M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Pourquoi classer par pertes et profits des acquis, comme la libre circulation ou l’ouverture des États, certes non localisables, qui sont sans prix mais non sans intérêt ?
Lorsque l’on fait le bilan de la construction européenne, enfin, faut-il vraiment citer seulement pour mémoire les valeurs d’intérêt évidemment général qui restent sa finalité : la liberté et la paix, l’État de droit, la démocratie et les droits de l’homme ? Chaque pays ne devrait-il pas en comptabiliser au moins une petite partie lorsqu’il calcule son « retour sur investissement européen » ? Évidemment, je plaisante, mais c’est afin de mieux montrer les limites des analyses fondées sur ces formules détestables de « retours nets ».
Eu égard à la priorité qui doit être donnée aux dépenses inspirées par la stratégie Europe 2020, le débat sur la réforme des ressources propres devrait interférer avec la discussion générale qui devrait maintenant être engagée très rapidement sur les perspectives budgétaires 2014-2020.
D’ailleurs, ce n’est pas forcément une mauvaise chose, à condition de ne pas charger excessivement la barque en visant trop d’objectifs à la fois et de conserver un grand souci de cohérence, à condition aussi d’en revenir toujours à l’essentiel, aux principes.
Parmi les pistes envisagées par la communication du 19 octobre de la Commission sur le réexamen du budget de l’Union figurent une taxe sur les transactions financières, un impôt sur les sociétés, l’utilisation de nouvelles recettes liées aux politiques de lutte contre les changements climatiques, une TVA européenne, sachant que la TVA est le seul impôt dont les bases sont aujourd’hui harmonisées et que, si cette idée était retenue, il resterait à déterminer la fraction de cet impôt qui serait affectée à l’Union européenne.
Sur l’ensemble de la question de l’impôt européen, Alain Lamassoure et les membres de la commission des budgets qu’il préside au Parlement européen ont déjà beaucoup travaillé. Ils l’ont fait avec le souci constant de nous associer à leurs réflexions. Nous ne partons donc pas de rien, sachant qu’en aucun cas l’Europe ne doit apparaître à la source d’impôts supplémentaires.
Le ministre fédéral des finances allemand, Wolfgang Schäuble, nous a une nouvelle fois mis en garde tout à l’heure. Nous devons réfléchir à l’impôt européen avec toute la sagesse voulue et en prenant tout le recul nécessaire pour éviter de le rendre contre-productif.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Le vrai sujet de fond, à cet égard, est celui de la répartition de l’imposition entre les États et l’Union. Si impôt européen il y a, il faudra moins d’impôts nationaux. Cette répartition est forcément liée à celle des compétences entre les États et l’Union.
On en revient à la subsidiarité, autre sujet central avec la solidarité, sur lequel nous n’avons fait qu’une petite partie du chemin, car il reste beaucoup à faire.
M. Roland Courteau. Oui !
M. Jacques Blanc. C’est sûr !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. On en revient toujours à la question de l’organisation du dialogue – n’est-ce pas, monsieur le président Bizet ? –, d’une part, entre les Parlements nationaux, et, d’autre part, entre le Parlement européen et les Parlements nationaux.
Avec le souci de ne pas créer de nouvelles institutions, la COSAC, la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et européennes des Parlements de l’Union européenne, s’est longuement penchée sur ce vrai sujet la semaine dernière, vous en avez certainement le souvenir.
Je formulerai maintenant quelques remarques sur le montant du prélèvement.
Nous pouvons déjà nous attendre à ce qu’il dérive d’ici à l’exécution 2011. Des ouvertures nouvelles en crédit de paiement seront intervenues, comme c’est toujours le cas, la vie continue… Je le disais, le prélèvement affiché dans l’article 46 a été calculé au printemps, sur la base de l’avant-projet du budget de la Commission, et surtout, sur une estimation de ce que pourra être la part de produit national brut de la France dans la répartition des PNB de l’ensemble des États.
