M. Yvon Collin. Très bien !
M. Daniel Soulage. Telles sont, mes chers collègues, les attentes du terrain. Je sais que vous connaissez bien ces dossiers, monsieur le ministre, et que vous y travaillez sans relâche dans la perspective des négociations sur la future PAC. Je vous en suis infiniment reconnaissant, ainsi que de vous être déplacé dans le Lot-et-Garonne pour y rencontrer nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Renée Nicoux.
Mme Renée Nicoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, eu égard aux nouveaux défis à relever, la politique agricole commune doit prendre un nouveau virage. Elle est au carrefour d’enjeux multiples, à la fois économiques, alimentaires, sanitaires, environnementaux, sociaux et territoriaux.
La réforme annoncée de 2013 sera décisive pour l’avenir de l’Europe. Elle permettra d’apporter une première réponse à une question récurrente que se posent les instances européennes quant à la capacité des Européens à unir leurs forces pour aller plus loin dans la construction communautaire, en vue d’affronter la mondialisation croissante, la libéralisation des échanges et les crises économiques qui se succèdent.
L’agriculture européenne traverse une crise. Nous en avons tous vu les effets ces dernières années. Elle se heurte à une concurrence de plus en plus vive, souvent déloyale, et caractérisée par une instabilité chronique du marché, rendant toute projection dans l’avenir impossible pour les agriculteurs. L’Union européenne, en tant qu’organisation politique, a donc un rôle crucial à jouer dans la gestion et la sortie de cette crise.
La réflexion sur la réforme de la PAC en 2013 a donné lieu à de nombreuses prises de positions du Parlement européen, des États membres et, le 18 novembre dernier, de la Commission européenne. Ce même mois, un groupe de travail sénatorial a publié un rapport sur ce thème. Nous avons eu l’occasion de rencontrer nos homologues européens et d’échanger nos points de vue sur ce que devra être l’agriculture européenne de demain. Sans surprise, de nombreuses divergences politiques sont apparues, et il sera très difficile de trouver un consensus entre les partisans du libre marché et ceux de la régulation.
La PAC fait aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques, de la part tant des agriculteurs eux-mêmes que des citoyens européens, qui ne perçoivent clairement ni son fonctionnement ni ses bienfaits. Il est donc évident qu’une réforme efficiente de la PAC devra s’accompagner de la réhabilitation de son image. Il faudra, pour cela, la rendre plus efficace et lisible.
L’objectif prioritaire d’une telle réforme devra être d’offrir un avenir aux agriculteurs, dont la situation est des plus critiques, notamment en France. En effet, le revenu des agriculteurs a chuté brutalement en 2008 et en 2009, après plus d’une dizaine d’années de stagnation. Pourtant, voilà un mois, on nous a annoncé que ce revenu avait connu une hausse de 66 % en 2010, pour s’établir en moyenne à 24 400 euros ! Certains se félicitaient déjà d’une sortie de crise. Quelle supercherie !
Tout d’abord, cette hausse n’est qu’un petit rattrapage après la crise épouvantable de ces dernières années. Mais surtout, ces chiffres sont en trompe-l’œil, car ils sont fondés en grande partie sur l’envolée du prix des céréales, qui, dans le même temps, a fait baisser les revenus de certaines catégories d’agriculteurs. Chacun sait que la crise a touché inégalement les filières et que certaines d’entre elles sont aujourd’hui au bord du précipice, quand elles ne sont pas déjà tombées dedans.
Ainsi, dans la filière des bovins à viande, le prix de vente au kilo vif est identique à ce qu’il était voilà plus de dix ans. Comment ces éleveurs peuvent-ils s’en sortir quand on sait que le prix des aliments et des carburants n’a, dans le même temps, cessé d’augmenter ? Certains en sont réduits à demander le RSA, tandis que d’autres sont contraints de mettre la clé sous la porte. C’est ainsi que le nombre d’exploitations et d’exploitants en activité s’est effondré, parallèlement à l’agrandissement des structures, avec tous les effets néfastes que cela entraîne.
