départements ont souffert de la diminution des DMTO. Dans le même temps, certains départements ont vu leur stock de DMTO repartir rapidement. Nous avons donc décidé de mettre en place une péréquation permettant de répartir des montants relativement substantiels, de l’ordre de 350 et 400 millions d’euros. Nous disposerons, à la fin du mois de février, du détail des répartitions définies en fonction des critères arrêtés lors du débat au Parlement.
Le troisième mécanisme concerne les départements qui, malgré ces abondements, demeureront dans une situation délicate : un troisième fonds de 75 millions d’euros est mis en place afin de les aider ponctuellement.
Quatrième volet, et c’est le sujet le plus important, le débat sur la dépendance a été ouvert. Roselyne Bachelot-Narquin a en effet mis en place, à l’échelon national, quatre groupes de travail, qui ont commencé à travailler.
Le Président de la République a lancé, devant le Conseil économique, social et environnemental, ce grand débat qui concerne non seulement les départements, mais nous tous. Ce qui est en jeu, c’est notre avenir et notre vision des relations entre les différentes générations qui constituent le socle social dans notre pays.
À l’évidence, les départements sont très étroitement associés au travail qui est en cours. Je vous propose d’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, de réfléchir à cette occasion aux moyens de compenser, notamment l’APA, aujourd’hui et demain, et ce dans la plus grande transparence.
Je vous remercie encore une fois, monsieur le sénateur, de m’avoir donné l’occasion de présenter les nouveaux dispositifs mis en place par le Gouvernement en faveur des départements. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
7
Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes
M. le président. L’ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.
Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président de la Cour des comptes.
(M. le Premier président de la Cour des comptes est introduit selon le cérémonial d’usage.)
Monsieur le Premier président, au nom du président du Sénat et en notre nom à tous, je vous souhaite une très cordiale bienvenue dans notre hémicycle, où, pour la première fois, vous venez remettre au Sénat le rapport annuel de la Cour des comptes.
Votre présence parmi nous est plus qu’un exercice routinier imposé par le code des juridictions financières : elle illustre les liens étroits qui existent entre nos deux institutions et que les constituants de 2008 ont voulu conforter dans notre loi fondamentale, en développant votre rôle d’assistance au Parlement. Le Sénat lui-même, lors de l’examen de la proposition de loi du président Accoyer tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, a souhaité introduire dans le code des juridictions financières le principe selon lequel la Cour des comptes contribue à l’évaluation des politiques publiques.
Je ne doute pas que vos fonctions antérieures, notamment comme président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, feront de vous un interlocuteur sensible aux préoccupations du Parlement et je forme le vœu que les relations fructueuses entre nos deux institutions puissent se renforcer encore sous votre présidence.
Votre présence parmi nous, monsieur le Premier président, illustre également l’importance que nous accordons aux missions de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, que nous confie la Constitution. Ces deux missions font partie de notre « cœur de métier », comme a l’habitude de le dire le président Larcher, avec le travail législatif dont elles sont le complément naturel, ex ante et ex post. Comme vous le disiez vous-même lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour des comptes : « Mieux évaluer les politiques déjà conduites permet de mieux concevoir […] les politiques publiques de demain ».
C’est donc avec le plus grand intérêt et avec toute notre attention, monsieur le Premier président, que nous allons maintenant vous écouter présenter le rapport de la Cour des comptes, avant d’entendre M. le président de la commission des finances et à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Monsieur le Premier président, vous avez la parole.
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, en application de l’article L 136-1 du code des juridictions financières, j’ai l’honneur de vous remettre le rapport public annuel de la Cour des comptes que j’ai présenté ce matin au Président de la République et remis à l’Assemblée nationale voilà quelques minutes. (M. le Premier président de la Cour des comptes remet à M. le président le rapport annuel de la Cour des comptes.)
M. le président. Merci, monsieur le Premier président.
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, si, comme le veulent la loi et la tradition, je viens déposer aujourd’hui solennellement notre rapport public annuel, les contacts entre la Haute Assemblée et la Cour des comptes sont sans cesse plus fréquents et les occasions de nous voir plus nombreuses. Je veux vous dire à la fois mon émotion et le plaisir que j’ai de me trouver ici, dans cet hémicycle.
La Cour des comptes se voit confier par la Constitution la mission de vous assister dans le contrôle du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques, et ses membres sont toujours heureux de pouvoir vous apporter leur expertise et leurs conclusions.
En 2010, outre les six rapports obligatoires, prévus par la loi organique relative aux lois de finances et la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, qui sont destinés à nourrir vos grands débats budgétaires et financiers, nous vous avons adressé six autres rapports : cinq à la demande de la commission des finances et un sur demande de la commission des affaires sociales. Nous nous réjouissons de contribuer ainsi à vos débats, à vos travaux et à l’activité de vos commissions.
Avec le président Jean-Marie Bertrand, rapporteur général de la Cour des comptes, avec le secrétaire général de la Cour des comptes et les chargés de mission auprès du Premier président, nous sommes prêts à aller plus loin encore avec vous, à l’image de ce que nous a proposé l’Assemblée nationale, qui organisera le 1er mars prochain un débat sur le rapport public annuel, ainsi que l’y autorise son nouveau règlement. D’autres voies sont imaginables, comme celle qui permet aux commissions du Parlement de prolonger nos enquêtes, par exemple en interrogeant les administrations sur les suites données aux travaux de la Cour des comptes. Certains d’entre vous adressent déjà des questions écrites aux ministres.
Le rapport 2011 est, à l’instar des précédents rapports, très varié et couvre un spectre de politiques publiques et d’organismes très large. Nous vous en présentons une sélection en deux volumes qui illustre l’activité des juridictions financières et la diversité des champs de contrôle : le premier volume, fait de vingt-cinq insertions, est consacré aux enquêtes nouvelles de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes ; le second, composé de vingt et une insertions, est consacré au suivi de contrôles précédents.
Le rapport public 2011 s’inscrit dans une certaine continuité. Toutefois, cette année, nous avons souhaité renforcer et mettre davantage en avant quelques caractéristiques.
La première caractéristique tient à un certain équilibre entre les nouveaux sujets d’investigation et le suivi des effets des contrôles précédents. Les deux tomes sont presque jumeaux, en tout cas leur poids est assez proche. Nous voulons montrer que, si nous sommes constructifs dans nos observations et recommandations, nous savons aussi être énergiques et tenaces dans le suivi des actions correctrices qui sont effectivement engagées ou, dans certains cas, qui tardent à venir.
La seconde caractéristique tient à l’attention plus importante portée aux résultats des politiques publiques. Cela répond à un besoin que, à l’instar du citoyen, vous exprimez.
Enfin, la Cour des comptes a souhaité mettre en avant des sujets particulièrement proches des préoccupations des citoyens, qu’il est de notre mission constitutionnelle d’informer du mieux possible. Vous le savez – vous en avez âprement débattu vous-mêmes dans cet hémicycle –, les questions d’emploi ou de retraites figurent parmi les premières préoccupations de nos concitoyens. C’est pourquoi nous avons abordé les questions de la prime pour l’emploi, de l’indemnisation du chômage partiel ou encore – cela devrait susciter quelques commentaires – du fonds de réserve pour les retraites.
Venons-en au contenu de cet épais rapport. Je ne saurais vous en détailler les quelque 1 300 pages, mais je souhaite néanmoins vous en faire partager quelques-unes des observations essentielles.
Comme c’est désormais la tradition, le rapport s’ouvre par une analyse de la situation de nos finances publiques. Cette dernière reste extrêmement sérieuse, ainsi que nous ne cessons de le dire et de l’écrire depuis quelque temps déjà.
Les objectifs de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 n’ont pas été tenus.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Effectivement !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. L’amélioration espérée n’a pas été obtenue. Une aggravation est même, en réalité, constatée.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. On peut dire ça !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Le déficit public attendu pour 2010 est à l’heure actuelle de 7,7 %, après 7,5 % en 2009. Il est très préoccupant de constater que le déficit structurel hors plan de relance s’est encore aggravé. Il est désormais estimé par la Cour des comptes à 5,5 points de PIB, en hausse de 0,5 point l’an dernier en raison d’un ralentissement insuffisant des dépenses et des décisions de baisse des prélèvements obligatoires. Nous procéderons à une nouvelle estimation à l’occasion du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques que nous vous remettrons en juin prochain.
La nouvelle loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 a retenu des objectifs et règles plus ambitieux, et notamment 3 % de déficit public en 2013.
Toutefois, comme la commission Camdessus, la Cour des comptes constate que cette loi de programmation n’a pas de portée juridique supérieure aux lois de finances. Ce texte risque dès lors d’en rester au stade des ambitions. La Cour des comptes, comme elle l’avait fait avant le vote de la loi organique relative aux lois de finances, apportera une contribution au Gouvernement et au Parlement dans la perspective de la réforme constitutionnelle annoncée sur les finances publiques.
Pour 2011, la Cour des comptes constate que nous sommes encore loin de l’effort qu’elle avait recommandé de réaliser. En 2011, la baisse du déficit proviendra pour la plus grande part de la disparition de mesures exceptionnelles ou temporaires telles que le plan de relance ou le surcoût ponctuel – en 2010 – de la réforme de la taxe professionnelle.
Les économies identifiées par la Cour ne s’élèvent qu’à environ 5 milliards d'euros, alors qu’il faudrait faire un effort d’économie de 13 milliards d'euros.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. L’effort structurel de réduction du déficit résultera des mesures de hausse des prélèvements obligatoires correspondant à un demi-point de PIB, dont seulement 7,5 milliards d'euros sont pérennes.
Pour l’après-2011, les éléments dont on dispose aujourd’hui pour savoir si les objectifs peuvent être tenus sont encore trop incertains, trop flous. Pour que la trajectoire décrite par la loi de programmation soit crédible, l’effort structurel doit être plus ambitieux et les mesures nécessaires pour le réaliser, rapidement précisées.
Nous revenons également, une fois de plus, sur les dépenses fiscales. La Cour a été la première à en souligner les dangers, dus à une progression incontrôlée. Nous avons souhaité dans le rapport 2011 y consacrer un chapitre afin de souligner de nouveau le coût et les incertitudes qui accompagnent le recours aux dépenses fiscales.
Le coût de ces dernières est élevé et en forte progression : entre 2004 et 2009, leur nombre est passé d’environ 400 à 500 et leur coût total a augmenté de 43 %. Sur la liste officielle des dépenses fiscales présentée en annexe des projets de loi de finances, ce coût atteint 68 milliards d'euros en 2009 hors mesures de relance et près de 73 milliards d'euros mesures de relance incluses, soit presque un tiers des recettes fiscales nettes de l’État, contre seulement 18 % en 2004.
Elles font en outre l’objet d’estimations et de prévisions souvent fausses. Le ministère des finances reconduit généralement dans le projet de loi de finances le coût constaté l’année précédente. À vrai dire, la notion même de dépenses fiscales est trop floue, comme en atteste le manque de cohérence de la liste des dépenses fiscales donnée en annexe des projets de loi de finances. Le coût en 2009 des dispositifs retirés de la liste des dépenses fiscales depuis 2004 s’élève à 75 milliards d'euros. Une année, un dispositif est appelé « niche fiscale » ; une autre année, il est dénommé « modalité de calcul de l’impôt ». Il est nécessaire de clarifier le vocabulaire utilisé.
Il faudrait que les règles soient plus contraignantes afin de poursuivre l’effort de réduction du coût des dépenses fiscales conformément aux recommandations formulées par la Cour en juin dernier. Nous en sommes encore trop en deçà aujourd’hui.
Nous avons aussi examiné la prime pour l’emploi, dont le coût pour l’État a presque doublé entre 2001 et 2009, passant de 2,5 milliards d'euros à plus de 4 milliards d’euros. C’est la troisième dépense fiscale la plus importante. Entre logique de redistribution et incitation au retour à l’emploi, elle est emblématique de l’imprécision des objectifs de beaucoup de dépenses fiscales.
La Cour fait trois constats sur cette dépense.
Premièrement, son ambiguïté et son absence de ciblage font qu’elle n’est pas vraiment incitative, en tout cas pas pour les personnes en situation précaire face à l’emploi.
Deuxièmement, son pilotage est défaillant. Des améliorations ont été apportées à la gestion des déclarations de revenu, mais des fraudes persistantes rendent indispensable un contrôle fiscal plus adapté au nombre élevé des bénéficiaires et à la faiblesse des montants de chaque prime.
Troisièmement, la Cour appelle à un choix politique quant à l’articulation de la prime pour l’emploi avec le RSA activité, créé en décembre 2008 avec des objectifs a priori similaires : il faut soit fusionner ces deux dispositifs pour un ciblage accru et une plus grande incitation au retour à l’emploi par exemple, soit conserver le seul RSA activité, soit différencier plus clairement les deux mesures.
Enfin, nous avons choisi d’aborder le sujet sensible du Fonds de réserve pour les retraites. Ce fonds avait été conçu en 1999 pour constituer une réserve de long terme destinée à atteindre 150 milliards d'euros et contribuer ainsi, à partir de 2020, au financement des retraites.
Comme vous le savez, cet objectif a été abandonné en juin 2010. Désormais, le Fonds de réserve pour les retraites, dont l’actif se montait, au 1er novembre 2010, à 36,2 milliards d'euros, va servir à prendre en charge progressivement la réforme des retraites en versant chaque année de l’argent à la CADES, la Caisse d’amortissement de la dette sociale.
La Cour constate que le changement de nature du Fonds peut présenter des risques, puisque l’idée de départ était d’en faire un investisseur de long terme. Si l’on ajoute que les résultats du fonds ont été, après six ans, inférieurs aux attentes, il apparaît clairement que la préférence manifestée pour le court terme pourrait avoir des conséquences : les réserves constituées par le Fonds de réserve pour les retraites pourraient manquer si les déficits des régimes de retraite persistaient au-delà de 2020, comme c’est encore à craindre.
Au-delà de l’analyse globale des finances publiques, nous avons sélectionné dans ce rapport annuel quelques insertions consacrées aux résultats des politiques publiques.
Aux yeux de la Cour, le système français d’indemnisation du chômage partiel est un outil insuffisamment utilisé en France. Nos voisins, je pense aux Allemands, aux Italiens, aux Belges, ont su s’en servir lors de la crise économique récente. Ainsi, au plus fort de la crise, l’Allemagne a compté jusqu’à 1,53 million de salariés en chômage partiel, contre 275 000 en France. En outre, selon l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, le chômage partiel a contribué à la sauvegarde de 251 000 emplois en Allemagne durant la crise, contre seulement 18 000 en France.
Si quelques facteurs structurels peuvent expliquer cette différence, la Cour recommande que l’on rende le dispositif plus attractif pour les employeurs, qu’on le simplifie et qu’on renforce les incitations visant à combiner chômage partiel et formation.
La Cour s’est aussi penchée sur une imposition qui ne dit pas son nom, mais que chaque consommateur acquitte directement lorsqu’il règle sa facture d’électricité depuis 2003. C’est la contribution aux charges du service public de l’électricité, qui vise à compenser auprès des opérateurs du marché de l’électricité – EDF représentant 95 % du marché – leurs charges de service public, c’est-à-dire la péréquation tarifaire dans les départements d’outre-mer et en Corse, le soutien aux énergies renouvelables et à la cogénération, ainsi que les tarifs sociaux de l’électricité.
Ces charges sont en augmentation continue. Il est nécessaire de s’attaquer fermement aux facteurs de cette progression. Par exemple, le système de l’obligation d’achat des énergies renouvelables fonctionne « à guichet ouvert », à des tarifs trop attractifs. Il faudrait aussi, selon la Cour, que le principe constitutionnel du consentement à l’impôt soit respecté, c’est-à-dire que le taux de la contribution demandée au consommateur fasse l’objet d’une autorisation périodique et d’un contrôle du Parlement.
Nous n’avons évidemment pas laissé de côté le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche, puisque nous avons traité des pôles de recherche et d’enseignement supérieur ou du bilan de l’Agence nationale de la recherche.
Enfin, en conclusion de cette partie sur l’évaluation des politiques publiques, nous avons souhaité examiner, en étroite collaboration avec les chambres régionales des comptes concernées, quelques politiques de l’État dans les départements d’outre-mer.
Les sujets sont sensibles, qu’il s’agisse des flux migratoires irréguliers de la Guyane, de Mayotte et de Saint-Martin, de la gestion des risques naturels aux Antilles ou encore de la politique de soutien à l’agriculture, sur lequel nous avons beaucoup à dire.
En effet, les aides dans ce domaine, principalement destinées à la banane et à la canne à sucre, ont cru de 40 % entre 2008 et 2010. Elles représentaient 28,6 % de la valeur de la production agricole outre-mer, soit le double de la proportion constatée en métropole. Le cas extrême est celui de la banane de Martinique : les aides représentent 64,7 % de la valeur de la production.
En outre, le secteur n’arrive pas à maintenir ses emplois, qui sont en baisse de 40 % aux Antilles.
Enfin, la conséquence la plus grave est que l’approvisionnement de la population en produits locaux a généralement régressé, puisque les autres productions locales ne sont pas aidées. La Cour s’interroge donc sur le modèle de développement agricole retenu pour ces territoires.
La gestion des services de l’État et des organismes a aussi fait l’objet de notre attention. Nous constatons, comme chaque année, que des marges de progression certaines existent.
Je prendrai simplement l’exemple de la continuité territoriale avec la Corse. Sans surprise, la collectivité territoriale de Corse est confrontée à un problème de financement en raison de passagers toujours plus nombreux et de choix qui n’apparaissent pas comme les plus adaptés dans une logique de recherche de bon emploi des deniers publics, avec notamment un régime très généreux d’aides sociales.
La gestion immobilière de l’État, examinée par la Cour, présente elle aussi des résultats perfectibles. L’exemple de la SOVAFIM, société de valorisation foncière et immobilière, est très parlant. La Cour recommande d’ailleurs de mettre un terme à son existence.
Le second tome du rapport est consacré au suivi de nos recommandations antérieures. Cette année, nous avons insisté sur ce point, qui est un des aspects les plus déterminants de notre action. C’est un point sur lequel nous pouvons nous appuyer davantage pour approfondir notre collaboration. C’est désormais une préoccupation majeure de la Cour, et nous n’ignorons pas que c’est aussi la vôtre et celle de nos interlocuteurs.
Pour commencer, nous avons tenu à reconnaître les progrès accomplis.
Parmi les constats positifs, il faut citer l’exemple des organismes faisant appel à la générosité publique, qui suivent les recommandations de la Cour, ou encore les évolutions encourageantes des services publics d’eau et d’assainissement depuis la publication du rapport public thématique de 2003. L’immense majorité de nos conclusions et de nos recommandations a été bien suivie, notamment celles portant sur les autorités de régulation financière, et nous nous en réjouissons.
Naturellement, il reste encore beaucoup à améliorer. Parmi les cas où toutes les préconisations n’ont pas été mises en œuvre et où des mesures efficaces restent à prendre, je peux citer les recommandations formulées en 2007 pour clarifier le rôle du CNRS, le centre national de la recherche scientifique, ou celles qui ont été émises pour améliorer le suivi et l’exécution du budget de l’État.
Dans le cadre de sa mission constitutionnelle de certification des comptes de l’État, la Cour émet un certain nombre de réserves sur la régularité, la sincérité ou la fidélité de ces derniers et formule des recommandations qui doivent être mieux prises en compte. L’année 2009 fut une année de progrès pour les comptes de l’État avec trois réserves levées, mais ce sont encore neuf réserves, dont huit substantielles, qui ont été reconduites. Il y a, là aussi, des marges de progression.
En matière de sécurité sociale, plusieurs recommandations réitérées de la Cour ont fait l’objet de dispositions dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, avec une réduction, encore insuffisante à nos yeux, des « niches sociales ».
La loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites reprend elle aussi quelques recommandations, parfois anciennes, de la Cour, comme par exemple la suppression de la possibilité de départ en retraite pour les parents de trois enfants et plus après quinze années de service dans la fonction publique, ou plus largement les mesures de rapprochement entre les règles du régime général et celles qui sont applicables aux fonctionnaires.
Les mesures prises sont toutefois loin d’épuiser le sujet, qu’il s’agisse de la sécurité sociale ou des retraites, mais elles constituent un exemple privilégié de l’utilisation de l’expertise que nous pouvons apporter à la représentation nationale. C’est toujours une satisfaction de voir une recommandation de la Cour acquérir force de loi !
Enfin, et je terminerai par ce point, monsieur le président, il est des domaines où nos recommandations n’ont pas été assez suivies malgré l’urgence de la situation et l’importance des enjeux.
L’enjeu du projet Chorus comme outil de modernisation de la gestion publique est tout à fait considérable. Mais les réalisations ne sont pas encore à la hauteur des attentes… Outre un déploiement difficile et des difficultés de paiement au début du développement du projet – les retards de paiement de l’État envers ses fournisseurs ont été évalués jusqu’à 6 milliards d'euros en juillet 2010 –, les améliorations de gestion espérées semblent compromises, d’autant plus que le projet souffre d’un manque de coordination interministérielle et de carences stratégiques.
L’exemple du Centre national de la fonction publique territoriale, le CNFPT, est typique, selon nous, d’une gestion laxiste par excès de moyens.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très important, cela ! Par excès de moyens !
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Cet établissement public de l’État, chargé de plusieurs missions liées à l’emploi et à la formation des agents des collectivités territoriales, emploie plus de 2 200 personnes pour un budget annuel d’environ 350 millions d'euros.
La Cour a mené un troisième contrôle en moins de dix ans, après ceux de 2002 et de 2007, pour de nouveau constater de très nombreuses défaillances. La Cour réitère ses recommandations dans le domaine de la formation pour la maîtrise des coûts, qu’il s’agisse des frais de transport et de déplacement, ou des investissements immobiliers.
La Cour estime en outre qu’au regard de l’aisance financière du CNFPT et d’une gestion peu rigoureuse, il faut réviser le taux plafond de 1 % de cotisation des employeurs, fixé en 1987 et inchangé depuis. Il devrait être revu à la baisse.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. L’une des insertions les plus critiques et les plus préoccupantes porte sur le Grand Port maritime de Marseille. Celui-ci ne cesse de reculer dans la compétition internationale, malgré ses avantages comparatifs, en raison des conflits sociaux incessants qui l’ont miné dans les années récentes et de réformes inachevées. L’image sociale renvoyée par le port à ses clients est aujourd’hui négative et menace gravement son avenir commercial.
Les deux réformes les plus importantes restent inachevées. Pour la manutention horizontale, les dockers, la réalité est que les effectifs augmentent alors que le trafic baisse. Pour la manutention verticale, le régime de travail est bien éloigné de celui qui est en vigueur dans les ports concurrents : des équipes de deux portiqueurs sont prévues pour chaque engin de levage, alors qu’ailleurs la proportion est de trois pour deux, voire quatre pour trois, d’où un taux d’utilisation des portiques moitié moindre.
La Cour insiste pour que l’autorité de l’État s’exerce pleinement et avec constance, à tous les niveaux, notamment afin que les réformes voulues par le législateur soient effectivement mises en œuvre, au Grand Port de Marseille comme ailleurs.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’avoir écouté aussi longuement sur des sujets de préoccupation qui nous sont communs.
Je souhaite sincèrement que cette sélection de nos contrôles alimente vos débats et nourrisse votre travail parlementaire. Sachez que notre expertise demeure à votre entière disposition. (Applaudissements.)
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Formidable !
M. le président. Monsieur le Premier président, le Sénat vous donne acte du dépôt du rapport de la Cour des comptes.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, la remise du rapport public annuel de la Cour des comptes est un rendez-vous important et attendu.
Votre constance et votre enthousiasme, monsieur le Premier président, sont toujours un plaisir. Vos nombreuses observations finiront bien par être prises en compte et permettront de mettre un terme aux multiples dysfonctionnements qui affectent la sphère publique. Peut-être nos finances publiques retrouveront-elles enfin l’équilibre.
Parce qu’il met en évidence certains dysfonctionnements de la gestion de la sphère publique, au niveau de l’État, des établissements et entreprises publiques ou des collectivités territoriales, le rapport public de la Cour attire de façon salutaire l’attention de l’opinion publique, des responsables politiques et administratifs, ainsi que de l’ensemble des agents publics et – oserai-je le dire ? – des parlementaires que nous sommes, mes chers collègues.
Le florilège que vous venez de nous présenter du haut de cette tribune, monsieur le Premier président, est parfaitement illustratif.
Le rétablissement de nos finances publiques passe, en effet, non seulement par la fixation d’objectifs et de règles de bonne conduite, mais tout aussi sûrement par la diffusion de meilleures pratiques de gestion, la suppression de dispositions et de structures obsolètes ou injustifiées, l’amélioration constante des procédures, la recherche de l’efficacité et de la performance.
C’est ce à quoi invitent les observations formulées cette année par la Cour des comptes, qui se caractérisent par une grande diversité puisqu’elles concernent aussi bien la prime pour l’emploi que le système de santé en Polynésie française, la rémunération des réservistes militaires, ou encore la Société de valorisation foncière et immobilière, la SOFAVIM. J’ai pu prendre connaissance des recommandations – parfois très fortes – formulées sur les vingt-cinq points qui font l’objet de nouvelles observations de la Cour et je pense que nous serons amenés à en tirer les conséquences.
Je note également que la Cour, dans le second tome de son rapport, reprend vingt et une observations précédentes pour examiner les suites qui leur ont été données. Nous serons plus particulièrement attentifs aux réponses que le Gouvernement apportera aux six observations insuffisamment suivies d’effets sur lesquelles la Cour estime devoir « alerter » l’opinion publique, selon une terminologie qui n’est pas neutre, convenons-en.
Il s’agit, tout d’abord, de celle qui vise le programme Chorus et les systèmes d’information financière de l’État. Sans un système d’information approprié, monsieur le Premier président, la loi organique relative aux lois de finances, ou LOLF, dont vous êtes l’un des pères, avec notre ancien collègue Alain Lambert, qui vous a rejoint à la Cour, risque d’être inopérante.
Il s’agit, ensuite, des observations relatives au Centre national de la fonction publique territoriale – il a fait l’objet d’une remarque majeure –, au Grand port maritime de Marseille, aux agences comptables des lycées et collèges publics, à l’Établissement public d’insertion de la défense, l’EPIDE, et à la participation de la France aux corps militaires européens permanents.
Le dépôt du rapport public annuel constitue un moment privilégié et solennel, mais il n’est pas le cœur des relations entre le Parlement et la Cour des comptes, spécialement pour ce qui concerne la commission des finances.
Depuis l’entrée en vigueur de la LOLF, dont nous célébrerons cette année les dix ans de l’adoption, ces relations se sont considérablement renforcées et amplifiées, j’ai plaisir à le souligner, croyez-le bien.
Malgré des légitimités différentes, des modes de fonctionnement très dissemblables et des préoccupations parfois éloignées, la commission des finances, par l’intermédiaire de ses rapporteurs spéciaux, et les chambres de la Cour des comptes ont notamment développé des relations de travail privilégiées, dont les temps forts sont, d’une part, l’exploitation des enquêtes réalisées au titre de l’article 58, alinéa 2°, de la LOLF et, d’autre part, l’examen de la loi de règlement. Les auditions pour suite à donner aux enquêtes diligentées en application de l’article précité sont des moments très importants, monsieur le Premier président. Il nous appartient alors d’exercer une pression sur les administrations qui ont fait l’objet des investigations en cause puis de recommandations.
Je voudrais à présent formuler quatre vœux pour la poursuite et l’amélioration des relations entre la Cour et le Parlement.
Le premier d’entre eux est que l’ouverture à de nouveaux organes du Parlement de la possibilité de demander l’assistance de la Cour des comptes, votée dans le cadre de la loi du 3 février 2011 tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, ne porte pas préjudice aux procédures actuelles, utilisées par la commission des finances et par la commission des affaires sociales, qui fonctionnent bien et donnent satisfaction. Le Sénat a introduit dans le texte certaines garanties relatives aux demandes d’assistance et aux enquêtes visées à l’article 58, alinéa 2°, de la LOLF et à l’article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières. Nous espérons qu’elles seront suffisantes.
Mon deuxième vœu concerne la coordination des travaux de contrôle et des initiatives prises dans le cadre du programme de travail de la Cour des comptes et du programme de contrôle de la commission des finances. Je souhaite que nous échangions plus largement nos informations, dès les premières esquisses de ces programmes, afin d’éviter les doublons et d’unir nos efforts. Bien entendu, ces échanges d’informations ne sauraient limiter les compétences de nos deux institutions.
Vous ne serez pas étonné, monsieur le Premier président, par l’évocation de mon troisième vœu. Je souhaite ardemment que la réforme de la Cour des comptes et des chambres régionales – même sous une forme « allégée » – aboutisse le plus rapidement possible.
MM. Jean-Pierre Fourcade et Pierre Hérisson. Très bien !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Une meilleure coordination des travaux entre la Cour et les chambres régionales est une condition indispensable pour assurer la qualité des enquêtes que nous vous demandons.
M. Pierre Hérisson. Tout à fait !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il n’est plus possible, compte tenu de l’imbrication des niveaux de responsabilités, de procéder à un examen des politiques publiques qui se limite aux seules compétences exercées par l’État. La réforme des juridictions financières doit, à ce seul titre, être inscrite à l’ordre du jour des deux assemblées. La commission des finances, pour sa part, est impatiente de pouvoir s’en saisir.
Monsieur le Premier président, nous ne doutons pas que, compte tenu de ses missions, de ses observations, de ses recommandations, la Cour soit elle-même un laboratoire d’innovations et de propositions relatives à sa propre réforme.
Enfin, mon quatrième vœu est, je pense, un rêve. Je souhaite que vous puissiez prendre l’initiative, afin que la pédagogie fasse son œuvre, de présenter des comptes consolidés…
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … de l’État et de la protection sociale. Chaque Français pourra alors prendre conscience de l’urgence et de la nécessité des réformes et les formations politiques pourront renoncer à leur vision quelque peu dogmatique et partisane, pour reprendre le chemin de la performance publique, de l’adéquation entre les recettes et les dépenses et, sans doute, du retour à l’équilibre budgétaire. Ainsi, Jean-Pierre Fourcade pourrait cesser d’évoquer le spectre d’une dette perpétuelle. (Jean-Pierre Fourcade acquiesce.)
La bonne gouvernance consiste à tirer toutes les conséquences des observations de la Cour. Le rapport de celle-ci ne doit pas être, mes chers collègues, la bonne conscience du Parlement et de l’opinion publique. Il importe d’en tirer les enseignements requis. Si les actuels dysfonctionnements subsistent, à quoi bon ce rapport, tant de missions d’audit, d’évaluation ?
Monsieur le Premier président, les membres de la Cour, qui sont des magistrats et bénéficient à ce titre de l’indépendance, sont devenus des auditeurs. C’est la raison pour laquelle ils certifient la sincérité et la régularité des comptes publics.
Mes chers collègues, c’est dans ces conditions que, prenant appui sur l’éclairage qui nous est apporté par la Cour des comptes, nous avons quelques chances de mettre un terme aux dysfonctionnements de la sphère publique et, peut-être, de rétablir l’équilibre des comptes publics. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. À mon tour, je voudrais profiter du dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes pour saluer l’importance, la qualité et l’utilité des travaux réalisés par cette institution et, bien entendu aussi, pour vous remercier, monsieur le Premier président.
