M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Jacques Mézard. … aucun camp n’a le monopole de l’éthique et de l’honnêteté.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Jacques Mézard. Mais ce n’est pas l’unique raison. Le manque de transparence, la légèreté du cadre juridique qui entoure nos statuts, ont été le terreau de cette véritable défiance, phénomène qui a été accéléré, il faut le dire, par les crises financières, comme celle de 1928 ou celle de 2008.
Mais, de grâce, ne tombons pas dans un antiparlementarisme inacceptable, …
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !
M. Jacques Mézard. … utilisé par les véritables ennemis de la démocratie : l’extrême droite et l’extrême gauche !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. Jacques Mézard. En nous intéressant à l’indépendance des membres du Gouvernement et du chef de l’État, nous ne pouvons faire l’économie de l’étude de la question du conflit d’intérêt.
Notion large, protéiforme, ne faisant l’objet d’aucune définition légale ou jurisprudentielle, le conflit d’intérêt est pourtant au cœur de l’actualité politique de ces derniers mois. L’un des premiers à s’y être intéressé est sans conteste le duc de La Rochefoucauld, qui, dans une phrase devenue célèbre, nous rappelle que « Les vertus se perdent dans l’intérêt, comme les fleuves dans la mer ».
Plus récemment, on peut se référer aux travaux de l’OCDE, en particulier aux recommandations de son conseil, en date du 28 mai 2003. À la lecture de la définition retenue, on constate aisément que les situations de conflit d’intérêt concernent non pas uniquement les membres du Gouvernement, mais également l’ensemble des décideurs publics.
Forts de ce constat, plusieurs membres du groupe du RDSE, sous la conduite, à l’époque, de Michel Charasse, ont déposé l’année dernière une proposition de loi tendant à interdire ou à réglementer le cumul des fonctions et des rémunérations de dirigeant d’une entreprise du secteur public et d’une entreprise du secteur privé. L’existence d’intérêts publics et d’intérêt privés divergents, voire opposés, ne peut en effet aller qu’à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’État.
Je remarque que notre proposition de loi, adoptée ici même il y a près d’un an, n’a toujours pas été examinée par l’Assemblée nationale…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. Jacques Mézard. Les auteurs de la présente proposition de loi constitutionnelle partagent cet objectif global, et ce même si le texte se consacre uniquement à la manifestation la plus voyante du conflit d’intérêt que constitue l’enrichissement personnel.
Je rappelle que l’OCDE a dégagé sept situations créant les conditions de potentiels conflits d’intérêts. Aujourd’hui, dans notre législation, des failles demeurent, indiscutablement.
Je le répète, il est important de ne pas non plus noircir le tableau et de rappeler qu’un contrôle des patrimoines respectifs des membres du Gouvernement et du Président de la République existe déjà, dont la double déclaration de patrimoine. Toutefois, les modalités du contrôle divergent. Pour les membres du Gouvernement, il est effectué par la Commission pour la transparence financière de la vie politique, sans sanction directe. Pour le Président de la République, le système retenu est celui du contrôle du peuple, lequel est censé ne pas redonner sa confiance en cas de pratiques douteuses. (M. Pierre-Yves Collombat s’esclaffe.) C’est un autre débat ...
Durant la campagne présidentielle, le contrôle est accru. Les dons provenant de personnes morales sont interdits quand ceux qui émanent de personnes physiques sont limités à 4 600 euros. Il est dommageable que de telles limitations n’aient pas cours durant l’exercice des fonctions ministérielles.
Nous avons proposé des pistes ambitieuses pour renforcer le contrôle des membres du Gouvernement et du Président de la République, tout en sachant que de nombreux obstacles devront être franchis pour parvenir à davantage de moralisation et de limpidité de la vie politique.
Nous considérons comme impératif que les auteurs d’infractions liées à l’exercice d’un mandat politique fassent systématiquement l’objet de poursuites pénales. L’image de l’État en général, des politiques et des magistrats en particulier, est meurtrie par les affaires que nous connaissons.
La Chancellerie doit avoir le courage de prendre une directive générale de politique pénale en matière de trafic d’influence et de prise illégale d’intérêts ainsi que de donner mandat aux parquetiers de poursuivre les auteurs de ce type d’infractions. D’ailleurs, à cette occasion, on se rendra compte que ceux-ci ne sont pas très nombreux et que des exemples sont souvent utiles dans la République.
