Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon ? C’est une bonne nouvelle !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je tiens à saluer, tout d’abord, l’important travail effectué par l’Assemblée nationale et par le rapporteur, M. Gilles Bourdouleix.
À l’issue de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale, vingt-deux articles ont été adoptés conformes ; seuls treize articles n’ont donc pas encore fait l’objet d’un vote unanime. Mais peut-être arriverons-nous aujourd'hui à ce résultat.
Comme M. le garde des sceaux, je souligne que les principales améliorations décidées en première lecture par le Sénat ont été confirmées.
Ainsi, il incombera dorénavant au juge de l’expropriation de fixer l’indemnité au titre de l’ensemble des préjudices subis. Il sera versé aux salariés une indemnité par année d’ancienneté dans la limite de trente années et la loi entrera en vigueur le 1er janvier 2012, ce qui permettra des mesures transitoires pendant une année complète.
Compte tenu des avancées acceptées par l’Assemblée nationale, le Sénat peut être légitimement satisfait, mais, pour qu’il le soit totalement, je sollicite un engagement solennel du garde des sceaux sur quatre points.
Premièrement, et M. le garde des sceaux a entamé tout à l’heure la discussion sur ce point, l’engagement pris de créer 380 emplois, notamment dans les greffes, a causé de grandes désillusions aux personnels. Aucun concours spécial n’a en effet été organisé pour eux et ils se sont trouvés mis en compétition et en concurrence avec les autres candidats sans être particulièrement armés pour présenter tel ou tel concours.
Par conséquent, je souhaite la confirmation des engagements pris envers les 380 salariés des études d’avoués qui devaient être affectés dans les greffes des juridictions, conformément à ce qui avait été prévu dans la loi de finances pour 2010. Il faudra préciser et adapter au mieux au fur et à mesure les règles des concours pour le recrutement des fonctionnaires des catégories A ou B, en tenant compte de la situation de chacun.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez pris des engagements pour les fonctionnaires de catégorie A. Le problème est donc résolu en ce qui les concerne, mais il reste entier pour les fonctionnaires des catégories B et C. Il faudra que vous preniez également des engagements précis à cet égard.
Deuxièmement, vous avez terminé votre intervention sur ce sujet, la généralisation de la communication électronique des actes de procédure en appel.
M. Jean-Pierre Vial. Vrai problème !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Vous vous êtes engagé à ce que les choses avancent dans ce domaine, mais il y aura un petit délai supplémentaire par rapport à ce qui était prévu puisque la mise en œuvre se fera non au 1er janvier, mais à la fin du mois de mars. Je crains que, dans certaines cours d’appel, tout ne se passe pas aussi bien que vous l’espérez.
Je vous suggère donc de mettre d’ores et déjà en place une équipe de sauvetage des cours d’appel en péril en prévision du moment où le traitement électronique sera généralisé ! (Sourires.) À défaut, le garde des sceaux sera tenu responsable du dysfonctionnement des différentes cours d’appel, même si certaines d’entre elles sont déjà tout à fait prêtes.
Troisièmement, j’en viens à une préoccupation qui n’en est plus une, puisque, monsieur le garde de sceaux, vous venez de me donner satisfaction, je veux parler de l’acompte sur la part d’indemnisation, qui représente 50 % de la recette nette. Mon interrogation portait sur le régime d’imposition applicable, celui des plus-values ou celui du revenu. La commission est satisfaite de votre réponse, monsieur le ministre, et je ne reviendrai pas sur ce point. Néanmoins, il faudrait une instruction du garde des sceaux afin que nous soyons assurés que la décision du ministère de la justice sera respectée par Bercy et par les services fiscaux.
Quatrièmement, question importante à laquelle vous avez en partie répondu, monsieur le garde des sceaux, mais peut-être pas de façon suffisante, j’évoquerai l’application des dispositions fiscales à l’indemnisation de la perte du droit de présentation. Le problème se pose uniquement lorsque le titulaire de l’office est une société civile professionnelle. Le calcul de la plus-value se fera-t-il à partir de la date de la création de l’office, ce qui nécessitera parfois de remonter trente ou quarante ans dans le temps, ou à partir de la date de l’acquisition des parts ? C’est capital car, selon la date retenue, l’imposition ne sera pas du tout la même.
Par conséquent, nous demandons fermement que le garde des sceaux s’engage et obtienne une instruction fiscale pour que le calcul de l’imposition se fasse à partir de la date d’acquisition des parts sociales.