La synthèse des travaux que vous venez de nous présenter est, je l’avoue, impressionnante. Elle confirme le rôle éminent de la Cour, déployé dans tous les domaines de l’action publique, au service d’une meilleure gestion des deniers publics.
Nous examinerons le contenu de ce nouveau rapport avec attention. Il comporte de nombreuses insertions dans les domaines sanitaires et sociaux. Je perçois déjà l’intérêt que les membres de la commission des affaires sociales trouveront à lire les passages du rapport consacrés au Fonds de réserve des retraites, à l’indemnisation du chômage partiel, à l’organisation du système de santé en Polynésie française, ou encore au système de collecte de la taxe d’apprentissage dans un certain nombre de secteurs.
Comme cela a souvent été le cas dans le passé, les observations de la Cour et les nôtres devraient largement se rejoindre, car les sujets en cause tiennent à cœur à la commission des affaires sociales.
Il en est un sur lequel nos travaux ont été réellement complémentaires : le financement de la campagne de lutte contre la grippe A. Nous avons en effet demandé à la Cour, voilà un peu plus d’un an, de procéder à une enquête sur l’utilisation des fonds mobilisés pour la lutte contre la pandémie grippale H1N1. Cette demande était motivée par le souci de suivre non seulement l’emploi des moyens importants – évalués à environ 1,5 milliard d’euros à l’automne 2009 – qu’il était prévu d’affecter à cette lutte, mais aussi les modalités du financement de celle-ci.
Nous avions, de fait, porté une attention toute particulière à l’élaboration du dispositif de financement, dont la traduction figurait dans trois textes financiers : la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, la loi de finances pour 2010 et la dernière loi de finances rectificative pour 2009.
Au cours des débats, le Sénat s’était notamment inquiété du montant des dépenses envisagées, dans un contexte d’augmentation des déficits publics. Mais nous avions aussi le souci de la participation à ces dépenses des organismes d’assurance maladie obligatoire et complémentaire, qui n’ont pas vocation à financer des dépenses relevant au premier chef des missions régaliennes de l’État.
La Cour a procédé au bilan financier de la campagne et a également effectué une évaluation des actions menées, soulignant le caractère inédit de cette crise.
En fin de compte, l’enquête réalisée a parfaitement complété et rejoint les analyses et préconisations du rapport de la commission d’enquête du Sénat sur le rôle des firmes pharmaceutique dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A H1N1. Les conclusions que la Cour tire de la gestion de cette crise sanitaire sont, à notre avis, riches d’enseignements, et je souhaite que les nombreuses pistes proposées par la Cour pour améliorer le dispositif de réponse aux crises sanitaires soient effectivement prises en compte par le Gouvernement et les administrations concernées.
Si la date de la prochaine crise sanitaire à laquelle sera confronté notre pays ne peut, bien sûr, être aujourd’hui connue, son avènement est néanmoins certain, et il conviendra alors que nous soyons en mesure d’être beaucoup plus réactifs que nous ne l’avons été en 2009.
En particulier, comme la Cour, nous estimons qu’il ne faudra pas exclure, cette fois, de l’organisation d’une telle campagne les hôpitaux et les médecins libéraux, qui ont un rôle essentiel à jouer en matière de conseil de proximité et de santé publique.
De même, comme la Cour, nous jugeons prioritaire la nécessité de revoir les politiques de vaccination. Il est urgent de faire valoir à nos concitoyens, de manière argumentée et objective, les intérêts et avantages de la vaccination pour lutter contre un certain nombre de maladies.
L’objectif, que vous poursuivez, du redressement des comptes et de l’amélioration de la gestion des deniers publics est également le nôtre. Je me félicite donc de la très grande qualité des liens que la commission des affaires sociales et, au sein de celle-ci, la MECSS, la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, ont pu nouer avec vous-même, monsieur le Premier président, mais également avec les magistrats et les chambres de la Cour qui suivent les sujets relevant de notre compétence.
Je voudrais donc vous remercier personnellement de votre disponibilité et de votre écoute, ainsi que l’ensemble des personnels de la Cour. Les relations étroites et très fructueuses que nous avons établies sont la preuve que la Cour remplit pleinement son rôle d’assistance à nos travaux de contrôle parlementaire.
À titre d’exemple, je pourrais mentionner une réunion qui s’est tenue ce matin même – très amicale et fructueuse, m’a-t-on dit – entre les administrateurs de la commission des affaires sociales et les magistrats de la Cour, chargés de travailler sur l’une de nos dernières demandes d’enquête.
Des rendez-vous réguliers permettent d’entretenir ces bonnes relations.
En premier lieu, je citerai la publication, au mois de septembre, du rapport de la Cour sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale. Cette année encore, il proposait un éclairage fouillé sur de nombreux sujets d’importance. Je n’en mentionnerai que deux : celui des niches sociales, d’abord, sur lequel notre commission réfléchit déjà depuis longtemps et pour lequel elle fait chaque année de nouvelles propositions au Gouvernement, en s’appuyant souvent de façon utile sur le rapport de la Cour ; celui de la situation financière des hôpitaux, ensuite, auquel notre rapporteur général Alain Vasselle attache une très grande importance et consacre des travaux au long cours, et dont les observations rejoignent évidemment très largement celles de la Cour.
En second lieu, je citerai le rendez-vous régulier institué au mois de juin, avec la publication du rapport de certification des comptes de la sécurité sociale.
Le quatrième rapport de certification est intervenu, en application de la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, au mois de juin dernier. Il s’est avéré, comme les précédents, et peut-être plus encore du fait de l’approfondissement des contrôles mis en œuvre, extrêmement constructif et porteur de réelles possibilités de progrès pour la gestion des organismes concernés. Notre commission s’est d’ailleurs emparée de cette question en exerçant un contrôle attentif et régulier sur les moyens mis en œuvre par les caisses pour répondre aux observations de la Cour, je pense en particulier à la branche famille et à la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, sur lesquelles notre MECSS a publié un rapport, puis suivi la mise en œuvre des différentes préconisations.
D’autres occasions de rencontres sont créées par la remise des travaux que nous vous commandons. Cette année, – je viens d’en parler – l’enquête de la Cour sur la lutte contre la grippe A H1N1 a donné lieu à des séances de commission particulièrement riches et denses.
Nous sommes certains que les récentes demandes d’enquête que nous vous avons adressées seront porteuses d’enseignements pour l’amélioration des politiques mises en œuvre.
La première porte sur l’examen des spécificités du régime d’assurance maladie en Alsace-Moselle ; ce choix s’explique par le souci d’étudier les conditions de fonctionnement d’un régime en situation d’équilibre financier susceptible – pourquoi pas ? – d’inspirer des propositions d’améliorations pour les autres régimes.
La seconde concerne l’analyse de l’ensemble des dépenses prises en charge par l’assurance maladie et ne correspondant pas stricto sensu à des remboursements de soins, sujet dont nous mesurons pleinement l’ampleur, mais qui aura pour intérêt de distinguer clairement la nature des différentes charges incombant à l’assurance maladie.
En conclusion, je formule le vœu que l’année 2011 soit tout aussi fructueuse pour la Cour des comptes que l’année 2010 et que nous puissions continuer à développer nos travaux communs pour le meilleur profit de nos concitoyens.
Comme la Cour, nous souhaitons que l’année 2011 permette d’engager réellement le redressement de nos finances publiques car il y va de l’avenir de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – M. Jacky Le Menn applaudit également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec la présentation de ce rapport.
Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président de la Cour des comptes.
(M. le Premier président de la Cour des comptes est reconduit selon le cérémonial d’usage.)
8
Nomination d’un membres d'un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Ambroise Dupont membre de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages.
9
Dépôt d'un rapport
M. le président. M. le Premier ministre a communiqué au Sénat le rapport sur la mise en application de la loi n° 2010–658 du 15 juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, établi en application de l’article 67 de la loi n° 2004–1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit.
Acte est donné du dépôt de ce document.
Il a été transmis à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale ainsi qu’à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire et sera disponible au bureau de la distribution.
10
Réforme de l'hôpital
Discussion d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009–879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, présentée par M. Jean-Pierre Fourcade (proposition n° 65 rectifié, texte de la commission n° 295, rapport n° 294).
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que la proposition de loi de M. Jean Pierre Fourcade a été inscrite par la conférence des présidents dans le cadre de l’espace réservé au groupe UMP, c’est-à-dire dans une limite de quatre heures ; au surplus nous n’avons pas prévu de séance du soir encore moins une nuit.
Dans ces conditions, je me verrai dans l’obligation de terminer ou d’interrompre dans quatre heures, c’est-à-dire à vingt et une heures.
Si nous n’avons pas terminé ce texte, il appartiendra, soit à notre conférence des présidents, soit au Gouvernement, d’inscrire la suite de cette proposition de loi.
Par ailleurs, à la suite de ce point de l’ordre du jour, c’est-à-dire vers vingt et une heures, nous aurons l’examen de la demande du groupe socialiste d’envoi du projet de loi relatif à la bioéthique à une commission spéciale.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Fourcade, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme vous le savez, j’ai été chargé d’animer le comité d’évaluation de la loi « Hôpital, patients, santé et territoires ». À ce titre, depuis le mois de février de l’année dernière, j’ai procédé à de très nombreuses auditions et effectué quelques déplacements en métropole et outre-mer.
Avant d’entamer la rédaction du rapport que je dois présenter au Parlement en juillet prochain, deux ans après la publication de la loi, il m’a paru souhaitable de regrouper dans une modeste proposition de loi quelques modifications et compléments à la loi, qui, je l’indique dès le début de la discussion, n’apportent pas de bouleversements et ne remettent pas en cause l’équilibre général du texte.
M. Guy Fischer. C’est ce que l’on dit !
M. Jean-Pierre Fourcade. Je tiens à préciser que j’effectue cette démarche à titre personnel, et non comme président du comité d’évaluation.
Pour vous présenter cette proposition de loi, j’organiserai mon propos autour de trois éléments : le contexte de l’application de la loi, l’historique de ma proposition de loi et, enfin, son contenu.
Premier élément : le contexte.
La mise en place des Agences régionales de santé, de la gouvernance des établissements hospitaliers et des outils de coopération concerne aussi bien le secteur public que les cliniques privées et les médecins libéraux. Tout cela – nous l’avons vu – se passe plutôt bien, en dépit des critiques de tous bords adressées à tel ou tel aspect du texte.
M. Guy Fischer. Oui, on serre la vis !
M. Jean-Pierre Fourcade. Certains considèrent que la loi brade l’hôpital public.
M. Guy Fischer. Elle le démantèle !
M. Jean-Pierre Fourcade. D’autres estiment qu’elle punit les médecins libéraux. Pour ma part, j’ai constaté sur le terrain que le système se mettait en place dans d’assez bonnes conditions.
Toutefois, certaines imperfections, certaines décisions du Conseil constitutionnel, certaines observations du Conseil d’État, certaines demandes émanant de syndicats de médecins…
M. Guy Fischer. … libéraux !
M. Jean-Pierre Fourcade. … libéraux ou hospitaliers m’ont convaincu de soumettre au Sénat, puis demain à l’Assemblée nationale, si vous l’estimez utile, quelques articles visant à supprimer, à réformer, à préciser ou à compléter la loi du 21 juillet 2009.
Cette proposition de loi vise à rendre la loi plus opérationnelle et si elle peut être mieux acceptée par l’ensemble des praticiens et des auxiliaires médicaux qui travaillent à son application, ce ne sera que mieux.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Deuxième élément : l’historique.
C’est à l’automne 2010 que j’ai pris contact avec le cabinet du ministre de la santé de l’époque, Mme Bachelot-Narquin, pour m’assurer que les quelques dispositions que j’avais l’intention de proposer pour mieux organiser les soins de premier recours, pour simplifier quelques articles trop complexes et pour mieux intégrer les structures médico-sociales dans le domaine de compétence des Agences régionales de santé, les ARS, étaient envisageables et satisfaisantes.
Après un travail en commun approfondi et avec l’accord de Mme Bachelot-Narquin, j’ai pris contact avec l’ordre des médecins, l’ordre des chirurgiens-dentistes, les syndicats professionnels, la conférence des présidents des commissions médicales d’établissement, certains directeurs généraux d’ARS et j’ai déposé la proposition de loi n° 65 qui comportait quatorze articles.
Puis deux événements sont venus me contraindre à corriger cette proposition de loi.
D’abord, certains articles ont été heureusement repris dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011. Je me réjouis que le législateur ait ainsi repris quelques-unes de mes propositions et les ait introduites dans la loi de financement de la sécurité sociale.
Ensuite, il y a eu un remaniement du Gouvernement et M. Bertrand – que je salue – a remplacé Mme Bachelot-Narquin, Mme Berra est venue en tant que secrétaire d’État à la santé et j’ai entrepris de nouvelles discussions. J’ai reçu beaucoup de propositions supplémentaires et j’ai donc, après un nouveau tour de discussions, déposé la proposition de loi n° 65 rectifié, que la commission des affaires sociales vient d’examiner et d’adopter.
M. Guy Fischer. Oui, à marche forcée !
M. Jean-Pierre Fourcade. Troisième élément : le contenu de cette proposition de loi.
Je ne présenterai pas dans le détail chacun des articles car l’excellent rapporteur de la commission mon ami Alain Milon le fera tout à l’heure. Bien entendu, comme toujours, la commission des affaires sociales a modifié quelques articles, a supprimé certains articles et en a rajouté d’autres. Il m’appartient de rappeler quels étaient les objectifs de ma proposition de loi.
J’avais trois objectifs.
Le premier consistait à mieux organiser les soins de premier recours en créant des structures efficaces permettant un exercice en commun des professionnels de santé relevant de métiers différents. Afin que ces structures fonctionnent de manière harmonieuse sur le terrain, je vous propose de supprimer quelques dispositions difficilement applicables et mal vécues par les médecins libéraux et par les chirurgiens-dentistes. Il s’agit, dans ma proposition de loi initiale, des articles 1er à 6.
Le deuxième objectif était d’améliorer le domaine de compétences des directeurs généraux des ARS, de simplifier quelques dispositions jugées trop floues par le Conseil d’État et d’essayer de mettre un peu plus de liant, de fongibilité dans l’ensemble des crédits qui partent du sommet, monsieur le ministre, pour aller jusque dans les ARS, afin que ce système fonctionne. Il s’agit des articles 7 à 13, parmi lesquels la commission des affaires sociales a fait son marché, si je puis dire, puisqu’elle en a retenu certains et rejeté d’autres.
Le troisième objectif visait à simplifier les mécanismes prévus pour les structures médico-sociales.
En effet, l’intégration des établissements médico-sociaux dans le domaine de compétences des ARS est un élément très important dans la mesure où les directeurs généraux et leurs adjoints sont obligés de s’occuper de manière précise de l’ensemble de ces établissements qui, on peut le dire, monsieur le rapporteur, sont assez divers.
C’est pourquoi j’ai essayé, dans les articles 14 à 16, d’affranchir ces établissements de procédures trop complexes pour faciliter leur transformation et les sécuriser.
Sur l’ensemble des articles, la commission et M. le rapporteur ont fait un excellent travail et ont amélioré la rédaction de la proposition de loi.
Toutefois, permettez-moi d’exprimer deux regrets.
Le premier, c’est la suppression de la phrase que je proposais à l’article 7, qui donnait au directeur général de l’ARS le pouvoir de fermer ou de suspendre l’activité de centres de santé, donc sans avoir à en référer au ministère de la santé et à demander une autorisation ministérielle. Il s’agit non pas de décentralisation, mais de déconcentration. En la matière, je crois que l’on n’est pas allé assez loin.
Le second regret, c’est la suppression de l’article 9 de la proposition de loi. Or le Conseil d’État a observé que la rédaction actuelle des dispositions relatives aux fondations hospitalières n’était pas tout à fait claire et qu’il fallait, par conséquent, appliquer à ces structures le statut des fondations reconnues d’utilité publique. Comme cela ne m’a pas semblé suffisant, j’ai proposé un assouplissement ; M. le rapporteur nous donnera tout à l'heure les raisons pour lesquelles la commission n’a pas suivi mes propositions.
Reste que cette proposition de loi doit permettre une mise en place, sur le terrain, cohérente et harmonieuse de tous les outils qui sont mis à la disposition de l’ensemble du monde médical et sanitaire par la loi HPST. Elle m’a valu un courrier abondant, les propositions d’amendement émanant des Ordres, des syndicats, d’organisations diverses ainsi que des associations de défense des consommateurs.
Je me suis efforcé de limiter les propositions. En effet, l’élément réellement important, monsieur le ministre, c’est le rapport que le comité d’évaluation déposera au mois de juillet prochain et qui dressera un bilan des grandes questions que sont l’organisation hospitalière, la coopération entre les établissements et l’organisation des réseaux de soins à l’intérieur de nos régions. Mais, en guise de hors-d’œuvre, si je puis dire, la présente proposition de loi permet de gommer quelques aspérités. Aussi, j’espère, mes chers collègues, que vous voterez en sa faveur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Roselle Cros applaudit également.)
M. Jacques Blanc. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales. Vous avez à cœur, cher Jean-Pierre Fourcade, de ne pas limiter aux travaux, pourtant absorbants, du comité de suivi de la réforme des établissements de santé que vous présidez, l’intérêt attentif que vous portez, comme nous tous, à la mise en œuvre de la loi HPST, la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
La proposition de loi dont vous êtes l’auteur, et que nous examinons aujourd’hui, traite en effet principalement de deux autres priorités de la loi du 21 juillet 2009 : le regain de la médecine de proximité et la place à accorder au secteur médico-social.
Dans l’attente des nouvelles propositions que vous ferez à l’issue des travaux du comité de suivi, la commission des affaires sociales a été sensible à votre souci de préserver l’équilibre voulu par la loi HPST entre les différentes composantes de notre système de santé.
Vous avez exprimé, mon cher collègue, les regrets que vous inspirent certaines positions prises par la commission. Notre débat d’aujourd’hui permettra, j’en suis sûr, de les dissiper. Mais permettez-moi, à mon tour, de vous dire que la commission et son rapporteur éprouvent aussi quelques regrets à propos des conditions d’examen, dans des délais soudainement raccourcis, d’un texte dont les dispositions les plus importantes sont aussi celles dont nous avons été saisis le plus tardivement.
Avec ces derniers compléments, les dispositions portant sur l’organisation des soins ambulatoires et la médecine de proximité constituent clairement le cœur de la proposition de loi, et c’est donc ce sujet que j’aborderai en premier lieu.
Je n’insisterai pas sur les articles qui figuraient déjà dans le texte initial, tendant à supprimer des mesures peu applicables et mal ressenties par la profession médicale.
Ainsi, l’article 3 de la proposition de loi revenait sur la sanction financière encourue par les médecins qui auraient refusé de s’engager dans un contrat « santé solidarité » ou n’en auraient pas respecté les termes. La commission l’a adopté sans modification. Le contrat lui-même demeure ; il prendra la forme d’un contrat type conclu entre l’UNCAM, l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, et au moins une organisation représentative des médecins. Cette solution ne présente que des avantages et pourrait faire de ce contrat un utile outil d’incitation.
Nous avons également adopté conforme l’article 4, qui supprimait l’obligation faite aux médecins de déclarer au conseil départemental de l’Ordre leurs absences programmées.
Nous avons volontiers rétabli les contrats de bonne pratique et les contrats de santé publique, un peu rapidement supprimés par l’ordonnance du 23 février 2010 dite « de coordination ». Ce sont, en effet, des instruments qui ont fait leurs preuves et dont la logique est complémentaire de celle des nouveaux contrats ayant pour objet d’améliorer la qualité et la coordination des soins mis en place par la loi HPST.
Enfin, nous nous félicitons, monsieur le ministre, d’avoir adopté un amendement du Gouvernement, devenu l’article 3 bis du texte de la commission, qui permettra d’harmoniser les conditions de rémunération des médecins libéraux participant à la permanence des soins dans les établissements de santé publics ou privés, tout au moins pour ce qui concerne l’indemnisation forfaitaire de la garde ou de l’astreinte.
Mais j’en viens à présent aux principales mesures relatives à la médecine de ville, qui, toutes, gravitent autour de la question très actuelle de l’exercice pluridisciplinaire de la médecine de proximité.
La SIA, ou société interprofessionnelle ambulatoire, que nous avons renommée SISA, société interprofessionnelle de soins ambulatoires – bien nous en a pris, car nous aurions sinon, comme nous l’a fait remarquer notre collègue Catherine Procaccia, emprunté son sigle au Salon international de l’agriculture ! (Sourires.) – a d’abord été conçue, si nous avons bien compris, pour résoudre le problème du versement et de la répartition des NMR, les nouveaux modes de rémunération, expérimentés, en application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.
Cette nouvelle forme de société offre un cadre juridique minimaliste et néanmoins complexe dans la mesure où il emprunte à la fois à la société civile de moyens, la SCM, et, pour les seules activités exercées en commun, qui seront dans un premier temps limitées, à la société civile professionnelle, la SCP. Elle semble traduire une certaine réticence à l’exercice sociétal, à laquelle il faudra être attentif, car il paraît difficile que l’exercice groupé puisse s’accommoder d’une organisation complètement informelle.
Espérons, en tout cas, que l’affectio societatis ne se limitera pas, dans les SISA, à la nécessité de disposer d’un outil de gestion des NMR.
Quoi qu’il en soit, la commission ne pouvait guère, en une semaine, aller très au-delà de simples aménagements du texte proposé.
Elle a ainsi souhaité réserver aux personnes physiques la possibilité de constituer une SISA, la participation de personnes morales étant susceptible de créer des difficultés tant juridiques que pratiques.
Elle a supprimé le caractère optionnel de la double nature de SCM et de SCP de la société, qui n’aurait pas été source de clarté, ainsi que des dispositions superfétatoires ou dont la singularité ne se justifiait pas, telle la procédure d’enregistrement à l’ARS des statuts des SISA et de leurs avenants.
Enfin, elle a jugé utile de ne pas fermer aux héritiers ou ayants droit d’un associé décédé la possibilité de devenir associés d’une SISA s’ils remplissent les conditions requises.
Mais nous nous sommes aussi beaucoup interrogés sur l’absence de relations entre ces nouvelles sociétés et les ordres professionnels, qui nous paraît inusitée et regrettable. Les ordres professionnels n’étaient en effet même pas mentionnés dans le texte initial. On nous a dit qu’il n’était pas possible, pour des raisons pratiques, d’inscrire les SISA aux tableaux de tous les ordres dont relèveraient leurs associés. Nous le regrettons et souhaitons que soient recherchés les moyens d’y remédier. En tout cas, nous avons voulu garantir dès à présent l’information des ordres sur l’existence et les statuts des SISA.
Pour l’instant, la SISA apparaît encore, il faut l’admettre, comme un outil juridique sans doute perfectible et certainement appelé à évoluer.
L’expérimentation de nouveaux modes de rémunération des personnels de santé, qui doit se poursuivre jusqu’à la fin de l’année 2012, se doublera donc de celle d’une nouvelle forme de société professionnelle, laquelle justifiera sans doute, elle aussi, une évaluation.
Permettez-moi en cet instant, monsieur le président, d’ouvrir une parenthèse pour faire part à M. le ministre de notre souhait d’être informés du déroulement de ces expérimentations et des modalités envisagées pour leur évaluation. Elles devaient faire l’objet d’un rapport annuel au Parlement. Certes, elles n’ont débuté qu’au début de l’année 2010, mais un rapport devait être élaboré à la fin de l’année dernière, et je regrette qu’il ne nous ait pas été communiqué.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Alain Milon, rapporteur. Mais je ferme la parenthèse.
L’article 2 de la proposition de loi prévoit une nouvelle rédaction de la définition des maisons de santé, qui sera la troisième depuis leur création en 2008. Cette partie de l’article n’appelle pas de longs commentaires, d’autant qu’un nouvel amendement du Gouvernement remet en cause à la fois le texte de la commission et celui de la proposition de loi initiale. Mais je voudrais, en revanche, insister sur le problème du partage des informations sur la santé des patients, que pose aussi cet article.
J’ai été un peu surpris – et je n’ai pas été le seul ! – par l’idée selon laquelle l’exercice coordonné au sein d’une structure supposerait un élargissement de la communication des données personnelles et de santé des patients.
La commission n’a pas non plus compris pourquoi le partage des informations sur la santé des patients devrait obéir à des règles différentes selon que les soins de ville sont assurés par des praticiens et des auxiliaires médicaux exerçant individuellement ou par des professionnels regroupés dans une maison de santé.
Nous n’avons pas accepté, en tout cas, de considérer que le consentement au partage des informations médicales pouvait se présumer. À cet égard, je rappelle dans cet hémicycle, comme je l’ai fait en commission, ce que m’avait appris l’un de mes professeurs de médecine : « le secret médical appartient au malade ». J’ajoute que le droit au respect de la vie privée est constitutionnellement protégé.
C’est dans le même esprit que nous avons supprimé l’article 12, qui prévoyait, avec un peu de légèreté, que l’on se passe, jusqu’à l’entrée en vigueur de la proposition de loi dont nous commençons l’examen aujourd’hui, du consentement des patients à l’hébergement des données de santé collectées dans les établissements de soins, ce qui, je viens de le rappeler, serait contraire à une exigence de nature constitutionnelle.
Au moment où l’on espère enfin le démarrage du dossier médical personnel, et pour encourager l’adhésion à un outil qui sera très utile, il nous paraît important de préserver et de renforcer la relation de confiance entre patient et médecin, de ne pas troubler ce « colloque singulier » sans lequel, d’ailleurs, il n’est pas de bonne médecine.
J’en viens à présent au volet social et médico-social de la proposition de loi, qui rassemble, dans les trois derniers articles du texte, des mesures simples et de bon sens. Notre commission les a donc accueillies très favorablement.
L’article 14, tout d’abord, permettra de sécuriser le statut juridique des groupements de coopération sociale ou médico-sociale, les GCSMS, en supprimant une ambiguïté résultant des modifications apportées par la loi HPST et par l’ordonnance de coordination de février 2010, sur la transposition ou non, au secteur social et médico-social, de la distinction entre GCS de « moyens » et GCS « établissements ».
Afin de lever toute incertitude, cet article énonce clairement que le GCSMS n’a pas la qualité d’établissement social ou médico-social. En effet, il n’a pas vocation à devenir un établissement social ou médico-social titulaire d’une autorisation.
Notre commission avait émis de profondes réserves sur la pertinence des GCS « établissements » lors de l’examen de la loi HPST ; nous approuvons donc pleinement cette utile clarification.
L’article 15, ensuite, réécrit la section IV du budget de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, relative au financement des actions de modernisation des établissements et services pour personnes âgées et personnes handicapées, et des actions de formation et de professionnalisation des personnels intervenant auprès de ces publics.
Il supprime la division en deux sous-sections – l’une consacrée aux personnes âgées, l’autre aux personnes handicapées – afin de mutualiser les financements attribués aux mêmes types d’actions. Il donne aussi à la CNSA la possibilité de déléguer, dans certains cas, aux ARS la gestion des crédits correspondants.
Il apporte donc des mesures de rationalisation et de simplification administrative très positives, et qui ont été d’ailleurs élaborées en accord avec la CNSA.
L’article 16, enfin, tend à clarifier la procédure applicable aux transformations d’établissements sociaux ou médico-sociaux. Une lecture combinée des dispositions législatives et réglementaires laisse en effet supposer que certaines transformations – celles qui ne modifient pas la catégorie de bénéficiaires de l’établissement ou du service – peuvent être mises en œuvre sans autorisation préalable. Une telle interprétation ne peut évidemment pas être soutenue, compte tenu des enjeux associés à la nouvelle procédure d’autorisation à laquelle sont attachées de nombreuses protections des personnes accueillies.
Les projets de transformation sans changement de la catégorie de bénéficiaires ne seront donc pas exemptés de la procédure d’autorisation. En revanche, dans un souci d’allégement des démarches administratives, ces projets seront dispensés de l’appel à projet. Cette solution nous a paru équilibrée.
Le temps nous étant compté, monsieur le président, je ne passerai pas en revue les mesures plus ponctuelles, et de nature diverse, que comporte la proposition de loi. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles.
Je voudrais tout de même dire un mot de l’article 9 qui concerne les fondations hospitalières et qui tient particulièrement à cœur à Jean-Pierre Fourcade.
La loi HPST a créé cette nouvelle catégorie de fondations, en s’inspirant des fondations universitaires, pour développer la recherche médicale et promouvoir le transfert de crédits privés vers la recherche publique au sein des établissements publics de santé.
Un décret en Conseil d’État devait fixer les règles générales de fonctionnement de ces fondations hospitalières. Mais le projet de décret soumis au Conseil d’État n’a pas recueilli son assentiment. En effet, il a relevé, à juste titre, que la loi HPST ne permet pas aux fondations hospitalières de s’affranchir de la quasi-totalité des règles applicables aux fondations reconnues d’utilité publique.
L’article 9 tend donc à leur permettre d’y déroger. Il prévoit, par exemple, que les fondateurs disposeront de la majorité au conseil d’administration de la fondation et que les directeurs généraux des ARS auront le pouvoir de contrôler les fonds affectés aux fondations par les établissements publics de santé – et seulement ceux-ci.
Cette nouvelle rédaction ne nous a pas paru satisfaisante. Elle n’apporte en effet, selon nous, aucune garantie ni en matière de prévention des risques ou de conflits d’intérêts, ni sur le plan du contrôle de l’utilisation des fonds publics hospitaliers.
C’est pourquoi la commission a supprimé cet article. Nous avons considéré qu’il n’y avait pas de réelle urgence et qu’il était plus sage d’approfondir la réflexion sur ce point, d’autant que nous pouvons parfaitement nous en tenir au texte actuel de la loi HPST et que d’autres dispositifs juridiques peuvent être utilisés, comme les fondations de coopération scientifique.
J’ajoute d’ailleurs que, pour bénéficier de financements accordés dans le cadre du grand emprunt, le statut requis est celui des fondations de coopération scientifique.
Je mentionnerai également deux articles qui ont été ajoutés par notre commission au texte initial de la proposition de loi.
Le premier, l’article 14 A, prévoit la suppression des groupements de coopération sanitaires « établissements », sur lesquels nous avions exprimé d’assez vives réserves lors de l’examen de la loi HPST et qui ne sont toujours pas convaincants.
Le second, l’article 9 bis, tend à faire avancer l’idée d’une publication des liens d’intérêts entre médecins et laboratoires, sur le modèle des Sunshine Acts américains.
Ce texte, très technique, nous offrait l’opportunité d’améliorer la loi HPST. Nous ne pouvions que la saisir. C’est pourquoi, mes chers collègues, la commission des affaires sociales demande au Sénat d’adopter la proposition de loi dans le texte de la commission, complété par les amendements auxquels elle a donné un avis favorable. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi HPST a profondément modernisé notre système de santé. Elle vise à mettre en place une offre de soins graduée, de qualité, accessible à tous, pour répondre à l’ensemble des besoins de santé de nos concitoyens. Vous le savez, cette loi a été élaborée à l’issue d’un long processus de concertation et d’échanges, les débats issus notamment de la commission Larcher, les échanges des états généraux de l’organisation des soins et les conclusions des rapports Ritter et Flajolet.
