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Candidature à la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation d’un membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en remplacement de M. Alain Lambert, dont le mandat sénatorial a cessé.

Le groupe Union pour un mouvement populaire a désigné M. Charles Guené pour le remplacer.

En application des articles 110 et 8, alinéas 2 à 11, du règlement du Sénat, cette candidature a été affichée.

Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

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Dossier législatif : proposition de loi organique visant à interdire le cumul du mandat de parlementaire avec l'exercice d'une fonction exécutive locale
Discussion générale (suite)

Cumul du mandat de parlementaire et fonction exécutive locale

Renvoi à la commission d'une proposition de loi organique

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique visant à interdire le cumul du mandat de parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive locale, présentée par M. Jean-Pierre Bel et les membres du groupe socialiste (proposition n° 697 [2009-2010], rapport n° 41) (demande du groupe socialiste).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Bel, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à interdire le cumul du mandat de parlementaire avec l'exercice d'une fonction exécutive locale
Demande de renvoi à la commission

M. Jean-Pierre Bel, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet que nous abordons ce matin est, j’en ai bien conscience, un véritable serpent de mer ! J’ai également constaté que, depuis toujours, ce thème donne lieu à beaucoup d’hypocrisie ; le décalage entre ce qui est dit et ce qui est réalisé en est la preuve !

Je commencerai donc par une citation extraite d’un rapport remis en octobre 2007 au Président de la République, celui du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, présidé par l’ancien Premier ministre, M. Édouard Balladur.

« Le renforcement du Parlement par le biais d’attributions nouvelles et de méthodes de travail mieux adaptées aux exigences de la démocratie n’a de sens que si les membres du Parlement sont mis en mesure d’exercer pleinement la mission que le peuple leur a confiée. »

C’est en ces termes que le Comité de réflexion brossait le contexte et posait la problématique d’ensemble qui justifie aujourd’hui notre proposition de loi.

Mais le rapport dudit Comité allait beaucoup plus loin encore. Aussi me permettrez-vous d’en extraire d’autres citations.

« L’activité parlementaire de législation et de contrôle constitue, par elle-même, une activité à temps plein. Aussi le Comité est-il d’avis que le mandat unique est la seule mesure qui corresponde vraiment aux exigences d’une démocratie parlementaire moderne. Seule parmi les grandes démocraties occidentales, la France connaît une situation de cumul important des mandats. »

« Pourtant, même si une majorité des membres du Comité considère que le cumul d’un mandat parlementaire et de fonctions locales non exécutives doit encore demeurer possible, sa conviction unanime est que le cumul entre un mandat national et des fonctions exécutives locales, y compris à la tête d’un établissement public de coopération intercommunale, doit être proscrit et que notre pays doit, en toute hypothèse, s’engager sur la voie du mandat parlementaire unique ».

« Il recommande que l’acheminement vers ce mandat parlementaire unique, qui implique une refonte de diverses dispositions organiques du code électoral, s’accomplisse de manière progressive à la faveur de chacune des élections municipales, cantonales et régionales à venir, à l’issue desquelles les parlementaires élus lors de ces scrutins seraient tenus de choisir entre leur mandat national et leur mandat exécutif local. »

De même, en 2007, dans un rapport d’information sur l’émancipation de la démocratie locale, fait au nom de l’Observatoire de la décentralisation, un membre éminent de la majorité sénatoriale, M. Jean Puech, estimait lui aussi nécessaire de limiter le cumul. À la fois prudent et exigeant, il recommandait d’« éviter » – le terme est peut-être plus subtil ! – le cumul entre des fonctions exécutives locales et un mandat de parlementaire.

Notre proposition de loi n’a donc rien d’une proposition de circonstance. Elle s’inscrit dans une tendance de fond. Elle est conforme aux préconisations de l’immense majorité des constitutionnalistes. Elle est une première pierre à une modernisation plus complète de notre vie publique, à un nouveau souffle pour notre République et pour notre démocratie.

Nous le savons tous, le cumul des mandats est, en grande partie – on peut en effet trouver d’autres exemples –, une spécificité française.

Certes, les situations sont variables selon les pays. Pourtant, « seule parmi les grandes démocraties occidentales, la France connaît une situation de cumul important des mandats. ». Ce constat, dressé là encore par le Comité dit « Comité Balladur », est incontestable.

