M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, je tiens tout d’abord, au nom de mon groupe, à vous féliciter de votre nomination comme ministre de la justice. De la justice et des libertés !
Le président de l’Union syndicale des magistrats déclarait, il y a quelques jours, que votre ministère était sinistré sur le plan budgétaire, avec des personnels au mieux désabusés au pire ulcérés, pour avoir vécu « les régressions et la consternation quotidienne » avec Mme Dati et « la stagnation et la déception » ensuite.
En réalité, ce projet de budget pour 2011 est le produit de deux héritages. Pour une fois, nous attendons la rupture ! Mais celle-ci n’est pas encore au rendez-vous et, pour cette raison, notre groupe votera majoritairement contre ce budget. Soyons néanmoins très conscients que, si notre justice va mal, si elle est dans le « wagon de queue » des pays européens, c’est aussi parce que nos concitoyens n’en font une priorité que lorsqu’ils sont personnellement concernés.
Qu’attendons-nous de la justice ? Qu’elle soit indépendante, professionnelle, accessible à tous quel que soit le niveau social ou le lieu de résidence, qu’elle assure le respect des droits de la personne, des victimes, de la liberté individuelle, des lois de la République, qu’en matière pénale la sanction soit proportionnelle à la faute, que cette sanction soit exécutée avec la dignité qui convient.
Comparez ce programme à ce qui a été réalisé ces dernières années, vous constaterez que le résultat est en grande partie inverse.
L’insécurité juridique est aggravée par une véritable diarrhée législative, en particulier dans le domaine pénal, où l’accumulation de dizaines de textes sécuritaires à vocation médiatique a rendu l’application de la loi par le magistrat périlleuse.
Certaines lois sont « placardisées » avant même d’être expérimentées.
Le Gouvernement s’enferre dans une résistance insensée à l’application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et même, disons-le, de la loi pénitentiaire très consensuelle défendue par notre collègue Jean-René Lecerf.
Les réformes se bousculent et se contredisent souvent, de la création des juges de proximité à la suppression de 178 tribunaux d’instance.
Les réformes des professions judiciaires se caractérisent par la priorité donnée au droit des affaires, au monde des affaires, et non au citoyen.
La majorité persiste dans l’affichage des lois de répression, alors qu’un nombre considérable de condamnations ne sont jamais exécutées, vous le savez, avec d’étranges disparités selon le territoire concerné.
Face à ce constat, qui ne vous est pas imputable, monsieur le ministre, est-il opportun, pour fredonner « Tout va très bien, madame la marquise », de s’engager vers de pseudo-innovations comme la présence de jurés dans les tribunaux correctionnels ? N’est-il pas plus urgent de remettre en ordre de marche la justice en lui redonnant confiance en elle-même, en ses magistrats, en son personnel, en ses auxiliaires ? C’est ainsi qu’elle retrouvera la confiance des citoyens.
Je mettrai l’accent sur quelques points significatifs.
S’agissant de l’administration pénitentiaire, il est globalement positif de constater une légère diminution du nombre de détenus et un développement des mesures alternatives. En revanche, notre rapporteur a mis en évidence que le budget était très déconnecté de la loi pénitentiaire, alors que celle-ci constitue un progrès incontestable. Un choix de fond est à effectuer : pour nous, il convient de développer les services pénitentiaires d’insertion et de probation, ainsi que l’obligation d’activités, et de s’interroger sur le nouveau programme de 5 000 places. Il y a tant à faire pour moderniser l’existant !
Quant à la fermeture des maisons d’arrêt considérée comme exemplaire par notre rapporteur, sous le prétexte de la révision générale des politiques publiques et d’une interprétation fallacieuse de l’encellulement individuel, j’attends de votre part, monsieur le ministre, l’application de votre bon sens. Je crains que cela ne soit difficile !
Par ailleurs, le transfert des escortes judiciaires, pour des raisons non techniques va entraîner de graves difficultés.