Ne nous voilons pas la face : certaines difficultés sont néanmoins apparues dans l’application de la loi et le Gouvernement s’était engagé à apporter les améliorations nécessaires. Cette proposition de loi résulte, en quelque sorte, d’une évaluation plus rapide mais nécessaire à laquelle vous avez décidé de procéder, monsieur Fourcade, et le Gouvernement vous soutient pleinement dans cette démarche.
En effet, elle corrige certaines dispositions qui se sont révélées d’application difficile et introduit des dispositions nouvelles qui sont apparues nécessaires. Le texte porte notamment des mesures issues de la concertation sur la médecine de proximité que nous avons menée, Nora Berra et moi-même, le 6 janvier dernier avec les syndicats de médecins libéraux et les étudiants et internes en médecine générale – vous étiez d’ailleurs présent, monsieur le sénateur.
Comme l’a montré le rapport Hubert remis au Président de la République, les médecins libéraux ont besoin de mesures concrètes, notamment afin de libérer du temps médical et de pouvoir mener à bien leur mission première : soigner.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ce texte permet ainsi de renforcer l’attractivité de la médecine libérale de premier recours, parce que tous les Français souhaitent avoir un médecin près de chez eux, même si je n’oublie pas que, dans la médecine de proximité, il y a non seulement le médecin généraliste, mais aussi les spécialistes et les professionnels paramédicaux.
C’est l’objectif, en particulier, d’un certain nombre de points sur lesquels je souhaite insister.
La création de la société interprofessionnelle de soins ambulatoires : cette nouvelle société instaure un cadre juridique nouveau pour les professionnels de santé médicaux et paramédicaux qui souhaitent tout simplement travailler ensemble. Cette disposition permettra de ne pas exclure du dispositif des nouveaux modes de rémunération les professionnels de santé qui ont choisi d’exercer en société.
Les maisons de santé : elles seront désormais dotées de la personnalité juridique et composées de professionnels médicaux, d’auxiliaires médicaux et de pharmaciens.
Le contrat santé solidarité : la proposition de loi retire la partie coercitive du dispositif et ne maintient que la part incitative du contrat.
Les déclarations d’absence : le texte supprime l’obligation de déclaration des absences programmées des médecins qui exercent en ambulatoire.
Quant aux contrats de bonne pratique, le texte rétablit la base juridique des contrats de bonne pratique et les contrats de santé publique. Il s’agit principalement de pouvoir continuer à rémunérer sur une base satisfaisante les professionnels qui ont souscrit de tels engagements.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, cette proposition de loi est très attendue par les professionnels de santé. (M. Guy Fischer s’exclame.) Ils souhaitent des mesures simples, pragmatiques et efficaces pour favoriser l’exercice médical et paramédical de proximité. Les choix que nous faisons, les choix que vous nous proposez sont des choix d’avenir.
J’en profite, même si cela n’est pas au cœur du dispositif, pour vous dire un mot de l’ordonnance de biologie médicale, point sur lequel je reviendrai devant votre assemblée au cours de l’examen des textes sur la bioéthique.
Lors de la discussion sur le projet de loi relatif à la bioéthique à l’Assemblée nationale, l’adoption d’un amendement a conduit à supprimer cette ordonnance de biologie. Les députés ont voulu ainsi donner un signal afin de soulever plusieurs difficultés posées par celle-ci, notamment la nomination de professeurs des universités–praticiens hospitaliers, de PU–PH, en biologie, les ristournes sur les prix des actes et les prélèvements par les infirmières en cabinet libéral.
Je tiens à rassurer tous ceux qui s’inquiètent de cette situation, en premier lieu les biologistes : le texte est toujours en vigueur aujourd’hui puisqu’il n’y a pas eu de vote du Sénat. Il n’est pas question non plus de supprimer cette ordonnance qui permet d’organiser le fonctionnement de la biologie dans notre pays.
Il faut, nous le savons, retravailler certains points spécifiques de cette ordonnance d’ici au passage au Sénat. Ce sera l’objet des travaux des prochaines semaines en concertation. Monsieur Fourcade, je le dis parce que je sais qu’il y avait de très nombreuses demandes à prendre en compte dans ce texte,…
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Guy Fischer. … de rassurer !
M. Xavier Bertrand, ministre. … oui, de rassurer – je vous rejoins une nouvelle fois, monsieur Fischer, sans vouloir vous compromettre (Sourires.) –, pour avancer dans le cadre d’une médecine au service de nos concitoyens. C’est l’objet de cette proposition de loi, que le Gouvernement soutient totalement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jacques Blanc. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, fruit d’un projet du Gouvernement et de débats très approfondis au Parlement, la loi HPST visait à garantir à tous nos concitoyens l’accès à des soins de qualité, en toute sécurité et sur l’ensemble du territoire.
Cette ambition était majeure notamment face au problème de la démographie médicale. C’est pourquoi si le vote de cette loi a constitué une étape importante, l’essentiel est surtout de réussir sa mise en œuvre, de garantir son application effective et de rendre ses effets tangibles tant pour nos concitoyens que pour l’ensemble des professionnels de santé.
C’est d’ailleurs dans cette perspective que notre collègue Jean-Pierre Fourcade s’est vu confier une mission d’évaluation de la mise en œuvre des mesures relatives à l’hôpital et aux ARS, avec des représentants de l’État, des hôpitaux et des associations.
En attendant la remise du rapport de cette mission en juillet prochain, M. Fourcade propose d’ores et déjà d’apporter à la loi HPST quelques aménagements, non pas tant dans le secteur hospitalier mais, pour beaucoup des articles, sur ce que l’on appelle communément les soins de ville, afin de mettre un terme à certains dysfonctionnements qu’il a pu constater.
Je salue bien entendu l’objectif de cette proposition de loi. Toutefois, je regrette que, sur un sujet aussi important et complexe, traitant de volets très divers et multiples, nous n’ayons eu que quelques jours pour travailler ce texte.
M. Guy Fischer. Entièrement d’accord !
M. Gilbert Barbier. Pourquoi une telle précipitation ? La commission des affaires sociales, malgré toute la bonne volonté de sa présidente, n’a pas pu se saisir sur le fond de plusieurs problèmes…
M. Guy Fischer. Bien sûr !
M. Gilbert Barbier. … qui auraient, pour le moins, nécessité quelques auditions des professionnels concernés. Chacun d’entre nous a pu se rendre compte de l’émoi provoqué par certains articles – et c’est bien compréhensible. En dépit de ces conditions difficiles, le rapporteur a effectué un travail de qualité, s’attachant à faire une synthèse des propositions.
Je partage son analyse et approuve les amendements qu’il a présentés en commission sur de nombreux points, à l’exception de ceux qui concernent la société interprofessionnelle de soins ambulatoires, à l’article 1er, les produits de santé et plus spécialement les prothèses et appareillages dentaires, à l’article 6, ou encore le Sunshine Act, à l’article 9 bis.
Avant d’exprimer mes réserves sur ces points cruciaux, je dois remercier notre collègue Jean-Pierre Fourcade d’avoir proposé de revenir sur deux dispositions de la loi HPST que j’avais combattues en son temps : la pénalité attachée au contrat santé solidarité et la déclaration obligatoire des absences programmées.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Gilbert Barbier. Ces mesures étaient particulièrement vexatoires pour les médecins.
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Gilbert Barbier. Depuis plusieurs années, les solutions au problème de la démographie médicale et de la continuité des soins font débat et, surtout, polémique. Personnellement, et je l’ai toujours dit, je ne crois pas que les mesures coercitives soient de bonnes méthodes dans un contexte de désaffection de la médecine libérale. À mon sens, elles seraient même plutôt dissuasives.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Gilbert Barbier. La carrière de médecin fait certes encore rêver des générations de jeunes gens qui y voient non seulement une manière de gagner leur vie, mais également une forme d’engagement, d’altérité, d’humanisme. En revanche, à la différence de leurs aînés, les jeunes diplômés rejettent le schéma traditionnel du médecin à tout faire, isolé dans son cabinet, corvéable jour et nuit.
M. Jacques Blanc. Ce que nous avons été !
M. Gilbert Barbier. Parmi les nouveaux inscrits à l’Ordre au 1er janvier 2010, moins de 10 % exercent en cabinet isolé, deux tiers ont opté pour une activité salariée et un quart pour des remplacements. Ce faible attrait pour l’exercice libéral se vérifie même en radiologie, discipline pourtant considérée comme la plus lucrative.
Contrairement aux idées reçues, ce qui prime dans le refus de l’installation, ce n’est pas le niveau insuffisant de la rémunération, c’est la charge administrative trop lourde, la solitude de l’exercice ou encore les contraintes des gardes.
En plus d’une grande difficulté d’application, les dispositifs de la loi HPST n’apportent pas de garanties pour une installation durable des professionnels dans les zones sous-denses et remettent en cause le principe de la liberté d’installation. Dans un souci d’apaisement, Roselyne Bachelot avait mis « entre parenthèses » leur application. Aujourd’hui, il est proposé de les supprimer ; je m’en félicite.
Cela étant, je suis conscient que le problème de l’accès et de la continuité des soins est réel dans plusieurs secteurs du territoire, non seulement en milieu rural mais aussi dans les zones suburbaines et les quartiers difficiles. Toutefois, l’organisation doit privilégier le volontariat et l’exercice collectif.
Le rapport d’Élisabeth Hubert – qui a déjà été cité –, remis en novembre au Président de la République, proposait un ensemble de mesures intéressantes. Vous les connaissez, il n’est pas nécessaire de les détailler.
L’article 1er de la proposition de loi tend d’ailleurs à créer une nouvelle forme de société, la SISA, permettant l’exercice en commun de certaines activités par des professionnels de santé relevant de professions différentes.
Je pourrais comprendre l’intérêt immédiat de cet article, qui est de résoudre le problème du versement et de la répartition des rémunérations perçues dans le cadre de l’expérimentation des nouveaux moyens de rémunération.
Avouez qu’à l’heure où nous faisons de la simplification administrative une priorité, inventer une nouvelle structure, de surcroît aussi complexe, n’a rien de très cohérent. Le rapporteur lui-même le disait en commission : « L’examen du statut de la SIA […] a mis mes facultés d’analyse à rude épreuve. »
Quoi qu’il en soit, cet article présente, dans sa rédaction actuelle, de nombreuses incertitudes qui font douter de son application et de son interprétation.
Alors que l’auteur de la proposition avait inclus les personnes morales dans ces structures, la commission a souhaité les réserver aux seules personnes physiques. Quelle est la justification de l’une ou de l’autre de ces positions ?
De même, pourquoi exclure du champ de cette nouvelle forme de société les activités de dépistage et de prévention ?
Se posent bien d’autres questions, sur lesquelles je reviendrai lors de l’examen de l’article.
À mon sens, cette Société interprofessionnelle de soins ambulatoires représente une menace grave pour l’exercice libéral de la médecine. En effet, elle pourra conduire à des abus de dichotomie, signalée dans le texte initial sous le terme de « compérage ». C’est pourquoi j’en propose la suppression.
Un autre point me paraît loin d’être résolu, c’est celui du coût et de la traçabilité des prothèses et appareillages, notamment dentaires.
M. Alain Milon, rapporteur. C’est vrai !
M. Gilbert Barbier. Nous avions longuement discuté de cette question lors de l’adoption de la loi HPST. Bien entendu, je ne remets pas en cause le droit à l’information des patients ni la nécessité d’une plus grande transparence. Je ne nie pas non plus qu’il y a parfois des abus de la part de certains chirurgiens-dentistes.
Mais, là encore, ne complexifions pas inutilement le texte ! On impose aux professionnels de santé de communiquer, de manière dissociée, le prix d’achat de chaque élément de l’appareillage proposé et le prix de toutes les prestations associées. Sachons reconnaître qu’un tel niveau de détail est tout simplement impossible. De surcroît, c’est inutile pour le patient. Quel est l’intérêt de connaître le prix de chacun des éléments d’appareillages, tels que les orthèses et les orthoprothèses, qui peuvent comporter un grand nombre de petites pièces ? De plus, chacun le sait ici, il est aussi facile de contourner la règle !
L’article 6 de la proposition de loi initiale atténuait un peu la rigueur voulue par la loi HPST, en substituant au prix d’achat le coût des matériels. Cette rédaction n’est peut-être pas totalement satisfaisante, mais, si nous supprimons cet article comme l’a souhaité la commission, nous nous privons de la possibilité de revenir sur ce point. Voilà pourquoi j’ai déposé un amendement rétablissant l’article 6 dans la rédaction proposée par Jean-Pierre Foucade, sachant bien que la traçabilité me paraît être l’élément déterminant pour lequel il ne faut pas transiger.
Enfin, l’article 9 bis, inséré sur l’initiative du rapporteur, vise à rendre publics les liens d’intérêts entre les entreprises pharmaceutiques et les membres des professions médicales, sur le modèle du Sunshine Act américain.
Je suis bien évidemment favorable à cette mesure. En matière de santé, plus que pour toute autre, l’indépendance de l’information et de l’expertise est un impératif. Il ne s’agit pas de stigmatiser qui que ce soit, et surtout pas le corps médical. Mais la gestion de la grippe A H1N1 et l’affaire du Mediator montrent clairement qu’un manque de transparence jette le discrédit sur tout un système.
Cela étant, j’aurais préféré que l’on attendît les préconisations de la mission commune d’information « Mediator : évaluation et contrôle des médicaments », récemment constituée par le Sénat. En effet, bien d’autres aspects restent à traiter et la rédaction proposée à l’article 9 bis suscite des questions. Par exemple, comment s’appliquera-t-il aux entreprises étrangères ?
Je rappelle aussi que la mission d’information de la commission des affaires sociales sur les conditions de mise sur le marché et de suivi des médicaments, que j’ai présidée, a rendu en son temps un rapport intitulé « Médicament : restaurer la confiance ». Malheureusement, nous n’avons pas été entendus, monsieur le ministre !
Au-delà des propositions qui nous sont faites aujourd’hui, il est un autre sujet qui mérite d’être évoqué, c’est celui de la responsabilité civile professionnelle médicale. Nous en avons débattu longuement à plusieurs reprises, la dernière fois lors de l’examen de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.
L’article 44 de cette loi est loin d’avoir réglé le problème des « trous » d’assurance. Les médecins restent ainsi exposés à un risque de ruine, tandis que les patients demeurent, eux, exposés au risque d’insolvabilité des praticiens.
Avec d’autres collègues, j’ai déposé régulièrement un amendement prévoyant l’intervention de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, l’ONIAM, dans tous les cas où la couverture d’assurance médicale est épuisée ou expirée, et sans que l’Office puisse obtenir remboursement des sommes. J’ai essayé de le réintroduire dans ce débat, mais j’ai dû passer sous les fourches caudines de l’article 40...
Monsieur le ministre, cette affaire doit trouver sans retard une solution. Elle n’a que trop duré et conditionne la survie de l’exercice libéral de l’obstétrique. Au printemps dernier, votre prédécesseur a confié à M. Gilles Johanet une mission de concertation...
M. Gilbert Barbier. ... et s’est engagé devant nous sur un calendrier : remise du rapport à la fin du mois de janvier 2011 et mise en œuvre des mesures d’application dans les trois mois suivants. Où en est-on aujourd’hui ?
Enfin, permettez-moi un dernier mot sur un problème posé par un amendement de notre collègue Philippe Adnot qui fait écho à un amendement adopté par l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique : je veux parler des conditions d’exercice de la profession de biologiste médical.
Sous l’impulsion des ministres de l’enseignement supérieur et de la santé, ces conditions ont été encadrées de façon très stricte. L’ordonnance prise par le Gouvernement en janvier dernier réserve l’exercice de la profession de biologiste médical aux seuls médecins et pharmaciens titulaires d’un diplôme d’étude spécialisée en biologie médicale ou d’une qualification en biologie médicale délivrée par les instances ordinales au regard des compétences prouvées par les candidats.
Aujourd’hui, certains voudraient créer une troisième voie d’accès en permettant aux personnels enseignants et hospitaliers des CHU, non-titulaires de la formation qualifiante, d’y exercer comme biologistes médicaux et d’assumer la responsabilité de pôles de laboratoires. Rejetée par le Parlement lors de l’examen de la proposition de loi relative aux activités immobilières des établissements d’enseignement supérieur, aux structures interuniversitaires de coopération, et aux conditions de recrutement et d’emploi du personnel enseignant et universitaire en décembre dernier, cette initiative légitime par ailleurs un système dans lequel les chercheurs tendent à se coopter entre eux au travers de critères subjectifs, donnant ainsi une image négative de notre système hospitalo-universitaire à l’international.
L’abrogation de l’ordonnance portant réforme de la biologie médicale par un amendement adopté à la sauvette, sans justification sur l’ensemble du texte, à l’occasion de l’examen d’un texte, le projet de loi relatif à la loi bioéthique, n’ayant aucun lien direct avec le sujet, a provoqué l’émoi de toute la profession. Je peux le comprendre. Mais chassez-le par la porte, il revient par la fenêtre !
Monsieur le ministre, il n’est pas raisonnable de laisser remettre en cause, pour des raisons obscures, une réforme qui s’inscrit dans une démarche de qualité, de sécurité sanitaire et de santé publique. De surcroît, cette méthode est méprisante pour le travail de fond qui a été réalisé pendant plus de deux ans par le ministère, en concertation avec l’ensemble des acteurs de la biologie médicale française.
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques observations que je souhaitais faire sur cette proposition de loi et que j’aurai l’occasion de développer lors de l’examen des articles. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà moins de deux ans, le Parlement adoptait le projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoires », censé réformer l’organisation hospitalière, sanitaire et médico-sociale.
Loin de la satisfaction partagée entre le Gouvernement et les parlementaires de sa majorité, rappelez-vous, cette loi a finalement réuni contre elle l’ensemble des professionnels de la santé, des infirmiers aux mandarins, au sein des établissements du public comme du privé non commercial, et a soulevé la colère légitime des associations de patients, d’usagers et d’élus locaux.
Pour notre part, pour reprendre la formule employée alors par mon ami François Autain, nous étions convaincus qu’avec cette loi « tout convergeait vers la privatisation de notre système de santé ». Notre conviction n’a pas changé depuis et, chaque jour, on observe la manière dont cette privatisation inavouée gagne du terrain.
Il faut dire que cette loi part d’un postulat que nous récusons, selon lequel la santé devrait être subordonnée à une logique comptable. Mais notre opposition à cette règle n’exclut naturellement pas la recherche de solutions destinées à réaliser des économies dans les secteurs sanitaires et médico-sociaux, à condition toutefois qu’elles ne se fassent pas sur le compte des personnels, qui sont des acteurs incontournables de la santé, ou encore sur celui de nos concitoyens.
Or vos politiques successives se sont toutes traduites par une réduction aveugle des moyens, entraînant une réduction importante dans l’accès aux soins.
M. Guy Fischer. Monsieur le ministre, votre obsession de transformer l’hôpital public en entreprises de soins inspirées du modèle privé commercial...
M. Guy Fischer. ... vous a conduit à imposer la tarification à l’activité, ou T2A, et la convergence public-privé.
Ces deux mesures constituent aujourd’hui de véritables handicaps pour les hôpitaux publics et sont lourdes de conséquences pour nos concitoyens. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Je ne prendrai que deux exemples.
Il aura fallu attendre l’adoption de la dernière loi de financement de la sécurité sociale pour qu’il soit enfin précisé que la convergence public-privé ne devait s’appliquer qu’en faveur des prix les plus bas, et non pas automatiquement en appliquant au secteur public les tarifs du secteur privé. Cette évolution souhaitable constitue la démonstration que votre priorité résidait moins dans la réalisation de quelques économies que dans votre volonté toute dogmatique d’assimiler en tout point le privé au public.
À cet effet, je tiens d’ailleurs à rappeler que votre gouvernement s’est toujours opposé à l’intégration des tarifs des professionnels de santé aux tarifs des établissements privés lucratifs. Cette distinction artificielle permet de faire croire que les actes réalisés dans le privé coûtent moins cher, mais c’est oublier que les prix pratiqués dans le public s’entendent « tout compris », c’est-à-dire qu’ils intègrent les honoraires des médecins. Si vous tenez tant à comparer les tarifs du public et du privé, vous ne devez pas craindre de faire une comparaison intégrale !
Le second exemple porte sur la T2A. Ce mode de financement qui repose sur l’activité réalisée au sein des établissements n’est pas adapté à certaines activités hospitalières. Je pense particulièrement aux soins palliatifs, pour revenir à un débat que nous avons eu récemment.
Selon M. Gérard de Pouvourville, professeur au département Management de la Santé, ce système « pousse à l’efficience [mais avec] un risque de sous-prise en charge des patients » et une incitation à « fractionner les séjours », ce qui est naturellement impossible dès lors qu’il s’agit de soins palliatifs.
La Cour des comptes le reconnaît elle-même dans l’un de ses rapports : « Le système pourrait déboucher sur une éventuelle dégradation de la qualité des soins prodigués ou sur une sélection des patients, pour éviter de prendre en charge les cas les plus lourds. ». C’est ce que nous observons bien souvent.
Par ailleurs, et nous ne sommes pas les seuls à le penser, la T2A a des effets pervers sur les comptes sociaux. Un rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances a déjà souligné qu’elle pouvait entraîner une inflation des soins.
Chaque maladie traitée rapportant une somme déterminée à l’hôpital, la T2A favorise, par exemple, l’augmentation artificielle des durées d’hospitalisation pour les pathologies rémunérées à la journée, encourage à tirer le diagnostic vers l’affection la plus lucrative ou à fragmenter la prise en charge pour multiplier les factures, ou encore à réaliser des actes qui ne sont pas indispensables.
En somme, il s’agit d’inciter les établissements à faire du chiffre, et cela d’autant plus que, depuis l’adoption de la loi HPST, le directeur général de l’agence régionale de santé peut décider de placer les établissements rencontrant des difficultés financières sous tutelle administrative.
D’une manière générale, la T2A organise une concurrence entre les cliniques commerciales et les hôpitaux publics. Une concurrence déloyale puisque ces derniers sont obligés de prendre en charge toute l’année, sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre tous les patients qui se présentent, alors que le secteur à but lucratif peut choisir les patients les plus rentables. Autrement dit, comme le souligne M. Gérard de Pouvourville, docteur en économie et administration des entreprises, les hôpitaux publics sont « pénalisés » par le fait de ne pouvoir choisir leurs patients.
On le voit bien, ces deux éléments que sont la convergence des tarifs et la rémunération à l’activité et qui constituent l’ossature de votre politique sanitaire jouent contre l’hôpital public, c’est-à-dire contre les seules structures capables d’assurer l’égalité entre nos concitoyens en matière d’accès aux soins. Je tenais à le réaffirmer en prélude à notre discussion.
À cet égard, la proposition de loi présentée par notre collègue Jean-Pierre Fourcade n’apporte aucune solution. Elle entérine ce modèle économique que nous ne pouvons que contester.
Par ailleurs, mes chers collègues, si nous avons, un temps, cru ou tout du moins espéré que cette proposition de loi allait apporter des réponses concrètes aux difficultés que rencontrent nos concitoyens pour accéder aux soins, aujourd’hui nous sommes déçus.
Il s’agit pourtant d’un enjeu capital, puisque l’accès aux soins se dégrade encore malgré la loi HPST, malgré les règles incitatives que vous n’avez de cesse de développer.
Lors de l’examen du projet de loi HPST, la majorité sénatoriale avait supprimé les peu nombreuses avancées obtenues à l’Assemblée nationale.
Aujourd’hui, par cette proposition de loi, elle entend supprimer les quelques mesures, certes symboliques, qui avaient résisté à son examen, en supprimant les sanctions en cas de non-respect des contrats solidaires. Nous y sommes ! Il s’agit avant tout de donner au secteur libéral tous les gages nécessaires.
Mes chers collègues, tout cela donne l’impression que vous refusez, malgré les rapports Hubert et Vallancien, de prendre à bras-le-corps l’important dossier de la médecine libérale.
Le système actuel est à bout de souffle et ne permet pas de répondre aux besoins de nos concitoyens, qui sont pourtant clairement définis et limités à trois questions fondamentales : la permanence des soins, la persistance et l’extension des zones sous-médicalisées, ainsi que l’explosion des dépassements d’honoraires. Vous refusez pourtant d’en parler !
Pour nous, la permanence des soins doit continuer à être considérée comme une mission de service public. Il s’agit d’une exigence de qualité et d’égalité entre nos concitoyens, seule capable de rendre opposable une telle notion. Il s’agit pour nous non pas de contraindre les médecins,…
M. Guy Fischer. … mais d’assurer la satisfaction des besoins en santé. C’est pourquoi nous considérons que cette exigence ne peut être facultative.
S’agissant des déserts médicaux, il y a fort à parier que, malgré l’adoption probable de cette proposition de loi, ils ne se résorberont pas. Bien que nous n’ayons pas voté en faveur des contrats santé solidarité, considérant qu’ils étaient difficiles à instaurer, nous avons tout de même été surpris d’apprendre par voie de presse que la ministre de la santé de l’époque, Mme Bachelot-Narquin, avait décidé seule – ce point a été confirmé –, à l’occasion d’un congrès des médecins généralistes réunis à Nice, de ne pas les mettre en œuvre.
Je veux réaffirmer ici notre opposition à ce type de procédé. Le Gouvernement ne peut pas décider seul de surseoir à l’exécution d’une mesure adoptée par le Parlement. Au moins cette proposition de loi a-t-elle le mérite de clarifier les choses, en envoyant – c’est ainsi que nous le comprenons – un signal fort en direction des médecins, qui sont de potentiels électeurs.
Car, à vrai dire, les articles concernant les soins de premier recours, que M. le rapporteur considère comme le cœur de cette proposition de loi, ne nous semblent pas suffisants. Le fait de permettre à une société civile, composée de médecins et d’auxiliaires médicaux, de bénéficier de financements de la part de l’assurance maladie ne constitue qu’une incitation marginale à l’exercice regroupé.
M. le rapporteur l’a très bien expliqué, ce mode d’exercice est aujourd’hui plébiscité. De plus en plus de jeunes médecins se déclarent intéressés, dans la mesure où il permet à la fois la complémentarité des pratiques et la rupture avec un certain isolement. Ces praticiens sont également de plus en plus nombreux à refuser de s’inscrire dans un schéma où ils seraient d’abord et avant tout des gestionnaires de structures ou des entrepreneurs.
Cela explique sans doute pourquoi ils sont de plus en plus nombreux à accepter une pratique longtemps décriée, celle de l’exercice salarié. Les éléments chiffrés que vous avez donnés, monsieur Milon, parlent d’eux-mêmes. Peut-être cette nouvelle société de moyens donnera-t-elle envie à des médecins d’exercer de manière regroupée. Toutefois, la question que nous devons nous poser est en réalité la suivante : cela suffira-t-il à repeupler les déserts médicaux ? Nous répondons par la négative, car la création de ce nouveau cadre vise en réalité à empêcher toute remise en cause du dogme auquel les représentants des médecins libéraux sont très attachés, celui de la liberté d’installation.
Selon nous, il est temps que ce concept évolue. Il n’est en effet pas acceptable qu’en raison de ce principe, lié à un exercice libéral de la médecine, les pouvoirs publics ne disposent pas des outils leur permettant d’assurer un autre principe, bien plus important à nos yeux : celui de l’accès de tous à une médecine de proximité.
Les politiques incitatives que vous avez développées depuis des années présentent deux inconvénients : d’une part, celui de reposer exclusivement sur les financements des collectivités locales et territoriales, ce qui revient à appliquer à la médecine de proximité la fracture sociale liée aux richesses des territoires ; d’autre part, celui, majeur, de n’avoir aucun effet concret. Nous sommes aujourd’hui dans une situation paradoxale : alors qu’il n’y a jamais eu autant de médecins, les besoins non satisfaits n’ont jamais été aussi grands.
C’est pourquoi nous vous proposerons au cours de nos débats un certain nombre d’amendements tendant à limiter l’installation des médecins dans les zones sur-denses et à encadrer les conditions de leur installation. Je ne me fais aucune illusion sur leur adoption ! (Sourires au banc des commissions.)
En effet, il n’y a plus lieu d’attendre. Selon les projections, tout porte à croire que le nombre de médecins de premier recours aura mécaniquement tendance à décroître. Selon les atlas régionaux de la démographie médicale, le nombre total des médecins en activité devrait effectivement diminuer de 10 % à l’horizon 2025. Si la densité médicale était de 275 généralistes pour 100 000 habitants en 1985 et de 340 praticiens en 2005, toutes les études prévoient, à l’horizon 2025, qu’elle tombera à 283 généralistes pour 100 000 habitants, soit un taux à peine supérieur à celui du milieu des années quatre-vingt, alors que les besoins ont considérablement augmenté, notamment en raison du vieillissement de la population. Refuser d’agir aujourd’hui, c’est prendre le risque que, demain, la situation ne s’aggrave une nouvelle fois.
Enfin, le dernier enjeu est celui de l’accès aux soins à des tarifs opposables. Cette question est primordiale, dans la mesure où l’explosion des dépassements d’honoraires fait courir le risque d’une médecine à double vitesse – je pense plus particulièrement aux spécialistes –, écartant des soins celles et ceux qui ne disposeraient pas des ressources financières à la hauteur de leur état de santé.
À l’occasion des débats sur le projet de loi HPST, nous avions proposé que l’accès à des tarifs opposables constitue un élément essentiel pour déterminer le schéma régional de l’organisation sanitaire. Vous vous y étiez opposés, laissant perdurer une situation inacceptable et envoyant un très mauvais signal aux professionnels de santé, qui restent libres de déterminer en leur âme et conscience si les dépassements qu’ils pratiquent sont conformes au tact et à la mesure.
Aujourd’hui, certains préconisent d’autoriser la modulation du prix de la consultation en fonction de l’importance de celle-ci. Nous y sommes opposés, considérant que cela reviendrait de fait à autoriser les médecins à pratiquer des tarifs discriminatoires ou, dans le meilleur des cas, à faire naître le doute chez le patient, qui, par définition, a besoin de faire confiance à son médecin.
De la même manière, nous ne considérons pas que le secteur optionnel soit de nature à résoudre ce que l’IGAS qualifiait dans son rapport de 2007 de « recul de la solidarité nationale contraire aux principes fondateurs de l’assurance maladie ». Pour nous, ce nouveau secteur vise à inciter les médecins pratiquant les tarifs conventionnels à imposer des dépassements d’honoraires légalement autorisés et dont le pendant est naturellement une prise en charge par les complémentaires santé. (Mme Lucienne Malovry et M. Jacques Gautier martèlent leur pupitre en signe d’impatience.) On le sait, le transfert de la solidarité nationale, assurée par la sécurité sociale, vers la capacité financière des patients, par le biais des contrats complémentaires, est de nature à accroître les inégalités sociales en matière de santé.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Guy Fischer. Je n’ai pas dépassé mon temps de parole, monsieur le président.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Mais si ! De plus d’une minute !
M. Guy Fischer. C’est pourquoi nous considérons qu’il est impératif d’agir aujourd’hui et avec courage pour garantir l’accès de toutes et tous aux tarifs conventionnés.
