M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, madame la ministre d’État, messieurs les ambassadeurs de l’Amérique latine et des Caraïbes, venus nombreux ce soir à notre rencontre, mes chers collègues, je m’exprimerai également au nom de M. Bernard Piras, président du groupe interparlementaire d’amitié France-Caraïbes, qui ne peut être présent parmi nous.
La région des Caraïbes est située au cœur des deux Amériques. Elle appartient à l’Amérique latine et a partagé les combats de l’indépendance tout au long du xixe siècle. Le signal de la lutte pour l’indépendance a été lancé depuis Haïti, premier pays indépendant de cette région dès 1804, tandis que le processus d’émancipation s’est terminé à Cuba, en 1898.
Tous les contacts que nous avons noués, toutes les rencontres, ici ou là-bas, depuis la création du groupe interparlementaire d’amitié, s’appuient sur le partage de valeurs communes qui reposent sur l’admiration du modèle de liberté offert par la Révolution française. C’est l’esprit du roman d’Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, qui a inspiré ces mouvements, esprit dont la puissance d’inspiration demeure active.
C’est aussi, Jean-Marc Pastor l’a rappelé, une région où perdure l’amour de la langue et de la littérature françaises, Victor Hugo en étant l’auteur phare. Le combat pour la langue et contre l’uniformisation culturelle unit d’ailleurs les intérêts français et hispaniques dans les Caraïbes, et plus particulièrement encore dans les Antilles françaises.
À l’époque de la mondialisation, l’Amérique latine n’est donc plus lointaine. Par le cœur et à travers des intérêts communs, elle est au contraire proche de nous, Français ou Européens.
Par conséquent, c’est avec une grande conviction que je soutiens sans réserve la proposition de résolution qui nous est présentée. Au nom tant de mon groupe politique que de mes amis et collègues du groupe interparlementaire d’amitié France-Caraïbes, je suis très heureux que l’instauration d’une Journée de l’Amérique latine et des Caraïbes en France permette de rappeler ces liens et de les faire mieux connaître à travers les nombreuses manifestations culturelles que, je n’en doute pas, cette célébration suscitera. (Applaudissements sur l’ensemble des travées, ainsi que dans la tribune présidentielle.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu.
M. Gérard Cornu. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je prends la parole avec d’autant plus de plaisir et de joie que je constate la présence, dans la tribune présidentielle, de tous les ambassadeurs des pays de l’Amérique latine et des Caraïbes, que je salue en cet instant.
Malheureusement contraint par un impératif horaire, je n’aurai pu intervenir dans ce débat si mon collègue Philippe Adnot ne m’avait permis de m’exprimer avant lui : je l’en remercie.
Je veux saluer tout particulièrement mon ami Jean-Marc Pastor qui, en qualité de président du Comité des célébrations du bicentenaire des indépendances des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, a pris l’initiative de marquer ce grand moment de l’histoire de ces États par le dépôt de cette proposition de résolution, consensuelle, qui a été cosignée par tous les présidents des groupes interparlementaires d’amitié des États concernés, ainsi que par de nombreux sénateurs et sénatrices.
Ce faisant, Jean-Marc Pastor a voulu marquer la volonté du Sénat de la République française de léguer aux générations futures un repère marquant l’amitié entre nos peuples. Cette initiative originale et, je le crois, sans équivalent, s’inscrit, pour ce qui concerne le Sénat, dans une démarche ancienne.
C’est en 1950 que le premier groupe d’amitié France-Amérique latine a été créé. À l’époque, la France, en pleine reconstruction, souhaitait renouer des liens que la guerre avait quelque peu distendus et, de façon visionnaire, nos collègues avaient alors estimé que la Haute Assemblée devait se doter d’instruments propres à s’ouvrir sur l’extérieur, singulièrement vers les pays qui avaient en commun un patrimoine culturel et historique éprouvé.
Depuis lors, notre assemblée a créé plusieurs groupes d’amitié pour prendre davantage en compte la montée en puissance de ces nations dans le concert mondial, et pour permettre au grand nombre de nos collègues qui portent un intérêt soutenu à ces pays, à leur culture, bien sûr, mais aussi à leur évolution stratégique, politique et économique, de s’y impliquer davantage.