À l’Assemblée nationale, 259 députés exercent un mandat de maire, 19 sont présidents de conseil général et 6 sont présidents de conseil régional.

Ici, au Sénat, 114 d’entre nous sont également maires, 30 sont présidents de conseil général et 5 sont présidents de conseil régional.

Dans ce décompte, je n’inclus pas les fonctions de vice-président, d’adjoint, ni de président d’un établissement public de coopération intercommunale.

Mes chers collègues, le cumul des mandats est légal, c’est une évidence. Il est pratiqué sur toutes les travées de notre assemblée, au-delà des clivages politiques et des convictions de chacun, je vous en donne acte.

Notre objectif n’est donc en aucun cas de jeter l’opprobre sur tel ou tel. Notre volonté n’est pas de stigmatiser. De plus, ayons le courage de le dire aussi, des parlementaires « cumulards » peuvent être d’excellents parlementaires, et je le constate tous les jours.

Pour autant, la situation actuelle n’est pas satisfaisante et les inconvénients sont bien connus.

En premier lieu, le cumul des mandats heurte la plupart de nos concitoyens.

M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C’est à démontrer !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ils réélisent les cumulards !

M. Jean-Pierre Bel, auteur de la proposition de loi. C’est une réalité, même s’ils font quelquefois preuve de certaines contradictions dans leurs desiderata sur le plan local. J’en suis témoin et j’en suis même presque l’illustration ! (Sourires.)

Les Français demandent des élus à plein temps. Ils demandent que leurs représentants se consacrent à 100 % au mandat qu’ils leur ont confié.

En deuxième lieu, le cumul des mandats constitue une forme de blocage pour la vie politique française en raison des dégâts collatéraux qu’il crée : il freine l’émergence de nouvelles générations, il retarde l’arrivée de responsables politiques issus d’une plus grande diversité et il complique l’accession des femmes aux mandats électoraux.

Limiter le cumul, c’est, automatiquement, créer un appel d’air dont notre pays a bien besoin. C’est tirer les conclusions de cette belle méditation de Jacques Julliard : « Pour que la politique devienne quelque chose pour tous, il faut qu’elle cesse d’être tout pour quelques-uns ».

En troisième lieu, le cumul des mandats peut conduire à des conflits d’intérêts. Il s’agit d’un constat objectif et non de la mise en cause des femmes et des hommes.

Mais comment ne pas voir qu’un parlementaire qui exerce aussi des responsabilités exécutives locales – n’est-ce pas, monsieur le ministre ? (M. le ministre rit.) – peut parfois être tenté de défendre l’intérêt général local plus que l’intérêt général national ou se trouver confronté à des choix déchirants ?

En dernier lieu, le cumul des mandats nuit à la qualité du travail parlementaire.

Je n’irai pas jusqu’à dire, avec Guy Carcassonne, que le Parlement manque moins de pouvoirs que de parlementaires ayant le temps nécessaire pour s’en saisir. Mais il est certain que le temps est une ressource rare pour nous toutes et nous tous – on l’a bien vu ces jours derniers – et que, plus nous nous consacrons à des mandats locaux, moins nous avons le temps de nous consacrer à toute l’étendue de nos compétences de parlementaires. C’est vrai pour le travail législatif ; c’est vrai aussi pour les activités de contrôle du Parlement, celles-là mêmes qui sont appelées à se développer dans les années à venir – nous en parlons souvent –, comme c’est le cas dans toutes les grandes démocraties aujourd’hui.

De ce fait, le cumul des mandats aggrave le déséquilibre entre les pouvoirs, en affaiblissant encore un peu plus le pouvoir législatif, déjà fort encadré sous la ve République. Nos débats récents sur les retraites ont une nouvelle fois tristement illustré cette situation !

C’est pour répondre à tous ces inconvénients que le cumul des mandats a été progressivement encadré au cours des deux dernières décennies. À deux reprises, c’est la gauche qui a porté ces avancées.

Ce fut d’abord le cas avec la loi organique du 30 décembre 1985, qui a introduit dans le code électoral les premières limitations dans ce domaine. Faut-il rappeler la situation à cette époque ? Deux personnalités fortes sont souvent citées à cet égard : MM. Jean Lecanuet et André Chandernagor …

M. Patrice Gélard, rapporteur. Sans parler de Pierre Mauroy !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et de Gaston Defferre !

