M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. En effet !
M. Patrick Ollier, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, Éric Besson m’a chargé de vous dire qu’il répondrait lui-même, à l’occasion de la discussion des articles, à toutes les questions que vous aurez soulevées lors de la discussion générale.
J’ai dit que ces transpositions étaient urgentes. Le présent projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne apporte une réponse efficace à une telle situation. Il nous permet de tenir nos engagements sur le plan du droit communautaire, dans le respect de notre modèle social.
Avant de vous céder la parole, madame la rapporteur, je tiens à vous remercier chaleureusement pour la qualité de votre travail, hommage auquel j’associe Mme et M. les rapporteurs pour avis. Je veux aussi féliciter l’ensemble des membres de la commission des affaires sociales, au premier rang desquels sa présidente, car leur tâche était difficile, compte tenu de la diversité des sujets abordés. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Colette Giudicelli, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée de la santé, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis vise à adapter notre législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques.
Je me bornerai, dans mon intervention, à évoquer ceux des volets du texte qui sont consacrés à la santé et au travail.
En effet, l’examen au fond des articles consacrés aux communications électroniques a été délégué à la commission de l’économie ; celle-ci a désigné Bruno Retailleau comme rapporteur pour avis.
Catherine Morin-Desailly nous présentera ensuite l’avis qu’elle a établi au nom de la commission de la culture, dont l’expertise, en matière de communications et de professions artistiques, enrichira sans nul doute nos débats.
Pour introduire notre discussion, je crois qu’il n’est pas inutile de rappeler le cadre institutionnel dans lequel nous agissons.
Vous savez qu’un État membre ne transposant pas une directive s’expose à être condamné à des amendes et des astreintes dont le montant peut atteindre plusieurs dizaines de millions d’euros.
Malheureusement, la France a accumulé un retard important en matière de transposition. Elle risque d’être condamnée si elle ne remédie pas rapidement à cette situation. M. le ministre Ollier nous a rappelé que l’ensemble du processus devrait être achevé avant le mois de juin 2011, c’est-à-dire dans un peu plus de trois mois.
Le retard concerne tout d’abord la directive Services, dont la transposition aurait dû être achevée dès le mois de décembre 2009. Cette directive vise deux objectifs principaux : lever les obstacles à la liberté d’établissement au sein de l’Union européenne et favoriser la libre prestation de services à l’intérieur du marché unique.
Les mesures de transposition qui doivent encore être adoptées présentent un caractère sectoriel. Le ministre a déjà mentionné les principales activités concernées : les débits de boissons, les organismes de certification des dispositifs médicaux, les entrepreneurs de spectacles vivants, les agences de mannequins et les organismes d’évaluation des établissements sociaux et médico-sociaux.
La directive Services impose, pour plusieurs professions, de remplacer un régime d’autorisation a priori par un régime déclaratif, qui s’accompagnera bien entendu de contrôles.
Les débats animés que nous avons eus en commission des affaires sociales démontrent que les inquiétudes que la directive Services avait fait naître sont loin d’être entièrement dissipées.
Dans sa version définitive, la directive est pourtant bien différente du projet initialement élaboré par la Commission européenne. Le principe du pays d’origine a été abandonné et des garanties ont été apportées pour préserver nos propres services publics.
Néanmoins, la perspective de faciliter l’accès au marché français à des prestataires de services étrangers suscite encore craintes et interrogations. Il en sera question lors de l’examen des amendements. Je ne doute pas que les précisions que vous aurez l’occasion d’apporter, madame la secrétaire d’État, répondront à bien des préoccupations.
J’insiste cependant sur le fait que l’allègement des formalités administratives imposées aux prestataires de services européens devra s’accompagner d’un véritable renforcement tant des contrôles sur le terrain que de la coopération entre administrations nationales, afin d’assurer le maintien du meilleur niveau de sécurité et de qualité pour les consommateurs.
Plusieurs articles du projet de loi visent à achever la transposition dans notre droit d’autres directives. C’est ainsi qu’un article modifie le calendrier d’enregistrement simplifié des médicaments traditionnels à base de plantes. Deux autres sont destinés à parfaire la transposition de la directive du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles.
