Mme la présidente. La parole est à M. Louis Duvernois.
M. Louis Duvernois, auteur de la proposition de résolution n° 94. Madame la présidente, madame le ministre d'État, mes chers collègues, cette proposition de résolution soulève un problème éminemment humain. C’est donc sur ce seul terrain que j’entends me placer en la défendant aujourd'hui, car la souffrance d’un père ou d’une mère n’a rien à voir avec un quelconque clivage partisan.
La question qui se pose est celle du droit légitime de l’enfant à conserver un lien familial avec ses deux parents et à pouvoir bénéficier ainsi de la richesse inestimable d’une double culture.
Voilà plus de deux ans que les élus de la circonscription concernée à l’Assemblée des Français de l’étranger ont appelé mon attention sur cette difficile situation, particulièrement injuste pour nos compatriotes parents d’enfants franco-japonais. La situation n’a pas évolué, malgré la ténacité des associations de nos amis Richard Delrieu – SOS Parents Japan – et Jacques Colleau – SOS Papa International.
La hausse du nombre de divorces observée au cours des vingt dernières années interpelle les législateurs que nous sommes sur l’évolution de la notion de famille dans nos sociétés, ainsi que sur la place de l’enfant au sein de celle-ci. En effet, le divorce a toujours une incidence sur le développement de l’enfant et c’est de son intérêt que le juge doit tenir compte au premier chef dans son jugement.
En cas de séparation et de divorce, la loi française établit un partage de l’autorité parentale et assure un droit de visite régulier au parent qui ne reçoit pas la garde. La non-présentation d’enfant y est sévèrement punie par la loi, que la force publique fait respecter. Le divorce entre les parents ne signifie pas le divorce d’un des deux parents avec les enfants.
La question se révèle plus délicate en matière de divorces internationaux, notamment, puisque c’est ce cas qui nous occupe aujourd’hui, lorsque l’un des antagonistes est japonais.
Aujourd'hui, 90 % des divorces se font au Japon par consentement mutuel à la mairie ; concernant les enfants, le formulaire de divorce à remplir par les époux ne permet d’indiquer, sans autre détail, que l’unique parent qui sera désormais détenteur de l’autorité parentale.
Sur les 10 % de divorces restants, environ 9 % vont se résoudre en conciliation judiciaire ; dans 1 % des cas, les parents ne parvenant décidément pas se mettre d’accord, il faut avoir recours à l’arbitrage d’un juge. L’autorité parentale, unique au Japon, est confiée, ainsi que la garde des enfants, dans plus de 80 % des cas à la mère. Le père ne reçoit, en échange, que des devoirs, principalement celui de payer une pension alimentaire, ce dont les pères japonais s’acquittent assez rarement.
Le parent qui n’a pas l’autorité parentale n’a plus aucun droit de regard sur l’éducation des enfants et ne reçoit que très rarement du tribunal un droit de visite, qui n’existe pas dans la loi japonaise et dont l’application est soumise, après le jugement et dans les faits, à l’arbitraire du parent détenteur du droit de garde.
Ainsi n’est-il pas rare qu’un des parents, généralement la mère, prenne l’initiative, avant même que la séparation soit décidée, d’enlever brutalement les enfants et de se réfugier dans sa famille en refusant qu’ils aient désormais le moindre contact avec leur autre parent, tout en réclamant une pension.
La loi japonaise ne punit pas l’enlèvement parental. Le Japon est le seul pays du G8, hormis la Russie, à n’avoir toujours pas signé la convention de La Haye sur les aspects civils des déplacements illicites d’enfant. Il n’applique pas non plus la convention relative aux droits de l’enfant, dite « convention de New York », qu’il a signée le 22 avril 1994. Pis, c’est le parent qui sera le plus prompt à enlever les enfants qui prendra l’avantage sur le plan juridique pour l’attribution de la garde et de la pension !
Soulignons dès à présent l’action de l’ambassade de France à Tokyo grâce, notamment à l’implication personnelle de notre ambassadeur, M. Philippe Faure, qui a permis la création dans cette même ville d’un comité de consultation franco-japonais sur l’enfant au centre d’un conflit parental. Ce comité a pour objet de faciliter le partage d’informations entre la France et le Japon et la mise en œuvre de mesures concrètes de coopération relatives aux cas individuels de déplacements illicites et de non-représentation d’enfant.
Lors de la troisième réunion de cette instance, au mois de décembre dernier, certaines avancées notables ont pu être soulignées : il en est ainsi, notamment, de la participation pour la première fois d’agents du ministère de la justice japonais et du règlement effectif ou en voie de l’être de quelques cas.