Le budget ne fait pas non plus apparaître les conséquences financières de la politique de déjudiciarisation engagée ces dernières années et amplifiée subrepticement par des lois dites de simplification ; c’est ainsi que nombre d’actes ont été retirés aux greffes pour les confier le plus souvent aux notaires, avec des conséquences pour les plus démunis. Quels sont les effets de cette mesure sur les effectifs en équivalent temps plein ? Allez-vous persévérer dans cette voie encore utilisée récemment pour faire passer aux notaires la pilule de l’acte d’avocat ?
Le budget intègre le coût de la carte judiciaire, sans évaluer précisément les gains de cette réforme et je n’épiloguerai pas sur le coût du nouveau tribunal de grande instance de Paris !
Monsieur le ministre, rien dans ce budget ne permettra de stopper la désertification judiciaire engagée par vos prédécesseurs. Les petits départements deviennent sinistrés en matière judiciaire, comme ils le sont déjà en matière médicale : suppression des tribunaux, postes non pourvus, regroupement de juridictions spécialisées dans les métropoles, paupérisation des auxiliaires de justice avec, comme conséquence, l’éloignement croissant de nombreux citoyens, notamment les plus démunis, du droit à la justice, particulièrement en matière pénale. Monsieur le ministre, votre conception de l’aménagement du territoire, n’est pas compatible avec ce budget !
Pour rendre une bonne justice, il faut des professionnels qualifiés, en nombre suffisant, dotés de moyens suffisants. Or, comme le relèvent l’ensemble des rapporteurs – j’allais dire, dans leurs réquisitions –, le projet annuel de performance pour 2011 supprime 76 emplois de magistrats. Vous avez souligné la nécessité d’une gestion prévisionnelle des emplois, mais la création d’une réserve judiciaire ne palliera pas les départs à la retraite non compensés. Le fonctionnement de nos tribunaux continuera à se dégrader et « l’effet de ciseaux » est inéluctable.
Il est aussi à noter que les promesses faites aux avoués et à leurs salariés ne sont pas tenues et ne le seront pas !
J’en viens, monsieur le ministre, au problème de l’aide juridictionnelle, qui est crucial. Non seulement ce budget ne le résout aucunement, mais il n’anticipe pas vraiment le choc que devra être la réforme de la garde à vue. Si les moyens financiers ne sont pas débloqués, nous irons vers un simulacre de réforme et une aggravation de l’insécurité juridique. Oublions le rapport Darrois : serait-il raisonnable de demander au président-directeur général du groupe LVMH un rapport sur les conditions de vie d’un smicard ?
Il n’est d’autre solution, à défaut de nouvelles taxes sur les actes, que d’effectuer un prélèvement important sur le pactole accumulé par les assureurs dans le domaine de la protection juridique et d’en faire gérer le produit par les professions judiciaires.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jacques Mézard. Ces considérations nous conduisent tout naturellement au dossier de la garde à vue : les fortins défensifs mis en place par la Chancellerie s’effondrent l’un après l’autre, sous les coups de toutes les juridictions européennes et nationales ; le compte à rebours s’accélère : l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 23 novembre 2010 dans l’affaire Moulin sonne le glas de tout un système ! On murmure pourtant que la commission réunie en votre ministère, en toute discrétion, ce même 23 novembre au matin, eut comme objectif la validation du projet de réforme du code de procédure pénale sur la base du rapport Léger, au mépris des arrêts de Strasbourg. Est-ce vrai, monsieur le ministre ?
Enfin, je dirai un mot de l’article 75 du projet de loi de finances, qui reporte au 1er janvier 2014 la mise en œuvre de la collégialité de l’instruction. N’est-ce pas un cavalier législatif, ou plutôt un escadron ? Je rappelle que la loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale fut votée unanimement et qu’elle se trouve ainsi pulvérisée, au motif invoqué et reconnu du projet de suppression du juge d’instruction !
