M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Fournier.
M. Jean-Paul Fournier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon la FAO, la demande mondiale en denrées alimentaires augmentera de 70 % d’ici à 2050. La politique agricole commune doit rester la marque d’un esprit de responsabilité assumée à l’égard des citoyens de l’Union européenne et du reste du monde.
Partant du vécu gardois, j’établirai un premier constat : la PAC actuelle n’est pas prioritairement tournée vers l’agriculture méditerranéenne, une agriculture faite de petites exploitations viticoles, de production extensive à forte intensité de main-d’œuvre dans le secteur de l’arboriculture, subissant, pour couronner le tout, une concurrence féroce extra- et intracommunautaire, en raison d’importantes distorsions de charges. C’est là un problème majeur, monsieur le ministre.
Jusqu’à présent, les organisations communes des marchés compétentes s’occupaient spécifiquement de ces productions, tandis que moins de 5 % des fonds du premier pilier étaient consacrés presque exclusivement à des interventions de régulation des marchés.
Les orientations rendues publiques par le commissaire européen Dacian Cioloş, favorables au maintien d’une agriculture sur tous les territoires, semblent plutôt encourageantes. Dans le Sud, l’héliotropisme pèse sur les documents d’urbanisme, la déprise agricole a une ampleur phénoménale. À l’heure du « verdissement » de la PAC, poursuivre la marginalisation de cette agriculture millénaire et performante, qui ne s’est jamais imposée à la nature, serait un contresens !
Des voix s’élèvent, ici ou là, contre l’existence de la PAC, parce qu’elle financerait l’« obésité », le « gras ». Il serait fou que la Commission ne considère pas les fruits et légumes et le vin comme des productions à protéger, et plus encore à promouvoir.
M. Jacques Blanc. C’est le régime méditerranéen ! (Sourires.)
M. Jean-Paul Fournier. Pour ces deux secteurs, la Commission n’envisage pas de modifications substantielles, au prétexte que les réglementations spécifiques seraient récentes. Attention à ne pas écarter de la discussion notre agriculture méridionale, alors que se dessine une nouvelle donne financière fort incertaine ! Elle porte depuis toujours le nouveau modèle agricole prôné par la Commission.
La régulation des marchés, le renforcement de l’organisation des producteurs et le développement rural constituent des enjeux majeurs.
Alors que le budget « investissements » est consommé jusqu’en 2013 et que l’on évoque une contraction budgétaire globale de la PAC à hauteur de 15 % pour la période 2014-2020, nos agriculteurs sont inquiets, et les viticulteurs le sont encore plus ! La France est le premier producteur mondial de vin. Alors que les domaines viticoles représentent 13 % des exploitations nationales, l’enveloppe consacrée à la viticulture se réduit à 2 % du total des subventions agricoles françaises.
Avec l’abandon des OCM spécifiques, la réforme de la PAC aura une incidence directe sur la viticulture française. Même si notre pays n’a pas adopté le régime des droits à paiement unique, toutes les autres décisions relatives aux mesures dites « générales » et « horizontales » affecteront la viticulture.
Monsieur le ministre, est-on capable, aujourd’hui, de prévoir les effets de ces décisions ? Malgré cette perte relative de spécificité, êtes-vous en mesure de nous apporter quelques certitudes quant au maintien d’un budget européen au moins constant pour la viticulture ?
La perte d’ambition régulatrice de la Commission se résoudrait-elle à cette évolution paradoxale : d’abord une campagne d’arrachage volontaire jusqu’à la fin de 2011, ensuite, en 2016 ou en 2018, la fin des droits de plantation, qui auront contribué à la régulation de la production, depuis 1936 en France et depuis 1972 à l’échelon européen ? Vous conviendrez que ce n’est pas très cohérent.
À la lumière des crises successives subies par la filière fruits et légumes et par celle de la viticulture, la nécessité de la régulation des marchés apparaît. La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche que vous avez portée, monsieur le ministre, a permis des avancées techniques sur le plan des relations commerciales. Les agriculteurs du Midi saluent votre pragmatisme et attendent aussi beaucoup de votre action à Bruxelles.
