Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Caricature !
M. Philippe Dallier. La véritable question est de savoir si, au-delà de l’invocation de grands principes, nous avons les moyens et la possibilité matérielle d’accueillir toutes ces personnes. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous prie de laisser l’orateur s’exprimer.
M. Philippe Dallier. Avec vos bons sentiments, vous risquez, je le crains, de favoriser précisément ceux qui professent des thèses contraires aux valeurs républicaines.
Nous ne voterons donc pas cet amendement. Mais sachez que vous n’avez pas ici le monopole des valeurs de la République ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Notre débat prend une très mauvaise tournure.
M. Philippe Dallier. La faute à qui ?
M. Jean-Pierre Michel. En l’occurrence, il nous est demandé de nous prononcer sur un amendement, et non sur les arrière-pensées réelles ou supposées des uns et des autres !
D’ailleurs, nous connaissons vos intentions, chers collègues : MM. Fourcade et Dallier viennent de les rappeler. Vous avez l’intention de ne respecter ni la Constitution…
M. Philippe Dallier. Voilà la caricature !
M. Jean-Pierre Michel. … ni la loi, y compris celle-là même qui sera issue de nos travaux.
M. Jean-Pierre Michel. Pour ce qui nous concerne, bien que ce texte ne nous convienne pas, nous allons cependant tenter, sans doute en vain, de l’amender, et ce dans le respect du texte lui-même !
Pour le moment, nous sommes invités à nous prononcer sur un amendement, et rien de plus. Vous pouvez donc continuer à agiter des épouvantails. Mais, sachez-le, d’autres qui les agitent encore mieux que vous en tireront aussi plus de bénéfices !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est sûr !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 17 rectifié tendant à insérer un article additionnel avant le titre Ier.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RDSE. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Je rappelle que la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 149 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 157 |
Contre | 179 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Titre IER
DISPOSITIONS RELATIVES À LA NATIONALITÉ ET À L’INTÉGRATION
Chapitre unique
Article 1er A
(Suppression maintenue)
Articles additionnels après l’article 1er A
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 272 rectifié, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Cerisier-ben Guiga, Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l'article 21-12 du code civil, après le mot : « simple », sont insérés les mots : « ou qui a été recueilli régulièrement en France en application d'une décision de recueil légal dont la kafala judiciaire, ».
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Depuis une disposition introduite par la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, le mineur étranger recueilli et élevé en France par une personne de nationalité française ne peut solliciter la qualité de Français qu’à l’issue d’une période de cinq ans de résidence.
Une telle condition aggrave la situation des enfants recueillis par décision légale, puisque l’acquisition de la nationalité française est une condition de leur accès à l’adoption, et donc de la normalisation de leur statut.
En revanche, il n’existe aucun délai pour les enfants adoptés en la forme simple, ce qui accentue le caractère discriminant de ce délai pour les enfants recueillis par décision légale.
Pour toutes ces raisons, je vous propose d’adopter cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 273 rectifié, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Cerisier-ben Guiga, Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l'article 21-12 du code civil, après le mot : « adopté », sont insérés les mots : « ou recueilli régulièrement en France en application d'une décision de recueil légal dont la kafala judiciaire, ».
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il s’agit d’un amendement de conséquence par rapport à celui que je viens de présenter. Il concerne en effet la question de l’acquisition de la nationalité française par les enfants également recueillis par décision légale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’amendement n° 272 rectifié, qui reprend une proposition formulée par le groupe de travail créé par le Médiateur de la République sur la reconnaissance juridique de la kafala, vise à supprimer la condition de résidence de cinq ans actuellement imposée aux enfants recueillis et élevés par une personne de nationalité française pour pouvoir réclamer la nationalité française.
L’amendement vise, notamment, le cas d’enfants recueillis dans le cadre d’une kafala de droit coranique. Il s’agit de la prise en charge de l’enfant orphelin par le « kafil » qui produit des effets équivalents à une tutelle ou à une délégation d’autorité parentale sans toutefois, ce point est important, aboutir à une adoption, interdite par le droit coranique.