En 2010, notre assemblée a tenu à célébrer avec ses moyens institutionnels, mais surtout avec la force de conviction dont elle est capable, ces grands moments que furent la libération de l’Amérique latine et des Caraïbes. Sans doute y a-t-il une part de convenance dans le choix des dates ; en effet, tout n’a pas commencé voilà exactement deux cents ans et tout ne s’est pas achevé dans le courant de la même année, loin s’en faut !
Mais il suffit de retenir que, dans les soubresauts de cette longue histoire, la France fut souvent le point de référence pour les acteurs de l’émancipation des peuples, et cela sous toutes les latitudes. La trilogie « Liberté, Égalité, Fraternité » reste, aujourd’hui encore, étroitement associée à notre pays, même si elle est devenue depuis deux siècles un héritage universel. Chacun le partage et tente de le faire fructifier à son rythme.
En ce début de xxie siècle, nous sommes particulièrement heureux de compter tous ces pays au nombre des nations qui partagent notre idéal démocratique. C’était loin d’être le cas voilà encore à peine cinquante ans !
Alors que, dans d’autres régions du monde, des peuples se soulèvent aujourd’hui pour réclamer à leur tour le bénéfice de ces valeurs fondamentales de la condition humaine, nous ne pouvons qu’approuver cette proposition de résolution, tout en formant le vœu qu’elle inspire les pays qui ne connaissent pas encore les bienfaits de telles valeurs !
Nous souhaitons donc que s’instaure dans notre pays une Journée de l’Amérique latine et des Caraïbes, qu’elle devienne, au fil des ans, un grand rendez-vous de joie et d’amitié, et qu’elle fortifie, si besoin en est, les liens forgés par l’Histoire. Voilà pourquoi, avec mes collègues cosignataires du texte et avec ceux de mon groupe, je voterai la présente proposition de résolution. (Applaudissements sur l’ensemble des travées, ainsi que dans la tribune présidentielle.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, madame la ministre d’État, Excellences, mes chers collègues, appartenant à la Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe, je ne dispose que d’un temps de parole de trois minutes.
Je commencerai par remercier Jean-Marc Pastor, dont l’intervention a été remarquable.
M. Jacques Blanc. C’est vrai !
M. Philippe Adnot. Il a exprimé avec un si grand talent ce que nous pensons tous que, d’une certaine façon, le fait de ne disposer que de peu de temps me semble moins grave !
J’ai souhaité cosigner, en ma qualité de président du groupe d’amitié France-Pays andins, qui réunit la Bolivie, la Colombie, l’Équateur, le Pérou et le Venezuela, cette proposition de résolution relative à l’institution d’une Journée de l’Amérique latine et des Caraïbes en France, d’autant que l’année 2010 a été marquée par la célébration du bicentenaire des indépendances des pays d’Amérique latine et des Caraïbes.
Grâce à la mobilisation de la société civile, des collectivités et des acteurs de la relation franco-latino-américaine, plus de cent cinquante projets dans les domaines artistique, économique, universitaire et du débat d’idées, ont reçu le label de ces manifestations qui ont couvert l’ensemble de notre territoire.
Ces événements ont permis de mettre en lumière non seulement les projets communs qui unissent nos pays, mais aussi la force, la richesse et l’actualité des liens entre la France et l’Amérique latine.
L’instauration de cette journée scellera ainsi l’importance des liens tissés au cours des deux siècles derniers entre ces États et la France, ainsi que la volonté de marquer de façon symbolique la force de ces relations.
Le fait de nous remémorer cette année joyeuse ne doit pas nous empêcher de nous souvenir des événements dramatiques qui ont touché la Colombie et la région de Medellìn, à la suite des accidents climatiques dont ils ont été le théâtre. En cet instant, je voudrais que notre joie ne nous empêche pas d’avoir une pensée pour tous ceux qui ont souffert et qui souffrent encore.
Notre compassion est profonde, en raison du grand attachement que nous avons pour l’Amérique latine. Cet attachement relève, en premier lieu, d’une empathie culturelle : la filiation entre la naissance des États de ce continent, l’esprit des Lumières et la Révolution française est une évidence naturelle. En second lieu, nous partageons le fort désir de tous ces États et de leurs peuples d’un vrai développement économique. Toutes les démocraties le savent, c’est la condition de la liberté et de la réussite dans les domaines social et éducatif.
L’amitié qui nous lie est sincère, car déliée de tout jugement sur les évolutions des différents gouvernements, qui sont le fruit de l’histoire et des situations actuelles. Nous devons absolument nous respecter mutuellement si nous voulons nous comprendre.
