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Mise au point au sujet d'un vote
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, je souhaite effectuer une mise au point en ce qui concerne le scrutin n° 139, du 25 janvier 2011, relatif aux amendements identiques no 7 rectifié, présenté par M. Gilbert Barbier et Mme Sylvie Desmarescaux, et no 21 rectifié quinquies, présenté par Mme Marie-Thérèse Hermange et plusieurs de ses collègues, tendant à supprimer l’article 1er de la proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir : je précise que notre collègue Pierre Jarlier souhaitait voter contre ces deux amendements identiques.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, monsieur Biwer. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
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Patrimoine monumental de l'État
Adoption d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative au patrimoine monumental de l’État, présentée par Mme Françoise Férat et M. Jacques Legendre (proposition de loi n° 68, texte de la commission n° 237, rapport n° 236).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jacques Legendre, auteur de la proposition de loi et président de la commission.
M. Jacques Legendre, auteur de la proposition de loi et président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission de la culture a toujours eu le souci de la sauvegarde et de la mise en valeur de notre patrimoine national. En témoigne la création, par notre ancien collègue Philippe Richert, d’un groupe d’études permanent sur ce thème, puis d’une mission d’information, en 2005, dont le rapporteur était Philippe Nachbar. La dégradation des crédits en faveur du patrimoine nous inquiétait alors et nos recommandations pour un financement pérenne ont été entendues par les gouvernements successifs. Le Président de la République a réaffirmé sa volonté dans ce domaine.
Nous sommes très attachés à la défense du patrimoine sous toutes ses formes : architectural, culturel, archéologique, mais aussi linguistique ou gastronomique, comme le montre le rapport de Catherine Dumas sur les arts culinaires, avant leur inscription au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO.
Sauvegarder le patrimoine national, cela ne veut pas dire mettre tout le patrimoine national dans la main de l’État. Il faut rappeler avec force que les élus locaux peuvent aussi avoir la passion du patrimoine national et mener une action déterminée pour le sauvegarder et le mettre en valeur.
Je suis de ces maires qui se sont battus pour que leur ville reçoive le prestigieux label « Ville d’art et d’histoire ». Ce label n’est pas décerné facilement : les contraintes sont très précises et elles doivent être obligatoirement honorées par les communes. Il ne faudrait donc pas a priori prétendre qu’il y aurait, d’une part, une préoccupation légitime qui serait du domaine de l’État et, d’autre part, un intérêt local suspect, qui concernerait les collectivités, voire le patrimoine privé.
En effet, de très nombreux Français possèdent des bâtiments historiques, et ils les entretiennent. Heureusement, car je ne sais pas comment nos collectivités locales ou l’État pourraient assurer la protection de l’ensemble du patrimoine.
Comme nos collègues Yves Dauge et Yann Gaillard, j’ai appartenu à la commission présidée par René Rémond qui s’était penchée sur la question de la dévolution du patrimoine monumental de l’État. La méthode de travail retenue avait permis de trouver un juste équilibre entre ce qui devait rester la propriété de l’État et ce qui pouvait être transféré et valorisé par une dynamique locale. Les conclusions ont été partagées sur toutes les travées de cette assemblée.
L’an dernier, dans l’article 52 du projet de loi de finances, le Gouvernement avait prévu de modifier les conditions de transfert aux collectivités territoriales pour relancer la décentralisation du patrimoine monumental de l’État. Nous avions, au cours d’un débat long et constructif, souhaité encadrer ce dispositif, dans le droit fil des recommandations de la commission Rémond, qui reste pour nous l’exemple à suivre. Le Conseil constitutionnel avait finalement censuré cet article, non pas sur le fond, mais parce qu’il le considérait comme un cavalier qui n’avait pas sa place dans ce texte.
Nous avons approfondi la réflexion à travers la constitution d’un groupe de travail, présidé par Mme Férat, sur l’avenir du Centre des monuments nationaux – auquel nous sommes très attachés –, car nous souhaitions analyser son rôle dans la politique patrimoniale de l’État et ses perspectives d’avenir. Ce rapport d’information a débouché sur la proposition de loi dont nous sommes les auteurs et que Françoise Férat vous présentera dans quelques instants. Mme le rapporteur s’est d’ailleurs investie avec passion dans ce travail.