Supprimer toute régulation en amont, c’est d’abord condamner la viticulture à des crises de surproduction et à des chutes de prix ; c’est aussi remettre en cause les efforts qualitatifs de ces dernières décennies. Par ailleurs, l’irrégularité des marchés exige que l’on envisage enfin l’aide au stockage.
De paradoxe en abandon, la Commission ne prévoit pas de mesures viticoles avant 2015 ou 2016, tandis que les programmes d’aide à la viticulture en cours se termineront en 2013. Doit-on comprendre, monsieur le ministre, que la nouvelle PAC scellera définitivement le sort de ce secteur ?
Les viticulteurs et les arboriculteurs du Midi concourent à l’excellence de l’agriculture européenne. Pour continuer, ils ont besoin d’un horizon, de clarté et de considération, au même titre que les agriculteurs des autres filières. Vous portez leurs espoirs, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, messieurs les présidents des commissions, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous adresser mes meilleurs vœux et de vous dire le plaisir que j’ai à vous retrouver aujourd’hui.
Je vous remercie d’avoir décidé de commencer l’année par un débat sur un sujet essentiel, à savoir l’avenir de la politique agricole commune, d’autant que nous entrerons en 2011 dans le vif des négociations avec nos partenaires européens.
En préambule, je voudrais souligner que la politique agricole commune n’est pas un sujet technique ou sectoriel ; elle est d’abord un sujet politique et stratégique. C’est une politique qui engage l’avenir de 12 millions de paysans européens, ainsi que notre sécurité alimentaire et sanitaire. À cet égard, ce qui vient de se passer en Allemagne, où des traces de dioxine ont été détectées dans des aliments pour animaux, doit nous rappeler l’importance de faire preuve de vigilance dans le domaine sanitaire. Enfin, la politique agricole commune engage l’avenir de l’ensemble de nos territoires et présente, à ce titre, un caractère stratégique.
La politique agricole commune est confrontée à un défi nouveau, dont l’importance ne cesse de croître depuis plusieurs mois : celui de la volatilité croissante des prix agricoles mondiaux.
À cet instant, afin que chacun puisse prendre toute la mesure de la situation, je rappellerai quelques chiffres : le prix de la tonne de blé est de 135 euros au mois de juillet 2010 à 260 euros aujourd’hui, et pourrait atteindre 300 euros dans les mois à venir ; le prix de la tonne d’orge a plus que doublé pendant la même période, passant de 105 euros à 220 euros ; celui de la tonne de maïs, qui était de 150 euros au mois de juillet 2009, s’établit aujourd'hui à près de 260 euros. Que dirait-on si le prix du pétrole ou du gaz doublait ou triplait en l’espace de quelques mois ? Nous serions face à une crise internationale majeure. Telle est exactement la réalité de la situation du secteur agricole, telle est la nature du défi auquel est confrontée la politique agricole commune.
Cette volatilité croissante des prix agricoles résulte bien entendu de phénomènes climatiques que vous connaissez tous, qu’il s’agisse de la sécheresse en Russie, qui a conduit ce pays à fermer ses frontières aux exportations de blé en août dernier, ou des désastreuses inondations récemment survenues en Australie. Les prochaines récoltes en Amérique du Sud détermineront si nous aurons ou non à affronter une crise alimentaire dans les semaines à venir.
Cependant, cette réalité physique est aggravée par une spéculation financière inacceptable sur les marchés de matières premières agricoles,…
M. Yvon Collin. Absolument !
M. Bruno Le Maire, ministre. … qui a purement et simplement pris le relais de la spéculation sur le marché immobilier et sur les marchés financiers, parce qu’elle rapporte davantage. Il n’est pas question de laisser faire, et nous prendrons toutes dispositions nécessaires, dans le cadre du G 20, pour essayer d’encadrer cette spéculation.
Sur ce point, je ne citerai qu’un seul chiffre : sur les marchés agricoles, le volume des encours financiers est quinze fois supérieur à celui des encours physiques ! Cette situation est inacceptable, et je crois que nous pouvons tous nous féliciter de ce que la France ait inscrit la question de la régulation des marchés de matières premières agricoles à l’ordre du jour des travaux du G 20.