Le projet de loi a été substantiellement enrichi au cours de son examen par l’Assemblée nationale, souvent d’ailleurs sur l’initiative du Gouvernement.
Je ne m’attarderai pas sur les mesures très ponctuelles qui ont été adoptées, et sur lesquelles nous aurons l’occasion de nous pencher lors de la discussion des articles.
Je souhaite en revanche mentionner les deux articles d’habilitation que l’Assemblée nationale a introduits dans le texte sur le fondement de l’article 38 de la Constitution.
Le premier permet de légiférer par ordonnance en vue d’harmoniser notre droit avec le règlement européen du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques. Le second autorise la transposition, par voie d’ordonnance, de la directive du 6 mai 2009 réformant le régime du comité d’entreprise européen.
Je sais que certains de mes collègues sont, par principe, opposés au recours aux ordonnances. Je sais aussi que la qualité de la loi pâtit souvent de l’absence d’intervention du législateur.
Toutefois, la commission a jugé que ces deux demandes d’habilitation étaient acceptables, compte tenu du caractère ponctuel, et assez consensuel, des mesures devant être prises. J’ajoute que l’encombrement de l’ordre du jour parlementaire plaide également en faveur d’une telle solution.
Outre ces deux mesures d’habilitation, l’Assemblée nationale a adopté un article visant à adapter au droit communautaire l’encadrement des médicaments issus de technologies innovantes.
Pour le dire franchement, cet article, dans sa rédaction initiale, ne nous avait pas vraiment convaincus : il allait bien au-delà de ce que l’adaptation au règlement exigeait et il aurait autorisé les établissements de santé à se livrer à des activités de production, de prescription, d’utilisation et de commercialisation de médicaments de thérapies innovantes.
En d’autres termes, les établissements de santé auraient pu se transformer en laboratoires pharmaceutiques, alors que, jusqu’à présent, notre législation distingue nettement ces deux activités. Il nous a semblé peu rassurant qu’une même personne puisse fabriquer, commercialiser et prescrire des médicaments, surtout dans le contexte actuel de doute sur la sécurité sanitaire.
Le ministère de la santé a, fort heureusement, entendu nos arguments, de sorte que l’amendement déposé par le Gouvernement permet de répondre à nos objections : il vise à interdire aux établissements de santé de devenir des laboratoires pharmaceutiques, tout en tenant compte du cas particulier d’organismes à but non lucratif comme le Généthon ; il tend à encadrer rigoureusement la fabrication de médicaments de thérapie innovante « à façon », c’est-à-dire pour un malade particulier dans le cadre des établissements de santé. À mon sens, nous pourrons donc finalement trouver un point d’accord sur cette question.
En conclusion, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je soulignerai que ce projet de loi, en dépit du caractère technique d’un grand nombre de ses dispositions, consolide deux grands principes, affirmés avec force tout au long de la construction de l’Union européenne : la libre prestation de services et la liberté de circulation des travailleurs en Europe. Il aura pour effet de simplifier les formalités devant être remplies par les prestataires européens qui souhaitent s’établir en France ou y proposer leurs services de façon temporaire et occasionnelle.
Naturellement, cette liberté doit être encadrée. La suite de nos débats montrera, pour chaque secteur, l’équilibre qui a été trouvé, entre l’obligation pour la France de se conformer à ses engagements européens et la nécessité d’offrir à nos concitoyens toutes les garanties qu’ils sont en droit d’attendre en matière de santé, de sécurité, de qualité de services ou de normes sociales. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Madame la secrétaire d’État, je ne doute pas que le sujet des communications électroniques vous passionne. Je vais m’efforcer, au nom de la commission de l’économie, d’être synthétique.
Comme l’a dit Mme le rapporteur, en règle générale, les parlementaires sont toujours un peu méfiants lorsqu’il s’agit d’autoriser un gouvernement, quel qu’il soit, à prendre par ordonnance des dispositions législatives, puisque celui-ci se substitue en définitive au pouvoir législatif.
Pour ce projet de loi de transposition, notamment pour ce qui concerne les dispositions relatives aux communications électroniques, l’utilisation de cette procédure ne me choque absolument pas. En effet, de bonnes raisons le justifient et de vraies garanties ont été posées.