La France est le premier pays à avoir mis en place une telle structure avec le Japon.
Le 16 octobre 2009, lors d’une rencontre avec la ministre de la justice, Mme Keiko Chiba, l’ambassadeur de France et ceux de sept autres pays – l’Australie, le Canada, l’Espagne, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Italie et la Nouvelle-Zélande – avaient appelé le nouveau gouvernement japonais à signer la convention de La Haye. Ce traité, ratifié par plus de quatre-vingts pays, a fixé des procédures pour assurer le retour des enfants dans leur pays de résidence habituelle et pour protéger le droit d’accès à l’enfant des deux parents.
Plus récemment encore, voilà une quinzaine de jours, Mme Hillary Clinton, secrétaire d’État, s’est entretenue à Washington avec M. Seiji Maehara, ministre japonais des affaires étrangères, des quatre-vingt-deux cas similaires de conflits parentaux américano-japonais ; elle a également demandé à l’État japonais de rejoindre les signataires de la convention précitée.
Le premier entretien susvisé avec un haut responsable politique japonais a été suivi, le 30 janvier 2010, d’une démarche menée par notre ambassadeur, M. Philippe Faure, avec le même groupe de pays auprès du ministre des affaires étrangères de l’époque, M. Katsuya Okada, et enfin, le 22 octobre 2010, d’une démarche auprès du successeur de Mme Chiba au ministère de la justice, M. Minoru Yanagida.
Cette dernière action, menée par l’ambassadeur américain au Japon, M. John Roos, a mobilisé pas moins de onze ambassadeurs et représentants d’ambassades, ainsi que la délégation de l’Union européenne. Jusqu’à présent, les États-Unis ont usé d’un ton bien plus comminatoire que la France pour parvenir au règlement du conflit qui nous occupe aujourd’hui. J’en veux pour preuve la résolution n° 1326, adoptée par le Congrès américain, tendant à condamner le Japon pour l’impunité qu’il assure à ses ressortissants coupables d’enlèvements parentaux internationaux.
En ma qualité de représentant des Français établis hors de France, pouvais-je rester insensible à la détresse de nos compatriotes expatriés, dont les droits et les sentiments sont ainsi bafoués et les laisser se débattre seuls dans cet inextricable problème ?
M. Roland Courteau. Non !
M. Louis Duvernois. Très récemment, trois pères français connus pour souffrir de cette situation se sont donné la mort.
Transcendant les clivages politiques, cette question de société doit être appréhendée dans le respect de la souveraineté du Japon et des différences culturelles entre nos deux pays, liés par une amitié ancienne et solide. C’est le sens que j’ai souhaité donner à notre action, car en l’espèce il est question non pas de droite ou de gauche, mais d’humanité et de compassion.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Louis Duvernois. Un élu responsable doit, à mes yeux, faire preuve de courage, et il me semble essentiel de compléter l’action diplomatique intense de notre ambassade à Tokyo par l’adoption d’une résolution montrant l’implication de la représentation nationale et, par voie de conséquence, de la nation tout entière dans ce problème aussi dramatique que délicat.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous prie d’apporter votre soutien à la présente proposition de résolution, dont les auteurs ne prétendent aucunement donner des leçons juridiques au Japon, mais demandent simplement la reconnaissance du droit des enfants binationaux à pouvoir grandir dans l’amour de leurs deux parents. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Roland du Luart.
M. Roland du Luart. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, j’interviens aujourd’hui en ma qualité de vice-président du groupe d’amitié France-Japon que j’ai eu l’honneur de présider de 1980 à 1990.
Je suis personnellement très attaché au renforcement des liens unissant nos deux pays et je souhaite vous indiquer les raisons pour lesquelles l’adoption des propositions de résolution aujourd’hui soumises à notre examen me semble inopportune.
Certes, ces textes ont été inspirés par des événements douloureux liés à la difficulté pour nos compatriotes divorcés de garder le contact avec leurs enfants. Cette situation, qui concerne une trentaine d’enfants, a conduit au suicide deux pères français privés de leurs enfants au cours des derniers mois. Je comprends donc – et je partage – l’émotion et l’implication de nos collègues représentant les Français établis hors de France pour tenter de mettre fin à cette situation dramatique. Mais la méthode retenue ne me semble pas appropriée.