Mes chers collègues, afin de ne pas revivre le fiasco estival, il est essentiel d’étendre les incompatibilités ministérielles et d’interdire qu’un ministre, directement ou indirectement, ait des intérêts dans des entreprises publiques ou privées, associations ou organismes soumis au contrôle de son administration. Il faudra bien régler la question du cumul des mandats électifs et des mandats d’administrateur de grandes sociétés ou celle de l’inflation du nombre de parlementaires avocats d’affaires.
Le dossier n’est pas mince, mais il faudra bien nous attaquer à cette réalité. Loin de moi l’idée de jeter l’opprobre sur la classe politique à laquelle je suis fier d’appartenir, mais, en les affranchissant des intérêts privés, nous rendrons aux uns et aux autres leur liberté d’élus et de citoyens. C’est indispensable !
Le texte présenté mériterait d’être complété. Tout d’abord, aucune sanction n’est prévue. Ensuite, le problème du contrôle de la véracité de la déclaration ou de son absence pure et simple demeure. En outre, il aurait peut-être également été utile d’attendre les conclusions de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, présidée par Jean-Marc Sauvé.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Malgré quelques réticences techniques, nous considérons que poser le problème comme le fait cette proposition de loi constitutionnelle est utile. La majorité des membres de mon groupe apportera donc son soutien à ce texte, car il vise à lutter contre un mélange des genres tout à fait malheureux pour l’image de notre vie publique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers mais peu nombreux collègues, le pouvoir et l’argent ne font pas bon ménage, mais les conflits d’intérêts semblent avoir de beaux jours devant eux si nous ne nous décidons pas à endiguer ces abus.
La démocratie est en grand danger lorsque des proximités se développent entre les pouvoirs publics et l’argent, en témoignent les nombreuses dérives auxquelles nous avons récemment assisté.
Les frontières entre ces deux sphères sont terriblement poreuses, à tel point que l’on en vient à décorer les heureux contributeurs de la campagne présidentielle de 2007 de la Légion d’honneur, transformant ainsi la médaille napoléonienne en hochet pour riches.
Je ne vais pas citer toutes les affaires ici, mais leur grand nombre fait prendre aujourd’hui à la France des allures de République bananière. Elles sont très éloignées de l’exigence démocratique de transparence que beaucoup semblent appeler de leurs vœux. Il est visiblement difficile de passer des paroles aux actes…
De même que la privatisation des moyens de renseignement, les généreux cadeaux fiscaux, le cumul des fonctions et le lobbying installé au cœur du pouvoir témoignent d’une mise sous tutelle inacceptable de l’État par des personnes morales.
Nous avons rectifié notre proposition de loi afin de répondre à l’argument d’inconstitutionnalité qui allait nous être opposé, la commission estimant que les dispositions proposées devaient relever à tout le moins d’un texte de valeur organique.
Mais, au regard de tous les scandales politico-financiers, on pourrait considérer que la politique de M. Sarkozy est, dans son ensemble, inconstitutionnelle, dès lors que l’article 4 de notre loi fondamentale dispose que « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. »
Nous sommes aujourd’hui très loin du compte. Nos concitoyens nous ont mandatés pour les représenter, les écouter et les relayer. Nos mandats politiques ne doivent théoriquement pas nous permettre d’agir avec cupidité.
Car un État est démocratique dans le sens où chacun concède son pouvoir décisionnel, non à un autre individu ou à un groupe déterminé, mais à la société dont il constitue une composante.
Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui le pouvoir est invariablement détenu et transmis au sein d’un groupe particulier. La grande majorité de la population se trouve exclue de l’élaboration de nos politiques publiques, ce qui est, vous en conviendrez, fortement dommageable pour ce qui reste de notre État de droit et de notre République. Nous regrettons d’ailleurs que notre pays ne se soit pas acheminé vers l’établissement d’une véritable démocratie participative.
Le 12 juillet dernier, à l’occasion de son intervention sur France 2 destinée à désamorcer la bombe « Woerth-Bettencourt », le Président de la République déclarait qu’il demanderait « à une commission représentant toutes les familles politiques de réfléchir à la façon dont on doit ou non compléter ou modifier la loi pour éviter dans l’avenir toute forme qui pourrait intervenir de conflit d’intérêts », admettant, de fait, qu’il y avait un problème.
À la suite de la publication du livre de M. Hirsch faisant état de situations quelque peu gênantes, trois personnalités – un magistrat, un conseiller d’État et un président de la Cour des comptes – ont été récemment chargées par Nicolas Sarkozy de réfléchir aux « situations de conflit d’intérêts dans lesquelles peuvent se trouver les membres du Gouvernement, les responsables des établissements publics et entreprises publiques, ainsi que, le cas échéant, les autres agents publics dont la nature particulière des missions le justifierait ».