M. Jean-Pierre Bel, auteur de la proposition de loi. … avaient la particularité d’illustrer d’une façon presque caricaturale le phénomène de cumul des mandats.

On pouvait donc être à la fois maire, président de conseil général, président de conseil régional, sénateur, parlementaire européen, président d’agglomération et président de commission au Sénat, comme ce fut le cas de l’un d’entre eux !

Aussi la loi du 30 décembre 1985 a-t-elle rendu incompatible un mandat parlementaire avec l’exercice de plus d’un des mandats suivants : représentant au Parlement européen, conseiller régional ou conseiller de l’assemblée de Corse, conseiller général, conseiller de Paris, maire d’une commune de plus de 20 000 habitants autre que Paris, adjoint au maire d’une commune de plus de 100 000 habitants autre que Paris.

La loi du 19 janvier 1995 a introduit des dispositions complémentaires. Puis la loi organique du 5 avril 2000, votée sur l’initiative du gouvernement de Lionel Jospin, a posé de nouvelles limites, même si, en raison de l’opposition du Sénat, les ambitions initiales de ce texte avaient dû être réduites.

Quoi qu’il en soit, mes chers collègues, l’histoire du cumul des mandats est celle de son recul, lequel est en même temps un progrès pour notre démocratie ! C’est pourquoi nous vous proposons aujourd’hui de nouvelles avancées, car nous ne sommes pas encore au bout du chemin. À l’heure actuelle, un parlementaire peut encore cumuler jusqu’à trois fonctions exécutives locales, puisqu’il peut être maire d’une commune de moins de 3 500 habitants, président de conseil général ou régional et président d’un établissement public de coopération intercommunale.

M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, et M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Ce n’est plus le cas depuis la loi de 1985 !

M. Jean-Pierre Bel, auteur de la proposition de loi. Vous me reprendrez dans un instant, mes chers collègues.

Vous l’avez tous constaté, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui concrétise un engagement fort des socialistes. Nos collègues députés ont déposé un texte identique à l’Assemblée nationale. Notre conviction est simple : le non-cumul doit être organisé par une loi de la République, les mêmes règles devant s’appliquer indistinctement à tous les parlementaires, quelle que soit leur appartenance politique ! J’insiste tout particulièrement sur ce dernier point : c’est la loi de la République qui doit régler ce genre de questions, aucune autre démarche ou processus d’évolution n’étant valable à cet égard.

C’est bien pour insuffler un renouveau à notre vie politique que nous proposons aujourd’hui ce texte. Plus concrètement, il s’agit d’un texte simple – je me tourne vers mes collègues, qui ne manqueront pas de me faire de nombreuses remarques – et limpide. C’est d’ailleurs dans cette limpidité que réside, me semble-t-il, le gage de l’efficacité. Nous proposons – c’est l’objet de l’article 1er de la proposition de loi – d’interdire le cumul d’un mandat parlementaire avec l’exercice de toute fonction exécutive au sein d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale.

Il s’agit bien « de toute fonction exécutive ». Par cette formule sont concernés les mandats de maire et d’adjoint au maire, de président et vice-président de conseil général et de conseil régional, de président et vice-président d’un établissement public de coopération intercommunale. Toutes ces fonctions entrent dans le champ d’application de notre proposition de loi.

Par souci de pragmatisme, nous prévoyons, comme le préconisait d’ailleurs le comité Balladur, que la loi s’appliquera, à compter de sa promulgation, à chaque parlementaire nouvellement élu. Son entrée en vigueur devra ainsi avoir lieu dès les prochains renouvellements des assemblées parlementaires. Le dispositif d’ensemble entrera donc en vigueur – je ne doute pas que notre proposition de loi sera adoptée –à l’issue du renouvellement intégral de l’Assemblée nationale, en 2012, et des renouvellements partiels du Sénat, en 2011, puis en 2014.