La première proposition de résolution avait été déposée par M. Yung et trente-cinq sénateurs socialistes au mois de juillet dernier. Ses auteurs appelaient le gouvernement du Japon à trouver une solution et à signer la convention de La Haye de 1980, qui traite de la situation d’enfants de couples binationaux séparés. En outre, ils lui demandaient d’étudier la possibilité de modifier le code civil afin de permettre de garantir la continuité et l’effectivité des liens entre parents et enfants.
Ce texte constituait, à mes yeux, une ingérence inacceptable dans les affaires japonaises. J’observe, d’ailleurs, que notre collègue David Assouline, président du groupe d’amitié France-Japon, ne l’avait pas cosigné. J’observe également que, par la suite, ses auteurs l’ont rectifié pour le rendre identique à la proposition de résolution qui a été déposée le 6 novembre 2010 par M. Duvernois.
C’est donc sur cette dernière que nous devons nous prononcer aujourd’hui, les deux propositions de résolution ayant été jointes.
Je constate qu’elle est plus mesurée et reprend des recommandations formulées par le gouvernement français depuis plusieurs années. Sur le fond, je ne puis qu’y souscrire. Il est, en effet, indispensable que le Japon ratifie la convention de La Haye du 25 octobre 1980, puisqu’il est, avec la Russie, le seul pays du G8 à ne pas l’avoir fait. Et j’insiste pour que le gouvernement japonais définisse rapidement une position sur la question des enfants binationaux en cas de divorce.
Mais faut-il pour autant adopter une résolution, alors que parallèlement, sur le plan diplomatique, les choses avancent, comme viennent de le démontrer nos deux excellents collègues ? De plus, dans ce genre d’affaires, la discrétion semble préférable.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que les gouvernements français et japonais ont créé un organe de consultation sur l’enfant au centre d’un conflit parental en vue d’échanger les informations sur les cas concrets malheureusement déjà existants et pour lesquels se pose la question de l’autorité parentale au sein d’un couple franco-japonais divorcé ou séparé.
À travers cet organe, le ministère des affaires étrangères du Japon coopère étroitement avec l’ambassade de France se trouvant dans ce pays. Le gouvernement japonais est donc déterminé à poursuivre le dialogue avec la France et à prendre toutes les mesures possibles pour l’intérêt des deux pays.
Lors du déplacement de M. Bernard Kouchner au Japon au mois de mars dernier, le Premier ministre de l’époque lui avait indiqué qu’il allait donner des instructions aux ministères concernés en vue d’examiner la possibilité d’adhérer à la convention de La Haye.
Lors d’une conférence de presse le jour même de sa nomination, le nouveau Premier ministre, M. Naoto Kan, a demandé au ministre de la justice, M. Satsuki Eda, de traiter cette question de façon prioritaire et d’examiner la ratification de la convention de La Haye et la révision de la législation actuelle afin de respecter cette convention.
Le gouvernement du Japon a donc engagé le processus, bien qu’il existe, j’en conviens, une certaine réticence au sein de l’opinion publique à l’égard d’une adhésion à cette convention, car, dans certains cas, des mères sont rentrées au Japon en raison de violence domestique.
C’est pourquoi l’on peut redouter que l’adoption d’une résolution par le Sénat français ne soit considérée comme une pression extérieure injuste et ne provoque une réaction négative de la part de l’opinion publique japonaise vis-à-vis de la convention. Cela nuirait aux efforts entrepris par l’administration du Japon et par notre ambassade pour faire avancer les études nécessaires en vue de la ratification de la convention.
M. Roland Courteau. C’est le contraire !
M. Roland du Luart. Force est de constater que le dépôt des propositions de résolution et leur inscription à l’ordre du jour du Sénat ont eu un effet incontestable d’accélérateur du processus du côté japonais, une troisième réunion du comité ayant eu lieu au mois de décembre.
M. Roland Courteau. La preuve !
M. Richard Yung. CQFD !
M. Roland du Luart. Mes chers collègues, je crois que nous devons faire confiance aux autorités japonaises. Je suis en mesure de vous assurer de la sincérité de la démarche du Japon visant à trouver une solution. J’estime au contraire contreproductive l’adoption par le Sénat d’une résolution.
La plus grande prudence me semble nécessaire. Ne donnons pas un signal négatif à nos amis japonais, alors que nos relations diplomatiques sont excellentes, après la visite du Premier ministre François Fillon au mois de juillet dernier et la reprise des échanges parlementaires au cours de l’année écoulée, notamment au mois de septembre !