L’actualité nous conforte dans l’idée qu’il est urgent de légiférer. Le cas de l’hôtel de la Marine met en évidence depuis deux ans les risques inhérents à des projets de cession de monuments historiques qui seraient menés sans une réflexion préalable sur le rôle de l’État et sur la cohérence de sa politique patrimoniale et culturelle.
D’ailleurs, le Président de la République a récemment annoncé, lors des vœux au monde de la connaissance et de la culture, la mise en place d’une commission indépendante pour se prononcer sur l’utilisation de cet ancien garde-meuble de la Couronne, que j’ai eu l’occasion de visiter hier avec des membres de notre commission.
Nous pensons que réfléchir en amont pour permettre éventuellement ensuite des cessions est la bonne méthode et qu’il ne faut pas inverser, dans ce domaine, l’ordre du travail. C’est l’objet de la proposition de loi que nous vous proposons aujourd’hui. Ce texte de bonne foi tend à améliorer la situation, et doit prouver à tous les Français que, plus que jamais, nous avons le souci de l’avenir du patrimoine national.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat, auteur de la proposition de loi et rapporteur.
Mme Françoise Férat, auteur de la proposition de loi, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi, que j’ai déposée avec Jacques Legendre, reprend l’analyse du groupe de travail sur l’avenir du Centre des monuments nationaux qu’il évoquait à l’instant. Le texte que nous examinons ce soir traduit en effet les propositions et principes que nous avions formulés dans ce rapport d’information.
Il s’agit de réaffirmer l’importance de notre patrimoine monumental : son utilisation doit être respectueuse de son histoire, de son architecture et de son rôle au regard de la mission de service public culturel.
Comme le rappelait René Rémond, certains monuments historiques appartenant à l’État incarnent la mémoire de la nation ou constituent un élément du patrimoine européen ou universel. Ce sont donc des éléments constitutifs de notre identité, de notre histoire. Leur protection doit être un impératif pour que soit transmis aux générations futures ce patrimoine inaliénable garant de la mémoire collective.
L’enjeu réside aujourd’hui dans la définition d’outils et de principes qui permettront à l’État de mener une politique patrimoniale cohérente et exemplaire : elle doit être à la fois protectrice de cet héritage inaliénable, et capable d’encourager les compétences et le dynamisme des collectivités territoriales, comme des personnes privées, ou de s’appuyer sur eux. Pour atteindre un tel équilibre, il était impératif de définir une méthode d’analyse rigoureuse, souple et objective. Nous proposons donc une approche pragmatique qui repose sur la mise en œuvre d’un principe dit « de précaution ».
Je souhaite mettre l’accent sur trois propositions du texte qui vous est aujourd’hui soumis.
Il s’agit tout d’abord d’imposer une analyse objective et scientifique en amont de toute décision de cession d’un monument historique. La création d’une instance nationale intervenant de façon systématique garantit cette approche. Le Haut conseil du patrimoine, créé par l’article 1er, est très largement inspiré de la commission Rémond, à qui avait été confiée la mission d’identifier les monuments historiques relevant du ministère de la culture et devant rester la propriété de l’État. L’objectif était de dresser la liste des monuments transférables aux collectivités territoriales. La même mission est confiée au Haut conseil du patrimoine, qui a vocation à se prononcer sur l’ensemble du parc monumental de l’État. Cela inclut donc les monuments historiques classés ou inscrits gérés par France Domaine.
La présence de parlementaires – issus notamment des commissions de la culture du Parlement – et de personnalités qualifiées telles que des historiens ou philosophes, garantira une approche objective respectueuse des enjeux culturels. Le Haut conseil du patrimoine devra fonder son analyse en reprenant notamment les critères de la commission Rémond. Ces derniers permettaient d’identifier les monuments dont l’État devait conserver la propriété : l’appartenance à la mémoire de la nation, la notoriété internationale et le rayonnement, enfin l’engagement par l’État d’importants moyens financiers ou la prise en compte de critères spécifiques de conservation ou de gestion.
L’avis de ce Haut conseil s’imposera, soit parce que la loi le prévoit – pour les transferts aux collectivités, le déclassement du domaine public des monuments cédés gratuitement, soit parce que sa légitimité sera telle qu’il sera difficile pour l’État de décider de céder un monument que cette instance n’aura pas jugé transférable. La publicité de ses décisions, que nous vous proposerons par voie d’amendement, pourra renforcer cette garantie. Sa capacité d’auto-saisine lui permettra en outre d’insuffler une dynamique et de jouer un rôle de contrôle du recours, par l’État, aux baux emphytéotiques.