Dans notre esprit, cette proposition de loi est à la fois un aboutissement et un commencement. C’est un aboutissement, parce que le texte va très loin dans la limitation du cumul – nous en sommes conscients –, s’inscrivant ainsi dans le prolongement d’une évolution historique. Il permet toutefois de conserver un lien fort avec le terrain, le cumul avec un mandat local non exécutif demeurant autorisé. C’est également un commencement parce qu’il faudra aller plus loin.

Ce texte devra être prolongé par des dispositions destinées à moderniser notre vie publique, car il convient de ne pas isoler la question du cumul des mandats des questions liées à l’exercice des fonctions et mandats parlementaires et à notre vie publique.

En adoptant une telle perspective, on fait surgir un autre serpent de mer, qui concerne cette fois le statut de l’élu, notamment de l’élu local.

M. Jean-Pierre Bel, auteur de la proposition de loi. Je pense également au renforcement du Parlement, à la rénovation du bicamérisme, qui est une nécessité absolue, à l’amélioration de la qualité de nos textes de loi – M. le président de la commission et M. le rapporteur y seront sensibles – et à un vrai statut, qui n’existe pas aujourd’hui, de l’opposition parlementaire, pour que, y compris au Sénat, les groupes minoritaires puissent être respectés, se voient confier des responsabilités, bref soient davantage pris en compte.

Mes chers collègues, la Haute Assemblée a trop souvent été un lieu de blocage dans le processus de modernisation de notre vie publique. Ne tombons pas une nouvelle fois dans ce piège !

Monsieur le rapporteur, nous ne pouvons suivre votre démarche. Vous préconisez en effet le renvoi de notre texte en commission, en vous abritant derrière de faux arguments – toujours les mêmes ! –, dont l’unique objectif est de retarder l’heure des choix !

Soyons fidèles à Jean Jaurès – pour aller à l’essentiel, il faut faire appel à ceux qui avaient une vraie pensée et une vraie vision de la vie politique et du mandat parlementaire –, lequel estimait, dans son article pour La Dépêche de Toulouse du 28 décembre 1903 qu’« il y a un intérêt capital à ce que le Sénat soit en harmonie avec la démocratie ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Pierre Fauchon applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis aujourd’hui d’une proposition de loi organique interdisant le cumul du mandat parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive locale.

Ce texte a été déposé par le président du groupe socialiste, M. Jean-Pierre Bel, ainsi que par la totalité des membres de son groupe. Bien évidemment, il présente un intérêt réel.

Il convient de rappeler, comme vient d’ailleurs de le faire Jean-Pierre Bel, que le cumul des mandats a déjà fait l’objet, et ce de façon non négligeable, de travaux parlementaires. Je pense notamment à l’adoption de la loi organique du 30 décembre 1985, qui limite le cumul des mandats électoraux et des fonctions électives en se fondant sur deux principes : premièrement, « un mandat national et un mandat local » ; deuxièmement, « un homme, deux mandats ».

Ce premier texte a été complété par un deuxième, la loi organique du 25 février 1992, qui limite cette fois-ci le cumul des indemnités : le montant maximal dont peut désormais bénéficier un élu est fixé à une fois et demie celui de l’indemnité parlementaire.

Enfin, la dernière loi adoptée en la matière est celle du 5 avril 2000, qui interdit le cumul de certains mandats locaux, à l’exception de celui de conseiller municipal des communes de moins de 3 500 habitants. Il s’agissait aussi de lutter contre les « candidats locomotives », qui menaient les listes mais ne faisaient rien d’autre par la suite.

Toutefois, à l’occasion de l’examen de ce dernier texte, une divergence était apparue entre députés et sénateurs concernant le régime d’incompatibilité des élus locaux et des parlementaires. Le Sénat avait nécessairement eu gain de cause, y compris dans la décision du Conseil constitutionnel qui a suivi.

Enfin, plus récemment – Jean-Pierre Bel l’a évoqué –, le rapport du Comité Balladur a également mis l’accent sur le problème du cumul des mandats. Je souligne tout de même que ce Comité ne comprenait aucun sénateur. Le point de vue du Sénat n’a donc pas pu être pris en compte…

M. Jean-Pierre Bel. Et Pierre Mauroy ?

M. Jean-Pierre Sueur. Un sénateur de grande importance !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Vous avez raison, je l’admets. Mais, hormis Pierre Mauroy, il n’y avait personne ! (Sourires.)