Pour finir, permettez-moi de vous lire la conclusion du président Jean-Louis Debré de son livre Les magistrats au XIXe siècle : « En contestant aux juges le droit à l’indépendance, en muselant toutes les velléités d’autonomie des magistrats du parquet, en confondant le service de l’État et celui du Gouvernement, les hommes politiques du XIXe siècle sont à l’origine de la crise de la magistrature et de la justice qui sévira au XXe siècle ».
La situation a-t-elle vraiment changé ? Je ne le pense pas. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans le domaine pénitentiaire, les années se suivent et se ressemblent.
Je voudrais tout d’abord évoquer le sujet important de la politique immobilière. Nous avons suffisamment insisté sur les conséquences de la surpopulation carcérale pour nous réjouir du projet de création de 5 000 places de prison dans les prochaines années. Néanmoins, permettez-moi de faire quelques remarques à ce sujet.
Avant tout, ces 5 000 places doivent servir à faire baisser le taux d’occupation de nos prisons. Elles ne doivent pas être un appel à remplir davantage les prisons, que des mesures d’adaptation des peines doivent par ailleurs conduire à vider.
À cet égard, je vous rappelle que le taux d’occupation de la prison de Caen est de 200 %. Je n’ose même pas signaler celui de la prison de Mayotte !
Je profite de l’occasion, monsieur le garde des sceaux, pour vous faire part de l’interrogation de mon collègue Pierre-Yves Collombat à propos de la prison de Draguignan, détruite par les intempéries, dont la reconstruction n’a toujours pas démarré. L’opinion varoise s’inquiète. Peut-être pourriez-vous nous en dire un mot.
J’en reviens à mon propos.
Nous avons constaté un revirement significatif de la position du Gouvernement sur la question de l’encellulement individuel, comme l’a noté notre rapporteur M. Lecerf. Certes, l’encellulement individuel est un objectif à poursuivre. Cependant, il doit être interprété avec intelligence et subtilité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Comme nous l’avons fait dans la loi pénitentiaire !
M. Richard Yung. Ce n’est pas la meilleure solution dans certains cas. Nous avons tous visité suffisamment de prisons pour savoir que certains détenus préfèrent être à deux ou en petits groupes. Cela dépend donc des cas, des situations, et ce principe doit être appliqué avec discernement.
Enfin, il faut que ces nouvelles places aillent de préférence vers des prisons de petite et moyenne dimension. Nous nous inquiétons de voir de nouveaux projets de grandes prisons. Les professionnels estiment qu’une capacité de 300 places est raisonnable. Nous devrions nous limiter à des unités de cette taille.
Au mois d’avril dernier, M. Jean-Marie Bockel avait demandé à M. Gontard un rapport sur le développement des prisons ouvertes en France. Nombre d’entre nous soutiennent cette idée. Je voudrais savoir si ce rapport a été remis ou si le départ de M. Bockel du Gouvernement marque l’enterrement de ce beau concept.
À propos des conditions de vie en prison, je déposerai tout à l’heure un amendement visant à instituer la gratuité de l’accès à la télévision dans les centres de détention. Nous en reparlerons à cette occasion.
Ces considérations matérielles revêtent d’autant plus d’importance qu’elles ont un effet majeur sur l’état psychologique des personnes détenues. Cet état est globalement mauvais. Depuis le début de l’année, 150 détenus ont mis fin à leurs jours, contre 115 en 2009 et 109 en 2008 ; c’est alarmant.
Le précédent garde des sceaux avait mis en place un plan de lutte contre les suicides en prison, mais j’ai l’impression que ce plan n’a pas donné de résultats significatifs. Le kit anti-suicide, les pyjamas en papier, etc., n’ont pas été des solutions à la hauteur de cet enjeu majeur. Comment, monsieur le garde des sceaux, envisagez-vous cette question ?