Je vous proposerai d’élargir les missions du Haut conseil du patrimoine, à travers plusieurs amendements que nous examinerons ultérieurement. Il vous sera notamment proposé de lui reconnaître le pouvoir de demander à l’État d’engager une procédure de classement ou d’inscription d’un immeuble au titre des monuments historiques.
Le deuxième élément fondateur du principe de précaution est la prise en compte de la notion d’utilisation culturelle d’un monument.
Pour concilier les objectifs de protection du patrimoine de l’État et d’ouverture aux dynamiques territoriales ou privées, il était nécessaire d’envisager un critère autre que celui de la propriété du monument. C’est l’objet de la notion d’« utilisation culturelle », dont la portée est définie par l’article 2 de la présente proposition de loi : des prescriptions du Haut conseil du patrimoine, concernant par exemple l’ouverture au public ou la diffusion d’informations historiques, s’imposeront à tout propriétaire, gestionnaire ou utilisateur d’un monument. Il sera désormais possible de protéger la dimension culturelle du patrimoine monumental, sans nécessairement la lier à la propriété de l’État.
Le troisième élément que je souhaitais mettre en évidence est le dispositif qui encadre la relance de la dévolution aux collectivités territoriales.
Il me semble utile de souligner les dispositions suivantes.
Tout d’abord, seuls les monuments jugés « transférables » par le Haut conseil du patrimoine peuvent être cédés aux collectivités. Leur dépeçage est impossible. Le transfert à titre gratuit implique un véritable projet culturel.
En outre, l’information est renforcée pour que les transferts se réalisent dans des conditions satisfaisantes dans la durée. Cette amélioration de l’information passe par la convention de transfert qui impose un certain nombre de précisions, notamment l’évaluation des travaux, ou le rappel des objets ou des personnels concernés par le transfert. Il s’agit aussi de l’information des commissions compétentes du Parlement tous les trois ans.
Si une nouvelle cession est envisagée après un transfert gratuit, le texte pose les conditions d’une revente respectueuse de la vocation culturelle du monument : non seulement le déclassement du domaine public doit être autorisé par le Haut conseil du patrimoine, mais l’État peut demander la restitution du monument. Le partage du bénéfice qui résulterait d’une revente intervenant dans les quinze ans qui suivent le transfert, entre l’État et la collectivité, permettra de rassurer ceux qui craignent les éventuelles stratégies spéculatives.
Enfin, la proposition de loi réaffirme le rôle prééminent du ministre de la culture dans la dévolution, tout en respectant celui du ministre en charge du domaine de l’État.
Ces dispositions législatives offrent des garanties qui sont devenues incontournables et urgentes pour la protection de notre patrimoine monumental.
D’autres dispositions méritent bien évidemment toute votre attention.
Je pense à l’article 3 qui définit enfin le principe de péréquation sur lequel est fondée la mission du Centre des monuments nationaux depuis sa création.
Je pense également à l’introduction, dans le code du patrimoine, de la notion de patrimoine mondial de l’UNESCO. Nous devons cette avancée très importante à notre collègue Ambroise Dupont, qui avait souligné les carences législatives sur ce sujet, et formulé des propositions dans son dernier avis budgétaire.
Enfin, l’article 2 bis introduit par la commission améliore la protection du patrimoine, en prévoyant la possibilité de classer des ensembles mobiliers et de prononcer des servitudes de maintien in situ.
Nous vivons un moment important, un tournant dans l’histoire du patrimoine monumental de l’État et du rôle précieux que peuvent jouer les collectivités territoriales dans la mise en œuvre d’une politique nationale cohérente, respectueuse de notre histoire et de notre mémoire.
J’entends souvent les gens réagir vivement à l’actualité, qui évoque malheureusement la menace qui pèse sur un patrimoine sur le point d’être « bradé ». Leurs réactions montrent que nombre de ces monuments historiques sont des éléments fondateurs de notre identité, de notre histoire et de notre mémoire collective.
Nous avons la chance, avec cette proposition de loi, de proposer enfin les outils qui permettront de définir une approche à la fois sereine, parce que transparente et appliquée systématiquement en amont de toute décision importante, et légitime, parce que scientifique et objective.
J’ai la faiblesse de croire que l’adoption de ce texte constituera un signal fort pour les citoyens aujourd’hui inquiets pour leur patrimoine.
