M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mes chers collègues, je vous supplie de ne pas voter l'amendement n° 293, qui tend à instaurer une présomption irréfragable, c'est-à-dire impossible à contester. Cela signifie que les fraudeurs eux-mêmes échapperaient à la sanction !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Voilà !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si l’amendement n° 294 est très imparfait et n’apporterait pas de solution satisfaisante, il est tout de même moins mauvais que le premier. Certes, on peut faire ce que l’on veut, que l’on soit juriste ou non. Mais, monsieur Yung, je vous suggérerais de retirer l'amendement n° 293. Il restera l’autre !

M. le président. Monsieur Yung, l'amendement n° 293 est-il maintenu ?

M. Richard Yung. Je le maintiens, monsieur le président !

Pour répondre aux objections de M. le président de la commission des lois, je me demande s’il ne serait pas possible de modifier l’amendement n° 293, en supprimant le premier membre de phrase : « Sauf le cas de fraude manifeste dont la preuve incombe à l’autorité administrative, ».

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est pire !

M. François-Noël Buffet, rapporteur. La présomption est irréfragable ! Elle ne souffre aucune exception !

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. Le président de la commission des lois a parfaitement expliqué la situation dans laquelle nous nous trouvons. Nous ne pouvons pas rester sans rien faire.

Mes chers collègues, si, comme nous, sénateurs représentant les Français établis hors de France, vous étiez tous les jours confrontés à ces difficultés, qui engendrent de véritables drames humains, vous réagiriez non pas d’une manière juridique mais d’une manière politique. Car, là, c’est une affaire politique !

Si nous voulons que ce projet de loi, qui durcit les conditions pour les immigrés, soit bien perçu par les plus de deux millions de Français établis hors de France, il faut tout de même faire un geste envers eux, qui sont tout à fait sérieux et responsables.

M. David Assouline. Et pas les immigrés ?

M. Christian Cointat. Il faut tout faire pour débloquer leur situation. Imaginez un instant la douleur de quelqu’un qui veut renouveler un passeport ou une carte nationale d’identité et qui, pour toute réponse, s’entend dire qu’il s’appelle d’une drôle de façon, qu’il n’est sûrement pas français et qu’une erreur a dû survenir. C’est abominable. On touche à l’essence même de la citoyenneté. Par conséquent, on ne peut pas rester sans réagir.

Cela dit, l'amendement n° 293 me pose un problème dans la mesure où il tend à préciser que la nationalité est « définitivement établie ». L’adverbe « définitivement » ne me convient pas. S’il est retiré, je voterai cet amendement

En tout état de cause, je voterai l'amendement n° 294, parce qu’il faut lancer un signal fort. Comme l’a rappelé fort justement Joëlle Garriaud-Maylam, les circulaires, c’est très bien, c’est mieux que rien, mais nombreux sont ceux qui ont tendance à les ignorer. En outre, on le sait, les circulaires ont une vie très courte, alors que la loi, elle, dure.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mes chers collègues, je comprends très bien votre volonté d’agir. Je veux bien que l’on distingue les juristes des politiques ! Mais alors, nous pouvons aussi bien nous en aller…

M. Richard Yung. Ne faites pas cela ! (Sourires.)

M. David Assouline. Pas de chantage ! (Nouveaux sourires.)

Mme Bariza Khiari. On ne peut rien faire sans vous ! (Rires.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je dis cela à l’intention de mon excellent ami Christian Cointat. C’est vrai que nous sommes parfois des empêcheurs de danser en rond !

M. David Assouline. Entre la commission des lois et la commission des finances, on ne peut plus rien faire !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais si, on fait beaucoup !

En l'occurrence, mes chers collègues, je vous propose de demander que le Sénat se prononce en priorité sur l'amendement n° 294, qui me semble plus applicable. Son adoption rendrait l'amendement n° 293 sans objet.

Monsieur le président, je vous soumets donc cette demande de priorité, au nom de la commission.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur la demande de priorité formulée par la commission ?

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Je comprends qu’il faille trouver un juste équilibre pour aider nos concitoyens qui se trouvent dans une situation insupportable.