Le renforcement de la politique agricole commune est évidemment l’une des réponses à cette spéculation. Je tiens à remercier tous les intervenants, notamment MM. Bizet, Lefèvre et Mayet, qui ont mis l’accent sur la volonté manifestée par la France, au cours des derniers mois, de remettre la question agricole au cœur du débat européen, alors que certains avaient tendance à la glisser sous le tapis, en expliquant qu’elle était devenue secondaire par rapport à des sujets comme l’éducation, la recherche ou les universités. Il n’y a pas de sujet secondaire, et l’agriculture est en tout état de cause une question stratégique pour l’avenir de l’Europe.
La politique agricole commune, aujourd’hui, ce sont 40 milliards d’euros d’aides directes, dont plus de 8 milliards d’euros pour la France, ce sont des mesures de régulation et d’intervention sur les marchés, ce sont des aides absolument indispensables au maintien de certaines activités agricoles. Je pense notamment, monsieur Blanc, à l’indemnité compensatoire de handicap naturel, l’ICHN, qui représente 520 millions d’euros pour nos agriculteurs installés dans les zones difficiles, en particulier dans les zones de montagne. Le jour où cette aide sera supprimée ou réduite, ne serait-ce que de 20 % ou de 30 %, des milliers d’exploitants, en France et dans toute l’Europe, seront condamnés à mettre la clé sous la porte.
M. Bruno Sido. Bien sûr !
M. Bruno Le Maire, ministre. Des territoires entiers deviendront alors des déserts économiques et humains. Nous n’accepterons jamais que l’on en arrive à une telle situation ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Il existe désormais un consensus sur l’importance essentielle de la PAC. Mesurons le chemin parcouru ces derniers mois : grâce à la position commune franco-allemande adoptée en septembre dernier, grâce à l’« appel de Paris » de décembre 2009, qui a permis de créer une nouvelle dynamique en faveur de la politique agricole commune, grâce aux efforts du Parlement européen, que je tiens à saluer car les eurodéputés, toutes tendances confondues, ont joué un rôle majeur, grâce au rapport Lyon, grâce au travail réalisé par les parlementaires nationaux, notamment par les sénateurs, nous avons gagné la première bataille de la politique agricole commune, en faisant comprendre aux 500 millions de citoyens européens qu’elle était un sujet essentiel. À cet égard, je salue le rapport d’information rédigé par les présidents Jean-Paul Emorine et Jean Bizet, ainsi que par Mmes Bernadette Bourzai et Odette Herviaux : il a contribué à remettre la PAC au cœur du débat.
Cela étant, soyons lucides : si nous avons gagné une bataille, nous n’avons pas encore gagné la guerre. Tous ensemble, nous devons rester mobilisés pour que la politique agricole commune puisse continuer à jouer le rôle qui est le sien depuis maintenant plusieurs décennies.
Dans cette perspective, nous devons d’abord continuer à remettre de l’ordre dans nos propres affaires agricoles et poursuivre les efforts de modernisation que nous avons engagés depuis plusieurs mois. Nous ne serons crédibles, aux yeux des autres pays européens, que si nous commençons par faire le ménage chez nous ! Ceux qui donnent des leçons sans être capables de se les appliquer ne sont guère écoutés par leurs partenaires européens.
C’est pourquoi l’une des premières décisions que j’ai prises, suivie par d’autres allant dans le même sens, a été de revenir sur les aides illégales qui avaient été accordées par certains gouvernements précédents, afin de nous mettre en conformité avec la réglementation européenne. Il est tout de même difficile d’être le premier pays bénéficiaire des aides de la PAC et de réclamer que l’Europe maintienne son soutien à l’agriculture tout en ne respectant pas les règles européennes !
Par ailleurs, nous avons modernisé notre agriculture, notamment grâce à la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche que le Sénat a adoptée voilà quelques mois. La compétitivité de notre agriculture a progressé, et nous avons repris un certain nombre de marchés. Nous venons ainsi d’apprendre que la France était redevenue en 2010 le premier producteur mondial de vin, place qu’elle avait perdue l’année dernière. Je suis heureux de pouvoir vous l’annoncer ce soir ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je tiens à dire à ce sujet – Gérard César a beaucoup insisté sur ce point – que la compétitivité n’est pas un mot tabou en agriculture. Cette notion, loin d’être une menace pour les agriculteurs, est au contraire un atout pour eux, puisqu’elle consiste à faire baisser les coûts de production pour augmenter leurs revenus.