C’est aussi, je l’espère, l’occasion de donner à l’État et aux collectivités territoriales, les outils qui contribueront à garantir l’exemplarité de la France en matière de protection de son patrimoine. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de me présenter devant vous pour l’examen de cette proposition de loi de Mme Férat et de la commission de la culture.
Ce texte répond à point nommé à un débat de plus en plus présent et passionné chez nos concitoyens. Les discussions sur l’hôtel de la Marine, dont vous vous êtes fait l’écho dans vos propos, Mme le rapporteur, lui donne une forte actualité.
La présente proposition de loi est l’aboutissement d’une histoire déjà assez ancienne. Elle s’inscrit dans le prolongement de la loi du 13 août 2004, qui avait organisé un premier mouvement de transfert de monuments historiques de l’État, affectés au ministère de la culture, au profit de collectivités territoriales volontaires.
Cette mesure a entraîné la cession gratuite de 66 monuments appartenant à l’État, assortie d’une compensation des charges de personnels et de fonctionnement, et d’un programme de travaux d’investissement cumulés de près de 50 millions d’euros.
La commission d’évaluation des charges, dont certains d’entre vous sont membres – notamment M. Ambroise Dupont –, a examiné en novembre 2010 le bilan de la compensation, qui a donné globalement satisfaction. Le Gouvernement doit en outre présenter un bilan qualitatif à l’issue d’un délai de cinq ans après les transferts effectifs de propriété. Ces derniers ont commencé en 2006, et six d’entre eux sont encore en cours, pour des raisons diverses essentiellement liées à des difficultés de délimitation cadastrale. Ce bilan s’appuiera sur les rapports annuels que doivent remettre chaque année les collectivités bénéficiaires.
Le ministère de la culture a pour sa part entrepris un premier travail d’évaluation, nécessairement imparfait compte tenu du peu de recul dont nous disposons. Il en ressort néanmoins un bilan positif en ce qui concerne la croissance de la fréquentation pour un certain nombre de monuments : il en est ainsi du château de Chaumont, avec une augmentation de 37 %, du château de Tarascon avec une hausse de 34 %, du Haut-Koenigsbourg, qui était déjà très fréquenté, avec une hausse de 5 %, du cloître de Notre-Dame en Vaux à Châlons-en-Champagne, avec une augmentation record de 88%.
De telles hausses sont le fruit d’un effort significatif des collectivités concernées afin d’améliorer les conditions d’ouverture au public. Je salue leur engagement et leur réussite, qui sont de très bon augure pour l’avenir.
Mais d’autres monuments peinent à enregistrer de tels résultats. La mise en œuvre de leur projet culturel n’est parfois pas achevée. Sans préjuger de ce bilan sur la durée, il me paraît donc nécessaire, comme aux auteurs de cette proposition de loi, de faire mieux qu’en 2004. Je ne doute pas qu’ensemble nous y parviendrons, nous qui, entre État et collectivités, partageons une ambition commune pour l’ensemble de notre patrimoine.
La proposition de loi que vous présentez aujourd’hui est également le fruit de plusieurs tentatives récentes qui n’avaient pas abouti. Il leur manquait, en effet, l’indispensable travail de réflexion préalable que Mme Férat a mené pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication au cours du premier trimestre 2010 et dont j’ai pu prendre connaissance avec le plus vif intérêt.
Sur le plan méthodologique, ce rapport, unanimement salué, était une étape indispensable pour la conception d’un dispositif de transfert cohérent et fructueux. Ce dispositif s’inspire de la loi de 2004 ; il traite cependant d’un champ patrimonial beaucoup plus vaste, puisque c’est cette fois à l’ensemble du patrimoine de l’État que vous avez souhaité vous intéresser et c’est tout à fait louable. Il fallait donc remettre ainsi à plat l’ensemble des questions.
Ce travail préalable s’avérait également indispensable en ce qui concerne la place et le rôle de l’État en tant que gardien du patrimoine de la nation, ses relations avec les collectivités territoriales, leur partenariat indispensable pour la conservation de notre patrimoine en général, son utilisation intelligente au bénéfice de tous. Tous ces éléments doivent être pris en compte dans la loi qui va organiser et encadrer le processus de transfert des monuments. À la différence de 2004, ce dispositif s’inscrit dans la durée, puisqu’il n’est pas soumis à des conditions de délai.
Je tiens donc à remercier la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, M. le président Legendre et Mme Férat, d’avoir imposé ce préalable à la préparation du texte de loi que nous examinons ce soir. Nous disposons ainsi du confort et de la profondeur de vue nécessaires pour en approuver l’équilibre général.