La prochaine PAC devra donc intrinsèquement avoir pour finalité de donner aux agriculteurs les moyens de vivre de leur profession, voire de leur assurer un revenu minimum, mais aussi de fixer des plafonds d’aide. Pour atteindre cet objectif, il est indispensable que les aides européennes soient réparties de façon plus égalitaire entre toutes les filières, et donc entre tous les agriculteurs. Il est en effet anormal que 20 % des agriculteurs perçoivent 80 % du montant des aides, et ce, pour les céréaliers, quel que soit le cours du blé, ou, pour d’autres, quelles que soient les surfaces cultivées. L’iniquité dans la répartition des paiements directs entre les États membres est l’un des aspects les plus critiqués du système actuel, qui devra être corrigé.
Un consensus semble se dégager sur l’abandon des références historiques, et nous pouvons nous en féliciter, bien que notre pays soit l’un des rares à ne pas avoir passé le cap, malgré le caractère injuste de ce dispositif. Il faut surtout que les aides soient attribuées aux agriculteurs actifs et liées à la production réelle, comme l’avait souligné la Cour des comptes européenne. Par ailleurs, les efforts environnementaux doivent être pris en compte, de même que les handicaps naturels auxquels les exploitants sont exposés, en particulier dans les zones de montagne.
Au-delà de cette mission centrale, la PAC doit bien évidemment remplir son rôle premier, à savoir préserver le potentiel de production alimentaire de l’Union européenne afin d’assurer l’autonomie et la sécurité alimentaires de ses habitants. Une Europe forte ne peut être dépendante de ses importations alimentaires.
Dans ce contexte, il est évident que l’Union européenne doit se doter d’une véritable régulation de ses marchés, prenant en compte aléas climatiques et volatilité des prix !
Il est un aspect de la PAC qui ne doit pas être laissé de côté : le rôle joué par l’agriculture en termes de biens publics. Il est indispensable que les efforts accomplis de tout temps par les agriculteurs pour préserver les aménités soient rémunérés, qu’il s’agisse de l’entretien des terres et des paysages, du maintien de la biodiversité ou d’autres actions agro-environnementales.
Dans les zones de montagne, par exemple, l’agriculture constitue une activité économique essentielle, qui engendre des emplois directs et indirects. Elle permet de lutter contre la désertification et préserve la diversité des différents terroirs européens, grâce à l’ancrage des hommes dans les territoires.
La future PAC devra donc s’attacher à soutenir la production de ces biens publics, en favorisant le maintien ou la création de petites exploitations.
L’instauration d’un régime de soutien, simple et spécifique, applicable aux petites exploitations, sur le modèle de celui qui a été présenté par la Commission européenne, pourrait constituer un début de réponse. Encore faudra-t-il que ce régime prenne en compte la spécificité des territoires et les contraintes qui peuvent peser sur les exploitants !
En somme, la PAC a un véritable rôle à jouer en termes de cohésion sociale et territoriale dans nos régions. Si les moyens et la volonté sont suffisants, elle peut contribuer à atténuer les déséquilibres territoriaux et à améliorer la vitalité et le potentiel économique des zones rurales.
La question de l’environnement devra, de toute évidence, être au cœur de la future PAC, mais avec un traitement équitable et uniforme sur l’ensemble du territoire européen. Il ne peut pas y avoir de traitement différencié, et donc de concurrence, dans ce domaine, entre les États membres.
En effet, l’avenir de l’activité agricole est intimement lié à la préservation des ressources naturelles et aux efforts environnementaux des agriculteurs, qui ont, eux aussi, à y gagner, en termes tant de capacité productive de leurs terres que de qualité de leurs productions.
Intégrer une composante écologique obligatoire dans les paiements directs, comme l’a préconisé la Commission, semble une idée intéressante.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
Mme Renée Nicoux. Quant à l’éco-conditionnalité, il nous semble également intéressant de la maintenir, pourvu qu’elle revête un caractère de valorisation du travail, et non plus seulement de sanction, comme c’est trop souvent le cas actuellement.