Tout cela est appelé à évoluer, comme toujours, d’année en année.
Ainsi, en 2007, le prélèvement inscrit en loi de finances initiale avait été surestimé de plus de 1,5 milliard d’euros, près de 10 % de son montant. Ce n’est pas négligeable.
En 2008, est apparue, au contraire, une sous-estimation, de 300 millions d’euros. En 2009, il s’agissait de nouveau d’une sous-estimation, de plus d’un milliard d’euros. Et en 2010, le prélèvement a été surestimé de 264 millions d’euros.
Tout cela pour dire que l’estimation du prélèvement mériterait d’être moins mouvante et moins opaque. Il y a sans doute ici aussi, monsieur le secrétaire d’État, un chantier à ouvrir pour que les États acceptent de meilleure grâce d’apporter leur contribution et ainsi de miser vraiment sur l’Europe.
Autorisez-moi, mes chers collègues, à tomber, en passant seulement et pour très peu de temps, dans le défaut des analyses en retours nets que je stigmatisais à l’instant. Puisque tout le monde utilise cette démarche, je suis obligé de le faire à mon tour, ne serait-ce que pour nous situer. Tant que le budget européen est ce qu’il est, nous sommes malheureusement condamnés à tomber dans ce travers.
La France devrait demeurer en 2011 le deuxième contributeur au budget communautaire, derrière l’Allemagne, sa part semblant, enfin, se stabiliser, après avoir subi une crue liée au nouveau mode de calcul du chèque britannique. Je rappelle, au passage, que ce sujet n’est pas marginal, puisque notre participation est tout de même de l’ordre du milliard, pour financer un chèque d’environ 5 milliards d’euros.
Notre pays remplace l’Espagne au rang de premier pays bénéficiaire, en recevant près de 13 % des dépenses de l’Union, cette situation tenant essentiellement au poids de la politique agricole commune.
Mes chers collègues, j’attire toutefois votre attention sur le fait que, si la France reste le premier bénéficiaire de la PAC en valeur absolue, elle n’apparaît qu’au cinquième rang si l’on considère les retours par habitant, lesquels se situent à moins de la moitié de ceux qui sont reçus par l’Irlande.
Il n’est sans doute pas inutile de rappeler cette réalité. Elle permet de relativiser un certain nombre de débats et de ne pas toujours nous installer dans la situation de celui qui est montré du doigt comme le vilain petit canard.
M. Roland Courteau. Tout à fait !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. De même, si la France est aujourd’hui le troisième contributeur net au budget communautaire en volume, elle n’en est que le huitième en pourcentage du revenu national brut. Sachons faire dire aux chiffres ce qu’ils signifient vraiment et ne nous laissons pas entraîner dans de mauvaises comparaisons.
Je ferai une autre observation : alors que se pose la question du calibrage du budget européen, il est indispensable de procéder à un examen méticuleux des politiques communautaires.
L’Europe doit dépenser mieux. Nous avons besoin d’un budget communautaire aussi ambitieux que rigoureux, à la hauteur des enjeux de stabilisation conjoncturelle, de compétitivité, de recherche et de formation, de cohésion intérieure et de rayonnement extérieur.
Par exemple, la réflexion très pratique que nous avons engagée sur les relations entre les politiques européennes et nationales de recherche, entre notre BCRD national et le PCRD européen, doit être approfondie.
Vaut-il mieux apporter à la recherche un euro de plus directement au niveau national, au travers du budget français, ou par le biais du budget européen et notre contribution à celui-ci ? Voilà encore une vraie question.
Il convient surtout de renforcer la mise en œuvre vigilante du principe de subsidiarité, au regard duquel devraient être systématiquement examinés le budget, le fonctionnement et les politiques de l’Union européenne.
Je cite, enfin, le travail réalisé l’année dernière, au nom de nos commissions des finances et des affaires européennes, par votre serviteur, sur la multiplication des agences européennes. En partant de cette question particulière, la résolution adoptée par le Sénat le 13 novembre 2009 plaidait pour une amélioration de l’efficacité de la dépense publique européenne.
