M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’article 6 a pour but de permettre aux autorités de faire face à des situations exceptionnelles. L’exemple le plus récent a été cité : il s’agit du débarquement d’une centaine de migrants kurdes sur une plage de Corse-du-Sud en janvier 2010.
La commission des lois a précisé le dispositif de ces zones d’attente ad hoc : de telles zones ne pourront être créées qu’à proximité d’une frontière maritime ou terrestre et pour une durée strictement limitée au temps nécessaire à l’examen de la situation des migrants, plus précisément pour une durée maximale de vingt-six jours.
Il importe de souligner que les étrangers maintenus dans une telle zone bénéficieront évidemment de l’ensemble des droits reconnus en zone d’attente, notamment celui de demander leur admission sur le territoire au titre de l’asile. Sur ce point, monsieur Yung, la décision est, certes, prise dans des circonstances particulières puisque l’OFRA n’est pas physiquement présente, mais celle-ci est systématiquement consultée par les services de l’administration et son avis est suivi dans la quasi-totalité des cas.
Les inquiétudes exprimées ne paraissent donc pas fondées en l’état du droit applicable et au regard de la gestion des situations actuelles. En tout état de cause, il faut le souligner, la directive « retour » n’est pas applicable aux étrangers maintenus en zone d’attente.
Sur le dispositif des zones d’attente ad hoc, la commission a, me semble-t-il, apporté des précisions suffisantes pour parvenir à un dispositif équilibré. En conséquence, elle émet un avis défavorable sur les trois amendements de suppression de l’article 6.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Pour compléter les propos de M. le rapporteur, je préciserai que l’article 6 vise, en réalité, non pas à introduire un régime dérogatoire, mais à élargir et renforcer le dispositif tel qu’il a été prévu par la loi de juillet 1992, afin d’éviter l’annulation de certaines procédures.
En tout état de cause, le cadre juridique est exactement le même que pour les autres zones d’attente. Les migrants concernés verront l’ensemble de leurs droits, sans exception, respectés puisque le préfet établira ces nouvelles zones d’attente temporaires sous le contrôle du juge administratif. Le juge des libertés et de la détention sera amené à intervenir dans les mêmes conditions que pour une zone d’attente fixe. Enfin, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté aura accès à ces zones d’attente temporaires.
Il n’y a donc pas de raison de donner suite à ces amendements, sur lesquels le Gouvernement émet un avis défavorable.
MM. David Assouline et Richard Yung. C’est le paradis, alors ?
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote.
Mme Bariza Khiari. Il convient de souligner que cette disposition est, comme l’a rappelé Louis Mermaz, le fruit d’une situation exceptionnelle et particulière et de dire une nouvelle fois qu’elle revêt des aspects dangereux.
Premièrement, la notion de groupe n’est pas clairement définie. La directive évoque un « nombre exceptionnellement élevé » de personnes. En quoi dix personnes constitueraient-elles un groupe exceptionnellement nombreux ? Comme l’ont relevé nos collègues, il est fait ici une interprétation quelque peu biaisée du texte de la directive.
Deuxièmement, les articles relatifs à la zone d’attente sont particulièrement confus et créent une indistinction entre la zone d’attente et les territoires. De telles dispositions, si elles étaient adoptées, porteraient gravement atteinte au droit des personnes.
Il faut surtout rappeler que la création de la zone d’attente conduirait à rendre moins effectif le droit d’asile, ce qui serait contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, notamment à sa décision n° 93-325 DC du 13 août 1993.
Nous estimons donc que la création de cette zone « clé en main » n’est pas une bonne initiative et qu’elle pose plus de problèmes de définition qu’elle n’en résout.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, pour explication de vote.
M. Louis Mermaz. Lors du débat sur la protection temporaire, les sénateurs de l’opposition avaient souhaité que le gouvernement français puisse invoquer une disposition communautaire afin de faciliter l’accueil de personnes étrangères arrivant en grand nombre sur notre territoire et de permettre à la solidarité européenne de jouer pleinement.
Lorsque cette situation s’est produite dans le Calaisis, on nous a répondu que ces personnes n’étaient pas assez nombreuses, alors même que des étrangers se sont présentés par centaines dans la région au cours des dernières années, et même des derniers mois.