J’ajoute que la compétitivité ne relève pas que de la responsabilité des producteurs ; son amélioration concerne toute la filière. Au lieu de pointer systématiquement du doigt les producteurs, il faudrait aussi regarder ce qui se passe du côté des transformateurs, des industriels, des grands distributeurs, afin d’obtenir une réduction des coûts de production tout au long de la filière.
M. Gérard César. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je souligne également que la recherche de la compétitivité n’est pas synonyme d’alignement sur un modèle d’agriculture intensive, qui n’est pas celui que je défends. Je le dis notamment à l’adresse de Bernadette Bourzai, qui s’interrogeait légitimement à ce sujet. Au contraire, la compétitivité est le moyen de préserver notre modèle agricole, caractérisé par la diversité et la qualité des produits, par la présence de l’agriculture sur l’ensemble du territoire, par la valorisation des productions. Je suis tout à fait d’accord avec vous, madame la sénatrice, pour dire que la qualité se paie, et qu’elle doit se payer dans toutes les filières. De ce point de vue, je le reconnais, il y a des efforts à faire.
Dans la filière laitière, la qualité se paie. Le lait qui sert à produire du saint-nectaire, du cantal de Salers, de la tome de Savoie ou du comté est vendu entre 400 et 420 euros la tonne. Ces filières à haute valeur ajoutée n’ont jamais connu de véritable crise.
En revanche, il est d’autres filières où la qualité ne paie pas. C’est un scandale auquel nous devons remédier. Dans la filière bovine, en particulier, il n’est pas normal que le prix de référence soit systématiquement celui de la vache de réforme.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour un éleveur de bovins de race Salers ou Blonde d’Aquitaine, qui produit de la viande de qualité, il est inacceptable que le prix de référence soit celui de la viande de vache de réforme, dont la qualité et les propriétés gustatives ne sont pas les mêmes. Nous voulons remédier à cette situation dans les mois à venir. C’est, je le répète, l’une de mes priorités absolues.
Pour défendre efficacement la politique agricole commune à l’échelon européen, nous devons également être en mesure de formuler des propositions nouvelles. Nous l’avons fait à propos de la filière laitière, en acceptant de renoncer aux quotas laitiers pour essayer de bâtir une nouvelle régulation. Nos propositions en la matière ont été reprises dans le paquet « lait ». Nous avons également été le premier grand État européen à dire qu’il fallait abandonner les références historiques, parce qu’elles sont inacceptables pour un certain nombre de nos partenaires, par exemple la Pologne.
Maintenant que la politique agricole commune a été replacée au centre du débat et son caractère stratégique réaffirmé, que la proposition surréaliste avancée par certains de réduire son budget de 30 % à 40 % a été écartée, de même que l’idée absurde selon laquelle l’agriculture serait moins importante que l’éducation ou l’innovation, quelles perspectives s’ouvrent devant nous ?
La nouvelle politique agricole commune, c’est d’abord cette régulation des marchés pour laquelle je me bats depuis près de deux ans et dont la notion commence, me semble-t-il, à faire son chemin dans les esprits européens.
La régulation ne s’opère pas contre le marché, elle l’améliore ; la régulation n’est pas une notion tombée du ciel, elle découle de la simple observation de la réalité de la volatilité des prix des matières premières agricoles ; la régulation n’est pas qu’un mot, ce sont désormais des décisions concrètes, comme en témoigne le paquet « lait » adopté par la Commission européenne.
Ainsi, lorsque la Commission indique qu’elle est prête à modifier le droit de la concurrence européen, que les producteurs pourront désormais se regrouper jusqu’à représenter 3,5 % de l’ensemble de la production laitière communautaire, il s’agit d’une véritable révolution. Cela signifie que près d’un tiers des producteurs français pourront, s’ils le souhaitent, se rassembler et négocier collectivement, en position de force, le prix du lait avec les industriels.
Je rappelle en effet que, avant ce « paquet lait » et ces décisions en matière de régulation, les producteurs de lait français ne pouvaient pas se regrouper à plus de 400 pour négocier le prix du lait avec des industriels tels que Sodiaal, Danone ou Lactalis.
C’est bien la preuve que la régulation n’est pas qu’un mot et qu’elle se traduit par des actes. La régulation ne tient pas simplement à une meilleure organisation du marché ; elle est aussi une affaire d’équité et de justice pour les producteurs.