Le concept d’établissement à réinsertion active, ERA, sur lequel s’appuiera le nouveau programme immobilier, prévoit la création systématique de locaux destinés aux services de psychiatrie, au sein des unités de consultations et de soins ambulatoires. Je nourris des réserves sur cette approche, car, à mon sens, les malades psychiatriques, pourtant nombreux puisqu’ils représentent 25 % à 28 % des détenus, n’ont rien à faire en prison. À mon avis, il s’agit d’une fâcheuse confusion des genres.
S’agissant du travail en milieu carcéral, force est de constater que la conjoncture économique rend difficile la mise en œuvre de l’obligation d’activité. L’objectif de 37 %, c’est-à-dire d’un tiers de détenus en activité, n’est pas suffisant, et c’est dommage. Je pense que la crise a bon dos puisque, dans les pays d’Europe du Nord, où la crise est également présente, les taux d’emploi sont significativement plus élevés.
Enfin, vous prévoyez de créer 997 emplois supplémentaires, ce qui va dans le bon sens. Néanmoins, n’est pas pris en compte dans ces emplois le transfert de l’escorte de la gendarmerie et de la police vers l’administration pénitentiaire. Selon les estimations, il s’agirait de 800, 1 000 ou 1 200 emplois concernés. Si, d’un côté, 1 000 emplois sont créés, mais que, de l’autre, 1 200 emplois sont transférés pour les escortes, le résultat sera nul, voire négatif. Pouvez-vous, monsieur le garde des sceaux, nous rassurer sur cette question ?
Vous comprendrez, d’après ces remarques, mes chers collègues, que le vote de notre groupe ne sera pas favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Même si ce budget n’a pas été élaboré par vous-même, monsieur le ministre, vous allez avoir la lourde tâche, et je partage sur ce point l’analyse de mon collègue Jean-Pierre Sueur, de le mettre en œuvre et, surtout, de veiller à son efficacité.
En effet, ce budget a été élaboré par un Gouvernement auquel vous accordez votre confiance, cependant que j’ai, quant à moi, beaucoup de mal à le faire devant un exécutif qui multiplie les effets déclamatoires, les incohérences et les contradictions, qui confond vitesse et précipitation, priorité et comptabilité, mutualisation et coupes sévères, qui se permet de commenter des décisions de justice et qui confond parfois coupables et mis en cause ; bref, un exécutif qui confond le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.
Les chiffres ont déjà été beaucoup analysés et disséqués par mes prédécesseurs à cette tribune. Manifestement, sur les mêmes chiffres, on peut avoir des analyses à géométrie variable, puisque je n’ai pas encore entendu beaucoup de ministres se plaindre de restrictions ou de coupes dans leur budget. Au contraire, ils se félicitent tous, officiellement, mais pas trop fort pour ne pas faire de jaloux, d’avoir bien défendu leur beefsteak et d’avoir obtenu des choses très intéressantes pour leur ministère.
Dans un contexte de RGPP dans lequel, théoriquement, tous les fonds publics ont diminué, j’ai un petit peu de mal à comprendre la cohérence de ces discours. Personnellement, en tout cas, je partage plutôt le pessimisme de mes collègues de gauche que l’optimisme de mes collègues de droite sur les fonds qui vous ont été attribués.
En tout cas, point n’est besoin, sans doute, d’analyser ces chiffres de façon précise. Les grands principes de ce budget démontreront facilement les qualités que j’ai prêtées au Gouvernement dans mon propos introductif.
En ce qui concerne par exemple l’administration pénitentiaire, l’incohérence de son budget se mesure à la carte des fermetures et des ouvertures. On propose de fermer des établissements pénitentiaires qui fonctionnent bien, pour lesquels les taux de récidive sont faibles, les problèmes sociaux peu élevés, l’ambiance excellente. On les ferme tout de même, Dieu seul sait pour quel motif, pour en construire et en ouvrir d’autres ailleurs !