Au rang des bonnes raisons, figure d’abord le fait qu’il s’agit d’un texte très technique.
La deuxième raison est le délai très court fixé pour la transposition, puisqu’il s’achèvera le 25 mai prochain.
Enfin, la troisième raison est le peu de marge de manœuvre laissée aux États membres pour la transposition en ce qui concerne cette partie du texte.
Dans le même temps, des garanties ont été prises dans la mesure où, ex ante, le texte a fait l’objet d’une très longue consultation publique, qui a duré pratiquement un an et nous a permis de prendre connaissance dans le détail de l’avant-projet d’ordonnance. Puis, ex post, il y aura le projet de loi de ratification : nous aurons toujours le pouvoir de l’amender et nous vérifierons scrupuleusement ce qui aura été fait par le Gouvernement entre-temps.
C’est donc le troisième « paquet télécoms » qui nous est proposé.
Le premier, dans les années quatre-vingt-dix – certains s’en souviennent sans doute – avait ouvert à la concurrence ce secteur important pour notre économie, la libéralisation du marché étant intervenue le 1er janvier 1998. C’était un texte de rupture.
Le deuxième paquet télécoms avait posé le cadre juridique de l’économie numérique. La France l’avait transposé au travers de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. C’est une loi très importante, et pas seulement pour les spécialistes, une loi fondatrice pour l’économie numérique, à l’image de ce que fut, pour les médias, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
Ce troisième paquet télécoms, pour ce qui concerne la partie relative aux communications électroniques, ne constitue pas – loin de là – une rupture. Il s’agit plutôt d’un approfondissement, même si ce texte aborde des sujets nouveaux qui, pour autant, n’en sont pas moins importants.
Au titre de l’approfondissement, je voudrais essentiellement souligner le renforcement des pouvoirs du régulateur.
D’abord, il y a l’affirmation d’une meilleure coordination à l’échelon européen, dans le cadre d’une fédération des régulateurs nationaux. Elle aura beaucoup plus de poids que celle qui pouvait prévaloir auparavant dans le cadre de l’Organe des régulateurs européens des télécommunications, l’ORET.
Ensuite, de nouveaux pouvoirs seront confiés au régulateur en matière de sanction et de régulation asymétrique. J’évoquerai également ces nouveaux pouvoirs à propos de la neutralité des réseaux, sujet fondamental à mes yeux.
Enfin, il y a aussi une exigence rehaussée en matière d’indépendance et d’impartialité, et je sais que, à l’article 13, mes chers collègues, nous ne manquerons pas d’en discuter.
Sur la régulation, il faut se féliciter, car c’est important, de ce que l’objectif de la concurrence ne soit plus l’alpha et l’oméga, et que ce paquet télécoms propose en même temps comme objectif au régulateur de garantir la capacité des entreprises à investir. En cela, il conforte ce que j’appellerai la « régulation à la française », dont la finalité dépasse le seul droit de la concurrence et prend en compte d’autres objectifs de politique publique. Outre l’investissement, cela peut être aussi l’aménagement du territoire.
Je ne dresserai pas la liste exhaustive de tous les sujets nouveaux abordés dans ce projet de loi, me bornant à en évoquer trois.
Le premier est la sécurité des réseaux. Au fur et à mesure de l’évolution vers la maturité de l’économie numérique, cette préoccupation est devenue fondamentale.
Le deuxième sujet qui s’impose est la protection des consommateurs, absente du premier paquet télécoms, peu présente lors de la transposition du deuxième paquet et très présente sur ce troisième paquet, signe des temps et d’une évolution qui est, là encore, extrêmement forte.
Il convient de noter l’obligation faite aux opérateurs de donner une meilleure information aux usagers, aux consommateurs.
Il importe aussi de souligner la facilitation du changement d’opérateur avec la fameuse portabilité du numéro, rendue possible pour la téléphonie mobile et qui devrait normalement l’être un jour – mais j’en doute encore – pour le téléphone fixe.
Il faut en outre remarquer le renforcement de l’obligation du consentement préalable pour les internautes – c’est le problème des cookies –, notamment pour tout ce qui concerne la prospection commerciale.