Telles sont, monsieur le garde de sceaux, les préoccupations de la commission des lois. Pour l’essentiel, nous approuvons ce texte, mais nous ne pouvons pas en repousser l’adoption de changement ministériel en changement ministériel. Je suggère par conséquent, si vous nous donnez toutes les garanties que je viens de vous demander, que le Sénat adopte conforme le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.
Dans l’hypothèse où ces garanties ne seraient pas suffisantes, je serais contraint de maintenir des amendements dont l’adoption nous conduirait inéluctablement à examiner ce texte en troisième lecture. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le garde de sceaux, mes chers collègues, dans son dernier rapport, M. Gélard écrit que ce projet de loi « a suivi un parcours erratique ». C’est le moins que l’on puisse dire d’un texte présenté en conseil des ministres le 3 juin 2009 par Mme Dati !
Des mains de cette dernière, il est passé entre celles de Mme Alliot-Marie. Celle-ci nous affirmait alors, après avoir dans un premier temps pris prétexte de la directive Services, que cette réforme avait pour objet de rendre plus simple et moins chère la justice devant les cours d’appel. Or cette affirmation, nous l’avons souligné en première lecture, est fausse et totalement récusable.
Le projet de loi que nous examinons n’a rien d’objectif et est avant tout guidé par des intérêts politiques, ainsi que par une volonté de réaliser une concentration autour des intérêts financiers de structures à l’anglo-saxonne. Cela n’a rien à voir avec les intérêts des avoués, de leurs salariés et du justiciable !
Le justiciable, tout d’abord, ne sera certes plus contraint de recourir à deux professionnels, mais il devra payer une taxe de 330 euros à laquelle s’ajoutera une somme forfaitaire exigée au simple titre de la postulation devant les cours et estimée par le Conseil national des barreaux à 860 euros, et ce avant tout règlement des honoraires d’avocat.
En somme, faire appel ne sera ni plus simple ni moins coûteux.
Concernant le volet social de ce texte ensuite, 1 850 personnes sont licenciées sur un marché de l’emploi complètement saturé sans que l’État prenne ses responsabilités : voilà ce que nous retenons !
Michèle Alliot-Marie déclarait avec une certaine fierté qu’elle avait obtenu dans le budget 380 postes dans les services judiciaires auxquels pourraient postuler les salariés d’avoués. Elle osera réitérer ses affirmations le 23 juin dernier devant l’Assemblée nationale : « Nous avons déjà réglé quantité de problèmes, notamment celui des salariés ».
Nous avons rencontré ces salariés et ils nous ont affirmé le contraire !
Qu’en est-il de ce projet de loi depuis qu’il est entre vos mains, monsieur Mercier ? Nous retrouvons le même discours, hélas ! Le Gouvernement nous dit se soucier du sort des salariés et se vante d’avoir une approche humaine. Mais les actes ne sont toujours pas en concordance avec les déclarations.
Les licenciements sont qualifiés de licenciements économiques, mais qu’elle est la nature d’un licenciement économique sans réel plan sauvegarde de l’emploi ? Il s’agit là seulement d’un licenciement politique, pour reprendre la terminologie employée par les avoués et leurs salariés eux-mêmes.
La vérité est qu’il n’y a aucune réelle prise en compte spécifique de leur avenir : les aides à la mobilité et à la formation que vous mettez en avant sont celles du droit commun dont bénéficient déjà les 3 millions de chômeurs que compte notre pays. On voit le résultat !
Le seul engagement pris par l’État repose sur la création d’une cellule de reclassement, autant dire un pseudo-plan social, qui n’a toujours pas vu le jour.
Vous avez cependant manifesté pour les avoués bien plus d’intérêt, même si des points restent à régler tels que le caractère préalable de l’indemnisation promise.
Surtout, nous devons parler des oubliés de la réforme. En effet, en l’état du texte, il existe une véritable rupture d’égalité entre les avoués détenteurs de parts et les collaborateurs d’avoués titulaires du certificat d’aptitude à la profession d’avoué. Si ces derniers ne sont pas vraiment concernés par l’indemnisation de la charge, puisqu’ils ne peuvent prétendre à un préjudice lié à la perte du droit de présentation, pour autant leur préjudice de carrière sera identique à celui des avoués.