Vous savez, monsieur le secrétaire d’État, qu’en plein accord avec vous je n’abandonne pas cette réflexion puisque, avec un mandat du Gouvernement, cette fois, je vais aller visiter l’Agence des droits fondamentaux de Vienne, qui dispose d’un budget de 20 millions d’euros, sans que l’on voie complètement jusqu’ici ce qu’elle apporte à côté du Conseil de l’Europe, de son Comité des ministres et de son Assemblée parlementaire, de son Commissaire et de sa Cour européenne des droits de l’homme.
Là aussi, si l’on dispose vraiment de 20 millions d’euros – ce qui reste à prouver –, seront-ils mieux utilisés au travers de la création ex nihilo d’un nouvel organisme, ou par l’abondement des moyens affectés à celui qui existe déjà pour faire la même chose ?
J’ajouterai un mot sur les contributions subies par la France à la suite de refus d’apurements communautaires ou d’amendes. M. le président de la commission des finances le dit toujours, on ne sera jamais assez vigilant pour les éviter.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Monsieur le secrétaire d’État, je me suis attaché à montrer combien notre Parlement national se sentait concerné par l’ensemble des sujets qui sous-tendent l’actuelle négociation budgétaire européenne. C’est aussi notre affaire, en plus d’être celle du Parlement européen et du Conseil.
Nous sommes concernés sur les débats ouverts ou à ouvrir sur les ressources propres et l’impôt européen, sur les perspectives financières 2014-2020, sur les montants et la structure des budgets à y inscrire, sur le devenir du Fonds européen de stabilisation financière et, plus généralement, sur tout ce qui touche à la définition et à la construction de solidarités financières durables, hors desquelles l’Europe risque de se chercher longtemps.
L’agenda est chargé. Attachée qu’elle est à la construction européenne, notre Assemblée entend assumer ses responsabilités européennes, désormais consacrées par le traité de Lisbonne. Le président Bizet le soulignera certainement.
Pour conclure, mes chers collègues, je vous recommanderai, le moment venu, lorsque l’article 46 du projet de loi de finances sera soumis à votre vote, de bien vouloir l’adopter. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, 2010 restera sans doute dans les annales comme une année particulièrement mouvementée, mais qui aura vu la construction européenne accomplir en quelques mois, en matière économique, des progrès plus rapides que depuis plusieurs années.
Elle a, en effet, commencé avec la crise grecque, qui, risquant de dégénérer en crise systémique, a suscité de fortes inquiétudes sur la stabilité de la zone euro. L’Europe s’est fait très peur. Fidèles à l’héritage de Jean Monnet, les dirigeants européens, contraints par l’urgence, se sont finalement ressaisis et, après moult tergiversations, ont fait prévaloir la solidarité entre les États membres.
Cette crise a paradoxalement créé un contexte favorable à la réforme de la gouvernance économique de l’Europe, dont les lacunes ont été mises en évidence de façon flagrante. Elle aura permis de renforcer la surveillance budgétaire et macroéconomique des États membres et de mieux coordonner leurs politiques économiques.
Aussi devons-nous nous féliciter de l’accord auquel le Conseil européen des 28 et 29 octobre derniers est parvenu. Ses conclusions, brèves, influencées par la déclaration franco-allemande de Deauville du 18 octobre, procèdent à une réforme ambitieuse de la gouvernance économique en Europe.
Le Conseil européen fait sien le rapport du groupe de travail du président Van Rompuy sur ce sujet. L’automaticité des sanctions sera subordonnée à la maîtrise politique de la procédure pour déficit excessif par les États membres.
Le Conseil européen a entériné le principe d’une modification limitée du traité devant intervenir à la mi-2013, au plus tard, afin d’établir un mécanisme permanent de gestion de crise pour préserver la stabilité financière de la zone euro, l’existence du Fonds européen de stabilisation financière institué en mai dernier étant limitée à trois ans.