Le troisième sujet nouveau, je le disais tout à l’heure, est fondamental, c’est la neutralité d’internet. C’est une vraie question, largement débattue, sur laquelle le Gouvernement a rendu cet été un rapport important. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, a formulé dix recommandations. Des initiatives parlementaires ont été prises, notamment par la commission de la culture et la commission de l’économie du Sénat. Mme Catherine Morin-Desailly et moi-même avons organisé une table ronde à l’automne dernier, et la Commission européenne doit prochainement remettre un Livre blanc sur le sujet.
Il s’agit donc d’une question fondamentale et porteuse d’avenir, mais deux risques symétriques sont présents.
Le premier est la congestion, voire l’embolie des réseaux, compte tenu de l’explosion extraordinaire du trafic. Le trafic par utilisateur double environ tous les deux ans. Ainsi, en 2009, au niveau planétaire, le surcroît de capacité que les opérateurs ont apporté sur le marché est l’équivalent de toutes les capacités qui existaient en 2007.
L’autre risque est le verrouillage de l’accès aux contenus, aux services, aux applications puisque, sous prétexte de gestion du trafic, certains pourraient être tentés par des mesures qui ne seraient ni plus ni moins que du blocage ou, en tout cas, qui ne faciliteraient pas l’accès à internet. Internet, selon moi mais c’est aussi le point de vue de la commission, doit rester un bien stratégique collectif et, en ce sens, demeurer un réseau ouvert.
Il faut se féliciter de ce que le troisième paquet télécoms innove à plusieurs titres sur le sujet de la neutralité.
Premièrement, le principe de la neutralité est consacré comme objectif de régulation.
Deuxièmement, le régulateur se voit attribuer de nouveaux moyens pour faire respecter le principe de la « Net-neutralité ». Des obligations de transparence sont fixées aux opérateurs pour ce qui concerne les pratiques de gestion du trafic. Par ailleurs, le régulateur aura un double pouvoir : celui de fixer une exigence minimale de qualité de service, et il conviendra de s’interroger, par exemple, sur le sens de l’expression « offre illimitée » ; celui de régler par arbitrage les différends opposant opérateurs de réseaux, fournisseurs d’accès, à des fournisseurs de contenus, des prestataires de services internet.
Ces mesures sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes. C’est la raison pour laquelle la commission de l’économie a souhaité introduire une disposition majeure pour conforter la neutralité des réseaux, en ajoutant aux objectifs de régulation de l’ARCEP le principe essentiel de la non-discrimination. C’est une mesure simple, plutôt consensuelle, ce qui est rare lorsque l’on traite de ce sujet, mais elle est susceptible de régler, nous le pensons, une très large partie des problèmes relatifs à la Net-neutralité.
Enfin, la commission a beaucoup travaillé sur le régime des noms de domaine pour répondre à la censure du Conseil constitutionnel. Ce dernier a en effet considéré, à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, que le législateur n’avait pas suffisamment encadré les règles d’attribution des noms de domaine.
En conclusion, mes chers collègues, ce texte n’est pas une révolution. La vraie révolution, vous le savez, c’est la révolution numérique, qui a toujours un temps d’avance sur les directives et sur les lois nationales. Cela doit nous inciter à être bien sûr modestes, mais en même temps volontaristes, afin que notre pays puisse tirer le meilleur profit en termes d’emploi, d’économie et de culture de cette belle révolution du numérique. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui contient essentiellement des dispositions à caractère social, il concerne la commission de la culture, de l’éducation et de la communication à plusieurs titres.
D’abord, il complète la transposition de deux directives ayant une incidence sur deux professions qui nous intéressent.
L’article 7 du projet de loi vise ainsi à permettre aux architectes établis dans un État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen d’exercer leur profession en France en tant qu’associés d’une société d’architecture. Cette modification de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture a aussi été introduite dans la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit sur l’initiative de la commission de la culture, qui reste favorable à son adoption.
La seconde directive dont il s’agit de compléter la transposition est celle du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles et qui concerne ici la profession de professeur de danse. Il s’agit d’autoriser les professeurs de danse ressortissants d’un autre État membre de l’Union européenne à exercer en France sans avoir à justifier de deux ans d’expérience professionnelle lorsqu’ils ont suivi une formation réglementée. C’est une simple mise en conformité du droit français et la commission ne voit pas, là non plus, de difficulté à l’adoption de cette mesure.