Aucune raison objective ne justifie de réserver un traitement inégalitaire aux collaborateurs diplômés par rapport aux avoués en titre : tous ont été formés pour exercer une seule et même profession et ont obtenu, dans des conditions assez draconiennes, le diplôme d’avoué. Ils étaient destinés à racheter tout ou partie des parts d’un office et ont consacré sans doute leur carrière à cet objectif, avant que l’État, sans bourse délier, ne le réduise à néant. D’ailleurs, nombre d’entre eux étaient déjà en possession d’un traité de cession de parts.
Il est donc légitime que les collaborateurs titulaires du diplôme d’avoué obtiennent une indemnisation spécifique complémentaire, destinée à compenser leur préjudice de carrière, au même titre que les avoués titulaires de parts, en sus de l’indemnité de licenciement légale, que tous les salariés percevront. Un amendement avait été déposé en ce sens par notre groupe, mais il n’a pas résisté au couperet de l’article 40 de la Constitution ; nous regrettons de ne pas pouvoir débattre de cette question.
Ainsi, pour résumer, malgré le « parcours erratique » de ce projet de loi, nous retrouvons les mêmes problématiques qu’en première lecture : ce projet de loi est injustifié, incomplet, pour ne pas dire bâclé. Ce constat confirme donc mon vote de refus.
Je terminerai par une ultime question, monsieur le ministre, et je suppose que vous y répondrez sans ambages : quel est le coût réel de cette décision pour les finances publiques, alors même que les moyens alloués à la justice restent dramatiquement faibles ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je suis tenté, pour commencer cette intervention, de poser une question que j’avais déjà posée en première lecture : les avoués ont-ils tant démérité et leurs études sont-elles dans une situation si mauvaise que la suppression de cette profession et le licenciement économique de ses salariés seraient justifiés ? Il me semble que tel n’est pas le cas.
À l’évidence, cette question n’est plus vraiment d’actualité. En effet, la suppression d’une profession qui, au demeurant, a toujours bien fait son travail, a été proposée par le pouvoir exécutif et a déjà été confirmée par plusieurs votes du Parlement.
La décision politique est donc prise : les avocats remplaceront les avoués à compter du 1er janvier 2012.
Mais, une fois cette décision prise, il est de notre responsabilité, monsieur le ministre, mes chers collègues, de mener à son terme le processus engagé, et ce dans les meilleures conditions possibles, ce qui suppose aujourd’hui la réunion de deux préalables : tout d’abord, garantir que le fonctionnement des cours d’appel ne sera pas affecté, afin que cette réforme se fasse effectivement en faveur du justiciable, comme nous l’a annoncé le Gouvernement ; ensuite, vérifier que les avoués et leurs salariés seront indemnisés dans des conditions justes et équitables.
Concernant le fonctionnement des cours d’appel, le calendrier de la réforme est le point important à souligner. Il y a apparemment urgence : urgence à adopter un texte, et dans des termes identiques à ceux de l’Assemblée nationale. Le vote conforme serait indispensable...
L’urgence n’était sans doute pas la même pendant les dix mois qui se sont écoulés entre la première lecture au Sénat et la deuxième lecture à l’Assemblée nationale ! Ce retard est regrettable, mais il n’est pas de la responsabilité du Sénat. Il est donc osé de venir aujourd’hui demander à la Haute Assemblée de pallier ce retard alors que des questions de fond restent toujours sans réponse et que des points méritent encore d’être précisés.
Le retard pris a réduit quasiment à néant l’une des avancées importantes obtenues par le Sénat en première lecture, à savoir une période transitoire suffisante pour que la réforme puisse entrer en vigueur dans de bonnes conditions.
L’article 34 du projet de loi ayant été adopté conforme par nos collègues députés – je le regrette –, il nous est maintenant impossible de modifier à nouveau la date d’entrée en vigueur de la loi, ce qui aurait été de bon sens, au vu des mois de retard accumulés à l’Assemblée nationale.
Ce retard a été préjudiciable à tous, certains professionnels ayant même pu penser que le projet de loi était purement et simplement abandonné !
Dans ces conditions, les avoués et leurs salariés ont perdu un temps précieux dans la préparation de leur reconversion. De facto, la période transitoire est aujourd’hui grandement raccourcie. Or, comme le rappelle notre collègue Patrice Gélard dans son rapport, celle-ci est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement des cours d’appel.