En tant que parlementaires, au titre du mandat qui nous a été confié, nous devions prendre la responsabilité d’agir. Face à la multiplication des dérives, confortées par une législation lacunaire en la matière, nous avons donc été incités à développer notre réflexion sur l’indépendance du pouvoir exécutif et à vouloir aller plus loin dans notre détermination à combattre ces abus.
La législation actuelle présente des insuffisances, beaucoup s’accordent à le reconnaître, tant dans son champ d’application, qui est aujourd’hui limité aux seuls partis et candidats, que dans l’effectivité de son application.
L’interdiction faite aux personnes morales de participer à la vie politique du pays ne concerne que les périodes de campagne électorale et le financement des partis politiques, alors qu’elle devrait concerner l’ensemble de la vie politique.
Afin de remédier à cette contradiction, nos propositions ont pour objet d’étendre l’interdiction de recevoir tout don ou avantage, sous quelque forme que ce soit, de personnes morales et de créer une obligation de déclaration des dons provenant de personnes physiques, lorsque ceux-ci excèdent un montant annuel fixé par la loi ordinaire. Ce dernier pourrait être établi à 4 600 euros, à l’instar de la législation actuelle en matière de financement de la campagne des candidats à une élection.
Comme l’a rappelé Nicole Borvo Cohen-Seat, les dons concernés sont directs ou indirects. Tout don ou avantage en nature effectué par une tierce personne dont bénéficient également les personnes visées par notre texte sont pris en compte dans le calcul des sommes déclarées. Cette nouvelle législation serait applicable non seulement au Président de la République, mais aussi aux membres du Gouvernement.
Les sanctions envisagées sont celles prévues par la Constitution pour le Président de la République et par la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique pour les membres du Gouvernement.
Cette proposition de loi constitutionnelle n’a d’autre objet que de renforcer la transparence de la vie politique, en accord avec la loi suprême de notre république, à savoir le respect de la souveraineté nationale.
La démocratie ne peut trouver son accomplissement que dans une société où les hommes, librement associés, exercent activement leur souveraineté, sans s’en faire dépouiller par d’insidieux dispositifs politiques ou autres copinages de circonstance.
Pour réaliser la démocratie, il ne faut pas seulement que les décisions soient prises en accord avec la majorité, il faut aussi qu’elles soient prises pour la majorité ! C’est tout le sens de nos propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Robert Laufoaulu.
M. Robert Laufoaulu. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, préoccupation constante des responsables politiques, la volonté d’écarter tout soupçon d’enrichissement par une sujétion à la sphère économique a fait l’objet de plusieurs évolutions législatives.
La loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est une concrétisation de cette volonté. Un candidat à une élection ou un parti politique ne peuvent plus recevoir de dons de la part d’une personne morale. De plus, afin de démontrer que leur fonction n’a pas été source d’enrichissement personnel, les élus sont soumis à une obligation de déclaration de leur patrimoine au début et à la fin de leur mandat. Ce mécanisme de contrôle est même renforcé à l’égard des candidats à la présidence de la République. En effet, à peine de nullité de leur candidature, les candidats sont tenus de remettre au Conseil constitutionnel une déclaration de leur situation patrimoniale.
Par la suite, la loi du 8 février 1995 a étendu cette obligation de déclaration aux membres du Gouvernement et aux titulaires de certaines fonctions. Comme l’affirmait récemment le Président de la République : « Il ne suffit pas que la République soit irréprochable. Il faut encore qu’elle ne puisse même être suspectée de ne pas l’être ».
À cet égard, le texte présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et plusieurs membres du groupe CRC-SPG vise à renforcer la transparence entre le monde politique et le monde des affaires.
Compte tenu de la rectification apportée par ses auteurs pour transformer la proposition de loi en proposition de loi constitutionnelle, deux dispositions sont proposées en un article unique : la première vise à interdire au Président de la République et aux membres du Gouvernement, pendant toute la durée de leur mandat, de recevoir des dons de personnes morales ; la seconde a pour objet de soumettre les dons des personnes physiques au régime de déclaration obligatoire.
Comme l’a souligné notre rapporteur, Patrice Gélard, si cette proposition de loi constitutionnelle se fixe l’objectif légitime d’encadrer des cadeaux et des avantages en nature dont le Président de la République et les membres du Gouvernement pourraient être les destinataires, son dispositif comporte d’importantes lacunes.