Au-delà du Japon, la question des enfants de couples divorcés se pose dans de nombreux pays et l’adoption des présentes propositions de résolution pourrait constituer un précédent fâcheux. Allons-nous adopter tous les mois des résolutions de ce type à l’encontre de tel ou tel pays ?
Mme Claudine Lepage. Pourquoi pas ?
M. Roland du Luart. C’est pourquoi, à titre personnel et comme mon collègue et ami Pierre Hérisson, qui m’a chargé de l’indiquer à cette tribune, je voterai contre les propositions de résolution qui nous sont soumises.
M. Roland Courteau. C’est une erreur !
Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, l’union de deux personnes est toujours promesse de découvertes et de richesse. L’enrichissement est d’autant plus remarquable entre deux conjoints de nationalités différentes.
Un nouveau mode de vie, un mode de pensée, une éducation, une histoire, une culture, une langue différentes sont autant d’éléments que, bien souvent, l’on accepte avec enthousiasme, non seulement pour comprendre l’autre, mais aussi par souci d’apprendre et, plus tard, de faire partager ces connaissances démultipliées aux enfants à venir.
Ainsi, les couples binationaux sont, en général, particulièrement ouverts sur le monde et ont une vision bienveillante de l’altérité. Pourtant, cette formidable richesse peut aussi constituer le terreau idéal de déchirements et de luttes, dont tous les membres de la famille auront à souffrir. Ce sont les enfants qui se trouvent au cœur du conflit, au centre de l’arène, et qui paient le plus lourd tribut de ces querelles.
Les problèmes de partage de l’autorité parentale et de garde d’enfants se rencontrent auprès de nombre de couples binationaux. Depuis quelques années, ce sont les séparations de couples franco-japonais qui semblent engendrer les plus importantes difficultés dans ce domaine.
Je tiens donc à saluer l’excellente initiative de nos collègues Richard Yung et Louis Duvernois, qui, par ces propositions de résolution relatives aux enfants franco-japonais privés de liens avec leur parent français en cas de divorce ou de séparation, entendent appeler l’attention du gouvernement japonais sur cette situation aux effets dramatiques.
En Europe, un mariage sur cinq est aujourd’hui binational ; dans le même temps, un divorce sur cinq concerne un couple binational. En France, plus du quart des mariages sont binationaux : en 2009, ce sont 84 000 Français ou Françaises qui ont ainsi épousé une personne étrangère. Nous remarquons, malheureusement, que cette forte progression des unions mixtes a parallèlement engendré une augmentation de 9 % des enlèvements parentaux en 2008.
À côté de certaines affaires dramatiques très médiatisées, combien d’histoires, tout aussi bouleversantes, de vies brisées existe-t-il ?
Au Japon, près de 166 000 enfants japonais ou binationaux sont privés de l’un de leurs parents. Il s’agit presque toujours du père, et ce que les anciennes unions soient franco-japonaises ou 100 % japonaises. En effet, un million de pères japonais ne voient plus leur enfant.
Ainsi, au-delà de la « préférence nationale », qui, dans la plupart des pays du globe, commande l’attribution du droit de garde des enfants, le droit japonais donne littéralement les pleins pouvoirs à la mère. La société japonaise considère que celle-ci est la personne la plus importante pour l’enfant et que le père n’a aucun rôle à jouer dans l’éducation de ce dernier. En effet, en cas de divorce au Japon, un seul parent – dans plus de 80 % des cas la mère – exerce l’autorité parentale.
Quant au droit de visite du père, il n’est même pas codifié et ne bénéficie d’une reconnaissance jurisprudentielle que depuis 1964 ; et encore la Cour suprême du Japon a-t-elle refusé, par une décision de 1984, de lui donner une valeur constitutionnelle. Enfin, dans la pratique, ce droit de visite est subordonné au paiement de la pension alimentaire.
À bien des égards, vis-à-vis des enfants, le droit de la famille japonais est bien différent de celui de la plupart des pays occidentaux. À cela s’ajoute, pour ce qui concerne les affaires familiales, l’absence de sanction en cas de défaut d’exécution d’un jugement. Dans ces conditions, la mère japonaise peut, à loisir, arguer du refus de l’enfant de voir son père pour repousser la mise en œuvre de la décision judiciaire qui avait pu attribuer un droit de visite à ce dernier.
Par ailleurs, aucune convention bilatérale en matière judiciaire n’existe entre la France et le Japon. Les décisions de justice française ne bénéficient donc d’aucune reconnaissance de la part de la justice japonaise. De la même façon, le Japon n’a toujours pas signé la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et ne sanctionne pas les déplacements illicites d’enfants.