Et voilà qu’aujourd’hui on fabrique des zones d’attente pour dix personnes qu’on a trouvées dans un rayon de dix kilomètres ! C’est dire tout l’arbitraire de cette disposition. (M. Richard Yung applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 34 rectifié, 112 et 296 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe UMP. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Je rappelle que la commission a émis un avis défavorable, de même que le Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 151 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 183 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Tous quatre sont présentés par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L’amendement n° 300 est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Lorsqu'un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers vient d'arriver en France en dehors d'un point de passage frontalier, les articles L. 811-1 à L. 811-8 s'appliquent. »
L’amendement n° 299 est ainsi libellé :
Alinéa 2
Au début de cet alinéa, ajouter les mots :
Dans une situation exceptionnelle,
L’amendement n° 298 est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
groupe d'au moins dix
par les mots :
nombre exceptionnellement élevé d'
L’amendement n° 297 est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
ou sur un ensemble de lieux distants d'au plus dix kilomètres
La parole est à M. Richard Yung, pour présenter ces quatre amendements.
M. Richard Yung. Ces quatre amendements sont effectivement liés et s’inscrivent dans la droite ligne de notre précédente discussion.
L’amendement n° 300 vise à permettre le déclenchement du mécanisme de la protection temporaire, prévu par la directive du 20 juillet 2001 lorsqu’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers vient d’arriver en France. En droit interne, la mise en œuvre de ce mécanisme est prévue aux articles L. 811-1 à L. 811-8 du CESEDA.
Contrairement au placement en zone d’attente, l’attribution de la protection temporaire apporte des garanties aux étrangers, qui se voient délivrer un document provisoire de séjour assorti, le cas échéant, d’une autorisation provisoire de travail. Ils bénéficient également d’un droit de séjour d’un an renouvelable, dans la limite de trois ans. Par ailleurs, la protection temporaire ne préjuge pas de la reconnaissance du statut de réfugié.
Nous pensons que cette solution est bien plus respectueuse du droit.
J’en viens à l’amendement n° 299.
D’après l’exposé des motifs du présent projet de loi, l’assouplissement des conditions de création d’une zone d’attente vise à répondre à des situations exceptionnelles. Or les dispositions de l’article 6 ne font pas ressortir le caractère exceptionnel de l’extension de la zone d’attente. Par conséquent, nous proposons de limiter la possibilité de créer des zones d’attente ad hoc en reprenant dans la loi les termes de la directive « retour », qui conditionne explicitement les mesures dérogatoires au droit commun à une situation exceptionnelle.
Par ailleurs, l’article 6 permet la création d’une zone d’attente en cas d’arrivée sur le territoire d’« un groupe d’au moins dix étrangers ». Cette notion, introduite à l’Assemblée nationale – cela n’étonnera personne ! –, n’a aucun fondement juridique.
En outre, il est quelque peu paradoxal de fixer à dix le nombre d’étrangers à partir duquel on peut considérer qu’il y a une arrivée massive de personnes. Dans le Calaisis, on nous a expliqué qu’un nombre d’immigrants supérieur à cent n’était pas exceptionnel. Cette notion est donc vraiment à géométrie variable !
Afin de surmonter cette contradiction, nous proposons, par l’amendement n° 298, de reprendre dans la loi les termes de l’article 18 de la directive « retour », qui conditionne explicitement les mesures dérogatoires au droit commun à la présence d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers. Vous voyez que nous sommes respectueux des directives européennes !
L’amendement n° 297 porte sur l’aspect géographique.
Le rapporteur a précisé la délimitation spatio-temporelle des zones d’attente ad hoc. Cependant, il a maintenu la possibilité de transformer en zone d’attente spéciale « un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres », alors que, en l’état actuel du droit, les zones d’attente s’étendent des points d’embarquement et de débarquement – que le mode de transport soit le bateau, le train ou l’aéronef – aux points de contrôle frontaliers. Il souhaite ainsi « permettre aux autorités de prendre en compte les stratégies déployées par les réseaux de passeurs pour déjouer le dispositif de contrôles aux frontières ».
En soi, c’est certainement une bonne idée. Cependant, concrètement, l’entrée en vigueur de telles dispositions pourrait avoir pour conséquence de transformer en zones d’attente spéciales des régions entières, telles que le Calaisis ou la côte de la mer du Nord. Une telle extension des zones d’attente poserait des problèmes insurmontables.