De tout cela, cette proposition de loi ne parle pas. Elle se limite à une correction à la marge de la loi HPST, son auteur se refusant d’agir sur l’essentiel. Pendant que nous débattons de ce texte, les hôpitaux publics subissent des plans de rigueur sans précédent, et continueront à les subir demain. Les patients continuent à être victimes de discrimination en matière d’accès aux soins, en fonction de leur origine, leur régime d’assurance, leurs ressources financières ou leur lieu de résidence. Cela continuera demain, malgré l’adoption de cette proposition de loi.
S’il fallait, mes chers collègues, ne retenir qu’un seul terme pour résumer ce texte,…
M. le président. Concluez, monsieur Fischer !
M. Guy Fischer. … ce serait sans doute celui de « reconquête », choisi par Le Quotidien du médecin dans un article en date du 14 février dernier, où l’on apprend que la proposition de loi est destinée à « arrondir les angles » entre la majorité et les médecins.
Vous comprendrez aisément que, dans ce contexte, et parce que l’objet de la présente proposition de loi n’est pas la satisfaction des besoins et attentes légitimes de nos concitoyens, nous voterons contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Roselle Cros, que je suis heureux d’accueillir à l’occasion de sa première intervention à la tribune. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Roselle Cros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nouvelle arrivée dans cet hémicycle et membre de la commission des affaires sociales, je suis d’emblée plongée depuis trois semaines au cœur d’enjeux sociétaux déterminants pour notre pays, notamment en matière de démographie médicale, sujet dont nous traitons aujourd’hui.
En effet, ne nous y trompons pas, cette proposition de loi porte principalement sur cette question. Premier bilan de la loi HPST du 21 juillet 2009, ce texte, dont les sujets sont divers, ne revient absolument pas sur la partie centrale de la loi, à savoir la gouvernance, les principaux articles portant sur le volet ambulatoire, sur lequel je concentrerai mon propos.
Comment lutter contre la désertification médicale et, donc, préserver l’accès aux soins et leur qualité ? Telle est la question posée. Nous sommes déterminés à résoudre ce problème, qui suscite une inquiétude grandissante au sein de la population. La Haute Assemblée en ayant pris conscience a d’ores et déjà consacré à ce sujet une séance de questions cribles.
Je rappelle que la proposition de loi du groupe Union centriste relative à l’organisation de la médecine du travail avait également pour objet de répondre à un problème spécifique de démographie médicale.
Enfin, lors de la question orale du 12 janvier dernier sur la ruralité, Bruno Lemaire a admis que l’égal accès aux soins sur l’ensemble du territoire était une priorité absolue.
Dans la perspective de cette prise de conscience politique largement partagée, la présente proposition de loi, qui paraît encore perfectible sur certains points, est porteuse d’avancées. Elle se place dans une logique d’améliorations progressives permises par les retours d’expérience.
Nous ne pouvons ainsi que souscrire à ses deux premiers articles, qui visent à faciliter l’exercice collectif de la médecine ambulatoire.
En créant la SISA, la société interprofessionnelle de soins ambulatoires, l’article 1er répond à un besoin juridique des professionnels de santé relevant de professions différentes et désireux de s’associer. Aujourd’hui, aucun cadre ne semble satisfaire aux contraintes juridiques et fiscales de tels groupements, ce qui constitue un frein, en particulier pour les jeunes praticiens.
Bien sûr, la SISA n’est peut-être pas la solution miracle, mais elle mérite d’être expérimentée, quitte à ce que le législateur en modifie encore le régime dans l’avenir.
L’article 2, qui vise à préciser le statut des maisons de santé, précédemment modifié par la loi HPST, va dans le même sens.
Je voudrais en cet instant saluer le sérieux et l’excellent travail technique fourni par notre commission des affaires sociales, en particulier par le rapporteur M. Alain Milon, sur ces deux articles.
Ce travail se révèle d’autant plus fondamental que, à terme, – chacun de nous en a bien conscience – nous ne ferons reculer les déserts médicaux qu’en développant l’exercice regroupé et interprofessionnel de la médecine ; c’est une demande des jeunes praticiens, confrontés à l’accroissement de la complexité de leur métier.
En attendant que la pratique médicale évolue en ce sens de façon généralisée, comment influer sur la répartition de l’offre de soins ? Entre incitation et sanction, le cœur des pouvoirs publics balance, semblant désormais pencher pour l’incitation.
Sans vraiment porter atteinte à l’exercice libéral, la loi HPST avait institué des mesures quelque peu contraignantes, sur lesquelles la présente proposition de loi entend revenir, les praticiens les ayant très mal vécues.
Adoptant une position centriste, je crois que, sur ce thème, il faut être nuancé. (M. Jean Arthuis sourit.)
Commençons par employer les termes justes. L’article L. 1434–8 du code de la santé publique prévoit une contribution financière en cas de refus de signature d’un contrat santé solidarité ou de manquement aux obligations qu’il comporte.
Cette contribution ne doit pas être qualifiée de sanction. Ce terme a pu choquer le milieu médical, ce qui se comprend. Les médecins n’acceptent d’être sanctionnés que par leurs pairs. Parlons plutôt de pénalité.
En effet, que nous propose-t-on ?
L’article 3 de la proposition de loi supprime la contribution afférente au contrat santé solidarité. Dans la loi, cette pénalité est encourue par les praticiens à la fois en cas de refus de contractualisation et en cas de non-respect des obligations contractuelles.
Nous approuvons la suppression de la pénalité pour refus de contractualiser. Les médecins sont libres et doivent le demeurer. La base de la contractualisation doit être le volontariat.
M. Jacques Blanc. Très bien !
Mme Roselle Cros. En revanche, il est excessif de supprimer également la pénalité pour non-respect des obligations contractuelles. Il est bien naturel que, comme dans n’importe quel cadre contractuel, le respect des engagements soit assuré. La pénalité n’est qu’une garantie supplémentaire de l’efficacité d’un contrat.
Nous vous présenterons un amendement de compromis en ce sens, amendement qui, soit dit en passant, ne fait que reprendre la position qui avait été celle de notre commission des affaires sociales lors de l’examen de la loi HPST.
L’article 4 de la proposition de loi supprime l’obligation faite aux médecins de déclarer leurs absences programmées dans le cadre de la permanence des soins. Ce faisant, le législateur laisse le conseil de l’Ordre organiser librement cette permanence à l’échelon départemental, sans s’ingérer. Il n’y a rien de choquant à cela ; bien au contraire, c’est une mesure de bon sens.
Il ne faut pas sous-estimer la conscience que les médecins ont de leurs devoirs. Pour la plupart d’entre eux, il est impensable de ne pas organiser leurs départs en vacances, soit, pour les généralistes, en installant un remplaçant dans leur cabinet, soit en renvoyant à un autre généraliste confrère ou, s’ils sont dans l’impossibilité de le faire, en faisant appel au conseil de l’Ordre, et ce sans que la loi les y oblige.
Il faut rendre hommage au sens des responsabilités des médecins, qui n’abandonnent pas leurs patients et se soucient de la continuité des traitements.
Concernant le problème posé par l’article 6 en matière d’information des patients, le Sénat, en général, et le groupe Union centriste, en particulier, étaient et restent très attachés à l’avancée consistant à exiger des professionnels de santé fournisseurs de prothèses, tels que les chirurgiens-dentistes, qu’ils indiquent, de manière dissociée, le prix d’achat de chaque élément de l’appareillage proposé et le prix de toutes les prestations associées. (M. Jean-Pierre Fourcade s’exclame.)
C’est pourquoi non seulement nous défendons le maintien, dans sa rédaction actuelle, de l’article L. 1111–3 du code de la santé publique, mais nous soutiendrons également l’amendement de notre collègue Marie-Thérèse Hermange, qui vise à garantir la traçabilité des produits de santé concernés. Trop de doutes subsistent à l’heure actuelle sur la nocivité ou la fiabilité de certains dispositifs.
En contrepartie de l’abandon de la logique de la sanction, la proposition de loi qui nous est soumise renoue avec une logique d’incitation financière puisque son article 5 rétablit les contrats de bonne pratique et les contrats de santé publique, ce à quoi nous sommes évidemment favorables en dépit des faibles résultats auxquels ils ont abouti. Il conviendra sans doute de faire un effort de communication et d’information en direction des jeunes praticiens pour les leur faire connaître.
Concernant le budget de la CNSA, je voudrais faire part de mon inquiétude relative à la porosité croissante que l’on observe depuis quelque temps entre les budgets du handicap et ceux des personnes âgées.
Nous connaissons les besoins exponentiels des secteurs de la dépendance et du grand âge – nous en avons débattu cette semaine –, mais, dans l’attente de la réforme, rien ne justifie les tentatives successives de ponction sur le budget du handicap.
Monsieur le ministre, s’il est utile de renforcer la professionnalisation des métiers de services, est-il vraiment plus rationnel de fusionner les lignes budgétaires de la formation des professionnels des établissements et services pour personnes âgées avec celles des personnes handicapées ?
Outre le fait qu’une fusion budgétaire a rarement pour objectif d’augmenter les crédits, la formation de ces professionnels n’est pas et ne doit pas être la même, car nous avons affaire à des publics différents.
Si, dans le secteur de la dépendance, il faut former les professionnels à lutter contre la perte d’autonomie des personnes âgées, dans le secteur du handicap, les professionnels doivent être formés pour aider les personnes handicapées à conquérir leur autonomie. Ce n’est pas du tout la même chose !
Cette observation n’a rien d’audacieux puisque le Président de la République a lui-même, dans son récent discours d’introduction au débat sur la dépendance, souhaité dissocier le handicap, qui concerne souvent des populations jeunes, du grand âge, le handicap continuant de relever de la solidarité nationale, le grand âge nécessitant de nouveaux financements.
En conclusion, vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, sous réserve des observations que je viens de faire et des amendements qui seront votés, le groupe Union centriste accueille favorablement le présent texte. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.
M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Président de la République, lors de son déplacement à Orbec, dans notre belle Normandie,…
M. Jacky Le Menn. … à la fin de l’année dernière, inquiet de la crise « identitaire » de la médecine de proximité, donc des médecins libéraux, qu’il déclara vouloir « soigner très vite », inquiet surtout des dégâts électoraux risquant d’être générés par son « désamour » vis-à-vis de cette partie du corps médical, dont la représentation syndicale majoritaire n’acceptait pas certaines dispositions de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, annonça urbi et orbi un certain nombre de mesures à prendre toutes affaires cessantes.
Parmi celles-ci, certaines devaient concerner la toute fraîche loi HPST adoptée en juillet 2009, notamment les dispositions destinées à enrayer la désertification médicale, moyennant quelques contraintes âprement discutées lors du débat parlementaire.
Ces dispositions qui visaient à crédibiliser la volonté du législateur dans son objectif de s’attaquer à ce fléau que représente pour nos concitoyens, en milieu rural comme dans de nombreux quartiers et banlieues de nos grandes métropoles, la désertification médicale osaient en effet, timidement, introduire une pénalisation financière à l’encontre des médecins récalcitrants ou pour le moins allergiques à l’idée de devoir, dorénavant, prendre réellement part à la résolution de cette lancinante question de la désertification médicale.
La Confédération des syndicats médicaux français, la CSMF, était irritée, vent debout, même, contre cette loi HPST pour des raisons évidemment bien différentes de celles qu’avait avancées l’opposition parlementaire à l’époque de son examen par les deux assemblées.
Donc, la CSMF, qui entend, nous rapporte la presse, « nettoyer la loi HPST »,…
M. Guy Fischer. Et voilà ! Ils trouvent que nous n’allons pas assez loin !
M. Jacky Le Menn. … manifesta spectaculairement son courroux lors de sa seizième université d’été, tenue à Cannes en septembre dernier, en omettant d’inviter, ce qui était pour le moins fort inélégant, la ministre de la santé alors en exercice. C’était une première, même si vous étiez vous-même présent, monsieur le ministre.
L’orage grondait, il fallait faire vite !
C’est dans ce contexte de « prurit » préélectoral, à quelques semaines des échéances cantonales et, plus important encore, à un an d’autres échéances majeures, que nous devons situer la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui.
Cette proposition de loi a donc été coincée dans une niche parlementaire sénatoriale de la majorité,…
M. Jacques Blanc. Pourquoi « coincée » ?
M. Jacky Le Menn. … niche opportunément dégagée, pour que, en quatre heures, la messe soit dite, pour que des propositions soient adoptées, pour que la loi HPST soit « nettoyée » de ses scories litigieuses et pour que le Président de la République soit satisfait, le corps médical libéral, enfin apaisé, devant tout naturellement retrouver au plus vite le droit chemin, qu’il n’aurait jamais dû quitter, du soutien sans faille, ou plutôt sans grogne, à la politique présidentielle dans le champ de la santé, du moins pour ce qui est de son versant impliquant la médecine libérale.
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. Jacky Le Menn. Le président du comité de suivi de la réforme de la gouvernance des établissements publics de santé, tel que prévu par l’article 35 de la loi HPST, n’écoutant que son devoir, nous concocta aussitôt une proposition de loi visant à corriger les quelques dispositions dérangeantes contenues dans la loi Bachelot.
Ce président, notre collègue Jean-Pierre Fourcade, que je salue, a bien pris soin de faire connaître à la presse qu’il avait fait cette proposition à titre personnel – ce qu’il a rappelé voilà quelques instants –, et pas au nom du comité de suivi.
M. Guy Fischer. Ça…
M. Jacky Le Menn. J’en prends acte.
L’affaire, à savoir les corrections des aspérités dérangeantes de la loi HPST, était trop urgente et ne pouvait attendre le mois de juillet de cette année que l’important travail de maturation et d’élaboration du rapport du comité de suivi soit arrivé à son terme et présenté dans sa cohérence d’ensemble devant la représentation nationale.
Bref, il fallait calmer les démangeaisons préélectorales élyséennes et l’onguent que constitue cette proposition de loi devait pouvoir convenir.
Certes, notre collègue Jean-Pierre Fourcade, dont on connaît la sagesse, a organisé sa proposition de loi autour des trois objectifs qu’il nous a rappelés : mieux organiser les soins, améliorer le domaine de compétences des ARS et simplifier les mécanismes du secteur médico-social. Mais il en aurait été de même au mois de juillet, si ce n’est que les propositions auraient sans doute été plus affinées et, peut-être, plus pertinentes.
Mes collègues interviendront dans cette discussion générale, mais aussi tout au long de l’examen des différents articles, pour préciser les positions de notre groupe sur les diverses dispositions proposées dans ce texte.
Je me limiterai donc à souligner quelques traits particulièrement significatifs de cette proposition de loi après en avoir déploré la rédaction précipitée.
Dans l’ensemble, il s’agit d’un habillage argumentatif sommaire, « limite » sur le plan juridique, compilation de propositions masquant mal l’objectif principal recherché dont j’ai fait état au début de mon intervention, malgré l’utilisation de quelques faux nez sémantiques.
D’abord, comme notre rapporteur, je noterai, concernant les articles consacrés à l’organisation des soins de premier recours, qu’ils constituent le cœur de cette proposition de loi. Ce sujet est effectivement d’actualité ; il a trait à l’exercice pluridisciplinaire de la médecine de proximité et, ce faisant, aurait mérité un traitement particulièrement adapté aux attentes de nos concitoyens comme à celles des professionnels concernés.
Or je suis resté particulièrement interloqué devant la rédaction initiale de l’article 1er, par lequel il nous est proposé de créer une SIA, autrement dit une société interprofessionnelle ambulatoire, qui sera fort heureusement rebaptisée SISA, à savoir société interprofessionnelle de soins ambulatoires, par la commission des affaires sociales sur proposition de son rapporteur, très vigilant.
Il s’agit, nous dit-on, de créer une catégorie juridique idoine dans le droit des sociétés pour « résoudre le problème du versement et de la répartition des rémunérations perçues dans le cadre de l’expérimentation des “nouvelles modalités de rémunération”, les NMR, prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 ».
À la lecture de cet article, il me revint à l’esprit une boutade de notre collègue Paul Blanc, qui ne manque pas d’humour,…
M. Jacques Blanc. En effet !
M. Jacky Le Menn. … à propos d’un autre texte visant à transposer dans notre droit national des dispositions propres à la législation européenne : « Pourquoi faire compliqué lorsqu’on peut faire inextricable ? » (Mme Raymonde Le Texier sourit et M. Guy Fischer applaudit.)
Un morceau d’anthologie : il a fallu pas moins de douze amendements de notre rapporteur, adoptés par la commission des affaires sociales, pour rendre cet article 1er présentable. Cette restauration, en quelque sorte tégumentaire, de l’article 1er initial, destinée à offrir un cadre juridique permettant à des professionnels de santé d’exercer en commun, fera sans doute école dans les savants séminaires de préparation de nos futures élites énarchiques.
Mon groupe ne votera pas l’article 1er, même reconfiguré par notre commission des affaires sociales. En effet, nous restons persuadés qu’il est possible d’élaborer un mécanisme plus simple, permettant la perception et la répartition des rémunérations en cause et pour que s’engage une véritable réflexion de fond sur le cadre juridique dans lequel doit s’exercer la médecine de proximité.
Je relève aussi la rédaction, pour la troisième fois consécutive depuis 2008, d’une définition des maisons de santé créées par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008. Comme notre rapporteur, je pense également qu’il eût été utile, puisqu’on s’essayait à ce type d’exercice, de préciser les statuts des pôles de santé et des réseaux de santé.
Notre commission des affaires sociales a réécrit l’article 2, mais il faudra bien, un jour, remettre l’ouvrage sur le métier si nous voulons donner une cohérence d’ensemble à des propositions normatives permettant d’assurer une véritable organisation des soins de premier recours dans notre pays, ce que nous cherchons en vain dans cette proposition de loi.
À ce niveau, il semble opportun de rappeler que l’article 36 de la loi HPST a défini à la fois les soins de premier recours et les missions du médecin généraliste de premier recours.
Nous l’avions dit à l’époque, quand nous avions abordé cet article au cours de la discussion du projet de loi HPST, la portée normative de ces définitions législatives n’apparaît pas clairement.
Depuis, les spécialistes de ce type de questions l’ont à leur tour relevé. Ainsi, M. Pierre-Louis Bras, professeur associé à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, a fait remarquer, dans une publication professionnelle, que lesdites définitions législatives avaient, pour l’essentiel, valeur de symbole. Il a ajouté que l’enjeu majeur semble avoir été de reconnaître l’importance des soins primaires mais aussi le rôle éminent joué par les médecins généralistes dans leur dispensation.
Faut-il y voir l’influence du syndicat MG France qui, depuis sa constitution, cherche à affirmer les spécificités de la médecine générale ? Il y a tout lieu de le penser.
Du reste, les pharmaciens d’officine, soucieux de bénéficier d’une même reconnaissance législative, ont pu, à l’époque, également obtenir l’inscription, à l’article 38 de ladite loi, de la définition de leur mission.
Quoi qu’il en soit, s’il est certainement regrettable que la loi soit utilisée non pour établir strictement des droits ou fixer des normes, mais pour témoigner, de façon quelque peu incantatoire, d’une reconnaissance, l’accent mis sur les soins de premier recours est en phase avec de nombreuses réflexions qui insistent sur leur rôle déterminant pour garantir l’efficacité et l’équité du système de soins dans sa globalité.
Vaste question donc, que les articles qui nous sont soumis aujourd’hui dans cette proposition de loi, largement reconfigurée par notre commission des affaires sociales, n’épuisent pas, loin de là !
Cette question méritera d’autres débats et d’autres approches, si nous voulons offrir à nos concitoyens une médecine de proximité et une organisation des soins de premier recours de grande qualité.
Je poursuivrai en évoquant rapidement les fondations hospitalières, autre sujet mis à mal dans sa version HPST par le Conseil d’État. Cette proposition de loi essaye, non sans mal, de revoir leur statut. Ces fondations ont été créées par la loi HPST pour faciliter l’organisation du financement de la recherche médicale et permettre son développement. Il existait déjà des fondations de coopération scientifique, pourquoi un autre dispositif ? La question peut se poser.
De toute façon, comme je l’ai rappelé en commission des affaires sociales, c’est la question d’ensemble, question fondamentale, du niveau global du financement de la recherche en France qui est posée. Et, me semble-t-il, on ne pourra pas résoudre la question du financement de la recherche médicale d’une manière indépendante du financement de l’ensemble de la recherche.
La question est bien aujourd’hui, plus que jamais, de savoir quelle part de son PIB la France entend consacrer à la recherche pour continuer à se maintenir dans le peloton de tête des nations développées.
J’en viens, enfin, à l’essentiel, en quelque sorte et en quelques mots, du véritable objectif poursuivi par cette proposition de loi. Il s’agit de trois articles, les articles 3, 4 et 5, qui justifient – ne soyons pas hypocrites – l’urgence de ce texte, pour son ou ses commanditaires.
Il s’agit, plus particulièrement, au sein de cette triade, de l’article 3 concernant le contrat santé solidarité – contrat non encore rendu opérationnel, puisque les textes réglementaires permettant sa mise en œuvre n’ont, volontairement, pas été publiés.
Que dire de plus clair que ce qu’a déclaré à la presse l’auteur de ce texte, notre collègue Jean-Pierre Fourcade ? Celui-ci a en effet déclaré : « Je souhaite supprimer ou modifier dans la loi HPST toutes les mesures « anti-médecins ».
M. Guy Fischer. Voilà ! C’est clair et net !
M. Jean-Pierre Fourcade. J’assume !
M. Jacky Le Menn. Aussi, pour ce faire, la proposition de loi renvoie le contrat santé solidarité – qui a pour but de favoriser l’exercice médical dans les zones de notre territoire sous-dotées – à la négociation conventionnelle et supprime les sanctions financières – donc, si j’ai bien compris, implicitement jugées anti-médecins – prévues par la loi HPST à l’encontre des praticiens réfractaires refusant de s’engager dans cette démarche ou ne respectant pas les termes de leur engagement.
Mes chers collègues, je le rappelle, nous avons déjà eu sur ce sujet une très longue discussion lors de l’examen de cette question en 2009. Par conséquent, je n’y reviens pas.
Toutefois, pour ce qui me concerne, je ne vois pas pourquoi, nonobstant les déclarations et protestations des responsables syndicaux de la médecine libérale, notamment de la CSMF, l’épineuse et angoissante question de la couverture médicale des zones sous-médicalisées sera spontanément résolue, demain, grâce aux vertus de la seule négociation conventionnelle.
M. Guy Fischer. Illusion !
M. Jacky Le Menn. L’expérience du passé récent et de l’actualité présente témoigne du contraire.
J’espère que la sagesse de nos débats de cette fin d’après-midi nous permettra de trouver une position équilibrée dans l’intérêt premier de nos concitoyens malades qui sont de plus en plus nombreux à souffrir de l’existence de cette sous-médicalisation de pans entiers de notre territoire. Je reviendrai, d’ailleurs, sur ce point lors de l’examen de l’article 3 de cette proposition de loi. (Mme Marie-Thérèse Hermange s’impatiente.)
Enfin, concernant la continuité des soins et l’organisation de la permanence des soins de ville, si nous partageons l’idée du rapporteur qu’il faut dégager des solutions qui ne soient pas inutilement coercitives ou perçues comme telles par le corps médical libéral, il ne faudrait pas pour autant occulter le fait que cette permanence pose problème.
Si, comme le souhaite l’auteur de cette proposition de loi, il peut être plus judicieux de responsabiliser l’ordre des médecins que de mettre en œuvre une disposition ressentie comme autoritaire et inefficace par les médecins – avis que je partage –, encore faut-il que l’on nous dise, d’une manière très précise, quelles dispositions pratiques seront mises en place pour assurer une authentique permanence des soins en ville, à laquelle aspirent nos concitoyens et qui permettra également de désencombrer les services d’urgence des établissements de soins.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jacky Le Menn. Je conclurai là mon intervention. D’autres collègues de mon groupe interviendront dans ce débat pour exposer notre approche et notre position sur les différents articles de cette proposition de loi, notamment en ce qui concerne le secteur médico-social.
Dans le cours de la discussion, nous profiterons aussi de ce texte pour proposer des amendements qu’il nous semble tout aussi urgent d’examiner, compte tenu de leur objet, puisque, monsieur le ministre, votre majorité a choisi d’anticiper le réexamen d’une partie de la loi HPST.
Je termine en précisant que nous serons bien présents dans les échanges qui ne manqueront pas d’avoir lieu dans cette enceinte, lorsque le rapport, que doit commettre le comité de suivi de la loi HPST, aura été déposé sur le bureau de notre assemblée à la fin du mois de juillet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Yves Daudigny. Excellent !
M. Guy Fischer. C’était très intéressant !
M. le président. M. Jacky Le Menn ayant dépassé son temps de parole, il ne restera plus que dix-sept minutes pour les deux derniers orateurs du groupe socialiste. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Raymonde Le Texier. C’est mesquin !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en réformant l’hôpital avec la loi HPST en 2009, nous portions un diagnostic sur un corps blessé, afin de mieux prendre en charge ses blessures et fractures, avec toujours cet objectif : mieux accueillir des corps souffrants, eux-mêmes blessés par la maladie.
Cependant, cette réforme nécessaire a produit des inquiétudes, comme si cette réforme chirurgicale avait donné le sentiment de produire quelques infections nosocomiales.
Aussi, nous devons améliorer ce diagnostic par des examens complémentaires, après quelques mois de traitement. C’est tout l’objectif de la mission Fourcade. La proposition de loi examinée aujourd’hui nous donne la possibilité de faire un bilan d’étape, en améliorant les protocoles qui ont guéri et en les distinguant de ceux qui ont compliqué l’état de l’offre de soins en France. Tous les essais de phase 1 ne sont pas forcément à transformer en phase 2, pourrait-on dire.
Au moment où l’hôpital se trouve à la croisée de nombreux défis, qui, pour être tous légitimes, n’en sont pas moins souvent difficiles à concilier, le groupe UMP a cherché à soutenir l’exercice de la médecine de proximité, à mieux informer et protéger les patients par une plus grande transparence et à soutenir le secteur médico-social.
Tout d’abord, il s’agit de soutenir l’exercice de la médecine de premier recours. C’est avec joie que nous avons vu une occasion de réadopter la position initiale du Sénat, lors du débat sur le projet de loi HPST, il y a deux ans, à savoir supprimer la contribution forfaitaire annuelle pour les médecins qui exercent en zones sur-denses, remplacer cela par des mesures incitatives et lever l’obligation faite aux médecins de déclarer leurs absences programmées. Faisons confiance à ceux qui prennent soin de nous jour après jour ! Le volontariat est suffisant.
Le groupe UMP est donc attaché à la médecine libérale et, pour cela, il sera vigilant à ce que l’article 1er ne présente pas une menace pour l’exercice libéral de la médecine. En l’état, cet article pourrait, en effet, donner lieu à des interprétations incertaines.
À titre personnel, je pense qu’une réflexion est encore nécessaire afin d’élaborer le cadre juridique adéquat pour l’exercice pluriprofessionnel de la médecine de proximité.
M. Gilbert Barbier. Très bien !
Mme Marie-Thérèse Hermange. C’est pourquoi j’ai cosigné l’amendement de M. Gilbert Barbier.
Enfin, ont été rétablis les contrats de bonne pratique et les contrats de santé publique, fixés par négociation conventionnelle. Je reviendrai sur cette mesure à titre personnel dans la discussion des articles. Il me semble qu’il convient de ne pas multiplier les types de contrats aux champs de compétences mêlés, et qu’il est préférable de distinguer les objectifs poursuivis : permanence des soins ou bonnes pratiques et prévention.
Ensuite, un autre volet concerné par cette proposition de loi est, bien évidemment, la protection des patients.
Le partage des informations sur la santé ne doit pas intervenir, comme l’a dit le rapporteur, sans un consentement du patient, puisque le secret médical appartient à ce dernier. De plus, alors que le dossier médical va être relancé, il est important de ne pas semer de confusion sur la protection des données.
J’ajouterai quelques remarques au sujet des scandales sur les implants et autres prothèses. D’ailleurs, récemment a éclaté un nouveau scandale sur les prothèses mammaires (L’orateur brandit un document.) ; plus de 3 000 femmes ont déjà porté plainte à ce sujet. Ces scandales nous incitent aussi à insister sur la traçabilité des prothèses et sur l’accès des patients à une déclaration de conformité explicite.
En outre, les crises sanitaires que nous avons traversées nous montrent, d’une part, l’importance d’être paré pour agir vite en cas d’épidémie afin d’éviter la propagation et, d’autre part, le bénéfice d’une réserve sanitaire.
L’article 9 bis fait un pas non négligeable en avant pour favoriser la transparence sur les liens entre laboratoires et professions médicales, en préconisant une déclaration des avantages directs ou indirects octroyés par ces sociétés aux professionnels.
Je partage l’avis de M. Gilbert Barbier. Dans la mesure où deux missions sont actuellement en cours, l’une à l’Assemblée nationale et l’autre au Sénat, il était opportun d’attendre.
M. Guy Fischer. C’est vrai !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Mais, comme le rapporteur nous a soumis un certain nombre de mesures, je propose de les rendre effectives et, pour cela, je présenterai un amendement visant à prévoir une sanction en cas de manquement à l’obligation de déclaration.
Enfin, pour répondre à la fracture public-privé et médicale et médico-sociale, la loi HPST avait fait un pas de plus pour décloisonner notre système de santé par le renforcement des liens entre public et privé.
Des mesures visent donc à sécuriser le statut juridique des groupements de coopération sociale ou médico-sociale, qui n’ont pas vocation à devenir des établissements sociaux ou médico-sociaux titulaires d’une autorisation. Les groupements de coopération sanitaire d’établissements ont donc été supprimés.
En commission, la procédure applicable aux transformations d’établissements sociaux ou médico-sociaux a été clarifiée. On s’interroge cependant toujours sur des problématiques spécifiques : la transformation d’établissements hospitaliers en établissements médico-sociaux sera-t-elle une solution pour transformer les lits hospitaliers en lits médico-sociaux, au lieu de construire de nouvelles structures ? Nous devons garder ces interrogations à l’esprit.
En attendant, nous nous réjouissons d’avoir fait adopter enfin une mesure favorisant le développement des modes de prise en charge alternatifs destinés à remplacer l’hospitalisation, notamment la dialyse à domicile pour toutes les personnes qui souffrent d’insuffisance rénale.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, le groupe UMP qui, en commission comme en séance, s’est efforcé et s’efforcera de perfectionner la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, apporte son soutien à cette proposition de loi. Il espère que, demain, ce dispositif deviendra une norme vivante, non pas qui équarrit et qui menace, mais qui encadre et soutient avec dynamisme la médecine, notamment de proximité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. –M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, certains, dont je suis, je l’avoue, auront découvert, à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, le terme de « compérage ». Il me semble justement que nous sommes réunis ici par la grâce d’un exercice de compérage exemplaire ! (Sourires.)
Je voudrais bien vous présumer innocent notre collègue Jean-Pierre Fourcade, mais je serai bien le seul ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
La poignée de dispositions diverses jetée dans cette proposition n’a pas fait illusion une seconde. Les deux dispositions clés de ce texte, qui sont sa seule raison d’être, sautent aux yeux à la première lecture. En titrant : « L’UMP veut se réconcilier avec les médecins », la presse nous prouve qu’elle sait lire aussi. (L’orateur brandit un article de presse.)