Le texte qui est soumis à notre examen comporte deux limites majeures, d’une part, quant à son opportunité, d’autre part, quant à l’efficacité de son dispositif.
Tout d’abord, ce texte semble prématuré. Sur l’initiative du Président de la République, une commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique a été mise en place en vue de traiter la question de la régulation des relations entre les responsables politiques et le milieu des affaires. Présidée par M. Jean-Marc Sauvé, la commission doit rendre ses conclusions avant le 31 décembre 2010. Il serait donc peu opportun de légiférer sur cette question avant même que la commission n’ait achevé ses travaux.
Par ailleurs, le mécanisme que ce texte prévoit serait inopérant. En effet, il présente une profonde vacuité en proposant de soumettre les membres de l’exécutif à l’interdiction de percevoir des dons sans qu’il ait été prévu de sanctions pour les cas où ce dispositif ne serait pas respecté.
De plus, la notion d’« avantages en nature » ne saurait fonder juridiquement une telle interdiction, tant ses acceptions sont floues et pourraient faire l’objet d’une interprétation extensive. Comme l’a présenté notre rapporteur à titre d’exemple, avec un tel mécanisme, « il serait interdit [aux membres de l’exécutif] de se rendre en vacances chez des amis si ceux-ci ont acheté leur maison sous la forme d’une société civile immobilière : les SCI étant des personnes morales, le fait de jouir d’une habitation ainsi constituée tomberait en effet sous le coup de l’interdiction de recevoir des avantages en nature procurés par des personnes morales ».
Nous voyons bien ici que les faiblesses de cette proposition de loi constitutionnelle pourraient conduire à des situations absurdes et induire des sanctions totalement disproportionnées, d’autant plus que ce texte se heurte à la nécessaire protection de la vie privée des membres de l’exécutif.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera contre cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle initiale.
Article unique
La Constitution est ainsi modifiée :
1° Après l’article 7, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. 7 bis. – Est interdit le fait, pour tout candidat élu à la Présidence de la République, et durant toute la durée de son mandat, de recevoir des avantages en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte, procurés par des personnes morales. Est également interdit le fait, pour ces personnes morales, de proposer ou de procurer ces avantages.
« Ces dons ainsi définis qui lui sont consentis par des personnes physiques, à l’exception des donations familiales, font l’objet d’une déclaration publique annuelle auprès de la Commission pour la transparence financière de la vie politique s’ils excèdent un montant global fixé par la loi. » ;
2° Après l’article 23, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. 23 bis. – Est interdit le fait, pour les membres du gouvernement, de recevoir des avantages en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte, procurés par des personnes morales. Est également interdit le fait, pour ces personnes morales, de proposer ou de procurer ces avantages.
« Les dons qui leur sont consentis par des personnes physiques, à l’exception des donations familiales, font l’objet d’une déclaration publique annuelle auprès de la Commission pour la transparence financière de la vie politique s’ils excèdent un montant global fixé par la loi. »
M. le président. Je ne suis saisi d’aucun amendement.
Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle, je donne la parole à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Nous ne sommes peut-être pas nombreux, mais ce n’est sans doute pas une raison de voter sans s’expliquer !
Je voudrais répondre aux objections qui ont été formulées par notre rapporteur, reprises par M. le secrétaire d’État puis par notre collègue Robert Laufoaulu.
Première volée d’arguments : ce texte serait inefficace parce qu’il prévoit une obligation sans sanction.
Mes chers collègues, tout de même, nombre de textes que nous votons, présentés notamment par la majorité sénatoriale, comportent des déclarations non assorties de sanction ! Ce n’est nullement une particularité de la présente proposition de loi constitutionnelle !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On ne devrait pas les voter !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Il faudrait les déclarer irrecevables !
M. Pierre-Yves Collombat. C’est le cas des comptes de campagne lors des élections présidentielles. Vous imaginez le Conseil constitutionnel invalidant l’élection de M. Sarkozy en invoquant des « incertitudes » ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est possible !
M. Pierre-Yves Collombat. Cela n’a rigoureusement aucun sens !
Ensuite, la notion même d’avantages en nature et de dons serait trop large. Les membres du Gouvernement, le Président de la République ne pourraient plus avoir de logement ni de voiture de fonction, considérés comme des avantages en nature. Cet argument ne tient pas, dans la mesure où un logement, une voiture de fonction sont liés à des obligations de service, sont partie intégrante de ce service.