Pour être efficace, ce « verdissement » du premier pilier devra intervenir dans un cadre contractuel et territorialisé, ce qui ne semble malheureusement pas être l’orientation choisie par la Commission.
Il est évident que le respect des normes environnementales, justifiant des prix plus élevés, permettra à nos agriculteurs de valoriser leurs productions. En effet, il est faux de dire que seule la compétitivité en termes de prix permettra à l’agriculture européenne de survivre.
La compétitivité doit être appréciée à l’aune d’autres critères, notamment qualitatifs, sociaux et environnementaux, les consommateurs s’attachant de plus en plus à la qualité des produits plutôt qu’à leur prix. Cela n’est vrai que dans une certaine mesure, bien évidemment, mais la réussite actuelle, même en temps de crise, de la filière de l’agriculture biologique est une illustration de ce fait.
Cette recherche de qualité devra aller de pair avec une amélioration de la traçabilité et de l’étiquetage des produits.
En conclusion, les différentes propositions de la Commission européenne semblent aller dans le bon sens, avec une orientation de la PAC vers plus d’équité entre agriculteurs et entre États membres et des soutiens davantage ciblés sur l’environnement, le changement climatique, les petites exploitations, l’installation, ainsi que les marchés locaux ou régionaux.
Cependant, le démantèlement de la PAC auquel nous avons assisté ces dernières années nous amène à être plus que sceptiques quant à la mise en œuvre concrète des priorités affichées. En effet, la plus grande difficulté reste devant nous : trouver un accord entre les États membres pour parvenir à un règlement accepté par tous et dégager des moyens à la hauteur de l’ambition affichée, à l’heure de l’austérité budgétaire. Les bonnes volontés existent, mais l’Europe doit maintenant se donner les moyens de leur donner une portée concrète. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Mayet.
M. Jean-François Mayet. Monsieur le ministre, je souhaite tout d’abord saluer la politique que vous conduisez pour répondre à la crise que traverse l’agriculture, notamment par la mise en œuvre, l’année dernière, d’un plan de soutien.
La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche ainsi que les différentes initiatives prises sur votre instigation à l’échelon communautaire en vue de la mise en place d’outils d’intervention et d’une meilleure régulation des marchés des produits agricoles sont pertinentes et bienvenues.
L’année 2011 sera essentielle pour l’avenir de la PAC. Dans la perspective des travaux et des négociations que vous conduirez à ce titre, je souhaite évoquer les préoccupations des agriculteurs de mon département.
S’agissant tout d’abord du maintien du budget agricole communautaire, la communication de la Commission a réhabilité la production et la sécurité alimentaires en tant que premiers objectifs de la PAC. Pour les atteindre, il faut disposer d’un budget à la hauteur des ambitions affichées.
Dans mon département, grâce aux références économiques issues des réseaux ROSACE, les soutiens sont à la limite de ce qui est nécessaire pour assurer la viabilité de la plupart des systèmes d’exploitation dans un contexte de forte progression des charges. Or, à mi-parcours de la réforme de la PAC, la « ferme Indre » a déjà perdu 13 millions d’euros sur les 134 millions d’euros dont elle bénéficiait auparavant.
De plus, dans notre département, 480 agriculteurs sont éligibles au dispositif d’accompagnement spécifique. L’importance de ce nombre révèle la situation fragile d’un grand nombre d’exploitations.
Une autre source d’inquiétude tient à la volatilité des cours, due à la mondialisation de l’économie : elle provoque une instabilité des cours à laquelle les exploitations de notre département, le plus souvent de type familial et occupant une ou deux unités de travail humain, ou UTH, sont incapables de faire face.
Les distorsions de concurrence liées à la mise en place de normes européennes exigeantes, induisant une perte de compétitivité par rapport aux produits importés, constituent également un motif de préoccupation. Les mêmes normes devraient s’appliquer aux produits agricoles européens et aux produits en provenance des pays tiers, que ce soit en termes d’hygiène, de pesticides, de santé ou de bien-être des animaux.
