compte rendu intégral
Présidence de Mme Monique Papon
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Monique Cerisier-ben Guiga,
M. Philippe Nachbar.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Candidature à un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages.
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Ambroise Dupont pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
3
Organisme extraparlementaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé à la Haute Assemblée de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’orientation stratégique de l’Institut français, en application de l’article 5 du décret n° 2010-1695 du 30 décembre 2010.
Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission de la culture, de l’éducation et de la communication à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
3
Coordination des politiques économiques au sein de l'Union européenne
Rejet d'une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution relative à la coordination des politiques économiques au sein de l’Union européenne, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Yvon Collin et certains membres du RDSE (proposition n° 204).
La parole est à M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution.
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis plusieurs générations déjà, l’Europe est un projet politique de premier plan, qui vise à accroître la prospérité des États et des peuples en créant les conditions d’une paix durable et du progrès économique et social pour tous. L’Europe, c’est encore et toujours une volonté politique au service du bonheur des peuples.
Confrontons un instant ce discours à quelques notions.
La démocratie. La souveraineté des peuples est-elle à ce point redoutée que l’on s’efforce par tous les moyens de se passer de la décision des citoyens sur des choix aussi essentiels que ceux qui portent, par exemple, sur les éléments les plus fondamentaux de la politique économique, à savoir les politiques monétaire et budgétaire ?
La solidarité entre les États. La voyons-nous à l’œuvre quand chacun s’emploie, par des politiques d’attractivité insoutenables – sauf à saper les bases économiques de ses partenaires – à attirer sur son territoire le plus de ressources économiques possible ?
L’économie sociale de marché. Les marchés dictent-ils leur loi aux États en les obligeant à une répartition des revenus au bénéfice prioritaire, et même parfois exclusif, des détenteurs du capital ?
La puissance économique. Est-elle réalisée quand l’Europe est la zone du monde, le Japon mis à part, où la croissance est la plus languissante et où la monnaie évolue au gré des seuls intérêts des autres ensembles économiques ?
La justice sociale. La voyons-nous à l’œuvre quand les inégalités augmentent, quand le taux de pauvreté s’accroît, quand les protections sociales sont démantelées au nom d’une compétitivité toujours brandie comme un étendard, mais sans cesse déclinante ?
Je ne voudrais pas alimenter ici l’euroscepticisme en incriminant l’échelon européen plutôt que celui des nations. Je n’ignore pas ce que le bilan plutôt accablant de la Commission européenne doit à une idéologie qui voit dans la dimension politique un mal presque absolu et qui la fait se détourner de sa mission première de défense de l’intérêt général européen. Surtout, je sais que, quoique l’on prétende, hormis dans les domaines très précis où ils ont délégué leur souveraineté, ce sont les États qui sont les ultimes responsables de l’abandon le plus grave de tous : l’oubli des objectifs de l’Europe et, avec lui, le renoncement à l’idéal européen.
Il ne faut pas craindre de l’affirmer : la crise que nous subissons n’est pas seulement une crise de l’Europe ; c’est une crise en Europe – et du politique en Europe.
À ce propos, nous avons tous entendu les discours complaisants sur l’origine transatlantique de la crise économique, ainsi que bien des lamentations sur la perte d’éthique et la morale défaillante des acteurs de la finance. Ces ritournelles, pour sonner parfois justes, me semblent bien loin de ce qu’il faut dire et penser de la crise. En effet, celle-ci ne fut pas seulement le produit délétère des arrière-salles des banques américaines ni la chose de quelques jeunes apprentis sorciers à la cupidité malsaine. Elle ne fut pas non plus le résultat d’un malheureux concours de circonstances où les événements les plus improbables se seraient déclenchés par l’effet d’un funeste hasard.
Non, cette crise fut bien celle d’un système économique dans son ensemble, à savoir le capitalisme court-termiste globalisé et l’ultralibéralisme, avec ses mots d’ordre dérégulateurs – flexibilité, attractivité, compétitivité –, qui reflètent un monde économique fictif et enfantent l’enfer pour de plus en plus d’individus.