M. Guy Fischer. C’est la seule raison d’être de ce texte !
M. Yves Daudigny. Et je cite un excellent quotidien national peu susceptible d’être accusé de malveillance envers le Gouvernement.
Mais souhaitiez-vous réellement dissimuler le message ? À tant que faire, il est vrai, autant qu’il soit le plus largement entendu par ses destinataires.
Cela a été rappelé, Mme la ministre de la santé s’était, dès après le vote définitif de la loi du 21 juillet 2009, publiquement engagée à… ne pas respecter la volonté du législateur et à faire changer la loi ! Il faut donc une loi nouvelle pour défaire l’ancienne. Mme la ministre n’avait bien sûr, pas plus que vous aujourd’hui, monsieur le ministre, ni certitude ni garantie que le Parlement se plierait à sa volonté et se déjugerait, qui plus est dans un si court délai.
Vous êtes donc à la tâche, mon cher collègue, et, apparemment, il vous faut faire très vite. Le rôle n’est pas forcément enviable. Tâche difficile en effet pour le président du Comité d’évaluation de la mise en œuvre des dispositions relatives à la modernisation des établissements de santé de la loi HPST de justifier le dépôt prématuré de cette proposition de loi - votre bilan, monsieur Fourcade, est attendu pour le 21 juillet prochain –, qui comporte une, et une seule disposition relative au titre Ier de la loi !
La précipitation est mauvaise conseillère. Hormis les articles 3 et 4, dont nous venons d’évoquer la raison d’être, la plus grande partie des autres articles de cette proposition n’ont aucune justification pouvant expliquer ce dépôt prématuré.
M. Jean-Pierre Fourcade. Si, les derniers !
M. Yves Daudigny. À cet égard, je veux saluer tout particulièrement la qualité du travail, la lucidité et la hauteur de vue de M. le rapporteur – notamment s’agissant du respect, affirmé aux articles 2 et 12, des droits des patients et de la vie privée ; nous aurions pu, aujourd’hui, cosigner la plupart de ses remarques.
Sur les seize articles de ce texte, M. le rapporteur nous propose en effet de supprimer purement et simplement l’article 6 sur les dispositifs médicaux, l’article 8 sur le financement des réseaux de santé par les ARS, l’article 9 relatif aux fondations hospitalières, l’article 10 sur la réserve sanitaire, l’article 12 sur le consentement présumé des patients pour l’hébergement des données de santé, l’article 13 sur l’Institution nationale des Invalides...
La mise à nu est sévère, et méritée s’agissant de dispositions vraisemblablement rédigées à la va-vite, juridiquement contestables et dépourvues de toute évaluation, comme le relève également M. le rapporteur.
Pour le reste, quelle volée de bois vert !
S’agissant de la « société interprofessionnelle de soins ambulatoires », la SISA, vous déplorez, monsieur le rapporteur, la création d’un « instrument juridique disproportionné » qui fait les frais d’un « excès d’improvisation et d’un texte insuffisamment abouti ».
L’examen des articles suivants est à l’avenant : « inquiétudes justifiées », « disposition dont il n’est nul besoin », « motifs non définis, non plus que les conditions », « mesures ponctuelles qui ne peuvent qu’ajouter à la confusion et à un déficit d’efficience », « objet étranger », « dépourvu de sens », « curieusement rédigé »... »
Le pouvoir réglementaire n’est d’ailleurs pas oublié dans ces compliments s’agissant de l’illégalité de l’ordonnance mentionnée à l’article 5 et des arrêtés jamais pris concernant l’article 6.
Deux dispositions en réchappent qui concernent le secteur médico-social, pourtant réduit à la portion congrue.
L’une – l’article 14 – vise à clarifier la nature juridique des groupements de coopération sociale et médico-sociale, les GCSMS, qui, effectivement, n’ont pas à avoir le statut d’établissement social s’ils ne gèrent pas des autorisations d’établissements ou des services sociaux et médico-sociaux. Cette précision est de bon aloi.
La seconde – l’article 16 – est relative aux appels à projets et vise à donner une base légale à des interprétations juridiquement contestables des textes législatifs et réglementaires reprises par une circulaire du 28 décembre 2010.
Donc, seulement deux petites dispositions sur le secteur médico-social. Est-ce à dire que la loi HPST, qui a fait de l’intégration du secteur médico-social dans le giron des agences régionales de santé l’un de ses objectifs majeurs, a « zéro défaut » moins deux points ?
Il n’en est rien, nous le savons. Les deux mesures phare du volet médico-social de cette réforme, que sont les appels à projets et les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, les CPOM, méritent d’autres ajustements, si l’on veut que la loi soit effective et efficiente.
Cette loi, certes, je ne l’ai pas votée, mais je suis un élu républicain. Comme le disaient les Romains, dura lex, sed lex : la loi est dure, mais c’est la loi !
Les amendements que je propose sur ces deux mesures phare du volet médico-social de la loi HPST – les appels à projets et les CPOM –, visent donc non pas à remettre le texte en cause, mais à le rendre effectif en facilitant sa mise en œuvre.
Ces amendements prennent en compte les difficultés de terrain que j’ai pu constater dans mon propre département, qui m’ont été confirmées par l’Association des départements de France et par les fédérations gestionnaires membres de la Conférence des gestionnaires du secteur du handicap.
Je vous invite, monsieur le ministre, à ne pas les rejeter a priori, à ne pas « botter en touche » en promettant des circulaires supplémentaires. Depuis l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, votre ministère m’est déjà redevable de trois circulaires : l’une sur le financement et la mutualisation des évaluations externes dans les établissements sociaux et médico-sociaux ; une autre sur la non-soumission des allocations de l’aide sociale à l’enfance aux cotisations URSSAF ; enfin, une troisième sur la non-requalification en salariat par les URSSAF des interventions des professionnels libéraux dans les EHPAD, les établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes.
M. Yves Daudigny. Nous transmettrons aux services et aux ministres compétents !
Nous reviendrons sur l’ensemble de ces articles, ce qui nous permettra d’évoquer également la désertification médicale – question aujourd’hui essentielle pour le devenir des territoires ruraux –, l’accès financier aux soins – c’est primordial pour garantir l’équité et la justice sociale – et les dépassements d’honoraires.
En attendant, vous conviendrez, mes chers collègues, à la lecture de cette proposition de loi et de ce rapport, qu’il serait de bon sens et de bonne politique de vite remettre sur le métier la plupart de ces dispositions, aussi vite qu’elles ont été préparées ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires a été adoptée le 21 juillet 2009 et se met lentement en place, même si tous les décrets d’application n’ont pas encore été pris.
Je remarque d’ailleurs que, ce matin, notre assemblée a examiné et voté une proposition de loi fort intéressante, qui permettra aux parlementaires de former des recours pour excès de pouvoir et d’avoir accès au Conseil d’État - ce n’est pas le cas aujourd’hui - lorsque le Gouvernement faillira à sa tâche en ne publiant pas les décrets ou attendra trop longtemps pour s’en acquitter.
Voilà qu’une proposition de loi est déposée par un parlementaire à titre personnel, doit être examinée par notre assemblée en toute urgence, dans un créneau de quatre heures, si j’ai bien compris, monsieur le président. Nous n’arriverons donc probablement pas ce soir au bout de la discussion.
Mais, dans la mesure où cette proposition de loi a vraisemblablement l’accord du ministère de la santé, qui a même dû participer à son élaboration, je suppose que le Gouvernement inscrira la fin de son examen sur son ordre du jour prioritaire.
Pourquoi cette urgence ? On peut s’interroger, mais l’auteur de la proposition de loi nous donne lui-même la réponse lorsqu’il déclare qu’il souhaite supprimer, dans la loi HPST, toutes les mesures anti-médecins. On ne peut être plus clair !
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
M. Jean-Pierre Michel. L’intérêt électoral domine.
M. Guy Fischer. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Michel. On ne veut pas que se renouvelle le scénario catastrophe après la réforme Juppé et les élections de 1997.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. Jean-Pierre Michel. Je suppose que c’est le but essentiel de l’auteur de cette proposition de loi, et du Gouvernement, qui la soutient.
M. Guy Fischer. C’est du racolage !
M. Jean-Pierre Michel. Mais que fait-on de l’intérêt général ? Que fait-on de l’intérêt de nos concitoyens, qui, de plus en plus nombreux, non seulement dans les milieux ruraux, mais également dans les zones urbaines et périurbaines, sont gravement touchés par la désertification médicale ?
Le Gouvernement soutient cette proposition, comme l’a souligné un grand quotidien du soir : « Les déserts médicaux avancent, le Gouvernement recule ».
Par ailleurs, on ôte aux directeurs d’ARS les quelques maigres mesures dont ils disposaient pour agir contre ce fléau qu’est la désertification médicale, et on accrédite l’idée que les médecins dits « libéraux » – je ne sais d’ailleurs pas très bien ce que signifie ce terme – …
M. Jean-Pierre Michel. … peuvent s’exonérer de toute participation au service public de la santé, alors que la plus grande partie de leurs revenus est issue de la solidarité nationale, par le biais de la sécurité sociale ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Pratiquement 98 % !
M. Jean-Pierre Michel. Certes, la notion de volontariat pour les contrats de santé solidarité est plus aisée à accueillir par les organisations libérales, mais elle ne semble pas à la hauteur des enjeux démographiques des différentes professions de santé et des choix d’exercice observés, comme le montre l’étude récemment publiée par les éditions du groupe Moniteur, Solidarités et territoires, sous la signature du professeur Emmanuel Vigneron, de la faculté de Montpellier. D’ailleurs, la comparaison de la cartographie des médecins dits « libéraux » et de celle des pharmaciens libéraux exerçant en officine est très éclairante sur ce point.
Puisque l’on modifie certaines dispositions de la loi HPST avant même que le comité de suivi ait produit ses conclusions et rédigé son rapport, le groupe socialiste aurait pu déposer des amendements sur tous les articles de la loi sans que l’on puisse parler de cavaliers, puisqu’il s’agit de modifier cette loi. Ainsi, la discussion aurait pu durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Mais, parce que nous, monsieur le ministre, nous respectons le Parlement, nous ne l’avons pas fait, et nous attendrons avec impatience le débat qui aura certainement lieu ici, lorsque le rapport du comité de suivi sera enfin déposé.
Quoi qu’il en soit, je voudrais évoquer quelques points qui me semblent importants.
Tout d’abord, je me félicite que les membres de la commission des affaires sociales aient, à l’initiative de M. le rapporteur, souhaité mettre un terme aux groupements de coopération sanitaire détenteurs d’autorisation et érigés en établissements de santé. Cette suppression permet de rétablir la coopération dans le cadre, plus équilibré, des groupements de moyens, dans lesquels les établissements à but non lucratif s’étaient d’ailleurs reconnus avant que la loi HPST ne vienne bloquer cette coopération hospitalière.
Je prends également note, avec satisfaction, du vote par la commission des affaires sociales de l’article tendant à recadrer les groupements de coopération sociale et médico-sociale, en précisant qu’ils ne peuvent devenir de nouveaux établissements sociaux et médico-sociaux.
En revanche, et puisque le but de ce texte était de modifier et d’enrichir la loi HPST, je note qu’un certain nombre de sujets majeurs n’ont pas été traités.
Je pense notamment à la possibilité pour les établissements privés non lucratifs, mais également pour les établissements publics, d’organiser des collaborations avec des professionnels de santé libéraux sans être placés concrètement en situation d’y parvenir, soit parce que lesdits partenaires libéraux risquent de perdre leurs abattements de cotisations sociales conventionnelles lorsque leurs honoraires sont acquittés par les établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux, soit parce qu’ils risquent une requalification en contrat de travail par l’URSSAF – à cet égard, les engagements pris par le Gouvernement à l’occasion de la discussion du PLFSS pour 2011 ne sont toujours pas concrétisés, à en croire la lettre adressée par la direction de la sécurité sociale aux URSSAF.
Je pense également à la possibilité pour les praticiens hospitaliers d’être détachés dans les établissements privés d’intérêt collectif, et d’effectuer dans ces établissements leur période probatoire d’une année, comme ils le faisaient auparavant dans les établissements privés à but non lucratif participant au service public hospitalier, les PSPH. Faute de corriger cette disposition, les établissements à but non lucratif seront rapidement dans l’incapacité de recruter de nouveaux médecins. D’ores et déjà, d’importantes difficultés sont à signaler.
Je voudrais également évoquer les fondations hospitalières, qui ont été créées pour faciliter l’organisation du financement de la recherche médicale et permettre son développement. Toutefois, étant donné qu’il existait déjà des fondations de coopération scientifique, on peut se demander s’il était vraiment utile de créer ainsi une nouvelle catégorie.
Ces fondations auraient sans doute pu avoir un intérêt si cette évolution institutionnelle avait été conçue de manière globale, au niveau de l’entité juridique de l’établissement public de santé, et non de manière partielle et ambiguë, ouvrant la porte à de nombreuses dérives.
Je prends donc acte avec satisfaction de l’amendement de suppression proposé par la commission sur l’initiative de M. le rapporteur.
Enfin, je suis plus que réservé sur l’article 1er, et la création d’une nouvelle société, la SISA, la société interprofessionnelle de soins ambulatoires, rebaptisée ainsi par la commission des affaires sociales.
Cet instrument me semble totalement disproportionné par rapport au but recherché, et il sera bien difficile d’organiser ces sociétés.
De surcroît, en tant que juriste, je reste très réservé sur la création d’une nouvelle société d’exercice professionnel, alors que l’on aurait pu mener une réflexion beaucoup plus approfondie en se fondant sur les sociétés civiles interprofessionnelles, régies par l’article 2 de la loi du 29 novembre 1966.
Je souhaitais faire ces quelques observations, sachant que je me réserve bien évidemment le droit, avec mes collègues du groupe socialiste, d’intervenir à l’occasion de la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Dans l’ensemble, ces prises de position ne m’ont guère étonné, car elles s’inscrivent dans le prolongement des débats sur la loi HPST, dont j’ai pris connaissance, car je n’étais pas alors au banc du Gouvernement.
Il n’en reste pas moins que certains propos m’ont surpris.
Pour notre part, nous avons la conviction qu’il faut favoriser l’exercice libéral et le simplifier pour faciliter l’accès aux soins.
Il semblerait que certains, sur ces travées, n’aient pas l’intention de voter ce texte. Je laisse le soin aux observateurs de faire la part des choses ! (Mme Raymonde Le Texier et M. Guy Fischer s’esclaffent.)
M. Jean-Pierre Michel. Il est drôle !
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Je sollicite une suspension de séance, monsieur le président, afin que la commission puisse examiner les cinq amendements que le Gouvernement a déposés et dont elle n’a pas encore pu prendre connaissance.
M. le président. Le Sénat va faire droit à votre demande, madame la présidente de la commission des affaires sociales.
11
Candidatures à un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation des sénateurs appelés à siéger au sein de la Commission de suivi des conséquences des essais nucléaires, créée en application de l’article 7 de la loi n° 2010-2 du 2 janvier 2010.
Les commissions des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et des affaires sociales ont fait connaître qu’elles proposent respectivement les candidatures de MM. Marcel Pierre Cléach et Guy Fischer pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
12
Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat que le groupe de l’Union centriste a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires européennes, à la place laissée vacante par M. Pierre Fauchon, dont le mandat de sénateur a cessé.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
Mes chers collègues, à la demande de Mme la présidente de la commission des affaires sociales, nous allons interrompre nos travaux pour quelques minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante, est reprise à dix-neuf heures vingt, sous la présidence de M. Roger Romani.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
13
Réforme de l'hôpital
Suite de la discussion d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, présentée par M. Jean-Pierre Fourcade.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à la discussion des articles.
La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Pierre Fourcade, auteur de la proposition de loi. Sans répondre à tous les arguments qui ont été invoqués cet après-midi, et qui font partie du débat parlementaire normal, je veux cependant apporter une précision sur le rôle du comité d’évaluation de la mise en œuvre des dispositions relatives à la modernisation des établissements de santé de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, car il n’est pas très bien compris, me semble-t-il.
Le comité d’évaluation déposera en juillet prochain non pas une proposition de loi, mais un rapport complet, dans lequel des mesures seront suggérées. Il reviendra au Gouvernement de transformer ce document en un projet de loi.
M. Guy Fischer. Mais alors, pourquoi cette proposition de loi ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Par conséquent, nous ne pourrons discuter des modifications de la législation éventuellement proposées que vers la fin de l’année prochaine.
Entre le débat qui a lieu aujourd'hui et celui que nous mènerons sur les éventuelles propositions que nous aurons formulées, il y aura tout de même un délai certain. En effet, nous sommes au mois de février, le rapport sera déposé en juillet et le texte du Gouvernement ne sera probablement établi que vers la fin de l’année 2011.
Article 1er
Le livre préliminaire de la quatrième partie du code de la santé publique est complété par un titre IV ainsi rédigé :
« TITRE IV
« LES SOCIÉTÉS INTERPROFESSIONNELLES DE SOINS AMBULATOIRES
« Chapitre Ier
« Constitution de la société
« Art. L. 4041-1. – Des sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires peuvent être constituées entre des personnes physiques exerçant une profession de santé.
« Les sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires sont des sociétés civiles régies par les dispositions des chapitres Ier et II du titre IX du code civil et par les dispositions du présent titre.
« Art. L. 4041-2. – La société interprofessionnelle de soins ambulatoires a pour objet :
« 1° La mise en commun de moyens pour faciliter l’exercice de l’activité de chacun de ses associés ;
« 2° L’exercice en commun, par ses associés, de certaines activités à finalité thérapeutique relevant de leurs professions respectives.
« Les activités mentionnées au précédent alinéa sont précisées par décret en Conseil d’État.
« Art. L. 4041-3. – Peuvent seules être associées d’une société interprofessionnelle de soins ambulatoires des personnes remplissant toutes les conditions exigées par les lois et règlements en vigueur pour exercer une profession de santé et qui sont inscrites, le cas échéant, au tableau de l’ordre dont elles relèvent.
« Les sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires ne sont pas soumises aux formalités préalables exigées des personnes candidates à l’exercice individuel des professions de santé.
« Art. L. 4041-4. – Une société interprofessionnelle de soins ambulatoires doit compter parmi ses associés au moins deux médecins et un auxiliaire médical.
« Le tribunal peut, à la demande de tout intéressé, prononcer la dissolution de la société si cette condition n’est pas remplie.
« Il peut accorder à la société un délai maximal de six mois pour régulariser la situation. Il ne peut prononcer la dissolution si, le jour où il statue sur le fond, cette régularisation a eu lieu.
« Art. L. 4041-5. – Les statuts de la société sont établis par écrit. Un décret en Conseil d’État détermine les mentions figurant obligatoirement dans les statuts.
« Art. L. 4041-6. – Les associés peuvent exercer hors de la société interprofessionnelle de soins ambulatoires toute activité professionnelle dont l’exercice en commun n’a pas été expressément prévu par les statuts.
« Les statuts déterminent les conditions dans lesquelles un associé peut exercer à titre personnel une activité dont ils prévoient l’exercice en commun.
« Art. L. 4041-7. – Les statuts de la société interprofessionnelle de soins ambulatoires ainsi que les avenants à ces statuts sont transmis, un mois au moins avant leur enregistrement, aux ordres professionnels aux tableaux desquels sont inscrits les associés.
« Les conditions dans lesquelles les agences régionales de santé reçoivent communication des statuts de la société et de leurs modifications sont prévues par décret en Conseil d’État.
« Chapitre II
« Fonctionnement de la société
« Art. L. 4042-1. – Les rémunérations versées en contrepartie de l’activité professionnelle des associés dont les statuts prévoient un exercice en commun constituent des recettes de la société et sont perçues par celle-ci.
« Par exception, lorsque ces activités sont exercées à titre personnel par un associé, les rémunérations afférentes ne constituent pas une recette de la société.
« Art. L. 4042-2. – (Non modifié) Chaque associé répond sur l’ensemble de son patrimoine, des actes professionnels qu’il accomplit dans le cadre des activités prévues par les statuts de la société.
« La société est solidairement responsable avec lui des conséquences dommageables de ces actes.
« La société et les associés contractent une assurance de responsabilité civile professionnelle.
« Art. L. 4042-3. – Un associé peut se retirer d’une société interprofessionnelle de soins ambulatoires, soit qu’il cède ses parts sociales, soit que la société lui rembourse la valeur de ses parts.
« Chapitre III
« Dispositions diverses
« Art. L. 4043-1. – Les activités exercées en commun conformément aux statuts de la société ne sont pas soumises à l’interdiction de partage d’honoraires au sens du présent code.
« Art. L. 4043-2. – Sauf dispositions contraires des statuts, la société interprofessionnelle de soins ambulatoires n’est pas dissoute par le décès, l’incapacité ou le retrait de la société d’un associé pour toute autre cause. Elle n’est pas non plus dissoute lorsqu’un des associés est frappé de l’interdiction définitive d’exercer sa profession.
« L’associé frappé d’une interdiction définitive d’exercer la profession perd, au jour de cette interdiction, la qualité d’associé. Ses parts dans le capital sont alors rachetées dans un délai de six mois par un associé ou à défaut par la société selon les modalités prévues par les statuts. »
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l'article.
M. Guy Fischer. C’est dans le contexte de la remise du rapport demandé par le Président de la République à Mme Hubert qu’il convient d’appréhender cette proposition de loi, singulièrement le présent article 1er.
Les jeunes médecins, ainsi que les étudiants, plaident aujourd’hui majoritairement pour un exercice de la médecine de proximité qui rompe avec la pratique classique de la médecine générale.
Le caractère libéral de la médecine, parce qu’il est synonyme d’isolement et de conditions de travail peu satisfaisantes, ne répond plus aux attentes des professionnels, qui ont eux-mêmes considérablement évolué. La profession s’est féminisée, et les rythmes de travail soutenus qu’exige l’exercice d’un métier médical en cabinet sont de moins en moins supportés.
Tout cela conduit à favoriser l’exercice hospitalier au détriment de la médecine de proximité, ce qui participe aussi à la formation des déserts médicaux.
Il est naturellement impossible de ne pas tenir compte de ces attentes. En proposant d’adopter cet article 1er, l’auteur de la proposition de loi, comme M. le rapporteur, pense y apporter une réponse satisfaisante.
Pour notre part, nous n’en sommes pas convaincus. Les SISA, ou sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires, qui ne sont rien d’autre qu’une nouvelle forme de société de moyens, pourront certes répondre ponctuellement aux aspirations des médecins souhaitant exercer de manière regroupée, mais non pas aux attentes de celles et ceux, praticiens ou étudiants en médecine, qui se prononcent aujourd’hui, de plus en plus en souvent, en faveur du salariat.
Or, curieusement, cette proposition de loi occulte totalement la question du salariat, puisque son auteur se borne à proposer des mesures pour l’exercice libéral. C’est en ce sens que j’affirmais en préambule de mon intervention sur cet article qu’il fallait replacer cette disposition dans le cadre de la remise du rapport de Mme Hubert, dans lequel on n’aborde que de façon marginale l’exercice salarié et l’on se contente de formuler des propositions relatives à l’exercice libéral.
Une telle conception est à l’opposé des mesures que nous considérons utiles pour le renforcement de la médecine de premier recours et de proximité, puisqu’elle exclut d’office, en quelque sorte par dogmatisme, un mode d’exercice.
Pourtant, le rapport Vallancien atteste cet engouement, l’auteur préconisant lui-même une approche globale des propositions destinées à renforcer la médecine de premier recours.
Pour notre part, nous sommes convaincus qu’il ne faut nous interdire aucune piste et qu’il est de notre responsabilité non seulement d’offrir aux futurs professionnels toutes les formes d’exercice, mais aussi, et surtout, d’apporter des réponses concrètes aux difficultés se présentant actuellement dans chacune d’entre elles, qu’il s’agisse de la pratique libérale en cabinet, au sein des maisons de santé, ou encore de l’exercice salarié, avec les centres de santé.
La promotion de la médecine de premier recours passe donc impérativement pour nous par la promotion de toutes les formes d’exercice et par l’adoption des mesures urgentes nécessaires à la pérennisation des structures existantes et actuellement fragilisées.
Tout cela fait défaut à cet article 1er ; c’est pourquoi le groupe CRC-SPG ne le votera pas.
M. le président. L'amendement n° 62, présenté par M. Barbier, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, la nouvelle forme de société qu’il est prévu ici de créer suscite de très nombreuses interrogations, que M. le rapporteur, malgré toute sa bonne volonté, n’est pas parvenu à dissiper, me semble-t-il.
En effet, la définition des sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires, ou SISA, a évolué : on en a exclu les personnes morales. Or l’absence de mention de ces dernières pose tout de même problème, en particulier pour les milliers de médecins qui ont fait le choix d’exercer en SCP, sociétés civiles professionnelles, ou en SEL, sociétés d’exercice libéral. A contrario, il faut noter que les SCM, les sociétés civiles de moyens, peuvent comprendre des personnes physiques aussi bien que des personnes morales. Ce point important mériterait tout de même d’être éclairci.
Deuxièmement, les activités mentionnées au présent alinéa seront précisées par décret en Conseil d'État. Voilà donc une société dont l’objet échappe à ses membres et se trouve déterminé par la voie réglementaire ! Il s'agit d’une curiosité tout à fait remarquable (Sourires sur certaines travées du RDSE.), d’autant que sont ici exclues, notamment, les activités de dépistage et de prévention.
Troisièmement, les sociétés interprofessionnelles ne sont pas soumises aux formalités préalables exigées des personnes candidates à l’exercice individuel des professions de santé. Cela n’est pas acceptable : dans la mesure où la société exerce, elle doit être inscrite dans les ordres professionnels de ses membres, qui notifieront à l’agence régionale de santé l’inscription et les modifications de ses statuts.
D’autres points me semblent extrêmement douteux, notamment s'agissant du fonctionnement de la société. Ainsi, la répartition des bénéfices doit se faire sur des critères exclusivement professionnels. Il faudra donc examiner comment chacun contribue à proportion de ses fonctions et de son activité.
Enfin, pour constituer une telle société, il faudra deux médecins, ce qui est bien le moins, mais aussi un auxiliaire médical, par exemple un opticien lunetier ou un podologue, puisque ces professionnels appartiennent à cette catégorie.
Malgré les améliorations qui lui ont été apportées, ce texte présente donc de graves incohérences, me semble-t-il. Je crains qu’un tel dispositif ne porte atteinte au principe du fonctionnement libéral de la médecine, au travers d’une formule qui est très ambiguë et qui, compte tenu de sa complexité, n’aura guère de succès, à mon avis, auprès des jeunes médecins.
Si l’on voulait mettre en place une nouvelle forme de société, il n’y avait qu’à compléter les dispositions régissant le fonctionnement des sociétés civiles de moyens, qui auraient permis de percevoir les financements publics, dans le cadre des expérimentations en cours, et de les facturer pour le compte des associés.
Faute d’avoir eu le temps de rédiger un amendement satisfaisant sur cette question, je propose donc de supprimer l’article 1er.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales. J’ai indiqué tout à l'heure dans la discussion générale que la SISA ne me paraissait pas encore parfaitement aboutie.
La commission partage donc quelques-unes des interrogations de Gilbert Barbier, même si, sur certains points, les critiques de ce dernier peuvent paraître excessives. Ainsi, les risques de dichotomie ou de compérage existent partout, mon cher confrère, même en dehors de tout exercice groupé, pluridisciplinaire ou en société.
M. Guy Fischer. « Confrère » ?
M. Alain Milon, rapporteur. J’ai utilisé l’expression à dessein, cher collègue !
M. Guy Fischer. Je vois que l’on est entre soi !
M. Alain Milon, rapporteur. De même, il ne me paraît pas aberrant de prévoir que la SISA compte un nombre minimal d’associés et qu’ils n’appartiennent pas tous à la même profession. J'ajoute que les pharmaciens, puisque nous les avons évoqués tout à l'heure, ne sont pas exclus de ce type de société.
Le problème est que la SISA répond à une nécessité immédiate, comme on l’a souligné tout à l'heure : créer une personne morale susceptible d’émettre des factures et de recevoir une rémunération forfaitaire au titre des activités exercées en commun dans le cadre des expérimentations prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.
Peut-être aurions-nous dû essayer de trouver une solution plus simple pour répondre à ce problème immédiat et réfléchir plus sereinement à une nouvelle forme de société convenant mieux à l’exercice pluridisciplinaire de la médecine de proximité, s’il en fallait une. Ce n’est pas le choix qui a été fait et, en quelques jours, nous ne pouvions reprendre la question de zéro. Nous avons cependant essayé d’améliorer le texte – je parle sous le contrôle de Mme la présidente de la commission dans affaires sociales.
Il me paraît difficile d’inviter aujourd'hui le Sénat à supprimer une disposition que la commission a adoptée ainsi rédigée.
C'est pourquoi je demande le retrait de cet amendement, faute de quoi l’avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. Le Gouvernement partage la position de la commission.
Monsieur Barbier, vous connaissez bien ces questions et, sur les différents textes qui sont soumis au Parlement, vous manifestez régulièrement votre engagement sur ces sujets. Je tiens à vous alerter sur le fait que, si nous n’adoptons pas cet article, c’est toute l’attractivité du dispositif qui se trouvera compromise.
En effet, aucune structure ne permet simultanément de regrouper les professionnels de santé qui relèvent de métiers différents, de percevoir les financements publics – c’est la question des différents niveaux de rémunération...
M. Guy Fischer. C’est surtout cela !
M. Xavier Bertrand, ministre. ... et je pense que cela va dans le bon sens - de redistribuer aussi les sommes entre les membres, de facturer certains actes à l’assurance maladie, de disposer d’un cadre fiscal et social sécurisé – d’autres dispositions relèveront du projet de loi de finances, mais c’est tout simplement parce qu’il ne peut en être autrement pour des dispositions fiscales –, et de bénéficier de règles simplifiées en matière d’entrée et de sortie entre professionnels de santé au sein de la structure, car il ne doit pas s’agir pour eux d’être prisonniers.
Il semble difficile de faire plus simple : la SISA est une SCM adaptée en fonction des nouveaux modes de rémunération ; rien de plus, rien de moins. S’il avait été possible de conserver la SCM telle quelle, nous l’aurions fait, mais elle n’était pas compatible avec les nouveaux modes de rémunération.
Les autres structures – SCP, SEL – n’ont pas de caractère pluriprofessionnel et les reprendre aurait ajouté de la complexité. Or les médecins veulent du temps médical et de la simplification. Ils ont bien raison !
Certes, le nom est nouveau et peut surprendre, mais il s’agit en fait de la SCM adaptée à l’exercice regroupé. Rien d’autre. Je n’ai pas inventé la pierre philosophale ! (Sourires.)
Pour éviter tout risque de compérage – j’ai bien entendu vos craintes –, le décret d'application prévoira clairement que seules la coordination et l’éducation thérapeutiques feront l’objet d’un exercice collectif et d’une rémunération de la société par la sécurité sociale.
Nous sommes bien dans un cadre connu, reconnu, accepté, apprécié par les professionnels de santé. Ma conviction est que l’on propose ici le système le plus simple.