Vous avez aussi évoqué les cadeaux diplomatiques. De deux choses l’une : soit il s’agit d’un cadeau offert par un chef d’État étranger au chef de l’État français, auquel cas, c’est une affaire d’État et le cadeau en question va rejoindre, le cas échéant, un musée prévu à cet effet - on en connaît un exemple, les touristes adorent -, soit il s’agit d’un cadeau offert dans le cadre d’une relation interpersonnelle, ce qui est parfaitement toléré !
Quant aux SCI, vous avez vraiment failli me faire pleurer ! Chers collègues, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre… On sait à quoi servent les SCI, personnes morales. Ma foi, si vous allez habiter dans la maison de votre ami président des États-Unis, qui n’est pas la propriété d’une SCI, il n’y a aucun problème particulier !
Vous invoquez par ailleurs de larges possibilités de contournement. Mais nous passons notre temps à voter de nouvelles lois, ce qui prouve bien que les anciennes ont été contournées. Voilà donc un argument d’aussi peu de poids que les précédents !
Mais le meilleur, monsieur le rapporteur, c’est quand vous invoquez l’argument de la protection de la vie privée ! Faut-il le rappeler ici ? la vie privée d’une personne publique n’est pas exactement la même que celle d’une personne qui ne l’est pas. En outre, vous savez comme moi que la mise en scène de la vie privée est désormais devenue un outil de gouvernement. Je ne vais pas vous réciter Nice-matin, mais il y est souvent question du fils, de la femme, du Président lui-même, de son jogging, de son vélo, de la pizza au Cap Nègre…
Vous nous dites également, monsieur le rapporteur, que ce texte est contestable. Certes, en cas de manquement au devoir de probité personnelle, la sanction est politique. Toutefois, actuellement, les élus autres que ceux qui sont visés par la proposition de loi constitutionnelle qui manqueraient au devoir de probité sont soumis au code pénal, lequel prévoit une liste de ces manquements.
De ce fait, le système français actuel, que ce soit constitutionnellement ou dans la pratique, est de nature consulaire. Il n’y a pas de contre-pouvoir : le pouvoir fait exactement ce qu’il veut, sans contrôle.
Si seule la sanction électorale est recevable, quid des membres du Gouvernement, qui, conformément à la Constitution, d’ailleurs, ne sont pas des élus ? Quid des dispositions et des organismes comme le Conseil constitutionnel, qui existent, mais que les électeurs ne peuvent pas mettre en cause ?
Ce texte serait au surplus prématuré, une commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique ayant été mise en place. Mais, précisément, chers collègues, la mise en place de cette commission ne prouve-t-elle pas qu’il y a un petit problème ?
Pour conclure, je dirai que le dispositif ici proposé n’est pas plus inefficace que l’absence actuelle de dispositif. Il n’a rien d’inutile non plus, comme le montre bien la mise en place de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique. Je pense d’ailleurs que cette commission ne réglera pas les questions qui se posent aujourd'hui, car nous faisons face non pas à des conflits d’intérêts, mais à des problèmes de moralité publique.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Cette commission se limite au droit !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je ne prolongerai pas inutilement notre débat, Pierre-Yves Collombat ayant repris un certain nombre des arguments qu’Éliane Assassi et moi avons développés lors de nos interventions, mais je tiens tout de même à avouer ma très grande surprise d’entendre dire ici que, si elle était adoptée, cette proposition de loi constitutionnelle donnerait lieu à des contournements, comme j’ai pu le lire d’ailleurs aussi dans le rapport de la commission.
Cette conception de la transparence et des obligations faites aux élus de la République et aux personnes exerçant les plus hautes responsabilités est franchement inacceptable.
Si la transparence, la probité, le respect de la morale publique, font partie de notre consensus républicain et de nos valeurs communes, il est normal de poser des principes et de faire en sorte que les personnes publiques exerçant les plus hautes responsabilités s’y conforment, en prévoyant des garde-fous pour les cas où certaines failliraient, car la faiblesse est humaine. Mais considérer d’emblée que les femmes et les hommes publics exerçant les plus hautes responsabilités n’auront qu’une idée, à savoir contourner ces règles, c’est bien triste. On ne devrait pas entendre de tels propos dans cet hémicycle.
Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, vous êtes défavorables à cette proposition de loi constitutionnelle, mais si les conflits d’intérêts font aujourd'hui l’actualité, vous y êtes sans doute pour quelque chose !
En tout cas, nous serons là pour dire ce que nous avons à dire lorsque la commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique rendra ses conclusions et pour solliciter qu’elles se traduisent, si elles sont pertinentes, par un texte législatif.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement se sont prononcés contre.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 93 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.