Quant à la carte géographique, j’ai du mal à en comprendre la cohérence : on prône l’importance du rapprochement familial tandis que les ouvertures prévues ne semblent absolument pas prendre en compte ce souci.
Des bracelets électroniques sont prévus, certes. Mais, c’est de notoriété publique, et l’expérience de nos voisins étrangers, plus ancienne que la nôtre, le montre parfaitement, la mise sous bracelets électroniques requiert du personnel. Les problèmes surviennent sur le long terme et non pas au cours des quelques mois après la sortie de prison. L’insertion, elle aussi, s’évalue sur le long terme.
Quels sont les moyens mis en place pour le suivi des personnes concernées ? Aucun.
La précipitation du Gouvernement est encore flagrante en matière de transfèrement des personnes sous main de justice. Alors qu’on en parle depuis des années, était-il nécessaire de le faire brutalement, en quelques mois, sans aucune concertation, sans aucune préparation et sans aucune formation du personnel auquel il sera demandé demain d’assumer ces nouvelles missions ? Une fois de plus, vitesse et précipitation sont confondues, comme dans le cas de Cassiopee et de la réforme des tutelles. Les réformes ne correspondent pas à l’objectif affiché.
Je voudrais maintenant évoquer le sujet des mineurs, qui me préoccupe énormément. J’ai lu avec beaucoup d’attention le rapport de M. Bockel sur la prévention de la délinquance. M. Bockel lui-même s’inquiète beaucoup de la systématisation des comparutions immédiates, qui, la plupart du temps, face à des situations complexes et multifactorielles, n’est pas gage d’efficacité. De nombreux éléments sont à prendre en considération pour sortir réellement les mineurs de la délinquance.
M. Bockel lui-même s’interroge sur les moyens qui vont être donnés au milieu associatif. Il s’inquiète des incertitudes qui pèsent sur les mesures éducatives qui seront demain mises en place. Déjà, dans nombre de juridictions, les budgets sont insuffisants pour les enquêtes sociales. Les délégués du procureur ne peuvent plus se déplacer. Il n’y a plus de budget de déplacement. Les juges des enfants, qui devraient être présents dans les comités intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance, n’en auront pas le temps, et nulle création d’emplois n’est prévue.
L’article 41 du projet de loi de finances prévoit une mesure de paiement systématique des droits par la personne bénéficiant de l’aide juridictionnelle. Les enfants y seront-ils soumis ? Où trouveront-ils les 8,80 euros requis pour être représentés par un avocat devant un juge des enfants dans les cas de divorce difficile, où il est nécessaire qu’ils fassent entendre leur voix ?
Les plus vulnérables, une fois de plus, seront touchés, comme beaucoup trop souvent avec ce Gouvernement.
Nous allons donc vers une justice à deux vitesses, une justice qui ne sera accessible qu’aux cols blancs, qu’aux caïds de l’économie sous-terraine, alors que le Gouvernement affirme vouloir lutter contre ces derniers, qui pourrissent véritablement la sécurité dans notre société.
Il en allait déjà ainsi avec la réforme de la représentation devant la cour d’appel et des avoués. Il en va de même avec l’aide juridictionnelle. Vous vous gargarisez de son augmentation.
Mme Virginie Klès. Pas vous, monsieur le ministre, mais le Gouvernement auquel vous appartenez.
Or, cette augmentation servira tout juste à absorber l’augmentation de la TVA des honoraires des avocats et les retards pris en la matière depuis deux ans.
La carte judiciaire est bouleversée, au gré des ouvertures, des fermetures et des réouvertures, alors qu’il aurait fallu aller moins vite. Je connais la situation dans certains territoires. Je ne remets pas en cause le bien-fondé des réouvertures, mais je remets en cause la précipitation et l’absence de concertation qui ont présidé, une fois de plus, à cette réforme. Aujourd’hui, on répare à grands coups des erreurs qui auraient pu être évitées si le Gouvernement était allé moins vite.