Ensuite, le projet de loi habilite le Gouvernement à transposer par voie d’ordonnance le troisième paquet télécoms, les dispositions intégrées dans ces directives devant en effet être applicables en droit français avant le 25 mai 2011.
Aussi étonnant que ce véhicule législatif puisse paraître, il paraît donc nécessaire de l’utiliser. Je tiens malgré tout à souligner qu’il s’agit de l’énième directive que l’on a tardé à transposer et que la pratique du Gouvernement est encore très largement perfectible en la matière.
Cette habilitation se justifie néanmoins, d’une part, parce que le paquet télécoms n’a pas été révolutionné mais simplement aménagé, et, d’autre part, parce que la marge de manœuvre laissée aux États membres est limitée.
En outre, reconnaissons que le Gouvernement a adopté une démarche transparente sur la question, avec une consultation publique et la diffusion de l’avant-projet d’ordonnance.
Celui-ci modifie notamment l’article 42 du code des postes et des communications électroniques, le CPCE, afin de prévoir que l’ARCEP puisse prendre en compte pour l’assignation des fréquences dont elle a la responsabilité « la promotion de la diversité culturelle ou linguistique ainsi que, après avis conforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le pluralisme des médias ».
Je ne vois pas comment cette disposition pourrait être appliquée, mais, madame la secrétaire d’État, vous pourrez certainement nous donner des précisions à cet égard. En tout cas, nous pouvons nous réjouir que des objectifs culturels puissent être pris en compte par l’ARCEP dans le cadre de sa compétence d’attribution de fréquences.
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication sera néanmoins attentive, lors du dépôt du projet de loi de ratification, à ce que le texte contienne toujours la limitation de cette compétence de l’ARCEP aux fréquences dédiées aux télécommunications et l’avis conforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel lorsqu’il s’agit d’assurer la réalisation de l’objectif de pluralisme des médias. Plus généralement, elle fera preuve de vigilance pour que les médias conservent une place de choix dans l’attribution globale des fréquences.
Le projet d’ordonnance prévoit également une modification de l’article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986, afin d’imposer de nouvelles obligations aux distributeurs de services audiovisuels au profit des personnes aveugles ou malvoyantes. Cette disposition a été déjà été adoptée au Sénat et, je le rappelle, la commission y était favorable.
Bref, la transposition du troisième paquet télécoms par l’article 11 ne pose pas de difficultés à la commission de la culture, qui a donné un avis favorable à son adoption.
Toutefois, dans la mesure où la directive n° 2009/136/CE modifie la directive concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, la commission a considéré que le présent projet de loi constituait aussi un vecteur intéressant pour faire passer des dispositions qui lui sont chères. Nous en reparlerons au cours de la discussion des articles.
Par ailleurs, la commission de l’économie, par l’intermédiaire de son rapporteur pour avis, qui m’a associée à sa démarche – je l’en remercie –, a introduit dans le texte une disposition fixant dans le CPCE le principe de la neutralité du Net. Bruno Retailleau vient d’en donner la définition tout en rappelant l’enjeu d’une telle mesure. Notre assemblée s’est récemment penchée sur ces sujets : nos deux commissions et le groupe d’études Médias et nouvelles technologies ont en effet organisé une table ronde qui fournira un rapport utile à notre réflexion.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si le Sénat, comme c’est probable, adopte cet article, il se montrera à la fois réactif et innovant. La commission de la culture a donc été amenée à émettre un avis favorable à l’adoption du projet de loi, sous réserve du vote de son amendement portant article additionnel après l’article 14. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ma première observation concernant l’examen de ce projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques portera sur la forme, laquelle n’est d’ailleurs pas très éloignée du fond.
En effet, je tiens à regretter, avec l’ensemble des sénatrices et sénateurs du groupe CRC-SPG, que, une fois encore, il faille attendre que la France soit pressée de toutes parts par la Commission européenne, que cette dernière la menace de sanctions financières importantes – cela a été dit –, pour que le Gouvernement se décide à transposer dans notre droit interne des mesures contenues dans différentes directives européennes.