Cependant, si la kafala produit bien en France des effets équivalents à ceux d’un recueil de l’enfant par l’intéressé, elle n’emporte aucun effet sur la filiation de l’enfant et du « kafil ».
Il n’y a, en conséquence, pas lieu de la traiter comme une adoption simple et de la faire bénéficier de la dispense de la condition de résidence. En effet, en l’absence de tout lien de filiation, la condition de résidence de cinq ans manifeste le lien que l’enfant a forgé avec le pays dans lequel il a été recueilli.
C'est la raison pour laquelle la commission des lois est défavorable à cet amendement et, par coordination, à l’amendement n° 273 rectifié.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Ces amendements visent à supprimer la condition de résidence de cinq ans pour les enfants régulièrement recueillis selon une décision de kafala judiciaire et qui souhaitent acquérir la nationalité française.
À la suite de M. le rapporteur, je rappelle que le droit civil français ne reconnaît pas la kafala comme une adoption simple. La kafala est une institution de droit coranique, sans équivalent dans notre droit, permettant de confier un enfant durant sa minorité à une famille musulmane qui assurera son éducation, sa protection et son entretien.
De plus, vous voudriez qu’une personne puisse faire acquérir la nationalité française à un mineur étranger né à l’étranger et recueilli en kafala en France sans durée de recueil de l’enfant avant son accès à la nationalité française.
En supprimant toute condition de durée de recueil, cet amendement rendrait l’accès à la nationalité française plus favorable à l’enfant né à l’étranger qu’à l’enfant né en France de parents étrangers, lequel ne pourra acquérir la nationalité française qu’à compter de l’âge de treize ans.
C’est pourquoi, d’ailleurs, le droit actuel subordonne la recevabilité des déclarations de nationalité française des enfants recueillis par des Français à une durée de résidence de cinq ans pour s’assurer de la réalité de l’intégration du mineur étranger qui acquiert la nationalité française.
Cette condition permet aussi de prévenir des abus ; sans la condition de durée, le mineur pourrait arriver en France à seize ou dix-sept ans, être éventuellement confié à l’aide sociale à l’enfance et, un an après, demander la nationalité.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. L'amendement n° 144, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 21-12 du code civil est ainsi modifié :
I. - Les 1° et 2 ° sont ainsi rédigés :
« 1° L'enfant qui est recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française ou qui est confié au service de l'aide sociale à l'enfance ;
« 2° L'enfant recueilli en France et élevé dans des conditions lui ayant permis de recevoir une formation française, soit par un organisme public, soit par un organisme privé présentant les caractères déterminés par un décret en Conseil d'État, soit par un étranger résidant en France depuis cinq ans au moins. »
II. - Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« 3° L'enfant étranger régulièrement recueilli en France dont la loi personnelle ne connaît pas la rupture des liens juridiques de filiation et élevé par une personne de nationalité française ou confié à l'aide sociale à l'enfance. »
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet amendement s’inscrit dans le droit fil des amendements précédents, même s’il est quelque peu différent.
Il vise à donner une nouvelle rédaction à l’article 21-12 du code civil afin de permettre aux enfants qui ont fait l’objet d’une adoption simple par une personne de nationalité française de demander, jusqu’à leur majorité, la qualité de Français.
D’une part, il conviendrait d’étendre cette possibilité aux enfants qui ont été élevés par un étranger vivant depuis au moins cinq ans en France.
D’autre part, nous souhaiterions permettre aux enfants recueillis en France sous un régime de kafala, ou régime de recueil légal en vigueur dans les pays de droit coranique qui ne donne pas droit à un lien de filiation, d’acquérir la nationalité française.
Nous avions déposé une proposition de loi en ce sens. Je précise que les enfants dont il s’agit ne peuvent être adoptés par des candidats à l’adoption de nationalité française. Or, dans les faits, ils sont d’ores et déjà recueillis par des couples français dans le cadre d’une kafala judiciaire.
Cette nouvelle formulation entend remédier à cette incohérence et aux difficultés que connaissent les couples souhaitant adopter des enfants d’origine maghrébine.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’avis est défavorable, pour les raisons exposées précédemment.