La redéfinition des zones défavorisées ne manque pas non plus de susciter des inquiétudes. Dans notre département, par exemple, les aides spécifiques destinées à compenser l’existence de handicaps naturels sont indispensables, notamment pour appuyer l’installation de jeunes agriculteurs. Il est essentiel que le nouveau zonage n’exclue pas les territoires comprenant des sols présentant un handicap naturel, que ce soit pour faire de la culture ou de l’élevage, car dans le cas contraire l’activité agricole y serait fortement déstabilisée.
Par ailleurs, les réformes qui se sont succédé n’ont jamais tenu compte du caractère de « zone intermédiaire » commun à une quinzaine de départements agricoles. Il s’agit de zones de transition entre plaine et montagne, de zones mixtes qui ne sont spécialisées ni en élevage ni en grandes cultures, mais où les exploitations de polyculture-élevage sont très dépendantes de la PAC et restent souvent à l’écart des mesures destinées à favoriser l’une ou l’autre de ces productions.
J’évoquerai enfin la dépendance des éleveurs du bassin allaitant par rapport au marché italien : on constate en effet, depuis un certain nombre d’années, au gré des crises sanitaires, un accroissement des difficultés de commercialisation, vers l’Italie notamment.
Monsieur le ministre, pour répondre à ces préoccupations, plusieurs pistes peuvent être envisagées.
En premier lieu, des mesures plus efficaces de régulation des marchés pourraient être mises en œuvre.
Il s’agirait de mettre en place des mécanismes flexibles pour toutes les productions stockées, de renforcer le pouvoir de marché des producteurs par leur regroupement, pour contractualiser sur les volumes et sur les prix dans un cadre sécurisé, d’améliorer la connaissance et la transparence des marchés dans toute l’Europe en matière de volumes et de prix, car seule la transparence permettra un partage équitable de la valeur ajoutée, de garantir au consommateur européen le même niveau de sécurité alimentaire pour les produits importés que pour les produits issus de l’agriculture communautaire.
En second lieu, un dispositif de paiements directs pour toutes les productions, plus simple, plus lisible, avec une harmonisation des normes dans toute l’Europe, pourrait être instauré. Pour cela, plusieurs corrections doivent être apportées à la situation actuelle.
Il faudrait d’abord, tout en prévoyant une période de transition, sortir du système sclérosant des droits à paiement unique. En effet, fondé sur les références de 2000, de 2001 et de 2002, il est de plus en plus décalé par rapport à la réalité du terrain.
Au sein du premier pilier, l’aide complémentaire verte doit être construite, en termes de contraintes, sur le modèle de l’existant, notamment celui des bonnes conditions agro-environnementales.
Les soutiens couplés doivent être suffisants pour mobiliser des aides, notamment pour l’élevage au sein du bassin allaitant, l’économie de ces zones étant très fragile et très dépendante de l’agriculture.
Par ailleurs, il est nécessaire de mettre en place un dispositif permettant de prendre en compte les handicaps de certaines zones. Par exemple, mon département, dont 82 % de la superficie est classée en zone défavorisée, se trouve pénalisé depuis le début de l’histoire agricole contemporaine.
Enfin, la politique de développement rural doit prendre en considération les spécificités des territoires pour y favoriser l’installation de jeunes agriculteurs, la modernisation des exploitations en place et l’innovation. Elle doit être souple et dotée d’outils adaptables aux contextes locaux. Ainsi, une simplification de la mise en œuvre des mesures agro-environnementales élaborées localement aurait un intérêt certain pour les bassins de captage dans mon département.
Il en va de même pour le soutien aux filières territorialisées, dont plusieurs peuvent être des sources importantes d’emplois, telles, dans l’Indre, les AOC caprines, la lentille verte du Berry, la pisciculture de la Brenne, l’engraissement de taurillons.
Monsieur le ministre, je sais que votre mobilisation en faveur de la mise en place d’une politique agricole commune plus conforme aux attentes de nos agriculteurs français est totale, dans le droit fil de l’« appel de Paris » lancé sur votre initiative, voilà plus d’un an.