Dans ces conditions, il n’existe pas entre la France, signataire de cette convention depuis 1983, et le Japon de véritable coopération destinée à assurer le retour de l’enfant illicitement déplacé au lieu de sa résidence habituelle.
Le Japon, par la voix de son précédent Premier ministre Yukio Hatoyama, a manifesté, voilà quelques mois, sa volonté de signer la convention. M. Hatoyama précisait à l’époque qu’il fallait éviter que le Japon soit perçu, selon son expression, comme un « pays à part ». Il me semble inutile d’insister encore davantage sur ce point.
La prochaine signature de la convention de La Haye, si elle est bienvenue, ne réglera sans doute pas pleinement le problème, le juge conservant toujours, conventionnellement, la possibilité de refuser la restitution de l’enfant, dès lors qu’il considère que celle-ci n’est pas dans l’intérêt de l’enfant. Pourtant, nombre de psychologues, pédiatres et spécialistes de l’enfance s’accordent pour témoigner de l’importance du contact persistant et le plus étroit possible entre l’enfant et ses deux parents.
Les êtres humains sont bien sûr extrêmement divers. Ces singularités s’expliquent notamment – il importe justement de le relever en cet instant – par leur culture ou leur langue. Seulement, comme le souligne le pédiatre Aldo Naouri, les êtres humains partagent strictement les mêmes besoins élémentaires, et l’un d’entre eux est bien le lien entre l’enfant, durant les premières années et même tout au long de sa vie, et ses deux parents. Pour construire convenablement son identité, l’enfant a impérieusement besoin de ce double lien, afin de développer la meilleure image possible de sa mère et de son père.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Claudine Lepage. L’altération de la représentation de l’un d’eux suscitera chez l’enfant un profond trouble quant à la loyauté qu’il s’impose à leur égard et engendrera un grave conflit intérieur, qu’il ne pourra résoudre seul. Une pathologie spécifique a d’ailleurs été étudiée, sur le modèle du syndrome de Stockholm propre aux otages : le syndrome d’aliénation parentale. Les effets destructeurs d’une telle situation sur l’identité de l’enfant s’éprouveront alors tout au long de la vie.
La troisième réunion, à Tokyo, du comité franco-japonais de conciliation sur l’enfant au centre d’un conflit parental a donné lieu, voilà quelques semaines, au déplacement au Japon d’une délégation interministérielle française. La participation à cette réunion, pour la première fois, d’agents du ministère japonais de la justice témoigne d’une évolution positive.
Pour conclure, je veux manifester ma confiance dans la volonté des autorités japonaises d’œuvrer pour que ce douloureux problème des enfants franco-japonais privés de lien avec leur parent français trouve une issue satisfaisante, et ce pour toutes les parties en présence : l’enfant, la mère et le père.
Il est en effet évident, comme l’évoque cette image utilisée par M. Naouri, que les deux parents sont une échelle double sur laquelle l’enfant grimpe à la conquête de la vie.
M. Roland Courteau. Bien dit !
Mme Claudine Lepage. Dès lors que l’un d’entre eux détruit l’autre, l’échelle s’écroule, entraînant l’enfant dans sa chute...
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à approuver ces propositions de résolution, dans l’intérêt même des enfants franco-japonais. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, les propositions de résolution déposées par certains de nos collègues nous donnent aujourd’hui l’occasion de débattre d’un sujet difficile et douloureux pour tous ceux qu’il vise : le déplacement illicite d’enfants.
Dans les faits, cette terminologie juridique adoucit quelque peu une réalité qui relève, pour la plupart des parents victimes, davantage du rapt que du simple déplacement. Malheureusement, dans de nombreux cas, le parent concerné est purement et simplement coupé de son ou de ses enfants.
Lorsque la situation est très conflictuelle, l’auteur de l’enlèvement de l’enfant profite souvent des conditions juridiques et culturelles de son pays pour consolider sa position et se soustraire au principe élémentaire du droit de visite.
De ce point de vue, le Japon offre un cadre favorable à ses ressortissants, en particulier à ses ressortissantes.
En effet, comme l’ont souligné nos collègues auteurs des propositions de résolution, ce pays, qui n’est pas signataire de la convention de La Haye du 25 octobre 1980, ne sanctionne pas les déplacements illicites d’enfants, ne reconnaît pas les décisions judicaires étrangères et ne fait pas appliquer les mesures exécutoires. Le code civil japonais ignore le partage de l’autorité parentale.