Cette réalité ne vous a d’ailleurs pas échappé, madame la secrétaire d’État, puisque, lorsque vous avez présenté ce projet de loi à l’Assemblée nationale, vous avez reconnu : « [Nous] devons mettre notre droit national en conformité avec les obligations résultant du droit communautaire. Nous devons combler les retards de notre pays en matière de transposition de plusieurs directives. Et nous savons bien que nous ne pouvons plus attendre. » M. Ollier vient de nous répéter les mêmes propos.
Et vous avez ajouté, comme pour contraindre les parlementaires à adopter ce texte : « D’abord, ces retards ont un coût pour nos finances publiques [plusieurs dizaines de millions d’euros] Ensuite, ces retards nous mettent dans une forte insécurité juridique, puisque les citoyens de l’Union européenne peuvent désormais attaquer un État pour déficit de transposition. » Tout cela est très juste, mais ne constitue pas pour autant un argument en faveur de l’adoption du projet de loi.
Nous ne devrions pas faire l’économie d’une réflexion d’ampleur sur les causes qui conduisent à de tels retards, lesquels placent, rappelons-le, la France au quinzième rang des pays de l’Union européenne en matière de transposition. En effet, le Parlement ne peut aujourd’hui jouer pleinement son rôle dans ce domaine, comme l’atteste le recours important aux ordonnances prévues par l’article 38 de la Constitution : comme vous l’avez signalé, madame la rapporteur, ces dernières privent les législateurs de la possibilité d’intervenir comme ils le feraient dans un cadre normal.
Madame la secrétaire d’État, je vous accorde que les projets d’ordonnance ont, pour certains d’entre eux, été communiqués. Cela rend d’autant plus critiquable le recours à de tels mécanismes puisque nous aurions pu imaginer que, en lieu et place de cette communication, le Gouvernement intègre ces dispositions par voie d’articles, voire d’amendements, dans le projet de loi. Une transposition plus rapide nous aurait permis d’éviter le recours à de telles mesures.
C’est la raison pour laquelle les sénatrices et sénateurs du groupe CRC-SPG ont déposé un amendement de suppression sur chacun des articles prévoyant le recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution.
Une meilleure transposition nous aurait d’ailleurs permis d’éviter un autre écueil, celui d’un projet de loi transposant des éléments de directives très diverses. Or, force est de constater que le texte que nous examinons aujourd’hui est quelque peu « fourre-tout ». Il aborde simultanément la question des ventes de boissons à emporter, la réglementation des eaux de baignade, les comités d’entreprises européens ou encore le troisième paquet télécoms. Cette approche disparate n’est pas de nature à garantir un travail parlementaire serein, et je crois que nous sommes nombreux à le regretter.
Si cette situation résulte des retards pris par le Gouvernement en matière de transposition, elle est aussi la conséquence du choix politique de transposer, petit bout par petit bout, la directive n° 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, plus connue sous le nom de directive Services.
Vous avez en effet fait le choix d’une transposition sectorielle plutôt que transversale. Il résulte de cette situation que vous transposez la directive Services métier par métier. Cette méthode permet d’éviter une transposition unique qui aurait l’inconvénient de devoir faire assumer par votre majorité la contestation par de pans entiers de professionnels d’une directive dont l’unique objectif est de supprimer les entraves actuelles aux principes de la libre concurrence, fondement théorique de votre conception de l’Union européenne.
Pour reprendre vos propres termes, madame la secrétaire d’État, la directive « vise à libérer le potentiel de croissance des marchés de services en Europe en éliminant les obstacles juridiques et administratifs injustifiés qui freinent les échanges dans ce secteur ».
En réalité, derrière cette formule, il s’agit d’adapter les législations nationales à la loi du marché, à faire primer l’économie et ses caprices sur les besoins humains et sociaux. C’est d’ailleurs ce constat qui nous avait conduits à nous opposer en son temps à la directive Services et à refuser, comme la majorité des Français, le projet de Constitution européenne que vous avez imposé et qui consacrait cette prédominance de l’économie.