En somme, les déséquilibres sur lesquels ce système danse ne sont pas seulement ceux de la finance mondiale. Ce sont aussi des dérèglements économiques, logés dans la sphère réelle elle-même, où la répartition des revenus se déstabilise tellement que l’ensemble est voué à des incohérences qui mettent le danseur à terre.
L’Europe ne fut nullement l’infortunée victime collatérale de l’un de ces tremblements de terre économiques dont la fréquence s’accroît dangereusement depuis quelques années. Elle fut pleinement un acteur de ce séisme. Tout autant que les autres, elle fut touchée par les conséquences des jeux auxquels elle s’est livrée. Tout autant – et même plus – que les autres, les pays européens peinent à se sortir de cette nasse, qui est particulièrement redoutable quand on sait combien leur avenir dépend de leur capacité à s’extraire vite du trou noir qui semble les absorber.
À cet égard, ce n’est pas de moins, mais de plus d’Europe que nous avons besoin, et d’une autre Europe, celle de la croissance, de la justice sociale, de l’équilibre, où le travail trouve toute sa place, donc d’une Europe qui porte un projet politique partagé.
Beaucoup a été fait pour sauver les banques, et je suis de ceux qui, dans cet hémicycle, ont accepté cette politique. Toutefois, ces secours, dont les modalités auraient dû être différentes, devaient avoir des contreparties. Or celles-ci ne sont pas venues. Et ce sont les États, par leur absence de volonté politique, qui sont ici responsables.
Pis encore, aujourd’hui, c’est avec une coupable complaisance que ces États, avec l’active complicité de la Banque centrale européenne, la BCE, autorisent la finance à dégager des marges d’intérêt faramineuses sur les titres de dette publique de pays européens de plus en plus nombreux à être étranglés par les mains auxquelles ils ont tendu les leurs.
M. Jean-Pierre Chevènement. Absolument !
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution. Les conditions de taux faites aux débiteurs excèdent de beaucoup leurs perspectives de croissance économique, et un effet boule de neige de l’endettement est en marche, alors même que l’on prétend avoir comme objectif prioritaire la réduction de la dette publique. Tout cela doit, en bonne logique, mener à un nouveau désastre financier.
M. Jean-Pierre Chevènement. Exact !
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution. La seule façon de l’éviter, ce sont des plans d’austérité budgétaire qui frappent tout particulièrement les ménages européens, salariés, retraités, malades ou chômeurs.
Les rentiers ou les spéculateurs n’ont aucune inquiétude à avoir : la concurrence fiscale en Europe préservera leurs revenus garantis par la Banque centrale. Au fond, rien n’a changé dans la finance européenne. Faute de volonté politique, mais aussi de coopération entre la Banque centrale européenne et les gouvernements, la prédation financière se poursuit sous d’autres formes, mais avec le même résultat : la montée des périls macroéconomiques, l’austérité pour la quasi-totalité des populations d’Europe et le déclin des États et de leur capacité à assurer leurs si nécessaires fonctions.
Alors que la combinaison des politiques économiques devrait s’attacher à mettre en place une coopération entre une politique monétaire accommodante et une politique budgétaire de rétablissement à petits pas des finances publiques sur fond de contribution du capital privé, afin d’en revenir à un sentier de croissance durable, tous les éléments de cet équilibre sont sens dessus dessous.
La BCE assure l’effet boule de neige de la dette qui alourdit les ajustements rendus nécessaires par l’état des finances publiques, délabrées par la crise. Alors que nous sommes en plein choc de demande, nous adoptons des plans d’austérité budgétaire qui pèseront sans doute sur la demande. Déjà, le Royaume-Uni s’enfonce de nouveau dans la récession, et les perspectives de croissance du Portugal, de la Grèce, de l’Irlande mais aussi des autres pays européens se dégradent. Et en France, il n’y a pas plus de relance qu’il n’y eut de baisse du chômage en 2010 !
N’en doutez pas, mes chers collègues, l’austérité budgétaire qui pèse sur la croissance d’aujourd’hui et de demain affectera à long terme la dynamique de l’Europe et détruira encore un peu plus la confiance de nos concitoyens.
Pendant ce temps, aux États-Unis, en Asie – des zones économiques auxquelles, je le note incidemment, les contribuables européens versent de confortables revenus financiers –, on profite qui d’une politique monétaire autrement moins conventionnelle et absurde, qui, sous forme d’investissements directs, des transferts financiers réalisés par les entreprises européennes dans le cadre de la nouvelle division internationale du travail.