En outre, dans la culture japonaise, la mère est considérée comme la personne la plus importante pour l’enfant.
Il résulte de la combinaison de tous ces facteurs que les tribunaux japonais accordent le droit de garde aux mères japonaises dans 80 % des cas.
In fine, les pouvoirs publics japonais donnent raison au parent japonais qui a enlevé l’enfant. Les couples franco-japonais étant la plupart du temps composés d’un Français et d’une Japonaise, les pères français sont presque toujours lésés.
Ces conditions pénalisantes pour nos concitoyens entraînent parfois des drames. L’année dernière, deux Français se sont suicidés après avoir tenté, en vain, de récupérer leurs enfants enlevés par leurs ex-épouses. L’un d’entre eux s’était même vu reprocher par ses avocats japonais d’avoir quitté sa femme.
Compte tenu de la politique quasiment unilatérale des autorités japonaises, des avocats occidentaux vont jusqu’à conseiller aux pères étrangers de kidnapper leur enfant en premier, avant que la mère japonaise ne le fasse. Ces attitudes, certes extrêmes, reflètent la gravité de la pratique des déplacements illicites qui plonge des parents dans la détresse et déstabilise des enfants.
Les services consulaires français ont dénombré trente-cinq dossiers, chiffre qui ne tient pas compte des cas de parents résignés ou pensant pouvoir régler seuls leur problème.
De surcroît, le nombre de mariages franco-japonais est en hausse constante, mouvement qui s’accompagne aussi, hélas, d’une augmentation du nombre de divorces. Cette évolution laisse présager un accroissement des litiges. Et pas seulement avec la France, d’ailleurs...
On a recensé 37 000 mariages entre Japonais et étrangers, soit huit fois plus que voilà quarante ans, et 19 000 divorces de couples mixtes. En conséquence, il y aurait actuellement 180 cas d’enlèvements par des mères japonaises. Après les Français, ce sont les Américains, les Canadiens, les Australiens et les Britanniques qui sont les plus concernés.
Il est donc urgent de sensibiliser les autorités japonaises à la nécessité de s’impliquer dans ce dossier.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Françoise Laborde. Tel est l’objet de ces propositions de résolution, qui seront sans doute approuvées par la plupart d’entre nous, mes chers collègues. Je crois en effet qu’il est important d’encourager le Japon à coopérer, dans l’intérêt de l’enfant.
Pour autant, il ne s’agit nullement de stigmatiser l’archipel, qui est tout de même signataire de la convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant. Les Japonais ont leur propre approche de la politique familiale qui, je le répète, découle en partie de considérations culturelles, comme le rôle consacré de la mère pour l’éducation de l’enfant. Nous avons la nôtre, différente, modernisée, en particulier depuis l’institution du principe de coparentalité, du développement de la mesure de garde alternée, ou encore du congé de paternité, une politique familiale qui vise ainsi à concilier tous les intérêts, celui de l’enfant, celui de la mère et celui du père.
Mais il est peu probable que cette évolution propre à notre pays gagne le Japon dans l’immédiat. Je ne pense pas que le principe du droit de visite soit inscrit demain dans le code civil japonais. C’est pourquoi la coopération internationale est essentielle sur ce sujet. Il faut absolument l’encourager.
Comme le préconisent les auteurs des propositions de résolution, il serait bien évidemment souhaitable que le Japon ratifie la convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.
L’archipel n’a qu’un petit pas à faire. Signataire de la convention internationale des droits de l’enfant, il dispose déjà des outils permettant une approche coopérative du sujet. Rappelons en effet que l’article 11 de ladite convention précise : « Les États parties prennent des mesures pour lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d’enfants à l’étranger. À cette fin, les États parties favorisent la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux ou l’adhésion aux accords existants ».
Cependant, je crois utile de souligner que cela ne suffirait pas, car, si la convention de La Haye oblige le pays signataire à s’acquitter de certaines obligations, notamment celles qui consistent à vérifier où se trouve l’enfant et à assurer son retour dans le pays initial, elle prévoit aussi des exceptions sur lesquelles certains pays signataires s’appuient sans aucun scrupule pour ne pas restituer l’enfant enlevé.
Il est donc également très important de favoriser la piste d’une éventuelle coopération bilatérale avec le Japon.
Afin d’encourager le dialogue entre les juges, nous avons conclu de nombreuses conventions bilatérales avec plusieurs pays d’Afrique, avec le Brésil, le Liban et bien d’autres États.