Cette méthode de transposition est sans doute destinée à éviter que les mécontentements exprimés à l’occasion du référendum de 2005 ne ressurgissent. Vous comprendrez donc que nous ne puissions pas vous accompagner dans ce qui est pour nous la suite du déni de démocratie que constitue la ratification du traité constitutionnel européen par le Gouvernement français, et ce contre la volonté de son peuple.
Lors de l’examen de ce projet de loi à l’Assemblée nationale, vous avez affirmé que la volonté du Gouvernement n’était pas de construire une Europe du « moins-disant social ». Nous ne partageons évidemment pas ce constat, tant les mauvais coups se succèdent dans le secteur privé comme à l’encontre de nos grands services publics nationaux.
Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer les différences de réglementations qui existent au sein de l’Union européenne. En effet, la violation ou le défaut de transposition dans un temps donné d’une directive européenne entraîne systématiquement des sanctions financières à l’encontre des pays. Or, vous en conviendrez, les directives en question ont très souvent une dimension économique et visent précisément à consacrer la logique de la libre concurrence et de la sacralisation du monde marchand.
En revanche, la non-mise en conformité d’une législation nationale par rapport aux principes contenus dans la charte des droits sociaux fondamentaux ou la non-adaptation d’un droit interne à la suite d’une décision du Comité européen des droits sociaux, le CEDS, n’entraînent jamais de sanction, et ce pour une simple et bonne raison : ceux qui ont construit cette Europe n’ont pas cru nécessaire de donner une force contraignante à la charte. C’est dire que celle-ci n’a que peu de valeur et qu’elle n’a en réalité qu’une simple portée esthétique, destinée à teinter votre Europe libérale d’une touche de social.
D’un côté, des sanctions financières à l’encontre des États qui entravent votre conception, libérale, de l’économie et, de l’autre, l’absence de mesures à l’encontre des pays dont la législation n’est pas conforme au minimum commun que constitue la charte : comment croire, dans ces conditions, que vous ne souhaitez pas l’instauration d’une Europe du moins-disant social ?
Si j’aborde cette question, madame la secrétaire d’État, c’est à dessein. Vous le savez, à la suite d’une procédure engagée par la Confédération générale du travail conformément au système dit de « réclamation collective », le Comité européen des droits sociaux a estimé, dans une décision en date du 23 juin 2010, que la législation française n’était pas, sur plusieurs points, en conformité avec la charte sociale européenne révisée.
Le CEDS a ainsi précisé, à l’unanimité des membres qui le composent, que le « régime du forfait en jours sur l’année » et les mécanismes assimilant les périodes d’astreintes à des périodes de repos contrevenaient respectivement aux alinéas 1 et 5 de l’article 2 de la charte révisée, ainsi qu’à l’alinéa 2 de son article 4.
Or, en huit mois, le Gouvernement n’a rien fait pour mettre en conformité notre droit avec la décision rendue par le CEDS. La présidente de notre groupe, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, a adressé à M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé un courrier, le 30 janvier dernier, pour savoir quand et comment le Gouvernement entendait agir. Depuis cette date, il ne s’est passé qu’un délai relativement court et je comprends qu’il n’ait pas encore eu le temps de répondre. Je profite donc de l’occasion pour vous interroger : de quelle manière et quand entendez-vous agir pour que le code du travail soit enfin conforme avec la charte des droits sociaux fondamentaux ?
Tout cela confirme nos craintes quant à ce texte dont l’objectif est, je le rappelle, de transposer des éléments de la directive Services. Sous les apparences d’une entreprise de simplification du droit, cette directive ne recherche que la libéralisation de l’économie et la dérégulation des règles protégeant actuellement les salariés, les acteurs de l’économie, notamment sociale, et les consommateurs.
La meilleure démonstration en est encore donnée par les articles de ce projet de loi visant à réduire les exigences à l’égard des assistants sociaux, quitte à ce que cela ait des conséquences sur la qualité des services proposés, ou bien par l’article 3 qui tend à autoriser les organismes d’évaluation des établissements sociaux et médico-sociaux établis dans un autre État de l’Union européenne à exercer leur activité en France.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour toutes ces raisons, et pour celles que nous développerons au cours de la discussion des articles et lors de la défense de nos amendements de suppression, le groupe CRC-SPG votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)