Même si cet amendement présente une légère différence dans sa présentation avec les amendements nos 272 rectifié et 273 rectifié, le fond reste identique et les conséquences juridiques sont donc les mêmes.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement est quelque peu différent et se rapporte directement à un débat que nous avons déjà eu.
Lors de l’examen de la dernière loi sur l’adoption – j’ai oublié la date exacte, mais beaucoup de sénateurs présents aujourd'hui siégeaient déjà ici – le ministre de l’époque n’avait pas fait droit à l’une de nos propositions, tout à fait similaire. En revanche, il s’était engagé à mener une réflexion sur la façon de traiter la kafala en France.
Vous avez beau dire que la kafala n’est pas une adoption simple, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit, concrètement, de la même chose.
Si les pouvoirs publics français ne peuvent statuer sur la façon dont les pays de droit coranique traitent les problèmes de l’adoption, ils peuvent cependant prendre des dispositions pour les droits des personnes concernées afin de se rapprocher de ce qui existe déjà dans notre pays en matière d’adoption simple.
Je m’en souviens donc très bien : le ministre de l’époque, probablement un garde des sceaux, avait reconnu qu’une réflexion sur le sujet était nécessaire. Depuis, il s’est écoulé un certain nombre d’années, mais, chaque fois que nous soulevons de nouveau le problème, bien réel, de ces enfants, élevés par des familles françaises ou par des personnes étrangères qui résident normalement sur le territoire français, vous nous dites qu’il faut réfléchir à la façon de trouver des équivalences pour la kafala. Or, lorsque nous sommes en situation, il se trouve que l’on n’a jamais encore assez réfléchi !
Allez-vous continuer longtemps à nous faire ce type de réponse ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 144.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er
(Non modifié)
L’article 21-18 du code civil est complété par un 3° ainsi rédigé :
« 3° Pour l’étranger qui présente un parcours exceptionnel d’intégration, apprécié au regard des activités menées ou des actions accomplies dans les domaines civique, scientifique, économique, culturel ou sportif. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l'article.
Mme Bariza Khiari. Dès le premier article, les fondements du texte sont posés : vous désirez une immigration choisie de grands sportifs, de grands scientifiques, de grands lettrés, de grands décideurs. À ceux qui ont de l’argent, vous dites qu’ils peuvent venir en France, que nous nous mettrons en quatre pour les seconder dans leur démarche et les aider dans leur parcours. À l’inverse, vous dites à ceux qui sont pauvres, affamés et en danger dans leur pays de passer leur chemin, que notre pays ne peut « accueillir toute la misère du monde ».
Je cite à dessein Michel Rocard, car je sens que, dans ce débat vous allez, une énième fois, nous ressortir cette citation tronquée pour tenter de prouver que certains socialistes vous soutiennent.
Cette disposition est proprement choquante et, surtout, contre-productive. Vous vivez sur le mythe de la sélection. C’était l’immigration choisie. On pouvait faire son marché. Les mots changent, cela devient l’immigration professionnelle.
Il n’est rien de plus faux : si vous voulez des grands chercheurs, des êtres d’exception, vous devrez commencer par vous montrer aptes à accueillir correctement les étudiants étrangers. (M. le président de la commission des lois approuve.) Si vous voulez des grands chercheurs, des êtres d’exception, alors vous devrez aussi accueillir des petites gens, car ce qui attire les hommes de valeur, ce n’est pas la promesse de procédures simplifiées et d’un pays qui leur donnera tout, et rien. Ce à quoi sont sensibles les femmes et les hommes de qualité, c’est l’ouverture et la tolérance d’un pays envers les étrangers en général.
L’histoire offre de nombreux exemples, à de multiples époques, de pays qui brillaient par le nombre de résidents étrangers cultivés qu’ils savaient accueillir.
Or, si on regarde précisément les choses, on constate que ce rayonnement était le fruit d’une réelle tolérance envers les étrangers, en général, et non seulement envers les plus distingués d’entre eux.
Les savants, les intellectuels, ne sont pas cyniques, ni sourds et aveugles à l’actualité. Avant de s’installer dans un pays, ils regardent avec attention sa politique migratoire et ses tendances sociales lourdes. Le Gouvernement, par ce projet de loi, tente de se rapprocher de l’électorat du Front national en multipliant les effets d’annonce. Croyez-vous que ce message soit de nature à construire une représentation positive de notre territoire chez les savants, les artistes et les grands décideurs que vous souhaitez attirer ? Rien n’est moins sûr.