Cette compréhension doit nous permettre d’accepter la liberté de chaque pays de mener sa propre politique, en étant maître de son destin, particulièrement pour ce qui concerne les ressources naturelles dont il dispose.
La présente proposition de résolution exprime bien, me semble-t-il, notre aspiration à une évolution favorable des rapports entre la France et l’Amérique latine, du point de vue de la sécurité juridique, nécessaire aux échanges économiques, et, donc, à leur loyauté.
Notre compréhension mutuelle s’approfondira, enfin, grâce à la multiplication des échanges, notamment culturels et éducatifs.
Je tiens d’ailleurs à saluer la présence d’un grand nombre d’étudiants latino-américains dans notre pays. J’ai pu constater, au terme d’une brève analyse, la force des liens qui les unissaient à notre pays. Je veux y voir le fondement des relations qui devront, à l’avenir, se renforcer entre nos différents pays.
Le Sénat aborde cette proposition de résolution non seulement avec l’humilité qui convient à des rapports fraternels fondés sur le respect commun, mais aussi avec la conviction que notre amitié peut faire naître un monde plus juste et plus humain, offrant une espérance plus grande à la France, à l’Amérique latine, et à l’ensemble des habitants de notre planète. (Applaudissements sur l’ensemble des travées, ainsi que dans la tribune présidentielle.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, nous vivons un temps très fort et une grande émotion m’étreint au moment de m’exprimer à cette tribune, sous le regard bienveillant et attentif d’une importante délégation diplomatique des différents pays d’Amérique latine.
L’Amérique latine, c’est avant tout des rêves d’enfants et d’adolescents. Qui ne se souvient des pauvres habitants des Alpes du Sud, du Queyras ou de Barcelonnette, partis à la conquête de Mexico ? Ils y ont d’ailleurs créé un bazar devenu célèbre. Fortune faite, certains sont rentrés aux pays. Ces habitants du Queyras sont certes ceux qui symbolisent le mieux les rêves que j’évoquais, mais ils furent suivis par de nombreux autres migrants, partis de toutes les campagnes françaises. (M. Jean-Pierre Bel fait un signe d’assentiment.)
Je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Jean-Marc Pastor, que je sais très attaché à l’Amérique latine, comme le sont d’ailleurs tous les signataires de cette proposition de résolution. Fort de ses nombreux voyages, il a su saisir tout l’intérêt d’une relation étroite avec ces pays.
Ceux qui, comme moi, pratiquent modestement le castillan – langue que j’adore – ne peuvent qu’être attirés par la musique latino-américaine et, plus généralement, par tout ce qui a trait à cette partie du monde.
En Amérique latine, on se sent chez soi, proche de tous les habitants. J’ai eu la chance de me rendre dans sept ou huit pays de cette région et, chaque fois, j’ai ressenti la chaleur des populations. Même les gens les plus pauvres sont heureux de vous offrir l’hospitalité et ils sont honorés que des Français s’intéressent à leur pays.
Il est vrai que nos relations ont toujours été très étroites. Jean-Marc Pastor a évoqué Bolivar, qui a beaucoup aimé la France, qui s’est inspiré du siècle des Lumières et qui, on le sait moins, a assisté au sacre de Napoléon Ier. Beaucoup plus qu’un libérateur, Bolivar était un libertador, c’est-à-dire celui qui brise les chaînes de l’oppression, qui suscite un profond mouvement d’espoir et d’espérance. Au plus dur des difficultés, ces peuples n’ont jamais perdu l’espoir de la liberté incarnée par la France, patrie des droits de l’homme pour toute l’Amérique latine. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons des devoirs envers toute cette région.
Bien que tous ces pays parlent l’espagnol, le portugais au Brésil, il existe une importante population francophile, notamment en Uruguay, petit pays où, voilà encore quelques années, on parlait français dans la rue. Deux poètes français chers au cœur des Tarbais, Isidore Ducasse et Jules Laforgue, y jouissent d’une renommée extraordinaire. Ils sont aussi connus là-bas que Victor Hugo chez nous.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. François Fortassin. L’Amérique latine a fait un pas immense en direction de la démocratie, car n’oublions pas que, voilà encore quelques dizaines d’années, de nombreux pays vivaient sous un régime d’oppression. Bien souvent, les transitions se firent de façon naturelle, tant les leaders des différents mouvements étaient guidés par le sentiment profond que le développement ne s’enracine que dans la démocratie. Sans doute est-ce la raison pour laquelle la plupart de ces pays, en dépit des difficultés, connaissent un essor économique incontestable.