Gardons à l’esprit que, demain, il faudra gérer non pas seulement la suppression des avoués, mais aussi, parallèlement – c’est là que tout se complique ! –, l’entrée en vigueur de la réforme de la procédure d’appel. À ce propos, l’application du « décret Magendie » reste une source d’incertitude et je souhaiterais que vous nous expliquiez précisément, monsieur le garde des sceaux, quand ce décret entrera en vigueur, notamment concernant les échanges par voie électronique.
À l’heure où vont entrer en application ces nouvelles règles de la procédure d’appel, la contribution des avoués aurait été précieuse et il est pour le moins étrange de demander à des professionnels qui savent que leur métier va disparaître de mettre en œuvre une réforme de fond de la procédure d’appel.
Plus généralement, je suis convaincu que la simultanéité de la suppression des avoués et de l’entrée en vigueur de la réforme de la procédure d’appel va entraîner des dysfonctionnements majeurs au sein des cours d’appel dans les mois qui viennent.
Autre question importante, les avocats seront-ils en mesure d’assurer la postulation devant la cour d’appel dès le 1er janvier 2012 ?
Les 440 avoués disposent aujourd’hui d’un système de communication électronique avec les cours d’appel qui fonctionne parfaitement. Comment peut-on imaginer que les 51 000 avocats de France soient tous en mesure, d’ici un an, d’introduire l’instance devant les juridictions d’appel par voie électronique, sous peine d’irrecevabilité, alors que leur application informatique – le « e-barreau » – n’est pas opérationnelle ?
Mme Josiane Mathon-Poinat. Elle marche très mal !
M. Yves Détraigne. J’espère sincèrement que nous ne sommes pas en train de nous engager dans un processus incertain qui exposerait les justiciables à des risques de radiation et, inévitablement, à un allongement des délais d’audiencement des affaires.
Toujours concernant les avocats, le texte que nous examinons aujourd’hui me donne l’occasion de poursuivre une réflexion engagée il y a quelques jours lors de la discussion du projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées, introduisant l’« acte contresigné par avocat ».
Il est paradoxal d’affirmer que les avoués pourront demain exercer sereinement la profession d’avocat quand on sait que le nombre très important – supérieur à 50 000 – et toujours croissant d’avocats dans notre pays provoque déjà un certain appauvrissement de cette profession.
Sans doute le Gouvernement ne partage-t-il pas cette analyse, sinon pourquoi provoquer demain l’arrivée de 400 nouveaux candidats au sein de cette profession ?
Une chose est sûre : pour ceux qui décideront de devenir avocat, reconstituer rapidement une clientèle ne sera pas chose facile dans le contexte actuel, c’est une évidence !
Ma deuxième source d’inquiétude tient à l’indemnisation des avoués.
Sur ce sujet, je reconnais bien évidemment les améliorations importantes qui ont été apportées au dispositif, principalement par le Sénat, par rapport au texte initial du projet de loi.
Comme l’a rappelé notre rapporteur, l’Assemblée nationale a confirmé le recours au juge de l’expropriation, et je m’en félicite. Les inquiétudes ne portent donc pas sur l’indemnisation elle-même, mais plus sur l’éventuelle fiscalité qui pourra lui être appliquée. Vous nous avez déjà donné des précisions à ce sujet, monsieur le garde des sceaux, vous aurez sans doute l’occasion d’y revenir.
Des incertitudes pèsent aussi sur le moment de cette indemnisation qui, selon la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, doit être préalable à l’expropriation. J’aurai l’occasion de revenir sur ce thème lors de la défense de mes amendements.
Autre interrogation, qu’en est-il des reclassements promis l’année dernière par votre prédécesseur, monsieur le ministre ? Vous avez rappelé la création de près de 400 nouveaux postes dans les services judiciaires ; mais qu’en est-il dans les faits ? Les premiers échos que j’ai pu recueillir sur la mise en œuvre concrète de ces annonces me laissent perplexe. J’ai, par exemple, eu connaissance du cas d’une salariée d’étude d’avoué qui, alors qu’elle postulait pour un poste en juridiction très éloigné de sa résidence habituelle, s’est entendu répondre qu’elle était trop qualifiée pour le poste. Un comble ! Et ce cas n’est sûrement pas isolé.