Monsieur Barbier, j’espère vous avoir convaincu.
M. Gilbert Barbier. Pas du tout ! (Exclamations amusées sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Isabelle Debré. C’est dommage !
M. Xavier Bertrand, ministre. « À quoi ça sert qu’on se décarcasse ? » Vous connaissez le slogan ! (Sourires.)
Monsieur le sénateur, si cette partie du texte est supprimée, l’équilibre de la proposition de loi s’en trouvera entamé.
M. Jean-Pierre Michel. Non !
M. Xavier Bertrand, ministre. C'est la raison pour laquelle je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement ; sinon, ce serait avec beaucoup de regrets que je serais amené à émettre un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Barbier, l'amendement n° 62 est-il maintenu ?
M. Gilbert Barbier. Je ne suis pas convaincu par les arguments du ministre. Les associés continueront à percevoir des honoraires, ceux-ci seront mis dans un pot commun et une redistribution aura lieu dont on ignore les modalités.
Certes, on peut appeler compérage le fait d’associer le prescripteur et l’exécutant de la prescription dans la même caisse – c’est d’ailleurs le terme utilisé en commission –, mais cela s’appelle surtout de la dichotomie ou bien de l’abus de biens sociaux.
Le système proposé est extrêmement compliqué et, de toute manière, on ne peut demander à un médecin de prescrire des actes à une personne qui versera ensuite le revenu de l’exécution de ces prescriptions dans une caisse commune.
Cela me choque. La médecine libérale, c’est autre chose. Il est vrai que l’on peut salarier tout le monde, comme le propose Guy Fischer, mais je ne suis pas tellement favorable à cette solution.
M. Guy Fischer. Je n’ai pas dit cela !
M. Gilbert Barbier. Dans ce cas, c’est clair, on touche un salaire. Dans le dispositif qui nous est proposé, les revenus, les recettes et les dépenses de la société seront directement liés entre les associés.
Pour toutes ces raisons, je maintiens cet amendement de suppression. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Les rémunérations perçues au titre des honoraires demeureront individualisées et affectées à chacun des médecins. Il ne s’agit pas de collectiviser les recettes, contrairement aux actes de coordination et d’éducation thérapeutiques.
Je vous l’assure : il s’agit d’une SCM adaptée à cet exercice et à cette configuration.
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, pour explication de vote.
M. Jacky Le Menn. Je partage l’analyse de Gilbert Barbier. Je comprends bien l’objectif de l'article 1er ; il est louable. Toutefois, nonobstant le fait que vous indiquiez qu’il s’agit d’une société civile de moyens un peu aménagée, monsieur le ministre, et sans rappeler tous les arguments développés par Gilbert Barbier, sur deux ou trois points clefs l'article 1er n’emporte pas notre conviction et nous préférerions qu’il soit supprimé.
Jean-Pierre Fourcade se plaindra sans doute que, de ce fait, nous ne serons pas en mesure de reprendre le dossier qu’à la fin de l’année et que l’attente risque d’être longue. Toutefois, il faut parfois savoir ralentir un peu le pas pour parvenir à un bon résultat. En l’espèce, il faut retravailler cette question pour arriver à une solution qui donne satisfaction et soit dénuée de toute arrière-pensée et, surtout, atteindre l’objectif que l’on se fixe !
Malgré le travail important, en un temps extrêmement court, qui a été réalisé en commission – je l’ai dit au cours de la discussion générale, il a fallu pas moins de douze amendements du rapporteur pour parvenir à une rédaction satisfaisante de l'article 1er et il y aurait pu y en avoir plus ! –, ce texte est mal fagoté.
Par conséquent, nous soutiendrons cet amendement de suppression.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Notre position est identique.
Les conditions dans lesquelles nous sommes conviés à travailler sur des sujets aussi complexes et techniques ne nous ont pas permis de procéder à des consultations et à des auditions, contrairement à notre habitude.
Par conséquent, nous soutiendrons nous aussi cet amendement de suppression.
Mme Raymonde Le Texier. Dommage !
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article additionnel après l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 56 rectifié, présenté par Mmes Hermange et Létard, est ainsi libellé :
Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le livre III de la quatrième partie du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Dans l'intitulé, les mots : « et ambulanciers » sont remplacés par les mots : «, ambulanciers et assistants dentaires » ;
2° Le titre IX est ainsi modifié :
a) Dans l'intitulé, les mots : « et ambulanciers » sont remplacés par les mots : «, ambulanciers et assistants dentaires » ;
b) Après le chapitre III, il est inséré un chapitre III bis ainsi rédigé :
« Chapitre III bis
« Assistants dentaires
« Art. L. 4393-8. - La profession d'assistant dentaire consiste à assister le chirurgien-dentiste ou le médecin stomatologiste dans son activité professionnelle. Dans ce cadre, l'assistant dentaire contribue aux activités de prévention et d'éducation pour la santé dans le domaine bucco-dentaire.
« Art. L. 4393-9. - Peuvent exercer la profession d'assistant dentaire et porter le titre d'assistant dentaire, les personnes titulaires du diplôme d'État mentionné à l'article L. 4393-10 ou titulaires de l'autorisation prévue à l'article L. 4393-11.
« Art. L. 4393-10. - Le diplôme mentionné à l'article L. 4393-9 est le diplôme d'État français d'assistant dentaire.
« Les modalités de la formation et notamment les conditions d'accès, le référentiel de certification ainsi que les modalités de délivrance du diplôme d'État sont fixés par arrêté du ministre chargé de la santé, après avis d'une commission dont la composition est fixée par décret et qui comprend des représentants de l'État, des chirurgiens dentistes et des assistants dentaires.
« Art. L. 4393-11. - Peuvent être autorisés à exercer la profession d'assistant dentaire, sans posséder le diplôme mentionné à l'article L. 4393-10, les ressortissants d'un État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen qui ont suivi avec succès un cycle d'études les préparant à l'exercice de la profession et répondant aux exigences fixées par voie réglementaire, et qui sont titulaires :
1° D'un ou plusieurs diplômes, certificats ou autres titres permettant l'exercice de la profession dans un État membre ou un État partie qui réglemente l'accès ou l'exercice de la profession, délivrés :
« a) Soit par l'autorité compétente de cet État et sanctionnant une formation acquise de façon prépondérante dans un État membre ou un État partie, ou dans un pays tiers, dans des établissements d'enseignement qui dispensent une formation conforme aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives de cet État membre ou partie ;
« b) Soit par un pays tiers, à condition que soit fournie une attestation émanant de l'autorité compétente de l'État membre ou de l'État partie qui a reconnu le ou les diplômes, certificats ou autres titres, certifiant que le titulaire de ce ou ces diplômes, certificats ou autres titres a une expérience professionnelle dans cet État de deux ans au moins ;
« 2° Ou d'un ou plusieurs diplômes, certificats ou autres titres sanctionnant une formation réglementée, spécifiquement orientée sur l'exercice de la profession, dans un État membre ou État partie qui ne réglemente pas l'accès ou l'exercice de cette profession ;
« 3° Ou d'un ou plusieurs diplômes, certificats ou autres titres obtenus dans un État membre ou un État partie qui ne réglemente ni l'accès ou l'exercice de cette profession ni la formation conduisant à l'exercice de cette profession, à condition de justifier d'un exercice à temps plein de la profession pendant deux ans au moins au cours des dix années précédentes ou pendant une période équivalente à temps partiel dans cet État, à condition que cet exercice soit attesté par l'autorité compétente de cet État.
« Lorsque la formation de l'intéressé porte sur des matières substantiellement différentes de celles qui figurent au programme du diplôme mentionné à l'article L. 4393-10, ou lorsqu'une ou plusieurs des activités professionnelles dont l'exercice est subordonné audit diplôme ne sont pas réglementées par l'État d'origine ou de provenance ou sont réglementées de manière substantiellement différente, l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation peut exiger, après avoir apprécié la formation suivie et les acquis professionnels, que l'intéressé choisisse soit de se soumettre à une épreuve d'aptitude, soit d'accomplir un stage d'adaptation dont la durée ne peut excéder deux ans et qui fait l'objet d'une évaluation.
« Un décret en Conseil d'État détermine les mesures nécessaires à l'application du présent article.
« Art. L. 4393-12. - Les assistants dentaires sont tenus de faire enregistrer sans frais leur diplôme, certificat, titre ou autorisation auprès du service de l'État compétent ou de l'organisme désigné à cette fin. En cas de changement de situation professionnelle, ils en informent ce service ou cet organisme. Il est établi, pour chaque département, par le service de l'État compétent ou l'organisme désigné à cette fin, une liste de cette profession, portée à la connaissance du public.
« Nul ne peut exercer la profession d'assistant dentaire si son diplôme, certificat, titre ou autorisation n'a pas été enregistré conformément au premier alinéa.
« Art. L. 4393-13. - Par dérogation aux dispositions de l'article L. 4393-9, peuvent continuer à exercer la profession d'assistant dentaire et à porter le titre d'assistant dentaire les personnes, titulaires ou en cours d'obtention, à la date d'entrée en vigueur du présent texte, de l'un des certificats ou titres suivants :
« 1° Le certificat de qualification des assistants dentaires délivré par l'association pour la formation et le perfectionnement des personnels des cabinets dentaires ;
« 2° Le certificat de qualification d'assistant dentaire délivré par la Commission nationale des qualifications des assistants odonto-stomatologistes ;
« 3° Le titre d'assistant dentaire délivré par la société anonyme Passeport Formation - centre de qualification et de formation dentaire ;
« 4° Le titre d'assistant dentaire délivré par l'école supérieure d'assistanat dentaire.
« Art. L. 4393-14. - Les professionnels disposent d'un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi pour satisfaire à l'obligation d'enregistrement prévue à l'article L. 4393-12.
« Les diplômes et titres mentionnés à l'article L. 4393-13, délivrés postérieurement à la date de publication du programme de formation du diplôme d'État français d'assistant dentaire, ne permettent plus l'exercice de la profession d'assistant dentaire, sauf dispositions contraires fixées par arrêté du ministre chargé de la santé. » ;
3° Le chapitre IV est complété par un article L. 4394-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 4394-4. - L'usage sans droit de la qualité d'assistant dentaire ou d'un diplôme, certificat, ou autre titre légalement requis pour l'exercice de cette profession est puni comme le délit d'usurpation de titre prévu à l'article 433-17 du code pénal.
« Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables de ce délit, dans les conditions prévues par l'article 121-2 du code pénal. Elles encourent les peines prévues pour le délit d'usurpation de titre aux articles 433-17 et 433-25 du même code. »
La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Pour présenter brièvement cet amendement très long, je dirai qu’il s’agit de permettre aux assistants dentaires de relever désormais du code de la santé publique et d’être ainsi reconnus en milieu hospitalier.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement vise à inscrire la profession d’assistant dentaire dans le code de la santé publique, mais pas seulement pour leur permettre de travailler dans le milieu hospitalier, ma chère collègue.
Un amendement similaire a été présenté lors de l’examen de la loi HPST. La commission des affaires sociales avait alors émis un avis favorable sur le principe, mais souhaité qu’une concertation soit engagée avec les acteurs concernés. La ministre de la santé avait indiqué de son côté qu’elle missionnait l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, sur le sujet. Depuis, l’IGAS et la Cour des comptes ont l’une et l’autre traité la question dans de récents rapports et se sont toutes deux déclarées favorables à cette évolution.
Cela étant, je l’ai fait remarquer à Marie-Thérèse Hermange en commission, l'amendement n° 56 rectifié est long et présente un certain nombre de problèmes de nature rédactionnelle.
C’est pourquoi la commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement sur cet amendement et s'en remettra à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. Il ne s’agit pas d’une position de fond : c’est l’avis du Gouvernement au moment où je parle.
Le rapport de l’IGAS a été rendu le 30 juillet 2010 et une concertation est prévue à la suite. Toutefois, la mise en place de nouvelles professions suppose d’examiner attentivement l’articulation globale entre les différents acteurs et de vérifier si cette disposition comporte plus d’avantages que d’inconvénients.
Or un certain nombre d’organisations de dentistes – il est important de recueillir leur avis – demandent qu’une réflexion soit conduite. Il est vrai que cela fait six mois qu’elle est en cours, mais ce ne sont pas des sujets sur lesquels on se prononce du jour au lendemain. En effet, il faut appréhender l’évolution non seulement des tâches des assistants dentaires, mais aussi des connaissances et envisager les incidences que cette décision aura par rapport à la convention collective.
Je le répète, il ne s’agit pas d’un non définitif, je ne suis pas fermé à cette proposition. Simplement, il faut prolonger, voire accélérer la concertation avec les dentistes. Il est nécessaire d’aller plus loin et plus vite sur cette question – mais je ne suis en fonction que depuis trois mois – avant de pouvoir émettre un avis favorable.
M. le président. Madame Hermange, l'amendement n° 56 rectifié est-il maintenu ?
Mme Marie-Thérèse Hermange. Non, je vais le retirer, monsieur le président, non sans avoir rappelé qu’une concertation a déjà eu lieu et que l’IGAS a remis un rapport sur cette question, après avoir préalablement procédé, je suppose, à des réunions.
Je constate que les assistants dentaires ne sont toujours pas reconnus et ne peuvent pas exercer aujourd'hui en milieu hospitalier, tout simplement parce qu’ils relèvent actuellement du ministère de l’emploi.
Là où ils ont une charge de travail considérable, les médecins ne peuvent pas faire appel à eux et en sont réduits à recourir aux aides-soignants !
Mais je retire l’amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 56 rectifié est retiré.
M. Jacky Le Menn. J’en reprends le texte, monsieur le président !
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 81, présenté par M. Le Menn, dont le libellé est strictement identique à celui de l’amendement n° 56 rectifié.
Vous avez la parole pour le défendre, mon cher collègue.
M. Jacky Le Menn. Je comprends que Marie-Thérèse Hermange, qui veut être courtoise avec le Gouvernement, retire son amendement.
M. Guy Fischer. Elle fait partie de la majorité !
M. Jacky Le Menn. Toutefois, en ce qui nous concerne, nous pensons que les arguments qu’elle a avancés sont pertinents. Nous souhaitons par conséquent l’adoption de cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 81.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)
M. Guy Fischer. Aïe !
Article 2
I. – L’article L. 6323-3 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
« Art. L. 6323-3. – La maison de santé est une personne morale constituée entre des professionnels médicaux et des auxiliaires médicaux.
« Elle assure des activités de soins sans hébergement et peut participer à des actions de santé publique, de prévention et d’éducation pour la santé, dans le cadre du projet de santé qu’elle élabore et de conditions techniques de fonctionnement déterminées par décret en Conseil d’État.
« Le projet de santé est conforme aux orientations des schémas régionaux mentionnés à l’article L. 1434-2. Il est transmis à l’agence régionale de santé. »
II. – (Supprimé)
III. – (Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 76, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 4
Remplacer ces alinéas par six alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 6323-3. - Une maison de santé est une personne morale satisfaisant aux critères suivants :
« 1° être constituée entre des professionnels médicaux, auxiliaires médicaux ou pharmaciens dispensant principalement des soins de premier recours au sens de l'article L. 1411-11 et, le cas échéant, de second recours au sens de l'article L. 1411-12 ;
« 2° Ne pas assurer d'hébergement ;
« 3° Avoir élaboré un projet de santé, témoignant d'un exercice coordonné. Ce projet de santé est signé par chacun des professionnels de santé membre de la maison de santé. Il peut également être signé par toute personne dont la participation aux actions envisagées est explicitement prévue par le projet ;
« 4° Avoir enregistré le projet de santé à l'agence régionale de santé ;
« 5° Se conformer à un cahier des charges déterminé par arrêté du ministre chargé de la santé. »
La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Il s’agit de renforcer juridiquement la notion de maison de santé. Disposer de ces établissements, les financer, c’est bien ; conforter leur structure juridique, c’est essentiel. L’adoption de cet amendement permettra de les doter de la personnalité morale.
M. Guy Fischer. Il n’y a pas que cela !
M. le président. L'amendement n° 69 rectifié, présenté par MM. Darniche et Pinton, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
médicaux et des auxiliaires médicaux
par les mots :
de santé
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 31 rectifié, présenté par Mmes Hermange et Desmarescaux, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après les mots :
sans hébergement
insérer les mots :
, de premier recours au sens de l'article L. 1411-11, le cas échéant de second recours au sens de l'article L. 1411-12,
La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Je ne peux pas m’empêcher de revenir sur l'amendement qui vient d’être rejeté.
Je tiens à insister sur le fait que tous ceux qui sont atteints de pathologies lourdes, par exemple des malades du cancer développant des pathologies annexes, ou des handicapés qui sont obligés de se faire soigner à l’hôpital, ont besoin d’assistants dentaires. Or les hôpitaux ne peuvent pas les recruter. Je trouve cela dommageable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Gilbert Barbier applaudit également.) C’est uniquement pour ces raisons que j’ai soutenu cet amendement. J’espère que l'Assemblée nationale en reprendra l’objet.
M. Alain Milon, rapporteur. Il ne fallait pas le retirer, alors !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Il n’est qu’à visiter les services de stomatologie dans les hôpitaux pour constater les pathologies qui sont traitées et comprendre que les médecins et les chefs de service ont besoin d’assistants dentaires pour les aider !
M. Guy Fischer. Voilà, c’est le bon sens !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Mais j’en viens à l’amendement n° 31 rectifié.
Pour éviter toute ambiguïté sur le périmètre d’intervention des maisons de santé, au regard des activités de soins de type hospitalisation à domicile, chirurgie ambulatoire et hospitalisation à temps partiel qui relèvent exclusivement des établissements de santé, l'amendement tend à préciser la rédaction du deuxième alinéa du texte proposé par l’article 2 pour l’article L. 6323-3 du code de la santé publique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 76 et 31 rectifié ?
M. Alain Milon, rapporteur. S’agissant de l’amendement n° 76, le Gouvernement propose une nouvelle rédaction des dispositions relatives aux maisons de santé, rédaction qui diffère à la fois du texte de la commission et du texte initial de la proposition de loi. Il marque une évolution assez nette par rapport aux objectifs que nous avait indiqués le ministère de la santé.
Ainsi, le ministère semblait tenir à ce que, comme c’est déjà le cas, la maison de santé ne rassemble que des médecins et des auxiliaires médicaux. La Gouvernement propose aujourd’hui d’y ajouter des pharmaciens. Pourquoi pas ? Mais pourquoi maintenant ?
M. Guy Fischer. Voilà ce que M. le ministre n’a pas dit tout à l’heure !
M. Alain Milon, rapporteur. Il paraissait également important que les ARS puissent disposer de critères précis pour identifier les maisons de santé et, le cas échéant, leur apporter les aides nécessaires. Il n’est en revanche plus exigé que le projet de la maison de santé soit conforme aux orientations des schémas régionaux.
Nous souhaitions préciser les modalités d’organisation des maisons de santé. Nous avions par conséquent proposé un décret en Conseil d’État, en nous inspirant des textes applicables aux centres de santé. Or le décret en Conseil d’État est remplacé par un cahier des charges déterminé par arrêté du ministre…
De surcroît, il est proposé de réintroduire la disposition selon laquelle le projet de santé est signé par chacun des professionnels de santé appartenant à la structure, ou par toute personne participant à ses actions. Cela ne paraît pas aller dans le sens du renforcement juridique souhaité, du moins si l’on se réfère à l’objet de l’amendement. En effet, une telle disposition n’a pas de portée juridique.
Il est également ajouté que seront dispensés dans les maisons de santé des soins de premier recours au sens de l’article L. 1411-1 du code de la santé publique et, le cas échéant, de second recours au sens de l’article L. 1411-2 du même code. Nous en avons parlé hier en commission.
La définition des soins de premier recours est très large, elle n’exige pas que ces soins soient dispensés en ambulatoire. Les soins de second recours sont tous ceux ne relevant pas du premier recours.
Cet ajout ne contribue donc pas à préciser, comme nous le souhaitions, la définition de la maison de santé.
Je relève enfin que l’ensemble de la rédaction proposée est de nature plus réglementaire que législative.
Lors d’un vote, la commission a par conséquent émis un avis défavorable.
L’amendement n° 31 rectifié tend à apporter une précision supplémentaire à la définition de la maison de santé.
Sur le principe, l’amendement de Marie-Thérèse Hermange répond donc au souci des auteurs de la proposition de loi, et au nôtre.
Toutefois, il y a une difficulté - nous l’avions notée lors de l’examen de la loi HPST -, qui réside dans le fait que la définition des soins de premier recours est extrêmement large et n’exclut pas qu’ils soient dispensés dans un établissement de santé. Quant aux soins de second recours, ce sont tous ceux qui ne sont pas couverts par l’offre de premier recours, ce qui n’est pas non plus très précis.
Je rappelle aussi que l’article L. 4130-1 du code de la santé publique, relatif aux missions du « médecin généraliste de premier recours » dispose que sa contribution à l’offre de soins ambulatoire « peut s’exercer dans les établissements de santé ou médico-sociaux ».
Nous doutions donc que cette précision en soit vraiment une.
C’est pourquoi la commission avait exprimé un avis défavorable sur cet amendement, s’il était maintenu.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 31 rectifié ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Cette fois-ci, j’espère que Marie-Thérèse Hermange sera satisfaite, puisque son amendement est satisfait !
M. le président. Madame Hermange, votre amendement est-il maintenu ?
Mme Marie-Thérèse Hermange. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 31 rectifié est retiré.
La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote sur l'amendement n° 76.
M. Guy Fischer. Cet amendement tend à réécrire l’article 2 portant définition des maisons de santé. Le groupe CRC-SPG votera contre !
Nous ne sommes pas opposés à une définition des maisons de santé. Celle-ci est souhaitable afin de stabiliser juridiquement ces nouvelles structures.
Nous considérons toutefois que la définition proposée n’est pas satisfaisante. En effet, nous regrettons que cette définition n’intègre aucune référence ni aux tarifs opposables ni au tiers payant qui devraient, selon nous, être des éléments à part entière du projet de santé.
Par ailleurs, cet amendement prévoit que les schémas régionaux d'organisation sanitaire, les SROS, ne sont pas opposables à ces structures.
C’est évidemment regrettable dans la mesure où nous considérons que toutes les formes d’exercice regroupé doivent se voir opposer les SROS, dès lors que ceux-ci sont considérés comme des éléments de coordination des politiques de lutte contre les déserts médicaux.
En outre, cette « non-opposabilité » opérerait une distinction importante entre les structures où l’exercice est salarié, pour lesquelles les SROS sont opposables – je pense aux centres de santé –, et les structures où l’exercice est libéral et où les SROS ne seraient pas opposables. Cette distinction est d’autant moins acceptable que les centres de santé pratiquent, eux, tout à la fois le tiers payant et les tarifs opposables !
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Monsieur Fischer, les choses sont claires, mais elles le seront d’autant plus quand j’aurai posé la seule question qui vaille : faut-il être pour ou contre votre position ? À question claire, réponse claire : je demande que l’on soit contre, et que l’on adopte l’amendement du Gouvernement ! (M. Guy Fischer proteste.)
Non, monsieur Fischer, il ne faut pas que les SROS soient opposables aux maisons de santé ! J’entends bien que vous traitez ces différentes structures de la même façon. Pardonnez-moi, mais l’exercice libéral repose sur des piliers libéraux. Ainsi, les choses sont claires !
M. Guy Fischer. Eh oui…
M. Xavier Bertrand, ministre. Je voudrais également dire à M. le rapporteur que si, initialement, les pharmaciens n’étaient pas concernés par le texte, une demande en ce sens a été formulée, et nous nous sommes aperçu que cela ne posait pas de problème juridique ou fiscal. Il fallait par conséquent intégrer les pharmaciens, ce qui explique cette modification.
M. Guy Fischer. Mais bien sûr…
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote sur l'amendement n° 76.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je suis favorable à l’amendement du Gouvernement.
Lors de déplacements dans plusieurs départements, où j’ai rencontré les membres des unions régionales des professionnels de santé, les pharmaciens ont insisté sur le fait qu’ils souhaitaient faire partie de ce genre d’organisation. Nous avons voté l’article 1er, qui constitue la nouvelle structure. La maison de santé est plus ramassée.
L’avantage de l’amendement du Gouvernement est qu’il ne prévoit pas de décret en Conseil d’État pour déterminer l’objet et assurer le contrôle des mesures prévues. Ce texte s’appliquera donc directement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Nous sommes défavorables à l’amendement du Gouvernement, et notamment à l’introduction des pharmaciens.
Je ne vois pas comment, dans une société – en l’occurrence une personne morale constituée de personnes exerçant à titre libéral –, il serait possible d’introduire des fonds de commerce. Car, mes chers collègues, la pharmacie est un fonds de commerce.
Lorsque l’on cède une pharmacie, cela se fait sur la base du droit commercial et des règles relatives aux fonds de commerce, les tribunaux compétents étant les tribunaux de commerce. La profession de pharmacien est peut-être une profession libérale, mais les pharmaciens exercent dans le cadre d’un fonds de commerce.
Dans ces conditions, comment, juridiquement, fait-on rentrer des fonds de commerce – avec toutes leurs caractéristiques, telles que la clientèle ou l’enseigne – dans des personnes morales constituées de personnes physiques exerçant à titre individuel ?
M. Guy Fischer. Très bonne question !
M. Jean-Pierre Michel. Juridiquement, on marche sur la tête !
M. Jean-Pierre Michel. Excellent !
M. le président. L'amendement n° 37 rectifié, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Elle applique le tiers payant. »
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Nous poursuivons notre œuvre de réécriture !
Cet amendement a pour objet de compléter la rédaction de l’article 2 en précisant que les maisons de santé appliquent le tiers payant. Mais je connais la réponse du ministre, qui a été très clair.
Je tiens par ailleurs à préciser que l’objet de cet amendement fait également référence aux tarifs opposables.
Alors que nous avions déposé l’amendement n° 38 consacré au respect des tarifs conventionnés, il nous est apparu souhaitable de supprimer cette référence, afin qu’il puisse y avoir un réel échange sur cette question.
Si nous proposons que la loi prévoie expressément que les maisons de santé appliquent le tiers payant, c’est parce que nous savons pertinemment que l’une des causes du recours aux services des urgences pour des soins qui pourraient relever de la médecine de ville est l’immense précarité dans laquelle se trouvent une partie de nos concitoyens.
Selon une étude de l’INSEE rendue publique en 2005 – mais elle demeure plus que jamais d’actualité – les inégalités sociales devant la mortalité, très importantes en France, se sont accrues au cours des dernières années en raison de l’explosion de la pauvreté,…
M. Jean-Pierre Michel. Très bien !
M. Guy Fischer. … avec notamment l’émergence de ce que l’on appelle le « précariat ».
Nos concitoyens rencontrant d’importantes difficultés financières sont en effet de plus en plus nombreux. Pour eux, le paiement d’une consultation en cabinet n’est jamais indolore financièrement. Je pense par exemple à un témoignage recueilli il y a de cela quelques années par le syndicat de la médecine générale, et je veux vous le livrer.
Un médecin raconte : un homme de cinquante-huit ans, à la retraite, vivant à l’hôtel, le consulte régulièrement. Un jour, en fin de consultation, alors que le médecin prend la carte vitale et demande vingt et un euros – le tarif alors en vigueur – le patient tend un billet de vingt euros en lui disant qu’il est désolé, mais qu’il n’a pas l’euro manquant. Le médecin s’inquiète de la situation financière de son patient et apprend que celui-ci n’a plus que ce billet pour finir le mois, alors que le médecin vient lui-même de lui demander de passer à son cabinet la semaine suivante pour le contrôle d’une vilaine plaie.
Heureusement, si l’on peut dire, ce patient souffrait d’une affection de longue durée et le médecin a pu pratiquer le tiers payant. Dans d’autres situations, il n’aurait pas pu le faire et le patient en question n’aurait jamais pu revenir, comme prévu, la semaine suivante. Il aurait, au mieux, consulté les urgences et, au pire, renoncé à cette contre-visite, avec les risques sanitaires que cela présentait.
Parce que nous considérons que la santé de nos concitoyens ne peut s’accommoder de ces risques, nous souhaitons subordonner l’octroi de toutes les aides publiques au respect, par les structures qui reçoivent ces aides, de la pratique du tiers payant.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement, tel qu’il a été rectifié, prévoit que les maisons de santé appliquent le tiers payant.
Comme nous l’avions dit en commission, cela pose deux problèmes.
Premièrement, la maison de santé n’aura pas de politique ni de pratique tarifaire propres. Elle réunira divers médecins et auxiliaires médicaux, mais ne constituera pas un établissement de soins ambulatoires. Deuxièmement, l’expression « tiers payant » signifie certes que les patients sont dispensés de l’avance des frais, mais cela ne veut pas dire obligatoirement qu’une partie ne reste pas à leur charge.
La portée de cet amendement n’est donc pas très claire.
La commission demande le retrait de cet amendement, faute de quoi l’avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Monsieur Fischer, est-il préférable d’avoir une maison de santé avec, éventuellement – ce sera très rare –, un professionnel en secteur 2 pratiquant des dépassements d’honoraires raisonnables, ou pas de professionnel du tout ?
M. Guy Fischer. Vous exagérez ! Je n’ai jamais dit ça !
M. le président. L'amendement n° 38 rectifié, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Elle ne peut bénéficier des financements prévus à l'article L. 221-1-1 du code de la sécurité sociale qu'à la condition d'appliquer les tarifs opposables. »
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. L’article 2 propose une nouvelle définition des maisons de santé en précisant qu’elles devront être dotées de la personnalité juridique.
Le rapporteur fait de cette évolution un élément important, en précisant d’ailleurs qu’il faudra, demain, que les maisons de santé optent pour la nouvelle forme juridique prévue à l’article 1er – la SISA – pour bénéficier des nouveaux modes de rémunération.
Cette précision ne nous satisfait pas. Nous souhaiterions, conformément à l’idée que nous nous faisons du développement de la médecine de premier recours, que toutes les formes d’exercice, que toutes les structures existantes, puissent êtres éligibles à de nouveaux modes de rémunération que nous souhaitons, par ailleurs, plus ambitieux.
Nous pourrions par exemple imaginer, à terme, la substitution du paiement à la consultation par une rémunération forfaitaire. Cela se fait dans d’autres pays.
Avec l’amendement n° 38 rectifié nous n’allons pas aussi loin, et nous nous contentons de préciser dans la loi que les maisons de santé ne peuvent se prévaloir de cette appellation qu’à la condition d’appliquer les tarifs opposables.
Si nous souhaitons qu’une telle précision soit apportée, c’est parce que nous considérons qu’elle seule sera de nature à réduire les cas où les patients renoncent aux soins du fait de la pratique très abusive des dépassements d’honoraires.
Par ailleurs, comme vous le savez, le code de la santé publique prévoit expressément, depuis l’adoption de l’article 41 de la loi HPST, que les maisons de santé peuvent bénéficier, dans le cadre de la signature d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens, des financements prévus par le fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins, le FIQCS, à raison des frais engendrés par l’exercice coordonné des soins.
Si cela apparaît comme une évolution importante et souhaitable, qui va dans l’intérêt des comptes sociaux, nous souhaitons qu’elle s’accompagne d’une condition supplémentaire : le strict respect par les professionnels de santé qui exercent au sein de ces structures des tarifs conventionnels.