Certes, une circulaire n’a pas la force d’une loi, mais la dernière circulaire ne date que du 1er février ! En outre, on prend un risque trop grand en proposant un autre dispositif. Il faut faire attention aux possibilités de fraude.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Arrêtez cette suspicion systématique !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Nous sommes face à un sujet trop complexe pour le traiter ainsi.

Je maintiens donc l’avis défavorable du Gouvernement sur les amendements nos 293 et 294.

Cela dit, le Gouvernement émet un avis favorable sur la demande de priorité.

M. le président. La priorité est de droit.

La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote sur l'amendement n° 294.

M. David Assouline. Je souhaite réagir à l’intervention de M. Christian Cointat.

Nous partageons l’émotion de nos collègues face aux tracasseries absolument insupportables que peuvent subir nos concitoyens français. Toutefois, monsieur Cointat, vous demandez que nous accomplissions en quelque sorte un geste en faveur des Français établis hors de France ou nés à l’étranger pour mieux leur faire accepter l’ensemble des difficultés que créera ce texte aux étrangers et aux immigrés.

Franchement, mon cher collègue, ce n’est pas agir dans le souci de l’intérêt général ! De tels propos sont étonnants dans la bouche d’un parlementaire, dont on attend plutôt qu’il obéisse aux principes. Vraiment, monsieur Cointat, j’aurais aimé que vous invoquiez d’autres arguments.

Nous, nous nous intéressons à l’intérêt de nos concitoyens et de la France, et nous déployons toute notre énergie pour éviter les tracasseries supplémentaires. Votre idée selon laquelle les contraventions à la loi doivent être endiguées par le renforcement de législation rend la situation insupportable, non pas pour les quelques fraudeurs mais pour les millions de citoyens qui ne fraudent pas. En ce qui concerne les immigrés, c’est exactement la même chose. Parce qu’il faut empêcher les fraudes, on ajoute une loi supplémentaire, une loi qui rend la vie des étrangers en situation régulière insupportable quand ils veulent faire refaire un papier ou prouver qu’ils habitent en France alors qu’ils ont un contrat de travail depuis tant d’années.

Je voudrais que l’ensemble de l’hémicycle soit autant ému par les tracasseries que subissent les Français quand ils doivent faire la preuve de leur nationalité que par les étrangers qui veulent pouvoir vivre tranquillement sans être considérés en permanence comme des fraudeurs.

Je voulais faire cet éclaircissement pour appeler l’ensemble de mes collègues à plus d’ouverture et de générosité envers ceux pour qui nous légiférons.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 294.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 5 bis.

Dans ces conditions, vous retirez l'amendement n° 293, monsieur Yung ?

M. Richard Yung. Je suis sensible à l’argument de mon collègue Christian Cointat et je suis prêt à modifier l’amendement n° 293 en supprimant le terme « définitivement ». Je comprends les problèmes que son maintien pourrait poser juridiquement.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Franchement, les préoccupations que vous avez exprimées sont largement satisfaites par l'amendement n° 294. D’ailleurs, vous avez dit vous-même que l’un de ces amendements était de repli par rapport à l’autre.

Je vous rappelle qu’il faut faire très attention à ce que l’on fait parce qu’il y a aussi des milliers de gens qui se voient privés de leur identité du fait d’usurpations ou de fraudes. C’est un fait. Votre dispositif, qui a été voté par le Sénat, me paraît tout à fait suffisant puisque, dès lors que la première délivrance de document a été faite, on ne peut plus revenir dessus. Restons-en là pour ce soir ; je vous supplie de retirer votre amendement.

M. David Assouline. Vous étiez contre les deux tout à l’heure !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. J’étais beaucoup plus hostile à l'amendement n° 293.