À gauche, monsieur le ministre, nous ne souffrons pas de cette espèce de dédoublement de la personnalité qui semble affecter tous les membres du Gouvernement et de la majorité parlementaire. Aussi, bien entendu, nous ne voterons pas ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Madame la présidente, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur spécial, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames et messieurs les sénateurs, votre présence au Palais du Luxembourg ce matin, malgré les intempéries, pour examiner le budget de la mission « Justice » témoigne de l’intérêt que la Haute Assemblée a toujours porté à celle-ci. Vos interventions illustrent d'ailleurs parfaitement la bonne connaissance que vous avez de ce ministère. J’essaierai, dans la mesure du possible, de répondre à chacune de vos questions, toutes extrêmement intéressantes et pertinentes, dans le temps qui est imparti à l’examen de cette mission.
En guise d’introduction, je voudrais tout d’abord rappeler que les crédits du ministère de la justice sont en augmentation cette année.
M. Jean-Pierre Sueur. Une augmentation en trompe-l’œil !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Sueur, je ne vous ai pas interrompu et j’aimerais que vous me laissiez terminer mon propos : ce serait une nouveauté appréciable…
L’augmentation des crédits du ministère de la justice, dans le contexte actuel de nos finances publiques, témoigne à elle seule de la reconnaissance d’un retard important en la matière et d’une demande forte de la part de nos concitoyens ; elle tient compte également de l’entrée en vigueur de la loi pénitentiaire et de la future réforme de la garde à vue, qui entraîneront des dépenses supplémentaires.
J’en profite pour répondre à Mme Klès, qui n’a pas mâché ses mots, que le retard des crédits du ministère de la justice ne date pas d’aujourd’hui…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vrai !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est une histoire ancienne dont nous sommes tous responsables et à laquelle nous devons essayer, ensemble, d’apporter des solutions.
M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Tout à fait !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je suis heureux de constater que Mme Borvo Cohen-Seat est devenue soudainement la plus européenne d’entre nous, puisqu’elle a bien voulu comparer le budget de la justice à celui des autres États européens. Si l’on s’en tient à de telles comparaisons, il faut dire que nous sommes en revanche placés au deuxième rang, derrière l’Italie, pour ce qui est du montant global du budget de la justice – il est vrai que l’on ne connaît pas les budgets de la justice de tous les États européens.
Quoi qu’il en soit, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à considérer que le budget de la justice augmente et que nous essayons de rattraper un certain nombre de retards, dans un contexte financier extrêmement difficile. Cette augmentation est donc le signe d’une vraie volonté politique.
Pour la première fois, le budget de la justice atteint plus de 7 milliards d’euros. Cet effort financier sera poursuivi puisque le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 prévoit des crédits de 7,37 milliards d’euros en fin de période. Des moyens importants sont donc mobilisés ; il faut les renforcer, mais aussi, comme plusieurs d’entre vous l’ont souligné, veiller à améliorer la gestion de ce ministère.
Il n’est nullement question pour moi de me « gargariser » de ce résultat : ce budget a été préparé par Mme Alliot-Marie, et je la remercie d’avoir obtenu des moyens supplémentaires ; nous sommes cependant encore loin d’atteindre la perfection, et c’est donc empreint d’humilité que je vous présente ce budget.
Les moyens des juridictions sont l’une des priorités de ce budget 2011. Des crédits sont ainsi déployés pour accompagner la dernière phase de mise en œuvre de la carte judiciaire et de la modernisation des palais de justice. Si les crédits sont à peu près les mêmes que l’année dernière, les moyens des juridictions augmentent en fait sensiblement cette année, les crédits destinés à la mise en place de la carte judiciaire étant en nette diminution.