Les préoccupations et les propositions que j’ai évoquées, illustrées par le cas de mon département, se retrouvent, vous le savez bien, à l’échelon national. Au nom de l’ensemble de nos agriculteurs, je vous remercie par avance de votre action. Nous savons pouvoir compter sur vous. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de même qu’il ne faut pas laisser aux sénateurs médecins l’exclusivité des interventions sur la politique de santé, il faut éviter de laisser aux élus des territoires ruraux le monopole des interventions sur la politique agricole. (Sourires.) C’est pourquoi l’élu urbain que je suis a souhaité prendre la parole dans un débat qui, en vérité, nous concerne tous.
Aujourd'hui, l’avenir de la PAC se trouve au centre des négociations sur les perspectives financières européennes pour la période 2014-2020.
Chacun peut le constater, les objectifs initiaux de la PAC, inscrits dans le traité de Rome, se sont en quelque sorte perdus dans les sables au fil des ans, notamment parce que les dogmes du marché et de la libre concurrence se sont largement imposés. Pourtant, ces objectifs restent tout à fait d’actualité. En effet, la PAC devait permettre d’assurer un niveau de vie décent à la population agricole, de stabiliser les marchés, car les fluctuations incessantes des prix dues à la spéculation financière menacent en permanence la sécurité de nos approvisionnements, et d’assurer des prix raisonnables aux consommateurs.
Le 17 novembre dernier, le nouveau commissaire européen à l’agriculture et au développement rural, Dacian Ciolos, a donc présenté une communication prévoyant des orientations pour une nouvelle PAC de l’après-2013. La discussion est lancée dans toute l’Union européenne sur cette base et le débat que nous entamons ce soir contribuera, je l’espère, à orienter les futures dispositions législatives qui seront présentées par la Commission européenne en juillet prochain.
Dans sa communication, la Commission explique que les marchés agricoles sont aujourd’hui caractérisés par l’incertitude et la volatilité croissantes des prix. Elle semble ainsi reconnaître les effets négatifs du libre marché et de la dérégulation qui ont orienté la PAC ces dernières années.
La Commission souligne la spécificité de l’activité agricole par rapport aux autres activités économiques, l’alimentation étant un bien essentiel à la survie de l’homme. Le rôle premier de l’agriculteur doit bien être la production de nourriture et, étant donné l’augmentation de la population mondiale, il est primordial que l’agriculture européenne maintienne sa capacité de production, contrairement à ce qui a pu parfois être dit.
La Commission souligne également le rôle de l’agriculture dans l’équilibre des territoires, et semble ainsi remettre en question les processus de spécialisation et de concentration des exploitations qui ont caractérisé la PAC ces dernières années. L’activité agricole demeure le « moteur » de l’économie rurale ; elle concourt à l’identité des régions et la PAC doit donc permettre de la pérenniser sur l’ensemble du territoire européen.
La Commission souligne enfin les liens forts qui unissent l’activité agricole et la protection de l’environnement : sans ressources naturelles préservées, il n’y a pas d’agriculture viable ; à l’inverse, sans agriculture, la préservation des espaces naturels n’est pas assurée. La Commission met donc l’accent sur les enjeux multiples, à la fois économiques, sanitaires, sociaux, territoriaux et environnementaux, liés à l’agriculture.
Le groupe socialiste du Sénat ne peut que se réjouir de ces premières orientations, qui semblent renouer avec les objectifs fondamentaux de la PAC : l’indépendance et la sécurité alimentaires, la garantie d’un revenu décent pour l’ensemble des agriculteurs, la cohésion sociale et territoriale, la valorisation de la diversité des terroirs, la protection de l’environnement et la solidarité européenne.
De même, nous approuvons le nouveau principe posé par la Commission d’une répartition des aides plus équilibrée entre États membres et entre filières. C’est, en effet, une nécessité pour que la PAC retrouve sa légitimité. Ainsi, la Commission souhaite mettre en place une réforme tendant à instaurer davantage d’équité, avec un revenu de base pour l’ensemble des agriculteurs européens, une aide supplémentaire pour le « verdissement » de l’agriculture et pour les régions à contraintes naturelles spécifiques, ainsi qu’un plafonnement des aides. Un maximum d’aide pour les grandes exploitations et un soutien minimal pour les petites exploitations seraient ainsi instaurés.