L’Amérique latine est riche de la générosité de sa population et de sa culture, riche aussi de l’immensité de ses territoires, de son sous-sol. D’un point de vue géopolitique, nous avons incontestablement un rôle à jouer si nous ne voulons pas laisser ces pays à la merci de leur grand voisin américain qui, j’ose le dire, n’ont rien compris à l’Amérique latine. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles la France y est aujourd’hui aussi appréciée.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, je voterai bien entendu avec enthousiasme cette proposition de résolution. (Applaudissements sur l’ensemble des travées, ainsi que dans la tribune présidentielle.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mesdames, messieurs les ambassadeurs, mes chers collègues, l’institution d’une Journée de l’Amérique latine et des Caraïbes en France nous permettra d’éclairer et de resserrer les liens qui nous unissent avec cette partie du monde.
En effet, les racines de nos deux espaces s’entrecroisent, et particulièrement celles qui résultent de la révolution de 1789. Les sociétés d’Amérique latine sont imprégnées du sens du droit, comme le sont toutes les sociétés romaines de droit écrit.
Notre démocratie et celles de l’Amérique latine s’abreuvent donc à des sources communes, notamment une conception de la citoyenneté associée à un contrat politique et non aux liens du sang.
À ce parallélisme politique se superpose une dimension culturelle. L’impact de la grande Révolution de 1789 sur les événements d’Amérique latine, c’est non seulement l’influence des idées des Lumières sur les Créoles d’Amérique latine, mais aussi la culture révolutionnaire, qui a conduit nos voisins latino-américains à remettre en cause leur lien avec la royauté.
Nous savons comment cette culture s’est répandue. Le premier texte sur les droits de l’homme est arrivé en Amérique latine dans les mains des Espagnols qui étaient déportés à Caracas. Comme le monde est petit et l’histoire brève, le directeur de la prison, franc-maçon comme les déportés, aida ces derniers à recopier, en espagnol, le premier exemplaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui sera imprimé en Guadeloupe avant de revenir sur le continent latino-américain.
Avant ces événements, il y avait eu de nombreuses secousses annonciatrices, en particulier la lutte des Républiques noires, notamment en Haïti. Avec Victor Hugues, l’abolition de l’esclavage dans le Nouveau Monde libéra un grand nombre d’hommes et de femmes. D’un courage extraordinaire, ils furent réputés « sulfureux » par la bourgeoisie locale. Ceux que l’on appelait les Negros franceses, les Noirs français, se virent privés du droit d’entrer sur le territoire des Bourbons, car on les soupçonnait d’être « contaminés » par l’idéal révolutionnaire.
Dès lors, les Noirs français sont partis à l’assaut du Venezuela pour y établir ce qu’ils appelaient la loi des Français : la République et l’abolition de l’esclavage.
Souvenons-nous que, ensuite, presque tous les libertadores, Simon Bolivar et d’autres, comme le général vénézuélien Miranda, qui a participé à la guerre de libération et d’indépendance nationale et dont le nom est inscrit sur l’Arc de triomphe à Paris, sont passés par la France.
N’en déplaise aux observateurs qui ne tiennent pas compte de l’influence des courants profonds de l’Histoire, il existe bien une relation organique entre le Nouveau Monde et la France, la patrie républicaine originelle, issue du choc de 1789, des droits de l’homme et de l’idéal républicain.
Nous devons garder tous ces éléments présents à l’esprit si nous voulons comprendre que les révolutions démocratiques à l’œuvre en Amérique latine depuis la fin des années quatre-vingt-dix nous concernent également.
Cette vague révolutionnaire tire sa force de la conjonction de deux éléments : le rejet d’une politique libérale appliquée au-delà de tout ce qu’on avait pu imaginer et le patriotisme latino-américain, progressiste et anti-impérialiste.
Le parti de gauche se réfère à ces événements pour trois raisons : d’abord, parce qu’il s’agit de révolutions ; ensuite, parce qu’elles sont démocratiques ; enfin, parce qu’elles ont pour principal objectif la reconquête de la souveraineté populaire.