Je voudrais insister sur la création de 399 postes de greffier, ces nouveaux recrutements étant indispensables à l’efficacité de l’institution judiciaire. Certes, nous devrons continuer dans cette voie pour parvenir au ratio : un magistrat, un greffier. À cet égard, je veux rassurer M. Sueur : non, nous n’avons pas l’intention de diminuer le nombre de magistrats pour parvenir à ce ratio ! Je retrouve dans sa démonstration mathématique toute sa subtilité d’esprit… (Sourires.) Nous voulons véritablement améliorer les moyens dont disposent les magistrats pour assurer leur travail – j’y reviendrai ultérieurement en répondant à une question de M. du Luart.
Des crédits relativement importants sont également prévus pour poursuivre la mise en sécurité des juridictions, qui est l’une des conditions d’un exercice serein de la justice. Le plan en cours sera achevé dès le printemps 2011.
Moderniser le fonctionnement de la justice, c’est aussi moderniser les procédures et favoriser l’échange d’informations et de données entre les acteurs judiciaires. À cet égard, les nouvelles technologies sont une chance pour l’institution ; elles révolutionnent les méthodes de travail et constituent un vecteur d’efficacité ; je reviendrai sur l’application Cassiopée, pour répondre à M. du Luart et à M. Détraigne, tout à l’heure.
La modernité de la justice réside dans la défense de valeurs essentielles. L’égal accès de tous à la justice, évoqué par nombre d’entre vous, en est une. Nous travaillons actuellement à des solutions sur l’aide juridictionnelle et son financement. Les crédits progressent, et je m’en félicite, pour atteindre 312 millions d’euros cette année ; je sais aussi que ces crédits seront insuffisants, compte tenu notamment de la mise en œuvre de la réforme de la garde à vue.
En matière pénitentiaire, les moyens sont significativement renforcés, car il est de notre devoir de veiller à la situation des détenus, mais aussi aux conditions de travail des personnels. Cette double préoccupation se traduit par la hausse notable du budget alloué au programme pénitentiaire. Les crédits progressent de 4,4 %, pour atteindre près de 900 millions d’euros. Les effectifs sont également en hausse, puisque nous créons 563 nouveaux emplois.
La situation matérielle des prisons est une préoccupation majeure, et beaucoup d’entre vous sont intervenus sur ce thème. Grâce au programme de rénovation, les établissements vétustes seront fermés au profit de nouvelles places conformes aux règles pénitentiaires européennes. La modernisation du parc pénitentiaire doit se poursuivre. Nous travaillons à l’élaboration d’un nouveau programme, le plan mis en place en 2002 s’achevant en 2012 ; j’aurai l’occasion, en répondant aux questions, de revenir sur ce point.
Au-delà de l’augmentation des moyens, il convient naturellement d’améliorer la gestion budgétaire du ministère, ce qui constitue un défi majeur. Plusieurs projets sont conduits par mes services en vue d’une gestion plus rationnelle des moyens.
Nous veillons à une politique d’achats plus efficace ; des efforts sont par ailleurs entrepris pour la maîtrise des frais, et notamment des frais de justice, même si nous savons que l’entreprise est extrêmement difficile. La Chancellerie travaille actuellement à de nouveaux dispositifs pour réduire les coûts en la matière et mieux mutualiser les moyens. La réalisation d’une plateforme nationale des interceptions judiciaires est aussi à l’étude, je le précise à l’intention de M. Détraigne. Elle permettrait, en particulier, des économies d’échelle.
Toutefois, la rationalisation des moyens doit être conçue de façon globale, en recentrant chacun sur son cœur de métier au sein de l’institution judiciaire, mais plus généralement aussi dans la sphère publique.
Il est ainsi prévu que le transfèrement des personnes sous main de justice soit assuré par les personnels judiciaires et non plus par la police. Le transfert de 800 emplois du ministère de l’intérieur au ministère de la justice a été décidé. Des négociations sont en cours sur ce point.
D’une manière générale, je veux donner aux personnels de justice les moyens de leur action. Recentrer les personnels sur leurs missions, tel est aussi l’objectif de la restructuration en cours de la protection judiciaire de la jeunesse. La réforme porte sur le cœur des missions, mais aussi sur l’organisation territoriale de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse.