Cependant, le groupe socialiste regrette que la Commission, dans sa communication, n’aborde pas directement la question budgétaire, pourtant primordiale, qui conditionne la mise en œuvre d’une réforme ambitieuse. En ce qui nous concerne, nous sommes favorables au maintien a minima du pourcentage global actuel du budget européen consacré à la PAC.
En outre, le groupe socialiste considère que les propositions de la Commission restent très limitées en matière de régulation des marchés. Elle se contente de prévoir un filet de sécurité en cas de crise. Aucune proposition ne vise à éviter la survenue des crises et à empêcher la volatilité des prix, phénomène que la crise du lait a illustré dans un passé récent.
Nous estimons, pour notre part, que les objectifs de cette réforme ne pourront être atteints que par une régulation du marché agricole à l’échelon tant européen que mondial. Selon nous, il est important de réguler l’offre agricole via des objectifs de production, des indices de prix, des mesures de stockage.
De même, il nous semble nécessaire de revaloriser la place de notre agriculture dans le commerce mondial et dans les politiques de développement. Pour que les échanges commerciaux soient plus justes, chacune des parties doit respecter les mêmes règles du jeu, les mêmes normes sociales, environnementales, sanitaires. En effet, le respect des normes qui leur sont imposées engendre des coûts importants pour les agriculteurs européens, ce qui les empêche d’être compétitifs face aux pays tiers, dont les producteurs ne sont pas tenus par de telles normes.
Nous proposons donc que soit pris en compte, à l’échelle mondiale, un principe de réciprocité dans les échanges alimentaires. À défaut, nous pourrions renforcer le principe de préférence communautaire en instaurant des « écluses tarifaires ». Il va sans dire qu’au sein même de l’Union européenne, nous devons rechercher une harmonisation en matière de droit fiscal et de droit du travail, afin d’éviter les situations de concurrence déloyale internes à l’’espace communautaire.
Tels sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les messages que je souhaitais délivrer au nom du groupe socialiste à l’occasion de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord me féliciter de l’organisation d’un tel débat : nous commençons bien l’année !
Le Sénat démontre ainsi sa capacité de travail, d’anticipation pour répondre aux évolutions amenées par le traité de Lisbonne. La réforme de la PAC conditionne la sécurité alimentaire de l’Union européenne et le maintien des équilibres territoriaux, en particulier dans les zones de montagne, qui me sont chères ! (Sourires.)
Nous avons la chance, dans notre pays, d’avoir pu compter sur des ministres de l’agriculture porteurs d’une volonté politique forte de promouvoir l’agriculture à l’échelon européen. Vous vous inscrivez dans cette lignée, monsieur le ministre, et je m’en réjouis.
Nous avions eu avec votre prédécesseur, Michel Barnier, un débat sur le bilan de santé de la PAC. Sous l’influence de la France, un certain nombre de décisions allant dans le bon sens ont ensuite été prises sur le plan communautaire. La nécessité d’une PAC et du maintien d’outils de régulation a été réaffirmée, même s’il est vrai que certaines aides doivent être réorientées, en particulier au profit des zones défavorisées et des éleveurs en difficulté.
Avec une grande force de conviction, monsieur le ministre, vous avez su convaincre les Allemands de s’engager à nos côtés dans la définition d’une nouvelle politique agricole, ce qui n’était pas forcément évident au départ, et vous avez amené vingt-deux pays membres de l’Union européenne à reconnaître la nécessité d’une régulation. Nous pouvons donc vous faire confiance pour garder le cap de la politique agricole commune et la faire évoluer de manière à répondre aux attentes des consommateurs en matière de sécurité alimentaire tout en permettant à de petites exploitations agricoles de vivre et de faire vivre l’ensemble de nos territoires.