Faute d’être parvenus à supprimer le principe des zones d’attente ad hoc, nous proposons de réduire la possibilité de créer ces lieux de privation de liberté, en supprimant les mots « ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’amendement n° 300 vise à lier la création des zones d’attente ad hoc au dispositif de la protection temporaire.
Cet amendement soulève une difficulté certaine. Il convient en effet de ne pas confondre, d’une part, l’arrivée en France, en dehors d’un point de passage frontalier, d’un nombre important d’étrangers dont la situation doit être examinée au regard du droit à l’entrée et au séjour des étrangers, et, d’autre part, les afflux massifs de personnes déplacées en raison d’un conflit, qui peuvent relever des dispositions sur la protection temporaire ou, en tout état de cause, de celles relatives à l’asile.
S’agissant de la protection temporaire, l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées doit être constatée par une décision du Conseil de l’Union européenne, prise sur proposition de la Commission européenne.
Les deux dispositifs relèvent donc de logiques juridiques différentes, étant entendu que le dispositif des zones d’attente ad hoc n’a aucunement vocation à empêcher la mise en œuvre du mécanisme de la protection temporaire lorsque les conditions de son déclenchement sont réunies.
La commission a donc émis un avis défavorable.
L’amendement n° 299 vise à préciser qu’une zone d’attente ad hoc ne peut être créée que pour répondre à une situation exceptionnelle.
Il me paraît nécessaire de préciser ici que le dispositif des zones d’attente ad hoc a bien vocation à n’être appliqué qu’à titre exceptionnel : lorsqu’un groupe important d’étrangers vient d’arriver en France en dehors d’un point de passage frontalier, il est en effet nécessaire de permettre aux autorités d’examiner leur situation dans un cadre juridique clair.
À cet égard, l’amendement déposé par nos collègues n’ajoute rien au dispositif prévu par le projet de loi et la commission a donc émis un avis défavorable.
L’amendement n° 298 vise à remplacer la notion de « groupe d’au moins dix étrangers » par celle de « nombre exceptionnellement élevé d’étrangers ». Cette discussion a eu lieu en commission.
M. Richard Yung. Ce sont les termes de la directive !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cependant, la notion de « nombre exceptionnellement élevé d’étrangers » crée une incertitude qui ne peut que fragiliser les procédures. Que veut dire au juste cette expression ? De notre point de vue, mieux vaut en rester à un seuil de dix étrangers, qui n’est peut-être pas pleinement satisfaisant, mais qui présente l’avantage de la clarté.
Je rappelle par ailleurs que le dispositif des zones d’attente ad hoc n’est pas soumis au respect de la directive « retour », qui n’est applicable qu’à l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, et non à leur entrée sur le territoire.
La commission des lois a donc émis un avis défavorable.
Enfin, concernant l’amendement n° 297, il nous a paru nécessaire de conserver la notion de « lieux distants d’au plus dix kilomètres » afin de permettre aux autorités de prendre en compte les stratégies qui peuvent être déployées par les réseaux de passeurs, ceux-ci tentant de contourner par tous les moyens, nous le savons, les dispositifs de contrôle aux frontières.
C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le dispositif de protection temporaire prévu par les auteurs de l’amendement n° 300 ne me semble pas adapté à l’objectif de l’article 6.
S’agissant des amendements nos 299, 298 et 297, ils visent à mettre en place des critères plus subjectifs que ceux, précis et clairs, qui sont définis à l’article 6.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces quatre amendements.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l'amendement n° 298.
M. Jean-Pierre Sueur. Je suis quelque peu déçu de voir que les efforts opiniâtres de notre collègue Richard Yung pour proposer des amendements de repli, des solutions, des dispositions susceptibles d’être acceptées par les uns et les autres, ne sont finalement sanctionnés que par des avis défavorables. En gros, tout ce qu’on trouve à répondre, c’est : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »
Je voudrais néanmoins insister sur les conséquences de tout ce dispositif.
Nous avons le sens des responsabilités et nous voyons bien que, face à une situation véritablement exceptionnelle, il est permis d’imaginer – comme le prévoit une directive européenne – une réponse exceptionnelle.