Je tiens à le dire une fois encore : pas plus qu’en 2004, il ne s’agit d’une braderie du patrimoine de l’État, nous ne vendons pas l’argenterie de famille. L’objectif est de faciliter, pour les collectivités territoriales qui le souhaitent, la réutilisation des monuments de l’État, dont ce n’était pas toujours la destination, pour créer ou développer des équipements culturels. Tous les monuments protégés de l’État sont potentiellement concernés, soit 1 750 monuments environ, d’une grande variété de formes, d’usages, de potentialités. Il s’agit non pas de se désengager, mais de favoriser la conservation et la mise en valeur partagées de notre patrimoine, avec l’objectif commun de le rendre accessible au plus grand nombre, de le mettre au service du développement culturel de notre territoire, afin d’initier, partout, toutes les générations à cette richesse dont notre pays peut être à juste titre très fier.
Ce qui est ici essentiel, c’est le maintien du principe contractuel et partenarial de 2004, entre la collectivité, qui fait une démarche volontaire de demande de cession, et l’État, qui propose aux collectivités les monuments dont il n’a plus l’usage ou qu’il souhaite transférer. Ce partenariat est au cœur de ce dispositif et je ne conçois pas qu’il puisse en être autrement.
L’un des points forts de cette proposition de loi, c’est la création d’un Haut conseil du patrimoine, permanent, associant élus, experts en architecture, historiens et historiens d’art, et représentants de l’administration, sur le même principe que la commission animée par le professeur Rémond en 2003 et 2004. Inspiré de la notion de « principe de précaution patrimoniale » défini dans le rapport d’information préalable à cette proposition de loi, le Haut conseil aura un rôle clé pour assurer la pertinence des transferts et des cessions onéreuses, afin d’éviter les polémiques incessantes sur fond de favoritisme supposé ou de désengagement de l’État.
C’est en effet au Haut conseil qu’il revient d’apprécier, pour chaque monument dont la cession est envisagée, sa place dans le patrimoine national et l’opportunité de le céder, soit à titre de transfert gratuit s’il est souhaitable qu’il fasse l’objet d’un projet culturel, soit à titre onéreux dans les autres cas. Il lui reviendra également d’évaluer, en liaison avec la Commission nationale des monuments historiques, les contraintes spécifiques à chaque monument dans son utilisation future, ainsi que la qualité du projet culturel présenté à l’appui d’une demande de transfert gratuit. Remettre ainsi la dimension culturelle au cœur de la procédure de transfert est une préoccupation à laquelle je ne peux qu’adhérer et c’est pourquoi j’approuve pleinement la création du Haut conseil du patrimoine telle que vous la proposez.
Il pourra s’avérer qu’aucune collectivité ne souhaitera reprendre pour un projet culturel un monument identifié par le Haut conseil comme transférable gratuitement à ce titre. Je tiens à dire que, dans ce cas, il ne me paraît pas inconcevable que sa cession à titre onéreux pour un usage non culturel, mais néanmoins respectueux du monument, puisse être réalisée. La réutilisation des monuments non valorisés est, en effet, une de mes priorités. Elle s’inscrit dans une démarche de développement durable à laquelle mon ministère est attaché. Elle permet aussi d’assurer la conservation d’un monument par la pérennité de son usage. Elle permet encore d’en permettre l’accès à des publics, qui sans cette réutilisation n’y auraient peut-être jamais pénétré. Créer une école, des logements étudiants, un service administratif d’accueil dans un monument historique, c’est aussi une manière louable de replacer notre patrimoine au cœur de la société et de le rendre ainsi à la fois accessible et utile aux missions de service public.
Je tiens à dire que les monuments cédés à titre onéreux pour des usages non culturels ne seront évidemment pas négligés pour autant par les services centraux et les services déconcentrés de mon ministère. Comme pour tous les monuments historiques, mes services auront pour tâche de veiller à la compatibilité des travaux à entreprendre avec la qualité du monument, son histoire, ses caractéristiques architecturales. Ils pourront également apporter, en cas de besoin, leur expertise dans le choix du projet de réutilisation. Le ministère de la culture et de la communication accorde depuis longtemps une grande importance à la recherche de réutilisations intelligentes des monuments ; les perspectives qu’ouvre cette proposition de loi pour les collectivités territoriales sont à cet égard très stimulantes.