Nous devons envisager toutes ces questions sur le long terme. C’est naturellement l’ambition que je porte, et la programmation pluriannuelle des finances publiques nous permet d’engager pleinement cette réflexion. Je sais pouvoir compter sur les débats parlementaires, et notamment sur ceux de la Haute Assemblée, pour enrichir notre vision de la justice.
J’en viens maintenant aux importantes questions, souvent très précises, que vous m’avez posées. Je ne suis pas en mesure de répondre dans l’immédiat à certaines d’entre elles, mais je m’engage à le faire ultérieurement par écrit.
M. du Luart, rapporteur spécial, nous a interrogés sur la question essentielle de l’exécution des peines. C’est un chantier extrêmement important. Je n’imaginais pas que cette question était d’une telle ampleur en prenant mes fonctions. Or l’Inspection générale des services judiciaires, en mars 2009, avait indiqué que 82 000 peines étaient en attente d’exécution.
Par conséquent, contrairement à ce que l’on dit parfois, les magistrats ne sont pas laxistes ; ils font leur métier, il faut le dire haut et fort.
M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Oui !
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. En revanche, il faut naturellement que les décisions de justice soient exécutées d’une façon ou d’une autre. Il ne s’agit évidemment pas de créer 82 000 places de prison supplémentaires ; d’ailleurs, nous n’y parviendrions pas. Il convient donc d’utiliser tout le panel de réponses que nous offre la législation, dont la loi pénitentiaire, pour faire en sorte que toutes les décisions de justice soient exécutées.
C’est un chantier essentiel des quelque dix-huit mois durant lesquels je suis appelé à exercer les fonctions de garde des sceaux. Nos concitoyens doivent constater que la justice fait son travail. Le déploiement de l’application Cassiopée, dès le mois de janvier prochain – et je réponds là également à M. Détraigne – nous permettra d’obtenir un décompte précis de l’évolution de l’exécution des peines. À ma demande, le directeur de cabinet disposera désormais dans son bureau d’un tableau sur lequel on pourra suivre en permanence le nombre des peines exécutées et non exécutées.
Vous m’avez ensuite interrogé, monsieur le rapporteur spécial, de même que M. Mézard, au sujet de la reprise de certaines missions par l’administration pénitentiaire.
Je répondrai tout d’abord d’une façon générale.
Premièrement, je souhaite recentrer tous les agents du ministère de la justice sur leur métier. À cet égard, le rapport Guinchard contient des dispositions très intéressantes, que j’entends reprendre, notamment concernant le rôle des magistrats. On demande en effet beaucoup trop de choses aux magistrats de ce pays.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Absolument !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Par exemple, dès qu’une commission est créée et que l’on ne sait pas bien comment elle va fonctionner ni ce qu’elle va donner, on met un magistrat à sa tête.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cela fait plus sérieux !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est une marque de confiance à leur égard, mais ce n’est pas pour cela qu’ils ont été formés.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ils y perdent leur temps !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Deuxièmement, le Gouvernement souhaite recentrer la police et la gendarmerie sur leur activité de base. L’administration pénitentiaire doit donc reprendre certaines missions, notamment celles qui sont liées aux personnes placées sous main de justice. Je pense au transfert des détenus ou à la garde des unités hospitalières.
Une première négociation a eu lieu entre le ministère de la justice et le ministère de l’intérieur. Elle a abouti, comme je l’ai dit, à un transfert de 800 emplois du ministère de l’intérieur vers le ministère de la justice. Toutefois, ce sera peut-être insuffisant compte tenu de la charge de travail.
Nous essayons de connaître exactement le nombre de transferts à effectuer. En l’occurrence, comme souvent, nous manquons cruellement d’indicateurs statistiques fiables. Des expérimentations seront donc conduites dans deux régions, qui restent à déterminer.
M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Le choix n’est donc pas fixé !