La clause de non-renflouement des États membres contenue dans le traité ne sera pas modifiée, cette précision ayant été apportée afin de tenir compte des contraintes constitutionnelles allemandes. En revanche, la question des sanctions politiques, c’est-à-dire la suspension des droits de vote de l’État membre qui violerait gravement le pacte de stabilité et de croissance, a été écartée.
L’année 2010 marque également le début des négociations en vue des prochaines perspectives financières pour l’après-2013. Ne nous le cachons pas, ces négociations seront extrêmement difficiles.
Les débats sur le projet de budget de l’Union européenne pour 2011, le premier à être soumis à la nouvelle procédure résultant du traité de Lisbonne, augurent déjà des difficultés à venir.
Alors que cette nouvelle procédure budgétaire requiert la coopération pour se rapprocher du compromis final, les positions de chacun sont plus que jamais divergentes – M. le rapporteur spécial nous les a rappelées –, ce qui fait peser une incertitude sur l’adoption du budget.
Certes, le Parlement européen est prêt à accepter une hausse très limitée du budget 2011 pour tenir compte du climat d’austérité. Ainsi, pour la première fois depuis vingt ans, il n’envisage pas de dépasser les plafonds prévus dans les rubriques de dépenses.
Mais, en contrepartie, le Parlement européen veut avoir des assurances sur le financement futur des politiques européennes. Concrètement, il cherche à obtenir une double avancée : d’une part, une révision du cadre financier actuel afin de tenir compte des nouvelles compétences européennes introduites par le traité de Lisbonne ; d’autre part, l’ouverture par le Conseil d’un débat sur la réforme des ressources propres susceptibles d’alimenter le budget européen, sur la base de la communication que la Commission a présentée le 19 octobre dernier sur le réexamen du cadre financier.
Notre collègue Denis Badré l’a précisé tout à l’heure, nous avons eu, grâce notamment au président Larcher et au président Arthuis, un échange avec M. Schäuble, le ministre fédéral allemand.
En effet, le Parlement européen critique depuis plusieurs années la part prépondérante que représentent les contributions nationales dans le financement de l’Union européenne, qu’il estime inadaptée. Permettez-moi toutefois de rappeler que le Parlement européen n’est pas compétent en matière de ressources propres.
La Commission a proposé l’introduction de nouvelles ressources propres appelées à remplacer progressivement les contributions nationales, en particulier une taxation européenne du secteur financier, des recettes tirées par l’Union européenne de mises aux enchères dans le cadre du système d’échanges de quotas d’émissions de gaz à effet de serre, une redevance européenne liée au transport aérien, une TVA européenne, une taxe européenne sur l’énergie et un impôt européen sur les sociétés.
Comme les échanges que nous avons eus avec M. Schäuble le laissent augurer, il faudra encore beaucoup de temps avant d’avoir un projet concret sur la table.
Ces pistes de travail évoquent naturellement le thème d’un impôt européen, qui a pour principale caractéristique de faire l’unanimité contre lui dans les capitales des grands États membres, notamment Londres, Berlin et Paris, où une telle idée est jugée « parfaitement inopportune ».
Il est donc fort peu probable que la position des États membres sur ce point évolue. Vous me contredirez si nécessaire, monsieur le secrétaire d’État.
À l’évidence, les positions en présence paraissent pour l’instant irréductibles et suscitent bien des inquiétudes, à un double niveau.
À court terme, que se passera-t-il si le budget 2011 n’est pas adopté avant la fin de l’année ? Le recours aux douzièmes provisoires, fondés sur le budget 2010, se traduirait par une diminution réelle des crédits alloués aux politiques européennes. J’ajoute que le Service européen pour l’action extérieure, le SEAE, ne serait pas financé.