Monsieur le secrétaire d'État, je voudrais vous poser une question simple : pourquoi, quand la FED, la Réserve fédérale américaine, rachète directement la dette publique des États-Unis en maintenant des taux d’intérêt très bas, nous offrons-nous le luxe de payer des commissions élevées aux banques commerciales en Europe pour une intermédiation totalement inutile ?
Ne me répondez pas que c’est pour éviter l’inflation, car, si un risque inflationniste existe en Europe, c’est du fait des spéculations financières sur les matières premières ou de la restriction du crédit aux entreprises, certainement pas par la monétisation de dettes publiques qui plus est souvent portées par des capitaux étrangers. Ne me dites pas non plus que nous y risquerions notre réputation, car ce qui compte pour les créanciers, c’est d’être remboursés tout en trouvant une rémunération acceptable. Toutefois, celle-ci doit l’être aussi pour les débiteurs, et pour cela elle doit être compatible avec la survie de ces derniers. Or, en l’état, tel n’est pas le cas, vous le savez, monsieur le secrétaire d'État.
L’Europe des ordo-libéraux manque décidément de la capacité de vouloir sans laquelle il n’est pas de capacité de concevoir. Point de vision ni de stratégie, sinon sur le papier jauni de Conseils européens prompts à avaler la doxa d’une commission européenne convertie aux rêveries de l’école de Chicago.
Ne nous y trompons pas : au lieu de sortir de la crise, nous sommes en train de nous y enliser ! Ce qui est en cause, au-delà de notre capacité, tragiquement inexistante aujourd’hui, à sortir de la crise dramatique que la France et la plupart des Français traversent, c’est le projet européen lui-même, donc l’avenir de l’Europe.
La crise en Europe, c’est surtout cela. Nous pouvons bien écrire sur le papier toutes les stratégies que nous voulons, ces documents ne pèsent rien en pratique, tant ils négligent les conditions d’accomplissement des ambitions qu’ils affichent. Pis encore, ils jettent les bases de leur propre vanité.
L’Europe se construit sur des fictions : celles de la concurrence pure et parfaite et de l’efficience des marchés. Or, si ces paradigmes ne doivent pas être négligés, une telle pensée est porteuse des graves désillusions qu’enfantent à tout coup les utopies mystificatrices.
L’Europe est victime d’un idéologisme qui lui fait prendre des vessies pour des lanternes, pour le plus grand bénéfice des monopoles dominant les marchés. N’est-il pas temps qu’elle redevienne l’Europe de la pensée pratique et des progrès, modestes mais tangibles ?
Nous n’avons qu’un ennemi ici, ce sont les faux-semblants. Est-il acceptable que les États-nations d’Europe se réclament d’une volonté de coopération et se livrent une guerre économique ? Pouvons-nous nous satisfaire du fait qu’ils affichent une priorité de croissance pour tous et qu’ils jettent les bases d’une domination de la rente patrimoniale, malthusienne et prédatrice ?
Mme Nicole Bricq. Il est encore plus radical que moi !
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution. L’Europe peut-elle à la fois prétendre adopter un modèle d’économie sociale de marché et verser dans le néo-libéralisme le plus caricatural ?
Une Europe des politiques économiques coopératives doit se substituer à l’Europe des États mis au service des rentes contreproductives. Ce sont la pérennité du projet européen et la prospérité des nations européennes qui sont en jeu !
Dans l’Europe intégrée, les interdépendances entre nations sont fortes : ce que fait l’une concerne toutes les autres. C’est tout particulièrement le cas pour les grandes économies européennes – France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie –, mais cela l’est tout autant pour les pays de plus petites dimensions. Ainsi, la concurrence fiscale exercée par l’Irlande assèche les ressources de ses partenaires : l’activité économique est localisée chez eux, mais les profits et les recettes de l’imposition des sociétés sont dans la verte Erin. Que n’avons-nous obtenu sur ce point des engagements fermes de l’Irlande ?