La nouvelle politique agricole commune, c’est aussi le maintien des deux piliers, qui, comme l’a rappelé à juste titre Jean-Paul Emorine, est essentiel. Il est également essentiel de refuser dans le premier pilier une aide unique à l’hectare, laquelle n’aurait pas de sens. En effet, les niveaux de développement économique et de rémunération entre les pays européens, ainsi que les systèmes sociaux, restent trop différents pour que nous puissions accepter une aide unique.
Entre la remise en cause des références historiques, que j’approuve parce qu’elle est juste, et l’aide unique à l’hectare, que je refuse parce qu’elle est injuste, nous trouverons une solution équilibrée pour les aides directes.
La nouvelle politique agricole commune, c’est une plus grande légitimité des aides financières apportées aux exploitations, comme vous l’avez tous souligné ici, mesdames, messieurs les sénateurs, toutes tendances politiques confondues. Une politique qui représente près de 46 % de l’ensemble du budget européen, soit des dizaines de milliards d’euros distribués chaque année, se doit d’être équitable et légitime. Si nous voulons gagner la bataille de la politique agricole commune vis-à-vis des 500 millions de citoyens européens, il faut donner une nouvelle légitimité aux aides directes.
Cette nouvelle légitimité passe par un rééquilibrage du budget entre les États membres. Nous y sommes prêts, nous avons fait un geste en ce sens, comme je l’ai indiqué à nos amis polonais.
La nouvelle politique agricole commune, c’est également ce que le commissaire européen Dacian Ciolos a appelé le « verdissement » de la PAC.
Je suis favorable au verdissement de la PAC, qui ne me fait pas peur, parce que je pense que c’est tout à l’honneur de l’Union européenne de défendre une agriculture respectueuse de l’environnement. C’est une singularité européenne dont nous pouvons être fiers. Ce verdissement nous permettra de gagner la bataille de la légitimité aux yeux des citoyens européens.
Toutefois, il y a verdissement intelligent et verdissement stupide, pour dire les choses clairement.
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. Le verdissement stupide, c’est celui qui stigmatise systématiquement les agriculteurs en expliquant que ce sont eux les pollueurs. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Bruno Sido. Voilà !
M. Bruno Le Maire, ministre. Le verdissement stupide, c’est celui qui rend plus complexe encore un dispositif qui l’est déjà trop.
C’est celui – je le dis avec force – qui oublierait que nous sommes dans un monde ouvert et de compétition, qui céderait – j’aurai l’occasion d’y revenir – devant les négociations commerciales internationales et, par conséquent, signifierait la fin de nombre de nos exploitations en Europe.
Le verdissement intelligent, en revanche, c’est celui qui valorise les efforts des agriculteurs, ceux qui s’orientent vers le respect de l’environnement, qui sont soucieux de la qualité des eaux, qui tiennent compte du bien-être animal. Une fois de plus, c’est tout à l’honneur de l’Europe d’être respectueux du bien-être animal, de veiller à la façon dont sont exploités et traités les animaux dans l’agriculture.
Le verdissement intelligent, c’est celui qui valorise ces efforts et qui reconnaît que les agriculteurs ont été les premiers à développer, à exploiter et à respecter nos paysages.
Le verdissement intelligent, c’est celui qui tend à une simplification des règles. (Mouvements d’approbation sur les travées de l’UMP.)
Le verdissement intelligent, c’est celui qui est budgétairement possible, financièrement soutenu, …
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. … celui qui aide les agriculteurs et qui les encourage. Ce n’est pas celui qui les brime et qui les empêche d’exercer correctement leur métier ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Tout cela n’est possible, je tiens à le rappeler, qu’avec un budget à la hauteur de nos ambitions. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, la première proposition qui a été faite – une réduction de 30 % à 40 % du budget – était inacceptable. Heureusement, cette idée folle a été abandonnée. Nous sommes aujourd'hui d’accord sur le fait que le budget de la PAC doit être stabilisé.
Je ne suis pas d’un naturel particulièrement méfiant, mais je sais que, dès qu’il s’agit de finances et d’argent, dès que l’on approche du but, les choses deviennent en règle générale plus complexes. Je vous demande donc à tous, mesdames, messieurs les sénateurs, de m’aider à soutenir l’idée du maintien du budget de la politique agricole commune.