Cependant, le dispositif que vous cherchez à faire adopter ici est totalement imprécis. Vous jugez préférable de préciser que le groupe d’étrangers doit être composé d’au moins dix personnes. Mais, avec ces collections de dix personnes, vous ne faites rien d’autre que de généraliser la zone d’attente ! Tout point du territoire pourra désormais devenir une zone d’attente.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Non, justement !
M. Jean-Pierre Sueur. À tout le moins, beaucoup de points du territoire.
De même, vous créez des tribunaux ou des « para-tribunaux » à côté de chaque centre de rétention.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, et M. François-Noël Buffet, rapporteur. Mais non, justement !
M. Jean-Pierre Sueur. Ainsi, les zones d’attente se trouveront un peu partout, comme il y aura des ersatz de tribunal un peu partout.
Voilà qui correspond tout de même à une certaine conception de la société, à une certaine conception du droit, à une certaine conception de l’accueil, à une certaine conception du respect des droits des personnes, notamment du droit d’asile.
On s’engage ainsi dans une logique de généralisation d’institutions à caractère flou, ad hoc, opportunistes : pour les besoins de la cause, il suffira de trouver dix personnes. Et l’on est en train de défaire un état de droit qui s’appuyait sur des lieux déterminés, ayant des fonctions déterminées, répondant à des impératifs précis.
C’est votre choix ; nous verrons comment le dispositif se mettra en œuvre…
En tout cas, les membres du groupe socialiste tiennent à exprimer avec force qu’ils sont bien entendu opposés à une telle conception. Ils regrettent en outre l’intransigeance avec laquelle les multiples amendements présentés par Richard Yung et notre groupe pour essayer de trouver des améliorations au dispositif ont été refusés.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
Après le premier alinéa de l’article L. 221-4 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de maintien simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers, la notification des droits mentionnés au premier alinéa s’effectue dans les meilleurs délais possibles, compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative et d’interprètes disponibles. De même, dans ces mêmes circonstances particulières, les droits notifiés s’exercent dans les meilleurs délais possibles. »
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz. L’article 7 peut être considéré comme le frère jumeau du précédent.
Cet article vise à rendre régulières, par un régime dérogatoire, des privations de liberté de plusieurs heures, hors de tout cadre, en zone d’attente.
Il prévoit en effet : « En cas de maintien simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers, la notification des droits mentionnés au premier alinéa s’effectue dans les meilleurs délais possibles, compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative et d’interprètes disponibles. De même, dans ces mêmes circonstances particulières, les droits notifiés s’exercent dans les meilleurs délais possibles ». Bien malin qui pourra nous dire combien de temps tout cela va prendre !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un certain temps… Comme le refroidissement du fût du canon !
M. Louis Mermaz. Ici encore, le Gouvernement va de dérive en dérive et cherche à légitimer et à renforcer des pratiques administratives arbitraires déjà utilisées en demandant au législateur de légaliser ce qui se faisait jusqu’alors illégalement. En effet, un certain nombre d’articles que nous examinons à présent visent simplement à régulariser des illégalités qui sont commises semaine après semaine, et depuis fort longtemps.
Le phénomène n’est pas nouveau : déjà, aux termes de la « loi Sarkozy » de 2003, l’étranger n’était plus informé « immédiatement », mais seulement « dans les meilleurs délais ». Cette fois-ci, comme si cela ne suffisait pas, les termes « dans les meilleurs délais » ont été remplacés par les termes « dans les meilleurs délais possibles »… Molière est décidément un auteur encore très actuel !
Le Gouvernement propose ainsi au législateur d’adopter une règle dérogatoire en matière de notification des droits en zone d’attente ; voilà ce que signifie une telle disposition ! C’est l’exception !
L’article mentionne les cas de « maintien simultané en cette zone d’attente d’un nombre important d’étrangers », ce qui est fréquent à Roissy. Là, c’est encore plus grave, car encore plus de latitude est donnée à l’administration quant aux obligations qu’elle doit pourtant respecter.
C’est bien un régime d’exception qui se met en place, dans une véritable police des étrangers.
Heureusement que la notification des droits des personnes privées de liberté est une garantie essentielle, qui est au cœur du contrôle du juge de la liberté individuelle, et que la Cour de cassation est très exigeante sur ce point ! On peut donc penser qu’il y a là un fort risque d’inconstitutionnalité.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l'article.