Dans le rapport d’information adopté en 2007 et fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification présidée par Joël Bourdin, qui vous prie d’ailleurs d’excuser son absence aujourd'hui, rapport que nous avions intitulé Le Malaise avant la crise – titre prémonitoire ! –, nous avions mis en évidence la réalité des antagonismes économiques en Europe. Nous avions alerté sur l’insoutenabilité économique, financière, sociale et, finalement, politique de la confrontation des trois modèles que nous avions identifiés : d’abord, l’économie d’endettement, d’inflation et de bulles du type espagnol ou britannique ; ensuite, l’économie de la déflation salariale à la mode germanique, tirée par ses partenaires ; enfin, le modèle français qui, non exempt de défauts, paraissait malgré tout le plus équilibré de tous sur le plan macroéconomique.
L’analyse économique n’a pas toujours été aveugle, comme on le prétend parfois trop facilement. Il suffisait d’analyser les externalités produites par chacun de ces modèles sur les pays partenaires.
Ainsi, dans ce rapport d’information, nous avions mis en évidence le caractère insoutenable du concert économique européen, des déficits extérieurs et des finances publiques, mais aussi de la finance privée. Nous avions souligné à la fois le caractère tout aussi insoutenable, du point de vue tant social qu’économique, des modes de répartition à l’œuvre dans les économies européennes et l’impossible coexistence de modèles économiques antagoniques.
Le concert européen nous semblait si discordant que nous évoquions comme une probabilité assez forte le déclenchement d’une crise présentant plusieurs visages – les crises globales le sont toujours –, dont l’un était pour nous la montée des menaces pesant sur l’euro. Tiens, tiens !
Nous savons depuis Robert Mundell qu’il existe des conditions de viabilité d’une zone à monnaie unique, comme l’est la zone euro, et nous savons que ces conditions ne sont réunies en Europe que théoriquement.
L’histoire récente a, sous l’effet de l’urgence, permis d’envisager quelques progrès sur ce point avec la constitution, trop poussive, du Fonds européen de stabilité financière. Je n’ai rien contre ce fonds puisque, avec Joël Bourdin, j’en avais proposé la création dès 2009, dans un autre rapport d’information consacré à la crise de l’Europe. D’ailleurs, il faut impérativement en abonder les moyens ; le plus tôt sera le mieux. Mais ce fonds ne sera pas et ne doit pas être la clef de voûte de l’euro. Si nous cédions à cette tentation minimaliste, nous n’aurions fait qu’installer un petit FMI européen ; en d’autres termes, nous n’aurions fait qu’installer une caserne de pompiers au cœur de l’Europe. Or, si nous aimons tous les pompiers, nous préférons tous aussi, dans cet hémicycle, nous en passer. Comme le dit la sagesse populaire, mieux vaut prévenir que guérir !
Il est symptomatique que, plutôt que de s’accorder sur un renforcement du budget européen, les États soient passés par l’instauration d’une nouvelle institution financière pour traiter le grave problème des dettes souveraines en Europe, dont chacun sait qu’il est aussi – et peut-être avant tout ! – celui des établissements financiers privés opérant en Europe.
Ce n’est pas ainsi que la condition tout à fait essentielle, et pourtant toujours négligée, énoncée par Robert Mundell, celle de la convergence des préférences collectives dans une zone monétaire unique, sera respectée. Pour qu’elle le soit, il faudrait qu’un esprit de coopération bien plus fort anime les partenaires réunis dans le projet européen. Une fois de plus cette condition est clairement ménagée par les traités. Mais, en accord avec l’idéologie sur laquelle se construit l’Europe, elle n’est mise en œuvre avec une certaine vigueur que dans le domaine de la surveillance des positions budgétaires.
La coordination des politiques économiques, la concurrence fiscale, les objectifs sociaux que l’Europe a pourtant entendu consacrer, tout cela est traité par prétérition, comme s’il s’agissait de sujets secondaires.
À cet égard, mes chers collègues, je tiens à vous alerter sur les conséquences proprement régressives de ce qui se prépare dans les cénacles européens autour de la réforme de la gouvernance économique et du prétendu « pacte de compétitivité », c’est-à-dire la généralisation en Europe du malthusianisme allemand. Plutôt que d’inciter l’Allemagne à sortir de ce modèle – vous verrez qu’elle en sortira un jour tant celui-ci est insoutenable –, on nous propose de l’adopter.