Le déploiement de cette vague révolutionnaire, en particulier à partir du Venezuela, permet de comprendre ce qui va se passer en France, ce qui va se produire aussi naturellement que l’alternance des marées sur nos côtes atlantiques.
La révolution citoyenne a d’ores et déjà traversé l’Atlantique : en Islande, d’abord, dont le peuple a décidé à 95 % de rejeter le sauvetage des banques et convoqué une assemblée constituante ; dans le monde arabe, ensuite, où les Tunisiens et les Égyptiens, pour remédier aux problèmes sociaux, commencent par résoudre la question démocratique. Le « Dégage ! » des Tunisiens fait écho au « Qu’ils s’en aillent tous ! » de la révolution argentine.
Chômage, inégalités croissantes, autoritarisme, etc. : les problèmes auxquels sont confrontés les peuples du Maghreb et du Machrek, après les peuples d’Amérique latine, sont les mêmes que ceux que rencontrent nos concitoyens. La contagion de ces mouvements populaires nous concerne donc. Nous nous en réjouissons, car, ici aussi, la lutte contre une oligarchie est à l’ordre du jour.
L’oligarchie qui, en renflouant les banques sans contreparties, en volant deux ans de retraite aux salariés, ne cesse de faire payer la crise aux classes populaires et aux classes moyennes, qui bientôt n’en seront plus qu’une.
L’oligarchie qui maintient les jeunes au chômage, les agriculteurs dans la détresse, qui dresse les ouvriers contre les chômeurs, qui fait le tri entre les bons français avec papiers et les autres, dépositaires indésirables de la misère du monde. Celle qui flirte ostensiblement avec les despotes qu’elle a fabriqués tout exprès. Celle, enfin, qui verrouille les médias sans se rendre compte que le monde de l’information libre et spontanée a balayé la nouvelle ORTF.
Oui, les Français parlent aux Français, les Tunisiens aux Tunisiens, les résistants aux résistants grâce à internet, Facebook, Twitter. Les jeunes ont le mode d’emploi de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
La révolution citoyenne nous revient donc d’Amérique latine. Elle est la bienvenue pour des millions de Français qui souffrent. Comme en Tunisie et en Égypte aujourd’hui, c’est une nouvelle libération pour la France qui s’annonce.
Vous, qui nous gouvernez, réunissez les ingrédients qui bientôt nous permettront de reconquérir par les urnes notre souveraineté populaire face aux décisions antidémocratiques du FMI et de la Commission européenne, qui font payer partout la crise aux pauvres.
Ironie de l’histoire : la révolution de 1789 a été notamment le fruit de la volonté du Parlement de décider de son budget. Grâce à vous et aux « béni-oui-oui » de l’Union européenne, notre Parlement aura bientôt délocalisé son droit de contrôle budgétaire. Quelle régression, quel aveuglement !
Vous qui gouvernez sans les peuples, parfois même contre eux, comme lors du référendum de 2005, vous nous faites revenir deux siècles en arrière. Prenez garde que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets ! Vous allez bientôt créer une surpopulation au Cap Nègre, notre Charm el-Cheikh hexagonal !
Ainsi, cette proposition de résolution tombe à point nommé. Nous la voterons pour célébrer notre lien avec l’Amérique latine, qui nous a ouvert la voie de la reconquête de la souveraineté populaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Applaudissement dans la tribune présidentielle.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de résolution qui est présentée aujourd’hui, sur l’initiative de Jean-Marc Pastor, marque certainement une nouvelle étape dans l’amitié entre la France, d’une part, l’Amérique latine et les Caraïbes, d’autre part.
Elle s’inscrit dans la continuité de la célébration, en 2010, du bicentenaire des indépendances, à laquelle, comme MM. Cornu et Adnot l’ont rappelé, le Sénat a pris toute sa part.
Cette proposition de résolution souligne aussi la volonté de la France de s’appuyer sur le lien exceptionnel qui, vous l’avez rappelé, mesdames, messieurs les sénateurs, nous unit à l’Amérique latine et aux Caraïbes pour construire, entre tous ces pays, une relation ambitieuse.
Ces liens sont avant tout géographiques, et l’on oublie trop souvent que la France est présente dans les Caraïbes et en Amérique latine. En effet, la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane contribuent au rayonnement de notre pays et à l’établissement de liens avec l’ensemble des pays de la zone.