Il apparaît donc que la mise en œuvre de cette réforme pose de vrais problèmes et que la réalité n’est pas toujours à la hauteur des espérances ou des annonces. C’est la raison pour laquelle il me semble nécessaire de mieux cadrer certaines des dispositions de ce projet de loi, de sorte que la mise en œuvre de cette réforme, que les avoués n’ont pas demandée, ne constitue pas un marché de dupes pour eux-mêmes et leurs salariés. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a un an, jour pour jour, dans la même enceinte, je posais cette question : la disparition des avoués va-t-elle contribuer à rapprocher le justiciable de ses juges, à diminuer le coût des procédures ou à les accélérer ?
Un an après, jour pour jour, je pourrais reprendre, mot pour mot et chiffre pour chiffre, les propos que j’avais tenus. Malheureusement, en effet, cette année entière n’a pas permis à la Chancellerie de régler les différentes difficultés provoquées par la disparition prochaine de cette profession.
La première difficulté posée par ce projet de loi est constitutionnelle, M. Détraigne vient d’ailleurs de l’évoquer à l’instant.
En effet, l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen précise : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition…
M. Patrice Gélard, rapporteur. D’une « juste et préalable indemnité » !
M. Alain Anziani. … d’une juste et préalable indemnité. » Vous connaissez ce texte par cœur, monsieur le rapporteur, monsieur le garde des sceaux ! (M. le garde des sceaux opine.)
Ce texte fondamental pose ainsi comme principe que, lors d’une expropriation, l’indemnisation doit être préalable à la prise de possession. Or ce principe est directement violé par le cinquième alinéa de l’article 13 du présent projet de loi, qui prévoit que l’offre d’indemnisation, puis l’indemnisation elle-même, interviennent après la cessation de l’activité d’avoué.
La difficulté constitutionnelle est réelle et j’espère que vous la lèverez, monsieur le ministre, sans attendre que le Conseil constitutionnel le fasse lui-même.
La deuxième difficulté posée par ce projet de loi est plus humaine, plus sociale. Elle naît de la volonté gouvernementale, avec validation législative, de faire disparaître une profession. Ce type d’événement est rarissime.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Non ! Il y a eu des précédents !
M. Alain Anziani. Puisqu’il est rarissime, cet événement doit s’accompagner nécessairement de mesures dérogatoires.
Vos deux prédécesseurs, monsieur le ministre, avaient pris toute la mesure de l’enjeu, au moins en parole. J’ai encore en mémoire les fortes paroles de Mme Alliot-Marie, nous assurant que les avoués et le personnel de leurs études pourraient intégrer l’administration judiciaire : la perspective de cette « voie royale » devait faire cesser toute inquiétude…
Un an après, où en sommes-nous ? Je me permettrai de citer les propos empreints de sagesse de notre excellent rapporteur, qui demande au Gouvernement de « confirmer et de préciser ses engagements, pour assurer l’effectivité du recrutement de 380 salariés des études d’avoués dans les greffes des juridictions ».
Je vous parlerai plus directement, monsieur le ministre, en décryptant quelque peu la prose de notre rapporteur. De quoi s’agit-il, en réalité ?
À ce jour, 380 postes ont été ouverts par la Chancellerie pour accueillir le personnel des études. Vous savez comme moi que onze personnes seulement ont pu effectivement intégrer les greffes des juridictions ; c’est le chiffre que nous ont communiqué la semaine dernière vos services. Est-ce parce que ces personnels se désintéresseraient de cette « voie royale », ou parce qu’il s’agirait bien plutôt d’un chemin semé d’embûches ?
Nous avons reçu des témoignages très précis : le lieu des entretiens est en général très éloigné du domicile des candidats ; les conditions financières qui leur sont faites reviennent à leur faire accepter une division par deux de leur rémunération ; surtout, un accueil glacial leur est réservé. Tout est donc fait pour dissuader les candidats éventuels.
Le résultat que vous cherchiez est obtenu – je vous en félicite, d’une certaine façon – : vous n’avez recruté que onze personnes, mais la parole donnée n’a pas été respectée.
Elle n’a pas été non plus respectée en ce qui concerne les avoués tentés de rejoindre la magistrature, alors qu’il leur avait également été annoncé que les portes leur étaient ouvertes et que leurs compétences seraient appréciées. Pour quel résultat ? Aujourd’hui, huit avoués seulement ont intégré la magistrature.
L’autre voie qui leur était offerte, l’intégration dans un cabinet d’avocats, a-t-elle été plus facile ? Bien sûr que non ! Nous avons les éléments chiffrés qui l’attestent.