Je n’insiste pas sur les aspects économiques des orientations qui nous seront détaillées. On en connaît la logique : déflation salariale, hausse de la rentabilité financière du capital, remise en cause radicale de l’État protecteur. On en sait les impasses : disparition de toute perspective de croissance, montée des inégalités de revenus et des patrimoines, exportation des richesses créées en Europe vers les zones où la rentabilité du capital est maximisée par le dumping social et fiscal.
Où est la cohérence avec l’engagement du Président de la République d’être le président du pouvoir d’achat ? Où retrouver trace de l’important débat ouvert par lui sur le partage de la valeur ajoutée ? Nous y reviendrons sans doute dans des débats futurs.
C’est sur des aspects plus politiques extrêmement préoccupants pour tous les démocrates – je sais que nous le sommes tous ici – que je souhaite m’attarder maintenant. Il entre dans ces projets de faire régner les règles plutôt que les décisions politiques. Ainsi, l’on nous annonce un projet de révision constitutionnelle, qui ne vise rien d’autre qu’à « constitutionnaliser » Maastricht.
En effet, si nous n’y prenons pas garde, notre constitution politique sera remplacée par une constitution économique qui nous aura privés de tout pouvoir pour mieux instaurer la tyrannie de prétendus marchés, c’est-à-dire des intérêts des grands oligopoles qui, aujourd’hui, décident déjà de tout ou presque.
Le Président de la République a fondé une partie de son succès il y a quatre ans sur le thème du retour de la politique. Pourtant, hormis quelques grands discours et certaines petites phrases, on attend toujours que cette thématique trouve un semblant de traduction en actes. Il faut dire que le triomphe accepté de l’ordo-libéralisme que représentent les règlements concoctés par le cabinet d’audit qu’est devenue la Commission européenne sur la coordination des politiques économiques européennes – disons le clairement : c’est en fait la disparition de toute politique économique – implique la défaite d’une ambition qui se sera révélée comme une posture, pour ne pas dire une imposture.
Mes chers collègues il faudra expliquer aux Français qu’ils ne seront plus libres demain, parce que le pouvoir de décider des conditions dans lesquelles leur État ou leurs collectivités locales pourront financer leurs interventions nous aura été retiré. Il faudra les convaincre que la prohibition de tout emprunt public que porte le projet de révision constitutionnelle que l’on nous annonce traduit ce fameux retour du politique. J’entends déjà le sophisme résonner : « Échapper à la dette, c’est échapper à la dépendance des marchés financiers. » Étrange défense venant d’un horizon politique qui, sans s’embarrasser de nuances, accepte – revendique même tous les jours ! – le patronage de l’économie de marché.
C’est parce que ce débat démocratique doit avoir lieu et que le politique doit être respecté qu’il est inacceptable de brader notre souveraineté, ainsi qu’on le projette, à un paradigme abstrait et sans cohérence, qui plus est régressif, qui veut qu’une bonne politique économique soit le renoncement par avance de toute politique économique.
Dans ce qui se prépare, rien ne correspond aux principes de notre souveraineté, rien ne correspond aux valeurs européennes. Pas un mot de la croissance économique, nul élan vers des projets concrets pour relever les défis du xxie siècle, l’oubli de toute ambition sociale et même de tout réalisme social.
Mme Nicole Bricq. Exactement ! Il a raison !
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution. Dans l’état actuel de l’Europe, la diplomatie économique et sociale doit être au centre des stratégies. La France a le choix entre s’aligner et défendre son modèle, qui fut celui des pères fondateurs de l’Europe. C’est évidemment parce que je suis préoccupé de la défense des intérêts de la France et que j’adhère sans arrière-pensée au projet d’une Europe puissante...
M. Denis Badré. Merci !
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution. ... que j’ai déposé cette proposition de résolution avec plusieurs de mes collègues et amis du groupe du RDSE.
Mme Nicole Bricq. Très bien ! C’est une bonne proposition !
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution. J’espère qu’elle trouvera dans cette assemblée mais aussi dans bien d’autres assemblées politiques de l’Europe l’adhésion majoritaire qu’elle appelle et qui traduit le ralliement au vrai projet européen.