Il s’agit là d’un enjeu de société, et non de la défense des seuls agriculteurs. L’orateur qui m’a précédé a eu raison d’indiquer que les élus des territoires ruraux ne devaient pas avoir le monopole des interventions sur la PAC, qui est la seule politique communautaire. Ce dernier point m’amène d’ailleurs à souligner que, en matière de dépenses – on reproche volontiers à la PAC de coûter cher –, les comparaisons avec d’autres secteurs sont, pour cette raison, impossibles : par exemple, il n’existe pas de politique communautaire de la recherche, ce domaine étant essentiellement une compétence nationale.
Nous souhaitons tous le maintien d’une politique agricole commune. Il est important de l’affirmer, car la tentation d’une renationalisation a parfois pu se faire jour en Europe.
En ce qui concerne la vocation alimentaire de l’agriculture, je ne prétends pas que le problème se pose dans les mêmes termes que pour notre approvisionnement en métaux et en terres rares, sujet sur lequel la commission des affaires étrangères m’a demandé de rédiger un rapport, mais la sécurité et la qualité alimentaires représentent des enjeux fondamentaux dans un monde dont la population croît rapidement. Ne l’oublions pas, la qualité de l’alimentation conditionne la qualité de la vie, parfois même la survie. M. Bizet regrettait tout à l’heure que la communication de la Commission n’évoque pas suffisamment la finalité alimentaire de l’agriculture : il est vrai qu’il faut y insister.
Une autre vocation de la PAC est la préservation des ressources naturelles et de la qualité de notre environnement. Ce matin même, j’ai plaidé pour le classement par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité des causses des Cévennes, au titre de l’agropastoralisme. En effet, ce sont les agriculteurs qui, par leur travail, ont façonné nos paysages et fait la qualité de notre environnement. L’œuvre de l’homme est indispensable à la préservation des milieux naturels. Il faut en avoir conscience ! Cela étant, sortons d’un faux débat : si l’agriculteur est un acteur de la protection de l’environnement, il ne doit pas être transformé en jardinier. C’est pourquoi il importe de trouver un équilibre entre soutien financier régulé à la production et prise en compte des missions spécifiques accomplies par les agriculteurs au bénéfice de nos sociétés, en particulier dans les zones de montagne. Cela nous ramène aux premier et deuxième piliers de la PAC.
Le lien entre activité agricole et environnement est patent. Récemment, les jeunes agriculteurs se sont réunis en Lozère – c’était là un bon choix de leur part ! –, à la Baraque des Bouviers, pour demander le maintien de l’indemnité compensatoire de handicap naturel, qui est indispensable, et de la prime à la vache allaitante, ainsi que des aides spécifiques à la modernisation des bâtiments d’élevage, à la mécanisation, à l’installation des jeunes. Enfin, ils ont appelé de leurs vœux un soutien aux initiatives innovantes, affirmant ainsi avec force que le monde agricole est capable d’innover sur ces territoires. En un mot, ils veulent une vraie politique agricole.
Monsieur le ministre, vous allez devoir vous battre pour que les pseudo-intellectuels parfois fatigués de certains pays du Nord, qui ne comprennent rien aux problèmes de l’agriculture, ne viennent pas imposer leurs vues. (Sourires.) Vous avez toute notre confiance !
Par ailleurs, la stratégie de Lisbonne a mis en exergue la nécessité d’assurer la cohésion territoriale. À cet égard, je suis le plus heureux des hommes, monsieur le ministre, car le fait que l’aménagement du territoire relève désormais également de vos responsabilités vous permettra de promouvoir conjointement à Bruxelles une vraie politique agricole commune et une authentique politique de cohésion territoriale.
L’Europe a un message à porter : son modèle agricole est exemplaire et permet le maintien de la vie sur l’ensemble de son territoire. Ce modèle, je sais que vous avez la volonté et la détermination de le défendre, monsieur le ministre. Les travaux remarquables réalisés par le Sénat sur ce sujet vous y aideront. L’Europe doit se mobiliser pour construire une société mettant l’homme au cœur des territoires, en particulier de montagne. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)