En effet, ils auront plutôt tendance à croire, avec cette sixième loi, que la France se ferme peu à peu aux apports de la diversité, elle qui est pourtant une richesse pour tous.
Il faut cesser cette approche manichéenne, il faut arrêter d’opposer le bon grain et l’ivraie. Vous ne pourrez avoir l’un en rejetant l’autre, car l’immigration n’est pas aussi facilement sécable. Les flux sont généraux et le processus n’est pas sélectif au sens où vous l’entendez.
Si des personnalités aussi éminentes et talentueuses qu’Yves Montand, Edgar Morin, Amin Maalouf, Samuel Pisar, Marie Curie, Guillaume Apollinaire, Tahar Ben Jelloun, Émile Ajar et bien d’autres, ont choisi la France, c’est parce que notre pays était ouvert à tous, fraternel et ne faisait aucune distinction de talent.
Eux savent qu’il faut un certain talent pour être titulaire d’un doctorat et accepter de balayer la France, lorsque l’on est en danger dans son propre pays. Eux savent qu’il faut un certain talent pour, en étant professeur de médecine, accepter de faire des gardes de nuit. Eux savent que cette seule dignité vaut talent !
Au nom de ces talents silencieux, le groupe socialiste n’est pas favorable à des systèmes différenciés. Qu’elles soient ou non talentueuses, ces personnes souhaitent l’égal accès à la naturalisation pour s’ancrer définitivement dans notre pays et être simplement des citoyens. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 18 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 100 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Françoise Laborde, pour présenter l'amendement n° 18 rectifié.
Mme Françoise Laborde. Nous débutons avec l’examen de cet article le chapitre dans lequel on vise à remettre en cause les principes de notre droit de la nationalité.
L’article 1er prévoit de réduire la durée de condition de résidence nécessaire à la naturalisation de l’étranger présentant un « parcours exceptionnel d’intégration ». Cet article entérine donc le concept d’immigration choisie auquel nous nous étions déjà opposés en son temps, car il induit l’inégalité de traitement entre individus et l’appauvrissement des pays d’origine.
Surtout, cet article introduit une rupture d’égalité entre les étrangers résidant depuis une période donnée sur le territoire français et qui aspirent à acquérir la nationalité française.
Le droit à la naturalisation doit être apprécié sur des critères clairs, précis, objectifs et prévisibles, inhérents à la personne, à savoir le degré d’intégration dans notre pays. Or cet article permettrait à des individus de bénéficier d’un délai raccourci selon des critères essentiellement socio-économiques, qui valorisent, en particulier, la seule réussite sociale et non le degré global d’intégration dans la société.
Nous rejetons cette conception utilitariste de la naturalisation, qui revient à donner la priorité aux plus favorisés et à rejeter dans l’ombre ceux qui n’ont pas connu pareille fortune. Cet article creuse encore davantage les inégalités sociales en actant une inégalité juridique dont nous demandons la suppression.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 100.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je souscris aux propos tenus par Mme Khiari dans son intervention sur l’article 1er. La façon dont vous interprétez les données du problème me paraît terriblement orientée, monsieur le ministre.
Historiquement, les intellectuels sont venus exercer leurs talents en France – dans diverses professions, d’ailleurs –, parce que la France était un pays d’accueil ! Ainsi, certains chercheurs sont venus en France parce qu’ils pouvaient y poursuivre leurs travaux, ce qui leur était impossible dans leur propre pays.
Par la suite, vous avez voulu faire prévaloir la notion d’immigration choisie qui revient, au fond, à profiter des compétences des élites des pays pauvres, en les attirant en France tout en les payant moins bien que des Français ! Je me réfère à la situation des médecins hospitaliers étrangers, car l’injustice est flagrante : notre pays manque de médecins, il attire des médecins étrangers, mais les paie moins que des médecins français.