Mes chers collègues, avant de conclure cette intervention en vous invitant à soutenir cette proposition de résolution qui, à tout bien considérer, n’est qu’une exhortation à retrouver l’esprit et la lettre des engagements européens du pays, je rappellerai quelques propos inspirés par le projet européen. « Son modèle, » – il s’agit de celui de l’Europe – « c’est l’économie sociale de marché. Son contrat, c’est l’alliance de la liberté et de la solidarité, c’est la puissance publique garante de l’intérêt général. La dignité de l’homme est au cœur de son projet de société. Renoncer à cet idéal, ce serait trahir l’héritage européen. C’est pourquoi la France n’acceptera jamais de voir l’Europe réduite à une simple zone de libre-échange. C’est pourquoi nous devons relancer le projet d’une Europe politique et sociale, fondée sur le principe de la solidarité. »
À l’heure du chômage de masse et au moment où la Cour constitutionnelle allemande juge contraire à la dignité humaine les aspects les plus radicaux des réformes ultralibérales, cet extrait d’une tribune de Jacques Chirac – vous aurez sans doute reconnu l’auteur de la citation que j’ai faite à l’instant (Sourires sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPC) – nous rappelle utilement à notre devoir collectif de faire prévaloir le seul esprit des traités qui vaille, celui qui fonde notre Europe, une Europe non du renoncement régressif, mais bien de la volonté politique de progrès. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sortons progressivement d’une crise économique mondiale de grande ampleur.
Mme Nicole Bricq. Non ! On n’en sort pas !
M. Denis Badré. Cette sortie de crise se fait dans un contexte marqué par le formidable dynamisme des économies de pays émergents ou de puissances qui, comme la Chine, connaissent des taux de croissance à deux chiffres.
Dans cet environnement, on constate que les politiques des États de l’Union européenne ne sont pas toutes aussi efficaces et que leurs économies sont inégalement compétitives. Ainsi, l’Allemagne s’est rapidement relevée de la crise et dope ses exportations, quand d’autres pays peinent à redémarrer.
Nous savons tous ici ce qu’apporte la compétitivité d’une politique économique en termes d’emplois, de croissance, de résorption de la dette. Nous savons aussi combien il est important que cette compétitivité soit recherchée et partagée par l’ensemble des pays qui ont fait le choix de vivre ensemble dans un marché unique où la monnaie, les capitaux, la main-d’œuvre, les produits et les services sont appelés à circuler librement. Pour des pays qui partagent la même monnaie, faire converger les politiques économiques n’a en tout cas rien d’absurde.
Pour commencer, il est parfaitement raisonnable que l’Allemagne et la France, qui totalisent 70 % du PIB de la zone euro, se donnent pour priorité de rapprocher leurs économies et de le faire en visant la meilleure compétitivité. Il est même indispensable et assez naturel qu’il leur soit demandé d’imprimer un même mouvement à la zone euro, alors qu’elles entendent continuer à assumer ensemble une responsabilité politique générale exigeante au service de la construction européenne, ce dont, personnellement, je me félicite.
Monsieur Collin, le groupe de l’Union centriste ne veut pas partager le scepticisme qui marque la proposition de résolution, au demeurant intéressante, que vous venez de présenter. Nous ne pouvons pas non plus reprendre à notre compte les arguments qui la sous-tendent.
Je vous remercie néanmoins de nous donner ainsi l’occasion de traiter ici de ce sujet passionnant. Nous devons analyser en particulier les efforts entrepris par l’Allemagne qui distance la France en termes de compétitivité. Nous devons développer notre réflexion à partir de ce constat.
Évidemment, il nous faut le faire avec la lucidité voulue pour laisser vivre nos différences de culture, ce qui implique un regard critique sur les moyens à mettre en œuvre pour que notre économie, aux côtés de celle de l’Allemagne, contribue elle aussi à la relance de l’Union européenne.
L’objectif est rappelé, mais l’atteindre n’est pas simple. Le rapport établi par l’institut Coe-rexecode sur le thème de la comparaison des situations économiques française et allemande fait apparaître entre 2000 et 2008 un effet ciseau croissant qui oppose une érosion régulière de notre compétitivité à une consolidation constante de celle que connaît l’Allemagne, notamment en matière industrielle.