M. Richard Yung. Je me rends ! Je retire l'amendement.

M. le président. L'amendement n° 293 est retiré.

Titre II

DISPOSITIONS RELATIVES À L’ENTRÉE ET AU SÉJOUR DES ÉTRANGERS

Chapitre Ier

Dispositions relatives à la zone d’attente

Articles additionnels après l'article 5 bis
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité
Article 7

Article 6

Après le premier alinéa de l’article L. 221-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsqu’il est manifeste qu’un groupe d’au moins dix étrangers vient d’arriver en France en dehors d’un point de passage frontalier, en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres situés à proximité d’une frontière maritime ou terrestre, la zone d’attente s’étend, pour une durée maximale de vingt-six jours, du ou des lieux de découverte des intéressés jusqu’au point de passage frontalier le plus proche. »

M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.

M. Louis Mermaz. Nous assistons à un véritable ballet au banc du Gouvernement digne du Châtelet, probablement parce que les ministres veulent se passer et se repasser le mistigri. Nous ne savons pas qui nous verrons mardi… Nous finirons par voir tout le Gouvernement !

Le 17 février 2001, l’East Sea échoue sur les côtes varoises. Le Préfet crée la première zone d’attente ad hoc à proximité. Le tribunal administratif de Nice annule cet arrêté, cette zone d’attente ne pouvant pas exister puisque, d’après les lois en vigueur, elle devait être à proximité ou dans une gare ferroviaire, un port ou un aéroport. M. Sarkozy étant alors ministre de l’intérieur, la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité va tenir compte de ce que le Préfet s’était trouvé, à son corps défendant, dans l’illégalité pour prévoir que l’on pourrait désormais créer des zones d’attente à proximité des lieux de débarquements.

En janvier 2010, 123 Kurdes ayant échoué sur les rivages de Corse n'ont pas été placés en garde à vue mais ont été dirigés sur un gymnase, qui a donc fonctionné comme une zone d'attente de facto. Une fois ces personnes transférées dans des centres de rétention administrative sur le continent, trois juges des libertés et de la détention considèrent, appliquant les lois en vigueur, qu’elles ont été, de ce fait, privées illégalement de liberté.

L'article 6 vise donc à légaliser cette privation de liberté, dénoncée par les juges des libertés et de la détention, de personnes connaissant une situation similaire et crée des zones d'attente « sur mesure » pour que les préfets ne soient pas, à l’avenir, dans l’illégalité. Il se trouve que ces zones d’attente, dites ad hoc, vont compromettre l’exercice des droits des personnes retenues. Ces personnes ont en effet le droit d’avertir ou faire avertir le conseil de leur choix, leur consulat ou un membre de leur famille résidente en France, refuser d'être expatriées avant l'expiration du délai d'un jour franc, bénéficier de l'assistance d'un interprète et d'un médecin, communiquer avec leur conseil, quitter à tout moment la zone d'attente pour toute destination située hors de France. En effet, l'étranger placé en zone d'attente, un lieu privatif de liberté, est considéré comme n'étant pas présent sur le territoire français. Il ne bénéficie donc, au début, d’aucune des garanties de droit commun et peut ainsi être refoulé à tout moment.

En l'état actuel de la législation, les règles sont différentes selon que l'on se trouve en zone d'attente ou sur le territoire français.

En zone d'attente, deux cas sont possibles.

En cas de demande d'asile, les personnes peuvent être privées de liberté le temps de l'examen du caractère « manifestement infondé » de leur demande par le ministère de l'immigration, et cela peut prendre 26 jours. Si leur demande est rejetée, elles peuvent être renvoyées dans leur pays de provenance ou d’origine, sans pouvoir déposer une demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, sauf si elles déclenchent un recours suspensif dans le délai de 48 heures auprès du tribunal administratif du ressort.