Nous ne pouvons donc pas partager cette conception qui consiste à profiter de la situation dans laquelle se trouvent les élites de pays moins favorisés.
Aujourd’hui, vous attirez notre attention sur la situation des étrangers présentant un « parcours exceptionnel d’intégration », qui se manifeste par des « actions accomplies dans les domaines civique, scientifique, économique, culturel ou sportifs » – à la gloire de la France, évidemment ! Ces étrangers mériteraient donc d’obtenir la nationalité française plus facilement.
L’intégration à un pays, à une nation, ne suppose-t-elle pas un engagement qui dépasse la simple activité que l’on exerce ? Permettez-moi de vous rappeler les propos d’Ernest Renan, que vous aimez citer, selon lequel une nation réside dans « le consentement actuel, le désir de vivre ensemble » ; elle est « une grande solidarité » et crée une « conscience morale [qui] prouve sa force par le sacrifice qu’exige l’abdication de l’individu au profit d’une communauté ».
Les auteurs de ce projet de loi, non contents d’introduire une distinction inadmissible en termes de droits, car fondée sur la nationalité des individus, introduisent également une distinction entre les étrangers qui pourraient être « nominés », parce que distingués par des prix littéraires ou scientifiques, des médailles olympiques ou d’autres exploits sportifs, et les autres.
Évidemment, ces autres qui, selon votre philosophie, ne sont pas, par définition, « méritants », auraient plutôt tendance à être assimilés à des délinquants potentiels, des gêneurs, des fauteurs de troubles…
Cette conception nous paraît extrêmement dangereuse. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ces deux amendements recueillent un avis défavorable, car ils sont totalement opposés à la position de la commission. En effet, celle-ci défend cet article parce qu’il constitue une avancée par rapport au droit positif, en ce qu’il facilitera l’acquisition de la nationalité française. La suppression de cette disposition représenterait un recul fort regrettable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Je pourrais me contenter de faire miens les arguments de M. le rapporteur. Je tiens simplement à rappeler que le raccourcissement de cinq ans à deux ans de la durée de résidence nécessaire pour obtenir la nationalité française existe déjà : cette possibilité est ainsi actuellement utilisée par les ministères de la défense et des affaires étrangères. Je ne reviendrai pas dans le détail sur cet aspect, car vous l’avez étudié en commission.
Il est aussi normal que la loi permette d’abréger ce délai, dans le cadre de « l’immigration réussie » – si vous me permettez l’expression –, de parcours exceptionnels dans le domaine civique ou dans ceux dont la liste vient d’être rappelée.
Il s’agit d’adresser un signe positif à des personnes qui résident déjà en France – il ne s’agit pas de les y faire venir, c’est un autre débat ! –, en raccourcissant la condition de résidence en raison de leur parcours d’intégration particulièrement réussi et qui mérite d’être reconnu.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Nous sommes résolument favorables à l’adoption de ces amendements !
Monsieur le ministre, le Gouvernement nous soumet un projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité en tête duquel il inscrit une conception totalement élitiste de l’immigration ! Or je crois que la France des droits de l’homme ne peut pas être une France élitiste.
La France des droits de l’homme est une France qui, dans le respect de sa Constitution et de ses lois, accueille tous les étrangers, quelles que soient leur condition, leur formation ou leur destination.
Cette conception élitiste est totalement discriminatoire, et très déplaisante, monsieur le ministre !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat appelait à l’instant notre attention sur ces médecins étrangers que notre pays tente d’attirer. Et que faisons-nous, une fois que nous les avons attirés dans nos hôpitaux ? Nous envoyons Médecins sans frontières ou Médecins du monde dans les pays d’origine ! Voilà où nous en sommes : nos hôpitaux fonctionnent avec des médecins étrangers, dont la présence serait ô combien nécessaire dans leurs pays, alors que nous y envoyons des organisations non gouvernementales pour soigner les populations à bas prix. Et tout cela coûte très cher !
Cette conception élitiste de l’immigration ne peut donc véritablement pas être retenue.
En outre, je pense profondément que tous ces étrangers qui présentent un « parcours exceptionnel » devraient faire leurs preuves dans leurs pays plutôt que chez nous !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 18 rectifié et 100.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)