M. Bruno Sido. Nous le ferons !
M. Bruno Le Maire, ministre. Ce maintien est indispensable au soutien de nos agriculteurs et au respect de nos exploitations, tout simplement. (MM. Bruno Sido et Jacques Blanc applaudissent.)
Comment allons-nous procéder ? Quelle méthode allons-nous appliquer ?
Tout d’abord, d’ici à la présentation officielle dans quelques mois par la Commission de ses propositions législatives sur les instruments de la PAC, nous devons impérativement rassembler nos partenaires autour de la position commune franco-allemande.
À cet effet, je recevrai demain mon homologue slovène. Je rencontrerai mes homologues portugais et espagnol dans les prochains jours. Enfin, je me rendrai dans un certain nombre de pays européens dans les semaines à venir. Nous poursuivrons ce marathon diplomatique afin de rassembler et de solidariser le maximum d’États européens autour de la position commune franco-allemande.
À cet égard, l’accord avec la Pologne sera évidemment capital, mais il ne sera pas facile à obtenir. Cela fait des mois que je négocie avec le gouvernement polonais. Ilse Aigner, mon homologue allemande, et moi-même allons conjuguer nos efforts pour essayer d’entraîner la Pologne avec nous.
Pour rassembler nos partenaires, je compte également m’appuyer sur les travaux du Parlement européen. Je recevrai vendredi le rapporteur du Parlement européen sur la PAC et je me rendrai à Strasbourg prochainement pour discuter avec les parlementaires concernés, qui auront tous un rôle majeur à jouer.
En clair, c’est non pas tous les mois ou toutes les semaines, mais tous les jours qu’il faut poursuivre le travail diplomatique qui nous permettra de remporter définitivement la bataille de la politique agricole commune.
Enfin, j’évoquerai deux points importants de notre stratégie européenne et internationale pour l’avenir de la PAC.
Il ne sert à rien de se battre pour la PAC si on ne se bat pas non plus dans le cadre des négociations commerciales et du G20.
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. Il faut aborder les négociations commerciales internationales, notamment avec le MERCOSUR et dans le cadre de l’OMC, sans aucune naïveté et sans aucun complexe. C’est sans complexes que nous devons défendre notre agriculture, refuser les accords qui se feraient au détriment de l’agriculture et ne pas accepter que l’agriculture soit une nouvelle fois la monnaie d’échange dans un marché de dupes entre les pays sud-américains et l’Union européenne.
À ce stade de mon intervention, permettez-moi de rappeler quelques réalités à tous les esprits bien-pensants qui estiment qu’il faut ouvrir tout grand nos frontières à un certain nombre d’États, qui, eux, ne s’empressent pas de faire de même.
Je citerai un premier chiffre : le déséquilibre commercial entre les pays du MERCOSUR et l’Union européenne pour les seuls produits agricoles est de 22 milliards d’euros par an, soit la moitié du budget de la politique agricole commune, et ce avec le régime tarifaire existant.
Je vous laisse imaginer, si le régime tarifaire existant était modifié, mesdames, messieurs les sénateurs, l’ampleur qu’atteindrait notre déficit commercial en matière agricole avec les pays d’Amérique du Sud et les conséquences que cela aurait pour notre agriculture, en particulier pour les exploitations d’élevage en France et en Europe.
M. Yvon Collin. C’est fondamental !
M. Bruno Le Maire, ministre. Ce point est en effet tout à fait fondamental.
Il ne sert à rien de nous battre pour préserver un modèle agricole européen si, dans le même temps, nous ouvrons tout grand nos frontières à d’autres pays qui ne respectent pas les mêmes règles sanitaires ou environnementales que nous. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je rappellerai un autre chiffre intéressant, à savoir le coût de production dans le secteur de l’élevage – ce secteur, je le répète, est ma préoccupation majeure – au Brésil et en France. Du fait des règles sanitaires, environnementales et de respect du bien-être animal qui s’appliquent en France, règles auxquelles, comme n’importe quel citoyen européen, je suis attaché – c’est tout à l’honneur de l’Europe de les défendre –, le coût de production par kilo de carcasse dans l’élevage est trois fois plus élevé en France qu’au Brésil. (M. Bruno Sido s’exclame.)