L’adoption d’une telle disposition, en l’occurrence l'article 6 dont nous discutons, aura donc un impact négatif sur le respect du droit d’asile puisque l’on sait que la procédure d’asile à la frontière actuellement en vigueur dans les aéroports, les ports et les gares, est utilisée par l’administration comme un filtre. J’ai pu constater que quelqu’un qui arrive, par exemple à Roissy, et qui dit j’arrive parce que ma famille a été massacrée, parce que je suis persécuté mais ne prononce pas la formule « je demande à bénéficier du droit d’asile » peut se voir refuser ce même droit, sur le principe qu’on peut par là même considérer qu’il ne l’a pas demandé. Dans l’état où les personnes arrivent, vous voyez ce que cela peut avoir comme conséquence…

Dans le cas où les personnes en zone d’attente ne sollicitent pas l’asile, il peut leur être notifié un refus d'entrée exécutoire d'office sauf si la personne demande à bénéficier d'un jour franc – encore faut-il qu’elle comprenne ce que cela signifie – mais sans possibilité d'un recours suspensif. On sait de ce droit qu'il n'est ni systématique, ni effectif puisque c'est l'étranger qui doit exprimer clairement sa volonté de refuser d'être rapatrié avant l'expiration de ce jour franc. Trop souvent, on fait en sorte qu’il ne demande pas à bénéficier du jour franc.

En revanche, les personnes interpellées sur le territoire français et qui demandent l'asile sont dans une situation plus favorable. La demande se fait auprès de la préfecture, puis de l'OFPRA, qui examinera sur le fond leur demande d'asile sous le contrôle de la cour nationale du droit d'asile. Ces personnes sont admises à séjourner provisoirement, en étant logées dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile. Si elles sont sur le territoire sans titre de séjour et qu'elles sont arrêtées, il est possible de leur notifier une mesure d'éloignement pour séjour irrégulier qui lui, en revanche, peut faire l'objet d'un recours suspensif et urgent devant le tribunal administratif.

Tout lieu du territoire national devenant potentiellement une zone d'attente, cette nouvelle nature « provisoire et disséminée » des zones d'attente entravera ainsi toute possibilité de contrôle effectif et indépendant des associations, maintiendra les étrangers dans l'ignorance de leurs droits et ne leur permettra pas de faire appel à des personnes qui pourraient les aider.

Dans l'article 7 du projet, des dispositions sont prévues pour rendre encore plus difficile l’exercice du droit de ces personnes.

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l’article.

Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, puisque vous avez eu l’élégance de ne pas interrompre notre collègue Louis Mermaz, qui a parfaitement expliqué cet article 6, je vais renoncer à mon temps de parole sur article.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.

M. David Assouline. Je voudrais ajouter à cette explication absolument complète un argument se rapportant aux conventions européennes.

La notion de groupe d’étrangers a été précisée à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’un groupe d’au moins dix étrangers. La directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres prévoit la possibilité d’une zone d’attente spécifique mais la réserve à l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé d’étrangers. C’est conforme à votre logique puisque vous décidez de légiférer pour l’arrivée de cent personnes. Or, dans la décennie, il n’y a eu que deux cas d’arrivée de cent personnes, et cela vous a conduit à vouloir légiférer.

Pourquoi décidez-vous arbitrairement, selon moi en contradiction avec la directive européenne, que le groupe « exceptionnellement élevé » doit être de dix personnes ? Pourquoi pas vingt ? Pourquoi pas trente personnes ? Je pense que cela peut nous mettre en contradiction avec Schengen.

Nous vous demandons donc d’arrêter d’ajouter des restrictions aux restrictions, en limitant les droits, en créant des situations tout à fait exceptionnelles. C’est quasiment une législation d’exception que vous mettez en place pour régler quelques problèmes qui sont apparus les années passées. Je vous le dis très franchement, vous avez une vision encore plus restrictive que l’ensemble des pays européens en la matière.

Je voudrais revenir sur la question de l’asile. J’ai entendu hier M. Hortefeux insister sur une explosion absolument phénoménale des demandeurs d’asile, particulièrement en France, qui justifiait qu’on apporte encore de nouvelles restrictions. Alors, je veux tout de même rappeler quelques chiffres.

La France est l’un des pays qui reçoit le plus grand nombre de demandes d’asile. Elle le doit à sa tradition, à son positionnement géographique, à ce qu’elle représente aux yeux du monde. C’est un fait ! Les États-Unis sont dans une situation similaire.