M. Jean-Pierre Sueur. M. le rapporteur et Mme la ministre semblent penser que le salut est dans le nombre dix. Les formules proposées par M. Yung ont été considérées comme inappropriées parce que trop vagues, et ils ont proclamé que le droit ne saurait être vague.
Madame la ministre, monsieur le rapporteur, de deux choses l’une : ou vous ne pensez pas ce que vous dites – et je ne peux le croire ! –, ou vous le pensez ; c’est l’hypothèse que je retiens. Dès lors, vous ne pouvez que plaider pour la suppression de l’article 7 !
En effet, s’il était conservé dans sa rédaction actuelle, ce serait un monument à faire visiter aux générations futures comme l’exemple même de ce qui peut être fait au sein de l’édifice juridique pour pulvériser le droit et de la façon dont le non-droit peut s’insinuer partout !
Madame la ministre, monsieur le rapporteur, après avoir insisté sur le fait que dix c’était dix, et non pas neuf ou onze, que ce chiffre était clair, précis, explicite, vous défendez un article qui prévoit : « En cas de maintien simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers »… Louis Mermaz a eu bien raison d’évoquer Molière !
Pouvez-vous nous dire à quoi correspond précisément « un nombre important » ?…
Mme Nathalie Goulet. Dix personnes…
M. Jean-Pierre Sueur. À partir de combien de personnes a-t-on affaire à un « nombre important » de personnes ? Cent ? Deux cents ? Mille ? Cinquante ? Trois mille ? Dites-nous un peu, madame la ministre, ce que c’est qu’un « nombre important » !
L’article 7 dispose en outre que « la notification des droits mentionnés au premier alinéa s’effectue dans les meilleurs délais possibles… » : autant dire qu’il n’y a plus de délai ! La notification peut donc éventuellement ne jamais s’effectuer !
Je poursuis : « … compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative […] disponibles »… (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Quand on voit l’émoi suscité par des déclarations faites ce matin même… Quand on entend des magistrats expliquer que ce serait très bien de mettre telle ou telle mesure en œuvre, mais que le budget du ministère de la justice étant ce qu’il est…
Madame la ministre, prenez les chiffres de ce budget et mettez-les en regard de cette formule : « compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative et d’interprètes disponibles »…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sans compter les moments où les agents sont en grève !
M. David Assouline. N’en jetez plus !
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, monsieur le rapporteur, je proposerai que nous gravions cet article en lettres d’or dans l’hémicycle. C’est tellement beau !
M. Louis Mermaz. Bientôt, ici, nous aurons des ministres disponibles dans les meilleurs délais possibles ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Sueur. Je continue : « De même, dans ces mêmes circonstances particulières, les droits notifiés s’exercent dans les meilleurs délais possibles. » Mais lorsqu’on parle de « circonstances particulières », on n’est guère avancé : en fait, cela veut dire « dans n’importe quelle circonstance ». L’adjectif « particulier » est aussi imprécis que l’adjectif « significatif ».
Bref, la loi s’appliquerait dans des « circonstances particulières » et « dans les meilleurs délais possibles », c’est-à-dire éventuellement jamais !
Dans ces conditions, madame la ministre, je propose que nous disposions une fois pour toutes que la loi est à dimension variable, qu’elle s’applique de manière tout à fait conjoncturelle et aléatoire, en fonction des disponibilités et des circonstances particulières, et que nous cessions de légiférer.
Disons-le : si quelqu’un, dans cet hémicycle, vote l’article 7, il portera atteinte à la dignité du législateur. Si nous votons cette disposition, qui est un chef-d’œuvre de non-loi, nous renonçons à notre tâche et à notre office, comme disait encore Jean-Baptiste Poquelin ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l'article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Jean-Pierre Sueur, avec le talent oratoire qu’on lui connaît, a montré l’impossibilité d’appliquer en droit des termes aussi imprécis et des notions aussi conjoncturelles. Et cet article me paraît d’autant plus inapplicable qu’en ce moment même on est en train de réécrire les dispositions relatives à la garde à vue !
Avec cette liberté laissée à la puissance publique de remplir ou non des obligations, nous sommes dans la plus complète approximation et, à l’évidence, ce texte court le risque d’être remis en cause par le Conseil constitutionnel ou par la Cour européenne des droits de l’homme.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 35 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 113 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 301 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l’amendement n° 35 rectifié.