À moyen et long termes, nous ne voyons pas encore de terrain de compromis possible pour les futures perspectives financières, alors que des questions comme la politique agricole commune, la politique de cohésion ou encore la ristourne britannique sont abordées de façon souvent passionnelle, dans un contexte marqué par l’impossibilité, compte tenu des contraintes budgétaires nationales, d’accroître la taille du budget européen.
Sur tous ces sujets, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous apporter des précisions ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit ce soir intervient dans des circonstances particulières, au lendemain d’un Conseil européen qui, sous couvert d’une « nouvelle gouvernance économique », entérine de fait une politique d’austérité à courte vue pour l’Europe et attentatoire aux principes fondateurs de la légitimité du projet européen.
Comme nous l’avions redouté, les États membres, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, ont approuvé le durcissement du respect des conditions du pacte de stabilité. Une telle priorité n’a pas de sens, surtout si les sanctions viennent peser sur des pays déjà surendettés. À un mécanisme coercitif, nous aurions préféré un mécanisme préventif fondé sur la responsabilité, la solidarité et les choix collectifs, en cohérence avec l’idée même du projet européen. Quelle est donc cette Europe qui retire des droits de vote ou des fonds structurels à des pays en difficulté ?
Sous le prétexte de contraintes budgétaires nationales renforcées, onze États membres, sous la houlette de la Grande-Bretagne, ont négocié le refus non seulement d’une augmentation du budget pour 2011, mais de toute modification future du plafond du cadre financier.
Comme nous l’avions souligné non seulement au mois de juin, mais également la semaine dernière lors du débat préalable au Conseil européen, on a mis la charrue avant les bœufs en faisant des sanctions le préalable à l’élaboration d’une gouvernance économique commune. Une modification du traité pour ces seules sanctions n’a pas de sens si le pacte de stabilité n’est pas réformé en profondeur. Nous regrettons ainsi une vision extrêmement réductrice de ce que pourrait être une véritable gouvernance économique commune, porteuse de croissance et d’emploi pour les Européens.
En définitive, le budget européen 2011 est non pas un budget de crise, mais un budget en crise. À quelques mois de l’ouverture des négociations sur le futur cadre financier de l’Union, la seule perspective que proposent les États membres est de déshabiller Pierre pour habiller Paul.
Pourtant, les politiques d’austérité généralisées pour lesquelles ont opté la majorité des États membres de l’Union ne devraient pas paralyser tout débat sur le budget européen annuel, ni, aujourd’hui, sur les travaux préliminaires de révision du cadre financier. Ou alors, c’est que les États membres ont perdu toute foi en l’Union et en ses capacités à soutenir leurs actions.
À l’opposé de la vision du Conseil européen, trois paramètres sont aujourd’hui à prendre en compte pour l’élaboration de ce nouveau cadre financier.
Le premier est l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui offre des compétences renforcées, notamment en matière de politique énergétique commune et d’asile.
M. Jacques Blanc. Et de cohésion territoriale !
M. Simon Sutour. En effet, monsieur le sénateur de la Lozère !
Ce sont bien les États membres qui en ont décidé ainsi. Cela signifie qu’ils étaient prêts à envisager une augmentation des moyens financiers.
Le deuxième paramètre est le lancement de la stratégie 2020, qui nécessite de lourds investissements. Ne croyons pas que, comme pour la stratégie de Lisbonne, les États membres pourront eux-mêmes financer l’intégralité de ces nouveaux objectifs. L’échelon européen est indispensable si l’on veut disposer de politiques de frappe en matière climatique, environnementale, industrielle, de recherche et d’innovation. Je pense que nous serons d'accord sur ce point, mes chers collègues.
Le troisième paramètre est le niveau de la dette publique en Europe, à cause duquel les États membres se déclarent dans l’impossibilité d’augmenter leur contribution au budget européen.
Monsieur le ministre, vous avez vous-même affirmé que l’augmentation de la contribution française dans le cadre des prochaines perspectives financières n’était « pas viable ». Et la position commune franco-allemande adoptée au mois d’août dernier s’oppose, en substance, à l’augmentation du budget européen et à l’éventualité de taxes à l’échelle de l’Union pour combler le manque de financements.