Je me suis intéressé au pourcentage d’acceptation de ces demandes d’asile, pour voir s’il fallait vraiment encore restreindre, si la législation actuelle n’était pas déjà suffisante. Or la France est loin derrière d’autres pays : elle refuse respectivement 31 % et 51 % de demandes de plus que les États-Unis et le Canada ; même l’Allemagne notifie moins de refus que nous !

On peut toujours chercher à nous effrayer en prétendant qu’il y a trop de demandes. Mais ce n’est pas le problème. Avec la législation actuelle, notre pays ne dispose-t-il pas déjà des moyens de rejeter plus de demandes que d’autres pays comme les États-Unis, le Canada, l’Allemagne ?

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Non !

M. David Assouline. Apparemment, si !

Et vous voulez aller plus loin encore, comme s’il était nécessaire de renforcer le droit en la matière dans un sens plus restrictif !

Je crois que, de votre fait, la France est en train de perdre l’image qu’elle avait conquise aux yeux des peuples en termes de droit d’asile.

Qui peut croire que la France court le risque d’être envahie par une vague d’immigration par le biais de la demande d’asile politique ? Franchement, ce n’est pas le sujet !

À une époque, sur le fondement du droit français, on aurait très bien pu considérer – comme vous avez tous l’air de le faire désormais ! – que les Tunisiens vivaient sous le joug d’une oppression politique absolue, d’une privation totale de liberté et qu’à ce titre ils auraient pu bénéficier de l’asile. Mais personne n’en parle ! Aujourd’hui, on se focalise sur le cas des Afghans.

Vraiment, qu’on arrête de restreindre toujours davantage, qu’on cesse d’être aussi frileux !

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L’amendement n° 34 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, M. Baylet, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.

L’amendement n° 112 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

L’amendement n° 296 rectifié est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l’amendement n° 34 rectifié.

Mme Anne-Marie Escoffier. Pour qui veut bien étudier les lois sur les étrangers, il apparaît que l’ensemble qu’elles constituent est devenu illisible : d’année en année, se sont ajoutées des dispositions censées répondre à des événements ponctuels, et le présent article 6 est une nouvelle illustration de ce phénomène, ainsi que cela a été très justement indiqué.

Il concerne donc la création de zones d’attente ad hoc et tend à transposer l’article 18 de la directive « retour », lequel pose un certain nombre de conditions très précises puisqu’il autorise la création de zones d’attente provisoires « lorsqu’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour fait peser une charge lourde et imprévue sur la capacité des centres de rétention d’un État membre ou sur son personnel administratif et judiciaire ». Cette situation exceptionnelle autorise alors, aux termes de la directive, un allongement des délais de contrôle juridictionnel et de garantie des droits.

Or la transposition qui est opérée au travers de l’article 6 ne respecte ni la lettre ni l’esprit de la directive. Celle-ci mentionne un nombre « exceptionnellement élevé » d’étrangers quand le projet de loi évoque un « groupe d’au moins dix étrangers » : ce n’est pas tout à fait la même chose !

Le projet de loi ne fait pas non plus référence à la notion de « charge lourde et imprévue » mentionnée par la directive, non plus qu’à l’urgence requise.

Voilà donc un texte qui rend permanentes les zones temporaires puisqu’elles pourront être constituées à tout moment, en n’importe quel point frontalier, ou presque. Cela revient, dès lors, à banaliser la privation de liberté en tant que « mode de gestion ordinaire de l’immigration », comme le notait d’ailleurs la Commission nationale consultative des droits de l’homme dans son avis du 6 janvier dernier.

La rétention en zone d’attente est bien un régime de privation de liberté. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 février 1992, l’a clairement indiqué, considérant, à propos du maintien en zone de transit, que conférer « à l’autorité administrative le pouvoir de maintenir durablement un étranger en zone de transit, sans réserver la possibilité pour l’autorité judiciaire d’intervenir dans les meilleurs délais, » était contraire à la Constitution.

Pour toutes ces raisons, madame la ministre, notre groupe souhaite la suppression de l’article 6.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 112.