J’approuve, par ailleurs, les orientations du texte relatives aux collections et au non-morcellement des ensembles immobiliers lors des opérations de transfert. J’approuve encore pleinement la disposition rendant possible un retour gratuit du monument à l’État en cas d’échec du projet culturel, qui pourra être prévue spécifiquement dans le cadre de la convention de transfert.
La commission a également complété le texte d’origine par deux dispositions concernant les objets présents dans les monuments, afin d’éviter leur dispersion et favoriser leur maintien in situ. C’est une heureuse initiative, dont je me réjouis évidemment.
Le Haut Conseil a enfin pour mission de donner un avis de conformité sur le déclassement du domaine public, afin de pouvoir opérer des cessions à titre onéreux, d’un monument acquis à titre gratuit par une collectivité territoriale en application de cette loi. Là encore, le rôle de garde-fou donné au Haut conseil ne peut qu’être approuvé et la publicité de ses avis, que je m’engage à prévoir dans le décret d’application, sera le meilleur garant de son autorité morale.
Je souhaite, en conclusion, faire remarquer que les années récentes ont à plusieurs reprises donné lieu à des dispositifs de transfert de monuments ou de biens de l’État à titre gratuit, pour des raisons conjoncturelles liées à des mesures de décentralisation – statut de la collectivité territoriale de Corse en 2002, loi de décentralisation de 2004 – ou pour compenser la réorganisation de la carte militaire. Mais la proposition de loi que nous examinons ce soir, et c’est là l’un de ses apports les plus fondamentaux, est la première qui en organise la possibilité raisonnée et organisée dans la durée, pour des motifs culturels et dans un souci de développement équilibré du territoire.
À cet égard, les statuts du Centre des monuments nationaux sont précisés, afin que l’on inscrive dans ses obligations la répartition équitable de ses moyens entre les monuments dont il a la charge. Cette obligation vient ainsi consacrer le principe de mutualisation des ressources : parmi les monuments relevant du Centre des monuments nationaux, ce sont les plus fréquentés, comme l’Arc de triomphe, le Mont-Saint-Michel, la citadelle de Carcassonne, les tours de Notre-Dame de Paris ou encore le Panthéon, qui financent les moins fréquentés.
Je tiens à remercier la commission, à l’instar d’ailleurs de la Cour des comptes dans son récent rapport, d’avoir ainsi souhaité renforcer la structure et le rôle du Centre des monuments nationaux, institution centenaire, exemplaire dans son action de valorisation et de diffusion du patrimoine. C’est là aussi un signe supplémentaire dans cette proposition de loi : le caractère transférable des monuments, ainsi réactivé, n’a rien à voir avec de la braderie. Il s’agit bien au contraire d’une réaffirmation, par la loi, du rôle de l’opérateur de l’État dans le domaine de son patrimoine. Cela atteste, s’il en était besoin, du fait que vous tenez à renforcer le patrimoine dans le rôle clef qu’il doit jouer pour le développement économique de nos territoires. Cette conviction, vous le savez, je la partage pleinement avec vous.
Il s’agit au fond d’optimiser la gestion du domaine public des monuments historiques, dont nous partageons la responsabilité avec les collectivités territoriales. Le Gouvernement approuve donc cette proposition de loi dans son équilibre général, son esprit et ses dispositions. Les amendements que nous avons déposés sont mineurs et vous seront présentés au fil de l’examen du texte.
Je tiens à saluer, pour finir, l’insertion, en tête de la proposition de loi, d’une disposition relative au patrimoine inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette disposition vise à affirmer l’obligation de tenir compte, dans les politiques d’urbanisme et d’aménagement, du patrimoine culturel en général et en particulier de la valeur universelle exceptionnelle des biens inscrits à l’UNESCO. Cette mesure, M. Ambroise Dupont l’avait suggérée en conclusion de son rapport sur le budget de la culture ; elle est maintenant prise en compte et j’en remercie Mme Férat. Cette initiative vient, en effet, pallier une lacune de notre législation, qui ne tire jusque-là aucune conséquence particulière du classement d’un bien au titre du patrimoine mondial, et qui renvoie pour sa protection aux dispositifs habituels en matière de protection du patrimoine et des sites.
Affirmer la nécessité de tenir compte de nos obligations et de nos engagements internationaux en la matière jusque dans les documents d’urbanisme, c’est aussi se mettre en cohérence avec la loi Grenelle II, dont les dispositions sont marquées d’un souci constant de lier patrimoine, développement durable et bien public. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)