Nous entretenons aussi des liens intellectuels. Nous savons le rôle qu’ont joué les penseurs des Lumières dans l’émancipation des peuples d’Amérique latine et des Caraïbes ; nous mesurons la richesse des échanges entre nos pays qu’évoquent les noms de Braudel, Lévi-Strauss, Lautréamont, Le Clézio ou encore de Victor Hugo, que citait M. Bel, et je me garderai d’oublier les poètes Tarbais, monsieur Fortassin. (Sourires.)
Ces liens sont aussi institutionnels et politiques. Je pense aux parentés institutionnelles entre la France et une partie des États de la région, à la culture juridique commune, aux liens tissés avec les exilés d’Amérique latine pendant les années noires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyons lucides : les liens entre la France et les pays d’Amérique latine et des Caraïbes se sont quelque peu distendus dans le passé ; la politique étrangère de la France a tardé à donner à l’Amérique latine toute la place qu’elle méritait. Tous ceux qui sont présents ici même sont attachés à ce que le temps perdu soit rattrapé.
La France se tient aux côtés de l’Amérique latine et des Caraïbes pour relever les défis de notre avenir commun. L’actualité, nous ne saurions l’oublier, se concentre aujourd’hui sur la situation de Florence Cassez. (Deux diplomates quittent la tribune présidentielle.)
Nous avons amitié et respect pour le Mexique et pour le peuple mexicain. Nous savons la gravité de la situation en matière d’enlèvement. Nous respectons l’indépendance de la justice, au Mexique, comme partout.
Notre mobilisation en faveur de Florence Cassez se fonde justement sur les valeurs de justice et d’attachement à l’État de droit que nous avons en partage.
Encore une fois, elle ne remet pas en cause notre amitié à l’égard du peuple mexicain. Elle n’entame en rien notre volonté de conforter nos liens avec les peuples d’Amérique latine et des Caraïbes.
La zone Amérique latine-Caraïbes s’affirme comme un acteur majeur de l’univers multipolaire qui se dessine sous nos yeux. Nos pays partagent la même vision de la mondialisation.
La zone Amérique latine-Caraïbes est au cœur de problématiques globales : le changement climatique, qui l’affecte directement, la préservation de la biodiversité, dont l’Amérique latine détient une part majeure, la sécurité alimentaire.
Un multilatéralisme rénové doit nous conduire à apporter des réponses globales aux questions globales.
Monsieur du Luart, la France soutient l’Amérique latine sur la scène internationale. Nous voulons que celle-ci prenne toute sa place au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. C’est pourquoi la France souhaite que le Brésil en soit un membre permanent.
Qu’il s’agisse de réformer le système monétaire international, de lutter contre la volatilité des prix des matières premières ou de rééquilibrer la gouvernance mondiale, le continent sud-américain doit faire entendre sa voix. La France y travaille en coopération étroite avec les pays d’Amérique du Sud dans le cadre du G20.
Notre pays veut aussi contribuer concrètement à l’essor de la zone Amérique du Sud et Caraïbes. Le développement économique et social est à la fois la contrepartie et la condition de la stabilité. Il entraîne des besoins considérables. Pour y répondre, la France a des atouts à faire valoir. Toutes nos grandes entreprises sont présentes sur le continent, sur des créneaux stratégiques : l’aéronautique, les transports, l’énergie ou les infrastructures. Aujourd’hui, la France figure parmi les premiers investisseurs au Venezuela, en Colombie, au Brésil. Nos exportations ont augmenté de 20 % en cinq ans. Parfois, les industriels sont en avance sur les politiques. Pourtant, il reste encore du chemin à parcourir. Notre part de marché, de l’ordre de 2 %, fait de nous un acteur trop modeste. C’est l’un des enjeux de notre stratégie à l’égard de l’Amérique latine et des Caraïbes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’amitié entre nos pays est tout entière tournée vers l’avenir. La France doit être plus présente pour accompagner la prospérité économique de l’Amérique latine. Elle doit assurer davantage le rayonnement culturel qui est traditionnellement le sien dans cette partie du monde.
Le Gouvernement soutient donc la proposition de résolution du Sénat. La journée du 31 mai fera honneur à notre histoire commune et à nos idéaux partagés. Elle accompagnera les efforts de la diplomatie française en direction de cette région du monde. Elle sensibilisera, j’en suis sûre, nos concitoyens à la solidarité qui nous unit et à la volonté qui nous rassemble face aux défis de la modernité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)