Alors, que comptez-vous faire ? Que comptez-vous proposer ? Nous prenons acte de ce constat, mais nous estimons que vous ne pouvez pas vous en tenir à une telle déclaration, à nos yeux inacceptable.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Simon Sutour. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faudra nécessairement dépenser mieux, sans pour autant condamner certaines politiques. Mais il faut aujourd’hui envisager sérieusement de nouvelles ressources propres.
Même s’il s’agit d’un sujet que nous abordons depuis longtemps dans notre hémicycle, le nouveau pouvoir du Parlement européen en la matière n’est pas étranger à la pression nouvelle exercée aujourd’hui sur la Commission et les États membres pour aborder enfin, véritablement, la question des ressources propres.
Les États membres ne doivent pas non plus se tromper de débat ou, plutôt, ignorer la réalité. Ce qu’il faut envisager, ce n’est pas de gérer les politiques avec ce dont on dispose. Il faut être beaucoup plus ambitieux que cela, en programmant les besoins croissants des États membres en matière de politique de soutien.
On ne peut pas, d’un côté, paraître ambitieux – je pense à la volonté manifestée d’avoir une véritable stratégie industrielle européenne – et, de l’autre, opposer une fin de non-recevoir à un accroissement des moyens.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Simon Sutour. S’il n’est pas acceptable de réduire les crédits européens, il faudra prévoir de nouvelles ressources propres communautaires, lorsqu’on sait que le budget est alimenté à 85 % par les contributions des États membres.
À mon sens, il est important d’avoir un débat sur ces ressources qui soit désolidarisé du reste de la réflexion. Nous aurions bien sûr préféré qu’un tel débat ait été considéré comme un préalable par la Commission. Néanmoins, nous nous réjouissons que le document de réflexion aujourd’hui publié force les États membres à aborder ces nouvelles perspectives et à prendre position sur celles-ci.
En tant que parlementaires nationaux, nous pouvons toujours débattre sur les ressources propres, et même nous entendre. Nous sommes déjà tous convaincus de la nécessité d’en trouver de nouvelles. (M. le président de la commission des finances s’exclame.)
Mais c’est bien les États membres, à commencer par le gouvernement français, qu’il faut convaincre. Si ces États membres continuent à camper sur leurs positions, les prochains budgets européens seront en danger.
Nous sommes plutôt satisfaits des nouvelles propositions de la Commission européenne.
Celle-ci nous rejoint sur de nombreuses options de financement que nous défendons déjà depuis de nombreux mois : l’affectation au budget européen d’une part des recettes taxe sur les transactions financières ; l’affectation au budget européen d’une partie des recettes des enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre ; une taxe bancaire qui aurait la même finalité ; l’émission d’Eurobonds, qui permettrait le financement, via la Banque européenne d’investissement, des infrastructures européennes en matière d’énergie ou de transport ; enfin, une taxe européenne sur les bénéfices des sociétés.
En bref, c’est tout ce à quoi se refusent aujourd’hui une majorité d’États membres, en particulier la France, qui souhaiteraient voir verser directement au budget national ce type de recettes potentielles.
J’attire l’attention sur le fait que, contrairement à la pratique de plus en plus fréquente dans les négociations de trouver un compromis permettant de faire accepter des décisions en reculant simplement leur date d’entrée en vigueur, il n’est politiquement et même financièrement pas envisageable de prévoir un tel report dans la situation des finances européennes actuelles si on veut financer des politiques de sortie de crise, en particulier la stratégie 2020.
Le Parlement européen ne s’est pas trompé, lui, en faisant porter principalement son débat sur les recettes, sur lesquelles il a désormais un droit de regard.
Résoudre en amont la question des ressources propres est désormais incontournable pour élaborer les politiques de demain et financer les projets existants.
En témoigne le débat autour de la politique agricole commune, la PAC, et de la politique de cohésion territoriale.