Par conséquent, si nous ne maintenons pas un certain nombre de protections tarifaires et le principe de réciprocité, si nous faisons preuve de trop de naïveté ou d’angélisme, nous ferons peut-être très plaisir à un certain nombre de pays dont nous n’avons pourtant pas à défendre les intérêts. En revanche, nous défendrons mal les nôtres. Or notre rôle est de défendre les intérêts français et européens. (M. Jacques Blanc applaudit.)
J’évoquerai maintenant le G20 et la régulation des marchés. Comme je l’ai indiqué au début de mon intervention, il nous faut lutter contre la volatilité des prix des matières premières agricoles. La France a été le premier pays à placer ce sujet au cœur des débats du G20, ce qui est une très bonne chose.
Pour la première fois dans l’histoire de ce forum ou du G8, les vingt ministres de l’agriculture des pays les plus riches de la planète se réuniront en mai ou en juin prochain. Pour la première fois, nous proposerons un certain nombre de mesures concrètes.
Tout d’abord, nous insisterons sur la nécessaire transparence des marchés, notamment sur les stocks. Comment pourrions-nous en effet lutter contre la volatilité des prix alors que personne ne connaît aujourd'hui avec précision l’état des stocks de blé, de riz ou de maïs dans le monde ? Les spéculateurs auraient tort de ne pas spéculer sur les matières premières agricoles alors qu’il n’y a dans ce domaine aucune transparence, qu’aucune information n’est disponible et qu’il n’existe pas de statistiques coordonnées sur le niveau des stocks. La spéculation se nourrit de l’absence d’informations.
La première des choses à faire est donc d’instaurer de la transparence et de mettre en œuvre des bases de données communes afin de disposer d’informations sur les stocks. L’enjeu est crucial et cet objectif sera difficile à atteindre, car c’est là un sujet stratégique pour des pays tels que la Chine ou l’Inde, mais je pense que nous pouvons progresser.
Ensuite, nous devons travailler à une meilleure coordination des responsables politiques au plus haut niveau. Nous ne pouvons pas admettre que perdure un système qui permet à la Russie, en l’absence d’outil de coordination, de décider unilatéralement, sans prévenir personne, de ne plus exporter de blé, alors qu’elle est l’un des premiers pays producteurs au monde. Cela conduit à une augmentation de 20 % du prix du blé en une nuit ! Cela n’est pas possible. Des échanges d’information et une coordination sont nécessaires.
Enfin, il faut moraliser les marchés financiers qui traitent des matières premières agricoles. Comme je l’ai déjà dit, l’écart entre la réalité physique des échanges agricoles et la réalité financière des volumes traités sur ces marchés est une des raisons de la spéculation et l’un des problèmes auxquels nous devons remédier. Sur ce point, j’ai fait un certain nombre de propositions techniques à nos partenaires américains et j’espère que nous pourrons progresser.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques éléments que je souhaitais vous présenter ce soir.
Pour terminer, je tiens à vous remercier de ce débat, car il est très important que la question de la politique agricole commune soit portée sur la place publique afin que chaque citoyen en France et en Europe, et non pas seulement le Gouvernement, les responsables politiques et les parlementaires, puisse s’en saisir.
À mon sens, il y a derrière la politique agricole commune un modèle politique singulier. Ce modèle permet de lutter contre l’uniformisation des produits agricoles. Il nous permet de refuser d’avoir tous le même régime alimentaire partout sur la planète. Il respecte les exploitations de taille raisonnable. Il permet de prendre en compte l’environnement, la sécurité sanitaire et le bien-être des animaux dans la production agricole.
Certes, c’est un modèle singulier, auquel, il est vrai, nos partenaires américains, sud-américains ou d’autres pays n’adhèrent pas. Il n’en demeure pas moins un beau modèle. Ce n’est pas parce qu’il est peut-être économiquement plus coûteux que d’autres qu’il n’est pas politiquement valable. Ce n’est pas parce que d’autres estiment que seul le prix compte que nous devons nous aligner sur le moins-disant agricole.
Une fois encore, il est tout à notre honneur de défendre à travers la politique agricole commune un modèle de civilisation européen singulier et valable. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)