Je souligne également que le Comité ne s’est pas exprimé unanimement sur ce sujet, certains de ses membres n’ayant pas été présents lors du vote !

Plus récemment, à l’Institut d’études politiques de Paris, s’est tenue une réunion consacrée au cumul des mandats, avec la participation de MM. Balladur, Jospin et Rocard, ainsi que d’autres personnalités tout à fait importantes. Bien qu’aucune unanimité ne se soit dégagée à cette occasion, certaines propositions intéressantes ont été mentionnées, portant notamment sur l’adoption de règles différentes pour les sénateurs et les députés. Sur ce point, je vous renvoie, mes chers collègues, aux travaux du GÉVIPAR, le groupe d’études sur la vie et les institutions parlementaires,

Les arguments en faveur de la limitation du cumul des mandats ont été bien développés par M. Bel tout à l’heure : ils concernent la disponibilité des élus, l’ouverture de la vie politique, les attentes de l’opinion publique et l’exemple de l’étranger.

Je suis désolé de le dire, mais ces arguments peuvent se retourner contre la position défendue par leur auteur et finalement plaider en faveur du cumul des mandats.

Premièrement, concernant la disponibilité des élus, est-il démontré que les élus cumulant une fonction parlementaire et un mandat local sont moins présents au Parlement que ceux qui n’exercent aucun autre mandat ? Non !

On pourrait d’ailleurs, ici même, faire la démonstration du fait que certains parlementaires n’ayant pas de mandat local sont, en fin de compte, moins présents que d’autres parlementaires qui, eux, en ont un. Ce premier argument est donc loin d’être convaincant.

Deuxièmement, notre collègue a évoqué une ouverture de la vie politique. Par rapport à ce qui se passait sous la IIIRépublique, le déroulement de la carrière politique a changé. Autrefois, le « cursus » s’étalait sur toute la vie : il commençait avec la fonction de conseiller municipal, se poursuivait avec celle de conseiller d’arrondissement, de conseiller général, puis de député, pour s’achever avec celle de sénateur. Nous n’avons plus cette espèce de déroulement quasi logique de la vie politique, que la carrière du président René Coty, par exemple, illustre à merveille.

Malgré la disparition de ce modèle, avons-nous bénéficié d’une « ouverture » de la vie politique ? Je n’en suis guère convaincu ! N’avons-nous pas assisté au contraire à des transferts d’une fonction vers une autre ? Les mêmes personnes sont toujours là, mais leurs mandats sont différents !

Troisièmement, les attentes de l’opinion publique revêtent des aspects bien souvent contradictoires. En effet, les sortants sont plus facilement réélus que ceux qui se présentent pour la première fois, et l’on préfère avoir un sénateur-maire ou un député-maire plutôt qu’un maire de la commune où l’on réside qui ne soit pas parlementaire.

Cet élément est donc la preuve que ce n’est pas tout à fait exact.

J’ajouterai qu’un certain nombre de nos collègues qui, dans le passé, furent des sénateurs remarquables, très présents au sein de la Haute Assemblée et qui, entre autres choses, animaient une commission, mais n’étaient pas présents dans leurs collectivités locales, furent allègrement battus. D’autres sénateurs ou députés qui, au contraire, étaient constamment dans leur circonscription électorale sans jamais être à Paris furent réélus sans problème. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Nathalie Goulet. C’est très injuste !

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n’est pas juste !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Voilà le comportement de nos concitoyens qui, en réalité, préfèrent réélire des personnes présentes dans leur circonscription.

Enfin, l’exemple récurrent de la situation à l’étranger est un faux exemple. Pour avoir étudié, au nom du Sénat, treize parlements parmi les plus représentatifs d’Europe, je peux affirmer que seulement deux interdisent le cumul des mandats : il s’agit du parlement grec – mais cela s’est accompagné de la multiplication par cinq de l’indemnité parlementaire des députés grecs –…

M. Yvon Collin. Les Grecs sont rigoureux…

M. Patrice Gélard, rapporteur. … et du parlement polonais ; cependant, les sénateurs polonais se plaignent amèrement de devoir représenter les collectivités territoriales sans avoir aucun contact avec elles. Affirmer que la situation est différente à l’étranger par rapport à ce qui se passe en France est donc un mauvais argument, car c’est faux.