M. Jacques Blanc. Ah !
M. Simon Sutour. Aujourd'hui, le risque est grand de voir ces deux rares politiques distributives de l’Union constituer les variables d’ajustement de ces prochaines négociations.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Simon Sutour. La politique de cohésion territoriale, à laquelle nous sommes très attachés, ne doit pas être sacrifiée sur l’autel d’un pseudo-rationalisme budgétaire. Sa valeur ajoutée au niveau européen est incontestable, du point de vue tant du développement territorial de chaque région que de la cohésion entre territoires.
Voilà un an, la Commission européenne avait tenté, dans un document non officiel, de démanteler cette politique au profit des seules régions les plus pauvres d’Europe. Si cette position radicale semble désormais avoir été abandonnée, nous devons rester vigilants, car les débats ne font que commencer.
Soulignons qu’à cet égard la position des nouveaux États membres sera déterminante. Ils se présentent comme favorables au maintien de l’objectif 2, en pensant que s’ils défendent seulement l’objectif 1, beaucoup d’États préféreront nationaliser la politique de cohésion. Mais s’ils doivent faire un choix, ils favoriseront probablement l’objectif 1 ! Le dialogue avec eux est donc primordial.
D’ailleurs, dans une résolution votée le 7 octobre dernier, le Parlement européen a rappelé la nécessité d’avoir une politique de cohésion « forte et bien financée », bénéficiant à l’ensemble des régions d’Europe pour plus d’efficacité et de synergies économiques entre elles.
Par conséquent, monsieur le ministre, il est essentiel que notre gouvernement soit ambitieux en la matière, d’autant plus qu’il pourrait être tentant de fondre la politique de cohésion dans la stratégie Europe 2020 et d’en faire un instrument de financement de cette stratégie. Et cela, en tant que sénateurs – c’est, je crois, un sentiment partagé sur l’ensemble des travées de la Haute Assemblée –, nous ne pourrons pas l’accepter, même si nous devrons peut-être le subir.
D’ailleurs, la dernière communication de la Commission européenne sur le sujet est ambiguë.
Certes, il est nécessaire que les deux politiques soient cohérentes. L’économie de la connaissance et l’innovation doivent être au cœur de nos investissements dans les territoires. De ce point de vue, la proposition de la Commission de mettre en place des « contrats de partenariat pour le développement et l’investissement » entre la Commission, les États membres et les partenaires au niveau local et régional est une idée que nous trouvons intéressante.
Cependant, si la stratégie 2020 devient l’objectif sous-jacent de la politique de cohésion, est-elle vraiment le meilleur instrument pour l’atteindre ? Que restera-t-il de l’objectif de redistribution des richesses et de cohésion territoriale ? La Commission propose ainsi de réserver une partie du budget des fonds de cohésion aux États membres qui respecteraient les objectifs de la stratégie 2020. Elle parle ainsi de « concurrence qualitative » !
Au-delà du jargon, j’aimerais souligner les dangers d’une telle proposition et combien il est essentiel de garder une stratégie fondée sur la solidarité entre États membres et entre régions et sur les besoins spécifiques de nos territoires.
Depuis des années, la politique de cohésion est un pilier du processus d’intégration européenne ; elle la rend concrète pour les citoyens et permet d’améliorer leur perception de l’Union européenne. Elle ne doit pas être le vecteur d’une concurrence nouvelle entre États membres ! Au-delà des stratégies strictement comptables, il ne faut pas oublier que la politique de cohésion territoriale est le symbole d’une certaine idée de l’Europe et qu’elle revêt ainsi un enjeu démocratique majeur.
Enfin, nous attendons dans les prochaines semaines les premières propositions de réforme de la Commission européenne sur la politique agricole commune. Aujourd'hui, en l’état – j’insiste sur les termes « aujourd'hui » et « en l’état » –, il ne semble pas que l’enveloppe globale de la PAC soit remise en question par la Commission, mais l’insistance de certains pays nous inquiète.