Cette voie est tout aussi tortueuse. Les avoués ont, aujourd’hui, beaucoup de mal à se faire une place dans cette profession d’avocat.
C’est la même chose pour les salariés. Mais on le savait d’avance ! Les études d’avoués embauchent quatre fois plus de personnel que les cabinets d’avocats ; il y a donc forcément un goulet d’étranglement. Dire que le personnel des avoués viendra dans les cabinets d’avocats c’est, évidemment, se moquer des uns et des autres.
La troisième difficulté porte sur la procédure d’appel elle-même. La Chancellerie a eu l’idée audacieuse, que nous pourrions d’ailleurs comprendre, d’effectuer une double réforme, visant à la fois la représentation devant la cour d’appel et la dématérialisation de la procédure d’appel, notamment de l’acte d’appel à peine de nullité.
Pourquoi pas ? Mais le croisement des deux réformes apparaît comme un saut dans le vide. Le vide informatique, c’est aussi le vide de l’appel, avec toutes les conséquences que cela peut avoir pour les justiciables.
Dès le 1er janvier prochain, le « décret Magendie » devait dématérialiser l’appel sous peine de nullité. Devant l’Assemblée nationale, Mme Alliot-Marie a annoncé le report de cette mesure au 31 mars 2011. Je pense, cependant, qu’à cette date la situation sera exactement la même. Nous allons avoir un vrai vide entre le 1er janvier 2011, date d’entrée en application du texte, et le 31 mars 2011. Que va-t-il se passer ? Comment l’informatisation va-t-elle pouvoir être effectuée ?
Vous avez rencontré la Chambre nationale des avoués pour leur demander s’il était possible qu’ils reprennent du service pendant ces trois mois afin d’assurer la prestation informatique…Je ne connais pas le résultat de vos négociations, mais je sais que vous avez eu une réunion sur ce point la semaine dernière.
La réponse ne peut pas être celle que vous avez donnée, monsieur le garde des sceaux, et qui consiste à affirmer que les professionnels sont d’accord pour coopérer et qu’une prestation minimale sera assurée.
M. Alain Anziani. J’ai ici une lettre de la Chambre nationale des avoués qui prouve exactement le contraire et où l’on vous rappelle que la procédure, en l’état, ne pourra pas fonctionner, ni au 1er janvier, ni au 31 mars, ni au 1er avril, ni même, sans doute, beaucoup plus loin dans le temps.
Dernier point, qui est essentiel, même si nous savons que ces mesures sont aujourd’hui définitives : quel est le sens de cette réforme pour la justice et le justiciable ?
Pour le justiciable, nous savons qu’elle n’allégera pas le coût des procédures.
Le coût de l’intervention d’un avoué a été apprécié par l’étude d’impact à 981 euros. Le coût de la nouvelle procédure comprendra 150 euros de taxe pour financer la réforme, 60 euros de taxe informatique, un forfait de 800 euros de frais, soit déjà 1010 euros, auxquels il faudra ajouter les honoraires de l’avocat. C’est, là aussi, se moquer du justiciable que de lui dire de ne pas s’inquiéter et que cette réforme est dans son intérêt : il paiera beaucoup plus cher !
Je salue, encore une fois, le doyen Gélard qui, dans un style affable mais percutant, indique que ces mesures ne permettront pas au justiciable d’économiser de l’argent.
Voilà pour le justiciable. Mais quid du contribuable ? Y trouvera-t-il son intérêt ? La Chambre nationale des avoués a évalué le coût de la réforme à près de 900 millions d’euros. Je rappelle que la suppression des avoués avait pour objectif de contribuer à la réduction des déficits publics…
Alors, monsieur le garde des sceaux, pourquoi cette loi ? Nous ne le comprenons pas. Une certaine commission, que nous connaissons, présidée par une autorité à l’intelligence remarquable que nous ne manquons pas de saluer à chaque occasion, a recommandé de lever tous les freins à la croissance, de réduire tous les coûts possibles dans notre pays. Parmi ses multiples propositions, on trouve celle qui consiste à supprimer la profession d’avoué.
Mais je prends chacun à témoin : qui dans cet hémicycle peut croire que le double but affiché, c’est-à-dire la réduction du coût pour le justiciable et pour le contribuable, va être atteint ? Personne !
Le doyen Gélard vous a demandé de prendre des engagements, monsieur le garde des sceaux. Nous préférons, quant à nous, une loi précise. Ce sera le sens de nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)