Il est vrai que, dans un certain nombre de pays étrangers, l’interdiction du cumul de fonctions exécutives existe. Mais il n’y a pas d’interdiction de cumul d’un mandat parlementaire et d’un mandat local. La plupart de nos voisins – le Royaume-Uni, l’Allemagne, les États scandinaves l’Italie, l’Espagne – sont dans cette situation. Il faut donc arrêter de parler de spécificité française ! Il existe des pratiques différentes, mais il n’y a pas de spécificité française dans le domaine du cumul des mandats.

De surcroît, certains exemples sont contre-productifs. C’est notamment le cas de l’exemple américain. En effet, les gouverneurs américains ne peuvent pas être sénateur ou membre de la chambre des représentants. En revanche, le premier objectif d’un gouverneur est de tout mettre en œuvre pour devenir sénateur : il fera ainsi tout son possible pour que le sénateur sortant soit battu, afin d’être élu à sa place.

Notre système risque par conséquent d’aboutir à la situation dans laquelle le parlementaire sera « scotché » au Parlement – c’est d’ailleurs la situation que nous avons connue ces derniers temps, il faut bien le dire –,…

M. Yvon Collin. Nous sommes élus pour ça !

M. Patrice Gélard, rapporteur.  ne pouvant rien faire d’autre que de rester soudé à son siège de parlementaire et laissant ainsi la possibilité à un concurrent d’œuvrer au niveau local pour se faire élire à sa place lors de l’élection suivante ! Il y a donc une contre-indication à l’interdiction proposée dans certains cas.

Il existe par ailleurs une importante tradition française, que nous ne pouvons pas modifier brutalement.

Je souhaite rappeler que 739 parlementaires sur plus de 900, c’est-à-dire environ 7 sur 9, sont élus locaux. C’est donc le cas de l’immense majorité d’entre nous.

Pour reprendre l’exemple du Sénat cité par notre collègue Jean-Pierre Bel tout à l’heure, il y a parmi les sénateurs 5 présidents de conseil régional, 30 présidents de conseil général, 50 présidents d’EPCI et 114 maires. À l’Assemblée nationale, siègent 6 présidents de conseil régional, 19 présidents de conseil général, 117 présidents d’EPCI et 259 maires. Rien que pour les fonctions exécutives les plus élevées, 500 d’entre nous sont titulaires d’un mandat exécutif local, sans compter les adjoints au maire ou les vice-présidents d’EPCI. La règle est donc pour l’instant le cumul, pas l’inverse.

Il faut peut-être lutter contre cela, mais la proposition de notre collègue Jean-Pierre Bel et du groupe socialiste me pose un certain nombre de problèmes que je vais tenter de résoudre par le biais de la solution que je vous proposerai tout à l’heure.

Tout d’abord, une proposition de loi similaire a été déposée à l’Assemblée nationale et rejetée par elle la semaine dernière. Cela signifie que, si nous adoptions la même proposition de loi dans les mêmes conditions, le texte que nous adopterions aujourd’hui serait condamnée à un enterrement qui n’est même pas de première classe !

M. Patrice Gélard, rapporteur. En effet, l’Assemblée nationale n’examinera pas le texte puisqu’elle vient de le refuser.

M. Jean-Pierre Sueur. Le Sénat peut dire ce qu’il pense ! Il n’est pas le calque de l’Assemblée nationale !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Il ne s’agirait donc que d’un coup d’épée dans l’eau, aussi important soit-il de dire que le Sénat a voté un texte sur le cumul des mandats.

Deuxièmement, la proposition de loi organique comporte des ambiguïtés bien réelles. La première porte sur la définition de la fonction exécutive. Qu’est-ce qu’une fonction exécutive ? Est-ce une fonction de maire, de président de conseil général, de président de conseil régional ou de président d’EPCI ? Les membres des commissions permanentes font-ils partie de la fonction exécutive ? Qu’en est-il des vice-présidents n’ayant pas de délégation ? Je suis vice-président d’un EPCI et n’ai aucune délégation, ma fonction est-elle exécutive ? Certainement pas ! Un adjoint au maire n’ayant pas de délégation a-t-il une fonction exécutive ? Ces questions ne sont pas réglées et mériteraient de l’être.