Il n’est en effet pas acceptable que des fonds publics puissent être octroyés à des structures qui, d’une manière ou d’une autre, pratiquent une discrimination dans leur patientèle, à raison de la fortune, ou plus exactement des moyens financiers des patients.
M. Gilbert Barbier. Il faut également tenir compte de la notoriété des praticiens !
M. Guy Fischer. Certes…
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement vise à subordonner l’octroi à une maison de santé des financements du FIQCS au fait que celle-ci applique des tarifs opposables.
Si cet amendement était adopté, mon cher collègue, la maison de santé serait assimilée à un établissement de soins. Mais, dans les faits, elle n’appliquera aucun tarif, M. le ministre l’a dit tout à l’heure, chaque professionnel appliquant le sien.
J’ajoute qu’il n’y a pas de convention pour toutes les professions d’auxiliaires médicaux. C’est ainsi le cas des diététiciens.
Par ailleurs, je ne sais pas si l’attribution des aides régionales du FIQCS, désormais gérées par les ARS, répond à un critère de tarification. Nous serions heureux, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des précisions à ce sujet.
En tout état de cause, l’accessibilité aux soins est l’un des objectifs qui guident l’action des ARS.
La commission est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. En termes d’accès aux soins, nous en sommes tous d’accord, le secteur 1 apporte bien évidemment plus de garanties que le secteur 2.
Cela étant, monsieur Fischer, avec une telle disposition, vous pouvez être certain qu’aucun professionnel exerçant en secteur 2 n’intégrera une maison de santé, ce qui met à mal le dispositif.
Vous êtes cohérent avec votre logique. Je suis cohérent avec la mienne et ne peux donc pas vous suivre : avis défavorable !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Les financements publics ne proviennent pas exclusivement des ARS. Les collectivités territoriales peuvent également apporter leur contribution. Je doute fort, en tout cas, que les conseils généraux qui seront sollicités, notamment pour le volet immobilier, acceptent de subventionner les maisons de santé pratiquant des dépassements d’honoraires.
Aujourd'hui, chacun le sait, dans les départements ruraux et suburbains, les dépassements d’honoraires sont une vraie calamité. Ce n’est plus la santé à deux vitesses ; c’est la santé à trois, voire à quatre vitesses !
Or qui paie les dépassements d’honoraires ? Les mutuelles, c'est-à-dire les mutualistes !
Par conséquent, l’amendement de M. Fischer doit être voté : son objet est éminemment moral, puisqu’il vise à assurer l’égal accès aux soins. Si la santé n’est pas la même pour tous, eh bien ! il ne doit pas y avoir de subventions publiques pour tous !
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
(Non modifié)
L’article L. 1434-8 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le contrat santé solidarité est conforme à un contrat-type défini par l’Union nationale des caisses d’assurance maladie et par au moins une organisation représentative des médecins. » ;
2° Le quatrième alinéa est supprimé.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l'article.
M. Guy Fischer. Sur cet article, nous avons déposé un amendement, que vous pourrez, monsieur le président, considérer comme défendu, un amendement d’appel, je le concède, destiné à souligner, comme nous l’avions fait lors des débats sur la loi HPST, le caractère inapplicable et inapproprié des contrats santé solidarité.
Le Gouvernement propose aujourd’hui de supprimer une telle disposition, mais pour des raisons très différentes de celles qui nous avaient conduits à nous y opposer. Je constate d’ailleurs que le choix opéré par le Gouvernement quant au lieu de l’annonce du gel de cette mesure n’est pas sans intérêt : il le fait en plein congrès d’un syndicat de médecins généralistes !
Pour mémoire, selon ces contrats, présentés par la ministre de l’époque comme un moyen de lutter contre les déserts médicaux, un médecin qui aurait le mauvais goût ou la malchance de s’installer à proximité d’un désert médical pourrait être invité à aller y exercer à titre occasionnel.
Soyons clairs : ces contrats santé solidarité posent plus de problèmes qu’ils n’en règlent.
Tout d’abord, ils risquent de favoriser l’extension des déserts médicaux. On imagine en effet fort bien qu’un médecin puisse refuser de s’installer dans une ville proche d’une zone sous-médicalisée afin d’éviter d’être contraint d’aller y exercer temporairement.
Ensuite, personne ne peut croire que des consultations occasionnelles, épisodiques, soient de nature à garantir un véritable parcours de soins. Cette solution est un pis-aller, qui se situe très en deçà des besoins de nos concitoyens.
Enfin, ces contrats posent d’importantes questions logistiques, qu’il convient de ne pas éluder. Où les consultations se passeront-elles ? Dans quels locaux ? Par qui ceux-ci seront-ils mis à disposition ? Les collectivités locales devront-elles participer financièrement, c’est-à-dire supporter elles-mêmes des dépenses qui ne devraient pas, logiquement, leur être imputées ?
Surtout, mes chers collègues, et j’en viens à notre amendement, toutes ces questions ne sont que théoriques. En effet, le Gouvernement, lancé dans une grande opération de séduction en direction des médecins généralistes, a prévu de mettre un terme à ces contrats.
Au demeurant, la rédaction de l’article L. 1434-8 du code de la santé publique demeure elle-même très théorique. Bien qu’ayant provoqué l’ire des professionnels de santé, la mise en place des contrats santé solidarité repose encore une fois sur la seule volonté des directeurs généraux des agences régionales de santé.
Si ces contrats avaient été maintenus, nous aurions alors assisté à des situations totalement ubuesques : le directeur d’une ARS aurait pu constater que les besoins en implantations n’étaient pas satisfaits sans pour autant engager la mise en œuvre des contrats santé solidarité. Et ce pour une simple et bonne raison qui tient à la rédaction actuelle de cet article L. 1434–8. Je la relis : « [Si] l’offre de soins de premier recours ne suffit pas à répondre aux besoins de santé de la population dans certains territoires de santé, le directeur général de l’agence régionale de santé peut […] » – je dis bien « peut » – « proposer aux médecins exerçant dans les zones visées au premier alinéa du présent article d’adhérer à un contrat santé solidarité ».
Autrement dit, et ce qui vaut pour cet article vaut pour votre conception de la lutte contre les déserts médicaux dans son ensemble, monsieur le ministre, vous refusez de prendre la mesure de la situation et de prévoir, enfin, des mesures coercitives.
Au-delà de cet amendement d’appel, destiné à mettre en lumière, par le biais de cet exemple, la conception que vous vous faites de la lutte contre les déserts médicaux, je précise que le groupe CRC-SPG votera contre l’article 3.
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par MM. Le Menn, Daudigny, Michel et Cazeau, Mmes Alquier, Campion et Demontès, M. Desessard, Mme Ghali, MM. Gillot et Godefroy, Mme Jarraud-Vergnolle, MM. Jeannerot, Kerdraon et S. Larcher, Mmes Le Texier, Printz, San Vicente-Baudrin et Schillinger, M. Teulade et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacky Le Menn.
M. Jacky Le Menn. J’ai déjà abordé ce sujet lors de la discussion générale. Au travers de la disposition votée dans le cadre de la loi HPST, l’enjeu était de proposer aux médecins exerçant dans les zones où le niveau de l’offre de soins médicaux est particulièrement élevé d’adhérer à un contrat par lequel ils s’engagent à contribuer à répondre aux besoins de santé de la population des zones sous-denses.
L'article 3 de la présente proposition de loi vise à modifier ce contrat, d'une part, en renvoyant « à un contrat-type défini par l’Union nationale des caisses d’assurance maladie et par au moins une organisation représentative des médecins », d'autre part, en supprimant les contraintes pécuniaires imposées aux médecins « qui refusent de signer un tel contrat, ou qui ne respectent pas les obligations qu’il comporte pour eux ».
Cette disposition sera-t-elle de nature à répondre au problème des déserts médicaux ? Non, à notre sens ! Supprimer les contraintes est une chose, mais ne rien proposer de solide à la place en est une autre. Nous voilà, en fin de compte, revenus en arrière par rapport à ce qui avait été voté dans la loi et sur lequel il y avait eu discussion puisque nous n’étions pas nécessairement d’accord avec le principe du contrat de santé solidarité. Mais ce contrat existe désormais, et il faut essayer d’en voir les côtés positifs.
Ce que nous demandons, c’est l’instauration d’une régulation efficace pour faire face aux déserts médicaux dont la progression témoigne aussi – nous en sommes tout à fait d’accord – des difficultés d’organisation de notre système. Selon nous, d’autres solutions existent.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai reçu un courrier signé par les présidents des conseils d’administration de la Mutualité sociale agricole, de la Caisse nationale du Régime social des indépendants et de la Caisse nationale de l’assurance maladie. Je ne pense d’ailleurs pas être le seul à en avoir été destinataire ou à en avoir eu connaissance ; mais je le tiens volontiers à votre disposition.
Tout en reconnaissant que lesdits conseils d’administration n’ont pas à être saisis pour avis des propositions de loi, les trois signataires tiennent à faire part de leur position sur le présent texte.
Voici ce qu’ils écrivent, en substance : « Il nous semble que la puissance publique, garante de l'intérêt général, ne peut conditionner la mise en œuvre du principe constitutionnel d’"égal accès aux soins" à la signature hypothétique d’accords contractuels que l’Assurance maladie serait amenée à négocier avec des partenaires que l’on sait réservés, voire hostiles à toute mesure en ce sens. » La « signature hypothétique », monsieur le ministre…
« Dans cette logique, le Bureau [de l’UNCAM] propose que chaque convention négociée entre l’UNCAM et un syndicat de professionnels de santé comporte obligatoirement le modèle type de contrat de solidarité prévu à l'article 3 de la proposition de loi et qu’il intègre obligatoirement les deux volets incitation/désincitation. »
Par conséquent, il nous faut travailler sur ce sujet de la désincitation. On ne peut pas se contenter de repartir pour une nouvelle discussion conventionnelle, car il n'y a pas de raison que cela marche mieux aujourd'hui qu’hier.
C’est dans ce cadre que nous proposons la suppression de cet article, pour relancer une négociation sérieuse et aboutir à des propositions acceptables par tous. Sur ce problème de la lutte contre les déserts médicaux, qui nous préoccupe tous ici, parlementaires comme Gouvernement, il faut avancer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. La position défendue au travers de cet amendement est bien évidemment contraire à celle de la commission, qui, de son côté, souscrit au double objectif visé à l'article 3, c'est-à-dire l’élaboration d’un contrat-type par l’UNCAM pour encadrer les futurs contrats santé solidarité et la suppression de la contribution à la charge des professionnels mis en cause.
La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 39, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° Au troisième alinéa, le mot : « peut » est remplacé par le mot : « doit ».
Cet amendement a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Défavorable !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 58 rectifié, présenté par MM. Maurey, Détraigne et Soulage, Mme N. Goulet, M. J.L. Dupont, Mme Férat et MM. Merceron et Pinton, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 72 rectifié, présenté par MM. Vanlerenberghe, Amoudry, Arthuis, Badré, Biwer, Borotra et J. Boyer, Mme Cros, MM. Deneux, Détraigne, Dubois et J.L. Dupont, Mme Férat, M. A. Giraud, Mmes N. Goulet et Gourault, MM. Jarlier, Jégou, Kergueris et Merceron, Mmes Morin-Desailly et Payet et MM. Pignard, Pozzo di Borgo, Soulage et Zocchetto, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
2° Au quatrième alinéa, les mots : « qui refusent de signer un tel contrat, ou » sont supprimés.
La parole est à Mme Roselle Cros.
Mme Roselle Cros. J’ai déjà développé dans la discussion générale l’objet de cet amendement, qui est de maintenir la contribution financière en cas de non-respect des obligations d’un contrat santé solidarité.
Dans sa rédaction issue de la loi HPST, le code de la santé publique prévoit que les praticiens qui refusent de signer un contrat santé solidarité ou qui ne respectent pas les obligations qu’il comporte pour eux s’acquittent d’une contribution forfaitaire annuelle.
L’article 3 de la proposition de loi supprime purement et simplement toute contribution forfaitaire.
Certes, nous approuvons la suppression de la contribution en cas de refus de contractualiser : les médecins sont libres et la contractualisation doit donc se faire sur la base du volontariat.
En revanche, nous proposons de maintenir la pénalité dans le seul cas du non-respect des obligations contractuelles. Il est normal que toute personne s’étant engagée dans la voie de la contractualisation respecte ses engagements. En vertu du droit général des obligations, la pénalité n’est qu’une garantie supplémentaire de l’efficacité d’un contrat, quel qu’il soit.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement tend à supprimer la contribution à la charge des médecins qui refusent de signer un contrat santé solidarité, mais à la maintenir en cas de non-respect des obligations contractuelles souscrites.
Si cette position rejoint celle qu’a adoptée la commission après de longs débats, lors de l’examen de la loi HPST, elle ne semble pas adaptée actuellement, en raison des nombreuses autres mesures prises depuis lors.
L’élaboration d’un contrat-type, en particulier par l’UNCAM, permettra d’encadrer les clauses contractuelles, sans qu’il soit nécessaire de prévoir de pénalités dans la loi.
Je demande donc à ses auteurs de bien vouloir retirer cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Cros, l’amendement n° 72 rectifié est-il maintenu ?
Mme Roselle Cros. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 3
M. le président. L’amendement n° 40, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 1434-8 du code de la santé publique, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L.... - Le schéma régional de l'organisation des soins détermine également les zones dans lesquelles, en raison d'une densité particulièrement élevée de l'offre de soins, l'installation des professionnels de santé libéraux, des maisons de santé et des centres de santé est subordonnée à l'autorisation de l'agence régionale de santé. »
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Les déserts médicaux constituent de véritables entraves pour ceux de nos concitoyennes et de nos concitoyens dont l’état de santé nécessite la consultation d’un médecin. Dans certaines régions rurales, comme dans certains quartiers populaires, il est devenu quasiment impossible de consulter si l’on n’a pas de véhicule ou si l’on ne peut pas compter sur l’aide de ses proches pour effectuer le trajet en voiture.
En tout état de cause, nous devons actuellement faire face à une situation paradoxale, puisqu’il n’y a jamais eu autant de médecins qu’aujourd’hui, et à un risque pour l’avenir. En effet, comme nous l’avons dit dans la discussion générale, nous risquons d’être confrontés, à l’horizon 2025, à une véritable pénurie, qui accroîtra un peu plus encore le phénomène des zones blanches, ces zones désertées par les professions médicales. Or, dans le même temps, certains territoires connaissent une forme de surdensification de l’offre médicale.
Ces inégalités territoriales ne sont pas homogènes et on constate d’importantes différences au sein d’une même région, voire d’un même département ou d’un même bassin d’emploi. Ce constat nous a d’ailleurs conduits à considérer que la proposition du Gouvernement en matière de numerus clausus – modulation en fonction des formations et régionalisation - n’était pas de nature à répondre aux enjeux auxquels nous sommes confrontés.
Selon une étude de l’INSEE, au 1er janvier 2007, la France comptait 101 549 généralistes et 106 642 spécialistes, soit un effectif total de 208 191 médecins. Ce chiffre ne doit pas nous impressionner, dans la mesure où ces médecins sont concentrés dans certaines zones, sans doute plus attractives.
Les mesures incitatives que la majorité préconise depuis des années n’ont pas permis de résorber les déserts médicaux : nous craignions même qu’ils ne s’étendent dans les années à venir, en raison de l’évolution démographique de la profession. Nous considérons, pour notre part, qu’il faut aller plus loin et plus vite, et qu’il appartient aux pouvoirs publics d’assurer, par tous les moyens, l’accès de nos concitoyens à la santé.
Je le dis tranquillement : pour nous, cet impératif prime le maintien de la liberté d’installation dont profitent les médecins.
C’est pourquoi nous proposons, au travers de cet amendement, de soumettre l’installation des médecins à l’autorisation des agences régionales de santé, dans les cas des zones sur-densifiées, et pour certaines spécialités médicales, afin d’éviter que certaines zones ne soient sursaturées quand d’autres manquent cruellement de médecins.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cette mesure ne s’inscrit ni dans l’histoire ni dans la culture de l’exercice de la médecine en France, et la commission n’y a jamais été favorable.
J’émets donc un avis extrêmement défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Les mots « extrêmement défavorable » sont trop faibles pour traduire l’avis du Gouvernement.
M. Fischer souhaite la création d’une carte administrative, d’une autorisation administrative, soit un dispositif à des années-lumière de ce que nous voulons pour la médecine libérale.
M. Guy Fischer. Je ne répondrai pas à la provocation du ministre !
Mme Bernadette Dupont. Mais ce n’est pas de la provocation !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d'une discussion commune.
L’amendement n° 41, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 1434-8 du code de la santé publique, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L.... - À partir du 1er janvier 2012, les médecins exerçant à titre libéral ou salarié qui s'installent dans l'une des zones visées à l'article L. 1434-8 ne peuvent adhérer à la convention nationale visée à l'article L. 162-5 du code de la sécurité sociale. »
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Avec cet amendement, inspiré par M. Maurey, nous persistons à vouloir vous convaincre de la nécessité d’aller au-delà des mesures incitatives que vous avez défendues et d’accepter enfin des mesures coercitives, les seules susceptibles, à nos yeux, d’apporter des réponses concrètes et rapides face aux inégalités territoriales induites par les déserts médicaux.
Ces déserts médicaux – faut-il le rappeler ? – concernent moins les territoires que ceux qui les habitent.
« Les mesures incitatives ne marchent pas ». Ce n’est pas moi qui le dis, monsieur le ministre, c’est M. Maurey, dont nous sommes pourtant loin de partager toutes les idées. Nous faisons cependant le même constat et pensons, comme lui, qu’il est nécessaire d’aller plus loin que de simples mesures incitatives car, tout comme lui, nous faisons primer sur toute autre considération la satisfaction des besoins sanitaires de la population.
Dans un pays aussi riche que le nôtre, où le système de santé, y compris en ville, est largement, voire complètement financé par la sécurité sociale – c’est-à-dire par la solidarité nationale ! –, rien ne justifie que le libre choix d’installation dont bénéficient les médecins réduise aussi considérablement l’accès aux soins de celles et ceux qui en ont besoin.
Notre précédent amendement tendait à interdire l’installation des médecins dans les zones sur-denses.
Anticipant l’opposition du Gouvernement et de la commission, nous avons décidé de déposer le présent amendement. Il est dans la droite ligne de ceux que nous avions présentés lors de l’examen de la loi HPST : ces derniers visaient en effet à préciser que les médecins s’installant dans des zones où les besoins sanitaires sont plus que satisfaits ne pourraient pas adhérer à la convention nationale.
Afin de justifier son opposition, la ministre de l’époque avait déclaré qu’une telle mesure reviendrait à sanctionner les patients, qui ne pourraient plus, dès lors, bénéficier des tarifs opposables.
Je tiens à préciser que cet amendement s’inscrit, pour nous, dans une dynamique globale d’interdiction, ou a minima d’encadrement des dépassements d’honoraires, comme l’attestent les amendements que nous avons déposés et qui seront débattus ultérieurement.
Par ailleurs, je constate que le Gouvernement et la majorité occultent systématiquement l’un des effets importants que pourrait avoir l’application de cet amendement, non sur les patients, mais sur les médecins eux-mêmes.
Comme vous le savez, la convention nationale prévoit la prise en charge par l’assurance maladie, grâce à l’argent provenant des cotisations sociales des salariés, d’une partie des cotisations sociales du praticien adhérant à la convention – de l’ordre de 50 %, 60 % ou 70 %... Peut-être pourriez-vous nous préciser le pourcentage, monsieur le ministre ?
Pour faire simple, le salaire socialisé, qui est une propriété collective, sert donc théoriquement à compenser une niche sociale profitant aux médecins, en contrepartie du respect des tarifs opposables et d’un effort tout théorique sur l’accès aux soins.
Nous n’avons ni les moyens ni le temps de détailler les avantages dont bénéficient les médecins. Il serait pourtant intéressant de connaître le régime fiscal qui leur est réellement appliqué...
M. le président. L’amendement n° 57 rectifié bis, présenté par MM. Maurey, Détraigne et Soulage, Mme N. Goulet, M. J.L. Dupont, Mme Férat, M. Merceron, Mme Morin-Desailly et MM. Amoudry et Dubois, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 1434-8 du code de la santé publique, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L.... - À partir du 1er janvier 2012, les médecins exerçant à titre libéral qui s'installent dans l'une des zones visées à l'article L. 1434-8 ne peuvent adhérer à la convention nationale visée à l'article L. 162-5 du code de la sécurité sociale. »
Cet amendement n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 41 ?
M. Alain Milon, rapporteur. Le schéma régional d’organisation sanitaire a notamment pour fonction de déterminer les zones dans lesquelles le niveau de l’offre de soins médicaux est particulièrement élevé.
L’amendement nos 41 vise à interdire, à compter du 1er janvier 2012, tout nouveau conventionnement dans ces zones.
L’adoption d’une telle mesure aboutirait à figer totalement le corps médical exerçant dans certaines zones et ne permettrait pas de prendre en compte les départs en retraite et les nécessaires adaptations. Il faudrait ainsi réviser le SROS en permanence.
En outre, des zones peuvent être tendues pour certaines spécialités, et pas pour d’autres. Or les auteurs de ces amendements n’opèrent pas cette distinction. En attendant qu’ils le fassent, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Je partage l’avis de la commission. M. Fischer nous propose une planification qu’il nous est impossible d’accepter.
M. Guy Fischer. Nous devons faire face à l’ultralibéralisme du ministre...
M. Jean-Pierre Fourcade. Pourquoi « ultra » ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Le Gouvernement, pas plus que la majorité et le rapporteur, ne comprend ni la situation de nos concitoyens ni leur état d’esprit.
Les Français pensent qu’il existe un service public de santé auquel participent tous les professionnels de santé : l’hôpital public, les établissements gérés par des associations, les cliniques privées et les médecins de ville, qu’ils soient généralistes ou spécialistes.
Nos concitoyens qui habitent dans des zones où la désertification grandit ne comprennent pas pourquoi des professionnels ayant fait des études longues et pratiquement gratuites, qui tirent leurs revenus des cotisations patronales et salariales, donc de « leurs » cotisations, ne sont pas incités, et même contraints à s’installer dans des zones où il n’y a plus de médecins.
Cette situation aboutit au résultat suivant : les personnes ne sont pas soignées et vont faire la queue dans les services d’urgence des hôpitaux publics, qui sont sursaturés.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le ministre, les élections cantonales sont proches. Lors des réunions que nous commençons à organiser dans les territoires, on nous pose des questions concernant les services publics. Or, que vous le vouliez ou non, pour nos concitoyens, la santé est un service public !
Alors, le discours sur « l’insupportable planification » est peut-être compris par les syndicats de médecins, mais par nos concitoyens, absolument pas !
Vous qui êtes un homme de terrain et l’élu d’un département qui n’est pas l’un des plus favorisés de France,...
M. Guy Fischer. Il s’y trouve tout de même de grands domaines...
M. Jean-Pierre Michel. ... vous devriez comprendre cette situation. Quoi qu’il en soit, lorsque vous irez soutenir vos candidats aux élections cantonales, dans votre département, vous entendrez les propos dont je viens de me faire l’écho !
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.
M. Gilbert Barbier. J’ai bien entendu le plaidoyer de mes collègues. Mais peut-on résumer d’une façon aussi simpliste et schématique le problème de l’installation des médecins ?
M. Gilbert Barbier. Il est déjà bien que des étudiants fassent le choix de la médecine libérale ! De nos jours, seul un jeune médecin sur dix accepte d’exercer dans un cabinet libéral à l’issue de ces études. Et l’on se priverait de ces médecins libéraux, qui remplaceront les praticiens partant en retraite ? On se priverait de cette chance ?
Il faut aussi tenir compte des situations personnelles et familiales. En effet, 66 % des médecins qui sortent de la faculté sont des femmes. Le système que vous souhaitez mettre en place interdirait à celles qui sont mariées de s’installer à proximité de leur foyer. Vous me direz que ce n’est pas votre problème...
M. Jean-Pierre Michel. Mon problème, ce sont ceux de nos concitoyens qui n’ont pas de médecin !
M. Gilbert Barbier. Certes, mais la solution que vous proposez n’incitera pas les médecins à s’installer dans les territoires qui en sont privés !
M. Jean-Pierre Michel. Ils préfèrent aller sur la Côte d’Azur !
M. Gilbert Barbier. L’exercice libéral permet aux médecins de s’installer là où ils le souhaitent. Ce choix, qui ne correspond pas toujours à leur vœu initial, est souvent dicté par des raisons professionnelles, familiales ou géographiques.
Votre schéma théorique, qui ressemble à une sorte de planification, pour reprendre la formule de M. le ministre, nous n’en voulons absolument pas !
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Peut-être forçons-nous un peu le trait au travers de nos amendements, mais il s’agit d’un vrai problème.
Ayant longtemps été conseiller général du canton de Vénissieux-Sud, dont dépend le grand quartier populaire des Minguettes, je peux vous dire qu’il est pratiquement impossible d’y trouver un médecin qui soit disponible la nuit ou le week-end !
Dans ces conditions, tout naturellement, les personnes angoissées par l’état de santé de l’un des leurs se rendent aux urgences de l’hôpital Édouard-Herriot ou du centre hospitalier Lyon-sud, où il faut patienter quatre ou cinq heures ! Vous pouvez vérifier, monsieur le ministre, je parle d’expérience !
Mme Raymonde Le Texier. C’est la vérité ! Dans n’importe quel hôpital parisien, c’est la même chose !
M. Guy Fischer. La situation est véritablement dramatique en matière de permanence des soins, notamment dans les quartiers populaires, dont les habitants ont de faibles moyens.
Mme Muguette Dini, président de la commission des affaires sociales. C’est vrai !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Je ne prétends pas qu’il n’y a aucun délai d’attente aux urgences des hôpitaux, monsieur Fischer, mais il s’agit aussi d’un problème d’amont. Or nous sommes persuadés que les maisons de santé apportent une solution d’amont.
En partant du même constat que vous, j’arrive donc à une conclusion différente. Peut-être nous rejoindrons-nous si vous faites un pas dans ma direction !
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Je vous remercie de me redonner la parole, monsieur le président, car j’ai été mis en cause par M. Fischer.
M. le président. Je suis un peu libéral, ce soir…
M. Gilbert Barbier. Il est nécessaire d’avoir une gestion prévisionnelle des effectifs, notamment du numerus clausus. Il fut un temps où l’on considérait que restreindre le nombre de médecins permettrait de réduire les dépenses de santé : nous en subissons aujourd'hui les conséquences. La durée des études de médecine étant d’environ dix ans, il faudra du temps pour repeupler les déserts médicaux.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, pour explication de vote.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Je souscris aux propos de M. Fischer sur l’engorgement de l’hôpital.
Cela étant, je regrette que certains syndicats hospitaliers aient refusé, voilà dix ou quinze ans, la mise en place de partenariats entre médecins libéraux et hôpital. J’avais moi-même proposé d’instaurer un tel partenariat à l’hôpital Robert-Debré pour la pédiatrie, par voie contractuelle.
Maintenant, nous sommes contraints de créer des mécanismes et des structures afin de permettre un partage des tâches, mais c’est aussi une question d’état d’esprit.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade, auteur de la proposition de loi. Cette proposition de loi comporte des dispositions positives, aux articles 1er et 2, et des dispositions correctives, à l’article 3. Je m’étonne que nos collègues de gauche aient voté et contre les articles 1er et 2 et contre l’article 3, car une telle position n’a aucune cohérence.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade, auteur de la proposition de loi. En effet, mes chers collègues, vous dénoncez la pénurie de médecins, mais vous refusez les outils que j’ai proposés pour y remédier !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Exactement !
M. Jean-Pierre Fourcade, auteur de la proposition de loi. Par conséquent, permettez-moi de dire que vous êtes totalement incohérents !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Je suis d’accord !
Mme Muguette Dini, président de la commission des affaires sociales. C’est vrai !
M. le président. L'amendement n° 42, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 1434-8 du code de la santé publique, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L.... - Ce zonage est établi en fonction de critères qui prennent en compte :
« 1° la densité et le niveau d'activité, et l'âge des professionnels de santé ;
« 2° la part de la population qui est âgée de plus de 75 ans ;
« 3° la part des professionnels de santé qui exercent dans une maison de santé ou un centre de santé ;
« 4° l'éloignement des centres hospitaliers ;
« 5° la part des professionnels de santé qui sont autorisés à facturer des dépassements d'honoraires.
« Ce zonage est soumis pour avis à la conférence régionale de santé. »
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Au travers du présent amendement, nous proposons une définition plus opérationnelle et plus pertinente du zonage.
Le rapport d’information remis à l’Assemblée nationale le 30 septembre 2008 par le député Marc Bernier montre combien le zonage, dans sa version actuelle, est totalement dépassé, en particulier s’agissant de la mobilisation des fonds publics dans la lutte contre les déserts médicaux.
Selon ce rapport, les critères retenus – je pense notamment à la densité médicale et à l’activité des médecins généralistes, mesurée par le biais du montant de leurs honoraires – ne sont pas toujours pertinents parce qu’ils ne tiennent pas compte des écarts de temps de travail ni des modes d’exercice particuliers.
Ainsi, le montant des honoraires perçus par les médecins salariés à temps partiel ne donne pas une idée juste de la charge de travail de ces derniers. Le rapport précise également, avec raison, que « les critères de densité et d’activité sont également jugés insuffisants pour refléter fidèlement la capacité de l’offre de soins de premier recours à satisfaire la demande au sein d’un territoire. Des critères complémentaires devraient être pris en compte. »
Compte tenu de ces éléments, des besoins de nos concitoyens et de la situation des comptes publics et sociaux, nous considérons qu’il serait pertinent que la loi fixe les critères selon lesquels sont établis ces zonages, tout en prévoyant une consultation pour avis des agences régionales de santé, les ARS. Nous souhaitons voir figurer parmi les critères retenus l’éloignement des centres hospitaliers et la proportion de professionnels de santé pratiquant des dépassements d’honoraires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. La commission est réticente à l’inscription de telles listes dans le code de la santé publique, car fixer un critère aboutit nécessairement à en oublier de nombreux autres. Il est donc préférable de laisser les ARS ou le pouvoir réglementaire mettre en pratique les principes posés par le législateur.
Qui plus est, les travaux d’élaboration des SROS, les schémas régionaux d’organisation des soins, sont déjà en cours. Ajouter aujourd'hui des critères, d’ailleurs trop précis, risquerait de désorganiser et de retarder ces travaux.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Monsieur Fischer, je m’étonne qu’un élu de terrain comme vous préconise la mise en place d’un zonage national ! C’est sur le terrain que l’on perçoit le mieux les réalités.
M. Guy Fischer. C’est caricatural !
M. Jean-Pierre Michel. Et les conférences régionales de santé ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 46 rectifié bis, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 4131-7 du code de la santé publique, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. ... - À partir de 2017, à l'issue de leur formation initiale, soit la fin du troisième cycle, les médecins désireux d'exercer leurs fonctions à titre libéral ou salarié sont tenus de s'installer durant une période minimum de trois ans dans un territoire où le schéma visé à l'article L. 1434-7 indique que l'offre de soins de premier recours ne suffit pas à répondre aux besoins de santé de la population. Ce dispositif s'applique également aux médecins titulaires de diplômes étrangers dans les conditions fixées par décret pris en Conseil d'État. »
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Cet amendement est le second qui nous ait été soufflé par M. Maurey… (Sourires.)