Mme Éliane Assassi. Comme cela a été fort bien dit précédemment, avec cet article 6, il nous est proposé d’innover en créant des zones d’attente ad hoc pour les groupes d’au moins dix étrangers arrivant sur notre territoire.

Actuellement, les zones d’attente se situent dans un port, un aéroport, une gare internationale ou à proximité d’un autre lieu de débarquement. Déterminées par arrêté préfectoral, elles permettent de créer des lieux d’enfermement en fonction des arrivées des migrants.

D’ores et déjà, le critère de détermination de ces zones est celui des besoins de la police des migrants. Malgré cette souplesse, qui nuit aux droits et à la protection des primo-arrivants, l’article 6 introduit une nouvelle adaptation, laquelle fait suite à l’arrivée, en janvier 2010, de 123 Kurdes en Corse : le régime juridique de la procédure de placement en zone d’attente n’ayant pas pu leur être appliqué, sous peine d’irrégularité, ils ont tous dû être libérés.

Le présent article organise un régime dérogatoire puisque les zones d’attente sont constituées de fait, sans que l’autorité administrative ait à prendre une décision, du moment que cela concerne l’arrivée récente d’un groupe d’au moins dix migrants en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres. Un groupe de dix migrants est ainsi abusivement considéré comme constituant une immigration massive.

En clair, tout lieu du territoire situé à dix kilomètres de la frontière deviendrait une zone d’attente potentielle, du seul fait de la présence d’étrangers.

Nous nous opposons évidemment à la création de nouvelles zones d’attente. Ce sont autant de lieux d’enfermement supplémentaires pour les étrangers, sans encadrement suffisant, et qui portent atteinte aux droits et aux libertés des primo-arrivants, notamment de celles et ceux qui sont en quête de protection.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l’amendement n° 296 rectifié.

M. Richard Yung. Cet article ressortit, selon nous, à la partie de la législation que l’on pourrait qualifier d’« autonome », c’est-à-dire celle qui n’est pas du tout exigée par la transposition des directives.

Rien ne justifie d’assouplir les conditions permettant la création de ces zones d’attente ad hoc – ou « sac à dos », pour reprendre une expression scoute –, si ce n’est la volonté du Gouvernement d’empêcher l’accès au séjour de migrants présents sur le territoire français. Ce n’est pas acceptable.

Ainsi, le nombre de dix qui est mentionné dans cet article ne correspond pas à la notion d’afflux massif telle qu’elle est définie par le droit communautaire. En outre, la proposition de notre rapporteur de limiter à vingt-six jours la durée d’existence d’une zone d’attente spéciale constitue sans doute un effort louable, mais peut être aussi interprétée comme un allongement de la durée de maintien en zone d’attente.

Le plus grave, c’est probablement l’atteinte au droit constitutionnel d’asile.

M. Richard Yung. Les personnes placées en zone d’attente ad hoc pourraient, certes, solliciter l’admission au séjour au titre de l’asile, mais elles seraient soumises à la procédure spéciale de l’asile à la frontière, qui consiste en un simple examen de la recevabilité de la demande. Cette dernière procédure a d’ailleurs fait l’objet d’un avis négatif de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

En cas de rejet de leur demande, les candidats à l’asile ainsi placés en zone d’attente peuvent être expulsés sous réserve d’exercer un recours suspensif auprès du juge administratif dans un délai de quarante-huit heures, sans qu’ils puissent déposer une demande d’asile auprès de l’OFPRA. Comment un représentant de l’OFPRA pourrait-il d’ailleurs être présent puisque ces zones sont créées dans des conditions tout à fait exceptionnelles ?

Quand on est somalien et qu’on se trouve dans une telle situation, quarante-huit heures, ce n’est vraiment pas beaucoup pour préparer un recours !

Les personnes placées en zone d’attente et qui ne solliciteraient pas l’asile pourraient, elles, se voir notifier un refus d’entrée, exécutoire d’office.

Enfin, les dispositions de l’article 6 ne sont guère acceptables pour les mineurs étrangers isolés, qui pourraient être enfermés dans ces zones d’attente spéciales. Nous sommes nombreux – peut-être même unanimes – à le reconnaître.