Il s’agit d’explorer une nouvelle piste pour réduire les déserts médicaux. Nous proposons que, à partir de 2017, tout médecin s’installe à l’issue de sa formation, pour une durée minimale de trois ans, dans un secteur géographique où le nombre de médecins est insuffisant pour répondre aux besoins de la population en termes d’accès aux soins.
Nous pensons qu’il serait juste que les médecins, qui ont bénéficié d’une formation d’excellence financée par les prélèvements fiscaux et sociaux, c’est-à-dire par les Françaises et les Français, et dont la rémunération est garantie par notre système de protection sociale, soient tenus d’exercer pendant une période relativement courte de trois ans dans une zone sous-dense.
De tels mécanismes existent déjà pour certaines professions du secteur public, par exemple à l’université ou dans l’armée, ainsi que dans le secteur privé, certaines entreprises imposant une contrepartie de ce type à des salariés dont elles ont financé la formation. Il ne nous semble pas illogique de les transposer aux étudiants en médecine, eu égard à l’investissement que représente, pour l’État et les collectivités, la formation de très grande qualité dont ils bénéficient.
M. le président. L'amendement n° 59 rectifié, présenté par MM. Maurey, Détraigne et Soulage, Mme N. Goulet, M. J. L. Dupont, Mme Férat et MM. Merceron, Amoudry, Dubois et Pinton, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 4131-7 du code de la santé publique, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L... - À partir de 2019, à l'issue de leur formation initiale, soit la fin du troisième cycle, les médecins désireux d'exercer leurs fonctions à titre libéral sont tenus de s'installer durant une période minimum de trois ans dans un territoire où le schéma visé à l'article L. 1434-7 indique que l'offre de soins de premier recours ne suffit pas à répondre aux besoins de santé de la population. Ce dispositif s'applique également aux médecins titulaires de diplômes étrangers dans les conditions fixées par décret pris en Conseil d'État. »
Cet amendement n'est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 46 rectifié bis ?
M. Alain Milon, rapporteur. M. Fischer a indiqué que son amendement était inspiré par celui de M. Maurey, lequel avait été présenté dans le cadre de l’élaboration de la loi HPST. M. Maurey et moi avions alors eu des échanges extrêmement vifs sur le sujet. J’avais en effet comparé ce dispositif à un « service sanitaire obligatoire », pour ne pas dire plus…
Il s’agit d’une mesure coercitive, ne prenant pas en compte la mise en œuvre des contrats d’engagement de service public, qui, depuis 2010, répondent exactement au même objectif d’installation de jeunes médecins en zones sous-denses. Pour cette année universitaire, deux cents contrats ont été proposés, et la mesure semble prendre peu à peu son essor, ainsi que l’avait d’ailleurs précisé M. Vasselle lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Je soutiens l’amendement de M. Fischer.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, dans nos départements, nos concitoyens se demandent comment fonctionnerait l’éducation nationale si les enseignants, à l’issue de leur formation, pouvaient exercer leur métier où bon leur semble, par exemple sur la Côte d’Azur ; comment fonctionnerait la justice si, à l’issue de leur formation, les magistrats étaient libres de choisir leur affectation…
La situation est identique pour les médecins, ne vous en déplaise, chers collègues ! Leurs études sont financées par les impôts et ils sont rémunérés par la sécurité sociale. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Guy Fischer. Tout à fait !
Mme Catherine Deroche. Ce n’est pas vrai !
M. Alain Milon, rapporteur. C’est faux !
M. Jean-Pierre Michel. Cela est vrai, monsieur le rapporteur, sauf pour les médecins qui pratiquent des dépassements d’honoraires ou qui refusent les patients affiliés à la CMU, praticiens que je stigmatise ici publiquement. Les autres participent à un service public et doivent s’installer là où leur présence est nécessaire pour répondre aux besoins de nos concitoyens ; c’est cela, le service public ! Mais cette notion est inconnue de nos collègues de droite !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 23 est présenté par MM. Le Menn, Daudigny, Michel et Cazeau, Mmes Alquier, Campion et Demontès, M. Desessard, Mme Ghali, MM. Gillot et Godefroy, Mme Jarraud-Vergnolle, MM. Jeannerot, Kerdraon et S. Larcher, Mmes Le Texier, Printz, San Vicente-Baudrin et Schillinger, M. Teulade et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 29 rectifié est présenté par Mmes Hermange et Desmarescaux.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - L'article L. 6161-9 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les honoraires perçus par le professionnel libéral ne constituent pas une rémunération au sens de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale. »
II. - L'article L. 6161-5-1 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les honoraires perçus par ces professionnels ne constituent pas une rémunération au sens de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale. »
III. - Après l'article L. 314-3 du code de l'action sociale et des familles, il est inséré un article L. 314-14 ainsi rédigé :
« Art. L. 31414. - Les usagers des établissements et services mentionnés aux 1°) à 9°) du I. de l'article L. 312-1 peuvent bénéficier, lorsque leur état de santé le nécessite, des soins médicaux et paramédicaux dispensés par les professionnels de statut libéral, sans préjudice des dispositions des articles R. 314-26, R. 314-122, D. 312.12, D. 312-59-2, D. 312-59-9 et R. 344-2. ».
IV. - La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale des I à III ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour présenter l’amendement n° 23.
Mme Raymonde Le Texier. Cet amendement est relatif aux interventions des professionnels médicaux et paramédicaux exerçant à titre libéral dans les établissements et services sanitaires, sociaux et médicosociaux.
Bien que la loi HPST encourage l’intervention des professionnels libéraux dans les établissements de santé privés et les établissements privés délivrant des soins à domicile, les précisions apportées par cette loi n’ont pas permis d’écarter le risque de requalification du contrat d’exercice libéral en contrat de travail par les URSSAF, les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales. Or de telles requalifications engendrent des redressements qui peuvent être particulièrement importants.
D’ailleurs, lors des débats parlementaires sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, le Gouvernement, a priori conscient du problème, avait pris l’engagement, demeuré sans effet à ce jour, d’adresser une instruction aux URSSAF à ce sujet.
C’est la raison pour laquelle l’amendement n° 23 vise à exclure explicitement les honoraires perçus par les professionnels libéraux de la qualité de rémunération au sens du code de la sécurité sociale et de l’assiette du calcul des cotisations sociales acquittées par les employeurs et les salariés au titre d’une relation salariée.
De la même manière, lorsque l’état de santé de leurs usagers le nécessite, les établissements sociaux et médicosociaux doivent pouvoir bénéficier de l’intervention de professionnels médicaux et paramédicaux exerçant à titre libéral, sans que cette dernière soit requalifiée en activité salariée soumise à cotisations sociales.
Il paraît également légitime que les usagers de ces structures puissent bénéficier d’une couverture complète de leurs frais de santé, à égalité de droits avec l’ensemble des assurés sociaux.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, pour présenter l'amendement n° 29 rectifié.
Mme Marie-Thérèse Hermange. La loi HPST a encouragé l’intervention des professionnels libéraux dans les établissements de santé privés et les établissements privés délivrant des soins à domicile.
Cependant, les précisions apportées par ce texte ne permettent pas d’écarter le risque de requalification du contrat d’exercice libéral en contrat de travail par les URSSAF.
C’est pourquoi le présent amendement tend à exclure explicitement les honoraires perçus à ce titre par les professionnels libéraux de la qualité de rémunération au sens du code de la sécurité sociale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. J’observe tout d’abord que le IV de ces amendements mentionne une perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale. En réalité, il s’agit d’une augmentation de dépenses. Par conséquent, ces amendements auraient dû passer sous les fourches caudines de l’article 40 de la Constitution !
Cela étant dit, il s’agit d’un problème que nous avons déjà souvent évoqué, celui des conditions de prise en charge des cotisations sociales des professionnels libéraux intervenant dans des établissements de soins ou médicosociaux.
L’article L. 722-4 du code de la sécurité sociale n’autorise la prise en charge des cotisations sociales des professionnels médicaux conventionnés que sur les revenus de l’activité exercée dans le cadre des conventions nationales.
De deux choses l’une : ou bien l’activité de ces professionnels est rémunérée par l’établissement selon des modalités convenues avec lui, et il ne s’agit alors pas de revenus conventionnés ; ou bien elle est rémunérée par le patient, et entre alors dans le cadre des revenus conventionnés.
J’ajoute que lorsque les tarifs des structures intègrent la prise en charge des soins donnés à leurs résidants, on ne peut pas faire payer deux fois l’assurance maladie : d’une part à travers la rémunération de la structure, d’autre part par la prise en charge des cotisations sociales des professionnels rémunérés par la structure.
Il paraît donc difficile de changer cette règle sans occasionner de nouvelles dépenses à l’assurance maladie. Si ces amendements étaient maintenus, la commission émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. J’hésite ! (Sourires.) J’avais, a priori, le même avis que la commission, mais l’argumentation de Marie-Thérèse Hermange m’amène à reconnaître qu’il s’agit d’un vrai sujet. Le risque de requalification par le juge serait très mince, mais il existe… Ne voulant pas contredire la commission, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
M. Jean-Pierre Michel. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 23 et 29 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 3.
M. Jean-Pierre Michel. Bravo !
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, tout à l’heure, le président du Luart a rappelé que la conférence des présidents avait inscrit la présente proposition de loi dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe UMP, le temps imparti étant limité à quatre heures.
Dans ces conditions, la discussion de ce texte devrait s’interrompre à vingt et une heures. Mais, compte tenu de la suspension de vingt minutes demandée précédemment par la commission, je vous propose de la poursuivre jusqu’à vingt et une heures quinze.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, votre interprétation du règlement me paraît contestable. En effet, la durée de la suspension demandée par la commission doit à mon sens être comprise dans le temps prévu par la conférence des présidents.
M. Guy Fischer. Eh oui ! Cette suspension n’était pas de notre fait !
M. Jean-Pierre Michel. Au surplus, nous avons commencé l’examen de la présente proposition de loi à seize heures cinquante. Par conséquent, il convient de l’interrompre à vingt heures cinquante.
Votre décision fera jurisprudence, monsieur le président ! Si vous la maintenez, elle vaudra lorsque des suspensions de séance interrompront la discussion de propositions de loi du groupe socialiste !
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Vous avez tout à fait raison, mon cher collègue !
M. le président. Mes chers collègues, dans un esprit de conciliation, je vous propose de retenir un moyen terme : le Sénat est-il d’accord pour interrompre l’examen de ce texte à vingt et une heures ? (Assentiment.)
Il en est ainsi décidé.
L'amendement n° 43, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l'article 116 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière est complété par une phrase ainsi rédigée :
« En outre, il assure la gestion du dispositif prévu par l'article L. 632-6 du code de l'éducation conformément aux besoins de santé auxquels répondent l'offre de soins de premier recours et les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux publics et privés pratiquant les tarifs conventionnels. »
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Cet amendement n’est pas sans lien avec celui que nous avons défendu tout à l’heure et qui tendait à imposer aux jeunes médecins d’exercer leur activité pendant trois ans au minimum dans une zone sous-dense.
Aux termes de l’article L. 632-6 du code de l’éducation, les étudiants admis à poursuivre leurs études médicales à l’issue de la première année du premier cycle peuvent, s’ils le souhaitent, signer avec le Centre national de gestion un contrat d’engagement de service public. Celui-ci permet aux étudiants de bénéficier, outre des rémunérations auxquelles ils peuvent prétendre du fait de leur formation, d’une allocation mensuelle versée par le Centre national de gestion jusqu’à la fin de leurs études médicales. En contrepartie, ils s’engagent à exercer à titre libéral ou salarié, à compter de la fin de leur formation, dans un établissement public de santé.
Par ailleurs, l’article 116 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière dispose que « le Centre national de gestion est l’établissement public national chargé de la gestion des personnels de direction de la fonction publique hospitalière, des directeurs des soins et des praticiens hospitaliers ».
Par l’amendement n° 43, nous proposons que le Centre national de gestion se voit confier la mission d’assurer la gestion du dispositif prévu par l’article L. 632-6 du code de l’éducation, afin qu’il soit en mesure de disposer d’une vision d’ensemble de la situation et d’apporter une réponse globale et cohérente, du point de vue territorial, au développement des déserts médicaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement tend à confier au Centre national de gestion l’organisation du contrat d’engagement de service public. Or cela est déjà le cas, aux termes de l’article L. 632-6 du code de l’éducation.
La précision supplémentaire qu’il vise par ailleurs à introduire n’apporte pas grand-chose au dispositif.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 43.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 3 bis (nouveau)
Après l’article L. 6112-3-1 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 6112-3-2 ainsi rédigé :
« Art L. 6112-3-2. – Pour sa participation à la mission de service public mentionnée au 1° de l’article L. 6112-1 dans un établissement de santé assurant cette mission, le médecin libéral qui exerce une spécialité médicale répertoriée dans le contrat mentionné au neuvième alinéa de l’article L. 6112-2 du présent code et selon les conditions fixées par ce contrat est indemnisé par l’établissement.
« Un arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé fixe les conditions de l’indemnisation forfaitaire. »
M. le président. L'amendement n° 44, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le chapitre IV du titre V du livre premier de la sixième partie du code de la santé publique est abrogé.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. La pratique consistant à autoriser certains professionnels de santé à exercer une activité libérale au sein des établissements publics tend à se développer. Elle concerne tout de même 4 300 praticiens hospitaliers, soit 12 % de l’effectif total de ces derniers. Elle s’étend d’autant plus que s’accroît le nombre de médecins ou de jeunes diplômés qui, par crainte de l’isolement, refusent de s’installer en cabinet.
Certes, cette pratique est relativement encadrée, puisque le temps consacré à l’exercice libéral en milieu hospitalier public ne peut pas dépasser plus de 20 % du temps de travail total des médecins.
Or, curieusement, il semblerait que les revenus perçus par les professionnels de santé pratiquant une activité libérale augmentent sensiblement. Cette situation est étonnante, dans la mesure où les conditions d’encadrement de l’exercice libéral à l’hôpital public la rendent théoriquement impossible.
De toute évidence, étant donné que la proportion d’actes réalisés au titre de l’activité libérale ne progresse pas, cela signifie que la rémunération correspondante a tendance à augmenter, notamment en raison de dépassements d’honoraires massifs.
Ce mélange des genres, qui permet à des praticiens hospitaliers de renforcer leur pouvoir d’achat en entretenant une certaine confusion entre exercice public et exercice privé, n’est plus souhaitable. S’il permettait hier de fidéliser des professionnels de santé qui auraient pu être tentés par le secteur privé, plus lucratif, il représente parfois aujourd’hui un véritable dévoiement du système : certains praticiens hospitaliers profitent de la confiance des patients dans le secteur public, reconnu pour son excellence, et utilisent pour un exercice libéral des installations financées par les fonds publics.
Naturellement, ces médecins reversent une contribution à l’hôpital pour l’utilisation des structures et des appareils. Toutefois, on est en droit de se demander s’il est légitime que des fonds et des structures publics puissent permettre à des professionnels de santé de pratiquer, au sein de l’hôpital public, des dépassements d’honoraires, ce qui est contraire au principe d’égalité dans l’accès aux soins.
En effet, selon le rapport de l’IGAS du mois d’avril 2007, « le taux de dépassement des honoraires est de 98,5 % pour l’ensemble des disciplines en secteur 2 ». Pis, toujours aux termes de ce rapport, « toutes spécialités confondues, les dépassements d’honoraires par praticien dans le secteur 2 apparaissent en moyenne plus élevés dans le secteur hospitalier public que dans le secteur privé ».
Aussi, afin d’éviter de tels abus, insupportables pour nos concitoyens les plus modestes, proposons-nous de supprimer la faculté offerte aux praticiens hospitaliers d’exercer, au sein du secteur public, une activité libérale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. L’article 3 bis présente un grand intérêt, car il permet de prévoir une harmonisation de l’indemnisation des médecins libéraux qui participeront à la permanence des soins dans les établissements de santé. C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 44.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre la discussion de cette proposition de loi. Il reviendra à la conférence des présidents ou au Gouvernement d’inscrire la suite de son examen à l’ordre du jour des travaux du Sénat.
La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Je regrette que des textes importants, tels que la proposition de loi relative aux recherches sur la personne, le projet de loi visant à compléter la transposition d’une directive, la semaine dernière, ou, ce soir, la présente proposition de loi, soient discutés à une heure trop tardive ou à la veille d’une interruption des travaux parlementaires. En l’occurrence, la suite de la discussion du texte qui nous occupe est de surcroît renvoyée à une échéance inconnue ! Je déplore profondément cette situation.
S’agissant de la présente proposition de loi, j’ajoute que le dépôt tardif d’amendements par le Gouvernement ne nous a pas permis de disposer de l’ensemble des éléments nécessaires pour apprécier les conséquences que pourrait emporter notre vote pour les patients et l’organisation hospitalière. Je tenais à le dire en séance publique ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. Guy Fischer. Nous partageons ce point de vue !
M. le président. Ma chère collègue, nous ne faisons qu’appliquer les décisions de la conférence des présidents, où tous les groupes sont représentés…
Mme Raymonde Le Texier. Cela veut dire que personne n’y est écouté !
M. le président. J’ajoute que, en maintenant le même rythme d’examen des amendements, il nous faudrait environ quatre heures pour achever la discussion de cette proposition de loi.
La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Le règlement doit être respecté : la conférence des présidents avait prévu quatre heures de débat.
Toutefois, nous nous reverrons très vite pour poursuivre et achever l’examen de ce texte, qui est une priorité pour le Sénat, mais aussi pour le Gouvernement. Je tiens à dire que le Gouvernement prendra ses responsabilités à cet égard, en tenant compte bien évidemment du calendrier sénatorial : il ne s’agit donc nullement d’un renvoi aux calendes grecques ! Si nous voulons rétablir la confiance au profit des patients, il importe que la proposition de loi présentée par M. Fourcade soit adoptée très rapidement.
Je remercie le Sénat de la qualité de ce débat, qui a révélé un véritable clivage entre les tenants de l’exercice libéral, dans le respect bien sûr d’un certain nombre de principes, et les autres.
Mme Raymonde Le Texier. C’est sûr !
M. le président. La suite du débat est renvoyée à une prochaine séance.
14
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour un rappel au règlement.
M. Guy Fischer. On ne saurait bâcler un tel débat.
M. Guy Fischer. Il est absolument nécessaire d’amender cette proposition de loi et de débattre au fond.
Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 36, alinéa 3, de notre règlement et a trait à l’organisation de nos travaux.
Conformément à l’article 16, alinéa 2 ter, du règlement, le président du groupe UMP, Gérard Longuet, opposé à la demande de constitution d’une commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique, a demandé un débat sur celle-ci.
Or, en vertu de cet article, seuls peuvent s’exprimer dans ce débat le Gouvernement et, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, l’auteur de l’opposition, l’auteur ou le premier signataire de la demande ainsi que les présidents des commissions permanentes.
Cet article, introduit à l’occasion de la modification du règlement intervenue en 2009, est en contradiction avec l’esprit même de la Constitution, qui, suite à la réforme votée sur l’initiative du Président de la République, reconnaît désormais les droits des groupes minoritaires.
En effet, l’article 16, alinéa 2 ter, du règlement, qui s’inscrit dans l’ensemble des mesures réglementaires méconnaissant les droits des groupes d’opposition, nous empêche de nous exprimer sur la création, que nous appelons de nos vœux, d’une commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique. C’est là, on en conviendra, une curieuse manière de renforcer la démocratie parlementaire et les droits de l’opposition que de lui interdire de s’exprimer sur des questions d’organisation du travail sénatorial.
L’attitude du groupe UMP en dit long sur la conception que certains peuvent se faire d’une réforme des lois relatives à la bioéthique ! Un sujet d’une telle importance aurait justifié la création d’une commission spéciale.
M. le président. Monsieur Fischer, je rends hommage à votre maestria : vous faites un rappel au règlement pour échapper à son application… (Sourires.)
Votre intervention vous a permis d’exprimer votre opposition à la demande formulée par le président du groupe UMP, ce que le règlement n’autorise pas ! Je vous félicite !
M. Guy Fischer. Merci !
15
Débat sur une demande de constitution d’une commission spéciale
Rejet de la demande
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la demande de constitution d’une commission spéciale sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la bioéthique. Cette demande a été présentée par M. Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, le 15 février 2011, à la suite de la publication du projet de loi.
Mes chers collègues, je vous rappelle que, par lettre en date du 16 février 2011, M. Gérard Longuet, président du groupe Union pour un mouvement populaire, a saisi M. le président du Sénat d’une opposition à cette demande, en application du second alinéa du 2 bis de l’article 16 du règlement, ce qui a conduit à l’inscription d’office à notre ordre du jour de ce débat.
Dans le débat, la parole est à M. Jean-Pierre Michel, au nom du groupe socialiste, auteur de la demande de constitution d’une commission spéciale.
M. Jean-Pierre Michel, au nom du groupe socialiste, auteur de la demande de constitution d’une commission spéciale. Monsieur le président, mes chers collègues, le groupe socialiste a donc demandé la création d’une commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique, en application de l’article 16, paragraphe 2 bis, de notre règlement.
Je rappelle que les commissions spéciales sont prévues par l’article 43 de la Constitution. Elles sont constituées en général pour examiner un projet de loi d’une importance particulière et dont le sujet dépasse le champ de compétence d’une seule commission.
Nous sommes clairement dans ce cas s’agissant du projet de loi relatif à la bioéthique.
Tout d’abord, le sujet est d’une particulière importance. Il s’agit d’analyser les conséquences sociales, juridiques, morales et culturelles de l’évolution des pratiques médicales sur le corps humain et de légiférer afin d’encadrer ces pratiques, ce qui n’est pas simple.
De nouvelles questions surgissent à propos du clonage, de la recherche sur l’embryon ou sur le génome humain, de la gestation pour autrui, de la transplantation d’organes, des expérimentations médicales. Il s’agit ici non pas de technique, mais de notre vision de la société, de la définition de notre projet collectif. Une commission spéciale est clairement l’outil adéquat pour examiner des textes de cette ampleur.
Ensuite, plus prosaïquement, le champ du projet de loi excède la compétence d’une seule commission. La commission des affaires sociales est, bien entendu, concernée au premier chef, mais la commission des lois l’est également, puisque plusieurs articles du code civil seront affectés par les décisions que nous prendrons. En outre, les sujets examinés posent souvent, au-delà de l’aspect éthique, des problèmes juridiques d’une difficulté particulière. Il est aussi largement question de la recherche, de l’éducation, thèmes qui relèvent de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, et je pourrais démontrer que chacune de nos commissions peut être concernée.
Au-delà de cet aspect un peu formel, mes chers collègues, c’est vraiment parce que nous pensons que la création d’une commission spéciale s’impose que nous avons fait cette demande. En effet, les commissions spéciales ont été prévues pour l’étude de textes comme celui-là, sur lesquels chacune et chacun d’entre nous doit pouvoir débattre et prendre position. Les sujets abordés dans ce projet de loi transcendent les cadres partisans habituels et les domaines de compétence des différentes commissions. Chacun d’entre nous se déterminera en son âme et conscience ; chacun d’entre nous, au-delà de son appartenance à telle ou telle commission, à telle ou telle formation politique, devra pouvoir participer aux travaux.
J’indique que l’Assemblée nationale a constitué une commission spéciale : ce n’est pas un argument, mais c’est un signe. La commission des affaires sociales a d’ailleurs anticipé sur la création d’une commission spéciale,…
Mme Marie-Thérèse Hermange. Absolument !
M. Jean-Pierre Michel, au nom du groupe socialiste, auteur de la demande de constitution d’une commission spéciale. … puisqu’elle a organisé quatre rencontres thématiques ouvertes à tous les sénateurs, et animées avec objectivité par Mme la présidente Dini et Mme Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Merci !
M. Jean-Pierre Michel, au nom du groupe socialiste, auteur de la demande de constitution d’une commission spéciale. J’ai moi- même participé à ces réunions, au côté d’un certain nombre de collègues n’appartenant pas à la commission des affaires sociales mais qui avaient des choses à dire sur le thème de l’éthique.
Aujourd’hui, les arguments que nous avançons en faveur de la création de cette commission spéciale sont clairs et dépourvus de toute arrière-pensée. En revanche, j’attends avec intérêt d’entendre les arguments qui seront formulés contre notre demande.
L’argument relatif à la grande brièveté des délais me paraît tout à fait hors de propos, car la commission spéciale pourrait commencer à travailler dès le 2 mars. Je ne suis pas sûr que la commission saisie au fond, qui a d’ailleurs déjà désigné son rapporteur, pourra aller plus vite, puisque nous allons suspendre nos travaux pour une semaine.
En outre, si un problème de délais se pose, il doit être résolu par le biais de l’organisation de nos travaux, et non au travers du choix des commissions concernées.
En conclusion, mes chers collègues, la commission spéciale est un outil nouveau de la ve République. Il garde un grand intérêt, notamment pour les questions de société. C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste du Sénat souhaiterait la création d’une commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique. Je demande à chacune et à chacun d’entre vous de voter en son âme et conscience, comme nous devrons tous le faire sur le projet de loi relatif à la bioéthique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, au nom du groupe UMP, auteur de l’opposition à la demande de constitution d’une commission spéciale.
M. Alain Milon, au nom du groupe UMP, auteur de l’opposition à la demande de constitution d’une commission spéciale. Monsieur le président, mes chers collègues, si le groupe UMP, par la voix de son président, s’est opposé à la demande de constitution d’une commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique, c’est uniquement pour une raison pratique.
En effet, le calendrier que semble vouloir tenir le Gouvernement nous impose de remettre le rapport sur ce texte à la fin du mois de mars, l’examen en séance publique du projet de loi étant prévu dans le courant de la première semaine d’avril.
Or, dès lors que le Parlement suspend ce soir ses travaux pour une semaine, nous ne pourrions constituer la commission spéciale qu’au début du mois de mars, pour commencer ensuite à examiner le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.
Nécessairement, ce délai supplémentaire réduirait le temps dont nous disposons pour conduire des auditions et débattre sur des sujets complexes, qui exigent que nous puissions confronter les points de vue afin d’élaborer une position susceptible de recueillir, au sein de notre assemblée, le plus grand nombre de suffrages.
Comme vous le savez, la commission des affaires sociales m’a désigné comme rapporteur de ce projet de loi. Si elle reste saisie au fond, il va de soi que j’ouvrirai les auditions à l’ensemble des sénateurs, qui seront tous informés le plus tôt possible de leur organisation, afin qu’ils puissent y assister et y participer s’ils le souhaitent.
De la même manière, avec l’autorisation de la présidente de la commission, Mme Dini, nous pourrions inviter tous nos collègues intéressés à prendre part à nos réunions de commission pour examiner le rapport et les amendements.
La commission des affaires sociales me paraît pleinement en mesure de conduire l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique de manière ouverte et pluraliste et de faire entendre sur ces questions fondamentales une voix qui soit celle du Sénat dans son ensemble. C’est en tout cas l’engagement que je prends, pour le cas où la Haute Assemblée déciderait de ne pas procéder à la constitution d’une commission spéciale et de confier l’examen de ce texte à la commission des affaires sociales.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mes chers collègues, en ce qui me concerne, je n’ai pas manifesté d’opposition à la demande de constitution d’une commission spéciale.
En d’autres circonstances, la commission des affaires sociales n’aurait vu aucun obstacle à la constitution d’une commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique, considérant que les sujets abordés intéressent, à l’évidence, l’ensemble de nos collègues et que l’expertise de chacun sera précieuse à tous.
C’est d’ailleurs dans cet esprit que j’avais pris l’initiative, l’année dernière, sous le parrainage du président Gérard Larcher, d’organiser, en prévision de l’examen annoncé de ce texte, un cycle de conférences préparatoires ouvert à tous les sénateurs, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur Michel. Par ses présentations, notre collègue Marie-Thérèse Hermange avait très largement contribué à leur succès.
Notre intention était alors de sensibiliser chacun d’entre nous à quelques dossiers essentiels, tels que le don d’organes ou la procréation médicalement assistée, entre autres.
Bien nous en a pris, car le calendrier envisagé par le Gouvernement est très contraint : nous devrions en principe examiner ce projet de loi en séance publique dès le 5 avril prochain. Je ne vous cache pas, monsieur Michel, que j’ai demandé au Gouvernement de retarder cette discussion en séance publique. Il m’a été répondu qu’il n’en était pas question et que nous n’avions qu’à nous débrouiller… Une telle réponse m’a, je dois le dire, quelque peu inquiétée.
Sachant que ce projet de loi a considérablement enflé depuis sa discussion par l’Assemblée nationale, puisque le nombre de ses articles est passé de trente à soixante-deux, il me paraît vraiment difficile d’envisager de ne pas utiliser pour son examen les deux semaines que nous devrions consacrer à la formation d’une commission spéciale.
Pour ces motifs, je m’en remettrai au souhait du groupe UMP et à la sagesse de son président, Gérard Longuet : notre commission avait déjà été chargée, en 2004, de la précédente loi relative à la bioéthique ; je pense qu’elle sera parfaitement en mesure d’étudier ce projet de loi. Comme l’a suggéré notre rapporteur Alain Milon, je suis évidemment très favorable à l’ouverture de nos auditions à l’ensemble des sénateurs intéressés. Nos réunions de commission sur ce texte seront également ouvertes à tous les sénateurs qui souhaiteront y prendre part ; nous les tiendrons informés de leur calendrier pour qu’ils puissent y participer.
M. le président. Le débat est clos.
Je mets aux voix la demande de constitution d’une commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 166 :
Nombre de votants | 325 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 163 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 172 |
La demande de constitution d’une commission spéciale n’est pas approuvée.
En conséquence, le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique est envoyé à la commission des affaires sociales.
16
Nomination de membres d'un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et la commission des affaires sociales ont proposé des candidatures pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame MM. Marcel-Pierre Cléach et Guy Fischer pour siéger, en qualité de membres titulaires, au sein de la Commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires créée en application de l’article 7 de la loi n° 2010-2 du 2 janvier 2010.
17
Nomination d'un membre d'une commission
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe de l’Union centriste a présenté une candidature pour la commission des affaires européennes.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Roselle Cros membre de la commission des affaires européennes à la place laissée vacante par M. Pierre Fauchon, dont le mandat de sénateur a cessé.
18
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le jeudi 17 février 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-123 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
19
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 1er mars 2011 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales.
(Le texte des questions figure en annexe.)
À quatorze heures trente :
2. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs (n° 133, 2010-2011).
Rapport de M. André Dulait, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 211, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 212, 2010-2011).
3. Projet de loi relatif au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité (n° 70, 2010-2011).
Rapport de M. Josselin de Rohan, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 306, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 307, 2010-2011).
De dix-sept heures à dix-sept heures quarante-cinq :
4. Questions cribles thématiques sur la situation en Afghanistan.
À dix-huit heures et, éventuellement, le soir :
5. Suite de l’ordre du jour de l’après-midi.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt et une heures vingt-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART